6 Entretiens avec les retraités

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6 Entretiens avec les retraités
REMERCIEMENTS
Je tiens tout particulièrement à remercier Mr Gino Gramaccia pour le
soutien dont il a fait preuve durant la réalisation de ce dossier, ainsi
que pour ses précieux conseils.
Mes remerciements vont également à Mme Denise VigourouxZugasti pour son appui constant et indéfectible.
Enfin, je tiens à remercier Dominique, Maya, Denise, Nadine,
Catherine, Robert, Joël et Christiane pour avoir accepté de participer
à cette étude en qualité d’interviewés. ainsi que les responsables du
Centre Social de Bagatelle qui ont permis cette étude dans leur
structure.
RESUMÉ
De nombreux stéréotypes présentent les seniors comme des personnes
maussades et réfractaires aux innovations. Or, les retraités se mettent de plus
en plus à utiliser l’informatique. À quoi cela est-il dû ? Quelles sont leurs
motivations ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Comment perçoivent-ils
l’informatique ? Autant de questions auxquelles ce dossier tentera de répondre
par le biais d’entretiens semi-directifs avec des retraités de 55 à 70 ans.
Mots clés : retraités, informatique, Internet, apprentissage, usages, pratiques,
représentations, Centre Social de Bagatelle.
ABSTRACT
Many stereotypes depict seniors as bad-tempered people, who massively reject
innovations. However, retirees are increasingly using computers. What is it due
to? What are their motivations? What are their difficulties? How do they
perceive the computer? So many questions to which this study will try to
answer to, through semi-structured interviews with retirees aged from 55 to 70
years.
Key words: retired people, computer, Internet, learning, uses, practices,
figuration, Social Center of Bagatelle.
SOMMAIRE
Introduction...........................................................................................5
1 État de l’art de la population senior et de l’informatique.................8
2 Méthodologie...................................................................................19
3 Analyse des entretiens.....................................................................28
4 Les modes de propagation de l’innovation......................................54
Conclusion ..........................................................................................59
BIBLIOGRAPHIE....................................................................................62
WEBOGRAPHIE....................................................................................63
ANNEXES..............................................................................................66
Table des annexes
1 Tableaux et extraits........................................................................................................66
1.1 Le taux d ’équipement en ordinateur du CREDOC................................................66
1.2 Les groupes d’âge quinquennaux en France..........................................................67
1.3 La projection de l’évolution démographique jusqu’en 2060.................................67
2 Extrait de l’étude de la Fondation Travail-Université.....................................................68
3 Exemple d’exercice réalisé en cours...............................................................................69
4 Grille d’entretiens..........................................................................................................72
5 Notes prises durant des cours d’informatique...............................................................73
5.1 Notes du 5 février 2013..........................................................................................73
5.2 Notes du cours du 10 février 2013.........................................................................74
5.3 Notes de cours du 11 février 2013.........................................................................75
6 Entretiens avec les retraités...........................................................................................78
6.1 Entretien avec Denise, 58 ans................................................................................78
6.2 Entretien avec Maya, 60 ans..................................................................................87
6.3 Entretien avec Nadine, 62 ans................................................................................93
6.4 Entretien avec Catherine, 63 ans.........................................................................101
6.5 Entretien avec Robert, 65 ans..............................................................................109
6.6 Entretien avec Dominique, 66 ans.......................................................................117
6.7 Entretien avec Christiane, 70 ans.........................................................................122
6.8 Entretien avec Joël, 70 ans...................................................................................131
7 Entretien avec Philippe, le professeur..........................................................................141
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Introduction
Les retraités représentaient près de 13 000 000 personnes en France métropolitaine lors du
dernier recensement en 2007. Selon une étude réalisée par le CREDOC en 2010 pour le
ministère de l’Économie et des Finances, 46 % des retraités possédaient à l’époque un
ordinateur. Ce chiffre a doublé en l’espace de cinq ans. De plus, cette étude révèle qu’en
2005, à peine 14 % des retraités possédaient une connexion Internet à domicile alors qu’en
2010 ce taux atteignait près de 42 %. Selon le Bilan démographique 2010 de l’INSEE :
« La population française continue de vieillir sous le double effet de l’augmentation de
l’espérance de vie et de l’avancée en âge des générations nombreuses du baby-boom.
Au 1er janvier 2011, l’âge moyen des hommes en France atteint 38,9 ans et celui des
femmes 41,9 ans. Tous sexes confondus, l’âge moyen en France dépasse 40 ans alors
qu’il était tout juste inférieur à 37 ans il y a 20 ans. Les personnes de 65 ans ou plus
représentent 16,8 % de la population […]. En France, les générations nombreuses du
baby-boom (1946-1973) n’ont pas encore atteint l’âge de 65 ans. Mais dès l’an
prochain, les premiers baby-boomers atteindront cet âge, ce qui contribuera à
augmenter fortement la part des seniors dans la population française. »
Cet extrait montre que le nombre de personnes âgées est aujourd’hui en forte hausse,
conséquence directe du « baby-boom » du siècle dernier. Selon une estimation de l’INSEE
datant de fin 2010, les personnes de plus de 55 ans représenteraient aujourd’hui presque
30 % de la population totale française. Parallèlement à cet état de fait, on remarque que la
population retraitée est de plus en plus présente sur Internet. Ces utilisateurs sont appelés
les « silver-surfeurs », allusion humoristique à la couleur de leurs cheveux, « argenté » se
disant « silver » en anglais. Or, il apparaît que cette population est ignorée par le marketing
informatique qui préfère s’adresser à un public jeune. Cependant, il semble que les « papyboomers » sont plus enclins à utiliser l’informatique que leurs aînés. Ils ont souvent utilisé
l’ordinateur durant leur vie active et voient l’utilité de posséder un tel outil. Ils constituent
un public qui devrait être davantage pris en compte dans le marché de l’informatique. Le
marketing numérique s’adresse principalement aux jeunes générations et aux actifs. Les
retraités ne sont pas sollicités. Or, ils sont de plus en plus nombreux à être présents sur la
Toile. Quelles sont donc leurs motivations à utiliser l’ordinateur ? Les cours d’informatique
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sont-ils nécessaires pour les aider à appréhender l’outil ? Comment se positionnent-ils face à
l’informatique ? En d’autres termes, quelles sont leurs pratiques et leurs représentations de
l’informatique ?
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Tout d’abord, on peut penser que la Toile, et
surtout les mails, sont un moyen simple et pratique de communiquer avec les proches,
notamment avec les enfants et les petits-enfants. Garder le contact avec la famille serait
donc un motif d’utilisation de l’informatique.
L’idée pourrait être avancée qu’Internet apporte de nouveaux modes de consommation. Par
ce biais, il est possible de commander dans le monde entier, et donc d’avoir accès à des
produits utiles mais qui ne sont pas disponibles dans les boutiques à proximité du lieu de
résidence. De plus, les prix y sont souvent plus compétitifs que dans les magasins
traditionnels.
Afin d’étudier la population ciblée des retraités, nous avons choisi de nous intéresser aux
personnes suivant des cours d’informatique au sein du Centre Social de Bagatelle. La
vocation d’un tel centre est de créer du lien social entre les habitants. On pourrait donc se
demander si cette activité n’est pas un moyen pour les retraités de créer du lien social et de
lutter contre la solitude.
Cette étude s’appuie sur un raisonnement hypothético-déductif. Elle est basée sur des
hypothèses dont la validité sera testée par des données de terrain. Ces dernières seront
obtenues par le biais d’entretiens semi-directifs individuels menés auprès d’un échantillon
de huit retraités âgés de 58 à 70 ans et suivant des cours d’informatique au Centre Social de
Bagatelle à Talence.
En premier lieu, l’étude définira la notion de « retraité » et celle d’ « informatique ». Elle
tracera d’abord les contours de la population concernée au travers de données
démographiques et cernera la perception que la société en a. Elle évoquera ensuite l’origine
de l’informatique par un bref historique puis les pratiques et l’estimation du taux
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d’équipement actuel. Pour terminer cette partie, l’étude abordera les difficultés que les
retraités rencontrent dans leurs pratiques quotidiennes.
En second lieu, ce dossier présentera la méthodologie d’enquête, à savoir le cadre théorique
et le développement terrain. Trois ouvrages ont été retenus pour encadrer cette étude, La
Société des seniors par Serge Guérin, Le Senior marketing par Jean-Paul Tréguer, ainsi que
Consommation et nouvelles technologies par Benoît Duguay. Le développement terrain sera
décliné en trois parties : la présentation de la démarche de récolte de données par le biais
d’entretiens semi-directifs, l’échantillon et le déroulement des entretiens.
La troisième partie du dossier sera consacrée à l’analyse des données qui se déclinera en
deux axes : la validation des hypothèses par les informations récoltées et l’analyse des
pratiques et des représentations mises à jour par les entretiens.
Enfin, la quatrième partie sera consacrée aux méthodes employées durant les cours pour
apprendre l’informatique aux retraités, c’est-à-dire la propagation de l’innovation et le
transfert de savoir du professeur vers ses élèves retraités.
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1 État de l’art de la population senior et de l’informatique
1.1 Présentation de la population retraitée
1.1.1 Le retraités en chiffres
Les retraités correspondent aux personnes n’exerçant plus d’activité professionnelle après
en avoir exercé une tout au long de leur vie active. Le problème qui se pose lors de l’analyse
de cette population est que l’âge d’entrée dans la retraite varie selon les milieux
professionnels, et ce de manière très marquée. Par exemple, un agent de la fonction
publique peut prendre sa retraite à partir de 57 ans, alors que les professions libérales ne le
peuvent qu’à 67 ans. Les études statistiques faites par tranches d’âge omettent souvent ces
disparités. Ainsi les catégories de 55 à 60 ans comportent un taux de retraités plus ou moins
fort. Les chiffres statistiques qui seront pris en compte dans ce dossier s’appliqueront aux
personnes âgées de 55 à 70 ans, ainsi qu’à la catégorie « retraitée ».
Avec le « baby-boom » des années 1950, la courbe démographique a fortement augmenté,
notamment en Europe. La moyenne d’âge des populations s’est fortement rajeunie. Or, les
années passant, les personnes issues du « baby-boom » vieillissent et entrent peu à peu
dans l’âge de la retraite. Par conséquent, la moyenne d’âge des pays augmente. Elle est
d’environ 40 ans pour la France. Nous assistons à une croissance très prononcée du taux de
retraités. Ce phénomène est appelé « papy-boom ». L’allongement et l’amélioration de la vie
participe à l’augmentation du nombre de seniors.
En 1950, les plus de 60 ans représentaient à peine 16,2 % de la population. Au premier
janvier 2012, ce taux atteint 23,4 %. D’ici à 2020, ce dernier augmenterait de 3 %, pour
dépasser les 30 % en 2040 avant d’atteindre 32,1 % en 2060. En prenant en compte les 5559 ans pour l’année 2012, le taux de personnes de plus de 55 ans atteint 29,8 %. Soit à peine
moins d’un pour cent que les moins de 25 ans.1
Les équipements en bien durables montrent des tendances très diverses selon les objets
concernés. Les seniors possèdent réfrigérateurs, lave-linges, télévisions et téléphones fixes à
hauteur de plus de 95 %, suivis par les congélateurs à 87 %, les fours micro-ondes à 74 %. Les
1
Source : INSEE Population par sexe et groupes d’âges quinquennaux , résultats
provisoires 2011
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lave-vaisselles et téléphone portables sont possédés par à peine un senior sur deux.2
Les retraités représentaient près de 13 000 000 personnes en France métropolitaine lors du
dernier recensement en 2007. Selon une étude réalisée par le CREDOC en 2010 pour le
ministère de l’Économie et des Finances, 46 % des retraités possèdent un ordinateur. Ce
chiffre a doublé en l’espace de cinq ans. De même, cette étude révèle qu’en 2005, à peine
14 % de retraités possédaient une connexion Internet à domicile. En 2010, ce taux atteint
près de 42 %.3
Les retraités sont très majoritairement propriétaires de leur logement. Selon une étude de
l’INSEE sur le patrimoine des ménages réalisée en 2009, le patrimoine global est plus élevé
chez les retraités que chez les personnes actives. Ainsi, 65 % des retraités sont propriétaires
de leur résidence principale, contre 53 % des actifs.3
1.1.2 L’image dépréciée des retraités dans la société française
Dans cette partie nous aborderons la question de l’évolution démographique des seniors,
leur place et considération au sein de la société, avant de conclure sur les pratiques et
habitudes de cette population, ô combien hétéroclite. « Cachez cet âge que je ne saurais
voir » écrit Serge Guérin dans L’invention des seniors, publié en 2007. Cette phrase résume à
elle seule l’opinion générale à l’égard des seniors. En Asie et en Afrique, les retraités sont
perçus comme des personnes éminemment sages. Dans ces sociétés, l’âge et l’expérience
imposent le respect. Elles considèrent que les retraités ont fait leur devoir envers leur pays
après avoir travaillé pendant des années, et profitent d’une retraite légitime et méritée. Or
en Europe, et en l’occurrence en France, l’opinion publique diverge énormément de cette
philosophie. Les citoyens ont tendance à considérer cette part de la population comme une
charge, incombant aussi bien aux familles qu’à la société en générale. Les retraités sont vus
comme des individus passifs et dépendants, maussades et réfractaires aux nouveautés. Nous
sommes bien loin des valeurs asiatiques de respect et de reconnaissance.
Cette vision négative du troisième âge a été notamment véhiculée par l’économiste Alfred
Sauvy. Selon lui, les retraités se confortent dans une position d’attente de la mort. Le
2
3
Source : INSEE Équipement des ménages en biens durables selon l’âge de la personne
de référence, 2009
Sources : INSEE, Le patrimoine des ménages retraités, 2009
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vieillissement amènerait avec lui une forte baisse de vitalité, de dynamisme, entraînant une
chute de la consommation chez les retraités. Ce discours s’est vu être fortement médiatisé
au cours de la seconde moitié du XXe siècle, plus précisément depuis le début des Trente
Glorieuses. Il a grandement influencé l’opinion publique à l’égard de cette population. Les
individus ont ainsi associé le mot « vieillesse » au sentiment de tristesse, d’immobilité et de
monotonie. Beaucoup ont tendance à brûler les étapes et à considérer que les retraités sont
aux frontières de la mort.
La société est aujourd’hui tournée vers la jeunesse. Que voit-on sur les affiches ? Des visages
rayonnants de fraîcheur et de jeunesse, sans la moindre ride, ou autres outils pour conserver
un corps jeune et dynamique. Les figures médiatisées dans le monde de l’entreprise sont le
plus souvent celles de jeunes cadres dynamiques et pleins d’entrain. L’expérience semble
avoir moins d’importance que l’apparence. Les cosmétiques suivent le mouvement,
proposant toujours plus de produits palliant la vieillesse. En 2011, un laboratoire a même
lancé une crème antirides destinée aux filles de 8 à 12 ans ! Les publicités pour retraités
mettent régulièrement ces derniers dans des positions s’avérant parfois vexantes : couches
pour adultes, appareils auditifs, problèmes de vision ou autres colles pour prothèses
dentaires.
Ce discours n’est pas légitime. Tout le monde sait que le marketing a une forte influence sur
les pratiques, représentations et comportements des consommateurs. On peut donc penser
que les publicités poussent les seniors à s’identifier aux images qu’elles véhiculent,
favorisant l’émergence de comportement de dépendance, la tristesse et la lassitude. Ainsi,
les stéréotypes conduisent à créer, à généraliser des pratiques négatives. On peut penser
que la société rejette les personnes âgées, alors qu’elles représentent une population encore
vivace au potentiel ignoré et inexploité. Il semble nécessaire de revaloriser l’image des
retraités. De plus, les seniors représentent un groupe particulièrement hétérogène, tant au
niveau de l’âge, que des pratiques ou de l’origine socioprofessionnelle. La pénibilité ou le
stress de l’ancien travail influent sur l’état physique et psychologique. Un ouvrier ou une
infirmière aura plus de chance de développer des problèmes physiques qu’un comptable.
Cette divergence s’applique aussi en termes des revenus. Un cadre supérieur à la carrière
stable bénéficie de revenus plus fournis qu’un artisan ou qu’un secrétaire. Le milieu de vie,
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selon qu’il soit urbain ou rural, influe également sur les pratiques de consommation.
1.2 Présentation de l’outil informatique
1.2.1 Petite histoire de l’informatique
Cette partie traitera tout d’abord de l’histoire de l’ordinateur personnel avant d’aborder
l’histoire d’Internet. Le premier ordinateur personnel, appelé plus souvent PC, a été mis en
vente tout assemblé en mai 1973. Les premiers micro-ordinateurs utilisables à la souris font
leur entrée dans les années 1980. Apple fut le premier à réaliser ce projet, en mettant en
place une interface graphique. Le réel tournant a lieu le 25 janvier 1985, avec le « Plan
d’Informatique pour tous ». Il s’agit d’équiper 50 000 établissements avec près de 12 000
ordinateurs, et de former 10 000 enseignants. Les ordinateurs sont alors interconnectés en
petits réseaux.
Dès lors, on assiste à un fort développement de l’équipement en matière d’informatique. Ce
dernier reste encore assez coûteux, et seules les personnes les plus aisées et les entreprises
peuvent s’en équiper. Néanmoins, la décennie 1990 est marquée par la forte
démocratisation de l’ordinateur. Des dispositifs moins coûteux, comme les tours centrales
ou les e-books, permettent aux foyers modestes de s’équiper en informatique. En 2010,
76 % de la population française possèdent un ordinateur. 4
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Internet a des origines militaires. En 1962, l’U.S.
Air Force forme un groupe de recherche dont la tâche est de constituer un réseau
suffisamment décentralisé pour qu’il puisse continuer de fonctionner même si une partie de
son noyau est endommagé. Ceci est fait dans un contexte de Guerre Froide, pour pallier les
éventuelles attaques nucléaires.
En 1969, l’ARPA , l’Encelade Research Project Agency, un organisme du département de la
défense américaine, décide de relier quatre universités : le Stanford Institute, les universités
de Los Angeles, de Santa Barbara ainsi que celle de l’Utah. C’est la naissance d’ARPANET et
une centaine de machines sont reliées. Le caractère militaire d’ARPANET s’estompe durant
les années 1970, et les réseaux se développent dans des lieux civils. Ainsi, en 1972, le projet
4
Tableau 1.1 dans la section ANNEXES
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ARPANET est présenté aux populations civiles lors de la conférence ICCC, l’International
Computer Communication Conference. Dans le même temps est créé le mail, par Ray
Tomlinson et Lawrence G. Roberts. Le premier a créé le courrier électronique en lui-même,
et le second en a amélioré les fonctions, comme la possibilité de répondre, de faire suivre ou
d’archiver les mails.
En 1982, la NSF, le National Science Fondation, lance le projet de relier entre eux les réseaux
existants. Deux ans plus tard, plus de mille ordinateurs sont connectés au réseau. En 1988, la
France se connecte à Internet par le biais de l’INRIA, l’Institut National de la Recherche
Informatique Appliquée. En 1990, ARPANET est fusionné avec BITNET, USENET et la NSF. Le
dénominatif Internet fait son apparition. Les ordinateurs se sont alors massivement diffusés
auprès du grand public. Ils ont commencé à être reliés à Internet vers la fin de cette
décennie.
1.2.2 Les pratiques actuelles
Cette thématique présente le taux d’équipement en matière d’ordinateur, ainsi que de
l’accès des Français à Internet. La diffusion de l’ordinateur et d’Internet est devenue massive
à partir de 2003. En seulement quelques années, le taux d’équipement des ménages en
matériel informatique a augmenté très significativement. En 2010, plus de trois personnes
sur quatre possèdent un ordinateur à leur domicile. Entre 2000 et 2010, le pourcentage de
ménages équipés d’ordinateur a plus que doublé. Il était de 34 % en 2000, et atteint 75 % en
2010. Le taux de personnes ayant plusieurs ordinateurs en leur possession, soit 27 %,
dépasse celui des personnes ne disposant pas de cet outil, qui s’élève à 24 %.
En 2009, les plus équipés sont les adolescents de 12 à 17ans, à hauteur de 96 %. Ils sont
suivis de près par les 23-39ans avec 92 %. A contrario, seul 46 % des retraités disposent
d’ordinateurs personnels. Bien que ce taux reste faible comparé aux autres catégories d’âge,
on ne peut que constater son évolution radicale. Ainsi, en 2003, seuls 14 % des retraités sont
équipés. Ils sont 20 % en 2005. On voit que ce pourcentage double entre 2005 et 2009. Il en
va ainsi pour toutes les catégories d’âge.
Il semble néanmoins que les technologies numériques aient encore du mal à s’ancrer dans
les classes basses et moyennes de la population. Si l’on compare le niveau d’équipement au
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travers des revenus, il apparaît qu’à peine la moitié des personnes gagnant moins de 1500€
par mois sont équipés, contre 96 % des personnes dont les revenus dépassent les 3000€. La
diffusion des ordinateurs a créé une fracture numérique. De manière générale, les
ordinateurs portables sont moins présents que les postes fixes. On peut supposer que c’est à
cause du coût d’achat des PC portables. La catégorie la plus équipée est la jeunesse de 18 à
24 ans, à hauteur de 63 % en 2010. Cette catégorie comporte beaucoup d’étudiants, pour
qui l’ordinateur portable est un outil de travail particulièrement utile et pratique. Le
comparatif par année montre que le taux d’équipement de cette catégorie d’âge a
augmenté de 17 % en à peine deux ans.
Avoir un ordinateur pousse souvent à souscrire à un abonnement Internet. Là encore, la
fracture numérique se fait ressentir. De manière générale, en 2009, 71 % des utilisateurs
disposent d’une ligne Internet à domicile, dont 92 % possédant leurs propres ordinateurs. Ils
n’étaient que 55 % en 2005. En étudiants ces résultats, on observe que 90 % des foyers aisés
disposent d’une ligne Internet, contre à peine 40 % des foyers aux revenus moyens. Un écart
en termes d’équipement se fait également ressentir au niveau du nombre de personnes du
foyer. Plus ce dernier compte de membres, plus il a de chance d’être équipé. L’informatique
est utilisée pour le loisir chez les personnes à faible revenu, alors que les cadres supérieurs
et les 18-24 ans le préfèrent pour travailler. Contrairement à ce que l’on pourrait penser,
seuls 26 % des retraités et inactifs s’en servent pour communiquer. La plupart des
utilisateurs se connectent tous les jours, surtout chez les cadres supérieurs et les jeunes
adultes. En 2009, 45 % des actifs ont accès à Internet sur les lieux de travail. Toujours la
même année, la principale raison de non-équipement en informatique est le désintérêt à
53 %, suivi par le coût du matériel et de l’abonnement, à hauteur de 21 %.5
1.2.3 L’informatique en chiffres
Cette partie se divise en deux thèmes. Le premier est la consommation sur Internet, et la
seconde, la pratique des réseaux sociaux. En 2010, 43 % des personnes ayant passé des
commandes à distance l’ont fait par Internet, alors qu’ils n’étaient que 28 % en 2008. Toutes
les catégories socioprofessionnelles commandent sur Internet : 49 % de ceux qui perçoivent
moins de 800€ par mois, 64 % des retraités, et 96 % des personnes exerçant une profession
5
Source : CREDOC, La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société
française, 2010
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libérale. Selon une étude du CREDOC réalisée pour Ebay en 2009, les internautes achètent
de manière maîtrisée et réfléchie. Avec la crise économique, les consommateurs ont dû
adapter leurs habitudes d’achat. Sont satisfaits en premier lieu les besoins fondamentaux,
comme la nourriture, le logement ou l’habillement. C’est ce qu’on appelle les dépenses
contraintes. Après cela, les consommateurs établissent un ordre de priorité dans leurs
besoins. 74 % des personnes qui achètent sur Internet privilégient l’utilité de l’objet au fait
de le posséder. Maintenant que beaucoup des dépenses sont contraintes, les exigences en
termes d’achat augmentent. Toujours à cause de la crise, les internautes consacrent plus de
temps à se renseigner sur les prix et les produits. Ainsi, 56 % d’entre eux comparent les avis
sur les acquisitions potentielles.
Il existe en effet différentes sources d’avis sur Internet, qui émanent aussi bien de
professionnels, d’experts que de simples consommateurs. Ceci établit un climat de
confiance. Pour beaucoup d’internautes, les avis émanent de l’expérience des
consommateurs. Les internautes pensent ainsi en savoir plus sur ce qu’ils achètent et ont
l’impression de mieux maîtriser leur acte d’achat. Ils sont 62 % à faire confiance aux avis
laissés sur des forums, blogs ou commentaires sur des sites professionnels.
De plus, les comparateurs de prix permettent souvent de faire des économies. 78 % des
utilisateurs comparent les prix sur Internet, et 77 % déclarent avoir des prix avantageux
grâce à cela. Internet a également apporté une nouvelle dimension à l’achat : le
marchandage. Les sites d’achats-ventes d’occasion ont augmenté de 45 % entre 2005 et
2009. Les prix sont rarement fermes et les internautes en profitent pour négocier. 36 %
d’entre eux déclarent marchander. De plus, ces sites permettent d’avoir une réelle
discussion, établissant un climat de confiance et de maîtrise. En 2009, 41 % des usagers ont
acheté d’occasion sur Internet. Avec l’apparition de sites comme le « Bon Coin », on peut
supposer que ce taux est aujourd’hui plus important. 6 Selon une étude du CREDOC de 2010
sur les acheteurs à distance, les commandes sur Internet ciblent des domaines assez précis.
36 % d’entre eux organisent leurs voyages sur le net, depuis l’achat des billets de transport,
jusqu’aux réservations de chambres d’hôtel. 33 % consomment du matériel technologique,
tels les ordinateurs, téléphones ou chaînes Hi-fi. A contrario, très peu commandent des
produits alimentaires.
6
Source : CREDOC, Étude Credoc pour Ebay France, 2009
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Entre 2001 et 2006, on a observé une augmentation de la consommation en produits
culturels et médiatiques. Or, avec la diffusion massive d’Internet, ces achats ont diminué.
Beaucoup préfèrent aujourd’hui payer des abonnements leur donnant accès au net plutôt
que d’acheter des biens culturels. Le prix des abonnements diminue le budget accordé à la
culture, comme les sorties au cinéma, théâtre ou spectacles. La numérisation offre de
nouvelles possibilités d’accès au monde de la culture et du divertissement. On assiste ainsi à
une baisse de l’achat de la presse écrite, des CD et des DVD. Nous nous trouvons en pleine
transition technologique. Les plates-formes de téléchargement, qu’elles soient légales ou
pas, encouragent ce passage en proposant des produits numériques qui sont plus accessibles
et plus faciles à diffuser que les objets matériels.7
On ne peut pas parler de nouvelles pratiques liées au numérique sans aborder le sujet des
réseaux sociaux en ligne, qui touchent absolument toutes les couches de la population. 78 %
des internautes déclarent appartenir à au moins un réseau social, et près d’un tiers seraient
membres d’au moins quatre réseaux. Beaucoup de ces sites ont des visées et des publics très
différents. Facebook, par exemple, est connu par plus de 95 % de la population totale.8 Ses
utilisateurs sont en général jeunes, et ils utilisent cette plate-forme pour se divertir et
communiquer avec leurs amis. « Copains d’avant », utilisé par 46 % d’internautes, s’adresse
à un public un peu plus âgé, désireux de retrouver d’anciens collègues ou amis de jeunesse.
Tous ces réseaux se sont imposés massivement auprès des internautes. Ils représentent
aujourd’hui un lieu de socialisation et de communication intenses. Devant le succès de ces
plates-formes, les entreprises et personnages politiques ont dû s’adapter et créer eux aussi
leurs profils afin d’améliorer leur notoriété auprès du grand public. Les réseaux sociaux ont
obtenu au cours des dernières années une place primordiale dans la société.
1.3 Les seniors et l’informatique : « je t’aime, moi non plus » !
1.3.1 Les seniors friands d’Internet...
Comme il a été dit précédemment, les retraités ne sont pas des individus réfractaires aux
innovations. Bien au contraire. La récente explosion de l’informatique en est la preuve.
L’analyse ci-après aborde le sujet des pratiques Internet en trois points, en commençant par
le taux d ’équipement, suivi par les usages que les retraités font d’Internet pour conclure sur
7
8
Source : CREDOC, Les acheteurs à distance et en ligne, 2010
Source : IFOP, étude Observatoire des réseaux sociaux, 2010
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leur présence sur les réseaux sociaux. Selon l’étude Diffusion des TIC en France du CREDOC
datant de 2010, 46 % des retraités possèdent un ordinateur. Ce taux paraît faible, comparé à
la moyenne nationale qui est de 92 %. Or, si on porte attention à l’évolution depuis 2003, on
se rend compte que le taux d ’équipement chez les retraités a plus que triplé. Il était de 14 %
en 2003, 33 % en 2007 et 42 % en 2009. De ce fait, on peut considérer que les retraités ont
réellement suivi l’essor de l’informatique. Ceci met à mal le cliché selon lequel les retraités
rejettent la nouveauté.
L’équipement est encore plus implanté pour les micro-ordinateurs, puisque 61 % des 60-69
ans en possèdent un. Ils sont en majorité équipés d’Internet. On pourrait penser que les
retraités n’utilisent leur ordinateur qu’occasionnellement. Or il n’en est rien. Selon la même
étude, 67 % des 60-69 ans et 64 % des retraités se connectent tous les jours. Qui dit
connexion, dit usages. Si les retraités vont sur Internet, c’est qu’ils ont un intérêt à le faire.
L’étude des pratiques Internet des retraités reste encore peu développée. Au travers de
certaines études, comme celles du CREDOC sur les acheteurs en ligne, il apparaît que 64 %
des retraités commandent en ligne. Néanmoins, le détail de ces commandes n’est pas
communiqué.
Internet demeure encore aujourd’hui un phénomène récent. Sa forme et ses possibilités ne
cessent d’évoluer. Il est donc encore difficile de définir avec précision les usages que les
individus en font. Ceci est encore plus applicable chez les retraités. Peu d’études ont été
développées à leur sujet. Nombre d’entre elles portent sur la dépendance ou autres sujets
classiquement associés aux retraités. Ces derniers n’ont pas toujours été considérés comme
des individus à part entière, capables de suivre les tendances. Ils ont souvent été laissés de
côté. De ce fait, il n’y a pour l’instant que peu de données qui leur sont consacrées. La suite
de ce dossier tentera de donner une première approche des usages d’Internet chez les
retraités.
L’essor d’Internet des dernières années va de pair avec l’apparition de nouvelles pratiques
qui sont entrées dans les mœurs des individus. Tel est le cas des réseaux sociaux. Depuis cinq
ans, ils se sont multipliés, et se sont imposés auprès des usagers de manière massive. Des
études, comme celle du laboratoire IFOP en 2010, se sont penchées sur ces nouvelles
données. L’étude donne beaucoup d’informations quant à la relation entre les retraités et les
17
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réseaux sociaux.
Plus de 80 % des retraités connaissent les principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter,
YouTube, Copain d’avant, etc). Seuls un quart d’entre eux sont inscrits sur Facebook, contre
35 % pour Copains d’avant et 39 % pour Windows Live Vengeresse. L’écart entre la notoriété
des sites et la pratique par les retraités est surprenante. Seuls 3 % sont inscrits sur
Dailymotion et YouTube. Il semblerait que les retraités soient plus tournés vers l’échange
interpersonnel que par le partage de vidéos, de contenus. L’étude montre également que
plus l’utilisateur est âgé, et moins il publie d’informations personnelles sur le Net. Alors que
86 % des 18-24 ans ont déjà publié des photos d’eux sur Internet, il apparaît que seul un tiers
des retraités l’ont déjà fait. On peut donc dire que les générations n’ont pas le même
rapport avec l’intimité et la vie privée.
1.3.2 … malgré de petites difficultés !
On peut supposer que la faible présence des retraités sur les réseaux sociaux découle des
difficultés de ces derniers à utiliser l’ordinateur. Selon l’étude IFOP, il apparaît que plus l’âge
avance, et moins l’utilisateur parvient à effacer des données personnelles du Net : 23 % de
55-64 ans et 32 % des plus de 65 ans ont échoué dans cette tâche, contre à peine 7 % pour
les 18-24ans. L’écart entre les générations est abyssal.
On peut penser que l’informatique relève d’une logique à laquelle le troisième âge actuel
n’est peu ou pas habitué. Les pratiques ont amené de nouveaux concepts, de nouveaux
modes de travail. Les personnes en fin de carrière ou déjà à la retraite lors de l’apparition de
ces nouveautés n’ont pas été réellement familiarisées avec l’outil informatique. Or, ce
dernier évolue extrêmement vite : design, pratiques, usages,... Quelqu’un n’ayant pas de
bases solides dans le domaine est donc vite dépassé. Les termes utilisés, notamment, sont
difficiles à saisir, d’autant que la plupart sont en anglais. Ainsi pour les utilisateurs peu
expérimentés, des messages comme « Pas d’accès à l’adresse URL. Vérifiez votre firewall et
vos cookies » sont aussi peu compréhensibles qu’un discours en vietnamien du sud.
Bien que les retraités surfent de plus en plus sur Internet, il semble que plusieurs difficultés
persistent. Cela se constate au vu du foisonnement des tutoriels et cours destinés aux
seniors. Cette tendance est paradoxale. Les offres de tutoriels se trouvent presque
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exclusivement sur Internet. Or leur but est d’apprendre aux retraités à se servir de
l’informatique. La démarche est donc étrange.
Néanmoins, il semblerait que la nouvelle génération de retraités soit plus à l’aise avec
l’informatique que les générations précédentes. Les statistiques le montrent, même si les
taux de maîtrise et d’utilisation des jeunes retraités restent encore beaucoup plus faibles
que ceux des générations d’actifs.
1.4 Un bref historique du Centre Social de Bagatelle
C’est en 1863 que la Maison de Santé Protestante de Bordeaux (MSPB) est créée afin
d’accueillir les malades, défavorisés protestants, ainsi que les marins étrangers en rade dans
le port de Bordeaux. À cette époque, l’hôpital se trouve au centre de la ville et compte
seulement vingt lits. Vingt ans plus tard, la MSPB comporte un service de garde-malades
soignantes à domicile et crée l’une des premières écoles infirmières de France. En 1915,
Caroline Bosc lègue à la MSPB le Domaine de Bagatelle, qu’elle n’a jamais quitté depuis. Petit
à petit, la MSPB prend ses quartiers et développe, sous l’autorité de la directrice Anna
Hamilton, trois activités complémentaires : l’école, l’hôpital et le dispensaire. S’ensuit
l’ouverture de plusieurs services et établissements, comme le service de soins à domicile en
1982. Parmi eux se trouvent le centre social, ouvert en 1965 dans le but d’aider les habitants
au quotidien. Il obtient l’appellation « centre social » un an plus tard. Il se couple aujourd’hui
avec une crèche, fondée en 1997, et le Dispensaire aussi appelé « Centre de Santé » créé par
la MSPB.
Géré par une équipe d’une dizaine de salariés, le Centre Social de Bagatelle compte
aujourd’hui plus de mille adhérents, aidés dans leur missions par près de vingt-cinq
animateurs, répartis sur des activités s’adressant aussi bien aux plus jeunes qu’aux adultes
ou personnes avec des difficultés physiques. Une trentaine de bénévoles sont engagés
auprès du centre, lui apportant un soutien des plus précieux dans le déroulement des
activités comme l’accompagnement scolaire, le soutien en français ou simplement une aide
à l’organisation des soirées, goûters et fêtes. Le centre compte près de quarante-cinq
activités hebdomadaires. Il répond à la Charte Fédérale adoptée en 2000 à Angers, le
définissant comme un « foyer d’initiatives porté par les habitants associés, appuyé par des
professionnels capables de définir et de mettre en œuvre un projet de développement social
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local ».
Le Centre Social fait partie de la Branche Santé de la Fondation Bagatelle. Cette branche est
dirigée par une directrice, secondée par les directrices du Dispensaire, de la Crèche et du
Centre Social. Ce dernier est dirigé par un Conseil de Maison, qui est chargé d’élire chaque
année un bureau directeur. Il compte également trois commissions (culture, communication
et famille) qui s’occupent de dynamiser le Centre selon leur branche d’activité. Cet
établissement a pour mission de développer le lien social entre les habitants, les aider dans
leurs projets, et encourager le dynamisme du quartier.
2 Méthodologie
2.1 Cadre théorique
2.1.1 Les seniors de Mr Guérin
Ce dossier s’appuie beaucoup sur les catégorisations des retraités faite par Serge Guérin
dans La société des seniors. Les retraités sont une population mal connue. Des mots tels que
« retraités », « personnes âgées » ou encore « personnes du troisième âge » cherchent à
recouvrir une multitude de comportements, d’âges, de générations et de pratiques. Dans
son livre L’invention des seniors, Serge Guérin établit une typologie de la population
retraitée. Selon lui, ces derniers se répartissent en trois profils de mode de vie, qu’il nomme
respectivement « SeTra », « SeFra » et « Boobos ». Après la présentation de ces trois profils,
nous verrons pourquoi il est primordial de reconsidérer la part donnée aux seniors dans le
bon fonctionnement de la société.
« SeTra » est l’abréviation de « senior traditionnels ». Il s’agit de personnes dont les
pratiques et habitudes n’ont pas été totalement révolutionnées par leur entrée dans la
retraite. Leur style de vie reste sans ostentation, c’est-à-dire qu’ils ne cherchent pas à se
faire remarquer par leurs achats ou pratiques. Ils conservent un mode de vie structuré
autour des valeurs qu’ils ont suivies au cours de leur vie active, comme l’investissement
auprès de leur famille, notamment de leurs enfants et petits-enfants.
On peut penser que c’est à partir de cette catégorie que se sont formés les stéréotypes sur
les retraités. En effet, leur vie simple laisse croire à un quotidien monotone et renfermé. Or
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ces préjugés sont infondés. L’entrée dans la retraite va souvent de pair avec la fin de
remboursement de crédits. De plus, les seniors sont en grande majorité propriétaires de leur
logement, que cela soit dû à un héritage ou à des investissements personnels. De ce fait, ils
ont une plus grande liberté d’achat que les actifs et consomment en conséquence. En 2007,
l’INSEE en comptait environ douze millions.
Les « SeFra » représentent les seniors dits fragiles. Ils sont peu nombreux, environ deux
millions, et ont des besoins très ciblés en termes de consommation. Leur état physique ou
mental les oblige à acquérir du matériel médicalisé. Ils dépendent souvent de personnels
d’accompagnement. Ici encore, les cas de seniors « médicalisés » ont été fortement
exagérés, associant les images de la maladie et de la dépendance à l’idée de la retraite. Or,
comme il a été dit précédemment, ils ne représentent qu’une minorité au sein de la
communauté senior, le taux de personnes hautement dépendantes ne dépensant pas les 2 %
de la population totale des retraités.
Le dernier profil est celui des « Boobos ». Leur nom est un jeu de mot entre deux
expressions. Celle de « papy-boomers » et de « Bobos », abréviation de « Bourgeois
Bohèmes », des individus se voulant éthiques et innovants. Ces sont des « papy bohèmes ».
Depuis quelques années, les « Boobos » sont en plein essor. Ils sont la première génération
de retraités à avoir perçu pleinement les bénéfices du début de la société de consommation,
de l’amélioration des formations professionnelles et des soins médicaux. Ils ont été
consommateurs de nouvelles technologies (télévision, téléphone portable, magnétoscope,
…). Forts de cela, ils bénéficient d’un bagage culturel et d’une santé dont ne profitaient pas
les générations précédentes. Ils veulent rompre avec les traditions établies. Ainsi
développent-ils une consommation éthique, respectant les producteurs et la planète. Ils
veulent ainsi s’imposer face aux préceptes purement économiques de la société de
consommation. Contrairement aux « SeTra », les « Boobos » ne dédient pas leur temps et
leur argent uniquement à leurs enfants et petits-enfants. Au contraire, ils profitent de leur
bonne santé, de leur temps libre et de leurs revenus pour voyager, expérimenter ou réaliser
ce qu’ils n’ont pu faire dans leur vie active. Leur volonté de rester actifs et de profiter de la
vie tend à changer la vision des retraités dans la société. Ils consomment beaucoup et sont
voués à jouer un rôle des plus importants dans la société de consommation.
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À partir des années 1970, la qualité de la vie s’est énormément améliorée. Les nouveaux
retraités jouissent ainsi d’une santé plus solide que leurs aînés. Ils sont en meilleure forme et
sont par conséquent plus actifs et dynamiques. Ils vivent mieux et plus longtemps. De plus, il
faut noter que l’image du corps a une position prédominante dans notre société. Avoir un
corps sain et tonique est fortement encouragé. Cet état de fait atteint les seniors, qui
souhaitent eux aussi correspondre à cette image. Ils veulent plaire, séduire et être séduits.
Ils font donc attention à leur corps et à leur santé, prolongeant ainsi la qualité et la durée de
leur vie à l’âge de la retraite. La notion de « retraités » est à revoir, puisque n’est vieux que
celui qui pense l’être.
Comme il a été dit plus haut, une meilleure nutrition accompagnée des innovations en
matière médicale ont prolongé la durée de vie des citoyens. En France, l’espérance de vie
d’une personne à l’âge zéro est de 78,2 ans pour les hommes et de 84,8 ans pour les
femmes. Cette espérance atteint des âges encore plus avancés pour des personnes de 60
ans. Logiquement, le nombre de retraités est en constante croissance depuis plusieurs
décennies. Les plus de 60 ans représentent aujourd’hui 23,4 % de la population française.
Les prévisions laissent présager que ce taux dépassera les 30 % à l’horizon de 2050.
Actuellement, on compte plus de retraités que de moins de 25 ans.9 De manière générale, les
seniors habitent au sud. Ces derniers représentent en moyenne plus de 26 % de la
population se situant en dessous de la ligne Bordeaux-Lyon. À l’inverse, les régions du nord
et du nord comptent en moyenne moins de 20 % de seniors au sein de leur population.
Contrairement aux stéréotypes connus, les retraités sont loin d’être réfractaires aux
innovations. La réalité est tout l’inverse. Des objets techniques, tels quel la télévision ou le
téléphone, et aujourd’hui les ordinateurs, ont eu un succès marqué auprès de cette
population. Les retraités sont les plus gros consommateurs d’images télévisuelles, et 96 %
d’entre eux sont équipés de téléviseurs.
On en peut nier la société des seniors plus longtemps. Il se doit de leur donner une place
plus importante. Loin de l’image terne et monotone qu’on leur attribue, les retraités sont au
contraire de plus en plus actifs et intéressés par ce que la société a à leur offrir. Ils sont
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Source : INSEE, Evolution de l’espérance de vie à divers âges, 2011
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désireux de participer à la vie de leur pays, de ne pas être laissés de côté. Comme le laissait
entendre Serge Guérin dans La Société des seniors, « les nouveaux seniors vont transformer
les règles du jeu de la séduction, de la consommation, de la politique », « il faut regarder
avec des yeux neufs la séniorité de nos sociétés ».
2.1.2 Le marketing selon Tréguer
À public particulier, marketing particulier. Le leitmotiv du marketing d’aujourd’hui est
d’étudier les différents groupes sociaux afin de connaître leurs attentes et besoins en
matière de consommation. Paradoxalement, la population la plus apte à consommer est
celle que les professionnels du marketing comprennent le moins. Jean-Paul Tréguer, dans Le
Senior marketing, montre les règles que le marketing devrait respecter pour s’adresser aux
retraités. Les retraités sont aujourd’hui fortement mis à l’écart de la consommation en
nouvelles technologies. Ne s’adressent à eux que les publicités pour assurance-vie ou
maisons de retraites. Ce que le marketing semble oublier, c’est que les retraités
d’aujourd’hui diffèrent totalement des retraités d’hier. Les clichés sur les seniors sont très
ancrés. Les retraités sont perçus comme dépendants, grincheux, réfractaires et peu
dépensiers. Une vision non seulement pessimiste et réductrice, mais surtout injustifiée. Il
faut tout d’abord préciser une donnée fondamentale. Les habitudes de consommation des
individus dépendent énormément de leur histoire. La notion de « cohorte générationnelle »
explique parfaitement ceci. Les personnes issues d’une même génération sont liées par des
expériences, et faits historiques ou culturels communs. La musique, les événements sportifs
ou politiques sont autant de repères temporels et sociaux qui lient les individus. Les
habitudes de consommation se forgent selon un contexte historique, social et culturel
particulier à chaque génération. Selon Jean-Paul Tréguer, un individu construit ses habitudes
durant les trente premières années de sa vie. Passé cette période, leur socle est fixé, et elles
n’évoluent peu ou pas du tout.
