Lettre Philosophique de Pierre Vicot

Lettre Philosophique
de
Pierre Vicot
Note d’introduction
e qu’on va lire est extrait du manuscrit 160
de la Bibliothèque Municipale de Rennes,
feuilles 90 et 91. Le style en est fort relâché et l’écriture, à certains endroits, souillée
de taches d’encre qui la rendent illisible; certains passages en ont été rendus très obscurs. Tel qu’il est, ce
texte nous paraît cependant d’un intérêt certain.
Pour le reste, nous nous permettons de renvoyer
le lecteur à ce que nous avons écrit de Pierre Vicot et
de son oeuvre, aux pages 43 et sv. du présent ouvrage.
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Hapocrates???
Lettre Philosophique
de
Pierre Vicot
A vous, noble et valeureux chevalier, j’adresse et confie en vos
mains le plus grand secret qui fut jamais aperçu d’aucun vivant, et pour
vous ai voulu icelui escrire, non pas pour être montré ni autrement
gardé qu’en votre coeur, bien étroitement mussé; car à vous et à moi
damnation serait s’il était divulgué, car à homme vivant ce secret ne
doit être déclaré, car c’est à Dieu seul de le révéler à ceux qu’il connaît
en être dignes, car il sonde les coeurs et connaît ce qui est advenir.
C’est la raison pourquoi les sages Philosophes n’ont jamais écrit ce
secret que par figures, énigmes, similitudes et allégories, découvrant
pourtant la vérité aux enfants de la science; mais aux indignes labeur et
tourment; car par faux régimes et fausses matières, ils ont séduit les
ignorants, car comme dit la benoîte Tourbe, quoiqu’il dit: prenez ceci
ou prenez cela, pourtant il ne faut prendre qu’une seule fois et bien
clore le vesseau jusques à la fin finale. Ne désire donc pas tant de choses car l’esprit est tout, mais si dedans icelui autre esprit n’est enclos,
rien ne profitera, car celui qui l’amende doit sortir du corps, car notre
lait dissout notre gomme et notre gomme coagule notre lait, et cette
huile et gomme dit (...), et premièrement sortie du corps et est dans
l’esprit inséré jusqu’à ce que (...) superflue de l’eau soit convertie en
air et que ce qui était en forme d’eau, soit fait de nature huileuse et
alors la pierre acquiert le nom de gomme et soulphre; donc notre pierre
n’est point parfaite par choses diverses, mais, par toute une chose; mais
les ignorants sont trompés par choses diverses et étranges à la nature
(...) d’étrange nature n’entendant Philosophie. Ainsi prennent les livres
à la lettre et par ainsi sont trompés, car les Philosophes tendent toujours
à deux fins, afin de faire faillir les ignorants.
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Lettre Philosophique de Pierre Vicot
C’est pourquoi je vous commande de garder le silence afin de
conserver ce trésor; (...) plutôt ces présents écrits qu’ils fussent divulgués. Car le Saint-Esprit se retirerait de vous et ne pourriez venir à bout
de rien. Soyez donc secret et regardez bien comme nature opère, et là
où les livres et la raison s’accordent n’outrepassant pas la possibilité de
la nature, et garde toi d’étudier en de faux livres, les meilleurs sont les
livres de Remond1, principalement sa Théorie, sa Pratique, et son
Codicille, l’Ancien et le Nouveau Testament, son Livre des expériences, quoiqu’il y ait de la fausseté par faux régimes et distillations,
sublimations et calcinations rustiques. Tous ces régimes n’ont été mis
que pour envelopper la vérité par pièces et pour faire errer les idiots. Et
beaucoup, trop subtils d’esprit, ne croient pas qu’il se fasse par si petit
régime, comme il se fait, ni que c’est une chose si admirable et tant
digne, desquels régimes, Remond dit en son Codicille:
«Ce que nous avons dit des préparations (...) est vrai, jaçoit
que2 l’artiste expert puisse donner accourcissement à icelles»,
et nous, semblablement désirant recueillir un esprit bénin de la
première noirceur, surmontant le feu et ne se laissant point surmonter,
et quoique nous l’ayons plusieurs fois touché aux doigts et vu de nos
propres yeux, nous étions encore aveugles et par aucune science ne
l’eussions pu comprendre, sans un esprit de prophétie venant du Père
des lumières qui ne délaisse point les siens. Fit en sommeillant reluire
devant nos yeux une telle clarté que nous reconnûmes que pour
l’accomplissement, nous n’avions qu’à disposer le corps à une naturelle et secrète décoction moyennant laquelle par ordre rétrogradé, soudain la nature fut visiblement dissoute en pure noirceur dont en ce
volume nous avons donné la manière par pièces détachées en la mussant.
Donc à homme vivant, tu ne dois ces choses révéler sous peine de
damnation éternelle. Pourtant, nous avons donné certaine pratique de
ces secrets pour les élus de Dieu, par laquelle notre secrète dissolution
se peut faire en neuf jours par l’aide externe informant l’intrinsèque de
la matière à naturelle décoction par l’invention de l’artiste, comme plus
à plein sera déclaré en ce présent livre à vous promis, noble chevalier,
et par moi gardé pour vous tant que soyez par mes autres livres instruit
1.
2.
Raymond Lulle.
Jaçoit que signifie quoique.
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à bien vivre et à bien faire afin de mériter ce précieux don, afin que
malheur n’arrive sur votre famille, ainsi comme nous avons vu arriver
à plusieurs qui ont contaminé cet art par des vices et qui ont péri misérablement. Car ce secret ne doit pas être mis entre des mains profanes,
non plus que des vesseaux sacrés, car nous avons vu plusieurs maisons
renversées, et par quoi nos compagnons étudient à bien faire. Donc, à
un, il avait été prédit qu’il tomberait dans des débordements, dont il en
était fort courroucé, et souvent de fois ainsi comme à l’heure de sa
mort, disait: «mihi durum est edificium a me constructum, pro lascivia
in nihilum redegi»3 par quoi, noble seigneur, que sainteté soit en nous
afin que par mes mains, péché ne tombe en votre maison et pour ce, je
puis bien dire avec les anciens qui ont écrit de ceci:
«qui rectum cor habet audacter secundum dicta operatur,
sed tu impie, ne verbis meis fidem habeas, Deus enim superbum deprimet lascivusque ob suam libidinem punietur.»4
3. «Ce m’est un édifice dur à construire, mais par lascivité, je n’en ai rien
recueilli.»
4. «Avec un coeur droit, on opère audacieusement selon ce qui est dit. Mais toi,
impie, n’ajoute pas foi à mes paroles. Dieu en effet, abattra l’orgueilleux, et le lascif sera puni par sa propre dépravation.»
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Dessin de Bruno del Marmol