le bonheur ça s`apprend

Transcription

le bonheur ça s`apprend
dossier
le bonheur
ça s’apprend
Vous portez ce projet depuis trois
ans. Pourquoi y tenez-vous autant ?
J’ai l’intime conviction que rassembler
toutes sortes de gens pour parler du
bonheur peut créer une dynamique, une
véritable synergie. Ceux qui auront assisté au congrès vont en parler à d’autres,
qui eux-mêmes toucheront d’autres personnes. Si l’on veut faire reculer un tant
soit peu le discours dominant éminemment teinté de pessimisme, on n’a
d’autre choix que d’unir nos efforts !
Parler de l’art d’être heureux par
ces temps de crise, n’est-ce pas une
gageure ?
Sûrement, oui. Mais peu importe ! Para­
doxale­ment, l’être humain n’est pas toujours très réceptif au sujet du bonheur.
Dans les années 1980, une chaîne de
Propos recueillis par Isabelle Gravillon
télévision avait lancé un journal des
bonnes nouvelles. Il a été supprimé au
bout d’une semaine, faute de téléspectateurs. Plus près de nous, en 2011,
l’émission Leurs Secrets du bonheur,
imaginée et présentée par Frédéric
­Lopez, a dû rendre l’antenne après trois
numéros seulement, là aussi faute d’audience. À l’inverse, les émissions consacrées à de terribles faits divers font des
scores phénoménaux ! Tout se passe
comme si l’on préférait entendre parler
du malheur des autres et ainsi pouvoir
se rassurer, par comparaison. Peut-être
le bonheur apparaît-il comme un sujet
un peu inquiétant car inaccessible…
Et ce n’est pas le cas, vous pensez
qu’il est à la portée de tous ?
J’en suis absolument convaincue, à
condition de le vouloir. Pour être heureux, il faut à un moment donné décider
de l’être ! Le bonheur se gagne, se
cultive : il ne vous est pas donné en l’état
et n’est jamais acquis une fois pour
toutes. Le maître mot dans cette affaire
est d’apprendre à réorienter son attention. Si, quand vous vous levez, vous
regardez seulement le ciel qui est bas,
l’heure que vous allez perdre dans les
embouteillages, il y a peu de chance que
votre journée soit agréable et amusante.
Si en revanche vous vous dites que pendant le trajet vous allez en profiter pour
écouter une musique que vous aimez,
penser à tout ce que vous allez faire
d’intéressant dans les heures à venir,
vous colorez votre journée d’une teinte
beaucoup plus joyeuse !
Mais dans certaines circonstances
douloureuses de l’existence,
il est tout de même difficile de voir
le verre à moitié plein, non ?
Il n’est pas question de tomber dans une
espèce de croyance naïve que tout est
beau et merveilleux dans la vie. Personnellement, je vois bien dans ma vie tout
ce qui ne va pas, les soucis et les problèmes, je ne les nie pas. Mais en parallèle, je vois aussi tout ce qui me
convient, tout ce qui est agréable.
photos stéphanie têtu / Picturetank
L’art d’être heureux, tout un programme
qui sera au cœur de deux journées au
mois de juin à Avignon (voir encadré).
Parrainé par la comédienne Véronique
Jannot, cet événement est né de la volonté de Marie-Paule Rous. Ancienne
infirmière psychiatrique, ayant vécu
elle-même une enfance difficile, elle est
devenue psychothérapeute. Aujour­
d’hui apaisée et heureuse, elle souhaite
partager sa joie de vivre.
si chacun se fait son idée du bonheur, certains,
à force de courir après, oublient peut-être
qu’il vient d’abord et avant tout de l’intérieur.
Oui, il existe des moyens de l’atteindre et
de cultIver la joie de vivre. C’est ce QUE NOUS
RAPPELLE Marie-Paule Rous, qui organise
un congrès sur ce thème en juin. Entretien.
N o20 ✦ m a i - j u i n 2014 ✽ FemmeMajuscule
31
dossier
Comment avez-vous acquis cette
forme de sagesse ?