Nos grands-parents ont connu la guerre et toutes les privations et pratiques qu’elle sousentendait. Ils avaient peu d’argent, leurs conditions de vie étaient souvent difficiles et ils se
devaient d’être rigoureux dans leur organisation pour ne pas subir les effets néfastes de la
pénurie. Les Trente Glorieuses sont arrivées alors que nos grands-parents avaient déjà établi
un style de vie particulier. Ils n’ont pas grandi avec cette logique de la consommation sans
fin. Avec la vieillesse apparaissent les conséquences des carences de leur jeunesse, et leur
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santé s’en ressent. C’est à partir de cette génération de retraités que se sont bâtis les
préjugés actuels. Or, il y a un gigantesque écart entre les anciennes générations de retraités
et les nouvelles. Ces dernières ont vécu à une période de croissance économique sans
précédent : abondance de produits, amélioration du confort et de la santé, loisirs nouveaux.
Elles ont donc profité des bienfaits de la nouvelle société. Leur santé, habitudes de
consommation et loisirs sont beaucoup plus évolués que les anciennes générations de
retraités. Aujourd’hui, les personnes de soixante ans sont beaucoup plus actives et
consommatrices que les sexagénaires d’il y a vingt ans.
L’âge moyen en Europe est de plus en plus élevé. Le nombre de retraités est en croissance
constante. Pour faire évoluer positivement la société, il est aujourd’hui urgent de
reconsidérer la place des retraités dans la société. Il est nécessaire de mieux les intégrer
dans le tissu social, politique et économique, car ils représentent une force de décision
majeure dans la société.
Selon Jean-Paul Tréguer, il est nécessaire de prendre en compte plusieurs éléments pour que
le marketing soit efficace. Tout d’abord, l’âge d’une personne comprend trois dimensions :
l’âge biologique, psychologique et social. Le premier dépendant du temps. Avec l’âge, le
corps change, vieillit et des séquelles peuvent apparaître. L’âge psychologique, quant à lui,
correspond à l’âge que l’individu souhaite avoir. Il dépend donc fortement des
représentations que la personne se fait d’elle-même, et n’est pas forcément lié à l’âge
biologique. Une personne peut se sentir jeune à 70 ans. L’âge social, enfin, est véhiculé par la
société. Elle tend à imposer des images types qui permettent de régir le comportement de
chacun en fonction de l’âge. C’est une façon de s’organiser, en donnant des références
auxquelles les individus s’identifient. Une campagne marketing doit prêter attention à ces
trois dimensions pour identifier les attentes et besoins d’un public cible.
Comme il a été dit dans la partie précédente, les retraités disposent de modalités financières
et temporelles supérieures à celle des autres catégories socioprofessionnelles. Leurs prêts
sont souvent remboursés, et ils n’ont plus d’enfants à charge. Ils ont donc un peu plus
d’argent à dépenser. De même, ils ont le temps de préparer leurs achats, de se renseigner,
de comparer les prix. Vu sous cet angle, ils réduisent leur chance de se faire escroquer. Ils
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privilégient aussi la qualité du produit, et le confort que ces derniers peuvent leur apporter.
Cette notion de confort est des plus importantes. L’âge biologique amène souvent une
dégradation du corps et des sens. La vue et l’ouïe diminuent, le toucher et l’énergie sont
moins prononcés. Les objets proposés par le marketing doivent donc tenir compte de ces
changements, tout en respectant les habitudes de consommation et l’histoire de
ces
nouveaux retraités.
2.1.3 Duguay et la consommation en TIC
Benoît Duguay, dans Consommation et nouvelles technologies, expose un panorama de tout
ce que peut apporter l’informatique aux individus, aussi bien sur le plan symbolique que
pratique. D’un point de vue fonctionnel, l’informatique, et surtout Internet, offre des
possibilités que les individus n’ont jusqu’alors jamais eues. La radio, la presse ou même la
télévision donnent un accès limité à l’information. Les programmes ont des heures et durées
fixes auxquelles on doit se plier. Internet, au contraire, s’adapte à son usager. L’information
est accessible à toute heure du jour comme de la nuit, en nombre illimité de fois. De même,
les sources multiples et diverses permettent de pousser la réflexion sur l’information.
L’utilisateur peut donc se faire sa propre opinion sur un sujet donné. Il est libre de faire ses
propres choix, tout en affinant son sens du jugement.
L’individu a néanmoins plusieurs attentes vis-à-vis de l’outil informatique. Tout d’abord
l’ordinateur doit répondre à des attentes fonctionnelles, c’est-à-dire être facile à utiliser.
L’usager ne doit pas se confronter à un bug à la moindre manipulation. Il doit donner un
accès facile à l’information. L’ordinateur est créé pour l’être humain et s’adapte donc à sa
logique d’utilisation. Il en va de même pour Internet, dont le contenu doit être facilement
assimilable. Ont ainsi été développées certaines normes, comme la norme AFNOR Z67 133,
ISO 9241 basée sur la grille de critère de Bastien et Scapin. Ils répertorient dix-huit critères
qui vont permettre de tester la qualité des sites en ligne, aussi bien au niveau de la forme,
que du contenu.
L’individu a également des attentes symboliques et imaginaires vis-à-vis de l’informatique.
L’ordinateur incarne des valeurs permettant d’identifier une personne. Il peut montrer
l’appartenance à un groupe social où les individus sont portés par des valeurs communes.
Les professionnels du milieu de la création graphique, par exemple, sont pour la plupart
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équipés d’ordinateurs Apple. Pour être socialement intégré dans le groupe, il est nécessaire
d’avoir un ordinateur Apple. Ce sont des règles informelles mais qui sont fortement
intégrées au sein des différents groupes sociaux.
De même, chaque produit, qu’il soit informatique ou non, est porteur de valeurs, d’une
image. L’individu va acheter le produit en fonction de l’image portée par ce dernier. BMW,
par exemple, a une image de luxe, symbole d’appartenance à une classe supérieure à la
moyenne. Achètent ces voitures les gens qui souhaitent véhiculer cette image... Dans tous
les sens du terme. Il y a une interaction entre le produit et l’individu du point de vue
symbolique. Nous nous construisons une image au cours de notre vie, et nos achats sont là
pour montrer ces choix aux yeux de tous. Les produits viennent matérialiser nos valeurs. Les
consommateurs ont aussi des attentes esthétiques. L’ordinateur, ou un quelconque autre
produit, doit plaire, être agréable à regarder et désirable. Un jeu de séduction qui doit
pousser la personne à acheter le produit et qui la satisfasse.
2.2 Développement du terrain
2.2.1 L’échantillon basé sur la diversité sociale
L’échantillon choisi est composé de huit retraités, âgés de 58 à 70 ans. Tous font partie de la
nouvelle génération de retraités. Leurs conditions de vie ont été meilleures que celles de
leurs aînés. Ils sont nés au début des Trente Glorieuses et de l’apparition de la société de
consommation. De ce fait, ils sont aujourd’hui en bonne santé et ont une relation avec les
nouvelles technologies. Bien que ce critère rappelle les « Boobos » de Serge Guérin, il
semble que l’ensemble des retraités fassent partie de la catégorie « SeTra » car ils restent
particulièrement disponibles pour leurs enfants et petits-enfants. Leur mode de vie actuel
reste dans la continuité de leur mode de vie passé. L’échantillon comprend trois couples,
dont un est issu d’un remariage, et de deux célibataires. Les retraités du premier couple sont
tous deux âgés de 70 ans, ont une fille et deux petites-filles. Ceux du deuxième couple sont
âgés de 59 ans et 63 ans, ont une fille et trois petits-fils. Enfin, les « jeunes » époux sont âgés
de 64 et 68 ans, et comptent deux filles. Les deux célibataires sont les deux plus jeunes de
l’échantillon, puisqu’elles sont âgées de 58 et 61 ans. La première a deux enfants et la
seconde une fille ayant elle-même un fils. Tous résident dans la communauté urbaine de
Bordeaux. Certains ont des pied-à-terre dans le département ou des Landes ou du Pays
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Basque, où ils se rendent régulièrement, comme à Biarritz. Ils sont donc issus d’un milieu
urbain.
Les personnes interviewées n’ont pas exercé dans le même secteur d’activité et n’ont pas
aujourd’hui les mêmes revenus. On peut ainsi supposer qu’elles n’ont pas eu les mêmes
habitudes de consommation, et donc pas les mêmes relations aux nouvelles technologies. Le
premier couple est composé d’un ancien professeur d’espagnol. Sa femme était employée
administrative. Le deuxième couple est constitué de l’ancien directeur-général d’une
entreprise multinationale et d’une vendeuse qui n’a eu qu’un temps d’activité
professionnelle limité. Le troisième couple comprend une ancienne secrétaire de Direction
des Ressources Humaines et un directeur-adjoint de l’antenne régionale d’une très grande
entreprise. La célibataire de 58 ans, quant à elle, était cadre supérieur de santé dans la
fonction publique hospitalière, d’où son jeune âge pour une retraitée. Enfin, la dernière
interviewée était également secrétaire. L’échantillon est donc assez diversifié, ce qui a été
fait volontairement, afin que l’enquête soit la plus représentative possible. La diversité met à
l’épreuve les hypothèses énoncées au début de ce dossier. Si une pratique est répandue
chez les retraités, elle doit être présente dans une majorité de foyers.
Les personnes interrogées n’ont pas été informées du sujet de l’enquête. Elles savaient
simplement que l’entretien porterait sur l’informatique. Le but de cette manœuvre est la
recherche d’objectivité. Les propos des interviewés ne doivent pas être influencés par l’objet
d’étude. Les personnes doivent décrire leurs pratiques informatiques sans être tentées de
mentir pour mieux coïncider avec les objectifs de l’enquêteur.
2.2.2 Journal de bord d’un enquêteur
Trois entretiens ont eu lieu au Centre Social de Bagatelle, dans une pièce isolée. Les cinq
autres ont eu lieu au domicile des interviewés, car il était plus simple pour eux que
l’interview se passe chez eux. Le déroulement des entretiens a fait surgir plusieurs
problèmes, qui sont dus aussi bien aux interviewés qu’à l’enquêteur. Certaines des
personnes interrogées se sont montrées très enjouées et volubiles, au point qu’elles ont
parfois été difficiles à recadrer. Les rôles se sont inversés à une occasion. L’enquêté est
devenu l’enquêteur. La situation a été rapidement recadrée. Le débit de parole de ce même
interviewé a été difficile à gérer. Il a fallu un peu d’autorité pour obtenir un échange
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équilibré. Certaines personnes, lancées dans leur propos, ont parfois fortement dévié du
sujet initial. Bien qu’elles ne soient pas longues, ces digressions ont été fréquentes. Ceci a
été un problème dans le sens où il a été difficile de maintenir une attention correcte tout au
long des entretiens.
Le sujet le plus complexe à aborder a été celui des problèmes rencontrés dans l’utilisation de
l’informatique. L’impression générale montrait qu’il existait des problèmes, mais il a fallu
beaucoup de patience et de pédagogie pour parvenir à identifier ces derniers. Peut-être les
retraités appréhendaient-ils de reconnaître leurs erreurs. Ce fait est commun à tous les
entretiens. Le manque d’expérience de l’enquêteur s’est ressenti dans les deux premiers
entretiens au cours desquels il a fallu beaucoup de temps pour que les personnes identifient
leurs difficultés. Ceci s’est nettement amélioré par la suite.
Les entretiens ont été une véritable mine d’informations, ce qui est très plaisant et très
intéressant. Les retraités interviewés se sont sentis gratifiés par cette intervention et ont
montré beaucoup de bonne volonté au cours des entretiens. Tous ont proposé d’autres
candidats aux interviews, même si la majorité ne correspondait pas au profil recherché par
l’enquêteur. Ils ont pris leur rôle très au sérieux et, en bons élèves, ont apporté énormément
de précisions quant à leurs pratiques et représentations de l’informatique. Certains sont
même revenus voir l’enquêteur pour apporter des précisions ou pour simplement continuer
de parler de leur pratique. Beaucoup de ces informations ont été surprenantes, voire parfois
contradictoires avec les stéréotypes généralement associés aux retraités.
2.2.3 Pourquoi l’entretien semi-directif
Une étude quantitative n’était pas envisageable du fait du nombre restreint de personnes
interrogées. Le résultat n’aurait pas été représentatif des pratiques, et donc irrecevable. La
question du déroulement de l’entretien s’est longtemps posée, à savoir s’il devait être
individuel ou collectif. Il a d’abord été envisagé de faire un focus group, c’est-à-dire de réunir
tous les interviewés et de les laisser discuter sur le sujet. Néanmoins, cette méthode a été
laissée de côté. Des discussions préalables aux entretiens ont montré que les caractères très
affirmés dont font preuve certains des participants auraient créé de nombreux problèmes
durant l’échange. Les digressions auraient été multiples et répétées. Les personnes plus
effacées n’auraient pas pu s’exprimer correctement. Les résultats n’auraient pas été
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Eloria VIGOUROUX
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concluants.
L’échantillon contient trois couples. Il a été envisagé de ne faire qu’un seul entretien par
couple. Or, lors de discussions banales, il s’est avéré que les conjoints ne parvenaient pas à
parler calmement et chacun leur tour lorsqu’ils étaient ensemble. Ils interféraient sans cesse
dans le discours de l’autre. Durant ces conversations, il est apparu que l’une des personnes
changeait son discours en fonction des interventions de son conjoint. Il a donc été décidé de
rencontrer les interviewés séparément, de manière à ce qu’aucune interférence ne vienne
perturber le discours produit par l’interrogé.
La méthode d’enquête retenue ici est donc l’entretien semi-directif individuel. Il est ici la
source principale de recueil de données. Il n’est donc pas exploratoire. La grille d’entretien a
été réalisée après que les hypothèses ont été dégagées et formulées de façon définitive. Les
entretiens sont semi-directifs afin de laisser beaucoup de liberté à la parole de l’interviewé.
Cette méthode permet également de recadrer en douceur la personne interrogée tout en
l’encourageant dans ces propos.
2.2.4 Focus sur la méthode d’analyse : thématique et horizontale
Il existe plusieurs méthodes d’analyse d’entretiens. C’est l’analyse thématique qui est
retenue ici. Elle ne tient pas compte de la subjectivité des interviewés, mais elle s’intéresse
aux thèmes abordés. C’est une découpe transversale inter-entretiens. L’analyse thématique
se décline elle-même en deux types d’approches : l’approche verticale et l’approche
horizontale. La première consiste à étudier un entretien, en répertoriant les thèmes abordés
dans le but d’en faire une synthèse. La seconde, quant à elle, se focalise sur un thème, et en
analyse les variations d’un sujet à l’autre. Dans ce dossier, c’est cette dernière forme
d’analyse qui est retenue. Il s’agit en effet de répertorier les pratiques et les représentations,
dans le but de chercher des comportements communs aux personnes interrogées.
3 Analyse des entretiens
3.1 Les hypothèses à l’épreuve du terrain
3.1.1 Utilisation des mails réservée au cercle social élargi
L’ordinateur, considéré comme un canal de communication entre le retraité et ses proches,
29
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
constitue la première hypothèse de ce dossier. Les nombreux modes de transport facilitent
la mobilité des individus. La relation entre l’espace et le temps a fortement évolué depuis la
démocratisation de l’automobile et l’amélioration des routes. De même, les technologies
ferroviaires et aériennes permettent aujourd’hui de parcourir des centaines, voire des
milliers de kilomètres en quelques heures seulement. Un trajet de Paris à Marseille n’est
aujourd’hui plus perçu comme il y a quarante ans. Les individus sont donc moins réticents à
s’installer loin de leur région d’origine ou de leurs parents. Les familles sont souvent
dispersées à travers la France, voire à travers le monde. Les liens familiaux tendent à être
moins marqués qu’auparavant. On peut donc penser que l’informatique a un rôle à jouer
dans les relations interpersonnelles à distance. Après tout, s’il y a un outil qui abolit les
obstacles d’espace et de temps, c’est bien l’informatique. Il permet de converser avec
quelqu’un situé à des milliers de kilomètres rapidement et sans effort, de manière
asynchrone ou directe. Les retraités traditionnels, ou « SeTra » pour reprendre la typologie
de Serge Guérin, sont souvent très investis auprès de leurs enfants et petits-enfants.
L’informatique peut donc être un moyen pour eux de conserver cette relation privilégiée
malgré la distance.
Après l’étude des entretiens, il apparaît que l’hypothèse présentée ci-dessus n’est que
partiellement corroborée. Les avis sont unanimes quant au rôle joué par Internet dans la
relation avec les proches. En revanche ce dernier n’est presque pas utilisé pour
communiquer avec la famille.
Les deux couples de grands-parents ont pourtant commencé par modifier leurs pratiques
informatiques à la naissance de leurs petits-enfants. « Au début, et seulement pour le
premier, on a utilisé la webcam. Ils habitaient à Ville-franche à l’époque. […] On en faisait
tous les jours au début. […] On en a une [webcam], mais depuis trois ans, elle n’a jamais été
allumée », déclare Maya. Les deux couples ont eu la même démarche : ils ont acheté une
webcam pour voir leur famille, mais ils se sont vite lassés. Ils préfèrent utiliser le téléphone
ou voir les personnes en réel. « On [se sert d’Internet] quand on a besoin de quelque chose.
Quand mon épouse a besoin d’une recette de cuisine, on peut la scanner et l’envoyer. Mais
bon, au-delà de ça, ça n’a pas changé grand-chose. […] On passe plus par le téléphone. Ma
fille nous appelle plusieurs fois par jour […]. Donc on ne se sert presque jamais d’Internet
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
pour lui parler », dit Dominique. Denise tient le même discours : « ma fille est sur Paris, mais
nous ne nous servons des mails que pour échanger des dossiers. On préfère passer par le
téléphone pour parler ». Les retraités et leurs proches ne s’envoient des mails que lorsqu’ils
n’ont pas d’autre moyen pour échanger une information. L’arrivée des petits-enfants n’a pas
eu d’impact sur l’augmentation du temps passé sur le Net. En fait, il semble qu’elle n’ait eu
aucune incidence sur les pratiques informatiques des grands-parents.
L’ordinateur n’est pas utilisé comme moyen de communication avec les proches, à l’inverse
du téléphone portable ou les rencontres en personne. « J’aime bien avoir ce contact avec les
gens » dit Christiane. En revanche, les retraités utilisent beaucoup Internet dans les relations
amicales, surtout avec les amis qui habitent loin. Ceci peut paraître paradoxal au vu des
arguments précédemment évoqués. « On correspond essentiellement par Internet avec mes
copines d’Angers et mes anciennes collègues que je ne vois plus trop. On s’envoie des
blagues, des informations. On s’appelle très rarement, à part quand il y a une urgence. »,
affirme Denise, la jeune retraitée célibataire. Ceci se retrouve chez deux autres interviewés,
qui eux aussi communiquent avec leurs amis lointains par mail. La rapidité et la simplicité
des mails ont favorisé leur utilisation. « Je vois le côté pratique et rapide. Puis c’est
beaucoup plus vivant que d’envoyer du courrier » déclare toujours Denise.
Il n’y a donc pas de défiance vis-à-vis de l’ordinateur. Il semble trouver son rôle dans un
contexte de relations plus formelles lorsque l’interlocuteur n’est pas à proximité. Les
technologies de l’information et de la communication (TIC) semblent être utilisées et
classées selon des pratiques bien établies. Le téléphone apparaît comme associé à la vie
privée, seulement utilisé dans les relations avec les personnes proches. Peut-être la
familiarité permet-elle de savoir quels sont les moments propices pour appeler sans
déranger l’interlocuteur. L’ordinateur ne sert que dans des cas précis comme l’envoi de
documents. En revanche, il est le principal canal de transmission dans les relations amicales.
On peut supposer que cela est dû à son caractère asynchrone. Il permet de transmettre
autant d’informations qu’avec le téléphone, mais supprime le risque de déranger
l’interlocuteur.
La possibilité de renouer avec des personnes perdues de vue n’est pas exploitée par les
31
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
seniors interrogés. Sur les huit personnes interrogées, seule une déclare tenter de renouer
des liens par le Net. L’un des couples a retrouvé une ancienne amie grâce à Facebook, mais
ceci est resté une exception. « Mes copains d’avant, je les ai toujours, pas besoin de
Facebook pour ça ! » déclare l’un des interviewés. La relation avec les réseaux sociaux
semble être peu marquée, mais cet aspect sera développé plus loin.
On peut donc conclure que l’ordinateur est bel et bien un canal de communication chez les
seniors. Néanmoins, l’hypothèse n’est pas totalement confirmée. Les personnes contactées
par mail ne sont pas des proches, mais des amis dont le locuteur est éloigné
géographiquement et avec qui les liens sont moins forts. Ils se situent dans le cercle social
élargi. Peut-être les mails seraient-ils plus utilisés si les enfants et petits-enfants habitaient à
l’étranger. Tel est le cas de Catherine, dont une nièce a vécu quelque temps à Singapour. De
même, on peut penser que les appels illimités en France et à l’étranger proposés par
certains opérateurs font sérieusement concurrence à Internet, surtout chez les retraités, qui
préfèrent le téléphone. Tel est encore une fois le cas de Catherine, dont la fille vit
actuellement à la Réunion, et qu’elle appelle régulièrement.
3.1.2 Achat sur Internet : facilité d’information et petits prix
La seconde hypothèse de cette étude suppose qu’Internet donne des possibilités d’achat
élargies, favorisant la consommation via la Toile. Cela s’applique aussi bien aux prix qu’aux
produits eux-mêmes. Cette hypothèse se voit validée, et ce pour trois raisons. D’abord, il
faut noter que les retraités interrogés sont en bonne santé. Même les deux personnes de 70
ans se portent bien. Ces seniors font partie de la première génération de personnes âgées
issue du « baby-boom ». Ils n’ont pas connu la guerre, ni les restrictions alimentaires ou les
pénuries. Seuls Christiane et Joël qui sont nés en 1943, ont connu les restrictions (manque
de lait, de sucre...). Malgré tout, ils ont vécu ensuite le plus grand essor économique du XX°
siècle avec les débuts de la société de consommation à partir de 1950. L’accent a été mis sur
l’amélioration du confort de vie et de l’hygiène. De même, les progrès médicaux ont été
importants durant cette période. Le confort de vie associé à une meilleure santé a entraîné
un allongement de la durée de vie. Aujourd’hui, un retraité de 70 ans ne peut pas être
considéré de la même manière qu’un senior ayant eu 70 ans en 1975. L’avancée en âge
biologique semble causer moins de désagréments qu’auparavant. Ainsi, l’idée reçue selon
laquelle les retraités n’ont pas la force de faire leurs courses n’est pas recevable. « Puis bon,
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
tu sais, on a le temps de faire les courses » dit Christiane. La fatigue n’est pas abordée par les
interviewés.
Les retraités interrogés utilisent Internet pour acquérir des produits qui ne sont pas
disponibles près de chez eux. « Cela a un côté sympa, je retrouve des pièces pour ma vieille
2CV pour la restaurer. Pour ça, Internet, c’est très puissant. Avant, il fallait faire les casses du
coin. Maintenant, avec les réseaux internationaux on peut trouver des pièces en Angleterre,
en Allemagne et tout ». Maya tient le même discours « La dernière fois je suis allée acheter
des draps housses pour lits évolutifs [sur Internet]. Ce sont de petits lits pour enfants que tu
ne trouves pas dans les magasins. ». De la même façon, Joël a commandé un store en
Angleterre pour sa terrasse. L’informatique offre de nouvelles possibilités de consommation
en donnant accès à des produits venant du monde entier et qui ne sont pas vendus dans la
ville de résidence des seniors. Ces derniers, au travers des interviews, mettent en avant le
côté pratique d’Internet. « On est chez soi, puis deux jours plus tard, on reçoit les produits »
déclare Christiane. L’informatique est donc utilisée pour l’accessibilité pratique des produits
proposés, ainsi que pour l’amélioration du confort qu’il procure. Il permet d’élargir le panel
de produits, et d’acquérir ces mêmes produits sans difficulté.
Les interviewés font aussi remarquer qu’Internet permet d’obtenir des informations sur un
produit ou un prix. « Vis-à-vis du prix, c’est intéressant d’acheter sur Internet. Puis il y a une
facilité, on peut se faire un comparatif » affirme Christiane. Ils suivent même parfois une
logique paradoxale. Alors que beaucoup de gens achètent sur Internet des produits vus en
magasin, certains retraités interrogés achètent en magasin des articles vus sur la Toile. C’est
le cas de Denise « je regarde l’article qui m’intéresse sur Internet, puis je vais l’acheter en
magasin ». Nadine quant à elle, ne commande pour le moment que des billets de train ou
d’avion. « C’est un gain de temps terrible. », dit-elle « En plus, on a des offres qu’on n’a pas
forcément à la SCNF. » Elle exploite les avantages qu’offre Internet, à savoir un gain de
confort puisqu’elle peut non seulement commander facilement ses billets, mais également
avoir des réductions. Elle déclare ne pas acheter davantage pour l’instant, car elle attend de
savoir mieux se servir d’Internet afin de se sentir plus à l’aise.
Christiane et Denise ont déjà commandé sur Internet. Néanmoins, ces achats ont été rares
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
et elles ont toujours utilisé des solutions alternatives : utiliser la carte d’un de leur proche
pour commander, régler par chèque, etc. Elles parlent toutes deux de méfiance, de peur.
« Vraiment, Internet, c’est quand je ne peux pas faire autrement. J’ai peur des
détournements de carte bleue. […] Moi, j’ai des représentations sur des expériences vécues
par des proches, mais pas sur leur expérience personnelle. » Il y a une défiance qui les
empêche de se sentir en sécurité lors de leurs achats en ligne. C’est également le cas pour
Nadine, qui compte commander une carte de sécurité avant de commencer à acheter plus
régulièrement sur Internet. Toutes deux préfèrent obtenir des informations en ligne sur les
produits, pour ensuite les acheter en magasin. Néanmoins, Denise déclare que si les
paiements par Internet étaient mieux sécurisés, elle n’hésiterait pas à commander. Il semble
donc qu’il y ait une attirance pour les achats sur Internet, mais bridée par la peur des
fraudes. Seule Catherine, l’ancienne secrétaire de direction, ne commande pas sur Internet.
Non par peur ou par principe, mais parce qu’elle ne se considère pas comme une
« consommatrice effrénée » et trouve qu’elle habite une ville qui suffit à ses besoins de
consommatrice.
De manière générale, les entretiens ont permis de mettre deux types de comportements en
lumière. D’un côté il y a les seniors qui ne commandent pas, par peur d’être escroqués, et de
l’autre ceux qui commandent parce qu’ils font de bonnes affaires ou qu’ils ne trouvent pas
ce qu’ils souhaitent dans leur environnement immédiat. Maya commande à peu près une
fois par mois. Il semble donc qu’Internet offre de nouvelles opportunités de consommation,
en proposant une large gamme de produits et des prix très compétitifs. L’hypothèse est donc
validée.
3.1.3 Le cours d’informatique : pas de création de lien social mais une
démarche individualiste
Il a été précisé plus haut que l’une des missions du Centre Social de Bagatelle est de
favoriser le lien social entre les habitants, en les mettant en contact dans le cadre des
activités qu’ils proposent. L’informatique fait partie de ces activités. La troisième hypothèse
de ce dossier suppose que les cours d’informatique n’ont pas qu’un but d’apprentissage,
mais qu’ils sont aussi un moyen de créer du lien social entre les élèves. Comme le dit Jacques
Perriault dans Éducation et nouvelle technologies :
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Un acteur collectif est un ensemble de personnes partageant les mêmes objectifs et
intérêts communs, et d’artefacts, identifié comme auteur d’une activité donnée. Par
rapport à ce que nous venons de dire ici les intérêts en sont les suivants. Un travail en
groupe corrige la rigidité de la médiation par la machine permettant :
- l’échange et la discussion des représentations respectives.
- La construction d’une inter-subjectivité des acteurs qui pallie la défaillance de la
machine à cet égard.
- La production et le règlement de conflits socio-cognitifs.
Les membres du groupe construisent un espace d’interaction où l’individu n’est pas seul
face à la multitude d’experts et de compétences représentés par la machine.
On pourrait donc penser que l’apprentissage de l’informatique au Centre Social de Bagatelle
permet de créer du lien social et un esprit de groupe qui lie les élèves entre eux, en tant
qu’ensemble d’individus solidaires partageant un but commun qui est d’apprendre
l’informatique. Or, les entretiens et les observations des cours montrent que cette
proposition est totalement erronée10. Plusieurs explications peuvent être avancées. Les
retraités interrogés, à l’instar de Dominique, Robert ou encore Denise ont une vie sociale et
des occupations en dehors du Centre Social. Ils ne ressentent donc pas la nécessité de créer
du lien avec les autres élèves. Même si tous les seniors reconnaissent passer un bon
moment en cours d’informatique, il semble qu’aucun d’entre eux ne vienne avec pour
intention principale de rencontrer des gens.
Dans la salle de cours, les élèves travaillent chacun sur leur poste, de manière individuelle et
indépendante. Ils sont concentrés sur leur exercice et ne font pas forcément attention à leur
voisin de poste. Ils ne se parlent que rarement, et les sujets abordés concernent presque
exclusivement le thème du cours. Les élèves se taquinent parfois, mais le sujet de
plaisanterie reste lié au cours et le temps passé à l’échange dure peu de temps (une à deux
minutes maximum). C’est une ambiance très studieuse et individualiste qui ne favorise pas
vraiment la communication. Le cours n’a lieu qu’une fois par semaine, durant une heure et
demie. Un laps de temps trop court pour parvenir à briser la glace et créer du lien social.
10 Les interviews et les observations de trois cours sont disponibles dans la section ANNEXES,
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Les élèves retraités se positionnent de manière très consommatrice lors du cours
d’informatique. Ils arrivent l’un après l’autre, s’installent à leur poste et attendent
tranquillement le début du cours. « Finalement, on vient tous consommer notre cours,
apprendre ce dont on a besoin, et on part » dit Robert, reprenant cette idée d’apprentissage
et de position de consommateur. Ils ne viennent pas avec la perspective de retrouver un
groupe d’amis ou pour se détendre, mais plutôt pour engranger de nouvelles connaissances
qui leur serviront une fois sortis du cours. Ils ne cherchent pas à faire de nouvelles
connaissances, voire se faire de nouveaux amis, comme dit Catherine : « j’ai beaucoup
d’amis, et je ne cherche pas trop à en avoir de nouveaux ».
Tous les retraités à l’exception de Nadine savaient utiliser l’ordinateur avant de s’inscrire au
cours d’informatique du Centre Social de Bagatelle. Ils se sont inscrits dans l’optique de
mieux maîtriser leur outil, « pour en connaître plus sur l’environnement de l’ordinateur »
comme dit Denise. Le cours d’informatique apparaît comme un moyen de consolider les
acquis du senior en matière d’informatique ou d’apprendre de nouvelles choses très ciblées,
comme Robert, par exemple, qui veut se servir du traitement de texte. Il est intéressant de
souligner que Denise et Nadine suivent une autre activité au Centre Social. Denise apprend
l’espagnol et Nadine suit un atelier de peinture. Elles déclarent toutes deux avoir beaucoup
plus d’échanges avec les élèves de ces ateliers qu’avec ceux du cours d’informatique. «[Avec
les élèves de l’atelier peinture] on se voit en dehors, tout ça, et là il y a vraiment un esprit de
groupe. Puis je pense qu’on va très vite passer à de l’amitié » confie Nadine.
Jacques Perriault ajoute dans son œuvre que « l’individu apprend au sein d’activités sociales
finalisées et dans des groupes sociaux qui donnent sens à son activité ». L’apprentissage
serait ainsi lié au lien social. Or, il ressort des différentes observations que les niveaux
informatiques des participants à ce cours sont hétérogènes, certains étant autodidactes,
d’autres ayant bénéficié de formations par des professionnels, et d’autres étant totalement
débutants. Leurs attentes vis-à-vis du cours sont également très différentes. Chacun prend
dans l’enseignement dispensé ce qui l’intéresse pour faire aboutir son projet personnel sans
s’occuper des autres participants. La situation n’est donc pas propice à la création d’un
esprit de groupe contrairement aux activités artistiques proposées par le centre social. C’est
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
une démarche très individualiste.
Ainsi, l’hypothèse selon laquelle les cours d’informatique sont un moyen pour les seniors de
créer du lien social est infirmée. Les cours apparaissent surtout comme un moyen
d’améliorer la pratique informatique, destinée à consolider les savoirs et rassurer les seniors
sur leur pratique de l’ordinateur.
3.2 Pratiques et représentations : l’informatique au quotidien
3.2.1 La pratique
3.2.1.1 Difficultés surmontables et surmontées
Le sujet des difficultés a été abordé de nombreuses fois durant les entrevues. Les seniors
ont, pour la plupart, été initiés à l’informatique durant leur vie professionnelle. Ils ont donc
bénéficié de cours qui leur ont donné des bases solides. Le cas de Maya est particulier,
puisqu’elle n’a pas appris à s’en servir dans le cadre professionnel. Sa démarche est même
paradoxale. Elle a acheté un ordinateur avant de savoir s’en servir. Le jour de l’installation, le
technicien a pris le temps de lui expliquer quelques notions. « Quand il a terminé, je lui ai dit
’’Je n’ai rien compris. Je n’ai jamais utilisé une souris, jamais utilisé un ordinateur.’’ », « Je ne
savais même pas ce que voulait dire « cliquer » » confie-t-elle durant l’entretien. Elle a appris
sur le tas, « en cliquant partout ». Elle a aujourd’hui le même niveau de compétence que les
autres élèves du cours.
La comparaison entre Maya et Nadine est amusante. Autant la première n’a eu aucune
appréhension à « cliquer partout », au risque de faire une erreur, autant Nadine a longtemps
été terrifiée par l’ordinateur. « J’étais paralysée à l’idée de me servir d’un ordinateur. […] Ça
me semblait énorme : toutes ces données à apprendre, à prendre en compte ». Elle a appris
à s’en servir grâce au cours proposé au Centre Social. Aujourd’hui, elle a une navigation aussi
fluide que les autres seniors interviewés. Son plus gros problème a été de surmonter sa peur
d’utiliser l’ordinateur
Les retraités interrogés ont eu du mal à expliciter les problèmes qu’ils rencontrent. Il faut
parfois insister et les laisser réfléchir pour obtenir un début de réponse. Plusieurs
interprétations peuvent être faites. Soit ils n’ont pas réellement de difficultés parce qu’ils
maîtrisent l’outil, soit ils manquent de connaissances informatiques leur permettant
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
d’identifier lesdits problèmes. La majorité d’entre eux utilisent l’ordinateur depuis les
années 1980-1990, et en sont équipés chez eux depuis le début des années 2000. Ils suivent
également des cours dans ce domaine. On peut donc penser qu’ils ne rencontrent plus de
difficultés lors de la navigation. Or, une lecture plus poussée des entretiens montre que la
maîtrise de l’outil reste approximative, et que les seniors manquent de connaissances et de
repères. Les problèmes identifiés sont relativement basiques : classification de fichiers, envoi
de pièces jointes, incompréhension de certains mots du champ lexical informatique ou
fonction qu’ils ne connaissent pas, etc. De manière générale, les seniors restent calmes face
aux difficultés, et préfèrent faire appel à des personnes compétentes plutôt que de tenter de
résoudre la situation tout seuls. Seul Dominique, au caractère très affirmé, se laisse parfois
déborder par sa colère. Certains faits les agacent, comme les « pop-up » qui surgissent sans
prévenir, les spams ou encore les publicités liées à leur recherchent récentes. « Bon ben, j’ai
l’impression d’être en permanence... tu vois... pisté » déclare Joël.
Les retraités ont une utilisation relativement limitée de l’ordinateur. « J’ai une utilisation
restreinte et basique » déclare Denise. Cette notion d’usage simple et basique revient
souvent dans les interviews. Des expressions comme « …pour ce que je m’en sers, ça suffit »,
ou « …je n’ai pas besoin d’en savoir plus » ont été dites plusieurs fois au cours des entrevues.
Les concepts informatiques ne semblent pas être très bien maîtrisés. Un échange avec
Dominique en est la preuve :
Dominique : Un truc tout bête : de temps en temps, mon ordinateur fait dix,
quinze, trente connexions à Internet en même temps. Je ne sais pas pourquoi.
Enquêteur : Comment ça, il ouvre des fenêtres ?
Dominique : Oui, oui, voilà, il n’arrête pas d’ouvrir des fenêtres.
Dominique fait ici la confusion entre le fait que l’ordinateur soit connecté à Internet et le fait
d’ouvrir des fenêtres. Cette erreur de langage donne un sens étrange à sa phrase. Ce type de
méprise sémantique est fréquent dans les interviews. Il semble que les retraités aient du mal
à maîtriser le langage informatique. Tout cela laisse l’impression que la maîtrise de
l’ordinateur reste approximative, que si un problème survient, le senior sera bloqué. C’est
d’ailleurs ce que révèle l’analyse des entretiens. « Durant l’utilisation, il y a des problèmes
qui peuvent survenir, et à ce moment-là, je suis perdue. En cas de dysfonctionnement
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
j’appréhende beaucoup » confie Denise. Cette déclaration est généralisable à l’échantillon
interrogé. Ils maîtrisent l’ordinateur, mais ne savent pas comment réagir en cas de
problème. Ils ne sont pas assez familiers avec l’ordinateur pour pouvoir résoudre la situation
seuls.
Le manque de connaissance du monde de l’informatique est très bien illustré dans
l’interview de Joël. Ce dernier a subit une fraude à la carte bleue. Les pirates ont fait des
achats sur Internet s’élevant à près de 200€. Joël et son épouse affirment d’abord que la
fraude a eu lieu lors d’un achat qu’ils ont fait via Internet. Or, quelques minutes plus tard à
peine, Joël déclare « …on m’a dit qu’il s’agissait de gens qui auraient accédé à une série de
numéro au hasard ». Lorsqu’on lui fait remarquer que sa fraude n’est donc pas due à
Internet, il répond « Ben si, enfin, non… » et ne parvient pas à donner de réponse claire. Ceci
prouve que la connaissance du monde d’Internet n’est pas réellement maîtrisée. Certains
problèmes y sont associés, même si ces derniers n’ont en fait aucun rapport. Persiste ainsi
une défiance vis-à-vis d’Internet, qui semble parfois être considérée comme l’origine de tous
les problèmes.
Paradoxalement, la seule qui parvient le mieux à gérer les problèmes est Maya. La technique
qui consiste à cliquer partout semble être efficace. « Si j’ai des difficultés, j’appelle ma fille
qui me dit « Débrouille-toi ! » (Rire). Donc je me remets à cliquer partout jusqu’à y arriver. Je
me débrouille assez bien, je pense ». Maya semble être assez confiante dans sa pratique. Elle
n’a pas cette appréhension, ce blocage dont les autres font preuve en cas de problème. La
tactique un peu brouillonne du « Je clique partout et je vois ce qui se passe » prouve
néanmoins que c’est plus la chance que la connaissance qui permet à Maya de se sortir d’un
mauvais pas.
De manière générale, les problèmes ne semblent pas arriver souvent. Après tout, les
difficultés qu’ils rencontrent sont à la hauteur à leur utilisation. Gérer des dossiers ou
envoyer des pièces jointes ne représentent pas un problème pour un internaute lambda.
Néanmoins, si les seniors rencontrent ces petits désagréments, la majorité d’entre eux font
appels à des proches, comme Joël et Christiane ou des professionnels, comme Dominique,
pour résoudre la situation. D’autres, comme Nadine, Robert ou Catherine, font appel au
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Eloria VIGOUROUX
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professeur. « J’utilise ce que je sais utiliser. Dès qu’on doit utiliser une fonction que je ne
connais pas, j’attends que quelqu’un soit disponible pour venir m’aider » déclare Denise. Elle
ajoute même qu’à l’époque où elle travaillait son but était « d’appeler le moins possible les
ingénieurs informatiques (rire) ». Le cas de Denise est assez paradoxal. À une époque de sa
vie professionnelle, elle a été chargée d’initier des infirmiers à l’informatique. Elle a donc dû
synthétiser et assimiler tout ce qu’elle avait appris pour pouvoir l’enseigner. Or aujourd’hui,
elle est la première à faire appel à quelqu’un en cas de problème. Cette attitude est
révélatrice du manque de confiance et de connaissance du matériel informatique. Elle s’est
inscrite au cours du Centre Social pour justement en savoir davantage sur l’environnement
informatique, et pour ne plus avoir à demander de l’aide.
La situation des seniors est délicate. Ils ont de bonnes bases et savent naviguer mais ne
parviennent pas à résoudre leurs difficultés, qui paraissent anecdotiques pour quelqu’un de
plus habitué au monde informatique. Ils sont à un niveau intermédiaire : ils savent naviguer
mais n’ont pas encore assez de connaissances pour résoudre leurs difficultés sereinement.
Or, les difficultés qu’ils rencontrent ne sont que de petits désagréments qui seraient évités
s’ils avaient plus de connaissances. Il apparaît néanmoins que ces difficultés ne sont pas un
obstacle rédhibitoire à l’utilisation de l’ordinateur.
En somme, même si les difficultés sont présentes, aucune ne semble être insurmontable.
Avec l’aide de professionnels ou par leurs propres moyens, les seniors parviennent à les
résoudre.
3.2.1.2 Internet comme outil de recherche d’information
Il apparaît au travers des entretiens que l’informatique a pour fonction principale la
recherche d’information. Elle permet d’accéder à un grand nombre d’informations, en peu
de temps et sans se déplacer. Le monde entier est accessible. « …avec Internet, l’info, tu l’as
tout de suite. Il n’y a pas besoin de se déplacer, d’aller à la bibliothèque », dit Denise. Il
semble que la recherche d’information soit la principale fonction de l’ordinateur et
d’Internet. Les retraités font des investigations sur la Toile, pour chercher aussi bien des
produits à acheter, que des renseignements liés à leurs activités ou pour trouver de simples
compléments d’information. « Hier on était branchés sur Audrey Pulvar. Je ne me rappelais
plus d’un livre qu’elle avait écrit […]. Tac, je suis allé sur Internet et j’ai trouvé ce que je
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
voulais. » déclare Dominique. « Je cherche, je trouve ce que je veux. » affirme Maya. « Ça
m’arrive souvent d’aller voir sur Internet pour trouver le texte qu’on m’a donné [en cours
d’anglais]. » déclare Catherine. Tous ces exemples vont dans le même sens. Internet a ouvert
l’accès à l’information pour tous.
L’addiction à l’informatique est mise en avant depuis plusieurs années. Beaucoup de
reportages ont été faits sur les Otakus, ces jeunes Japonais complètements dépendants à
l’ordinateur. L’exemple a été transposé à tous les pays européens avec les gamers, ces
personnes si investies dans des jeux en ligne qu’elles en perdent le sens des réalités. Il
semble que ces faits aient fortement marqué les retraités. Tous ont affirmé ne pas vouloir de
venir « addicts » à l’ordinateur. « Internet, c’est le matin pour la gestion, et l’après-midi pour
chercher de la doc, vérifier mes mails quand j’en ai besoin » dit Joël. « Je ne veux pas tomber
dans l’excès d’Internet ». « Il peut y avoir une accoutumance, une addiction. […] Tu
commences une recherche, puis de fil en aiguille, tu cherches autre chose. Tu restes parfois
deux heures, trois heures sur l’ordinateur. Ça, je n’ai pas envie, ça me fait peur. Donc je fais
attention à ne pas être trop sur l’ordinateur ». Ces extraits, tirés des entrevues avec Maya et
Denise, montrent bien que la peur de l’addiction existe. Les retraités ont donc une bonne
maîtrise de leur navigation. Ils cherchent à ne pas créer de besoin frénétique d’Internet,
comme on peut le voir chez beaucoup de jeunes, qui ne peuvent pas se passer de
l’informatique. Cette image est grandement présente chez les retraités puisque plusieurs
font référence à ces jeunes « dépendants ». Les retraités passent donc un temps limité et
maîtrisé sur le Net, de peur de tomber dans la dépendance. Le thème de la
cyberdépendance sera traité plus loin dans ce dossier.
Mais l’addiction n’est pas le seul argument pour justifier le temps mesuré consacré à
l’informatique. Il apparaît en effet que l’ordinateur n’est pas un outil indispensable. « Si je
m’ennuie, je n’irai pas sur Internet, à part si j’en ai besoin » déclare Maya, qui rejoint des
déclarations de Nadine, qui préfère se promener et sortir plutôt que de rester sur
l’ordinateur. Il a été dit précédemment que l’ordinateur est principalement utilisé pour la
documentation et les mails. Les retraités n’y vont que quand ils en ont besoin. Il ne semble ni
naturel, ni intuitif pour eux d’aller flâner sur Internet lorsqu’ils ont du temps libre. On peut
supposer qu’ils ont, au cours de leur vie, pris des habitudes et des occupations pour passer le
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
temps. Comme le dit Benoît Duguay, les habitudes changent peu à partir de 30 ans. Denise,
par exemple, est une très grande lectrice. Lorsqu’elle n’est pas occupée, elle lit. Aller sur
Internet n’est pas un automatisme contre l’ennui. Ainsi, l’ordinateur apparaît davantage
comme un accessoire dont les seniors n’ont qu’occasionnellement besoin. Il n’est pas une
distraction, mais un outil de travail, de recherche. Il ne semble pas être indispensable aux
activités des retraités. « Quelques fois je m’en sers toute la journée. […] Et après je peux
rester des jours sans l’utiliser. […] Je m’en sers seulement quand j’en ai besoin » dit Maya.
Les démarches administratives sont souvent faites pas Internet. Les deux couples déclarent
leurs impôts via le Net. Denise ne serait pas contre l’idée de le faire. Elle n’y a juste pas
pensé. Ils suivent leurs comptes en banque en ligne ainsi que leurs factures d’eau, de
téléphone ou d’électricité. Ceci est apprécié, car il permet d’accéder facilement aux relevés,
afin de vérifier qu’il n’y a pas de problèmes comme des fraudes. C’est de cette manière que
Joël s’est rendu compte des prélèvements frauduleux sur son compte. Il a ainsi pu faire les
démarches très rapidement et éviter ainsi que les prélèvements ne se reproduisent. Cette
pratique semble néanmoins n’être qu’un détail dans l’usage de l’ordinateur.
Il a été dit plus haut que la représentation d’Internet est fortement liée aux mails et à la
recherche d’information. Ceci corrobore donc l’idée que les retraités ont une vision
utilitariste de l’ordinateur. Aucun n’a fait référence à la convivialité du Net, ou à la sensation
qu’ils ont quand ils naviguent. Ils n’ont pas créé de relation profonde avec le Web puisqu’ils
ne l’utilisent que lorsqu’ils en ont besoin. « Je sais un peu, mais ça ne m’intéresse pas, je
n’en ai pas besoin » déclare encore une fois Maya.
3.2.1.3 Rejet en bloc des réseaux sociaux
Depuis quelques années, les réseaux sociaux sont en plein essor. Aussi bien professionnels
que réservés aux loisirs, ils ont conquis la quasi-totalité de la population. Étant donné que les
retraités suivent les tendances, on pourrait penser qu’ils ont eux aussi créé des profils en
ligne. Or la réalité est tout autre. Ils avancent trois raisons principales à leur absence dans les
réseaux sociaux. La plus souvent avancée est la mise en ligne de données personnelles. Il
semble que les seniors n’aient pas le même rapport à l’intimité que les nouvelles
générations. Alors que ces dernières n’hésitent pas à publier leurs photos, commentaires ou
statut marital sur le Net, les retraités semblent avoir beaucoup plus de réserve. « Je ne
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
mettrai pas en ligne de données personnelles » est une phrase qui resurgit souvent durant
les entretiens. Ce n’est pas logique et naturel chez eux d’exposer ainsi leur vie privée sur la
Toile. Il semble que les retraités aient une pudeur bien plus prononcée que les jeunes
générations.
La mise en ligne de données personnelles va de pair avec la notion de surveillance.
Dominique et Catherine vont dans le même sens en ajoutant que les directeurs de
ressources humaines vont de plus en plus souvent voir sur le Net pour trouver des
informations sur les candidats. C’est paradoxal, car étant retraité, ils n’ont pas vraiment à se
soucier de cela. Robert va même jusqu’à parler de la police qui surveille les réseaux sociaux.
« Il y a une sorte de défiance, me dire que quelqu’un peut m’observer... Sans avoir un
complexe de Big Brother mais bon... » confie Denise. « J’ai un pseudo, pas de photos. Je n’ai
pas du tout envie qu’on qu’ils y aient des choses personnelles qui circulent sur mon
compte » déclare Catherine. Cette idée que tout le monde puisse avoir accès à leurs
informations, à leur profil semble être une source de soucis pour eux. L’idée que leurs
actions puissent être vérifiées sans leur consentement n’est pas acceptée par les retraités.
« Je pense qu’il faut être prudent avec ça, et la meilleure façon d’être prudent, c’est de ne
pas y être » conclut Dominique.
Certains parlent aussi de trace, de traçabilité. « Laisser le moins de traces » est dit plusieurs
fois dans les entretiens. L’idée de pouvoir être pisté leur déplaît. On retrouve cela dans les
côtés négatifs d’Internet. Maya et Joël font part des publicités qui apparaissent à la suite de
recherches qu’ils ont pu faire. « Par exemple, quand on est sur Hotmail, il y a des publicités
sur le côté. Puis en plus on est tracés. Quand j’avais cherché pour mes draps, j’ai réalisé que
ça apparaissait dans les publicités. » explique Maya. Il semble qu’ils veuillent naviguer
tranquillement, sans être espionnés, pistés par le marketing.
LL’ seniors reconnaissent tout de même l’utilité que les réseaux sociaux peuvent parfois
constituer. « Ceci étant, quand je recherche quelqu’un... Par exemple très récemment, on a
cherché quelqu’un avec qui on était en Algérie, c’est-à-dire il y a quasiment quarante ou
trente-cinq ans. On l’a retrouvé grâce à Facebook. Ce n’est pas moi qui suis allée sur
Facebook, j’ai fait aller quelqu’un dessus pour trouver (rire). Ma fille précisément ». On
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
remarque que comme pour les achats, les seniors passent par des solutions alternatives
pour arriver à leur but sans se mettre dans une position déplaisante. Ils reconnaissent donc
que les réseaux sociaux peuvent parfois être utiles pour retrouver des personnes.
Néanmoins, il apparaît que les seniors ne sont pas portés sur la recherche d’amis perdus de
vue, mis à part Joël qui est sur « Copains d’avant » et Trombinoscope. « Moi, mes copains
d’avant, je les ai toujours » déclare Dominique. Il en va de même pour Denise qui, en
amatrice de lecture, envisage sa vie comme une succession de chapitres sur lesquels elle ne
revient pas une fois la page tournée. Elle n’a pas envie de retrouver des personnes qu’elle
côtoyait il y a vingt ans. Christiane reste sur le même discours en disant « C’est se retrouver,
sans se retrouver. […]Cela reste très superficiel ». Les réseaux sociaux ne sont donc que
rarement utiles aux retraités.
Les retraités remariés sont les deux seuls à utiliser la plate-forme Skype pour parler à leurs
proches, une nièce et un neveu qui sont éloignés. D’autres, comme Maya et Dominique, se
sont servis de la Webcam à la naissance de leur premier petit fils, mais ont rapidement
arrêté de l’utiliser. « J’ai un neveu qui est au Havre, et on s’appelle plusieurs fois par semaine
par Skype. Ça fait deux ans qu’on fait comme ça. J’ai une nièce qui est à Singapour, et malgré
le décalage horaire, on peut communiquer. Puis l’avantage c’est que c’est gratuit. » déclare
Robert. Il présente ici les deux points forts du logiciel : abolition des contraintes d’espace et
temps, en plus de la gratuité de l’utilisation. La gratuité est l’un des principaux arguments
d’Internet, qui est l’accès à des gros avantages et ce de manière presque gratuite, puisqu’il
faut quand même compter le prix de l’abonnement Internet.
3.2.1.4 L’exclusion sociale par le numérique
L’exclusion sociale est un thème qui revient très souvent dans les entretiens. L’exemple le
plus frappant est celui de Nadine, la secrétaire retraitée de 61 ans. Elle dit en ces termes :
« Enfin, quand on dit aujourd’hui ’’je n’ai pas Internet, je ne sais pas me servir d’Internet’’ on
se sent complètement en marge de la société. » Ou encore « Je me suis sentie larguée
pendant longtemps, et je ne le vivais pas très bien. Je me sentais vraiment bête et arriérée.
[…] Là, ça devient vraiment une nécessité. » Nécessité. Nadine a précisément mis le doigt sur
une notion fondamentale aujourd’hui : celle de la nécessité d’être équipé et d’utiliser les TIC.
Avant d’aller plus loin, parlons de François Granjon et de la théorie de la reconnaissance.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Dans son œuvre Reconnaissances et usages d’Internet : une sociologie critique des pratiques
de l’Internet connectée, il explique qu’il existe trois sphères normatives de la
reconnaissance : l’amour, le droit et l’estime de soi. Toutes trois forment l’infrastructure
morale de la société moderne. Elles régissent les normes et les pratiques culturelles du
groupe. La première sphère comprend les relations affectives intersubjectives. La seconde a
trait à tout ce qui concerne le sujet et le respect de soi-même. Enfin, la troisième touche aux
aptitudes pratiques de l’individu. Au sein de cette dernière, le sujet doit non seulement avoir
des aptitudes pratiques, mais il est également nécessaire que ces dernières correspondent
aux attentes du groupe social auquel il appartient, auquel cas, le sujet aura à souffrir d’un
déni de reconnaissance.
Or, comme l’explique Granjon, depuis les années 1960, nous sommes entrés dans une
époque dominée par les TIC. Elles sont présentées comme « une condition matérielle
nécessaire à un exercice renouvelé de la démocratie, permettant de s’affranchir des vieilles
hiérarchies » (Granjon, 2012). L’autonomie de chaque individu est donc ainsi augmentée :
chacun choisit si oui ou non il souhaite être informé et s’il veut créer du lien social. La
personne choisit de s’équiper ou non en nouvelles technologies. Les pratiques se structurent
autour de l’équipement et de la pratique des TIC. Les comportements étant basés sur
l’idéologie de la reconnaissance, l’individu suit la cadence pour être reconnu par ses pairs et
par le système. Les individus font ainsi partie intégrante du système. Celui qui a des
pratiques différentes est donc doublement rejeté : par ses pairs et par le système qui
continue d’évoluer sans lui. Nadine a donc ainsi mis l’accent sur une donnée sensible de
notre société, celle de la nécessité de coordonner nos pratiques à l’environnement culturel
qui nous entoure, pour ne pas en être exclu. Il ne s’agit pas seulement de savoir se servir
d’un instrument, mais également d’exploiter ses connaissances et de les mettre en pratique.
C’est en créant ces normes que la société crée l’exclusion par le numérique. Ainsi, le sujet
qui, comme Nadine, ne sait pas se servir de l’informatique, subit-il un déni de
reconnaissance de la part des autres individus. Nadine était secrétaire et peinait dans son
travail parce qu’elle n’utilisait pas l’informatique. « Je sentais que tôt ou tard, ça allait
m’handicaper ». Aujourd’hui, elle cherche un petit travail pour compléter sa petite retraite,
et c’est en partie pour cela qu’elle suit des cours d’informatique : pour être éligible à un
poste. « Tout tourne aujourd’hui autour de l’informatique, et si on ne suit pas le
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
mouvement, on se ferme énormément de portes ». Nadine met en relief ici le caractère
quelque peu dictatorial du système, qui laisse sur la touche ceux qui ne savent pas s’adapter
à lui.
3.2.2 Les représentations
3.2.2.1 La théorie de la consommation en TIC à l’épreuve des retraités
La seconde partie de ce dossier a présenté la théorie de Benoît Duguay sur les habitudes de
consommation en nouvelles technologies dont Internet fait partie. Selon Duguay, ce dernier
apporte des possibilités que l’individu n’a jamais connues jusqu’alors. Internet s’adapte à
l’usager et à ses attentes. Toute information peut être obtenue, à n’importe quel moment et
depuis n’importe où. Il permet une flexibilité que d’autres nouvelles technologies ne
peuvent proposer. Il abolit les contraintes d’espace et de lieux. Comme le montre le cas du
couple ayant une nièce à Singapour, Internet permet de communiquer facilement malgré
toutes les contraintes imposées par la distance. Il en va de même pour les achats, qui
donnent des occasions de consommation permanentes à toute heure du jour comme de la
nuit. Les retraités exploitent donc le confort, l’aspect pratique et fonctionnel d’Internet.
Duguay détaille les différentes attentes de l’utilisateur vis-à-vis de l’ordinateur. Celles-ci sont
d’ordre fonctionnel, symbolique et esthétique. Les interviews ont montré que les retraités
utilisent l’ordinateur pour le confort qu’il leur apporte au quotidien. Il doit être facile et
agréable d’utilisation. La navigation doit être simple et efficace avec un minimum de
publicités et autres pop-up qu’ils ressentent comme des désagréments. Les interviewés sont
très utilitaristes. On peut donc dire qu’ils ont des attentes fonctionnelles importantes vis-àvis de l’informatique.
Inversement, les retraités ne semblent porter que vraiment très peu d’intérêt à la
symbolique et à l’esthétique de leur ordinateur. Ils ne cherchent pas à s’assimiler à un
groupe social ou à s’enorgueillir par leur achat. Il n’y a que la facilité d’utilisation qui semble
compter pour eux. « Pour ce que j’en fais, mon ordinateur me suffit amplement » est une
idée qui revient souvent dans les entretiens. Les retraités ne semblent pas aussi attachés aux
performances de l’ordinateur que peuvent l’être les jeunes ou les personnes
professionnellement actives. Ils sont beaucoup plus détachés de cet outil que d’autres
46
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
générations.
3.2.2.2 Internet : la fonction principale de l’ordinateur
Les interviews ont mis à jour plusieurs phénomènes qu’il peut être intéressant d’analyser.
Tout d’abord, on observe que la représentation mentale de l’ordinateur est fortement liée
au Net. À la question « Quel mot te vient à l’esprit quand je te dis « Ordinateur » ? », la
majorité des interviewés répondent « Internet ». L’ordinateur apparaît comme un moyen
d’accéder au Web. Les autres fonctionnalités semblent n’avoir qu’une place secondaire dans
l’utilisation qu’en font les retraités. Lorsqu’un peu de liberté de parole leur est laissée, le
discours se porte naturellement sur l’utilisation d’Internet, et non celle de l’ordinateur.
« Aujourd’hui, on ne peut plus penser l’ordinateur tout seul. Il y a forcément Internet qui va
avec. » déclare Dominique.
Ceci est paradoxal. Les entretiens montrent que la priorité de l’achat de l’ordinateur n’était
pas liée à Internet. Maya, par exemple, a acheté son premier ordinateur en 2005 afin de
pouvoir stocker les photos de son appareil photo numérique. Joël a suivi la même démarche.
L’important pour lui était d’utiliser des logiciels de gestion spécialisés. Les interviewés ont
été initiés à l’ordinateur durant leur vie professionnelle. L’utilisation de celui-ci était surtout
liée à ses fonctionnalités intrinsèques (traitement de texte, gestion de dossiers,...). Internet
n’était qu’un outil permettant de dialoguer avec le reste de l’entreprise ou de travailler. Or,
leur pratique montre qu’ils utilisent principalement l’ordinateur pour aller sur Internet. Ainsi,
il semble que la navigation sur la Toile ait pris le pas sur l’utilisation de l’ordinateur
« déconnecté », même si cette dernière était parfois l’une des motivations d’achat de
l’ordinateur.
Les représentations d’Internet ne sont pas aussi uniformes que celles liées à l’ordinateur.
Deux représentations ressortent des interviews. La première est purement fonctionnelle :
envoi et réception de mails, gestion des abonnements et des finances, des démarches, etc. Il
a été dit plus haut que ce moyen de contact n’est pas très utilisé pour dialoguer avec les
proches. Néanmoins, l’envoi de mails semble être une pratique ancrée chez les seniors, pour
les cas où ils ne peuvent communiquer via le téléphone. Il apparaît que tous vérifient et
envoient des mails régulièrement. Dominique et Robert s’en servent pour gérer leurs
affaires professionnelles, l’un étant investi auprès de la Chambre de Commerce et l’autre
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
organisant des trajets pour aller à Lourdes. Les autres s’en servent pour contacter leurs amis,
en envoyant des informations ou des plaisanteries. L’idée de la connexion et de la mise en
réseau avec leur cercle social semble être importante dans la représentation que les seniors
se font d’Internet.
L’autre représentation marquée est celle de l’ouverture sur le monde. Internet apparaît
comme le monde des possibles. C’est un univers ouvert où les sujets abondent et où les
ressources d’informations sont multiples et facilement accessibles. Persiste néanmoins une
certaine retenue quant aux informations disponibles sur la Toile. « C’est un monde ouvert,
plein de promesses, mais avec beaucoup d’écueils qui sont difficiles à éviter. […] Il y a des
bêtises sur Internet », déclare Catherine. « [Internet, c’est] un peu comme la langue d’Ésope,
c’est-à-dire à la fois la meilleure et la pire des choses » dit Joël. Cette idée revient dans
plusieurs interviews, pour ne pas dire dans toutes. L’ensemble des interviewés reconnaît que
le Web est une révolution pour ce qui est de l’accès à l’information. Mais ils s’accordent à
dire que « les avantages sont liés aux désavantages du système », comme dit Dominique,
« c’est un système très ouvert. […] Mais c’est aussi très complexe donc difficilement
maîtrisable en profondeur, et pas maîtrisé du tout ». Les allusions aux forums douteux et
blogs extrémistes viennent illustrer cette retenue. Tout le monde peut publier sur Internet,
mais les informations ne sont pas toujours fiables et pertinentes. C’est pour cela que les
seniors entretiennent une certaine méfiance à l’égard des informations disponibles sur le
Net.
3.2.2.3 La peur de la dépendance
« Internet, c’est comme la cigarette. C’est bon quand tu en fumes deux par jour, mais trois
paquets, c’est mauvais pour la santé. », dit Dominique. « On peut vite devenir accro […] Il
peut y avoir une accoutumance, une addiction. » rajoute Denise. Le champ lexical de la
dépendance et de la drogue revient souvent dans les entretiens, à l’instar de « tomber
dedans », « savoir vivre sans », « ça devient vite indispensable ». En isolant ces expressions,
on pourrait presque croire que les interviews traitent de dépendance des seniors à la
drogue. Ce phénomène porte un nom : la cyberdépendance.
Avant d’aller plus avant, il est nécessaire d’expliquer un peu plus ce qu’est la
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
cyberdépendance. Selon le site sur traitant de ce sujet 11, le phénomène se définit par « toute
dépendance à l’univers informatique », lorsqu’une personne fait « un usage distordu des
moyens de communication offerts par Internet ». La personne dépendante ressent le besoin
d’être constamment connectée au réseau. Sa vie sociale ou personnelle se résume à ses
activités sur Internet, ce qui a des conséquences dévastatrices sur sa vie familiale ou
professionnelle dans « la vraie vie ». Certains ont même recours au mensonge pour ne pas
reconnaître à quel point ils sont dépendants, de la même façon que le font les fumeurs
invétérés en déclarant fumer moins que ce qu’ils ne consomment réellement. En cas de
rupture avec le monde de l’informatique, le sujet devient anxieux, désorganisé et
obsessionnel.
Il existe cinq types de dépendances : la cyberjeu dépendance, la cybersexe dépendance, la
cyberdépendance dépensière, la cyberdépendance relationnelle, et le cyberamassage.
D’après les interviews, les seniors redoutent les deux derniers types cités ci-avant. Le
premier a trait aux relations sociales. Le sujet développe des relations sociales sur le réseau,
et peut arriver à délaisser les relations qui n’ont pas lieu sur le Net. Tout d’abord, il faut
noter que les retraités ne font pas la différence entre les relations dites médiatisées et les
relations virtuelles. Les premières répondent au schéma de communication « hommemachine-homme ». Il s’agit de relations ancrées dans la réalité, mais réalisées grâce à un
outil, en l’occurrence l’ordinateur. Les relations dites virtuelles seraient plutôt d’ordre
« homme-machine ». C’est-à-dire que l’interlocuteur n’existerait pas dans la réalité. Pour les
seniors interrogés, la communication via l’informatique est forcément virtuelle, et
foncièrement dangereuse. « J’entends tellement de gens autour de moi qui sont devenus
accros à Internet, au point d’en délaisser leur vie de famille… ». Nadine décrit ici l’un des
symptômes de la cyberdépendance : l’internaute laisse de côté sa vie pour porter toute son
attention sur ses relations médiatisées par ordinateur.
Ce qui est paradoxal ici, c’est que les retraités semblent choqués de voir des gens discuter
avec leurs amis sur Internet, alors qu’eux-mêmes font la même chose avec le téléphone.
Après tout, le téléphone est, au même titre que l’ordinateur, un moyen de mettre deux
personnes en relation. Or, la communication via le téléphone leur paraît tout à fait naturelle.
On peut penser que cet outil est plus familier aux seniors. Ils l’ont complètement intégré
11 Adresse du site Internet : http://www.cyberdependance.fr
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Eloria VIGOUROUX
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dans leur mode de vie. Ils ne ressentent donc pas la défiance qu’ils éprouvent vis-à-vis de
l’informatique, cette dernière pratique étant trop récente pour eux.
Le second type de dépendance redouté des seniors concerne le stockage compulsif et sans
limite d’informations trouvées sur le Net. L’internaute passe alors des heures à récolter des
informations sur le Net. « Tu commences à faire un recherche, puis de fil en aiguille, tu
cherches autre chose. Tu restes parfois deux heures, trois heures sur l’ordinateur. Cela, je
n’en ai pas envie, ça me fait peur » déclare Denise, dont la citation aurait pu être reprise par
Christiane et Nadine. Cette technique est appelée « butinage », que Denise explique très
bien : « C’est comme une libellule sur le lac, tu vas de fleur en fleur ». L’internaute, dans
cette situation, se laisse porter par les liens et les informations reliées au sujet qui
l’intéresse. Dans le cas de la dépendance, cette pratique est poussée à l’extrême. C’est ce
qui semble être si effrayant pour les retraités interviewés. Pour eux, l’ordinateur est un outil
pratique, qui améliore leur confort, mais qu’il faut utiliser avec parcimonie. « Il y en a qui ne
peuvent plus vivre sans » explique Nadine. Cette idée de dépendance à l’informatique
effraie les seniors. La grande majorité d’entre eux, pour ne pas dire tous, affirment faire
attention à leur utilisation pour ne pas devenir dépendants de l’ordinateur. Passer plus de
deux heures face à un écran apparaît comme le seuil à ne pas dépasser pour éviter de
devenir « accro » à Internet.
Ceci met en lumière un nouveau paradoxe. Les huit personnes interviewées ont une
utilisation très instrumentalisée et limitée de l’ordinateur, qu’elles n’utilisent que
lorsqu’elles en ont besoin. Or, elles parlent toutes de leur peur de sombrer dans la
dépendance. Les jeunes, quant à eux, passent beaucoup plus de temps connectés sans
sembler se préoccuper de la dépendance, alors qu’ils le devraient. Ainsi, les seniors qui
apparaissent comme préoccupés par ce problème seraient les moins bien placés pour
développer un comportement déviant.
3.2.2.4 Le leitmotiv des seniors : « il faut vivre avec son temps »
Un stéréotype a plusieurs fois été cité dans ces dossiers. Il affirme que les retraités sont
réfractaires aux innovations. Or, comme il l’a également été dit plus haut, il n’en est rien. On
pourrait dire que le leitmotiv des retraités est « Il faut vivre avec son temps ». Cette phrase
revient dans absolument tous les entretiens, notamment quand on aborde le préjugé selon
50
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
lequel les retraités ne savent pas utiliser Internet. Ils ne se sentent pas du tout concernés par
ce stéréotype, au point qu’ils semblent parfois surpris qu’on leur pose la question. « Les
techniques évoluent, et nous, on évolue aussi. On ne devient pas vieux et acariâtre au
premier jour de la retraite. […] Puis la vieillesse, c’est un état d’esprit » déclare Dominique.
L’association Fondation Travail-Université (FTU) de Belgique a publié une étude résumant
assez bien la relation entre les nouvelles technologies et les retraités.12
« Avec l’âge, la technologie devient tantôt un obstacle identitaire, tantôt un
marqueur identitaire positif. L’obstacle se présente quand les innovations
récentes ne parviennent pas à créer du sens par rapport à l’expérience
antérieure, notamment l’expérience professionnelle ou les habitudes de la
famille. En revanche, l’innovation est perçue comme porteuse de sens et
d’identité quand elle permet de prolonger des expériences positives, de créer
des activités ou des relations nouvelles. […] L’utilité perçue ou mesurée d’une
innovation technologique est un critère dont l’importance augmente avec l’âge.
L’utilité est toujours évaluée en fonction d’un contexte familial, professionnel
ou social, qui évolue. Des contextes changeants peuvent favoriser l’adoption de
nouvelles technologies, comme le téléphone portable, la photo numérique,
l’ordinateur ou Internet, lorsque la perception de leur utilité se modifie
subitement. Cette attitude pourrait être qualifiée d’opportunisme raisonnable.
[…] Par ailleurs, le fait de ne pas percevoir l’utilité est le facteur explicatif le plus
souvent cité dans les enquêtes auprès des non utilisateurs des TIC. »
On peut analyser ces représentations en deux points : la corrélation entre la technologie et
l’expérience antérieure / le prolongement des activités, et le concept d’utilité, de confort. La
relation des « nouveaux seniors » avec l’informatique diffère de celle entretenue par leurs
aînés avec ce même outil. Quatre personnes sur les huit interrogées ont appris à utiliser
l’ordinateur dans le cadre du travail. Seule Maya n’a jamais eu de réelle carrière
professionnelle et a appris l’informatique dans le cadre privé. La démocratisation de
l’informatique est récente. C’est seulement depuis quelques années que ce denier s’est
imposé dans les familles. Mais du point de vue professionnel, cela fait un certain temps qu’il
12 Extrait complet dans la section ANNEXES
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
est utilisé. Les premiers contacts entre les interviewés et l’ordinateur remontent de 1982 à
1992. Ils ont donc plus de vingt ans de pratique. Dominique, ingénieur à l’origine, a même
été formé à utiliser les tableurs dans les années 1960. Cet outil fait depuis longtemps partie
de l’environnement technologique des seniors de moins de soixante-dix ans. Il leur est donc
naturel de continuer à l’utiliser aujourd’hui. Pour reprendre l’expression utilisée par la FTU,
l’ordinateur parvient à « créer du sens par rapport à l’expérience antérieure ». Il y a une
continuité dans l’utilisation de l’informatique par les seniors.
L’extrait fait aussi référence à la notion d’utilité. Tous les consommateurs portent attention à
l’utilité du produit qu’ils achètent. S’il en est dénué, il arrive souvent qu’il soit reposé en
rayon. Plus l’individu avance en âge, et plus il va être pointilleux sur les caractéristiques du
produit qu’il convoite. La consommation est d’avantage vue comme une nécessité chez les
seniors. Ils se procurent donc en priorité les accessoires, les produits qui leur sont utiles. La
nouveauté n’est donc appréciée que si elle apporte une valeur ajoutée à leur quotidien.
L’utilisation du produit découle sur une amélioration du confort et des loisirs. Ceci est très
perceptible dans les entretiens. « Avec internet, l’information, tu l’as tout de suite. Il n’y a
pas besoin de se déplacer. », « Je pense que les vieux [se sont mis à l’informatique] parce
que c’est une commodité » sont deux exemples parmi ceux qui abordent la notion de
confort.
L’informatique apporte un réel confort aux seniors, en leur donnant un accès simple et
rapide aux informations qu’ils recherchent. Ainsi, on ne peut affirmer que les retraités sont
réfractaires aux innovations. Celles-ci ne sont adoptées que lorsqu’elles représentent un gain
de confort et de loisir.
3.2.2.5 Un attachement très profond aux médias classiques
Les seniors ont été interrogés sur leurs pratiques des médias classiques. Une question était
dédiée à ce thème. Le but était de savoir s’ils avaient délaissé la radio, les DVD, CD ou les
journaux au profit d’Internet. Ils l’ont fait de leur propre initiative, sans avoir besoin d’être
sollicités. Comme il a été dit précédemment, la radio, les journaux ou la télévision n’offrent
qu’un accès limité à l’information. On aurait donc pu supposer que, comme les jeunes
générations, les seniors laisseraient de côté ces médias pour ne plus s’informer que par
Internet. Il n’en est rien, bien au contraire. Tous les entretiens démontrent que les seniors
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
ne privilégient pas Internet pour ce qui est de l’information journalistique. Ils se tiennent
très au courant des actualités, surtout à travers la radio et la télévision. Ces médias sont
depuis longtemps inscrits dans le quotidien des seniors, et n’ont pas été abandonnés avec
l’arrivée d’Internet. Les médias sont associés à certains moments de la journée. Pour
Christiane, par exemple, le rituel du petit déjeuner ne peut pas être envisagé sans la radio.
Allumer cette dernière est l’un des premiers gestes du matin. Il en va de même avec les
informations télévisées, qui concordent le plus souvent avec l’heure des repas. Les médias
classiques sont très ancrés dans le quotidien des seniors. Catherine par exemple, est une
grande auditrice de la radio. À vrai dire, on peut supposer que ce n’est pas tant l’accès à
l’information qui importe. C’est plus l’ambiance, le contexte, le rituel lié à cet accès qui
compte. La lecture du journal ou l’écoute de la radio sont des moments appréciés à part
entière.
On retrouve ceci avec l’équipement en nouvelles technologies, comme le lecteur DVD ou les
chaînes Hi-fi. Les seniors ne regardent pas de vidéo et n’écoutent pas de musique sur
l’ordinateur. De leurs discours ressort la notion de qualité. Ce mot revient énormément :
qualité du son, qualité de l’image, etc. On peut relier ce mot à la notion de confort. Le
visionnage d’un film ou l’écoute d’un CD relève d’un moment de loisir dont les retraités
profitent pleinement. Aucun ne télécharge, que ce soit légalement ou pas. Ceci est
totalement contraire aux pratiques des jeunes chez qui le téléchargement est largement
répandu. Chez les seniors, il ne s’agit pas d’une simple consommation. C’est un réel moment
de plaisir et de détente dont tous les éléments doivent être les plus agréables possibles. Cela
se constate dans le fait que cinq des huit seniors fréquentent beaucoup les salles obscures.
Maya, par exemple, décrit la sensation qui lui fait une salle de cinéma. « Je vais aussi
beaucoup au cinéma. Environ une ou deux fois par mois, en fonction de la programmation.
J’aime beaucoup y aller, il y a toute une ambiance qui va avec. Ce n’est pas simplement
regarder un film, mais c’est s’installer dans le fauteuil, voir les lumières s’éteindre, et tout.
J’aime bien. ».
On peut aller jusqu’à dire que ces moments répondent à tout un rituel qui permet peu à peu
de décrocher de la réalité pour se laisser porter par le film ou la musique. Ce sont des
moments de détente et de déconnexion. Pour les seniors, la qualité des vidéos et sons sur
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
l’ordinateur ne sont pas agréables. Denise les qualifie même de « plats » et de « nasillards ».
« Je n’écoute que des musiques riches en son, que ce soit du classique, de la musique
cubaine ou turque. Donc il me faut une certaine qualité dans le son, que je ne retrouve pas
sur l’ordinateur » dit-elle. Elle parle aussi d’un film, Raison et sentiments, qu’elle a regardé
sur l’ordinateur, puis sur une grande télévision : « Quand j’ai revu ce film sur la télévision, je
l’ai redécouvert : les détails, les mimiques des acteurs, l’intonation dans les dialogues, la
taille des pièces. C’est important parce que ça participe à l’ambiance du film. Je n’avais pas
trouvé tout cela […] sur mon petit écran ». Ce n’est donc pas tant regarder un film ou
écouter de la musique qui compte. Ce sont tous les détails et rituels qui permettent de se
projeter hors du temps. C’est se plonger pendant une centaine de minutes dans un univers
qui permet de rompre avec le quotidien, la réalité.
Les retraités sont également très attachés aux objets, à l’aspect matériel des choses. Joël,
par exemple, qui suit tous ses comptes sur le Net, déclare ne pas pouvoir se passer de la
version papier. On sent que l’idée d’avoir une version matérielle est rassurante. Il en va de
même pour les films et CD audio. Les retraités ne disposent pas de version numérique, et
préfèrent acheter les objets. Denise par exemple, s’achète peu de CD et DVD, mais tous ceux
qu’elle possède ont une réelle valeur pour elle. Dominique présente un rapport paradoxal
avec les versions numériques de morceaux de musique. Il a en effet un électrophone qui lui
permet d’enregistrer ses vinyles sur clés USB. « C’est génial, parce que j’ai ce son si agréable
du vinyle, tu sais, ce petit grésillement du diamant sur le disque, mais en version numérique.
Du coup, je me grave des CD pour la voiture ». Ceci est une méthode astucieuse pour
conserver la qualité recherchée, tout en s’adaptant aux contraintes modernes, comme le fait
qu’il n’y ait pas de « tourne disque » dans une voiture !
Le constat est le même pour ce qui concerne la lecture. « Moi, j’adore les livres. Tu vois,
j’aime toucher, écrire des notes dessus, corner une page », « Je n’accroche pas trop avec la
tablette. Je préfère les versions papier. » déclarent encore une fois Catherine et Dominique.
Les tablettes sont rejetées en bloc par les seniors. Le contrat de lecture est donc un élément
bien ancré chez cette catégorie de population. Dominique, enthousiasmé par le sujet,
déclare « Ah la presse écrite, c’est un vrai plaisir, au-delà de la simple lecture. C’est toucher
le papier, c’est comme un livre ». Denise, une très grande amatrice de lecture, reste dans le
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Eloria VIGOUROUX
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même thème « Il faut que je touche, il faut que je sente. Le plaisir de la lecture, c’est aussi le
plaisir qui va avec la lecture ». Le contrat de lecture est donc fort chez les retraités. Tous
décrivent le contentement que leur provoque la lecture, le plaisir sensoriel. Le contact avec
le livre, son poids, son format, sa mise en page sont d’autant d’éléments qui participent à
l’histoire. L’odeur peut même jouer un rôle important. L’odeur d’un livre ou l’écoute d’une
chanson aimée peut parfois faire remonter de vieux souvenirs du temps passé. Un peu
comme la fameuse madeleine de Proust.
4 Les modes de propagation de l’innovation
4.1 L’empirisme comme mot d’ordre
Selon Jacques Perriault, dans Éducation et nouvelles technologies, le mot « transmission »
comporte deux notions. La première consiste en une transmission des valeurs de la société,
et la seconde en une transmission de savoir-faire. Dans le cas qui nous occupe, il semble que
ce soit cette dernière qui s’applique. Le but du professeur est d’enseigner les différentes
règles d’utilisation de l’ordinateur pour que l’élève puisse naviguer en toute autonomie,
comme un artisan apprendrait les règles du métier à son apprenti. Il y a également, selon
Perriault, deux conceptions de l’apprentissage du savoir. L’une traditionnelle pouvant être
qualifiée de théorique : l’élève tient un rôle de spectateur face au discours du professeur. Il
s’agit pour lui de retenir à l’identique le discours dicté. La seconde, défendue par Lev
Vygotski et Jean Piaget, s’inscrivant dans une logique constructiviste : « le sujet apprend en
construisant lui-même son savoir par interaction avec son environnement ». Le cas des cours
d’informatique étudiés ici est un sorte d’hybridation entre ces deux concepts de
l’apprentissage, avec une légère dominante pour la logique constructiviste. « On fait de suite
les exercices. », confie Nadine, « On passe directement à la pratique. […] C’est comme ça
qu’on apprend le mieux ». Ce fait peut être étayé par l’exemple de Maya qui a appris à se
servir de l’ordinateur en « cliquant partout ». Il semble que la logique constructiviste soit
primordiale dans l’apprentissage de l’informatique. Néanmoins, dans le cadre du cours,
l’élève n’est pas en totale autonomie, puisqu’il est soutenu par le discours du professeur lui
indiquant la marche à suivre pour utiliser l’ordinateur. Les deux concepts s’hybrident, donc,
pour construire une méthodologie d’apprentissage complète, méthodologie qui va être
exposée ci-dessous.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Il se trouve que Nadine est la seule à être réellement débutante et à avoir suivi un cours très
théorique avec Philippe, à l’occasion d’un cours d’initiation à Internet. Ce dernier s’est
déroulé de manière très théorique. Nadine n’avait alors jamais connecté son ordinateur à
Internet. Le premier geste de Philippe a été d’installer un antivirus. Cette démarche a pour
lui été l’occasion d’expliquer à Nadine les dangers d’Internet : virus, piratage, liens
frauduleux. C’est le seul cas où l’élève n’a pas fait d’exercice pour suivre un cours magistral.
Pour ce qui concerne le reste des cours, il semble que l’hybridation des deux logiques
d’apprentissage ne soit ressentie ni par le professeur, ni par les élèves. « J’ai tout basé sur
des exercices, sur la pratique » déclare Philippe, le professeur. Il a été ingénieur
informatique, mais n’avait jamais donné de cours avant d’arriver au Centre Social de
Bagatelle. Il a donc adapté ses cours aux demandes et besoins des élèves. Ces derniers
expriment des attentes d’ordre pratique : se familiariser davantage à l’environnement de
l’ordinateur, apprendre à rédiger et mettre en forme un document, classer des dossiers,
etc…Les nouveaux élèves ont déjà des bases informatiques. « De plus en plus, j’ai affaire à
des gens qui maîtrisent un peu, soit à cause des petits enfants, soit à cause du travail » dit
Philippe. Même s’il reconnaît que ces personnes n’ont qu’une connaissance basique, il ne lui
semble pas nécessaire d’enseigner les règles fondamentales de l’informatique. Pour lui, il est
plus important de les faire pratiquer que de dispenser un cours magistral. C’est une
démarche très empiriste. C’est d’ailleurs une caractéristique très appréciée des élèves. C’est
pour eux l’un des points forts du cours.
4.2 Désacralisation de l’outil
La majorité des retraités interrogés semble cultiver quelques fantasmes autour de
l’ordinateur et d’Internet. Prenons l’exemple de Joël. Il a été victime d’une fraude à la carte
bleue, qui, d’après lui, est liée à Internet. Or, il déclare « On ne savait pas vraiment d’où ça
venait. On m’a dit qu’il s’agirait de gens qui auraient accédé à une série de numéros au
hasard. » Et lorsqu’on lui fait remarquer l’absence de preuve liant la fraude à Internet, il
répond : « Ben si... Enfin, non... Mais si, c’étaient des gens à l’étranger qui avaient repéré
sûrement des gens avec des cartes bleues proches des miennes au niveau des numéros. »
Gêné, il change ensuite brutalement de sujet. Tout au long de son discours, Joël assimile cet
incident aux dangers d’Internet. Il reste persuadé que le premier est dû aux défaillances du
second. Cependant, rien dans ce qu’il déclare ne laisse entrevoir un quelconque lien entre
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
ces deux éléments. « D’après ce qu’on me dit » ou encore « quand on entend ce qui se dit »
sont des expressions qui reviennent souvent dans les entretiens. Il s’agit de formules très
générales qui peuvent aussi bien émaner des médias que d’amis ou de parfaits inconnus,
dont les paroles ont été interprétées et répétées. Il semble que la peur, l’appréhension des
seniors se fondent sur les discours négatifs qu’ils peuvent entendre sur Internet. Les
retraités font également souvent référence aux jeunes qui tombent facilement dans la
dépendance, allant même jusqu’à utiliser le champ lexical de la drogue. Comme le dit
Philippe, les retraités sont « cette génération qui a peur que l’ordinateur prenne le pas sur
l’humain ». L’idée qu’ils ne puissent pas maîtriser l’univers de l’ordinateur est un facteur
facilitant les inquiétudes des seniors.
De plus, la démocratisation de l’informatique reste un événement récent. Cette technologie
n’est pas encore aussi familière et assimilée que peuvent l’être la télévision ou la radio.
Perdure ainsi une aura de mystère autour de l’ordinateur et d’Internet qui alimente les
discours de défiance et de méfiance envers l’informatique. Le manque d’expérience et de
pratique dont souffrent les retraités les pousse parfois à s’en méfier. Comme le dit Jacques
Perriault, l’informatique représente « une multitude d’experts et de compétences ». Ceci
cause souvent de grosses appréhensions chez les novices, qui « se font tout un monde de
l’ordinateur », pour reprendre les mots de Nadine. Philippe décrit très bien cela :
« Alors, là, c’est un de mes premiers objectifs de dédramatiser l’ordinateur, de
montrer qu’il ne faut pas en avoir peur. […] A une infirmière, par exemple, je vais
lui dire ’’Ben écoutez, moi, je ne suis pas capable de faire une piqûre ou des soins à
un malade. Donc chacun a ses connaissances. Mais en s’y mettant un peu, on y
arrive. Donc je ne vois pas pourquoi vous n’y arriveriez pas’’ ».
Il confirme donc en partie ce qu’avance Perriault. L’informatique, comme tout autre
domaine, requiert des savoirs et des compétences, qui sont accessibles par l’apprentissage.
Il dédramatise ainsi la « multitude d’experts et de compétences » de Perriault. Il montre qu’il
n’y a pas de raison d’appréhender la pratique informatique. Il la désacralise en montrant que
les appréhensions des élèves sont en partie dues à la peur de l’inconnu, appréhensions qui
disparaissent au fur et à mesure de l’apprentissage. Comme dit le dicton « c’est en forgeant
qu’on devient forgeron ».
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De même, l’un des buts de Philippe, dans le cadre des cours au Centre Social de Bagatelle,
est de montrer à ses élèves que l’ordinateur « n’est qu’une machine » comme il dit. « Donc
je leur dis qu’il faut qu’ils s’imposent [...], [que l’ordinateur] n’a pas de volonté, mais une
série de programmes qui font que si on ne demande pas clairement ce qu’on veut, il va
continuer comme il est programmé ». Il remet ainsi « l’appareil » à sa juste place. Il rappelle
aux seniors que ce n’est qu’une machine, au même titre que la télévision ou la radio, n’ayant
pas de volonté propre. Philippe très souvent tourne en dérision cette machine, l’humour
étant un atout de poids pour transmettre son savoir. Il dit que l’ordinateur est « un peu
bête », qu’il faut lui expliquer clairement ce qu’il faut faire pour qu’il comprenne. Il joue ici
avec les représentations des seniors, mais en leur ôtant tout aspect menaçant ou
impressionnant. Cela lui permet de faire comprendre aux seniors que l’erreur survient non
par une malveillance de l’ordinateur, mais bien par une mauvaise manipulation de leur part.