J’ai eu un premier déclic vers l’âge de
9 ans. Enfant, j’ai reçu une éducation
religieuse et j’étais très gênée par la
confession. Je trouvais bizarre que l’on
soit obligé de fouiller dans sa vie pour
trouver des choses négatives à se faire
pardonner, quitte parfois à en inventer
pour avoir quelque chose à dire ! Je
n’étais pas en accord avec cette mentalité. Et puis un jour, j’ai eu une révélation
en lisant le Journal de Mickey : j’y ai découvert que les Castors Juniors, eux, faisaient chaque jour la liste de leurs
bonnes actions. Cela m’a semblé nettement plus motivant et j’ai décidé d’adopter leur philosophie très positive. Un
deuxième déclic a eu lieu vers l’âge de
ureux
d’êtres he
presse l’art
27 ans, alors que je venais d’accoucher
de ma fille. Là encore, j’ai pris une décision importante : faire à mon enfant le
cadeau d’une maman positive, joyeuse,
orientée vers une vie heureuse. À partir
de là, j’ai entrepris une démarche volontaire pour me doter de certains outils.
J’ai moi-même fait une thérapie, je me
suis formée à plusieurs approches, notamment la programmation neuro-­
linguistique et l’hypnose ericksonnienne. J’ai aussi fait un travail spirituel.
En réalité, je n’arrête jamais, je me surveille en permanence !
Comment avez-vous choisi
les conférenciers qui seront présents
à votre rendez-vous du bonheur ?
L’idée est de proposer une palette la
plus large possible de chemins pouvant
conduire au bonheur (la communication non violente, la méditation, etc.), et
cela à tous les âges de la vie. Car l’art
d’être heureux s’apprend très tôt et devrait être une préoccupation éducative
essentielle des parents. Et, contrairement à ce que l’on croit, on peut être
heureux dans le grand âge et même
mourir heureux. Tous ces aspects seront abordés lors du congrès.
La toute première chose est sans doute
d’accepter son âge, faute de quoi on vit
dans la nostalgie perpétuelle de ses
20 ans ou de ses 30 ans. Ça ne peut pas
rendre heureuse ! Ensuite, je conseillerais d’avoir de la douceur et de la compassion pour soi, de cesser de se juger
négativement. Une troisième voie
pourrait être de faire ce que l’on sent
juste pour soi, en arrêtant de tenir
compte des regards extérieurs et des
modèles qu’on veut nous imposer. Enfin, ne pas tomber dans la guerre des
générations, ne pas entrer en rivalité
avec les plus jeunes mais plutôt opter
pour la solidarité et la collaboration, le
donner et le recevoir, voilà un chemin
certain vers la joie de vivre.
« Éprouver du plaisir en donnant
du sens à ce que l’on vit rend heureux »
Pourquoi avoir demandé
à Véronique Jannot de parrainer
l’évènement ?
Parce qu’elle est l’image même de la résilience : elle a su transformer les malheurs importants auxquels elle a dû
faire face en véritables opportunités
pour vivre mieux. On voit d’ailleurs sur
son visage qu’elle est heureuse, elle a un
côté lumineux tout à fait contagieux !
Deux jours pour cultiver
son aptitude au bonheur
Le congrès L’Art d’êtreS heureux
se déroulera les samedi 21
et dimanche 22 juin au palais des
Papes à Avignon. Programme
complet, liste des intervenants,
thèmes des conférences
et inscription en ligne
sur : art-etre-heureux.com
e opale
Être heureuse c’est aussi être le plus
possible dans le présent. N’avoir ni nostalgie, ni regrets, ni acrimonie par rapport au passé. Et ne pas rêver non plus
d’un futur idyllique. Être là, tout simplement, vivre ce qui se présente et
l’apprécier.
Quelles sont les pistes que vous
conseillez d’explorer aux Femmes
Majuscules ?
tsas / Agenc
Philippe Ma
C’est donc ça votre secret
du bonheur ! En avez-vous d’autres
à nous faire partager ?
Marie-Paule Rous
Service de
Je prends toujours les deux en
considération, c’est une question
d’équilibre. Du coup, ce qui ne va pas ne
me démolit pas, car je n’y accorde pas
une importance démesurée. Surtout, en
gardant une vision positive et optimiste
sur le monde qui m’entoure et les événements que je traverse, je ne me laisse
pas contaminer par la grisaille ambiante, je suis moins perméable aux discours pessimistes. Pourtant, par mon
parcours professionnel – j’ai notamment été infirmière psychiatrique –, j’ai
souvent été en contact avec les plus
grandes souffrances humaines. Mais j’ai
compris une bonne fois pour toutes que
la vie est un chemin. Parfois il est bordé
de fleurs, parfois il est garni de cailloux
qui font mal aux pieds. Il n’y a rien de
grave là-dedans, c’est juste la vie…
« La vie est un chemin parfois bordé
de fleurs, parfois garni de cailloux
qui font mal aux pieds. Il n’y a rien de
grave là-dedans, c’est juste la vie »
Thierry Janssen
docteur en médecine
psychothérapeute
Trouver le chemin du
bonheur, est-ce que cela
demande des efforts ?