Les seniors craignent également le piratage et autres fraudes sur Internet. Philippe rappelle
lors d’un cours que les dangers peuvent être limités grâce à un antivirus et le bon sens de
chacun. Une fois encore, il brise les représentations des seniors en rappelant qu’il suffit de
respecter quelques règles simples pour limiter les problèmes.
4.3 La figure du médiateur : instrument primordial de propagation
Le médiateur semble avoir une place primordiale dans l’apprentissage. Sa personnalité et sa
capacité à transmettre son savoir de manière claire conditionnent la réussite de la
transmission du savoir. Philippe est un ancien ingénieur passionné d’informatique. Voilà
bientôt dix ans qu’il enseigne l’informatique au Centre Social de Bagatelle, alors qu’il
s’agissait à l’origine d’un simple
remplacement. Paradoxalement ce professeur
a dû
apprendre de nombreuses pratiques pour assurer ce cours. « J’avais des secrétaires. Donc,
moi, je ne connaissais pas du tout la bureautique. […] Au départ il a fallu que j’apprenne la
bureautique, parce que Word, je n’avais jamais pratiqué. Donc j’ai appris assez vite, avant de
commencer à donner les cours. » On peut considérer que cet apprentissage rapide et récent
de la bureautique a constitué un atout pour ses cours. L’écart de pratique entre ses élèves et
lui s’en est trouvé réduit. Il lui a été plus aisé de se mettre à la place de l’élève qu’un
enseignant classique.
L’une des qualités de ce professeur repose sur son esprit d’adaptation, tant aux niveaux des
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Eloria VIGOUROUX
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élèves qu’à leur progression ou à leurs demandes. Comme il le dit lui-même, les participants
à son cours ont des niveaux hétérogènes, ont des rythmes d’apprentissage plus ou moins
lents, ont plus ou moins d’habileté. Cependant, il n’a pas d’objectifs à réaliser en fin d’année
et peut donc se permettre de laisser à ses élèves le temps d’intérioriser les savoirs dispensés
en cours. Philippe est issu du milieu professionnel informatique. Il maîtrise un langage
complexe qui est incompréhensible pour les personnes non initiées. « Je ne cherche même
pas à passer du temps à leur expliquer pourquoi [l’ordinateur] s’est éteint, parce qu’ils ne
comprendraient pas mon langage. » Comme le dit Denise : « Il sait beaucoup de choses sur
l’ordinateur, mais explique avec simplicité pour ne pas perdre ses élèves ». Il reste dans des
explications simples. Lorsqu’un problème survient, comme il l’a été constaté durant
l’observation de cours, il l’analyse et juge s’il est ou non pertinent d’expliquer l’erreur à
l’usager. Par exemple, si le texte s’affiche au milieu et non en justifié, il explique à son élève
la cause de son erreur. Il essaie de ne pas leur donner des informations trop compliquées en
conservant un langage simple. Il utilise des mots et métaphores sorties de la vie courante,
afin que ses explications soient en accord avec l’univers de ses élèves, comme « la petite
télévision » pour désigner l’icône de sauvegarde. « Ça ne coule pas de sources pour elles »,
en parlant de ses élèves13. Les retraités d’aujourd’hui n’ont pas grandi avec l’informatique,
contrairement aux générations plus jeunes, et il existe une barrière entre eux et la machine
qui les empêche d’être réellement à l’aise avec l’informatique. C’est une donnée qui
conditionne l’enseignement de Philippe.
La patience est également un élément fondamental de la transmission du savoir. « Je suis
patient. Comme je n’ai pas d’objectifs, je peux me le permettre » ; « ils progressent à leur
rythme », explique Philippe. Ces idées reviennent souvent dans son discours. Il leur permet
de prendre le temps de comprendre et d’intérioriser les nouveautés à leur rythme. Ceci est
d’autant plus important que les apprenants ne sont pas à l’aise avec l’outil. Certaines comme
Denise ou Nadine ont une aversion prononcée envers l’ordinateur. Les forcer à coller à un
rythme qui ne leur convient pas serait une grave erreur, qui pourrait favoriser un
décrochage. D’autres, comme Dominique ou Robert, tendent à se braquer rapidement en
cas de problème s’ils n’en comprennent pas la cause. « Ce que j’aime bien chez lui, c’est
qu’il nous laisse le temps. Il n’hésite pas à nous répéter cinquante fois la même chose pour
13 Étrangement, Philippe parle toujours de ses élèves au féminin, bien qu’il compte des hommes parmi ses
élèves. Peut-être la majorité numérique a-t-elle causé cette originalité de langage. (NdA)
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
qu’on comprenne... Et ce sous cinquante formes différentes ! Il ne nous presse pas. Pour
quelqu’un, comme moi, qui ai besoin de tout comprendre, c’est vraiment agréable »,
confirme Christiane.
La pédagogie adaptée par Philippe vise également à mettre le retraité en confiance afin de le
rendre autonome. « Il se coupe en quatre. Il ne laisse jamais personne derrière. Puis il est
tout le temps en train de nous encourager, en train de nous dire qu’on fait de progrès […] Il
nous tire toujours vers le haut, quoi. À aucun moment il ne nous a laissé nous décourager. À
aucun moment » déclare Nadine d’un air jovial. Cette notion de mise en confiance est
omniprésente durant les cours. Même lorsque l’élève bute sur une difficulté, Philippe l’aide
à débloquer la situation et à dédramatiser son erreur, avec humour et simplicité. De plus, les
exercices mis en place14 sont très détaillés et ont pour but de rendre le retraité autonome
dans sa pratique. C’est ce que Granjon appelle le transfert de savoir. Il s’agit d’apprendre à
l’élève assez de choses et dans la finalité qu’il soit autonome. « Ce que je fais, c’est leur dire
comment le faire, leur donner les outils, pour qu’ils soient ensuite autonomes » dit Philippe.
De même, les élèves peuvent revenir d’une année sur l’autre même si « selon moi, ils
n’auraient pas forcément besoin de continuer. Mais s’ils en ont envie, alors ça m’est égal ».
Conclusion
L’un des points forts de ce dossier est qu’il tente d’abolir les préjugés et les idées préconçues
que la société véhicule sur la population retraitée. Cette dernière est difficile à appréhender,
puisque très hétéroclite, aussi bien au niveau des revenus qu’au niveau de la santé ou des
habitudes de consommation. La société a tendance à lisser cette diversité pour véhiculer une
image négative, basée sur la dépendance, les problèmes financiers ou encore la solitude. Ici,
nous avons vu que les seniors sont loin d’être aussi marginaux, bien au contraire. La tranche
d’âge étudiée montre que les jeunes retraités sont aussi pleins de projets et pleins de vie
que peuvent l’être les autres strates de la population. Ils désirent consommer et continuer
de faire partie de la vie sociétale au même titre que les plus jeunes. Étant donné l’évolution
démographique, il apparaît urgent de réviser cette image négative allouée aux retraités afin
de mieux les considérer et de mieux les intégrer dans l’économie et la société. Ils ont
beaucoup à apporter : ils ont la sagesse et l’expérience qui manquent aux jeunes. Une telle
étude pourrait enrichir les débats actuels sur la considération portée aux retraités.
14 Cf exemples d’exercices dans la section ANNEXES
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Cette étude amène également quelques éléments de réponse sur les attentes et pratiques
culturelles des retraités. Afin de servir une population, il est nécessaire de connaître ses
goûts et ses habitudes quotidiennes. Ici, nous avons vu que les retraités ont le goût du
confort et sont attachés aux médias classiques d’information. Ils semblent vite débordés par
les problèmes des technologies qu’ils ne maîtrisent pas. De plus, ils n’apparaissent pas
comme des consommateurs effrénés, puisqu’ils achètent peu et semblent bien s’informer
sur l’utilité des produits avant de passer commande. Est-ce pour cela qu’ils sont quelque peu
boudés par le marketing ? Ils ne sont pas indifférents à la nouveauté, bien au contraire, mais
se posent davantage de questions sur les apports de la dite nouveauté. Ils sont réfléchis,
moins impulsifs et plus économes que les jeunes. Il est donc nécessaire que les marketeurs
favorisent l’étude de cette population afin de mieux les comprendre et d’adapter leurs
produits et discours. Ces derniers pensent trop souvent que les retraités sont réfractaires à
leur langage. Mais il semble qu’ils n’ont simplement pas encore trouvé les mots justes pour
les toucher.
Au cours de cette étude, nous nous sommes interrogée sur les pratiques et les
représentations des nouveaux retraités vis-à-vis de l’informatique. Les seniors aiment le
confort, aussi bien le confort d’écoute que celui d’utilisation. Ils préfèrent regarder un film
sur l’écran de télévision ou écouter un CD sur leur chaîne HI-FI car ces supports sont plus
performants que l’ordinateur. Ils sont également très attachés aux médias classiques tels
que la télévision, la radio ou les journaux pour les informations quotidiennes. Le contrat de
lecture est aussi très ancré chez eux, puisque tous rejettent la lecture sur supports
numériques au profit de livres en version papier. Tenir l’objet, le soupeser, le sentir, et
tourner les pages sont des gestes étroitement liés au plaisir de la lecture. L’ordinateur
semble être considéré comme un simple accessoire chez les seniors. Principalement utilisé
pour la recherche d’informations, il sert aussi à acheter ou à communiquer avec les amis
lointains via les mails. Il donne accès à de nombreuses ressources dont les seniors seraient
privés sans lui. Ils ne veulent cependant pas tomber dans la dépendance et sont très vigilants
à leur temps d’utilisation de cet outil. Nous nous étions posée la question de savoir si les
cours d’informatique pouvaient créer du lien social. Suivre des cours s’inscrit dans une
démarche très utilitariste, où le senior vient chercher des réponses à ses problèmes
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
techniques. C’est une posture très individualisée, la création de lien social ne semblant pas y
avoir sa place. Il apparaît par contre que le transfert de savoir se fasse aisément, le
professeur s’adaptant aux attentes et niveaux de ses élèves, en restant toujours très positif.
L’intérêt de ce dossier est qu’il a donné la parole aux retraités, cette population étant encore
très peu investiguée par les chercheurs. Ainsi les opinions et les pratiques exprimées au
cours des entretiens vont – elles à l’encontre des idées préconçues et des stéréotypes
communément véhiculés. Les retraités constituent une population en passe de devenir de
plus en plus importante dans la société française. Il s’agit d’un nouveau profil sociologique
qu’il faudrait étudier afin de mieux le comprendre et mieux le servir.
Ce document ne constitue que l’ébauche d’une réflexion sur la population des nouveaux
retraités. Ces derniers ont un rôle à jouer dans la société. Le temps est donc venu de leur
accorder plus d’attention et d’importance. Une étude sociologique plus large permettrait
sûrement de mieux cerner cette population. En somme, étant donné le peu d’écrits dédiés à
ce sujet d’actualité, cette étude mériterait une réflexion plus approfondie, étayée par un
échantillonnage plus étendu de la population ciblée.
62
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
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http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon02145
(consulté le 12 mars 2013)
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http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon02229
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
ANNEXES
1. Tableaux et extraits
1.1
Le taux d ’équipement en ordinateur du CREDOC
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
1.2
Les groupes d’âge quinquennaux en France
1.3
La projection de l’évolution démographique jusqu’en 2060
68
Eloria VIGOUROUX
2
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Extrait de l’étude de la Fondation Travail-Université
Chapitre Technologies et Vieillissement
« Avec l’âge, la technologie devient tantôt un obstacle identitaire, tantôt un marqueur
identitaire positif. L’obstacle se présente quand les innovations récentes ne parviennent pas
à créer du sens par rapport à l’expérience antérieure, notamment l’expérience
professionnelle ou les habitudes de la famille. En revanche, l’innovation est perçue comme
porteuse de sens et d’identité quand elle permet de prolonger des expériences positives, de
créer des activités ou des relations nouvelles. Ces deux attitudes renvoient à des
représentations opposées de la fin de carrière, de la retraite et du vieillissement, que l’on
peut caricaturer par deux formules : “laissez-moi tranquille” ou “permettez-moi de rester
dans le coup et de m’émanciper”. L’utilité perçue ou mesurée d’une innovation
technologique est un critère dont l’importance augmente avec l’âge. L’utilité est toujours
évaluée en fonction d’un contexte familial, professionnel ou social, qui évolue. Des contextes
changeants peuvent favoriser l’adoption de nouvelles technologies, comme le téléphone
portable, la photo numérique, l’ordinateur ou internet, lorsque la perception de leur utilité
se modifie subitement. Cette attitude pourrait être qualifiée d’opportunisme raisonnable. La
diversité des modes de vie des travailleurs vieillissants ou des retraités entraîne une grande
variabilité de leurs attitudes à l’égard des nouvelles technologies, précisément parce les
perceptions de l’utilité sont diversifiées et changeantes. Par ailleurs, le fait de ne pas
percevoir d’utilité est le facteur explicatif le plus souvent cité dans les enquêtes auprès des
non utilisateurs des TIC. »
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3
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Exemple d’exercice réalisé en cours
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3/4
4/4
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Grille d’entretiens
L’imaginaire, les représentations :
- À quoi pensez-vous quand vous entendez le mot « ordinateur » ? et « Internet » ?
- J’aimerais que vous me disiez ce que vous ressentez vis-à-vis d’Internet (plutôt monde
chaleureux, ouvert, ou autre)
- Avez-vous des appréhensions à utiliser l’ordinateur et Internet ? D’où vous viennent ces
appréhensions (médias, proches, collègues,...)
-Beaucoup trouvent que c’est une « ouverture sur le monde », est-ce le cas pour vous ?
L’informatique dans le cadre des cours au centre social :
- Quand et dans quel cadre avez-vous utilisé Internet pour la première fois ?
Si avant de commencer les cours : dans quel contexte avez-vous utilisé
l’informatique ?
Si pas avant : enchaîner sur la suite des questions
- Quand avez-vous commencé à suivre des cours au centre social et pourquoi vous y êtesvous inscrit ?
- Saviez-vous utiliser un ordinateur avant de vous inscrire à ces cours ?
- Combien de cours suivez-vous par semaine ?
- Qu’est-ce que vous apporte le cours d’informatique (aussi bien sur le plan technique que
moral) ?
- Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait être amélioré ?
- Quel est le point fort des cours que vous suivez ?
- Comment trouvez-vous votre professeur ?
- Qu’est-ce qui, dans votre utilisation de l’ordinateur, a changé depuis que vous suivez les
cours ?
- Avez-vous noué des liens avec les autres « élèves » ? Vous voyez-vous en dehors des heures
de cours ?
L’utilisation en général :
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
- Qu’est-ce que vous apporte Internet ? (divertissement, culture, ouverture, facilités,...) ?
- Est-ce que l’arrivée de vos petits enfants, ou l’éloignement de vos enfants vous a poussé
à avoir davantage recours à Internet ?
- Avez-vous eu plus tendance à utiliser Internet depuis que vous avez cessé votre activité
professionnelle ?
- Que faites-vous quand vous utilisez l’ordinateur ? Et Internet ?
=> Êtes- vous inscrits sur des réseaux sociaux ?
=>Utilisez-vous Internet pour garder contact avec des proches, renouer des liens ou
faire des rencontres ?
=> Faites-vous des achats sur Internet ?
- Est-ce que vous utilisez les autres médias (presse écrite, TV,...)?
- Quelles difficultés rencontrez-vous aujourd’hui ?
- Comment réagissez-vous en cas de problème ?
- Qu’est-ce qui vous déplaît en Internet et l’ordinateur ?
- Préférez-vous vous fier à votre intuition ou prêtez-vous attention à ce que vous proche
peuvent penser d’Internet (dangers, fiabilité,...) ?
- Que pensez-vous des stéréotypes comme « les vieux ne savent pas utiliser Internet » ?
5
5.1
Notes prises durant des cours d’informatique
Notes du 5 février 2013
Ne sont présents au cours que cinq élèves dont trois retraités. Cours d’initiation à
l’informatique où ils apprennent à faire du traitement de texte et à prendre en main
l’ordinateur (gestion de dossiers, classement de photos,...)
Philippe, le professeur, adapte son vocabulaire technique pour entrer dans l’univers des
élèves. Il emprunte des termes bien connus des élèves, et les applique au contexte
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
informatique : « la petite télé », par exemple, correspond, dans le langage adapté, à l’icône
d’enregistrement du document.
Le professeur distribue des fiches pour réaliser l’exercice qui porte aujourd’hui sur la
tabulation (détail de la méthodologie et texte à recopier). Explication détaillée et pas à pas. Il
leur fait voir le texte sans et avec mise en forme pour leur montrer l’intérêt de l’exercice.
Le professeur humanise l’ordinateur, comme pour désacraliser la machine et la rendre moins
impressionnante et plus abordable pour les élèves : « je demande à mon ordinateur
d’enregistrer », « vous lui parlez à votre ordinateur », « vous lui dites : je veux une police
16 ». Pédagogie qui permet de ne pas effrayer les élèves et surtout de leur donner des
repères avec un langage qui leur est familier. Il « casse la barrière de la langue ». Cela semble
être particulièrement efficace.
Le professeur fait en sorte d’être présent auprès de chacun de ses élèves pour les soutenir.
Les fiches semblent être accessoires et davantage dédiées au travail à la maison. Il prend le
temps de détailler les erreurs de l’élève pour qu’il la comprenne et ne le refasse pas.
Le professeur établit une bonne humeur générale dans le groupe de travail, permettant de
créer le lien et la communication entre les différents individus. Fait quelques traits d’humour
qui établissent une bonne atmosphère durant le cours.
Points négatifs : le professeur parle vite et ne finit pas toujours ses phrases. Cela ne semble
pas perturber les élèves outre mesure, mais un débit plus lent et plus calme serait
probablement bénéfique à la transmission du savoir. Il donne également quelques détails
annexes qui sont intéressants mais hors sujet. L’attention d’une des élèves semble diminuer
fortement lors de ce type d’intervention. À la fin du cours, les élèves rentrent chez eux aussi
rapidement qu’ils sont arrivés au Centre Social.
5.2
Notes du cours du 10 février 2013
Quatre élèves, deux retraités. Cours d’initiation à l’informatique : apprendre les dangers et
bénéfices de la navigation, ainsi que des choses plus pratiques. Aujourd’hui, les élèves créent
75
Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
une adresse mail ou gèrent leurs e-mails. Le cours est séparé en deux groupes : les initiés et
les débutants.
Le professeur adapte les cours en fonction des élèves. Certains sont inscrits depuis deux ans
ou ont déjà de bonnes bases ; d’autres sont tout à fait débutants. Il montre aux initiés qu’ils
peuvent tout faire et ce de façon autonome. Certains semblent manquer de confiance en
eux : posent des questions par précaution, alors qu’ils connaissent la réponse. Le professeur
reste très positif et les soutient beaucoup. Malgré tout, il essaie de les laisser s’en sortir
seuls, en les laissant formuler les réponses à leurs questions, qu’ils connaissent déjà.
Il se concentre sur les débutants. Ils voient environ une nouveauté par cours durant les six
premiers mois. Il modifie ensuite les cours pour confirmer les savoirs acquis durant l’année
ou travailler sur des choses qui ne sont pas comprises. Les débutants se concentrent chacun
sur leurs écrans sans tenir compte des autres, alors que les confirmés sont plus détendus et
n’hésitent pas à se taquiner.
L’atmosphère est beaucoup plus calme et studieuse que le cours du 5 février, du fait que
chacun reste sur son ordinateur et concentré sur ses tâches. Le cours ne semble pas
favoriser le lien social ou développer la solidarité entre les élèves, qu’ils soient débutants ou
initiés. Le lien pourrait se créer si les élèves étaient moins concentrés sur leur ordinateur. On
peut penser que c’est le point négatif de la méthodologie d’apprentissage : l’empirisme qui
est de mise empêche les élèves de communiquer entre eux, auquel cas ils seront en retard.
Ils sont dans une position de consommateurs. Ils viennent suivre le cours au Centre Social
pour ensuite rentrer chez eux. C’est ce que la majorité des gens répondent lorsque je leur
pose la question de savoir s’ils se voient en dehors des cours.
5.3
Notes de cours du 11 février 2013
Il y a trois élèves confirmés. C’est la seconde année qu’ils suivent ce cours. Philippe, le
professeur, adapte donc les travaux et exercices. Il m’explique que ce sont des élèves qui
connaissent tout ce qu’ils ont besoin de savoir. Il leur donne des exercices de mise en page à
reproduire, de façon à leur prouver qu’ils peuvent désormais tout faire avec leur ordinateur
et ce de façon autonome. Le thème du cours est aujourd’hui la mise en page sur traitement
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
de texte.
La première partie du cours (environ 30-35minutes) se déroule dans le calme et le silence le
plus total. Chacun des trois élèves se concentre sur son ordinateur sans tenir compte de
l’environnement qui l’entoure. Le professeur s’installe à un ordinateur et travaille de son
côté. C’est assez déroutant de voir que ces élèves savent faire des choses plus techniques
que certains jeunes adultes, pourtant plus habitués à travailler sur ordinateur. Il est
également paradoxal de voir ces trois dames poser des questions basiques et perdre
contenance lorsque l’ordinateur affiche un pop-up, alors qu’elles semblent bien s’en sortir.
On peut penser que leurs connaissances et confiance restent limitées à ce qu’elles voient en
cours. Elles n’ont pas encore l’aisance et la confiance des jeunes, qui eux, n’hésitent pas à
cliquer et « bidouiller » (pour reprendre le terme d’une des élèves) pour trouver la solution à
leur problème.
L’ambiance de ce cours est donc totalement différente du premier cours auquel j’ai assisté.
La création de lien semble plus difficile que dans le cours débutant. On peut penser que les
difficultés que ces derniers est un vecteur de solidarité et de création de liens. Les débutants
sont-ils plus aptes à créer des liens que les confirmés ? Ils semblent ici être dans une position
de consommateur (je viens en cours, je suis le cours pour lequel j’ai payé et je pars), et non
pour créer du lien.
La fin du travail semble plus laborieuse que le début. Les élèves font alors appel au
professeur. Il passe élève par élève pour régler le problème. Il prend la souris et rectifie
l’erreur en expliquant ce qu’il fait. Il passe brièvement sur le pourquoi de l’erreur. On peut se
demander s’il ne serait pas plus pédagogique d’expliquer à l’élève pourquoi il s’est trompé et
comment résoudre la situation en le laissant guider la souris. Cela lui permettrait d’avoir une
expérience plus empirique de la rectification de son erreur. Néanmoins, le professeur ne
prend pas la souris à chaque fois. Il lui arrive souvent d’expliquer en pointant l’écran avec le
doigt. Il parle assez vite et se perd parfois dans des détails qui n’ont pas forcément leur place
dans le thème du cours.
À partir du moment où le travail devient laborieux, les élèves commencent à se parler. Deux
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
d’entre eux tentent de s’aider pendant que le professeur s’occupe de la troisième, mais sans
grand résultat. Ce dernier, pourvu d’un grand sens de l’humour, fait rire l’élève à ses dépens.
Toute la classe rit.
Les élèves arrivent au bout du premier exercice, enregistre et passe au second. Ils semblent
à l’aise. L’une d’eux rencontre un souci, le professeur arrive et prend la souris pour résoudre.
Il semble avoir quelques difficultés à trouver une solution. Pendant ce temps, les deux autres
élèves s’entre-aident dans la bonne humeur. Les élèves se taquinent en riant.
La stagiaire en événements culturels, Émilie, vient poser une question au professeur. Alors
qu’il est occupé, l’une des élèves demande à Émilie de venir l’aider à faire un ligne en
pointillé. Émilie lui montre en ajoutant « je fais comme ça, mais je ne sais pas si c’est
vraiment catholique ». Cette attitude est très intéressante. La plupart des choses que font
les jeunes avec l’ordinateur n’est pas « conventionnel ». Ils utilisent des raccourcis, une
technique de « débrouille », de « système D » pour arriver à leur but. Or, dans ce cours, les
élèves apprennent la « vraie » façon de faire un tableau ou de mettre en forme. L’écart entre
la stagiaire et son aînée est amusant à voir. Les élèves s’en vont directement à la fin du cours
sans plus de cérémonie.
Point négatifs : pas de création de lien social entre les élèves, ou entre le professeur et les
élèves, malgré la bonne humeur présente à la fin du cours. Le professeur parle vite et ne finit
pas forcément ses phrases.
78
Eloria VIGOUROUX
6
6.1
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Entretiens avec les retraités
Entretien avec Denise, 58 ans
Je voudrais d’abord que tu me parles de la façon dont tu perçois l’ordinateur et Internet.
Par exemple, si je te dis « ordinateur », à quoi tu penses ? Qu’est-ce que tu associes à
l’idée d’ordinateur ? Ordinateur… moi, « dossier », « travail ». « Ordinateur », c’est aussi
« mail », « Internet ». Voilà, j’allais te demander ce que tu pensais pour « Internet ». Oui,
j’associe les deux, tu vois. En fait, la partie travail, c’est-à-dire la constitution de dossiers et
cetera. Et puis, aussi c’est la communication avec l’extérieur, avec les mails et Internet. Ça
veut dire aussi aller rechercher des documents sur tel ou tel sujet qui m’intéresse, aller voir
aussi l’actualité, un peu. Moi, je fais partie de la génération qui a été formée à l’ordinateur
pour le travail. Donc on a été formés par des ingénieurs informaticiens. On a d’abord été
formés sur la classification des dossiers, savoir faire des lettres et tout ça. Ensuite, dans un
deuxième temps, on nous a reliés à Internet. On a alors pu échanger des e-mails, en réseau
et cetera. Et après, avec l’évolution de ma carrière, quand j’ai commencé à travailler au
niveau de la qualité, j’allais carrément chercher des informations sur Internet. J’ai ainsi
appris à développer des méthodes de recherche, en allant directement sur les sites
spécialisés, afin de trouver les informations rapidement.
En parlant d’Internet : comment te tu sens quand tu navigues ? Est-ce que tu te sens bien,
ou ça reste un univers un peu méconnu, où tu ne maîtrises pas tout ? Moi, c’est un monde
dont je me méfie toujours un peu. Tu vois, j’achète très, très rarement sur Internet, parce
qu’on doit se servir de la carte bancaire. Et j’ai peur, justement, qu’il y ait des captations, des
fraudes et cetera. Donc il y a des choses que je ne fais pas sur Internet. Autant je vais
chercher de la documentation ou m’informer sur différents sujets qui m’intéressent, autant
je ne fais pratiquement jamais d’achat sur Internet. Et d’où viennent ces appréhensions ?
D’une expérience : ma belle-mère, il y a vingt ans de cela, avait fait un achat sur Internet. Et
en fait, elle s’est aperçue qu’on lui prélevait des petites sommes tous les mois. Ça n’excédait
jamais 700 à 1000 francs, parce que c’étaient les francs à l’époque. Mais, ça avait été
régulier pendant quelques mois. Le banquier avait prouvé que c’était à la suite de cet achat
que sa carte avait été copiée, qu’elle avait donné lieu à des fraudes. Depuis, je me suis
toujours méfiée. Même sur les sites sécurisés, je m’en méfie. Et ça ne te dirait pas d’ouvrir
un compte PayPal ? Euh… là, ce n’est pas une question de confiance, mais je n’ai pas
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
l’habitude de m’en servir. Je n’ai pas cherché à apprendre parce qu’à chaque fois, je
m’arrange autrement : je paye par chèque, ou ma fille commande pour moi avec sa carte et
je la rembourse. Je n’ai pas ressenti le besoin. Oui, tu trouves des solutions alternatives.
Voilà, voilà. Solutions alternatives, ou alors je regarde l’article qui m’intéresse sur Internet
puis je vais l’acheter en magasin. C’est marrant, parce que d’habitude, c’est plutôt
l’inverse : on cherche dans les magasins avant de commander sur Internet. Oui, mais moi je
suis une originale (rire).
Selon toi, l’informatique est-il une fenêtre d’ouverture sur le monde ? Ah oui, tout à fait.
Justement, il y a une liberté extrême, une quantité de sites… Je veux dire, tu n’aurais jamais
cette possibilité avec des livres… Pourtant je suis une très grande lectrice. Mais, avec
Internet, l’information, tu l’as tout de suite. Il n’y a pas besoin de se déplacer, d’aller à la
bibliothèque. C’est de la facilité, et puis en fait, si tu veux, on te crée cette facilité. Tu
cherches un renseignement, tu le trouves, et puis hop, ça te fait penser à autre chose et tout
de suite tu peux vérifier et tu as des réponses. C’est action/réaction finalement. Oui, voilà,
exactement. Ça te permet… C’est comme une libellule sur le lac, tu vas de fleur en fleur (rire)
en faisant attention de ne pas te perdre, parce qu’on peut devenir accro, aussi.
Tu te méfies de l’information disponible sur Internet ? Ah oui, oui, oui, oui ! C’est une
information qu’il faut relativiser. Il faut croiser les sources, aller voir sur différents sites…
Mais c’est comme l’information en général. Dans les journaux, c’est pareil : tu lis le journal
de tel bord, puis la presse de tel bord, puis tu te fais une idée en ayant eu les deux avis. Il
faut se faire son idée personnelle.
OK, d’accord. Et j’ai oublié de te demander quelque chose. Tu as des appréhensions à
utiliser Internet, mais est-ce qui tu as des appréhensions à utiliser l’ordinateur ? Quand
j’allume mon ordinateur, je suis entièrement en confiance. Après, durant l’utilisation, il y a
des problèmes qui peuvent survenir, et à ce moment-là, je suis perdue. En cas de
dysfonctionnement, j’appréhende beaucoup. Je ne cherche pas à le régler moi-même. Je
préfère l’amener à un informaticien et qu’on le répare à ma place. Quand je travaillais à
l’hôpital, j’allais au service informatique. Je disais « voilà, il s’est passée telle chose, qu’est-ce
que tu me conseilles ». Lui m’expliquait comment faire, et si je n’y arrivais pas, je lui amenais
l’ordinateur et il me réglait le problème. Mais je ne suis pas suffisamment en confiance pour
essayer de régler des problèmes toute seule. J’utilise ce que je sais utiliser. Dès qu’on doit
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
utiliser une fonction que je ne connais pas, j’attends que quelqu’un soit disponible pour
venir m’aider. Je ne suis pas née avec Internet comme vous. Vous, les jeunes, vous êtes nés
avec l’ordinateur et Internet, et vous n’avez pas autant d’appréhensions à aller fouiller sur le
disque dur ou des réglages avancés. Tandis que ma génération, ou moi en tout cas, il y a
comme une… Enfin, j’ai une appréhension, quoi. De ne pas savoir faire, ou de me dire que
c’est compliqué, et que je n’aurais pas les compétences suffisantes pour y arriver.
Et donc, quand tu rencontres un problème, tu restes calme et tu demandes de l’aide. Ah
oui, oui, oui. J’appelle et si on peut me dépanner par téléphone, tant mieux, sinon, je
l’apporte à quelqu’un pouvant me le réparer. Je confie à plus compétent que moi (rire). J’ai
toujours peur d’effacer un fichier ou un logiciel important. L’autre jour, j’ai effacé un logiciel
par inadvertance. C’est mon fils qui me l’a fait remarquer, en me disant « tu n’as plus tel
programme ». Et c’est vrai que je n’arrivais plus à lire certain documents qu’on m’envoyait.
Bon, il me l’a remis, et ça marche de nouveau. Il m’a dit ce que j’avais fait, il m’a montré
comment il fallait faire pour réinstaller le logiciel et voilà. J’ai fait ma fiche, comme à chaque
fois qu’on m’explique une marche à suivre et voilà. Je fais souvent ça, mais c’est vrai que
quand un problème survient, je n’arrive pas à trouver moi-même ce qui ne va pas.
J’aimerais maintenant que tu me parles des cours que tu suis au Centre Social. Pourquoi
t’es-tu inscrite ? En réalité, je me suis inscrite en septembre pour en savoir plus sur
l’environnement de l’ordinateur. Je veux dire... Je maîtrise bien tout ce qui est traitement de
texte, Power Point et tout ça. Mais j’ai du mal à gérer mes dossiers, savoir où trouver quoi
comme fonctionnalité. La dernière fois, mon fils me parlait d’aller sur le lecteur C de mon
poste de travail, et je n’ai pas compris ce que c’était. En fait, dès que quelque chose survient
sur quelque chose qui sort de mes compétences, je ne sais pas comment m’en sortir... Je fais
tout ce qu’on m’a appris, mais dès que c’est quelque chose qui sort de ce que je sais, là, j’ai
peur. J’ai besoin qu’on m’explique. M’expliquer pourquoi c’est arrivé, comment c’est arrivé,
et que faire pour régler le problème. Question que la fois suivante, je ne sois pas
désemparée. Comme ça, je n’aurais pas d’appréhension, parce que je saurais identifier le
problème. De ce fait, je suis un cours par semaine. Mais je pense que je suis un peu trop
qualifiée pour le groupe, parce que la majorité des élèves sont des vrais débutants, et je
n’apprends pas vraiment ce que je souhaitais apprendre en m’inscrivant. J’apprends des
choses utiles, mais je souhaiterais avoir une aide plus ciblée sur mes besoins.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
C’est un point à améliorer, selon vous ? Oui et non. Je pense que les cours sont conçus pour
des débutants, et non pour des personnes qui, comme moi, ont déjà des bases. Après, je
pense qu’on aurait pu un peu mieux me renseigner quant au niveau du groupe. D’un autre
côté, ce n’est pas plus mal de reprendre les bases. Je me suis rendue compte que, même
dans le traitement de texte, il y avait des choses que je faisais mal ou qui me prenaient plus
de temps qu’il n’en faut pour le faire. Je me suis faite mes petites fiches, comme à l’époque
où je travaillais, que je consulte quand j’en ai besoin. Ce n’est donc pas une année perdue ?
Non. Je le pensais durant les premiers cours, mais finalement, j’ai appris des détails qui sont
utiles... Je ne pense pas me ré-inscrire l’an prochain. Du moins dans ce centre. Je verrai
comment je m’en sors, et si je ressens encore le besoin d’être aidée, je démarcherais
différents centres pour retraités et voir s’il y a des cours qui pourraient me convenir. Ta
pratique a-t-elle changée depuis que tu suis ces cours ? Pas vraiment. Ça m’apporte
beaucoup de connaissances, mais j’étais déjà autonome avant de commencer les cours, et
j’utilise toujours l’ordinateur de la même façon.
Et quel est le point fort du cours ? Eh bien, nous manipulons beaucoup. Nous n’avons pas
beaucoup de théorie mais beaucoup de pratique, qui nous mettent dans le bain. Comme on
dit « un dessin vaut mieux qu’un long discours ». En l’occurrence, faire un exercice vaut
mieux qu’une longue explication sur la méthode à suivre pour effectuer le dit exercice. Puis
Philippe, notre professeur, est très patient avec les élèves. Je m’en sors bien, donc je ne le
sollicite pas souvent. Mais quand je le vois avec les autres élèves, je me dis qu’il est très
compétent, et très pédagogue. Il sait beaucoup de chose sur l’ordinateur, mais explique avec
simplicité pour ne pas perdre ses élèves. Puis il a beaucoup d’humour. Il instaure un climat
agréable durant les cours. C’est toujours un plaisir de venir en cours.
Est-ce que tu as créé des liens avec les autres élèves ? Vous voyez-vous en dehors des
cours ? Non, pas vraiment. J’ai toujours été très indépendante, et je n’ai pas vraiment
cherché à me faire de nouveaux amis. Ils sont tous très gentils, mais j’ai déjà mes activités à
côté. Autant au cours d’espagnol on a réussi à créer un petit groupe sympa, autant à
l’informatique, la sauce ne prend pas. Peut-être est-ce que ça vient aussi du fait qu’il est plus
facile d’organiser des sorties avec le cours d’espagnol, puisque nous prévoyons une sortie en
Espagne. Ou peut-être que s’ouvrir à une culture nous ouvre aussi aux autres... On pourrait
partir loin dans ce raisonnement ! (rire)
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
(Rire) Oui, tout à fait, mais tenons-nous-en à l’informatique ! À quelle époque est-ce que
tu as utilisé un ordinateur pour la première fois ? Alors, la première fois, ça devait être en…
1992, quand je suis arrivée à l’Hôpital Marin. On n’avait pas encore d’ordinateur, mais j’ai eu
envie d’apprendre à m’en servir. Donc j’ai pris des cours au conseil général. Donc ce n’était
pas lié à ton travail ? Non. Non, non. C’est moi qui ai fait la démarche. J’avais une semaine
de vacances et je me suis inscrite à un cours qui durait cinq jours, au Conseil Général. C’était
un cours gratuit où on nous enseignait à nous servir d’un ordinateur. Savoir créer un dossier,
taper, programmer la feuille de style et tout ça. C’était surtout de la bureautique. C’était en
octobre 1992. À partir d’avril 1993, les services de l’hôpital où je travaillais ont été
informatisés, et à ce moment-là, nous, les cadres, avons bénéficié de plusieurs sessions de
formation. Mais là, c’était plus une formation pour le secrétariat : savoir ouvrir un dossier, le
taper correctement, mettre en forme, et surtout les classer. Après, un an ou deux peut-être,
on a eu Internet. C’était d’abord un réseau intérieur, et ensuite on a eu Internet.
Et tu as eu Internet chez toi à partir de quand ? Chez moi, euh… à la même époque je
pense. J’ai eu Internet après avoir suivi les formations, puis j’ai eu Internet à la maison, en
2001 ou 2002 je pense… Où quelque chose approchant. Mes enfants avaient dix ou onze
ans. Et l’ordinateur sans Internet, tu l’as eu quand ? Ah ça, très vite ! À partir du moment où
j’ai eu les cours au conseil général… Donc en 1992. Mais il n’y avait pas encore Internet. Le
premier ordinateur servait surtout à mon mari pour son travail, et c’était un Macintosh, alors
que moi j’avais été formée sur Microsoft. Le premier Microsoft que je me suis acheté, ça
devait être en 1999. Puis, on a eu Internet. J’ai acheté l’ordinateur pour travailler, parce que
j’avais souvent des dossiers ou projets trop conséquents pour n’être traités qu’au bureau. Je
mettais tout ce dont j’avais besoin sur une clé USB, et je travaillais chez moi, une fois que
mes enfants étaient au lit. C’était un travail prenant.
Et maintenant, tu n’as qu’un ordinateur portable ? Oui, oui, un treize pouces, pratique pour
le transporter. Je me le suis acheté quand j’ai accepté un nouveau travail à Angers. Il est
assez simple, je n’ai pas besoin d’une bête de course, comme mon fils par exemple, qui
l’utilise pour faire ses chansons de DJ.
Et est-ce que tu te rappelles des premières difficultés que tu as rencontrées lorsque tu as
commencé à utiliser l’informatique ? Ouh là oui, moi c’était d’appliquer les plus simples
consignes (rire). Au début, j’écrivais absolument tout : comment allumer l’ordinateur,
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
comment on ouvrait un dossier, comment créer une feuille de style. Avec des signes et des
couleurs. J’avais mon petit bouquin. Toutes mes collègues venaient copier dessus, parce que
finalement tout le monde avait les mêmes problèmes. Et quand on a été obligés de former le
personnel soignant cinq ans plus tard, j’ai ressorti mes petites fiches. Et tout le monde l’a
photocopié pour ensuite expliquer à leurs enfants. Ça faisait un peu « l’ordinateur pour les
nuls » et c’était très pratique. Mais c’était une appréhension parce qu’on n’avait pas
l’habitude. Maintenant, les jeunes ne font plus ça, parce que vous êtes nés dedans. Vous
avez une logique que nous on n’a pas. On avait une formation livresque : l’habitude d’aller
chercher dans un livre pour trouver une information, alors que vous, plus du tout. C’est une
démarche totalement différente, l’ordinateur. Il fallait donc apprivoiser la bête ! Maintenant,
on fait tout cela sans problème, c’est rentré dans les mœurs. Donc voilà, mon problème au
début, ça a été de suivre les démarches pour ne pas bloquer l’ordinateur. Ils n’étaient pas
aussi simples d’utilisation qu’aujourd’hui, donc à la moindre fausse manœuvre, ils se
bloquaient immédiatement. Mon objectif à l’époque, c’était d’appeler le moins possible les
ingénieurs informaticiens (rire). Parce que les pauvres, à l’époque, ils s’arrachaient les
cheveux. Il y a des collègues, qui avaient mon âge, qui n’ont jamais, jamais, jamais intégré
l’ordinateur. C’est toujours resté une difficulté pour elles. Alors que moi, au bout d’un
moment, je me suis habituée. Puis j’ai dû former les autres, donc j’ai été obligée de
comprendre. C’est comme ça qu’on évolue, on fait l’effort de comprendre.
Et qu’est-ce que t’apporte l’informatique aujourd’hui ? J’y vais essentiellement pour me
documenter. Je n’écoute jamais de la musique, je ne télécharge pas non plus. Je préfère aller
à la bibliothèque, prendre le temps de me choisir mon CD que de télécharger. Je suis
attachée à l’objet. Je fais des sélections, comme pour les DVD, je fais un choix dans ce que
j’emprunte à la bibliothèque, et les films ou CD qui m’ont vraiment plus, je les achète. Je
n’irai jamais lire sur une tablette. Il faut que je touche, il faut que je sente. Le plaisir de la
lecture, c’est aussi le plaisir des sens qui va avec la lecture. Donc j’y vais surtout pour
m’informer. Je crois que je n’ai jamais regardé de vidéo sur Internet. Mais je ne vais pas non
plus sur les réseaux sociaux.
Ah bon, pas de compte Facebook, ni rien ? Non. Enfin, ma fille m’a créé un compte sur
Facebook, mais je n’y suis jamais retournée depuis qu’on l’a créé. Je crois même que j’ai
demandé à ma fille de le supprimer. Pourquoi, comme tu n’y vas jamais, ça revient au
même. Je sais, mais ça m’angoisse quand même (rire). Je ne sais pas, avoir un profil à mon
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
nom… Enfin, j’ai pris le nom de famille de ma mère lors de l’inscription, pour ne pas qu’on
puisse me pister. Mais bon, quand même, j’appréhende. Quand j’ai envie de parler à
quelqu’un, je prends le téléphone et je l’appelle. Il y a une sorte de défiance, me dire que
quelqu’un peut nous observer… Sans avoir un complexe de Big Brother, mais bon… Laisser le
moins de trace possible, rien sur Internet.
Est-ce que tu utilises Internet pour garder contact avec ta famille, tes proches, ou renouer
avec des personnes perdues de vue. Oui, on correspond essentiellement par Internet avec
mes copines. On s’envoie des blagues, des informations. On s’appelle très rarement, à part
quand il y a une urgence. Tous les jours à midi, je vérifie mes mails. Par contre, renouer des
liens… Ma cousine est fan, elle cherche par fois pour moi sans que je lui demande. Elle me
donne des numéros de téléphone de personnes qui voudraient me revoir, mais je ne
rappelle jamais. J’ai ma vie et je n’ai pas besoin d’aller chercher dans mon passé. Chaque
période de ma vie et une page que je tourne. Une fois la page tournée, ça ne m’intéresse
plus, donc je n’ai pas ce besoin d’aller chercher des gens perdus de vue. La dernière fois, on
m’a parlé d’une personne qui voulait me revoir. Je ne me rappelais même pas son nom,
ensuite je me suis rendue compte que je confondais avec quelqu’un d’autre, donc tu vois…
Non, vraiment, ça ne m’intéresse pas. Donc Facebook, non (rire).
Je n’utilise pas la webcam parce que je n’en ai pas besoin. En revanche, lorsque j’aurais des
petits-enfants, je l’utiliserai tous les jours pour leur parler s’ils habitent loin. Enfin tous les
jours… à condition que leurs parents soient d’accord (rire). Je l’utiliserai vraiment comme
outil de communication. Plus que les mails ou le courrier. Ça oui, je serai à fond dedans
(rire).
Et tu m’as dit, tu fais très peu d’achat sur Internet, parce que tu n’as pas confiance. Non, je
n’ai pas confiance. Et malgré les solutions alternatives, tu continues à acheter très peu. Oui.
Vraiment, Internet, c’est quand je ne peux pas faire autrement. J’ai peur des détournements
de carte bleue, qu’on puisse lire les conversations… Et si Internet était mieux sécurisé, tu
achèterais plus régulièrement ? Ah oui, mais quelques fois tu peux. Quand tu cherches un
livre. Ça m’est arrivé d’appeler la personne pour que je paye par chèque. Ça m’est arrivé
plusieurs fois déjà. Mais tu n’as pas peur que la personne encaisse le chèque sans jamais
t’envoyer le produit ? Ah ben non, ça ne m’a même jamais effleurée… (rire) Mais bon, c’est
le même problème avec la carte bleue. Moi, je ne me défie pas de la personne. Moi, c’est le
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
fait qu’on puisse prendre mon numéro pour ensuite faire des prélèvements sans que je le
sache. Je confiance en la personne ou l’institution qui vend. Mais vraiment, j’ai peur qu’on
me pirate ma carte. Tu entends toujours… Moi j’ai des amis qui ont perdu jusqu’à 2000€
comme ça. Puis il y a aujourd’hui le système de carte à code à avoir en plus de la carte bleue
pour les paiements en ligne. Mais bon, même ça, dans quelque temps, les pirates auront
trouvé une parade et réussiront à détourner cet obstacle.
J’ai cru comprendre que ta fille s’était installée sur Paris. Je me demandais si l’éloignement
des proches te poussait à plus utiliser Internet ? Ah ben oui, bien sûr. Là, il y a ma fille qui
est partie… Il y a aussi mes anciennes collègues d’Angers : quand on échange, c’est rarement
par lettres. C’est toujours par mail. C’est tellement facile : t’envoies ton petit mail, dès que la
personne reçoit, tu as la réponse immédiatement. C’est mieux que d’envoyer une lettre. Ça
prend beaucoup plus de temps. Je vois le côté pratique et rapide. Puis c’est beaucoup plus
vivant que d’envoyer du courrier.
Et est-ce que tu fais des démarches administratives sur Internet ? Euh… pour la Sécu, oui.
Mais c’est tout. Enfin, je ne le fais pas parce que j’y pense pas. Je ne serais pas contre l’idée
de le faire.
Et aujourd’hui, est-ce que tu rencontres de problèmes dans ton utilisation ? Non, pour ce
que j’en fais… J’ai une utilisation restreinte et basique, donc je n’ai jamais de problème.
Beaucoup me demandent si mon écran n’est pas trop petit mais bon, c’est moi qui l’ai choisi,
donc il me va bien. Je le trouve parfaitement adapté à mes besoins. Je préfère avoir un petit
portable, parce que je peux le porter partout dans l’appartement.
Je vois que tu es bien équipée pour tout ce qui est « nouvelles technologies ». J’ai le câble,
une chaîne Hi-fi. Je trouve qu’une bonne chaîne, c’est important parce que j’écoute souvent
de la musique. Pareil pour le lecteur de DVD, j’en regarde souvent. Je lis beaucoup aussi, j’y
passe beaucoup de temps. Les tablettes ne m’attirent pas trop. D’abord, lire sur la tablette
ne me plaît pas parce que j’ai besoin du contact avec le livre. (réfléchit) Quand on écoute de
la musique sur l’ordinateur, je trouve que la qualité est mauvaise. Moi, il me faut une qualité
dans le son. Je n’écoute que des musiques riches en son, que ce soit du classique, de la
musique cubaine ou turque. Donc il me faut une certaine qualité dans le son, que je ne
retrouve pas sur l’ordinateur. Je trouve que c’est nasillard. Et de même, je n’aime pas
regarder un film sur le petit écran. Il me faut aussi une certaine qualité d’image, un certain
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
confort. Par exemple, tu vois, quand mes cousins m’avaient prêté Raison et sentiments il y a
trois ans, je n’avais pas de lecteur DVD parce que j’étais en train de déménager. Du coup,
j’avais regardé sur l’ordinateur, mais tu perds beaucoup de détails dans l’image et le son. Et
quand j’ai revu ce film sur la télévision, j’ai redécouvert le film : les détails, les mimiques des
acteurs, l’intonation dans les dialogues, la taille des pièces. C’est important parce que ça
participe à l’ambiance du film. Je n’avais pas trouvé tout cela lorsque je l’avais regardé sur
mon petit écran.
Quel serait pour toi le point négatif de l’informatique ? Bien, il peut y avoir une
accoutumance, une addiction. Moi ça m’arrive des fois, j’y fais attention. Tu commences une
recherche, puis de fil en aiguille, tu cherches autre chose. Tu restes parfois deux heures, trois
heures sur l’ordinateur. Ça, je n’ai pas envie, ça me fait peur. Donc je fais attention à ne pas
être trop sur l’ordinateur.
Et est-ce que tu continues à utiliser les autres moyens d’informations comme la télévision
ou la radio ? J’écoute toujours la radio, tous les jours. Pareil pour la télévision : je regarde
d’abord le journal national, puis régional. Sur les chaînes nationales, mais aussi privées,
comme ITV ou BFMTV, justement pour me faire une idée d’ensemble. Après, je ne lis pas la
presse quotidienne, mais je suis abonnée au « Monde diplomatique », qui porte d’avantage
sur des articles de fond. Internet, c’est quand même une évolution positive sur tout ce qui
est information et ouverture sur le monde.
Est-ce que tu aurais peur d’Internet pour tes petits enfants, quand tu en auras ? Je vais te
dire, je pense qu’Internet, c’est comme la lecture ou la radio : il faut une éducation à la base.
Il faut que les parents soient vigilants et à l’écoute des enfants, leur donner des valeurs et les
surveiller. Il ne suffit pas de leur expliquer, il faut aussi être avec eux. Je ne suis pas inquiète,
au contraire. Il faut juste surveiller, c’est comme tout.
Que penses-tu du stéréotype selon lequel les retraités, les « vieux » (rire) ne savent pas
utiliser l’ordinateur ? (rire) Eh bien, il n’y a pas de fumée sans feu. Il est vrai qu’on ne
maîtrise pas l’ordinateur comme les jeunes. Mais de là à généraliser... On se débrouille
quand même très bien. Puis je pense que cette idée s’applique surtout aux générations de
mes parents, ou même celles qui sont un peu plus vieilles que moi. Nous, nous avons quand
même utilisé l’ordinateur dans notre travail, donc nous avons une base assez bien construite
pour pouvoir nous en servir aujourd’hui. Rien à voir avec les vieux (rire) !
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Eloria VIGOUROUX
6.2
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Entretien avec Maya, 60 ans
Quel métier exerçais-tu ? Alors, moi, j’ai fait vendeuse, j’ai fait... à l’origine j’étais secrétaire
traductrice français-allemand en Algérie, dans une boîte de produit chimique. En fait, je
faisais fonction d’ordinateur. Parce qu’avant ça n’existait pas il y a quarante ce système de
fichier et tout ça. On le faisait manuellement. Donc j’étais l’ordinateur. Les produits
chimiques étaient classés par fiches, on travaillait essentiellement avec les facs et tout ça.
Alors quand les commandes de produits arrivaient, il fallait savoir l’état du stock. S’il n’y
avait pas de stock, il fallait commander et ainsi de suite. Maintenant je pense que mon poste
n’existerait plus. Mais après, quand on est rentrés en France, j’ai arrêté de travailler.
Tout d’abord, je voudrais que tu me dises à quoi tu penses quand je te dis le mot
« ordinateur ». Ordinateur … Bien je dirais « Internet », parce que je me sers surtout de
l’ordinateur pour ça. Et si je te dis « Internet » ? « Connexion ». Connexion à quoi, au
monde, à tes proches ? Ben oui, connexion... Ça permet de se connecter à quelque chose,
suivant ce qu’on cherche. Oui, effectivement ça peut être le monde ou des choses plus
simples aussi.
Est-ce qu’Internet t’apparaît plutôt comme un monde méconnu, froid ou tu t’y sens bien ?
En bref, qu’elle est ton ressenti vis-à-vis d’Internet ? Oui, c’est relativement accueillant... Je
n’ai pas de souci. Je cherche, je trouve ce que je veux. Si on bute, on trouve pas d’autres
moyens. Après, je n’ai pas de ressenti particulier.
Et est-ce que tu as des petites appréhensions à utiliser l’informatique ? La peur du
problème, ou en rapport avec ce que tu as entendu par les médias ou tes proches ?
Comment ça, ce qu’on a pu entendre ? Ben, l’idée générale qui dit que c’est dangereux,
qu’on peut se faire pirater ses comptes bancaires et tout ça. Ah, non, ça, ça ne me fait
absolument pas peur. Je pense pas du tout à ça. À partir du moment où on a un bon
antivirus, je pense que ça va. C’est peut-être idiot, je ne sais pas, mais c’est comme ça que je
le vois. Après, je ne rencontre presque jamais de problème, donc bon, tout va bien. J’ai mon
antivirus, je fais l’analyse à chaque fois. La seule chose qui m’enquiquine sur Internet, c’est
que dès que tu ouvres un page, Il y a des fenêtres qui s’ouvre pour des sites de rencontre. Si
jamais ta flèche a le malheur de passer dessus ou que tu cliques par inadvertance, hop tu
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
arrives sur le site. Et ça m’énerve (insiste sur le mot). Ça, ou alors le « Vous avez gagné ». Ça
arrive souvent. Si tu balades ta flèche, ça ouvre une fenêtre. Mais sinon à part ça … non, non
je me sens bien quand je navigue. Quand je fais mes achats, j’ai pas l’impression de me faire
pirater. Je m’inquiéterais plus si je ne trouve plus mon mot de passe (rire).
Tu penses que c’est une ouverture sur le monde ? Ah oui, quand même. Oui, oui, parce que
tu peux accéder à des choses auxquelles tu n’aurais pas accès si Internet n’existait pas. Ou
accès à des choses que je ne chercherais pas forcément dans des livres. C’est facile.
Quand et dans le cadre as-tu utilisé l’ordinateur et Internet pour la première fois ? Alors
mon premier ordinateur, je l’ai eu en 2005... On m’a acheté un appareil photo numérique et
j’ai acheté l’ordinateur pour pouvoir mettre les photos dessus. À l’époque, je savais rien
(insiste sur le mot) de l’ordinateur, ni d’Internet. Je n’avais jamais cliqué de ma vie. Je ne
savais même pas ce que ça voulait dire « cliquer ». Je te jure, ce n’est pas des bêtises. Et du
coup, tu as suivi des cours pour apprendre ? Non, non. J’ai acheté l’ordinateur dans un
magasin. On me l’a livré. L’informaticien est arrivé, m’a installé tout ça, en m’expliquant qu’il
fallait faire ci et ça. Quand il a terminé, je lui dis « je n’ai rien compris. Je n’ai jamais utilisé
une souris, je n’ai jamais allumé un ordinateur ». Il m’a répondu « Ah oui, il y a un souci là ».
Il m’a montré comment démarrer et tout, enfin les trucs essentiels, puis je me suis
débrouillée. Donc, je suis allée au centre multimédia, et là je suis tombée sur une copine de
ma fille qui m’a dit de ne pas y aller, qu’il suffisait que je demande à ma fille qui allait
m’expliquer. Puis comme c’était mon (insiste sur le mot) ordinateur, je m’amusais à cliquer
partout. Je me disais qu’au pire, je fermerai juste des programmes. En fait, ce que
j’entendais autour de moi, c’était « il m’a jeté quelque chose ». Tu sais, quand tu prends
l’ordinateur de quelqu’un, tu peux supprimer un dossier sans le faire exprès. Donc je me
disais « au pire je supprime quelque chose qui est à moi ». Bon, comme je n’avais rien, je ne
pouvais pas supprimer (rire). Ça m’a permis de naviguer comme je voulais en fait.
Donc les difficultés que tu as connues, c’était surtout de la prise en main. Et oui, surtout.
Parce que oui, c’était le B-A-BA de l’informatique. Bon, après, je me limite au traitement de
texte. Je sais un peu, mais ça ne m’intéresse pas, j’en ai pas besoin.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Mais pourquoi, alors que tu as appris toute seule, suis-tu des cours au centre social ? Ben
ma fille m’a fait la réflexion que je m’en sortais moyennement. Je veux dire, je tape mes
textes et tout ça, mais c’est un savoir assez basique. Bon, moi, ça me va, mais il semble que
je sois encore un peu trop novice au goût de ma fille (rire). Je me suis dit que ça me ferait du
bien d’avoir un peu plus de savoir. Ce n’était pas tellement une obligation, mais plus pour
m’apporter un peu plus de confort. Puis ce n’est que deux heures par semaine, et le centre
n’est pas loin de chez moi. Donc j’ai commencé en octobre, tranquillement. Le prof explique
bien, les gens sont gentils. J’y vais, mais je dois avouer que je n’ai pas trop cherché à devenir
amie avec les autres. Je viens faire mon cours, me concentrer sur mon ordinateur, puis je
repars à mes petites affaires. C’est peut-être un peu dommage... Enfin, bref, les cours sont
biens. Il nous montre comment des petits taches basiques, comme mettre un texte en forme
et tout ça. Mais ça ne change pas vraiment mon utilisation, tout simplement parce que je n’y
vais pas souvent, à part quand j’ai besoin. Je ne tape pas de courrier, je n’utilise pas trop les
mails... C’est plus pour ma culture personnelle que je me suis inscrite que pas nécessité.
Quel serait le point fort du cours selon toi ? Ils sont très bien construits. À chaque fois, on a
un sujet, un exercice et paf, on y va. On ne perd pas une minute. Puis Philippe est vraiment
d’une patience extraordinaire. On lui pose des questions les plus incohérentes et simplistes
qui soient, et lui y répond avec humour et concision. J’aime beaucoup sa façon de faire. Il y a
toujours une petite nuance d’amusement dans sa voix, mais jamais il ne se montre moqueur
ou injuste. Tu sais, il me fait un peu pensé à un Anglais, avec cet humour très distingué et
très imagé. Puis il explique simplement. Moi qui ai horreur de ne pas comprendre quand on
m’explique. J’ai besoin que les choses soient claires, sinon je laisse tomber. Avec lui, on a
l’impression que l’ordinateur est un petit animal vivant. « Il ne comprend pas quand tu lui dis
ceci », « ne lui demandes pas ça comme ça ». C’est rigolo, et en même temps très
pédagogique, puisqu’on comprend tous quand il explique de cette manière.
Quels seraient les points faibles alors ? Bien... Je n’aime pas trop la salle. Elle est toute
petite et on se marche un peu les uns sur es autres. Puis Philippe est très grand, et je trouve
qu’il fait trop grand dans cette salle (rire). Puis le pauvre est tout seul. Il veut être partout à
la fois sans vraiment y arriver. Je ne sais pas si c’est possible, mais il faudrait une deuxième
personne pour le seconder... Enfin, si on arrive à le faire rentrer dans la salle ! (rire)
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Qu’’est-ce que t’apporte Internet ? De la culture, du divertissement ? Qu’est-ce que
m’apporte Internet... (silence) Tu t’en sers souvent ? Ça m’arrive. Oui quelques fois, je m’en
sers toute la journée. Enfin, toute la journée, je fais quelques recherches. Et après je peux
rester des jours sans l’utiliser. J’y vais régulièrement quand même. Oui, mais tu n’y vas que
quand tu as besoin de quelque chose, et pas forcément pour flâner, non ? Oui, c’est ça. Si j’ai
un moment de libre, je n’irai pas sur l’ordinateur, non. Je m’en sers seulement quand j’ai
besoin. OK, et tu ne regardes pas de films ou écoutes de la musique sur l’ordinateur ? Non,
non du tout. Puis comme je t’ai dit, j’ai acheté l’ordinateur parce qu’on m’avait offert un
appareil photo numérique, et j’en avais besoin pour lire les photos. À la base, c’était juste
pour ça. Après, je me suis rendue compte que c’était utile pour d’autres choses. Mais le
vidéo ou la musique, non. J’ai des lecteurs CD, DVD et des radios dans toute la maison. Donc
c’est plus pratique que de le mettre sur l’ordinateur, où l’écran est petit et où le son est
moyen. Donc, voilà, je n’utilise Internet que pour faire des recherches et pour écrire aux
copines, de temps en temps.
Est-ce que l’arrivée de tes petits-enfants t’as poussé à d’avantage utiliser Internet ? Non,
non, du tout. Au contraire, depuis leur arrivée, j’ai moins de temps pour aller sur Internet
(rire). Bon, au début, et seulement pour le premier, on a utilisé la webcam. Ils étaient à Villefranche à cette époque, donc on en a acheté une. On en faisait tous les jours au début. Ça se
limitait à moi faisant des marionnettes devant l’écran. On en a une, mais depuis trois ans,
elle n’a jamais été allumée. Puis aujourd’hui, ils vivent à une heure de route, alors ça va. Puis
pour ma fille, quand elle quitté la maison, les webcams n’existaient pas. Alors voilà. Si je
m’ennuie, je n’irai pas sur Internet, à part si j’en ai besoin. Même les mails, je ne les vérifie
que de temps en temps Je ne veux pas tomber dans l’excès d’Internet.
Et les réseaux sociaux, tu y es inscrite ? Non, pas encore. Pas encore ? Tu comptes t’y
inscrire alors ? (rire) Non, non, je dis pas encore parce qu’on ne sait jamais ce qui peut
arriver ! Il suffit que mon mari s’en aille loin ou comme ça pour que je m’inscrive. Si je veux
communiquer plus facilement avec quelqu’un, je le ferai. Mais pas exposer mes photos, ça
ne m’intéresse pas. Puis je n’ai pas tant de photos que ça à exposer (rire).
D’accord. Tu me disais tout à l’heure que tu utilisais les mails pour communiquer avec tes
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
copines qui sont loin. La plupart oui, parce qu’elles sont éparpillées dans la France. Mais
renouer avec des personnes perdues, comme le font certains, non. On l’a fait une fois par
l’intermédiaire de ma fille. J’ai cherché des gens deux ou trois fois, mais bon... Ça ne
m’intéresse pas. Je reconnais que c’est bien. Les fois où j’ai eu besoin, c’est quand même
bien de pouvoir retrouver des gens... Mais j’ai peu de gens à retrouver. Donc forcément !
(rire)
Tu fais des achats sur Internet ? Oui, souvent. Une fois par mois environ. Et tu achètes
quoi ? Ça peut être des bouquins... Tiens la dernière fois je suis allée acheter des draps
housse pour lits évolutif. Ce sont des petits lits pour enfants que tu ne trouves pas dans les
magasins. Je suis allée sur « Le bon coin » et tout. Je les ai achetés sur « Priceminister ».
Et tu fais des démarches administratives ? Ça m’est arrivé, oui. Pour demander la carte de
couverture santé européenne, je l’ai fait par Internet...
Quoi que non... En fait j’ai
commencé par Internet. Mais il fallait des codes et mots de passe que je n’avais pas, parce
que c’est compliqué l’assurance maladie. Et j’ai fini par le faire au téléphone. C’était plus
facile. J’ai constaté que souvent, je réglais plus souvent le problème par téléphone. Ça me
prenait moins de temps. Parce que certains sites, comme l’assurance maladie, ne sont pas
simples. Il n’y a qu’un site où c’est bien, c’est « .gouv ». Et là encore... Il n’y a que pour voir
les points qu’il te reste que c’est utile.
Et aujourd’hui, tu as des difficultés particulière à utiliser l’informatique ? Pour ce que je
fais, non. Peut-être que si je me lançais dans d’autres recherches, je ne sais pas. Pour
l’instant non, je reste dans ce que je sais pas faire et ce dont j’ai besoin. Donc non. Après, si
j’ai des difficultés, j’appelle ma fille qui me dit « Débrouilles toi ! » (rire). Donc je me remets
à cliquer partout jusqu’à y arriver ! Je me débrouille assez bien, je pense. Je cherche pas à
comprendre ce qui va as. Il faut être logique. Pour se servir d’un ordinateur, il ne faut pas
réfléchir, je trouve. Plus tu réfléchis, et plus ça aggrave les choses. Il n’y a qu’une chose qui
est pénible, c’est que c’est lui qui décide tout. Si tu veux faire quelque chose et que lui ne
veut pas, tu peux faire ce que tu veux, tu n’y arriveras pas. On est un peu esclaves de
l’ordinateur des fois. Les photos par exemple. Il y a un truc que je n’ai jamais réussi à faire : il
ne les met jamais dans l’ordre que je veux, mais dans l’ordre que lui veut. Même si je les
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renomme. C’est horrible, ça. Quand il commence, je lui dis « fais comme tu veux ! » (rire).
Et en cas de problème, tu réagis comment ? Je ne m’énerve pas. Soit je le règle, soit je
téléphone au numéro de mon fournisseur. Et c’est vite réparé. Mais je n’ai pas réellement de
problème. Le seul, c’est quand je perds la connexion Internet, mais ça ne dépend pas de
nous, mais du fournisseur.
Qu’est-ce qui te déplaît en l’informatique ? Justement, ce fait que ce soit l’ordinateur qui
décide et pas toi ? Oui, exactement. Ça me déplaît au plus haut point. Ça m’énerve
profondément. Surtout que je n’ai pas réussi à le vaincre encore. La dernière fois, il ne
voulait pas me prendre une pièce jointe. J’ai réussi en la mettant dans un autre dossier, mais
bon... Je ne sais toujours pas pourquoi il ne voulait pas me la prendre. Donc voilà, c’est
l’ordinateur qui m’énerve le plus, parce qu’il est plus fort que moi (rire). Autrement, il y a les
fenêtres qui s’ouvrent Ça c’est énervant. Par exemple, quand tu es sur « Hotmail », il y a des
publicités sur le côté. Puis en plus, on est traçait. Quand j’avais cherché pour mes draps, j’ai
réalisé que ça apparaissait dans les publicités.
Je vois que tu es équipée en nouvelles technologies. Est-ce que tu délaisses la télévision ou
la radio pour l’ordinateur ? Non. J’aime bien les journaux, avoir le papier. Je vais aller voir un
article précis sur Internet, que je n’aurais pas pu lire ou voir à la télévision ? Mais je préfère
le journal. On n’est justement pas de la génération qui va tout voir sur Internet. Je lis
souvent le journal dans la voiture, et je me suis fait cette réflexion que les jeunes ne feront
plus ça, d’acheter et lire les journaux. Ils iront directement sur Internet. Ils n’achèteront que
les magazines spécialisés. Pour moi, le journal n’est pas sur Internet. Sauf si je n’ai pas
écouté la radio depuis plusieurs jours. Là j’irai voir les gros titres.
Et ta vision d’Internet, tu la bases sur ton expérience, ou tu fais aussi attention à ce que
disent les gens autour de toi et les médias ? Non, mon expérience. Chacun l’utilise comme il
l’entend, et s’il y a des choses qui ne sont pas bonnes, ça les regarde. Je n’y fais pas
attention. Sauf, le fait que pour les ados, l’ordinateur prend énormément de place. Et on ne
s’en rend pas assez compte. On dit qu’ils sont fatigués, alors qu’ils passent la nuit à tchatcher
ou jouer sur Internet. À part ça que je trouve grave, je ne fais pas attention à ce que les
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
autres disent. Et tu as peur de ça pour tes petits-enfants ? Pas encore. Pas encore, c’est au
fur et à mesure qu’on verra comment ils font. Justement, là, je trouve que l’aîné n’a pas trop
de contact avec l’ordinateur, alors que les gamins de son âge sont tout le temps dessus. Je
l’ai mis sur « Word » la dernière fois, pour qu’il apprenne à se servir du clavier. Il était
content. Il ne faut qu’il soit décalé par rapport aux autres. Quand ils vont faire de
l’informatique, lui ne sera pas au niveau. Donc, voilà. Ça me ferait peur s’ils jouaient
beaucoup aux jeux. Mais ça va. Non mais ça me fait peur quand je vois des enfants, de l’âge
de mes petits-enfants, qui ont des Iphone entre les mains, avec des jeux pour jouer... Moi, je
trouve que c’est trop. Je trouve pas ça bien, mais chacun fait comme il veut.
Tu as déjà entendu le stéréotype que le retraités ne savent pas utiliser Internet ? Bah, si je
devais faire attention à tout ce que j’entends sur les retraités... Je pense que ceux qui disent
ça n’ont jamais vu un retraité de leur vie, ou alors leur grand-père ou grand-mère à l’âge
déjà avancé... Nous, nous sommes encore jeunes et fringants, il n’y a un gros écart entre
notre génération et celles de retraités plus vieux. On est un peu un pont entre la vieille école
et les nouvelles générations très portées sur le numérique.
6.3
Entretien avec Nadine, 62 ans
Vous m’avez dit il y a cinq minutes que vous aviez des appréhensions à utiliser Internet.
Ah oui, oui, oui. C’était davantage que des appréhensions… C’était… J’étais paralysée à l’idée
de me servir d’un ordinateur. Je m’étais fait tout un monde de rien finalement. Ça me
semblait énorme : toutes ces données à apprendre, à prendre en compte. Vraiment, ça me
semblait énorme. Et petit à petit, je m’y suis faite. C’est en pratiquant que l’on progresse,
finalement. Je me rends compte que j’ai fait d’énormes progrès depuis que j’ai mon
ordinateur. Parce que je reprends souvent les cours que j’ai fait au centre, ainsi que les
exercices et je l’ai refait à la maison. Et là, j’ai vu que j’ai énormément progressé. Alors
qu’avant, d’une semaine sur l’autre, d’un cours à l’autre, j’oubliais. Donc j’étais tout le temps
en train de demander la même chose au professeur. Mais combien de cours faites-vous par
semaine ? Un seul, celui du lundi… Mais nous sommes mardi, et vous étiez au cours de 14h
pourtant… Ah oui, pardon. En fait, je me suis inscrite il y a peu au cours d’initiation à
Internet. Mais avant ce n’était que le lundi. Ce que fait que quand j’arrivais le lundi, j’avais
oublié, malgré les notes que je prenais, tous les exercices qu’on avait fait. Je demandais tout
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
le temps la même chose, et je sentais que ne pas pratiquer, ça me… Je n’avançais pas quoi.
Ça m’empêchait de progresser.
D’accord. Et donc là vous utilisez un peu Internet ? Pas du tout, pas du tout, pas du tout.
C’est pour ça que je veux d’abord faire le cycle de cinq séances. Après je vais essayer de
pratiquer. Parce que ça aussi, c’est difficile, c’est un blocage (rire). Alors que bon, c’est vrai
que c’est un outil plein de ressources, pour faire des recherches, et faire tout un tas de
choses. Mais pareil, je… Oui, paralysée parce que j’ai peur de mal faire. Mais maintenant que
j’ai mon ordinateur, ça y est, j’ai dépassé complètement ce stade de paralysie. J’espère que
partout où j’irai… On me dit tout le temps « Si, si, c’est pareil. Tous les ordinateurs sont
pareils ». Bon j’espère que je ne serai pas bloquée à nouveau (rire). Il ne devrait pas y avoir
de raison. Si vous y êtes arrivée une fois, vous devriez bien y arriver encore ! (rire) Oui, je
pense… Enfin j’espère ! (rire).
Et quand est-ce que vous avez utilisé un ordinateur pour la première fois ? Ben la première
fois, c’était l’année dernière, en venant ici, au centre. Ah oui, alors durant votre vie
professionnelle vous n’avez jamais touché un ordinateur ? Non, non, non. Je voyais les gens
s’en servir, je voyais ma fille s’en servir, je la regardais s’en servir, je posais des questions.
Elle m’avait fait taper des textes, elle m’avait fait faire quelques petites choses mais je ne
suis jamais allée allumer un ordinateur et m’en servir toute seule. Non, jamais. Je suis arrivée
ici en me disant « Je ne sais pas utiliser d’ordinateur. Je n’ai jamais utilisé un ordinateur. » Ça
a été ma première vraie expérience ici, durant le cours. Pour vous, ça peut vous paraître
ridicule. Non pas du tout. Nous ça nous paraît naturel, mais on comprend que ça ne l’est
pas forcément pour nos aînés. Vous, vous avez grandi avec. Voilà, ça vous paraît naturel,
alors que nous non. Tout vous semble évident. C’est la remarque que je fais souvent à ma
fille : « toi, ça te paraît tellement évident. » Déjà vous les avez utilisés à l’école primaire…
Depuis très jeunes quoi. Alors que nous, non ! (rire)
(rire) Donc finalement, vous vous êtes inscrite au cours d’informatique pour apprendre à
vous en servir correctement. Oui. Oui, oui, c’est ça. En fait, je me disais que très bientôt,
mon petit fils qui a quatre ans va savoir s’en servir, et moi toujours pas (rire). Bon, là pour le
moment, je profite de ma retraite, je ne travaille pas, mais très bientôt, je vais probablement
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
me mettre en recherche, car j’aimerais trouver un petit travail dans mon domaine pour
arrondir mes fins de mois. Et l’informatique est vraiment partout maintenant. J’ai travaillé
dans une maison de retraite, et même pour faire les transmissions, ça se fait sur
informatique. Et même à cette époque-là, j’étais déjà coincée. Bon je me débrouillais
toujours pour trouver quelqu’un pour faire les transmissions à ma place, mais je sentais que
tôt ou tard, ça allait m’handicaper.
D’accord. Et qu’est-ce que les cours vous apportent ? Je veux dire, est-ce que ça ne vous
apporte que sur un plan technique ou aussi moral ? Ah oui, moi je sais que j’ai pris de
l’assurance. Je me sens beaucoup plus sûr de moi, je doute moins, je suis beaucoup plus à
l’aise. Bon je suis redoublante (rire), car comme je vous l’ai dit tout à l’heure, j’ai été absente
très, très souvent pour des raisons familiales. J’ai raté trop de leçons et je voulais rattraper
ce que je n’avais pas vu l’année dernière. Et avec le peu que j’ai vu l’année dernière, j’ai
réussi à me constituer une petite base méthodologique, qui a fait que je me sentais moins
perdue par la suite, durant les cours. J’avais déjà des repères si vous voulez. En plus, je
n’avais plus, ou plutôt beaucoup moins, ce problème d’appréhension de l’ordinateur. J’avais
déjà tout ce travail sur moi-même. Donc j’avais l’impression d’être finalement au même
stade que les autres. La première année, j’étais tellement bloquée et je me sentais tellement
nulle par rapport aux autres. Eux n’hésitaient pas, ou moins, à cliquer partout, même s’ils ne
savaient pas ce que ça allait faire. Là, cette année, j’ai repris les cours en me disant « Bon,
maintenant, tu connais un peu l’ordinateur, en plus tu as le tien, alors il n’y a pas de raison ».
Les cours ne se présentaient pas de la même manière, mais ils concernaient les mêmes
sujets. Comme je les avais déjà vus, ça m’a permis d’être un peu plus sûre de moi. Je me
souvenais plus ou moins… Enfin, moins que plus (rire) des manœuvres à faire. Ça m’est
arrivé plusieurs fois de cliquer sans être sûre que ça soit le bon bouton. Vraiment, avoir eu
un premier contact l’an dernier m’a beaucoup aidé à être plus sûre de moi. Bon, j’ai encore
des lacunes, mais je me sens beaucoup plus à l’aise que l’année dernière. (rire)
Oui, ça s’est vu tout à l’heure, vous étiez la première à finir, vous taquiniez les autres pour
qu’ils pensent à sauvegarder… (rire) Oui, oui. C’est vrai que ça m’a apporté. Si je dois aller
travailler un jour quelque part, je ne serai plus bloquée. Parce qu’avant, je ne le vivais quand
même pas très bien. Je veux dire, tout tourne aujourd’hui autour de l’informatique, et si on
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
ne suit pas le mouvement, on se ferme énormément de portes. Je me suis sentie larguée
pendant longtemps, et je ne le vivais pas très bien. Je me sentais vraiment bête et arriérée.
Là, maintenant, ça me posera moins problème dans un avenir proche. Je ne serai plus
bloquée par ça. Là, ça m’aurait vraiment posé problème dans l’avenir. Je l’ai fait aussi dans
ce sens-là, pour dépasser ma peur de l’informatique, mais aussi pour le cas où je chercherais
un éventuellement travail. Parce que je sais que l’informatique est partout aujourd’hui :
dans les magasins, les bureaux, à la maison… Partout, partout, partout. Là, ça devient
vraiment une nécessité. Mais c’est vrai que ça m’a apporté… Même sur le plan relationnel.
Je veux dire, on est vraiment un groupe sympathique et tout. Et vous vous voyez à
l’extérieur ? Euh… Non, à l’extérieur, non. À part quand il y a des petites festivités au sein du
centre. Mais on ne s’organise pas des sorties et on ne se retrouve pas hors du contexte du
centre. C’est vrai qu’à part une personne, les autres sont relativement plus âgés que moi et
je pense qu’elles n’ont peut-être pas envie de côtoyer les gens du centre. J’ai ce contact-là
en revanche avec les gens de l’atelier peinture, auquel je suis inscrite aussi. Là, on se voit en
dehors, et tout ça, et là il y a vraiment un esprit de groupe. Puis je pense qu’on va passer
très, très vite à de l’amitié. Donc on a créé des liens. Ce n’est pas qu’apprendre, puis on
passe des moments agréables. C’est plein d’échange, on plaisante. C’est un groupe très
sympathique je trouve.
Et pour en revenir à l’informatique, qu’est-ce qui pourrait être amélioré dans le cours ?
Euh… L’année dernière, je trouvais que… Bon je le ressens moins cette année parce que je
suis moins en demande. Mais je trouvais que notre professeur ne pouvait pas y arriver tout
seul. On était un… deux… cinq. On était cinq aussi débutants les uns que les autres, et il
n’avait pas toujours assez temps à consacrer à chacun. C’était un peu dommage. C’est ce qui
m’embêtait un petit peu l’année dernière. Mais cette année je ne le ressens pas autant
parce que comme je vous le disais il y a un instant, je suis moins en demande d’aide. Et puis
maintenant on s’entraide même entre nous. Voilà, s’il est occupé avec quelqu’un, on va
s’aider. On s’entraide.
Et quels seraient les points forts ? Ben on apprend beaucoup de chose. Je suis étonnée.
Maintenant, je sais taper un texte, je sais le mettre en forme, je sais mettre un tableau dans
le document… Tout ce que je ne soupçonnais pas l’année dernière (rire). Non, maintenant je
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
me sens beaucoup plus à l’aise avec ma pratique. J’ai encore beaucoup de choses à
apprendre, mais là, c’est bon, l’essentiel est appris. Il y a encore des lacunes, des choses que
je ne connais pas dans mon ordinateur, mais ça viendra. J’avais peur de l’explorer aussi.
Alors que maintenant je l’explore sans problème. Bon, je l’explore à mon niveau, mais je
n’hésite pas à aller farfouiller. On a appris beaucoup. On a appris beaucoup de choses. Puis
je trouve que ce qui est bien, c’est que ce n’est pas des cours magistraux. On fait de suite
des exercices. Crac, on pratique directement. Donc, c’est comme ça qu’on apprend le
mieux… Enfin je pense. Et puis c’est moins rébarbatif que de nous parler pendant une heure,
et finalement qu’on ne sache pas mettre ne pratique ce qui a été dit. Là, on a l’exercice, on
fait. C’est ce que j’ai bien aimé, dès le départ.
Et tout à l’heure, vous me disiez que vous adoriez Philippe, votre professeur. Ah oui. Oui,
oui, oui, je suis une fane. D’abord, il est d’une patience (insiste sur le mot) absolument
extraordinaire. Il est disponible tout le temps… Vraiment… Il est vraiment… Il se coupe en
quatre quoi. Et il essaie vraiment, le pauvre, d’être à tous les postes à la fois. Il ne peut pas
toujours évidemment (rire). Mais il est passionnée, il ne laisse jamais personne derrière. Puis
il est tout le temps en train de nous encourager, en train de nous dire qu’on fait beaucoup
de progrès. « L’année dernière, vous ne saviez pas faire ça, cette année vous vous
débrouillez toute seule ». Enfin, il est tout le temps… Il nous tire toujours vers le haut quoi. À
aucun moment il nous a laissé nous décourager. À aucun moment. Il est toujours là pour
nous encourager, nous dire « mais c’est très bien, regardez ce que vous savez faire ». Non,
vraiment, il est très bien. très, très bien. (rire)
(rire) Un point pour lui alors ! (rire) Et qu’est-ce que vous apporte l’ordinateur au
quotidien ? Ben, moi je pense que ça va me servir beaucoup dans les mois à venir, dans ma
recherche de petit boulot. Je pourrai marquer sur mon CV que je sais taper un texte, et
utiliser l’ordinateur. Alors qu’avant je ne pouvais pas. Mais est-ce que vous l’utilisez chez
vous, juste pour passer du temps dessus ? Ben, toutes les semaines, généralement, quand
j’ai le temps, je prends mon ordinateur et j’essaie de refaire les exercices, pour voir si je vais
savoir les refaire toute seul, sans l’aide de Philippe, sans filet de secours finalement. Donc ça
me permet de … Enfin je me replonge dans les notes que j’ai prises pendant le cours. En fait,
je ne m’en sers pour l’instant que d’un point de vue assez utilitariste. Je ne le sors que quand
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
je veux refaire les exercices du cours.
Et est-ce que vous avez déjà pensé à ce que vous ferez sur Internet, une fois que vous
l’aurez ? Ah ben, je le fais dans la visée d’avoir plus de contact avec ma fille, mon gendre et
mon petit-fils qui vivent à Paris. C’est le but, c’est justement pour ça que je me suis inscrite
aux cours d’informatique. On va pouvoir se voir sans faire les trajets en train, avec les mails
et pourquoi pas Skype ! C’est dans ce but. Bon, puis c’est un outil tellement utile
aujourd’hui. On se sent… Enfin, quand on dit « je n’ai pas Internet, je ne sais pas me servir
d’Internet », on se sent complètement en marge de la société aujourd’hui. Ça serait presque
un complexe, comme je vous l’ai dit tout à l’heure.
Et est-ce que vous pensez que vous vous inscrirez sur des réseaux sociaux ? Non. Non parce
que, à moins que j’attrape le virus, je ne suis pas quelqu’un qui va passer des heures, et des
heures, et des heures prostré à un endroit. Même pour lire un livre, j’aime bien sortir, aller
dans un parc ou un café. Je n’aime pas rester inactive. Il y a des choses qui m’intéressent,
comme la peinture, donc je pense que j’irai me renseigner sur ce sujet sur Internet. Faire des
recherches pour ce qui me plaît, mais je ne passerai pas des heures, et des heures à
naviguer. Moi, je suis vraiment ciblée. Je ne suis pas quelqu’un qui va passer des heures assis
devant un écran. Pour regarder un film ou les informations à la télévision, pourquoi pas,
mais pas plus que ça. La télévision n’est presque jamais allumée chez moi. Donc, finalement,
ce n’est pas tellement le côté « voyeur » qui vous dérange dans les réseaux, mais plus passer
du temps devant l’écran. Oui. Oui, oui, tout à fait. Bon, je vous avoue que l’idée de mettre
des photos de moi sur le Net, ça ne me plaît pas non plus. Mais ce pourquoi je ne traînerai
pas sur les réseaux vient plutôt du fait que je n’aime pas rester devant un écran sans rien
faire. Je pense que je ne deviendrai pas addict. Bon, peut-être que si on se revoit dans
quelques années, j’aurais changé d’avis (rire). Mais pour l’instant, je suis plutôt tournée vers
la réalité. J’en connais pas mal qui ont commencé comme moi, et qui sont devenus accros.
Mais me connaissant, je ne pense pas. Passer des heures, voir des heures la nuit, non.
Vraiment, ce n’est pas pour moi. Ça sera toujours très ciblé et très cadré.
Vous pensez que vous ne ferez pas d’achat non plus ? Bien, j’en ai déjà fait par le biais de
ma fille. Pour acheter des billets de trains et tout ça… C’est vrai que c’est pratique quoi. C’est
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
un gain de temps terrible. En plus on a des offres qu’on n’a pas forcément à la SNCF. Donc,
si, si, j’ai déjà fait. Chaque fois j’ai utilisé ma carte bleue. J’ai appris après qu’on pouvait aller
auprès de sa banque et demander une carte spéciale avec des codes pour commander en
ligne. Alors je pense que si à un moment, je dois avoir Internet et commander en ligne, je
ferai la démarche. Je veux quand même prendre des précautions pour ne pas avoir de
mauvaises surprises. Je pense vraiment que ça sera quelque chose de raisonné et
raisonnable. Je ne vais pas tomber dans l’excès. Je ne vais pas changer ma façon de vivre
pour ça. Ça va peut-être me faciliter la vie, mais pas changer mon mode de vie. Je suis
quelqu’un qui écrit beaucoup. J’envoie beaucoup de courrier et tout ça. Bon, je ne sais pas si
j’enverrai autant de mails que j’envoie de lettre. Je ne sais pas si j’arriverai à passer le cap.
(rire) A voir.
Du coup, vous pensez que vous continuerez à lire autant le journal et regarder autant la
télé que ce que vous faites maintenant ? Oui. Ah oui, oui. Ça j’y tiens. J’entends tellement
de gens autour de moi qui sont devenus accros à Internet, au point d’en délaisser leur vie de
famille… Parce que ça, non, moi je ne veux pas devenir comme ça. Parce que je pense qu’on
y tombe très facilement et sans s’en rendre compte. Puis, même en cours, je vois, je
commence à chercher quelque chose, puis hop, je me mets à papillonner et je perds vingt
minutes à ne rien faire de vraiment concret. Bon, si j’en avais vraiment l’utilité, oui… Mais
bon, je préfère aller à la médiathèque. Je ne vais pas changer mon mode de fonctionnement
qui est important. Moi il y a l’outil livre (insiste sur le mot) qui fait la différence. C’est quand
même une référence le livre. Parce qu’internet, on en parle comme la venue du messie, mais
ce n’est jamais que l’homme qui gère. Est-ce que c’est corrigé, est-ce qu’on peut trouver des
erreurs dans une encyclopédie… J’ai l’impression qu’on peut vite trouver n’importe quoi sur
Internet. Et ça, je ne veux pas tomber là-dedans. Je vois ma fille, ils ont un enfant en bas-âge
et ils sont très, très vigilants. Et ils vont l’être de plus en plus au fur et à mesure qu’ils ont
grandir, pour justement ne pas tomber dans les pièges. Pas d’ordinateur dans sa chambre et
tout ça. Bon, je n’en suis pas là. Mais si j’avais des enfants jeunes, je serai très vigilante aussi.
Surtout avec ces histoires de pédophilie avec des gens qui les hameçonnent sur des
discussions en ligne et tout ça. Puis, sans parler de ça, un enfant peu vite tomber sur des
images ou supports inappropriés.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Oui, je comprends tout à fait… Maintenant, un changement presque total de sujet : quelles
difficultés rencontrez-vous avec l’ordinateur aujourd’hui ? Aujourd’hui, je pense que … Bon
je ne maîtrise pas encore tout, mais je pense que j’ai fait le plus gros. J’arrive à refaire mes
exercices. Je peux avoir quelques petites difficultés, mais ça ne va pas me bloquer. Et
aujourd’hui, contrairement à il y a un an, je viens assister au cours l’esprit libre et dégagé. Je
ne me prends plus la tête. Et si, quand même, vous vous confrontez à un problème que
vous n’arrivez pas à résoudre, comment réagissez-vous ? J’appelle ma fille (rire). Au début,
je paniquais. Maintenant, je ne vais rien fermer pour ne pas faire de bêtise, puis si ma fille
est joignable, je vais essayer de l’appeler, pour lui dire « je rencontre telle ou telle
difficultés ». Elle va dédramatiser la situation et me dire ce qu’il faut faire. Mais je vais
d’abord essayer de faire ça par moi-même. Je panique beaucoup moins qu’avant. Puis même
en cours, je demande de moins en moins l’aide de Philippe. J’essaie de me débrouiller toute
seule. Et si vraiment je n’y arrive pas je lui demande de l’aide. Il ne sera pas tout le temps là,
donc il faut que je me débrouille.
Et qu’est-ce qui vous déplaît le plus dans l’ordinateur ? Ben, dans l’ordinateur, aujourd’hui,
il n’y a plus rien. Ce qui me déplaît dans Internet, en revanche, c’est toutes ces pubs, qui
surgissent sans cesse. En plus, moi qui n’utilise pas souvent Internet, je ne sais jamais où estce qu’il faut regarder sur une page. Il y en a absolument partout. Ça, ça m’ennuie (rire). Pour
moi, il faudrait… Bon c’est mon côté carré, mais il ne faudrait qu’il n’y ait que ce qu’il me
faut.
Est-ce que vous vous fiez à ce qu’on peut vous dire sur Internet et ses dangers ? Ben, pour
l’instant, comme je n’ai pas une grande pratique, oui. Par exemple, la semaine dernière, j’ai
amené mon ordinateur en cours et nous nous sommes connectés à Internet avec Philippe. Je
l’ai dit à ma fille après, et elle m’a dit « Tu n’aurais jamais dû faire ça. Tu vas avoir pleins de
virus et tout ça ». Je lui ai répondu qu’on avait mis un anti-virus, mais elle m’a répondu que
ce n’était pas assez. Elle m’a dit « Ne le fais plus. Sinon tu vas voir que ton ordinateur va être
de plus en plus lent ». J’écoute mon entourage. Ils sont quand même plus au fait que moi, et
je préfère écouter ce qu’ils me disent plutôt que de risquer d’abîmer mon ordinateur. Je
pense que j’ai encore trop de lacune pour me fier à mon intuition. Ce n’est pas un truc que je
vais potasser. Ce n’est pas vital pour moi. Il y en a qui ne peuvent plus vivre sans Internet,
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
mais moi j’y arrive très bien. Je trouve mon information et mon divertissement par d’autres
biais. Je regarde mes films sur lecteur DVD, je lis la presse, j’écris, j’emprunte des bouquins à
la médiathèque… Ce n’est pas un truc qui va me bloquer dans la vie de tous les jours. Sauf si
les administrations se mettent à nous obliger à passer par ce biais. Mais là, je serai
familiarisée donc ça ira. C’est vrai que c’est pratique. Mais tant que je peux l’éviter… Bon
c’est peut-être encore un peu mon côté ringard mais bon… (rire) Ce n’est pas quelque chose
qui m’est naturel et indispensable.
Bon une petite dernière question rigolote pour clore cet entretien : j’ai souvent entendu
que les retraités ne savent pas utiliser Internet. Confirmes-tu ? (rire) (rire) Ah, encore une
blague de jeune ! (rire) Je pense qu’il ne faut pas faire de généralité. Puis, comme la plupart,
on veut vivre avec notre temps et ne pas rester derrière. L’informatique est aujourd’hui
tellement présent qu’on ne peut pas y échapper, à moins de se retrouver comme exclu, en
marge de la société... C’est vrai qu’on gère moins bien que vous autres les jeunes, pour qui
c’est une seconde nature ! Mais on avance, petit à petit, on s’adapte !
6.4
Entretien avec Catherine, 64 ans
Est-ce que tu peux me dire à quoi tu penses quand je te dis les mots « Internet » et
« ordinateur » ? « Internet » et « ordinateur »... Je dirais une révolution au même titre que
le téléphone et la télévision... Puisque j’ai connu le démarrage de la téléphonie et de la
télévision aussi.
Et comment est-ce que tu les perçois ? C’est un monde ouvert, plein de promesses, mais
avec beaucoup d’écueils qui sont difficiles à éviter, et j’avoue que je suis un peu inquiète
pour les enfants, parce qu’il y a quand même beaucoup de choses qui sont dangereuses
pour eux. Il y a des bêtises sur Internet. Mais, ça mis à part, c’est vrai que c’est une
ouverture extraordinaire, et plus encore pour les pays totalitaires, puisque c’est difficile de
cacher certaines choses (rire). Du coup, tu t’inquiètes pour tes petits-enfants ? Oui... Enfin,
je m’inquiète... Je trouve... J’ai des filles qui ont 23 ans, et je trouve que c’est un gros souci.
D’abord, il y a beaucoup d’enfants qui sont collés sur l’ordinateur et qui se désocialisent.
Rien ne vaut l’échange humain. Parce que tu vois, par exemple, les Facebook et compagnie...
Tu vois, moi je me suis mise sur Facebook, pour voir les sites de mes fils, filles, neveux et
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
nièces, mais je n’y mets rien : j’ai un pseudo, pas de photos. Je n’ai pas du tout envie qu’il y
ait des choses personnelles qui circulent sur mon compte, et je trouve ça un peu superficiel.
Alors, effectivement, c’est sympa d’échanger nos photos. Mais on voit des choses qui
peuvent poser problème pour l’avenir... Comme des photos de rigolade et de choses
comme ça. Maintenant, à un certain niveau de recrutement, les DRH vont sur Internet,
notamment quand il reste peu de candidats.
Oui, j’ai déjà entendu parler de cette pratique, ça fait un peu froid dans le dos ! Et est-ce
que tu as des appréhensions à utiliser l’informatique ? Euh... Des appréhensions, non,
parce que j’ai pas mal utilisé l’ordinateur durant ma carrière professionnelle. Après, il y a des
choses sur lesquelles je bute, et sur lesquelles je n’ai pas envie de me casser la tête... Oui, je
ne veux pas me casser la tête. J’ai un téléphone, qui me suffit amplement, pour répondre à
mes messages, qu’ils soient audio ou visuels, mais je n’ai pas pris d’Internet dessus. Disons,
qu’un téléphone, je considère que c’est pour téléphoner. Après, Internet, c’est quand même
plus agréable sur un grand écran (rire).
Oui, c’est sûr ! Mais pourquoi t’être inscrite au cours d’informatique alors que tu savais
déjà utiliser l’ordinateur ? Bien malgré tout, j’avais l’impression de ne pas tout maîtriser. Je
me suis dit que ça serait bon pour moi d’avoir des cours. Il n’y a qu’un cours débutant, pas
de cours pour les confirmés. Je me suis un peu ennuyée au début, parce que les autres
étaient vraiment, vraiment débutant. Puis finalement, quand ils ont eu quelques bases, les
niveaux se sont un peu homogénéisés, et j’ai pu vraiment apprendre de nouvelles choses.
Même si j’ai souvent utilisé Word dans ma carrière professionnelle, il y a beaucoup de
choses que je ne savais pas faire. Je bidouillais un peu finalement. Par exemple, pour les
tabulations et ce genre de chose. J’arrivais au même résultat, mais pas en faisant la même
manipulation. Puis j’y ai aussi vu un moyen de résoudre les petites difficultés que je
rencontrais par moment. Elles ne me gênent pas vraiment, tu vois, mais ça me prend
souvent un peu de temps pour les résoudre. C’est un peu pénible quand on navigue, d’avoir
une difficulté qui gâche un peu ce moment de tranquillité. Là, je n’ai pas d’exemple de
difficulté en tête... Comme je les résous assez vite, elles ne me marquent pas. Et depuis
quand es-tu inscrite ? C’est la première année. Je ne sais pas encore si j’en referai à la
rentrée prochaine. Je m’en sors plutôt bien, et comme il n’y a pas beaucoup de place dans
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
les cours, je préfère laisser ma place à ceux qui en ont vraiment besoin. Et combien de cours
suis-tu par semaine ? Le cours du lundi seulement. J’ai pensé à celui du mardi, puisque la
seconde activité est à moitié prix au centre, mais j’ai préféré m’inscrire au Yoga à la place.
Et qu’est-ce que ce cours t’apporte ? Je veux dire, seulement de la technique ou aussi sur
le plan moral ? J’apprends des choses durant le cours, donc il est assez efficace. Après, c’est
toujours un bon moment passé avec le groupe et le professeur. Mais ça ne va pas plus loin.
Je les vois durant le cours, mais après nous n’avons pas de contact. J’ai beaucoup d’amis, et
je ne cherche pas trop à en avoir de nouveaux.
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré durant les cours ? Qu’est-ce qu’on pourrait améliorer...
Je ne vois pas vraiment. Peut-être une personne pour seconder Philippe, qui a du mal à s’en
sortir tout seul. Il y met beaucoup de bonne volonté, et adore ce qu’il fait, mais c’est difficile
d’être sur tous les postes à la fois. Comme la plupart sont vraiment débutants, débutants, ils
ont besoin d’une assistance presque continuelle.
Et quel est le point fort des cours ? Je dirais Philippe, le professeur. Il donne tellement
d’attention à ses élèves... Puis il est toujours positif, toujours à expliquer le pourquoi du
comment aux élèves pour qu’ils comprennent. Il a tellement de bonne volonté. Il déborde
d’envie d’enseigner, c’est vraiment touchant. Il ne laisse jamais personne derrière. L’autre
point fort, c’est qu’on apprend à chaque jour quelque chose de nouveau. Même si ce sont
des choses que je connais déjà, les cours m’apprennent toujours un petit détail en plus.
Et votre utilisation de l’ordinateur a-t-elle changé depuis que vous suivez les cours ? Ben...
Oui et non. Je me sens beaucoup plus à l’aise, mais je ne m’en sers pas davantage qu’avant.
Si vous voulez, je n’utilise mon ordinateur que lorsque j’en ai besoin. Je ne veux pas passer
des heures collée devant un écran, il y a des choses beaucoup plus agréables à faire à la
place. Contrairement à tous ces jeunes, nous ne sommes pas nés avec, nous avons d’autres
manières de nous divertir.
Et qu’est-ce que t’apporte l’ordinateur au quotidien ? Eh bien, je dirai que c’est... Culture...
Bon, attends, je vais commencer par le début (rire). Déjà, je ne l’utilise pas tous les jours. Je
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
ne vérifie pas mes mails ou mes comptes en banque tous les jours. Ensuite, les sites qui
j’utilise le plus sont ma messagerie. C’est vrai que c’est quand même sympa de pouvoir
envoyer un message en sachant qu’on peut avoir une réponse dans les dix minutes qui
suivent. Après, je suis un certain nombre de choses dessus... Tiens par exemple, je vais te
montrer quelque chose que je fais sous Excel. Chaque fois que je le montre, les gens sont
stupéfaits, mais ça m’est très, très, très utile.
(Elle sort trois feuilles A5 attachées ensemble, imprimées recto-verso avec des noms,
téléphone et adresses)
Voilà, ça, tu vois, ça prend trois pages. C’est mon répertoire sur lequel j’ai nom, téléphone
fixe, téléphone portable, mail et adresse. Bon, là je l’ai sur trois pages parce que j’y vois
moins bien et qu’il faut que ça soit plus gros (rire). Mais ça prend peu de place, et quand j’ai
des modifications à faire, je le mets à jour avec Excel. J’en ai une dans le bureau, une dans le
séjour, et quand on part en vacances, j’ai les adresses pour envoyer des cartes. Je n’aime pas
les répertoires papiers, parce qu’il est difficile d’avoir un carnet propre et à jour, ni les
répertoires de téléphones portables, parce qu’ils ne comportent pas tous les champs que je
veux. Après, je fais mes comptes sur Internet, l’arbre généalogique de la famille, grâce au fait
que je manipule bien Excel et Word. Power Point beaucoup moins, parce que vers la fin de la
carrière je m’en suis très peu servie. Je surveille donc mes comptes bancaires, la Sécu, la
mutuelle, et tout ce qui peu être accessible sur Internet, parce que c’est quand même très
pratique. Il y a aujourd’hui beaucoup d’organismes qu’il est plus simple de contacter par mail
que par téléphone. Ça c’est vraiment sympa. Après, dans les messages que je reçois... Il y en
a beaucoup, j’ai des amis qui m’en envoient beaucoup... Par exemple, la dernière fois, j’ai
reçu un mail avec la vidéo de la naissance d’un bébé éléphant. C’est surprenant ! Des choses
comme ça, c’est vrai que c’est super ! Je prends aussi des cours d’anglais, et c’est vrai que
quand on me donne un texte, ça m’arrive souvent d’aller voir sur Internet pour trouver le
livre auquel appartient le texte qu’on m’a donné. Ce sont souvent des extraits, tu vois. Ça me
permet d’en savoir un peu plus.
Et en quelle année as-tu utilisé l’ordinateur pour la première fois ? Alors, ça devait être en
1990, c’était au travail, quand je suis arrivée à Marie Briard. Et j’ai eu Internet... Voyons,
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
j’étais déjà à la DRH... Je dirais dans les années 2000. Les deux dans le cadre professionnel ?
Oui, oui, dans le cadre professionnel. Parce que chez moi j’avais un ordinateur, que j’ai eu en
1995-96, mais je n’avais pas de connexion Internet. Enfin, on avait un abonnement, mais on
n’avait que trois heures par moi, alors bon... Puis quand il y a eu l’ADSL, on s’est équipés.
Alors, j’ai commencé à bien utilisé Internet... On va dire il y a six ou sept ans. Chez moi.
Et est-ce que l’arrivée de tes petits-enfants t’a poussé à utiliser davantage l’informatique ?
Ou même l’éloignement de tes enfants ? Alors, un peu. Pas trop parce que j’ai une fille qui
habite à la Réunion, sur les hauteurs, là où il n’y a pas trop Internet. Depuis, on s’est équipés
de la Freebox avec les appels internationaux en illimités, donc on passe plus par le
téléphone. En revanche, ils vont bientôt avoir une nouvelle maison avec l’ADSL, donc je
pense qu’on utilisera Internet pour le coup. Ça va modifier considérablement les possibilités
d’échange. Parce que pour le moment, j’envoie des petits mails qu’elle peut lire sur son Iphone (prononcé à la française), mais ce n’est pas très pratique pour qu’elle puisse lire,
parce que l’écran est petit. On a aussi une nièce qui habite au Canada, et une autre à
Singapour, et c’est formidable de se dire qu’on peut parler aussi facilement... On a installé
Skype il y a peu, et c’est vraiment super pratique. On pourrait presque penser que la
personne est à côté. On s’y est mis, mais un peu. Je dis bien « un peu ». On ne veut pas
passer notre temps accroché à l’ordinateur.
Et tu t’en sers pour dialoguer avec tes amis ? Ah non, là, téléphone. Téléphone. Je le prends,
je bouge dans l’appartement, je fais autre chose en même temps. C’est quand même
beaucoup plus pratique. Les adultes, je ne vois pas l’intérêt de les voir par Internet, parce
qu’ils ne changent pas. Mais les enfants, c’est rigolo.
Et donc, pas de réseaux sociaux pour toi ? Ah ça, non, non, non. J’ai beaucoup d’amis,
même s’il y en a que je n’arrive pas à voir régulièrement. Mais je ne vais pas m’encombrer
de gens que j’ai connu ou connais à peine juste pour afficher que j’ai beaucoup d’amis...
Alors la seule chose que j’ai faite... Sans avoir eu besoin de Facebook et tout ça... La seule
chose que j’ai faite s’est retrouvé une amie d’enfance qui habite à La Rochelle. Avec Internet,
j’ai retrouvé ses coordonnées. J’ai suffisant d’amis. Je n’ai pas besoin d’aller rechercher
d’anciens amis avec qui je n’ai finalement pas grand-chose à partager. Et même pour
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Eloria VIGOUROUX
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discuter avec eux ? Non, téléphone (rire). Je peux faire ça n’importe où, à n’importe quelle
heure. Et comme je t’ai dit, je n’ai pas envie qu’on retrouve des informations me concernant
sur Internet. Il y a beaucoup de choses qui sont conservées. Donc les réseaux sociaux, c’est
pareil, ça fait partie des dangers d’Internet. Parce qu’entre les films via les téléphones, et
tout ça, ça peut vite déraper. Donc attention, très, très attention.
Très, très, très, très attention : je retiens ! (rire) Et est-ce que tu fais des achats sur
Internet ? Alors, à part les billets d’avion et les billets de train, je ne m’y suis pas lancée.
Parce qu’on habite quand même une grande ville, on trouve tout ce qu’on veut, et je suis
arrivée à un âge où je n’achète pas parce que je fais une affaire, mais j’achète parce que j’ai
besoin. Voilà.
Et est-ce que tu continues à utiliser les autres médias, comme la télévision et la radio ?
Bien sûr, bien sûr. On est abonnés à Sud-Ouest, à l’Express, Avantages, et on achète pas mal
de journaux. Au niveau de la télévision, on a les chaînes de la Freebox. J’apprécie beaucoup
de pouvoir revoir les films huit jours après qu’ils soient passés. Ils s’enregistrent, tu vois.
C’est très pratique. Très honnêtement, ça me suffit. On s’était abonnés au câble pendant un
moment, mais on ne regardait jamais toutes ces chaînes.
Je sais que certaines personnes associent la radio ou la télévision à des moments précis.
Est-ce que c’est ton cas, ou les utilises-tu plutôt quand tu y penses ? J’écoute beaucoup la
radio. J’ai un poste radio dans la cuisine, un autre dans la salle de bain, et un autre dans ma
pièce où je fais ma couture et mes autres loisirs. J’écoute beaucoup la radio, notamment
France Inter, et France Info si je veux avoir les informations rapidement. Après, je n’aime pas
écouter de la musique ou lire des vidéos sur l’ordinateur. Le son et l’image sont vraiment de
très mauvaise qualité. Je pense que je l’ai fait une fois, puis je n’ai jamais retenté. J’ai tout ce
qu’il faut en équipement à ce niveau-là, alors je n’ai pas insisté. Et la télévision, bon... C’est
le soir pour regarder un film ou de temps en temps pour les informations. Sinon, c’est la
radio.
Et les livres numériques ? Ah non, non, non. Moi, j’adore les livres. (Elle prend un livre que
j’ai laissé traîner sur mon bureau) Tu vois, j’aime toucher (touche le livre), écrire des notes
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dessus (mime le geste), corner une page (mime le geste). Puis bon, je porte des lunettes, et
les écrans fatiguent les yeux. Je vois, quand j’ai quelque chose à corriger, j’ai besoin de me
concentrer sur mon papier. Tu vois des choses sur le papier que tu ne vois pas sur l’écran. À
force, l’écran fatigue et on est moins attentif. Donc, non. Je conçois que les jeunes soient nés
avec, et qu’ils aiment ça. Mais je n’en éprouve pas le besoin. Je ne suis pas une
consommatrice effrénée.
Et est-ce que tu rencontres des difficultés avec l’outil informatique ? Non, plus maintenant.
Enfin, si, quelques fois. Par exemple hier, j’avais un message sur mon téléphone me disant
qu’il fallait le mettre à jour. Je suis allée sur Internet, j’ai récupéré les informations
concernant mon téléphone, je l’ai branché. Puis au bout de dix minutes, un message s’est
affiché sur l’écran de l’ordinateur, mais je n’ai pas compris ce qu’il fallait que je fasse. Alors,
ça m’a cassé les pieds, et comme je n’avais pas envie de me casser la tête, j’ai tout
débranché. Depuis, j’ai le message de mise à jour que s’affiche sur mon portable plusieurs
fois dans la journée, mais je le ferme à chaque fois. Ça me casse les pieds, mais je ne sais pas
comment résoudre la situation et je ne veux pas me casser la tête (rire). Je me méfie un peu,
parce que je peux faire une mauvaise manipulation et faire un bêtise. J’ai un disque dur
externe pour ça, au cas où mon ordinateur attrape des virus. J’ai déjà eu un problème
comme ça. Alors bon, je suis méfiante. Et dans ces cas-là, comment réagis-tu ? Ça me casse
les pieds et je m’énerve. Ça peut quand même me paniquer. Je ne sais plus ce qu’il y a
dedans, et je ne transfère pas mes données régulièrement sur le disque dur externe. Puis
bon, c’est quand même des appareils qui coûtent cher... À chaque réparation, il faut aussi
moins compter 150€ !
Et qu’est-ce qui te déplaît dans l’informatique ? Je trouve que ça évolue tellement vite...
Pour le moment, je suis, mais d’ici dix ans, je serai peut-être complètement larguée. Si tu as
suivi jusqu’à maintenant, tu devrais arriver à suivre encore, non ? Ça ne fait que quatre ans
que je ne travaille plus... J’ai la chance d’avoir un ami qui bidouille bien sur Internet, et qui
donne des cours à l’Université du Temps Libre. Il fait de l’initiation à l’informatique. Sinon,
quand j’ai un problème, j’appelle Philippe, le professeur d’informatique du centre, pour qu’il
me répare ce qui ne va pas. Puis ça lui permet d’améliorer ses cours, puisque si je rencontre
un problème, c’est que d’autres personnes doivent aussi pouvoir le rencontrer. Mais,
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parfois, ça me met un peu en panique. D’autant plus que j’ai un conjoint qui crie à la fin du
monde dès qu’Internet ne marche pas (rire). La dernière fois, il y a quelque chose que je
n’avais pas réalisé, c’est qu’on avait beaucoup trop de messages sur notre messagerie, et on
ne pouvait plus en recevoir. Du coup, j’ai fait un peu de ménage, j’ai sauvegardé ceux que je
voulais garder sur des documents Word. Il y a des petits problèmes, comme ça, que je résous
la plupart du temps par moi-même, en tâtonnant.
Est-ce que tu te bases sur ton instinct pour te faire ton idée d’Internet ou tu fies-tu à ce
que te disent tes amis ? Un peu des deux, je dirais. J’ai beaucoup d’amis qui utilisent
Internet. Tiens, j’ai un ami, par exemple, qui cet été a vu sa messagerie piratée. Tous ses
contacts ont reçu un message disant qu’il était coincé à Marrakech, et avait besoin d’argent.
Heureusement, il a pu les prévenir rapidement, notamment grâce à un ami qui a remarqué
des fautes d’orthographe et d’autres qui l’ont appelé. Ça aurait pu avoir des conséquences
désastreuses.
Une dernière petite question (rire) : qu’est-ce que tu penses du stéréotype selon lequel les
retraités, ou « les vieux », comme disent les ados, ne savent pas utiliser l’informatique ? Ça
dépend de l’âge... Moi je suis une jeune retraitée et je fais partie des gens qui ont utilisé
l’informatique dans la vie professionnelle. Après, je pense que c’est une question d’envie.
J’ai une sœur aînée qui a dix ans de plus que moi, qui était médecin. Elle a carrément arrêté,
parce que la Sécurité Sociale voulait lui faire utiliser Internet pour les cartes vitales. Elle ne
comprenait pas, elle n’avait pas envie. Elle n’avait pas envie de mettre des informations
personnelles, voire très, très personnelles sur les réseaux. D’autant plus qu’elle a un fils qui
bidouille bien sur Internet, et... Enfin, c’est ma sœur qui a eu la surprise d’entrer dans son
cabinet et de voir que son ’imprimante marchait toute seule. Donc, son fils est allé voir ce
qui se passait Et en fait, il y avait des gens qui étaient entrés sur le réseau de la Sécurité
Sociale... Donc je sais pas si tu te rends compte de tout ce qu’ils auraient pu faire, détourner
des cartes et de l’argent ... Voilà, donc du coup, elle s’y est mise, mais juste un peu,
notamment à cause de ce fils qui a vécu à Londres durant plusieurs années. C’était un
moyen de communiquer avec lui. Mais elle a eu beaucoup d’appréhensions. Et
heureusement, elle a son mari qui, lui, s’en sert bien. Il l’initie quand il le faut. Et ça peut être
difficile. Mais pour ceux qui ont envie, même dans les maisons de retraite, ça peut être
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sympa. Il faut passer cette barre de l’appréhension. C’est un peu difficile, c’est comme si on
apprenait à conduire à 80 ans.
6.5
Entretien avec Robert, 66 ans
À quoi pensez-vous quand on vous dit le mot « ordinateur » ? À un moyen ludique
d’information. Et Internet ? (réfléchit) Je dirais ouverture sur le monde. (rire) Justement,
c’était la question suivante. Pourquoi est-ce que vous considérez que c’est une ouverture
sur le monde ? Ça donne accès à un nombre infiniment grand d’information, de culture et
de loisir. Avec un grand danger, c’est qu’on y trouve n’importe quoi. C’est un monde
convivial mais dangereux parce qu’on trouve n’importe quoi. Et ce qui est affreux, c’est
qu’aujourd’hui les gens n’ont plus l’esprit de réflexion et ils prennent pour de l’argent
comptant ce qui est indiqué sur Internet, que ce soit dans le domaine social, politique ou
autre. Internet, pour eux, c’est la vérité et ils ne vont pas chercher plus loin. C’est ça que je
trouve très grave.
Quand est-ce que vous avez utilisé un ordinateur pour la première fois ? Ah, il y a quarante
ans, je pense. C’était dans mon domaine professionnel. J’ai eu un des premiers ordinateurs,
les gros qui prenaient presque une salle entière (rire). Mais là, c’était surtout pour faire des
tableaux, des rapports. Il y avait pas Internet à l’époque (rire). C’était vraiment l’outil qui
remplaçait la machine à écrire, la calculatrice et tout cet ensemble de choses.
Pourquoi vous êtes-vous inscrit au cours d’informatique du Centre Social si vous saviez
déjà vous servir d’un ordinateur ? Je voulais faire un circuit de Bordeaux à Lourdes, mais je
ne savais pas me servir de tout ce qui est traitement de texte et tout ça. Je me suis inscrit
pour apprendre à me servir de tout ça. Et alors, vous avez fait des progrès ? Oui, oui, tout à
fait. Les cours sont très bien. Finalement, c’est une amie à moi qui s’en est chargée parce
qu’on a avancé la date de rendu du projet et c’était plus simple qu’elle le fasse. Mais je
continue d’apprendre pour pouvoir le faire tout seul. C’est un peu frustrant de devoir
toujours faire appel à quelqu’un. Ça prend plus de temps pour avoir un résultat et tout ça. Je
pense que le prochain projet qu’on a, je pourrais le taper tout seul. Et quand avez-vous
commencé ? Cette année, en septembre. On progresse vite. Comme Philippe, le prof, ne
nous fait faire que des exercices et que je les refais chez moi quand j’ai le temps, on
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progresse vite. Là, en ce moment, on commence à revoir des choses vues cette année, et
d’autres petites choses rigolotes. Philippe se donne du mal pour arriver à faire ses cours.
Qu’est-ce qui vous déplaît dans le cours ? Philippe parle assez vite, et mâche parfois un peu
les mots, du coup parfois je ne comprends pas. Mais bon, il explique le reste tellement bien,
et il est tellement patient que ça ne me chagrine pas trop. Il me répète si je n’ai pas compris,
donc ça va. On voit qu’il sait beaucoup de choses, et qu’il fait attention à ne pas utiliser un
jargon trop technique. Il s’adapte à notre petit niveau. Sinon, je ne vois pas trop. La salle est
assez petite, on est vite collés les uns aux autres. Le même nombre de poste dans une salle
plus grande ça serait sûrement beaucoup plus agréable pour tout le monde.
Et quels seraient les points forts alors ? Philippe (rire). Il est hyper patient avec nous, et a
beaucoup d’humour. Après, comme je disais, on a appris vite. Je pense que je saurai faire
tout ce que je voulais apprendre avant la fin de l’année. Puis on fait beaucoup d’exercices,
qui sont vraiment orientés très pratique. On ne perd pas de temps en tergiversations
inutiles. Et même si on rigole pendant le cours, on avance. Personne ne fait la java au point
de nous freiner. C’est pour ça que j’aime ce cours. Je viens pour apprendre, pas pour
prendre le thé.
Qu’est-ce que vous apporte ce cours ? J’apprends à être indépendant. Même si ça ne
dérangeait pas trop de déléguer le travail, j’apprécie de pouvoir tout faire tout seul sans
l’aide de personne. Et sur le plan moral, social, qu’est-ce qu’il vous apporte ? Ben c’est
toujours un bon moment. On fait un peu les fous pendant le cours, on se taquine tout ça.
Mais ça ne va pas plus loin que ça. Finalement, on vient tous consommer notre cours,
apprendre ce dont on a besoin, et on part. Je n’ai pas cherché à aller davantage vers eux, je
suis assez occupé dans ma vie et je n’ai pas trop cherché à connaître de nouvelles personnes.
Et qu’est-ce que vous apporte l’ordinateur aujourd’hui ? J’y vais plusieurs fois par jour. Il
m’apporte les dernières connaissances,... J’adore parcourir le monde, et grâce à Google
Earth, je me promène partout. J’ai fait beaucoup de chantiers à l’étranger, donc je vais voir
mes chantiers. (rire). J’y vais et je les visite, parce que grâce à Google View, on peut rentrer
et visiter les bâtiments. Hier, je suis allé à Tripoli, en Libye. J’ai fait une salle des sports là-bas
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en 1980. Et je suis allée voir si elle tenait toujours. Elle était bien là, elle n’a pas été
bombardée (rire). Voilà, c’est surtout ça, et mes mails que je vérifie plusieurs fois par jour.
Après, je passe un peu de temps dessus, mais je préfère quand même aller me promener ou
faire autre chose. Je m’en sers quand j’en ai besoin.
Est-ce que l’éloignement de vos enfants ou l’arrivée de vos petits enfants vous a poussé à
davantage utiliser Internet ? Mes petits enfants sont petits encore. Peut-être plus tard, mais
pour l’instant ils sont trop jeunes. L’ordinateur, c’est un avantage parce qu’avec ma femme,
on stocke vraiment tout dessus. Après, si, c’est à tort ce que je dis. J’ai un neveu qui est au
Havre, et on s’appelle plusieurs fois par semaine par Skype. Ça fait deux ans qu’on fait
comme ça. J’ai une nièce qui est à Singapour, et malgré le décalage horaire, on peut
communiquer. Puis l’avantage c’est que c’est gratuit. Comment avez-vous appris à vous en
servir ? Ben d’abord c’est mon neveu qui m’a montré un peu. On a fait des tests à la maison.
Puis, ben j’ai pratiqué. Et j’ai bidouillé quand je ne me souvenais plus quoi faire. Vous avez
eu des difficultés ? Non. Enfin, disons le type de difficulté qu’un débutant peu rencontrer,
comme ne pas savoir où cliquer pour obtenir ce que je veux. Mais ça n’a pas duré
longtemps. Au bout de quelques fois, ça a été tout seul.
Et utilisez-vous plus Internet depuis que vous avez arrêté de travailler ? Oui, parce que j’ai
plus de temps pour les loisirs, donc je fais davantage appel à l’Internet. Puis j’utilise Internet
pour ma boîte mail, parce qu’avec tous les spams, il faut regarder régulièrement. Puis je
regarde aussi beaucoup pour les virus et tout ça. Ça arrive vite et je veux faire attention.
Vous faites des démarches administratives sur Internet ? Ah oui, oui, oui, bien sûr. Je suis
mes remboursement de Sécu, mon assurance, mes comptes en banque. J’aime quand même
avoir le papier, mais le faire par Internet, c’est beaucoup plus simple. La dernière fois, j’avais
besoin de poser une question à la Sécu. J’ai envoyé un mail et le lendemain j’ai eu la
réponse. Alors que si j’y avais été, j’aurais perdu deux heures pour avoir probablement une
réponse erronée. Même les impôts, ça m’évite de les rencontrer... C’est physique (rire).
(rire) Et est-ce que vous êtes inscrits sur des réseaux sociaux ? Ah non, ça je ne veux pas.
J’étais sur Linkedin, parce qu’un ami m’avait demandé, mais j’ai arrêté. Parce que vous
pouvez à tout moment vous faire piéger. Même si on vous dit que c’est vachement fermé,
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c’est pas vrai du tout. Des gens peuvent rentrer dans les conversations. La police suit ça en
permanence. Alors qu’ils le fassent pour des problèmes de mœurs et tout ça, d’accord. Mais
qu’ils voient ce que moi j’écris à mes enfants et amis... Du coup, je préfère leur téléphoner.
J’ai les appels illimités alors autant en profiter ! Puis mettre des photos de moi.. Ça ne
m’intéresse pas. Ça doit être de famille parce que même mes enfants n’utilisent pas ça. Le
progrès n’est jamais sans risque. Il faut inventer, mais il faut savoir aussi gérer les risques. Je
m’en sers mais je ne veux pas devenir esclave. C’est comme la voiture, si on roule trop vite,
ça peut être dangereux.
Et est-ce que vous faite des achats sur Internet ? Oui, surtout les billets de train... Puis bon,
de temps en temps, je vais sur Cdiscount et tout ça. Je regarde le prix en magasin et si je
trouve moins cher sur le site, je prends. Ça m’arrive de temps en temps, pas très souvent,
c’est quand je veux vraiment quelque chose et que ça coûte un peu cher que je l’achète sur
Internet. Les billets de train, c’est environ une ou deux fois pas mois. Et pourquoi les prenezvous sur Internet ? Ben parce que c’est plus pratique. Vous faites pas la queue ! Comme je
sais huit jours à l’avance quand je pars, je réserve et paye sur Internet, ils m’envoient le billet
et tout... J’ai pas besoin d’aller faire la queue, et je laisse des gens plus pressés faire la
queue.
Est-ce que vous avez préféré parler par Internet ou par le téléphone ? Ah non, non, non,
rien ne vaut la voix ! J’utilise très peu les mails, juste quand je n’ai pas d’autre moyen de
contacter la personne. Et est-ce que vous continuez de lire les journaux et regarder la
télévision ? Oh oui. Tous les matins, j’ai mon journal Sud-Ouest que je lis durant mon petit
déjeuner. Après, je regarde les informations de 13h et de 20h. Je reçois des flashs info de
Sud-ouest sur mon portable. De temps en temps s’il y en a un qui m’intéresse et que je veux
en savoir plus, je mets BFM TV pour avoir un complément d’information, quand ils en ont.
C’est pour dire, que je suis attaché à avoir une information rapide, mais fiable. Donc pour ça,
je ne vais pas sur Internet, parce que je n’ai pas confiance. Vous avez Internet sur votre
téléphone alors ? Oui, mais je ne l’utilise vraiment pas souvent. Je n’ai pas l’utilité d’un gros
smartphone comme ils ont tous. Celui-là me suffit amplement (il me montre un téléphone
tactile de petite taille qui semble avoir quatre ou cinq ans).C’est surtout pratique pour la
météo. J’aime bien savoir le temps qu’il fait ou qu’il va faire. J’en suis content. Puis, je n’aime
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pas du tout lire sur format numériques. Je lis rapidement mes flashs info Sud-Ouest, mais les
articles longs, je préfère beaucoup plus le papier. C’est agréable de pouvoir toucher le livre,
le sentir sous les doigts...
Est-ce que vous rencontrez des difficultés dans votre pratique aujourd’hui ? Ouh la, quand
j’en rencontre, je laisse tomber ! J’arrête ou j’appelle un copain ou Philippe. Puis ma femme
me dépanne pas mal. J’y vais pour ce que je sais faire. Les tableaux comptables, je ne sais
pas faire. Les lettres, ça ne m’intéresse pas trop. J’apprends pour me débrouiller tout seul,
mais je préfère écrire à la main. Enfin bref, je n’utilise que ce que je sais utiliser. Je ne
cherche pas à me mettre en difficulté. Donc je n’en rencontre pas trop. Si j’en ai, c’est
souvent des histoires de mises à jour ou de renouvellement d’antivirus que je ne comprends
pas trop. J’en rencontre pas beaucoup parce que j’ai une utilisation assez limitée : MSN,
Google Earth, les billets de train et d’avion. Je vais surtout sur Internet, je n’utilise pas trop
l’ordinateur en lui-même.
Qu’est-ce qui vous déplaît aujourd’hui dans l’informatique ? (réfléchit et bredouille) Pas
assez à mon goût... Enfin trop... Trop d’information, tue l’information et il n’y a pas de
certitudes dans ce qu’on va chercher. Je prends l’exemple des hôtels. Vous avez cinquante
propositions sur Google pour le même hôtel. Il y a trop de prestataires, d’offres qui se
ressemblent et qui finissent par rendre toute recherche impossible, c’est que je trouve un
peu paradoxal. On est noyés. Il y en a trop de sites qui se montent e tout ça. C’est ça qui me
déplaît, parce qu’on ne s’y retrouve plus. Pareil, quand vous cherchez un site, il y en a
cinquante qui viennent parasiter votre cherche, comme avec les pop-up et tout ça. Puis au
final, on tombe sur des sites qui n’ont rien à voir. Par exemple, on a des petits-enfants qui
aiment bien regarder des vidéos de tracteurs et ce genre de bêtises. Don on va sur YouTube,
on regarde puis d’un coup, paf, on a une image avec des filles seins à l’air qui apparaît... On
a un contrôle parental, mais ça n’empêche pas...
Est-ce que vous écoutez un peu ce qu’on peut vous dire sur l’informatique ? Des gens qui
parlent de leur expérience ou de la façon dont ils le conçoivent ? Oh oui, surtout pour ne
pas me faire piéger ! J’ai un ami qui s’est fait pirater son compte mail, et les pirates se sont
fait passer pour lui en demandant de l’argent à ses contacts. Heureusement ça s’est bien
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
terminé. Je fais très, très attention. Je n’utilise que les sites sécurisés.
Une dernière question pour la route : que pensez-vous du stéréotype qui dit que les
retraités ne savent pas utiliser l’informatique ? C’est pas faux... C’est pas faux. Mais est-ce
que c’est une nécessité de savoir tout faire ? Regardez : vous achetez une voiture, et vous ne
vous serez pas du dixième de ses capacités. Moi j’ai mon petit ordinateur, et ça me va très
bien. J’utilise ce dont j’ai besoin et c’est tout. C’est un outil très sympa, quand on n’en
devient pas esclave. Ça vous fait peur de devenir dépendant ? Non, je fais la part des
choses. Mais je comprends que certains le deviennent, parce que ça peut très vite arriver.
On peut vite tomber dans l’excès.
6.6
Entretien avec Dominique, 66 ans
J’aimerais d’abord que tu me dises à quoi tu penses quand je te dis le mot « Internet ».
« Internet, « mail ». Ah oui, pourquoi ? Parce que dans mon travail, et même aujourd’hui
encore j’envoie énormément de mail, que ce soit à mes anciens collègues, aux personnes de
la chambre du commerce dans laquelle je suis investi, ou même à mes amis. OK, et
« ordinateur » ? « Internet » (rire) Ah tu fais la liaison entre deux. Oui, aujourd’hui, on ne
peut plus penser l’ordinateur tout seul. Il y a forcément Internet qui va avec.
Et est-ce qu’Internet t’apparaît comme un monde chaud, ou plutôt méconnu. Quel adjectif
est-ce que tu associes à ce que tu ressens vis-à-vis d’Internet ? Non, pour moi c’est un
système de liaison, de réseau, c’est un système de communication. Alors ça, c’est un aspect,
à travers les mails. L’autre aspect, c’est aussi une source de connaissances, entre guillemets.
Mais je me méfie beaucoup, parce que je pense que ce n’est pas très sûr au niveau des
connaissances. Mais, malgré tout, quand je cherche quelque chose, si je n’ai pas un vrai dico,
une encyclopédie sous la main, ce que je préfère (rire), je vais sur l’ordinateur et je fais un
petit Wikipédia ou Google pour voir. Puis je me fais mon opinion moi-même. Donc oui, ça
peut être une source d’information aussi. Mais prudence. Moyennement crédible, parce que
j’ai déjà vu des erreurs donc bon… Il doit y en avoir ailleurs, sur des sujets que je ne connais
pas.
Et est-ce que tu as des appréhensions à utiliser Internet ou l’ordinateur ? Non, non. Non
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mais ça fait longtemps que je m’en sers. Mon premier ordinateur, ça devait être 1982. Ah
oui, ça fait vingt ans quand même. Oui, alors depuis, j’ai surmonté mon appréhension !
(rire)
Mais pourquoi suis-tu des cours alors ? À vrai dire, c’est ma chère petite femme qui m’y a
inscrit. Elle n’avait pas envie d’y aller toute seule, et comme il y avait une réduction pour la
seconde inscription, elle m’a inscrit, en se disant que ça me serait utile.(rire) Elle râle
souvent parce que je m’énerve sur l’ordinateur dès que quelque chose ne va pas. Bon, au
début, je boudais un peu, mais finalement c’est assez pratique. Il y a pleins de choses que je
ne savais pas. J’ai l’impression de me coucher moins bête après un cours ! J’ai maintenant
davantage de vocabulaire pour crier sur mon ordinateur quand j’ai un problème (rire). Non,
je rigole, mais les cours son finalement très bien. Comme j’avais des secrétaires, je ne
m’occupais pas de tout ce qui était traitement de texte. Aujourd’hui, j’arrive à les faire tout
seul, comme un grand. Enfin, je les faisais déjà avant, mais c’était des mises en page
beaucoup plus basiques et beaucoup plus bidouillées ! Je suis content de suivre les cours
finalement.
Est-ce que les cours ont changé votre façon d’utiliser l’ordinateur ? Oui, j’ai une utilisation
beaucoup plus conventionnelle. Avant, je tapais mes textes un peu comme je pouvais et ça
ne donnait pas forcément quelque chose de bien. Puis j’ai appris plusieurs autres choses,
comme la gestion de mes dossiers et tout ça, qui m’aident à bien m’organiser. Donc sur le
fond, je fais toujours les même choses, mais sur la forme, c’est beaucoup mieux depuis que
je suis les cours.
Quel est le point fort de ce cours ? Bien, nous sommes en petits groupes, jamais plus de cinq
ou six. Et encore, six c’est rare. Ça donne des cours assez individualisés. Si on a un problème,
nous n’avons qu’à lever le doigt ou appeler Philippe. Puis il explique bien. C’est un plaisir. On
a toujours l’image de l’informaticien binoclard caché derrière ses grands mots auxquels on
ne comprend pas un traître mot. Lui, explique calmement, parfois en ridiculisant
l’ordinateur, genre « il est un peu bête, il faut lui expliquer ». Il parle avec des mots simples,
qu’on connaît. Puis les cours sont bien remplis. On n’a jamais une minute à vide. Ça nous
permet d’avancer rapidement.
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Et quels seraient alors les points faibles ? Qu’il n’y ait pas cours pendant les vacances
scolaires. Comme il y a deux semaines à chaque fois, ça fait trois semaines sans avoir de
cours, et on a le temps de vite perdre la main. Sinon, je ne vois pas trop, j’en suis très
content.
Et est-ce que vous avez noué des liens avec les autres élèves ? À part avec ma femme non.
(rire) On est chacun sur nos postes, ce qui ne facilite par vraiment les échanges. Puis
beaucoup sont vraiment débutants et sont concentrés sur leurs ordinateurs. Moi je viens
suivre mon cours et je m’en vais. J’ai une petite activité à la chambre de commerce, et ça me
prend du temps.
Beaucoup pensent que c’est une ouverture sur le monde, est-ce que tu es d’accord avec
cette vision ? Oui, mais ce n’est qu’un aspect d’Internet. Ce n’est pas le plus important pour
moi, parce que j’ai voyagé partout dans le monde quand il n’y avait pas Internet. La
génération « soixante-huitard » avait une ouverture sur le monde, sans Internet et sans
téléphone portable. (rire) Est-ce une critique pour les générations d’aujourd’hui ? (rire)
Non, non, du tout. C’est une constatation. Ni bien, ni mal. Les époques et les technologies
évoluent. Non, mais ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas plus une ouverture sur le
monde que ce qu’on faisait dans les années 68-70. Ça facilite certaines choses, mais ça a
aussi d’autres inconvénients. Autres technologies, autres avantages et inconvénients.
Tu m’as dit, le premier ordinateur, c’est en 1982. Oui, 1982, ou 1983, Je ne me souviens
plus de la date exacte. Et c’était dans le cadre professionnel ? Cadre professionnel oui. Les
tableurs s’appelaient… Je ne me souviens même plus du nom… Ça finissait par « -plan »… Ah
oui, « Multiplan ». Est-ce que tu as suivis une formation ou as-tu appris tout seul ? Ben,
comme j’ai un diplôme d’ingénieur, j’ai eu une formation en informatique dans les années
1960. Ça existait déjà, et oui madame ! (rire). On faisait de l’informatique, mais c’était sur
des gros systèmes. On programmait nos trucs. Pour faire une addition, ça prenait plus de
temps que de la faire à la main, mais bon… Enfin, tout ça pour dire que je n’ai pas eu de
formation particulière là-dessus, c’était compris dans mon diplôme, je n’ai pas pris de cours
en plus, avant d’arriver au centre en septembre. D’autant plus que plus les années passent,
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
plus les ordinateurs sont conviviaux, et moins il y a besoin de formation pour y accéder à un
premier niveau. Après, pour se perfectionner, il y a les centres multimédia, à droite ou à
gauche, comme ici. Il y a ce qu’il faut, mais je n’en n’ai pas besoin.
Et est-ce que tu as connu des difficultés au cours des premiers mois d’utilisation ? Non…
Ben non parce que les applications étaient tellement restreintes à l’époque que ce n’était
pas très difficile pour quelqu’un ayant une formation scientifique de s’en servir. Alors non,
vraiment pas de problème, c’était pas très compliqué ! Puis l’évolution est arrivée
naturellement, et on s’est adapté tranquillement, sans que ça ne pose de problème
particulier.
Et qu’est-ce que t’apporte Internet maintenant que tu es à la retraite ? Plus des possibilités
de recherche d’information … Ben c’est ce que je te disais : recherche d’information, ça s’est
à titre personnel, je dirais. Par exemple, hier on était branché sur Audrey Puvlar. Je ne me
rappelais plus d’un livre qu’elle avait écrit, mais je me souvenais plus du nom. Tac, je suis allé
sur Internet et j’ai trouvé ce que je voulais. C’est vrai que c’est une source d’information.
Puis je m’en sers beaucoup aussi, dans le business. Bien que je sois retraité, je m’occupe
encore de pas mal de choses au niveau de la chambre de commerce ou de clubs
d’entreprises, des choses comme ça. Là, je fonctionne beaucoup par Internet, tout ça. Dès
qu’on travaille en réseaux avec des gens qui sont dispersés géographiquement, ça devient
un outil intéressant. Mais au-delà, quand je disais un peu en provocation qu’on avait une
ouverture sur l’extérieur même dans les années soixante, ce que facilite Internet, c’est
l’échange de documents.
Est-ce que l’arrivée des petits enfants et l’éloignement de ta fille t’as poussé à plus utiliser
Internet ? Non. Au début, on a fait comme tous les grands-parents un peu gâteux, c’est-àdire qu’on a acheté une webcam… Bon maintenant, c’est intégré dedans. Donc on faisait
beaucoup par la webcam. Mais maintenant on ne s’en sert plus. Donc non, ça n’a rien
changé. Vous ne vous envoyez pas des mails ? Si, quand on a besoin de quelque chose.
Quand mon épouse a besoin d’une recette de cuisine, on peut la scanner et l’envoyer. Mais
bon, au-delà de ça, ça n’a pas changé grand-chose. Non, non. D’ailleurs quand j’arrive à crier
assez fort, ma fille arrive à m’entendre depuis Sauvagnon donc ce n’est pas la peine de
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
passer pas Internet (rire). Puis on passe plus par le téléphone. Ma fille nous appelle plusieurs
fois par jour nous parler de chose et d’autres, ou quand elle a besoin de quelque chose.
Donc on ne se sert presque jamais d’Internet pour lui parler. À elle, ou à ses trois enfants.
Est-ce que tu as plus tendance à utiliser Internet depuis que tu es retraité ? Je l’utilise plus
comme source d’information, mais moins en tant que professionnel. D’accord. Et tu passes
autant de temps qu’avant ? Ça dépend de ce que je veux. Vendredi, j’ai passé tout l’aprèsmidi à mettre de l’ordre dans mon ordinateur. Je l’avais tellement saturé qu’il ramait. Et
depuis vendredi soir, je ne l’ai pas ouvert [c’est-à-dire presque deux jours, l’interview ayant
lieu le dimanche midi]. C’est très variable.
Est-ce que tu es inscrit sur des réseaux sociaux ? Ça, par contre… Tiens, on parlait de
méfiance tout à l’heure, je n’y ai pas pensé. Mais là, je suis assez méfiant sur ces choses là.
Pourquoi ? Mettre en ligne des données personnelles, je ne suis pas pour. D’abord, je n’ai
pas une grande admiration pour le fondateur de Facebook, dont j’ai vu la biographie en film.
Film d’ailleurs très intéressant. Je suis assez méfiant, d’ailleurs, y compris dans les
entreprises, en matière de recrutement, maintenant, on va chercher sur Facebook pour
trouver le vice caché du candidat. C’est vrai ? Je pensais que ce n’était qu’une rumeur ou
des actes isolés. Ah mais bien sûr. Tu ne te fais plus embaucher sans. Les DRH vont vérifier
les CV et choses comme ça sur Facebook. Alors, les trucs comme ça, ça a un petit côté
déplaisant. Donc je pense qu’il faut être très prudent avec ça, et la meilleure façon d’être
prudent, c’est de ne pas y être. Ceci étant, quand je recherche quelqu’un… Par exemple, très
récemment, on a cherché quelqu’un avec qui on était en Algérie, c’est-à-dire il y a quasiment
quarante ou trente-cinq ans. On l’a retrouvé grâce à Facebook. Ce n’est pas moi qui suis allé
sur Facebook, j’ai fait aller quelqu’un dessus pour retrouver (rire). Ma fille précisément. Et
vous l’avez revu ? Oui, oui, on lui a envoyé un mail avec notre numéro de téléphone. Il se
trouve qu’elle habite à Mont-de-Marsan, le monde est petit. On est allé manger là-bas, on a
fait des retrouvailles. C’était très agréable. Mais de là à m’inscrire sur Facebook, peut-être
pas. Et le site « Copains d’avant » non plus ? Non, mes copains d’avant, je les ai toujours.
Pas besoin de Facebook pour ça (rire).
Est-ce que tu fais des achats sur Internet ? Alors, très, très rarement. Parce que je suis un
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
homme, et c’est surtout les femmes qui font des achats sur Internet (rire). Mais, si, par
exemple… Ça a un côté sympa, je retrouve des pièces pour ma vieille 2CV pour la restaurer.
Pour ça, Internet, c’est très puissant. Avant il fallait faire les casses du coin. Maintenant, avec
les réseaux à l’international, on peut trouver des pièces en Angleterre, en Allemagne et tout.
Donc ça m’est arrivé, mais occasionnellement. J’en ai pas un vrai besoin. Ce que je pense,
c’est qu’on pourrait vendre. On a emmagasiné un tel tas de choses à la maison que je pense
qu’ils pourraient être utiles à d’autres gens, en revendant sur Internet, comme avec « le bon
coin ».
Et tu fais des démarches administratives, comme les impôts ? Alors ça… Alors voilà, un des
bons côtés. L’administration française étant plus mauvaise que sa mauvaise image, s’est mis,
quand même, au bout de quelques années, à pouvoir fonctionner par Internet… Alors ça…
Ça voilà, un côté positif, parce que ça évite de se déplacer tout simplement. Quand on est à
Mimizan, par exemple, il faut aller sur Mont-de-Marsan pour faire une démarche
administrative. Là, c’est vrai qu’on peut quasiment tout traiter par Internet. J’ai été le
premier à déclarer mes impôts comme ça, par exemple. La première année que ça a été
possible, je l’ai fait. Les systèmes de retraites, et tout ça, qui sont assez compliqués, ça se
traite très vite par Internet. Là je reconnais que l’administration française a fait un gros
progrès, alors qu’elle n’est pas réputée pour ça normalement.
Est-ce que tu es équipé en nouvelles technologies ? Est-ce tu as une télévision, lecteur
DVD, ou autre chose ? Alors oui, j’ai tout (rire). Des ordinateurs, on en a … Un, deux, trois,
quatre, cinq. Pour deux ?! Oui, pour deux, oui (rire). Et on a dix télévisions pour deux, cinq
lecteurs DVD, alors oui, on est équipés. Puis on le regarde souvent. Tu continues alors à
regarder la télé, lire la presse écrite, ou écouter la radio. Ah la presse écrite, c’est un vrai
plaisir, au-delà de la simple lecture. C’est toucher le papier, c’est comme un livre. Et même
l’I-pad, ça fait pas pareil. Tu en as un ? Non, c’est ma fille qui s’en ai acheté un pour Noël.
Mais je n’accroche pas trop avec les tablettes. Je préfère les versions papier. Puis au-delà de
ça, je trouve que c’est plus agréable au niveau de l’œil de lire un document imprimé que de
lire sur un support numérique. Puis je t’avouerai que même professionnellement, je ne
passais jamais des heures devant un écran. Je faisais passer plutôt des heures aux autres. J’ai
de la peine à comprendre comment les gens arrivent à passer huit heures devant un écran
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
sans se bousiller la vue. Au bout de quelque temps, ça doit abîmer l’œil. Le papier, ça ne m’a
jamais fait mal à l’œil. Après, c’est peut-être une question de génération. Peut-être que l’œil
c’est adapté aux écrans par mutation génétique (rire).
Tu continues de sortir ? Comme le cinéma ? Ouh la oui, on y va plusieurs fois par mois. Bon,
ça dépend des films qui sortent. Je ne suis pas très penché films d’actions américains avec
des explosions toutes les cinq minutes. Mais pour ce qui est d’Almodovar ou les autres
réalisateurs espagnols et sud-américains, là, je suis toujours prêt. On aime beaucoup. On a
beaucoup de DVD, aussi bien pour nous que pour les enfants. Mais ce que je préfère, c’est la
musique. Je me suis acheté un tourne-disque génial. Je mets mes vinyles sur le tourne
disque, je branche une clé USB dessus, et hop, ça m’enregistre le son en numérique. C’est
génial, parce que j’ai ce son si agréable du vinyle, tu sais, ce petit grésillement du diamant
sur le disque, mais le tout en numérique. Du coup, je me grave des CD pour la voiture, c’est
très agréable d’avoir cette qualité de son partout. Les disques de musique ont bien évolué, le
son est très propre, mais la sonorité des vinyles manque. Ça a perdu un peu de charme.
Et tu rencontres des difficultés aujourd’hui ou ça va ? Non, sauf que ça commence à buguer
sans que je sache pourquoi et que j’ai envie de le jeter par la fenêtre. Mais ça, d’après ce que
je sais, ça arrive à tout le monde. Je pense être à peu près normal sur ce plan là. Et le
problème, tu penses qu’il vient d’où ? D’un logiciel, d’une mauvaise manipulation et
cætera. Oui, d’un logiciel, ou… Un truc tout bête, de temps en temps mon ordinateur fait
dix, quinze, trente connexions à Internet en même temps. Je ne sais pas pourquoi. Comment
ça, il ouvre des fenêtres ? Oui, oui, voilà, il n’arrête pas d’ouvrir des fenêtres. Donc, bon, je
l’ai amené chez le réparateur en disant « voilà, il y a des trucs qui ne marchent pas ». Je ne
sais toujours pas ce qui s’est passé, ils te racontent ce qu’ils veulent. Ceci étant, maintenant,
il fonctionne. Quand c’est ce genre de choses, non, je ne me pose pas trop de questions.
Maintenant bon, ça fonctionne, ça fonctionne. En général quand ça ne fonctionne pas, c’est
qu’on a fait un bêtise avant. Il n’y à rien de plus bête qu’un ordinateur. D’ailleurs, c’est
tellement bête que pour arrêter, il faut appuyer sur démarrage (rire). À mon avis, c’est celui
qui a programmé qui est bête… Je crois qu’il s’appelle … (mime la réflexion), quelqu’un je
n’aime pas beaucoup, il me semble qu’il est connu… Bill quelque chose (rire). Donc toi, s’il y
a un problème, tu t’énerves directement. Ah ben oui. Mais pas que dans le domaine de
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
l’informatique, c’est comme ça en général.
Et qu’est-ce qui te déplaît en l’informatique ? C’est comme toute chose. Les avantages sont
liés aux désavantages du système. Ce qui me plaît c’est que c’est un système très ouvert.
Donc ça, c’est un avantage. Mais c’est aussi très complexe, donc difficilement maîtrisable en
profondeur, et pas maîtrisé du tout. On peut trouver la meilleure et la pire des choses. La
pire des choses, je pense à certains sites militants, que ce soit d’Al Quaïda ou des sites
catholiques extrêmes… C’est l’humanité quoi. Donc si on est optimiste, Internet, on trouve
ça vachement bien, et si on est pessimiste, on trouve vachement moins bien, voire
dangereux. Et si on est entre les deux, ben on prend ce qui est bien et on laisse de côté ce
qui est moins bien. Comme les gamins de douze ans qui se couchent à trois heures du matin
tous les soirs en jouant sur Internet, ça me semble être quelque chose d’un peu embêtant.
J’ai pas de solutions… Mais comme toute chose, Internet, c’est comme la cigarette. C’est bon
quand tu en fumes deux par jour, mais trois paquets, c’est mauvais pour la santé. Et tu as
peur pour tes petits-enfants ? Pas du tout, c’est pour ça qu’ils ont aucun jeux vidéo (rire).
C’est vrai qu’il y a un accès… Mais pas lié à un Internet, à la télé c’est pareil… Donc un accès
à la violence très jeune, que n’avaient pas les générations précédentes. Alors que pourtant,
on était plus près d’une guerre, mais bon… Là aussi, les générations évoluent.
Et la vision que tu te fais d’Internet, toi, c’est du fait de ta propre expérience ou tu
t’inspires de ce que tu entends ? Ah non, mais il ne faut surtout pas croire ce qu’on entend à
la télévision ou ce qu’on lit dans les journaux. La télé ou les journaux, il faut les lire par
plaisir, mais ils ne disent pas de vérité absolue. Par exemple, je me rappelle dans les années
2000, une grand-mère qui disait qu’une chose était vraie parce que c’était écrit dans le
journal… Alors : pourquoi je dis que c’est faux ? Parce que quand on lit ou voit un reportage
à la télévision sur quelque chose qu’on connaît très bien, ce qui arrive, on se rend compte
que ce n’est rien d’autre qu’un tissu d’âneries souvent… ou pour être gentil, qu’il y a souvent
des erreurs. Et sur un sujet qu’on ne connaît pas, il y a au moins le même pourcentage
d’erreur. Alors, les médias ne sont pas la vérité absolue. Avec Internet, c’est pareil. Mais
c’est divertissant. Mais, ça s’appelle le « libre arbitre de l’individu », il faut faire son propre
tri. Le problème, c’est qu’il y a plein de gens qui ne font pas le tri et qui prennent tout au
premier degré. Quand on parle des dangers, s’en est un aussi ça. Il faut toujours avoir l’esprit
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
critique.
Et que penses-tu du stéréotype selon lequel les vieux, ou retraités, ne savent pas utiliser
Internet ? Oh, c’est pas gentil (rire). Je dirais que ce n’est ni juste, ni faux. On croit toujours
que les retraités ne suivent pas les nouveautés, alors que j’ai plutôt l’impression du
contraire. Je veux dire, je suis retraité, mais je suis ce qui se passe, que ce soit aux
informations télévisées, ou sur le plan des nouveautés. Tu as bien vu comment nous sommes
équipés. Il faut vivre avec son temps. Les techniques évoluent, et nous, on évolue aussi. On
ne devient pas vieux et acariâtre dès le premier jour de la retraite. Je me sens aussi branché
et jeune qu’à l’époque où je travaillais (rire). Puis la vieillesse, c’est un état d’esprit. Moi je
me sens encore jeune !
6.7
Entretien avec Christiane, 70 ans
J’ai une utilisation très primaire, si tu veux. Je ne suis pas un fan de l’informatique. Je trouve
que c’est un outil extraordinaire parce qu’on peut trouver…pas des réponses à tout, mais
presque. Bon, après il faut trier les résultats quand même. Moi je vois, la consultation des
mails, les copains d’abord, tout ça, ça m’énerve. Puis j’ai une espèce de retenue, de réserve :
je ne mettrais pas des données personnelles sur Internet... Comme Facebook ? Ah non, non,
non, ça je ne l’utiliserai jamais. Je crois qu’ils sont en train de faire une nouvelle loi pour
permettre aux gens de retirer les données personnelles d’Internet. Moi, ce truc-là... Puis en
plus je trouve que c’est complètement artificiel ces relations virtuelles sur Internet. Ça n’a
rien à voir avec un contact réel. Ça peut être amusant, si tu le fais sur un plan ludique. Mais
je ne ferai pas comme mon mari à vérifier tous les jours sur les sites pour voir qui lui a
répondu et tout ça, à lire des tonnes d’âneries. Et ça ne te dit pas d’utiliser ces réseaux pour
retrouver des amis ou anciens collègues ? Ah non, non, non, non ! De toute façon, moi ça
serait très ciblé, c’est-à-dire mes anciennes copines que je pourrais retrouver... Mais bon,
c’est se retrouver sans se retrouver. Je vois, ma fille, elle en a plein comme ça. Mais quoi ?
Elles sont à des milliers de kilomètres, tu envoies un truc sur ta situation familiale et tout ça,
mais après, quoi ? Si tu veux, je trouve que ça reste très superficiel, c’est pour ça que je
trouve que c’est du pipeau. Mais bon, si ça fait plaisir aux gens tant mieux. Moi je n’ai rien
contre.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Et tu fais des achats sur Internet ? Alors, maintenant oui. Avant je ne voulais pas, je me
méfiais. Je disais « Oui, on va donner nos codes de cartes bancaires » et tout. Et comme une
fois, mon époux a eu des retraités en ligne sans qu’on sache d’où ils venaient. Je me méfiais.
Mais bon, j’ai ensuite vu qu’il y avait des paiements sécurisés avec PayPal. Parce que bon,
vis-à-vis du prix, c’est intéressant d’acheter sur Internet. Puis il y a une facilité, on peut se
faire un comparatif. On est chez soi, deux jours plus tard on reçoit les produits, puis c’est
sécurisé. Par contre, je ne le fais pas faire avec ma carte bleue (rire). Ça revient au même
parce qu’il y a une interférence dans nos deux comptes mais bon, c’est rassurant. (rire). On a
quand même fait des achats relativement intéressant, comme le store qu’on a commandé
en Angleterre. Puis ce que je trouve bien, c’est que beaucoup de sites sont sérieux, comme
Amazon. Il y a un suivi de la commande. S’il y a un problème on téléphone, je trouve ça très,
très bien, c’est très bien organisé. Et donc, vous avez commandé le store, mais sinon,
qu’est-ce que tu commandes d’autre ? On a fait le store, ensuite des produits pour la petite,
de l’audiovisuel. Et là on vient de changer le lave-vaisselle. On a regardé, mais il y avait des
liquidations dans un magasin à Bayonne. On a payé un peu plus cher, mais bon, si la machine
est en panne, c’est mieux d’avoir le magasin pas loin. Après pour les commandes on regarde,
on compare : le prix, la livraison gratuite. Ensuite on commande des bricoles. Maintenant, je
suis en confiance parce que je vois que c’est sérieux. Après, on n’est pas à l’abri. Ma fille, je
crois qu’elle a eu quelqu’un qui est rentré sur son compte PayPal. mais elle s’en est rendu
compte en suivant, elle les a appelés et ils ont de suite bloqué le compte. Tu as quand même
des génies, quand tu vois qu’ils rentrent à l’Élysée, et FBI et tout … J’ai beaucoup évolué làdessus. C’est comme le portable, je ne voulais pas trop mais aujourd’hui je ne pourrais plus
m’en passer. Je trouve que c’est un plus. Si tu as un problème médical par exemple, tu
appelles ton médecin... bon après il faut pas se faire de l’auto-diagnostic et se substituer aux
médecins. Le pire là-dedans, ce sont les forums. Quand tu tombes dessus bon... Puis il y en a
aussi qui en profitent pour mettre des âneries. Puis tu vois, je cherche plus par rapport à un
médicament ou un diagnostic... Mais ça ne m’intéresse pas d’aller voir les forums, parce que
c’est tellement subjectif. Ce sont des choses assez carrées, comme diagnostiquer une petite
maladie ou par rapport à un médicament. La compatibilité entre médicaments, parce que les
médecins ne prennent pas forcément le temps de vérifier... Mais bon, je te dis, il ne faut pas
se substituer à un spécialiste. Mais je trouve qu’Internet ça éclaire. J’ai besoin de
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
comprendre les choses. Donc plus j’ai d’éléments, plus ça me va. Là j’ai un kyste à la dent.
Quand j’ai dit au dentiste que j’étais allée voir sur Internet, il l’a mal pris. Mais bon, je ne me
suis pas fait un diagnostic. Ils n’aiment pas. Parce que moins tu en sais, plus tu les confortes
dans un savoir... mais moi j’aime bien savoir et poser des questions. Peut-être que je pose
des questions idiotes, mais j’ai besoin de savoir. (rire). (rire) Et tu ne commandes jamais de
produits de beauté, médicaux, ou alimentaires ? Ah médicaux non jamais. Avec toutes les
contrefaçons qu’il y a… En France, il y a quand même un contrôle assez strict, mais il y a
tellement de contrefaçon. Je vois, mon époux prend des médicaments très lourds, et il faut
faire attention aux molécules. Je ne vais pas m’amuser à commander de ça. Puis les
commandes sur Internet, ce n’est pas remboursé par la Sécu. Je vois, l’infirmière qui venait à
la maison, elle prenait de la DHEA. Elle en donnait aussi à son mari. Ils sont partis en
vacances et lui est mort d’une crise cardiaque... Je ne sais pas si c’est lié au médicament,
mais bon … Je ne veux pas faire d’amalgame. Mais il faut un suivi médical. Il faut donner à
l’organisme ce dont il a besoin mais pas plus ; Et donc produit alimentaires, beauté, tout ça,
tu ne commandes pas. Non. Puis bon, tu sais, nous on a le temps pour faire les courses. Puis
j’aime bien avoir ce contact avec les gens. Pareil, le drive, c’est pratique, mais bon, on a le
temps donc on en profite. Après, j’ai parfois fait des achats en utilisant indirectement
Internet. Une fois, j’étais allée dans un magasin, il n’y avait pas ma taille pour un vêtement
qui me plaisait et la vendeuse n’était pas très gracieuse. Donc je suis rentrée, j’ai vu sur
Internet que le vêtement était disponible à un magasin de Dax, j’ai appelé pour qu’ils me le
mettent de côté et je suis allée le chercher là-bas. C’était super, et c’est grâce à Internet.
Mais là, j’avais déjà eu une première approche de l’objet. Sinon, je ne pense pas commander
de vêtements sur Internet. Sauf pour les accessoires. Tu sais avec les problèmes de taille et
tout ça, je préfère aller essayer en magasin. Puis, on peut être déçu par le tissu, la coupe... Je
préfère essayer et acheter au magasin. Puis il faut conserver le tissu économique de la ville.
Sinon, tous les magasins vont fermer. Si c’est une question de un ou deux euros, autant
acheter en magasin. Nous on peut alors autant en profiter.
OK, d’accord. Et donc là, j’aimerais que tu me parles un peu de la façon dont tu vois
Internet, l’ordinateur. Par exemple, quand tu entends le mot ordinateur, à quoi tu
penses ? Le premier mot qui te vient à l’esprit. Ben, l’ordinateur, c’est Internet, savoir
universel, banque de données… oui parce que tu trouves tout. De nos jours, ce n’est plus
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
l’ordinateur limité au traitement de texte et au travail de bureau, comme je l’ai connu. C’est
de la connaissance. Tu veux consulter, tu as les résultats. C’est une forme de savoir universel
mis à disposition. Donc en fait, pour toi, l’ordinateur est lié à Internet. Tu ne le vois plus
sans Internet. Bien non, je ne le vois plus comme je le voyais avant. C’est révolu de toute
façon. L’ordinateur a ses fonctions. Mais pour moi, c’est avec Internet, le moyen d’avoir des
informations, sur le culturel, les loisirs. Plus après une centrale d’achat, où on peut acheter
facilement.
Et Internet, tu vois ça plutôt comme un monde chaud accueillant, ou un peu froid, un peu
méconnu, étranger ? Non, chaud et accueillant, non, c’est une possibilité, mais ça reste un
ordinateur, c’est une machine, tu tapes des mots... Non je te dis, les réseaux sociaux, faire
des échanges et tout ça, moi non. Il me faut la personne en face de moi. Après bon, si ma
fille et sa famille étaient à l’étranger, là oui, avec la webcam et tout. C’est bien parce que ça
permet d’avoir un contact. Mais dans mon cas personnel, je n’y associe pas d’idée de
chaleur. Par rapport à l’utilisation que j’en ai, comment veux-tu que je dise que c’est
accueillant. Non mais je veux dire, c’est quand même un environnement sécurisant,
comme tu me l’as dit tout à l’heure. Non, je ne me sens ni en danger, ni en sécurité. En
danger, bon, je ne fais rien pour l’être. Déjà par rapport aux pare-feux et tout ce qu’on paie
tous les mois. Chaleureux, non, quand je fais une recherche, ça m’apporte un agrément
quelconque. Je fais des recherches en rapport avec mes voyages et tout. C’est un acquis au
niveau des connaissances mais je ne vois pas ça comme chaleureux. Je fais mes recherches
et voilà. Je n’écouterais pas non plus, comme fait mon voisin, de la musique sur Internet. Je
trouve ça dégoûtant. Ah oui, pourquoi ? Je te dirai que je regrette même les CD et DVD, je
veux dire par rapport à la technique, il y a eu quand même des évolutions. J’aimais bien le
micro-sillon, j’aimais bien, tu voyais, tu suivais … Je ne sais pas... Il y avait presque un
échange, une ambiance qui faisait qu’on avait presque l’impression d’être en concert avec le
chanteur en face. Puis en plus je trouve que la qualité... même si ça a beaucoup évolué, je
trouve que c’est mieux d’écouter un CD sur une bonne chaîne. La musique manque de relief,
c’est plat sur Internet. Puis regarder des films sur l’ordinateur... nous, on a un petit écran,
donc bon c’est pas super pour regarder des films. J’ai une télé LED dans la chambre, et on
regarde les films dessus. Je préfère acheter le DVD et le regarder sur la télé que de regarder
sur l’ordinateur. J’aime bien que l’image soit de qualité. Je suis assez basique (rire).
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
(rire) Et est-ce que tu as des appréhensions à utiliser l’informatique ? Peur de te faire
pirater, ou qu’il y ait un problème. Ben on paie un abonnement pour nous protéger des
virus. Bon après, il y a des sites qui sont hautement protégés, mais ces gens-là, ça
m’étonnerait qu’ils viennent nous pirater. C’est assez ciblé quand même. Non, je n’ai pas de
craintes, on a un suivi des choses pour voir si on a des virus. Au début j’étais réticente pour
la banque. Je ne veux pas faire d’opération bancaire sur Internet. Mais on a les relevés de
compte, pareil pour la Sécu, pour la mutuelle. C’est bien parce qu’on peut suivre l’évolution
des remboursements, demander des détails. Avec le système actuel, tu n’as plus suivi. On
reçoit les papiers tous les trois ou quatre mois. Bon, c’est mieux sur Internet. Après, c’est
comme pour tout, il faut faire le suivis. À partir de là, je suis confiante. Mais bon, si on part
comme ça, je ne sors plus de peur de me faire renversée par une voiture... Donc bon, j’ai
confiance.
Et tu fais des démarches administratives comme les impôts ? Oui, ça fait un moment qu’on
le fait. Ça a été lancé il y a trois ou quatre ans. Il y avait vingt euros de réduction par Internet,
donc on a commencé comme ça. Puis en plus, on a un mois de délais en plus. C’est très
pratique. En plus, on peut sortir la feuille. Tous ces trucs, il faut vivre avec son temps. E n’’est
pas parce qu’on devient vieux qu’on ne peut pas le faire. Il doit y avoir des choses que les
jeunes font que nous ne faisons pas, mais bon, après on suit quand même. Je pense que les
vieux s’y sont mis, parce que c’est une commodité. Imagine, une femme seule, elle peut
commander et se faire livrer. Puis même s’il faut changer, ça peut se faire depuis chez soi.
D’ailleurs, c’est pour ça que les magasins font de grosses soldes. Il y a tellement d’achats en
ligne que ça fait une concurrence aux magasins. On a commandé le store sur Internet, et
quand on l’a reçu, on avait toutes les explications, les plans pour le monter. Non, c’est
vraiment très bien. Je trouve même des fois que c’est plus sympa que dans les magasins.
Quand on a des questions à poser et que les vendeurs n’ont pas le temps, c’est agaçant.
Alors que là, on envoie juste un mail et on a la réponse rapidement. C’est vraiment bien.
Et quand est-ce que tu as utilisé l’ordinateur et Internet pour la première fois ? Au début je
m’en suis fait un monde. Puis finalement, ce sont juste des opérations à suivre. Ce qui me
faisait peur, c’était la technique. Puis il y a tous les clichés que tu entends, et on retient plus
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
le négatif que le positif. Je l’ai utilisé assez rapidement. C’était le premier... D’abord c’était
une machine intermédiaire entre la machine électrique et l’ordinateur. Ça devait être dans
les années 1990, quand ça a commencé à se vulgariser. Tu as commencé à apprendre au
travail ou chez toi ? On avait fait un stage d’informatique. Par contre, mon époux a été au
club de l’informatique. Par rapport à ce que je veux faire, les cours ne m’ont au début pas
paru utiles. Je m’en sortais bien. Mais quand je suis arrivée à la retraite et que j’ai voulu faire
autre chose avec mon ordinateur, je me suis sentie un peu perdue. J’ai donc choisi, au bout
de quelques années, parce que suis têtue (rire) de m’inscrire au Centre. Tu l’as beaucoup
utilisé dans ton travail ? Oui, oui. Surtout que c’était une facilité. Une lettre tu fais
« copier/coller », « enregistrer sous », donc c’était facile. Puis, ça reste dans la mémoire
interne, on se sort ses disquettes. Mais c’était pas du tout le même genre d’utilisation.
C’était juste pour le boulot. Tu as surtout appris par toi-même ou le stage t’a-t-il beaucoup
servi ? Ils formaient les gens à l’informatique, parce que c’était les débuts, les gens n’étaient
pas préparés. Mais c’était tout ce qui avait trait à la bureautique et pas ce qu’on fait
aujourd’hui. Du coup tu penses avoir plus appris par toi-même que par les cours ? Ce n’est
pas les mêmes choses. Je pense qu’il faut des notions de bases et après c’est comme on
peut. On peut s’améliorer, mais personnellement, vis-à-vis de mes besoins, je n’ai pas la
nécessité de cours. Je me suis rendue compte de cela cette année.
Et les difficultés que tu as connu avec l’ordinateur, c’était plus de l’ordre de la prise en
main, ou un logiciel particulier ou quelque chose d’autre ? Ma difficulté principale, ça a été
de me débloquer. À partir du moment où j’ai été avec quelqu’un de pédagogue et de
patient, à l’écoute, ça a été. Le stagiaire que j’ai eu au stage a été super. Donc je ne me suis
pas bloquée. Bon après, on peut avoir des difficultés à cause de la connaissance de l’outil.
Mais sinon, non. Tu n’as donc pas rencontré de gros problèmes qui t’ont empêché de
naviguer. Non, puis au stage d’informatique, on n’avait des gens pour nous aider en cas de
problème. Pas de problème pour la bonne raison que je n’ai jamais été seule. Si on est tout
seul dans un bureau, ça doit être plus dur. Je ne dis pas que j’ai eu des problèmes. J’ai dû en
avoir, mais je ne me rappelle plus. Ça a été réglé rapidement. Dans l’heure ou la demie
journée qui suivait c’était réglé. Ce qui m’a le plus fait peur, c’était Internet parce que j’avais
ces clichés et ces a priori, qui se sont vite dissipés. Maintenant, je pense que si on n’avait pas
Internet, ça nous manquerait, parce que dans la vie, c’est quand même un plus.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Donc ce que t’apporte Internet, c’est de la culture du divertissement... (elle me coupe la
parole) Oui, puis je te dis, c’est de la connaissance. Après on doit faire le tri, mais pour ce
documenter c’est bien. Si on veut faire une recherche particulière, on trouve rapidement.
Hop, c’est vite trouvé.
Et l’arrivée de tes petits enfants a modifié ta pratique ? Ça n’a rien à voir... Bon, après,
comme ils habitent à cinquante mètres de chez toi, et que tu les vois tout le temps, c’est
vrai que tu n’as pas forcément besoin d’Internet. Mais s’ils habitaient loin, tu t’en servirais
plus que maintenant ? Ah, s’ils habitaient loin, oui, bien sûr. Au début, on achetait une
webcam pour les voir, mais c’est complètement ridicule. On s’était amusé. J’en ai acheté une
à mon gendre parce que sa famille habite en Hollande, mais pour nous, comme on habite
juste à côté, on n’en a pas besoin. Avec la distance, ça permet de faire une présence
physique, surtout pour les enfants. Ça permet de voir l’évolution. Mais là, pour l’instant, ça
ne change rien pour nous au niveau de l’ordinateur.
Et tu utilises plus l’ordinateur depuis que tu es à la retraite ? Je suis à la retraite depuis
2003. Au début, je n’en avais pas à la maison. Je l’avais au travail. Il y avait très peu Internet.
C’était surtout pour les tâches du bureau. Maintenant, ça va devenir comme le portable, ça
va devenir une nécessité. On fera tout pour Internet. Avant, on le faisait sur le Minitel ou le
téléphone. À la maison, on a l’ordinateur depuis trois ou quatre ans. J’ai commencé à m’y
mettre, mais je ne passe pas énormément de temps dessus. C’est juste quand j’ai besoin
d’un renseignement que j’y vais.
Tu viens de me parler des cours. Quand est-ce que tu t’y ais inscrite et pourquoi ? Bien
c’était l’année dernière. J’y suis allée parce que j’avais l’impression de ne pas être en
sécurité sur mon ordinateur. Je redoutais toujours d’effacer quelque chose par inadvertance,
ou de faire une mauvaise manipulation et de le casser. J’ai cherché et ai trouvé ce cours là.
Je me suis inscrite dans l’idée de me défaire de mon appréhension. Et surtout, je voulais
apprendre à ne pas me faire piégée sur Internet. Je suis très vigilante pour ça. Mon mari
s’est fait avoir, je n’ai pas envie que ça m’arrive. Il y a tellement de pirate aujourd’hui, que
j’ai un peu peur sur Internet. Et est-ce que les cours ont réussi à te rassurer ? En partie, mais
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
je me dis que les pirates ont toujours une longueur d’avance sur les autres et que je pourrais
toujours me faire avoir. Mais bon... C’est vrai que je suis un peu plus sereine qu’avant.
Philippe m’avait expliqué quelques notions pour ne pas me faire avoir, comme ne pas
répondre aux mails où on me demande mon numéro de carte ou ne pas cliquer sur des liens
suspects dans des mails de mes contacts. Je continue quand même d’utiliser des solutions
alternatives pour ne pas avoir à rentrer mon numéro de carte quand je fais mes achats.
Ensuite, j’ai appris beaucoup de choses sur l’environnement de l’ordinateur. Je sais mieux
taper mes textes, mieux me servie de l’ordinateur en général. Je ne navigue plus comme je
naviguais avant. C’est beaucoup plus fluide et simple. Je suis plus à l’aise.
On n’est jamais trop prudent. Est-ce que tu as créé des liens avec les autres élèves ? Non,
pas vraiment. Je viens faire mon cours et après je rejoins mon mari. On se promène tous les
jours avec notre cousine, on sort, et tout ça. On est pas mal occupés finalement. Puis on
garde très souvent nos deux petites-filles. On est occupés. Donc, non, je n’ai pas vraiment
chercher à me faire des amis au Centre. Ils ont tous l’air très gentils, mais on n’a jamais
vraiment parlé, et comme je suis pas mal occupée à côté, je n’ai jamais pris le temps.
Quel serait le point fort du cours ? On apprend énormément. Je n’aurais jamais cru ça
possible. Puis, surtout, on n’a pas l’impression d’apprendre tant que ça. On ne fait que des
exercices, toujours différents. On n’a l’impression qu’ils n’ont rien à voir entre eux, mais en
fait non. Ils mêlent des choses qu’on connaît déjà, et d’autres qui sont nouvelles. Je trouve
ça très bien, on n’est rarement bloqués. Puis Philippe est un amour. D’une patience
extraordinaire. Ce que j’aime bien chez lui, c’est qu’il nous laisse le temps. Il n’hésite pas à
nous répéter cinquante fois la même chose pour qu’on comprenne... Et ce sous cinquante
formes différentes ! Il ne nous presse pas. Pour quelqu’un, comme moi, qui a besoin de tout
comprendre, c’est vraiment agréable. Je n’aime pas faire des choses sans comprendre
pourquoi et comment on les fait. On me dit parfois que je suis pesante, mais c’est ma façon
d’être. Philippe, lui, est toujours content qu’on lui pose une question. Il s’en fiche de répéter
les mêmes choses. Il veut qu’on y arrive. Donc voilà. Pour moi, le point fort, c’est qu’on
apprend beaucoup de choses et rapidement. Cela ajouté à Philippe qui est un super prof,
très pédagogue et très agréable. Il a toujours le mot pour rire. Parfois je m’énerve, il vient
me voir et détend la situation en me faisant rire.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Quels seraient les points négatifs ? Bien Philippe est débordé tout seul. Je pense que c’est
pour ça qu’on n’est pas nombreux. Il aurait peut-être besoin de quelqu’un d’autre. Mon mari
a suivi les cours avec moi l’an dernier. Il a arrêté parce qu’il trouvait justement que Philippe
n’était pas assez disponible. Bon, après, il a besoin de beaucoup d’attention, c’est peut-être
des cours particuliers qu’il lui faudrait (rire). Ça fait la deuxième année que je suis là et ça me
va. Je verrai à la fin de l’année si je me réinscris ou pas, en fonction de la façon dont je me
sentirai une fois seule devant mon ordinateur, sans les cours hebdomadaires. Pour l’instant,
je me sens plutôt bien. On verra.
Tu continues à utiliser les autres médias, comme la radio, le journal, la télévision ?
Beaucoup la radio. Première chose qu’on allume le matin au petit déjeuner. On met France
Inter, parce que c’est très objectif. La télé aussi, j’adore Arte, la 5, c’est très bien fait, c’est
varié. Ça apporte beaucoup de culture. Je suis un fan de la chaîne parlementaire. J’aime bien
aussi ITélé, BFM TV, tout ça. Je zappe pour m’informer.
Je te redirige maintenant vers Internet. Est-ce que tu as encore des difficultés aujourd’hui
ou est-ce que ça va ? Je me répète, mais par rapport à mes besoins, je n’ai pas de difficultés.
Mais maintenant, si je veux évoluer, peut-être que j’en rencontrerai. Il faut juste ne pas faire
n’importe quoi, et ne pas aller sur n’importe quel site.
Et est-ce que quelque chose te déplaît en l’informatique ? Qu’est-ce que tu changerais si tu
le pouvais ? Je pense qu’il faudrait arriver à mieux sécuriser l’accès à Internet, et à mieux
gérer ce qui est publié sur les blogs et les forums ou les sites X. Je dis ça parce que quand on
entend toutes les affaires des enfants de douze à seize ans qui y vont et qui se suicident à
cause de ce qui est dit, de ce qu’ils voient sur Internet... Ça te fait peur pour tes petits
enfants ? Oui. Comme les jeux de strangulation à l’école. Pour eux, ce sont des jeux, ils ne se
rendent pas compte de ce qui peut se passer. Comme pour ce qui est sur Internet. La mort
ou le danger est abstrait pour eux. C’est en grandissant qu’on se rend compte de tout cela.
Ce que je reproche, c’est que trop de virtuel peut être dangereux. Les enfants doivent se
servir des jouets en plastique ou comme ça. Puis dans les jeux informatiques, il s’agit
toujours de ratatiner l’autre. C’est l’esprit de compétition, qui amène toujours à la
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
destruction. Je pense que ce n’est pas quelque chose à inculquer aux enfants. Chaque chose
doit aller petit à petit. Il y a trop de liberté, et trop des gens qui peuvent dire des choses pas
très correctes, comme les sites néo-nazis ou comme ça.
Une petite dernière question : qu’est-ce que tu penses du stéréotype selon lequel les
personnes âgées ne savent pas utiliser internet ? Je pense qu’on en fait une généralité. Il y
va des vieux comme des jeunes. Il y a ceux qui savent, ceux qui ne savent pas, ceux qui
veulent, ceux qui ne veulent pas. Après, je pense qu’il ne faut pas ficher. D’après ce que j’ai
entendu, les vieux utilisent plus l’informatique qu’avant. Puis les vieux ont le temps. Je vois,
quand on fait des voyages, on regarde, on se renseigne avant de partir.
6.8
Entretien avec Joël, 70 ans
Je vais d’abord te poser quelques questions sur la façon dont tu vois, perçoit l’ordinateur
et Internet. Du coup, quand je te dis « ordinateur », à quoi penses-tu ? Ah ben... outil. Et
Internet ? Eh bien j’appellerai ça presque bibliothèque, quand même. Ah oui, et pourquoi ?
Et oui parce que pour moi si tu veux, c’est un lieu où des questions que je me pose et dont je
n’ai justement pas la réponse livresque, immédiate dans l’une de mes propres
documentations... Bon ce n’est pas obligatoirement toujours scientifique, ça peut être
simplement pour savoir un prix ou toute forme de renseignement quoi. Donc a priori
Internet pour moi c’est ça, systématiquement. C’est la possibilité de, au lieu de prendre le
téléphone, d’aller sur le site voir les informations que je recherche pour essayer de trouver
la réponse.
OK. Et donc, en parlant d’Internet, est-ce que tu le vois plutôt comme un monde
accueillant, ou plutôt froid, ou méconnu ? Quel adjectif lui associerais-tu ? Mmm... (il
réfléchit en regardant vers le ciel) Ben je dirais un peu comme la langue d’Ésope, c’est-à-dire
à la fois la meilleure et la pire des choses... C’est-à-dire qu’effectivement, c’est un endroit où
je vais rechercher des choses. Mais quand je vois que les lieux que je fréquente sont
enregistrés, et que je constate à travers toutes les pubs et tout ça, tu sais où tu es sollicité...
(il fait un geste de la main pour exprimer sa colère) Et que je passe mon temps à éliminer
dans les e-mails les sollicitations qui sont faites, où je me désabonne, alors qu’en réalité, je
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
n’ai jamais été abonné. Bon ben j’ai l’impression d’être en permanence... tu vois... pisté. On
est en plein voyeurisme quoi. Oui, puis en plus quand tu vas sur un site et que tu reviens
sur ta boîte mail, tu as les pubs autour qui montrent les objets que tu viens de regarder sur
le site. Mais oui, voilà, c’est ça, quoi ! Bon sans parler pour les ciblés en matière d’âge
justement, et cætera, quoi.
Oui c’est sûr... Et est-ce que tu as des appréhensions à utiliser l’ordinateur et Internet,
comme tu sais, la peur se la fraude pour les paiements en carte bleue... Ben… Peur non. Je
crois que ce sera mon épouse d’avantage, qui elle est obsédée par la possibilité d’arnaque.
Mais c’est vrai que bon, en plus j’en ai subi une. Ah bon ? Oui, oui. Et heureusement que je
suis en permanence en train de consulter quasi quotidiennement mes comptes. Une fois je
me suis retrouvé avec deux prélèvements dont je ne savais pas d’où ils venaient. Et bon, le
tout ça faisait 190€. Ah oui, quand même ! Et oui ! Bon il a fallu que je conteste ces débits.
Parce qu’en plus je n’avais pas perdu ma carte bleue, donc à la limite c’était comme si on
avait utilisé frauduleusement ma carte. Et donc effectivement j’ai dû batailler deux ou trois
fois pour obtenir le remboursement. Mais on ne savait pas vraiment d’où il venait, quoi. On
m’a dit qu’il s’agirait de gens qui auraient accédé à une série de numéros au hasard. Et il
avait fait ça comme si je m’étais abonné quelque part, alors que je ne m’étais jamais abonné
à quoi que ce soit sur Internet. Oui... mais du coup, c’est plus du hasard que vraiment lié à
Internet, en fait... Ben si, enfin, non... Mais si, c’étaient des gens à l’étranger qui avaient
repéré sûrement des gens avec des cartes proches de miennes au niveau des numéros, qui
avaient subi le même problème. Bon, il y a ça déjà qui effectivement... Bon je passe par
PayPal habituellement, et également ma propre banque qui a son propre système, qui fait
que chaque fois je procède à un paiement protégé. Voilà, et donc je ne suis pas obsédé, mais
je procède quand même à une vigilance pour ce genre de truc.
OK. Pour continuer sur Internet, beaucoup trouvent que c’est une ouverture sur le monde.
Quelle serait ton opinion là-dessus ? Alors là, non, je ne suis pas forcément... L’ouverture
sur le monde, ça pourrait l’être si c’était effectivement si angélique que ça. Mais en même
temps, aussi, c’est l’ouverture sur beaucoup de bêtise, notamment avec l’histoire des
forums, hein, qui peuvent te donner à penser que telle chose est vraie... ça, c’est comme
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
l’histoire des photos, où maintenant aucune photo n’a de valeur de vérité, n’est forcément
vraie, parce que les photos sont retouchées... C’est tout... On peut faire ce qu’on veut, quoi.
Effectivement, disons que c’est un élément de... Mais comme tous les systèmes
d’information quoi, que ce soient la radio, ou autre. Ce sont des éléments d’informations,
mais à prendre sous réserve « de » quoi. C’est-à-dire de croiser beaucoup ton information,
pour voir si... et encore, que même en croisant l’information, il faut se méfier de
redondances que font les informations, où quelqu’un dit un truc qui est repris par un autre,
puis un autre et autre (fait un geste montrant la répétition), et sans toujours vérifier la
véracité de l’information. Alors donc, l’ouverture sur le monde, euh oui, mais toujours pareil,
avec mille précautions, et ne pas croire qu’on trouvera toujours la vérité.
Oui, ce n’est pas un outil toujours véridique. Pour ce qui est de ta pratique de
l’informatique, je voudrais te demander quand est-ce que tu as utilisé un ordinateur et
Internet pour la première fois. Ben Internet, ça fait un petit moment déjà. Non parce que
moi j’ai en fait commencé par le système... comment il s’appelle... Les macs ? Non, non, non,
bien avant... euh (réfléchit) Le minitel ? Oui, voilà ! En réalité, j’ai commencé avec le minitel,
après j’ai suivi d’un peu loin Emo5 et Theo7 et Amstrad, qui étaient les premiers. Et bon,
c’est sûr que moi, si tu veux, ma volonté d’utiliser ce type d’appareil a toujours été dirigée
dans un premier temps... C’était professionnellement, pour gérer la correspondance et pour
la gestion comptable. Et c’est après, petit à petit, avec l’évolution... J’ai travaillé très, très
longtemps avec les Macs, jusqu’au moment où la secrétaire est arrivée. Elle, n’ayant eu
qu’une formation sur Microsoft... parce que bon, j’étais dans une structure où
malheureusement on se fait piquer l’informatique tous les six mois, donc il fallait les
renouveler et on s’est adapté ! (rire) J’ai dû commencer dans... que je réfléchisse... (réfléchit,
les yeux levés vers le ciel)... Dans les années 1990-1995. Alors après, quand je me suis mis à
la retraite en 2003, j’ai fait quasiment une impasse de deux ans, en disant « j’en ai marre »,
parce qu’effectivement c’était un outil qui représentait un outil de travail, donc je n’avais
pas trop envie de m’y mettre. Mais comme en même temps j’étais attiré par un certain type
de possibilité : faire sa propre correspondance, avoir des informations pratiques... Rien que
ça, sans aller forcément vers des informations culturelles, quoi. Un jour avec ma femme on a
décidé de se payer pour Noël un ordinateur. Maintenant, on l’a depuis trois ou quatre ans...
Mais vous en avez qu’un, ou un chacun ? Non, non, on en a qu’un. Et c’est un fixe ou un
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
portable ? Oui, un portable, un Toshiba... Le Toshiba satellite 3000 (Rire) Ah oui, c’est précis
comme information ! Oui (rire)
Et donc, tu as commencé à utiliser l’informatique pour ton travail. Mais si tu as suivi une
formation au centre l’an dernier, c’est que tu ne dois pas avoir tous les outils... C’est-à-dire
que je suis allé pendant un an à un cours d’information, deux heures par semaine... Bon pas
régulièrement parce que j’avais souvent des empêchements... Oui, je l’ai fait pendant un an
ou un an et demi. Juste, à la limite pour les problèmes de nettoyage... D’éviter de saturer
l’ordinateur. C’est vrai que je n’étais pas vraiment habitué à ça, parce que, je t’ai dit, j’étais
plutôt branché uniquement gestion, où j’étais en plus avec le contrôleur de gestion, tu sais...
Ceux qui interviennent au moment des assemblées générales pour vérifier les comptes, pour
qu’il n’y ait pas de détournements fiscaux [digression sur les contrôleurs de gestion]. C’est la
secrétaire qui tapait tous les rapports. Il n’y avait que quand c’était pressé que j’écrivais moimême.
Et que t-ont apporté ces cours ? Eh bien j’ai appris à me servir de Word et tout ça. J’ai pu
taper mes textes proprement. Après, je m’en servais très bien, et même en ratant des cours,
je ne me suis pas vraiment senti en retard. C’est pour ça que je n’ai pas insisté. Ça m’a plu,
mais j’avais besoin de réponses plus précises à mes besoins. Là, c’était des cours pour
débutants.
As-tu trouvé d’autre inconvénients à ce cours ? Ben, du coup, le professeur ne répondait
pas toujours à mes demandes. Enfin, il le pouvait, mais comme ce n’était souvent pas dans le
thème du cours, il y répondait assez succinctement. Je ne lui en voulais pas, mais c’était
frustrant de ne pas pouvoir obtenir de réponses. Sinon, le reste des cours étaient bien, je les
ai trouvés bien construits.
Et quels en sont les points forts ? Comme je viens de le dire, ils étaient très bien construits,
et bien dirigés. Les débutants évoluaient vite. Je voyais bien la différence, puisque ça
m’arrivait de rater des cours. Je ne les voyais pas pendant quelques semaines, et quand je
revenais, ils se débrouillaient mieux que la fois d’avant. Je ne leur ai jamais vraiment parlé,
puisque je partais directement après le cours, mais ils avaient l’air de plus en plus à l’aise.
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Et quelles sont les difficultés que tu as connues, à cette époque-là, quand tu as
commencé ? Eh ben que... Nous... Moi... Oui... Enfin durant mes premiers contacts avec
l’informatique, on s’est complètement auto-formés, quoi. De temps à autre on avait des
cours, ou on arrivait à attraper quelqu’un, puisqu’on butait sur pleins de difficultés, et donc
on prenait quelqu’un au vol pour nous expliquer, un bénévole qui était plus pointu, et qui
nous disait « tiens, il faut que tu débloques comme ça », mais on n’avait vraiment eu aucune
formation, ni ma secrétaire, ni moi. On tâtonné comme ça … Et la seule formation, c’est le
cours que j’ai suivi au centre. Et chaque fois que tu es coincé, tu lui demandes conseil. Mais
par contre, moi ce que je … C’est pour ça d’ailleurs que je n’ai pas insisté, c’est qu’il te
débloque... il va à une telle vitesse, que jamais il ne va t’expliquer comment t’en sortir. Or
l’intérêt, c’est que quand tu as fait une faute, c’est d’arriver à t’en sortir tout seul. Mais c’est
vrai qu’on faisait très, très rarement... Je crois même me rappeler que sur la fin, j’ai fait
l’ouverture d’Internet à la maison, parce qu’auparavant, on a tellement peur... Enfin, il y
avait tellement de gens qui fréquentaient, que justement après, avec on se retrouve avec
une facture trop importante que les gens, pour une raison X ou Y, pas toujours louable... et
c’est pour ça qu’en réalité on n’avait pas d’abonnement Internet. Oui, OK. Mais je me
permets d’insister un peu sur les difficultés. Est-ce que tu te rappelles les premiers
problèmes auxquels tu as été confronté... Est-ce que c’était plutôt la prise en main,
l’utilisation de certains logiciels ou comme ça ? Les difficultés... Ben c’est le fait qu’on se
soit formés sur le tas, c’est-à-dire que justement, n’ayant pas eu de formation hyper pointue
justement sur la résolution des erreurs... Ça n’a jamais été chronologique tu vois, pas de
progression... Donc je dis, des fois on s’est retrouvé coincés sur des choses relativement
basiques. En même temps, la valeur des logiciels et tout ça, ce n’est jamais trop mesuré. Je
travaille quasiment qu’avec les logiciels gratuits, notamment … comment il s’appelle déjà …
Open office ? Oui voilà. D’ailleurs je continue à m’en servir pour la gestion personnelle. Mais
justement, j’ai voulu prendre des logiciels gratuits pour la gestion, en définitive j’ai préféré
continuer avec Open Office et me faire mes propres modèles qu’utiliser l’autre logiciel qui
était mille fois plus compliqué à utiliser. Que les trucs qui sont censés résoudre les
problèmes alors que finalement ils en créent d’autres. Bon après, je te dis, je n’ai jamais eu,
quand j’utilisais ces autres logiciels, quelqu’un qui m’a formé à leur utilisation. On avait
d’ailleurs acheté un logiciel multiple... dont j’ai oublié le nom... destiné à la gestion des
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petites entreprises mais on n’a jamais trop bien su s’en servir. Ou alors il fallait payer un
formateur, ce qui n’était pas forcément donné.
Et du coup, ici, tu n’as pas de problème particulier ? Je veux dire aujourd’hui, avec ton
ordinateur portable. Disons que si je voulais aller plus loin, je mériterais quelqu’un qui fasse
de la formation à la demande. Mais j’en ai pas forcément besoin vu ce que je fais. Moi je me
refuse de rentrer dans une formation purement traditionnelle. D’abord parce que je suis
persuadé que 70 % de ce qui va être dit, je le sais déjà. Et je préfère aller directement à la
gestion et la résolution des problèmes. Une fois on l’avait fait avec ma femme, mais j’ai
trouvé ça nul. On nous emmagasinait des tonnes d’informations pendant deux heures, du
coup à la sortie du cours, on n’avait l’impression de n’avoir rien retenu. Et puis je te dis, c’est
eux qui nous donnent le truc, alors que j’aimerais plus qu’on puisse nous poser nos
questions, pour résoudre nos problèmes.
OK. Et au quotidien, qu’est-ce que t’apporte l’informatique ? Plutôt du divertissement, de
l’information ou autre chose ? Ben je te dis, déjà une relation permanente avec ma banque.
Ça m’a d’ailleurs servi. Ensuite, j’ai des relations avec mes copains, par les mails, même si
comme je t’ai dit il y a malheureusement beaucoup de publicité qu’il faut passer son temps à
jeter. J’en ai d’ailleurs un dont je n’arrive pas à me débarrasser... C’est … soit disant des gens
qui te donne comme des bons d’achat qui te donne jusqu’à 70 % de remise sur certains
articles … Ah, oui, je crois savoir. C’est Groupon, non ? Oui, voilà. Alors une fois, ma fille
m’avait demandé pour avoir une remise. À l’époque j’étais intéressé par des informations
sur la Turquie. Et donc, Groupon, je vais voir la Turquie, je clique et je tombe sur une page en
turc. Bon, alors j’ai écrit à Groupon pour me désabonner. Mais ça n’a pas marché, et je
reçois aujourd’hui trois mails par jour. Bon, ça ne me gêne pas, mais j’en reçois tout le
temps. Et après, voilà, quand j’ai besoin d’aller faire des recherches ou n’importe, je vais sur
Internet, ça m’informe rapidement.
Ah oui, d’accord. Pour changer de sujet, tu as deux petites filles de six et neuf ans. Je me
demandais si tu utilisais plus Internet depuis quelles sont arrivées. Ah non, non, non, non.
Par contre je suis un peu abasourdi de les voir... Bon même si elles sont très orientées jeux...
abasourdi de voir avec quelle dextérité elles manipulent l’ordinateur. Pas chez nous, parce
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
que le mien elles n’ont pas le droit de le toucher. Mais celui de leurs parents, elles sont à
fond dessus. Ça me fait peur, dans le sens où je ne sais pas s’ils ont mis la protection
parentale.
Ils ont sûrement dû le faire. Et tu utilises plus Internet depuis que tu as arrêté de
travailler ? Non. Maintenant je l’utilise quotidiennement, comme quand je travaillais. En
règle générale... Ma femme, s’en sert beaucoup plus que moi. D’entrée j’ai trois
orientations : mes deux comptes bancaires que je vérifie tous les jours, ensuite la lecture des
mails et la lecture des journaux. Je vais sur la République, parce qu’il me donne des
nouvelles sur Pau, Mourenx, là où j’habitais avant.
Et tu es inscrit sur des réseaux sociaux ? Ben je suis sur Facebook. Mais, ça ne m’a jamais
rien apporté je trouve. Puis je les soupçonne d’une forme de malhonnêteté. Parce que plus
d’une fois j’ai reçu de mails disant que j’avais des demandes d’amis. Je vais sur le compte et
je vois qu’il y a rien. Ah, c’est peut-être juste des pubs... Non. Je pense que c’est pour
revendiquer que leur site est utilisé. Je te dis, je n’y vais pas systématiquement. Mais s’ils me
disent que quelqu’un m’a sollicité, j’y vais. Deux ou trois fois, j’ai déjà fait la démarche, alors
qu’il n’y avait rien. Ah, étrange. Et tu es inscrit sur d’autres sites, comme Copain d’avant
par exemple ? Oui, sur Copains d’avant et Trombi. Voilà. OK, et tu y vas pour quoi ? Pour
retrouver des amis ? Ah oui. D’ailleurs ce qui est marrant c’est que ce sont plus des copains
d’école que des collègues ou comme ça. J’ai retrouvé pas mal de gens.
Et les achats sur Internet, tu m’as dit que tu en faisais ? Oui, j’en ai fait un avec Cdiscount,
c’est un disque dur externe, pour stocker tous les films que j’ai. Mon caméscope avance en
âge, et j’ai peur de ne pas pouvoir les conserver, les relire. Je le fais pour ne pas surcharger
l’ordinateur. Le reste c’était chez Amazon, voilà... C’était pour quoi, acheter des livres ?
J’achète un peu de tout, la dernière fois c’était un porte dosette pour la machine Expresso,
aussi un lecteur vidéo pour une de mes petites filles, et j’ai acheté également un lecteur
mp3.
Et tu fais des démarches administratives, comme la déclaration d’impôt ? Oui. Oui, oui, ça
je le fais depuis le début. J’ai aussi le suivi par le site Améli, de la sécurité sociale... Tiens en
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
parlant de ça, je fais aussi la gestion de mon compte téléphonique, avec Leclerc, et
Numéricable aussi, pour l’abonnement à la télévision. Et je vais aussi bientôt le faire pour
EDF. Tu reçois les factures par Internet du coup ? Non, non, je continue à les recevoir par
courrier. Non, parce que tu comprends, je veux quand même avoir une version papier. Parce
que, moi, je me méfie. Je veux pouvoir avoir le contrôle suivi sur Internet pour jeter un œil
quand j’ai envie, mais je garde la version papier. Puis ils me demandent à chaque fois, si je
veux les recevoir par Internet, mais je ne veux pas. Pour Pass, je fais la même chose, j’ai la
gestion informatique mais je reçois aussi par courrier... (Réfléchit) Non mais c’est marrant.
C’est peut-être ma vieille habitude, mais je suis encore attaché à la valeur du papier. (Rire un
peu gêné)
Eh bien écoute, si tu te sens bien comme ça, ne change pas ! (Rire) Et est-ce que tu utilises
les autres médias ? Comme la télé, la radio, ou les journaux. Ben j’utilise oui... Non mais je
veux dire, est-ce que tu as tout laissé tomber pour ne plus qu’utiliser Internet ? Ah, moi de
toute façon, Internet, c’est le matin pour la gestion, et l’après-midi pour chercher de la doc,
vérifier les mails quand j’en ai besoin. Et je ne veux pas le soir aller... Tu vois, moi, je ne veux
pas aller regarder des émissions de télé sur l’ordinateur. OK, à chaque objet son utilité quoi.
Oui, oui, voilà.
Du coup, aujourd’hui l’informatique, tu maîtrises assez pour ne pas rencontrer des
problèmes de temps en temps ? Ben, j’ai sûrement des problèmes, de lenteur ou comme ça
que quelqu’un résoudrait si on m’expliquait tout. Mais pas au point d’aller demander de
l’aide ou suivre des cours avec un professionnel ou autre. Après, j’utilise le truc de balayage
pour nettoyer mon ordinateur, donc je n’ai pas de problèmes liés aux virus ou ce genre de
chose.
[Arrivée de l’épouse. Elle explique qu’ils ont fait changer la serrure de leur porte d’entrée
quelques jours auparavant, mais qu’ils pensent s’être faits truander par l’ouvrier. Elle veut
donc chercher le modèle de serrure sur Internet pour vérifier le prix]
Sur Internet, je voulais vérifier l’ordre de prix mais il y a de tout... La serrure BRICAL Serial S,
c’est très précis, donc on va trouver. Et il y a une carte de propriété, mais je n’ai rien dessus.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
C’est peut-être un bas de gamme...
[Elle repart, l’interviewé rebondit sur cette intervention inopinée]
Et justement, on se sert d’Internet pour trouver ces infos, pour savoir comment reconnaître
tel ou tel objet et savoir si on s’est fait avoir ou pas. Après il faut faire le tri, parce qu’il y a
beaucoup d’informations fausses...
C’est sûr ! Et pour en revenir aux difficultés, tu m’as dit que tu n’en rencontrais pas trop.
Mais quand c’est le cas, comment tu réagis ? Tu t’énerves ou tu appelles quelqu’un pour
qu’on t’aide, ou quoi ? En cas de problème ? Oui. Ben je vais faire appel... Ben il y a le voisin.
J’ai fait le self-made-man man, mais des fois j’ai eu des difficultés qu’on a vu ensemble parce
que je n’y arrivais pas. Comme pour pouvoir lire les films sur mon ordinateur. Il y avait une
carte à introduire, et on m’avait vendu chez Darty une carte qui n’allait pas. Et donc, en
réalité, c’est chez Tendelec que j’ai pu l’obtenir... Mais enfin bref, c’est avec lui qu’on avait
vu ce qui n’allait pas. Mais je te dis, les difficultés, en général, je n’ai jamais été bloqué
longtemps. Puis en plus j’ai un abonnement antivirus. Je l’ai pris d’autant plus que le jour où
j’aurais un problème, je pourrais me retourner contre eux. Parce que les trucs qu’on te vend
sur Internet, c’est garantit deux ans et tu ne sais même pas à qui t’adresser. Tandis que là,
moi je paye un peu plus cher, mais c’est à eux de le mettre à jour s’il n’est plus efficient.
Oui, bien sûr, c’est une sécurité en plus ! Et si tu avais quelque chose à changer dans
l’ordinateur et Internet, ça serait quoi ? Si tu pouvais améliorer quelque chose, ça serait
quoi ? (Réfléchit, reste silencieux et hoche la tête en signe de négation) Ça te plaît comme
ça ? Oui, oui... (silence) Pour ce que je m’en sers, ça me va comme ça... Puis je te dis, dans le
même temps je suis quand même vigilent à ne pas... Parce que même avec le temps que je
l’utilise, j’ai droit à quelques réflexions … Enfin, je n’ai pas envie d’être un « addict »
d’Internet. Parce que c’est vrai que c’est d’ailleurs le gros piège d’Internet : il y a de trucs
intéressants, mais c’est parfois lui qui te pousse à rester. La complexité des manœuvres,
genre il faut cliquer, revenir sur la page, repartir, fermer, ouvrir, et tout ça. Ça te fait perdre
un temps fou. Qui fait que si la personne n’est pas avec toi pour la recherche, elle vient en
râlant, disant « mais ça fait vingt minutes que tu y es alors que tu n’avais qu’un petit truc à
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
chercher ». Et la personne qui est dessus, elle ne se rend pas compte parce qu’elle est
concentrée. Donc si tu veux, je n’ai pas envie de simplifier, d’améliorer trop les choses pour
ne pas être tenté de passer des heures sur l’ordinateur. Ne pas me faire piéger, être l’esclave
de mon ordinateur. Je veux que ce soit moi qui commande et pas lui.
OK. Maintenant, j’aimerais te poser une question sur ton équipement en nouvelles
technologies. Je vois que tu as une télé, un lecteur DVD, un caméscope. Oui, j’ai un lecteur
DVD Blu-ray, caméscope appareil photo, GPS,... Ah oui, tu es équipé ! (Rire). Oui ! Mais la
seule chose que je ne veux pas, que mon épouse et moi ne voulons pas franchir le pas parce
qu’on n’en voit pas l’utilité, ce sont les tablettes numériques. Au niveau du téléphone, nous
on a le truc le plus simple possible. Mon Nokia, c’est celui que tu achètes à 15€ sans
abonnement. Parce que si tu veux, je n’ai pas envie... Je vois d’ailleurs, je suis abonné au
rugby, j’ai ma radio portable pour écouter le match. Et je vois les autres qui ont leur
téléphone pour regarder le match. C’est là la différence. Ça ne me fait pas envie. Parce que
souvent, il y a plusieurs matchs en même temps. Et je vois les petits jeunes avec leurs
appareils photos... Non pas l’appareil photo... En parlant de ça, moi l’appareil photo, je ne
veux pas l’avoir sur le téléphone. L’appareil photo, c’est l’appareil photo (Rire). Chaque objet
à son utilité !
Voilà (Rire) … Bon je pense que c’est bon... Ah non, je voulais te demander : la vision que
tu as d’Internet, c’est toi qui te l’es faite ? Tu ne te bases pas sur ce que tu peux entendre
par tes proches ou la télé ? Non, non, non. Ma vision d’Internet, c’est ce que moi je veux
avoir, et pas ce que les autres, ou même Internet, veulent que j’ai. Je me base sur ce que j’ai
déjà expérimenté avec Internet. Mais quand il y a des gens qui disent que c’est dangereux,
pas sécurisé, tu en penses quoi ? Tu te bases sur ce que tu vois quand tu navigues ou tu
tiens compte de ce qu’on dit ? Ben, moi, je fais quand même attention à ne pas trop laisser
de traces … De toute façon, j’ai en principe les sauvegardes sur mon ordinateur. Puis il
m’avertit si je vais sur un site dangereux, avec l’anti-virus. Donc je fais confiance à ça. Puis je
suis sûr que les gens utilisent Internet n’importe comment qu’ils se font avoir. Soit parce
qu’ils l’utilisent tellement souvent que les mecs finissent pas les repérer... Mais je pense
qu’ils préfèrent davantage espionner des endroits où ils ont plus de chance d’obtenir de
grosse sommes, que de le faire sur un petit couple de vieux (Rire) qui tâtonnent... Encore
que, je trouve que les gens du Troisième Age se sont vachement mis à Internet. Tu vas à la
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
« Maison pour Tous » à Anglet pour qu’ils te donnent les statistiques, et tu vas voir ça va être
clair : il y a les plus de 60 ans et les gamins ! Mais tu as très peu de gens en situation
d’activité.
Beaucoup pensent que les retraités ne savent pas utiliser Internet (me coupe la parole)
Encore un stéréotype ! C’est fou ce qu’on peut raconter sur les vieux ! Je ne pense pas qu’on
soit en retard, ils ne veulent juste pas comprendre que ce n’est pas forcément facile
d’apprendre quelque chose d’aussi complexe à nos âges. C’est une logique à laquelle on a dû
se plier, notamment à cause du travail. ON ne l’a pas abordé comme les jeunes, en tant que
loisir. Aujourd’hui on s’y met, surtout que c’est pratique. Il faut juste nous laisser le temps
d’apprendre. Surtout qu’on s’en sort plutôt bien !
7 Entretien avec Philippe, le professeur
En
fait
je
voudrais
surtout
que
vous
parliez
de
votre
statut
de
« professeur d’informatique »... En fait, je me demandais comment est-ce que vous en
êtes venu à enseigner l’informatique alors que vous étiez professeur de maths. (rire) Je
n’étais pas du tout professeur de maths ! Je donne des cours de maths dans une autre
association, ce que vous a sûrement induite en erreur ! Ah oui, sûrement, désolée. (rire)
Non, non, ne vous excusez pas, il n’y a pas de mal. J’étais ingénieur informaticien. J’ai
toujours travaillé dans l’informatique, depuis 1964. J’étais un chef de service, donc je traitais
la gestion, l’informatique de gestion. J’avais des secrétaires. Donc moi je ne connaissais pas
du tout la bureautique. Je leur donnais mes documents et mes rapports bruts, et elles me les
mettaient en forme. Quand je suis venu au Centre Social, à ma retraite, en 2003, je voulais
faire de tout, sauf de l’informatique. J’avais commencé à faire du FLE (Français langue
Étrangère). Puis en janvier 2004, celui qui s’occupait de l’informatique est parti, et on m’a
demandé si, provisoirement (rire) je pouvais prendre en charge le cours d’informatique. Et
donc, depuis 2004... (rire) (rire) Oui, c’est du provisoire un peu long ! (rire) Du provisoire
permanent ! Et donc, moi, au départ, il a fallu que j’apprenne la bureautique, parce que
Word, je n’avais jamais pratiqué. Donc j’ai appris assez vite, avant de commencer à donner
les cours. Ça a été très intéressant pour moi. Excel, je connaissais, mais pas Word. Donc
voilà. Alors, comme je ne suis surtout pas prof... pas pédagogue et tout ça... J’ai tout basé
sur des exercices, sur la pratique. J’ai été cherché des cours sur Internet, que j’ai transposé.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
J’ai pris ce qui était intéressant. J’ai prévu des exercices, en essayant de faire des choses
progressives, comme un cycle d’initiation. Je me suis aperçu qu’il fallait environ six mois
pour faire un cycle. Il y a des commandes sur lesquelles je n’ai pas trop insisté. En
m’appuyant sur les cours, la plupart des commandes sont apprises durant les cours, les plus
utilisées finalement. C’est vrai que quand je suis arrivé ici, il y a avait une dame qui a pris les
cours en main avant que je ne le fasse. Alors elle, elle leur faisait taper des textes à toute
vitesse sur le clavier. Mais bon, ça je ne sais pas faire. Ce n’est pas du tout mon objectif, puis
je ne sais pas le faire de toute manière, ça n’est pas mon objectif. Je ne voulais pas que les
personnes passent leur temps à taper. C’est inintéressant au possible et je ne vois pas ce que
ça pourrait leur apporter. Donc, moi je leur faisais taper quatre ou cinq lignes... parce qu’il
fallait bien qu’elles tapent un peu... Mais j’amenais la matière brute. J’amenais, sur une clef
ou une disquette, un texte brut et après on le mettait en forme. Donc, c’est comme ça que
j’ai procédé. En sachant qu’un exercice était prévu sur une, voire deux séances grands
maximum. Sachant que, comme je le dis souvent, je n’avais et n’ai toujours pas d’objectifs.
Ils progressent à leur rythme.
Comment se présente le cycle dont vous m’avez parlé ? Est-ce que vous leur apprenez à
allumer l’ordinateur et tout ça, ou est-ce que ce sont des gens qui savent déjà un peu
manipuler ? Il y a eu tous les cas de figure. Il y a des gens qui sont arrivés en n’ayant jamais,
jamais, jamais touché un ordinateur. Certains craignaient vraiment l’ordinateur. J’ai eu
également d’autres personnes... qui avaient des déficiences, dont certains qui s’endormaient
tellement ils prenaient de calmants. Le public... J’ai tout eu, en fait. Ça m’était égal du
moment que ça se passait bien. Il n’y a qu’une seule personne que j’ai refusé, au bout de la
troisième année. Elle fichait la panique dans le cours. A priori, c’est un cours pour débutant,
moi je ne veux pas faire de spécialistes, ce n’est pas mon objectif. Non, ce sont des cours
pour que les gens puissent se débrouiller. J’accepte tout à fait les gens totalement novices,
qui ne connaissent pas du tout l’ordinateur. Ça me prend un ou deux cours. Selon le public je
m’adapte. Mais de plus en plus, j’ai affaire à des gens qui maîtrisent un peu, soit à cause de
petits enfants, soit à cause du travail. Ces personnes avaient de bordereaux et tout ça à
remplir, mais finalement, elles ne savent pas utiliser l’ordinateur plus que ça. Et donc, ça va
un peu plus vite avec ces personnes-là, mais j’essaie toujours de m’adapter aux gens. C’est
pour ça que je ne veux plus de quatre ou cinq personnes.
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Oui, bien sûr ça se comprend. Je vois, vous êtes quand même très, très présent durant les
cours. Ben, si on est pas présent... Mon intérêt... Bon c’est peut-être égoïste de dire ça, mais
il faut aussi que le bénévole voit aussi une certaine motivation et un certaine intérêt à faire
ce qu’il fait. Je vois que je transmets quelque chose. S’ils oublient tout ça m’est égal. Mais je
reste à côté d’eux pour leur apprendre. Bon, après, on s’aperçoit qu’ils s’aident entre eux.
J’ai vraiment eu de tout, dont un anesthésiste de cours du soir. Selon la population je
m’adapte aux horaires. J’ai aussi eu des infirmières et des dames de la crèche...
Oui, d’ailleurs, je voulais vous demander s’il y avait un profil type des personnes qui
viennent au cours. À part que la majorité est représentée par des débutants, non, il n’y a
pas vraiment de profil type. Ça va de trente à, on va dire, soixante-quinze ans. Des
secrétaires, des cadres, des étrangers... En bref toute personne qui ne sait pas utiliser
l’ordinateur. C’est un peu le seul critère commun. Il y a plus de femmes que d’hommes. Mais
je m’adapte, car certains sont plus habiles ou habitués à apprendre que d’autre. J’accepte
tout le monde, tant que ça ne vient pas perturber le cycle d’apprentissage. J’ai actuellement
une dame atteinte d’un début d’Alzheimer. Je m’adapte. Puis je suis patient. Comme je n’ai
pas d’objectif, je peux me le permettre. Si j’en avais un, je serais plus directif. Mais là, je
peux répéter cinquante fois, ça ne fait rien. J’ai, au centre social, environ une quinzaine de
personnes en cours. Il y en a plusieurs qui ne sont pas débutants-débutants, mais qui
semblent contents d’apprendre de nouvelles choses dans mon cours. Selon moi, ils
n’auraient pas forcément besoin de continuer, mais s’ils ont envie, alors ça m’est égal.
Et vous avez des gens qui reviennent d’une année sur l’autre ? Alors à priori non, car ils
sont initiés. Certains reviennent. Alors ça n’est égal Je ne suis qu’un bénévole. Si les gens
sont contents, tant mieux. Après, le groupe que j’ai en ce moment, maintenant, je leur
donne n’importe quoi, car ils savent tout ce qu’il faut savoir ou presque. Ils sont capables de
tout faire. Je leur demande que, s’ils veulent apprendre de nouvelles choses, ils me le disent
et m’apportent de support. Mais ils ne le font pas, donc c’est moi qui apporte des
prospectus, des publicités, et je leur dis de plagier pour qu’ils mettent en pratique ce que je
leur ai appris concernant la mise en forme. Ça leur montre qu’ils sont capables de ce
débrouiller. Mais en principe, c’est un an. Bon là, pour le coup, j’ai trois cours par semaine.
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Eloria VIGOUROUX
Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Ça fait longtemps. À une période, ça allait jusqu’à cinq, mais ça s’est tassé. La seule dame
que j’ai refusée.. Ça faisait trois ans qu’elle venait, et voulait encore revenir... Mais c’est
qu’elle mettait un peu la pagaille. C’est-à-dire que quand je demandais qu’elle fasse
l’exercice A, elle voulait faire l’exercice B parce qu’elle connaissait un peu déjà. Puis quand je
voulais faire le B, elle voulait faire le C. Puis elle me parlait tout le temps, elle m’accaparait
en permanence. Et les autres sont partis. Alors là, j’ai dit non. Si quelqu’un perturbe le cours,
ça ne marche pas. Elle a essayé plusieurs fois de revenir, mais j’ai toujours refusé. Ça a été la
seule fois. Mes élèves de l’an dernier ont voulu revenir, elles sont revenues. Elles sont
contentes, donc je suis content.
Et ensuite, comment faites vous pour gérer les appréhensions des élèves ? Je vois par
exemple Nadine, qui était absolument terrifiée à l’idée de toucher un ordinateur quand
elle a commencé. (rire) Alors, là, c’est un de mes premiers objectifs de dédramatiser
l’ordinateur, de montrer qu’il ne faut pas en avoir peur. Au début, c’est toujours le même
discours : « je suis nulle, je n’y arriverai jamais, je ne sais rien faire ». Mon but, c’est de leur
montrer qu’ils sont capables. Par exemple, à une infirmière, je vais lui dire « Ben écoutez,
moi je ne suis pas capable de faire une piqûre ou des soins à un malade. Donc chacun à ses
connaissances. Mais en s’y mettant un peu, on y arrive. Donc je ne vois pas pourquoi vous
n’y arriverez pas. » C’est vrai qu’il y a quelques années, ça m’est arrivé de faire planter
l’ordinateur en faisant une mauvaise manipulation. Maintenant, c’est vrai que ça va
beaucoup mieux. Vous éteignez, ça repart... Bon, du coup, si on fait une bêtise, ce n’est pas
grave. Je ne cherche même pas à passer du temps à leur expliquer pourquoi il s’est éteint,
parce qu’ils ne comprendraient pas mon langage. J’essaie de rester simple. Bon, si c’est
quelque chose à leur portée, je leur explique, bien entendu. Mais je ne veux pas les
surcharger d’information qui ne leur serviront pas. Si c’est une erreur un peu bête, qui peut
arriver de nouveau, je leur explique, mais sinon je laisse tomber. Des fois on peut, mais il y a
tellement de chance d’appuyer sur une multitude de bouton... Puis quand je leur demande,
elles me répondent toujours qu’elles n’ont touché à rien (rire). Mais bon, il n’y a pas de
fumée sans feu. Alors bon, on s’est trompé, on s’est trompé ! Je leur explique aussi que ce
n’est pas la peine de tout retapé si elles ont fait une erreur. Je leur dis qu’il faut être un peu
fainéant, et que si on a fait un travail, ce n’est pas pour l’effacer. Je leur montre qu’on peut
souvent rajouter un paragraphe, en changer un de place. Ça ne coule pas forcément de
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
source pour elles. Ça fait partie de ma pédagogie pour dédramatiser. C’est vrai que quand
on arrive à la fin, et qu’on se rend compte qu’il manque un bout, on se dit « Zut, je dois tout
recommencer », alors que non, il suffit juste de revenir plus haut avec le curseur. Petit à
petit, ça passe... Je me souviens, oui, que Nadine était paniquée.
Ce qui m’a fait rire aussi pendant votre cours, c’est que, par moment, vous dites
« L’ordinateur il faut pas lui dire comme ci, ou comme ça, il est un peu bête ». Est-ce que
c’est votre manière de désacraliser un peu l’objet finalement ? Oui, oui, tout à fait. En fait,
il s’agit des élèves qui disent « l’ordinateur ne veut pas faire, ne veut pas faire ça ». Ils en
parlent comme si c’était un être vivant, donc je m’adapte à leur façon de voir pour qu’ils
comprennent. C’est cette génération qui a peur que l’ordinateur prenne le pas sur l’humain.
Mais ce n’est qu’une machine. Donc, je leur dis qu’il faut qu’ils s’imposent quand même,
qu’il n’a pas de volonté, mais une série de programmes qui font que si on ne demande pas
clairement ce qu’on veut, lui va continuer comme il est programmé. Avec un peu d’humour
autour de ça... Comme c’est un machine, on dit que c’est une femme et tout ça (rire). Pour
leur montrer qu’il ne faut pas en avoir peur, mais qu’il réagit en fonction de ce qu’on lui dit,
ou ne lui dit pas. Si on tape un texte au milieu, et qu’on veut revenir aligné à gauche, ben il
faut lui dire parce que lui ne va pas le deviner. À chaque, j’essaie de montrer qu’il faut lui
parler (rire). Au bout de quelques années, je me suis rendu compte que le cycle d’initiation
couvrait 90 % de l’année. En gros, on le finit aux alentours de mars-avril. Après, on reprend
des choses qui sont déjà vues. En fait, durant le cycle, on tape avant de mettre en forme. Du
coup, durant la deuxième partie de l’année, je leur montre qu’on peut également
programmer l’écriture pour que le paragraphe se mette en forme avant qu’on commence à
le taper. On voit des petits détails comme ça, qui leur permettent de choisir la façon dont ils
préfèrent travailler. Maintenant, elles saisissent beaucoup mieux, donc je leur laisse le choix.
Elles font ce qu’elles préfèrent. Si elles savent déjà comment elles veulent le présenter, elles
mettent en forme avant. Il y a aussi une différence entre celles qui ont un ordinateur chez
elles, et celles qui n’en ont pas. Mine de rien, ça fait une différence de niveau, car celles qui
en ont progressent plus vite. Donc là aussi, je m’adapte pour avoir un niveau aussi
homogène que possible, pour que personne ne se sente dépasser. Je prévois donc des
exercices pour celles qui vont plus vite, pour ne pas qu’elles se lassent. Puis si elles sont
vraiment trop à l’aise, je leur dis que ce n’est pas forcément la peine de continuer de venir.
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Mémoire Master 2 recherche et ingénierie de la recherche en SIC
Elles ont sûrement mieux à faire que de s’ennuyer dans un cours pour débutant. Je ne vais
rien leur apprendre de plus. Si elles veulent rester, elles restent ça m’est égal. Je ne sais pas
si j’ai pu répondre à toutes vos questions.
Ben, en fait, je me demandais si... (me coupe la parole). Ah, vous êtes curieuse dis-donc !
(rire) (rire) Oui, très, j’ai besoin de tout savoir ! (rire)(rire) Dites-moi tout alors ! À la base,
vous n’étiez censé faire qu’un remplacement de courte durée. Et finalement, ça fait
presque dix ans que vous faites des cours. Je me dis que vous devez être vraiment
passionné pour rester aussi longtemps. Ça m’apporte beaucoup au niveau moral. Puis, au
grand désespoir de mon épouse, je ne suis ni bricoleur, ni jardinier. J’ai toujours pensé aller
dans des associations. J’avais envie de me tourner vers ce que je sais faire. On a toujours
envie de transmettre ce qu’on sait. Donc, c’est vrai que franchement, au départ, j’avais dit
que je ne voulais pas faire ça de façon permanente. Puis, finalement, je me suis rendu
compte que je fréquentais des gens passionnants. Puis je voyais la satisfaction quand ils
voyaient leur progrès. J’ai trouvé un véritable réciprocité dans l’apprentissage. Ils
m’apportent tellement plus que ce que je leur donne, finalement... Ça me fait chaud au
cœur de les aider, de leur apprendre. Je n’ai jamais envisagé d’arrêter. Ils devaient trouver
quelqu’un d’autre pour Internet, mais j’ai finalement pris ce rôle également. Mais moi, je ne
veux pas les aider à faire leurs recherches. Ce que je fais, c’est leur dire comment le faire,
leur donner les outils, pour qu’ils soient ensuite autonomes. Je pense que si on leur apprend
assez, ils pourront se débrouiller seuls. Je trouve une satisfaction, comme pour mes cours de
maths. Je choisis qui je veux, mais je m’en occupe d’un bout à l’autre. En tant que bénévoles,
on doit aussi se sentir à l’aise. D’autre l’autre association, certains se sont mis la rate au
cours bouillon. Moi, si c’est pour être malade, ce n’est pas la peine. Je ne prends que les
personnes qui sont motivées et qui savent ce qu’elles veulent. Il y a une réciprocité dans la
relation. Je leur apporte et eux m’apporte aussi. Tout le monde est content. En tout cas, moi
je suis contente, j’y trouve du plaisir. Et les personnes aussi visiblement. Ça m’étonne
d’ailleurs qu’ils restent, parce que je ne me trouve pas hyper pédagogue, puis je parle très,
très vite. Pour dire vrai, j’avais aussi l’impression que vous parliez vite, mais aucun de ceux
que j’ai interrogé ne m’en a parlé. Au contraire, ils n’ont fait que vous complimenter !
(rire) (rire) Ah, bon, ben tant mieux s’ils sont contents alors !
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Table des matières
Introduction........................................................................................................................5
1 État de l’art de la population senior et de l’informatique..................................................8
1.1 Présentation de la population retraitée...........................................................................8
1.1.1 Le retraités en chiffres..............................................................................................8
1.1.2 L’image dépréciée des retraités dans la société française ......................................9
1.2 Présentation de l’outil informatique..............................................................................11
1.2.1 Petite histoire de l’informatique............................................................................11
1.2.2 L’informatique en chiffres.......................................................................................12
1.2.3 Les pratiques actuelles...........................................................................................13
1.3 Les seniors et l’informatique : « je t’aime, moi non plus » !..........................................15
1.3.1 Les seniors friands d’Internet.................................................................................15
1.3.2 … malgré de petites difficultés !.............................................................................17
1.4 Un bref historique du Centre Social de Bagatelle..........................................................18
2 Méthodologie.................................................................................................................19
2.1 Cadre théorique.............................................................................................................19
2.1.1 Les seniors de Mr Guérin........................................................................................19
2.1.2 Le marketing selon Tréguer....................................................................................22
2.1.3 Duguay et la consommation en TIC........................................................................24
2.2 Développement du terrain.............................................................................................25
2.2.1 L’échantillon basé sur la diversité sociale...............................................................25
2.2.2 Journal de bord d’un enquêteur.............................................................................26
2.2.3 Pourquoi l’entretien semi-directif..........................................................................27
2.2.4 Focus sur la méthode d’analyse : thématique et horizontale................................28
3 Analyse des entretiens...................................................................................................28
3.1 Les hypothèses à l’épreuve du terrain...........................................................................28
3.1.1 Utilisation des mails réservée au cercle social élargi.............................................28
3.1.2 Achat sur Internet : facilité d’information et petits prix........................................31
3.1.3 Le cours d’informatique : pas de création de lien social mais une démarche
individualiste....................................................................................................................33
3.2 Pratiques et représentations : l’informatique au quotidien..........................................36
3.2.1 La pratique..............................................................................................................36
3.2.1.1 Difficultés surmontables et surmontées........................................................36
3.2.1.2 Internet comme outil de recherche d’information........................................39
3.2.1.3 Rejet en bloc des réseaux sociaux..................................................................41
3.2.1.4 L’exclusion sociale par le numérique..............................................................43
3.2.2 Les représentations................................................................................................45
3.2.2.1 La théorie de la consommation en TIC à l’épreuve des retraités...................45
3.2.2.2 Internet : la fonction principale de l’ordinateur.............................................46
3.2.2.3 La peur de la dépendance...............................................................................47
3.2.2.4 Le leitmotiv des seniors : « il faut vivre avec son temps ».............................49
3.2.2.5 Un attachement très profond aux médias classiques....................................51
4 Les modes de propagation de l’innovation.....................................................................54
4.1 L’empirisme comme mot d’ordre...................................................................................54
4.2 Désacralisation de l’outil................................................................................................55
4.3 La figure du médiateur : instrument primordial de propagation..................................57
Conclusion ........................................................................................................................59
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................62
WEBOGRAPHIE..................................................................................................................63
ANNEXES...........................................................................................................................66