Cela demande surtout de
comprendre ce qui rend
heureux. Beaucoup de
gens croient que s’ils font
certaines choses et
possèdent certains biens,
ils seront heureux. Mais ils
oublient de se réjouir
d’une foule de cadeaux
que la vie leur fait. Pour
être heureux, il faut goûter
le moment présent et,
même s’il ne correspond
pas exactement à ce que
l’on attendait, éprouver de
la gratitude pour ce qui
est. Idéalement, il ne
faudrait pas avoir trop
d’attentes. La vie devient
alors une succession de
surprises, bonnes et moins
bonnes. À nous d’en faire
quelque chose d’heureux.
Pour vous, le bonheur
dépend de notre capacité
à donner du sens à la vie.
Les études menées en
psychologie positive
montrent que le « bonheur
authentique » – je préfère
dire « épanouissement » –
apparaît lorsque l’on peut
éprouver du plaisir tout
en donnant du sens à ce
que l’on vit. Nous en avons
besoin pour échapper
à l’anxiété provoquée par
l’absurde. Et ce qui donne
le plus de sens est
de pouvoir exprimer
le meilleur de soi en lien
avec les autres.
Et le plaisir, quel rôle
joue-t-il ?
Le besoin de plaisir est
aussi important que
le besoin de sens, car
il est ce qui nous motive.
Nos plus grands plaisirs
naissent d’actions vitales :
manger, se reproduire,
faire du lien avec
les autres. Cependant,
plus on avance en âge,
plus le besoin de sens
devient prépondérant.
Sans doute parce
que nous avons le recul
nécessaire pour attribuer
une signification
au passé et que, prenant
conscience du temps
qui passe, nous souhaitons
choisir une direction
pour le futur.
N o20 ✦ m a i - j u i n 2014 ✽ FemmeMajuscule
33
presse l’art
d’êtres he
ureux
dossier
Service de
Le bouddhisme semble avoir été
un atout majeur dans votre
conquête du bonheur. Comment
l’avez-vous découvert ?
Depuis des années, et malgré les coups
durs, la comédienne, 57 ans tout juste,
cultive son don pour le bonheur… et le
transmet aux autres.
Pourquoi avoir accepté d’être
la marraine du congrès L’Art d’êtreS
heureux ?
Aujourd’hui, nous avons perdu les
codes du bonheur, nous vivons dans un
monde qui ne peut plus rendre l’homme
heureux. Les différentes évolutions, les
progrès technologiques sont allés si vite
que le cerveau humain n’a pas pu suivre,
il n’est plus dans un rythme qu’il est
apte à gérer. Résultat, beaucoup de gens
se sentent malheureux, hors-jeu. Il me
semble essentiel de saisir toutes les
occasions pour grappiller des connaissances sur le bonheur et les différentes
manières d’y arriver. Ce congrès va
donc exactement dans le bon sens, d’où
mon plaisir à le parrainer.
On vous sollicite régulièrement pour
faire des conférences sur ce thème.
Comment l’expliquez-vous ?
Je pense être plutôt douée pour le bonheur ! J’ai toujours eu au fond de moi
une espèce de gaieté qui n’a jamais cédé,
même devant les épreuves les plus douloureuses. C’est sans doute parce que
j’ai beaucoup réfléchi à cette aptitude
particulière, notamment à travers le
livre que j’ai écrit (1), qu’aujourd’hui on
m’identifie comme qui quelqu’un qui a
une légitimité à s’exprimer sur ce sujet.
J’ai la sensation tout au fond de moi que
j’ai un rôle de transmission, que je peux
être un relais et faire comprendre aux
autres ce que j’ai compris.
34 FemmeMajuscule ✽ m a i - j u i n 2014 ✦ N 20
o
« Je peux jouer
un rôle de
transmission,
faire partager ce
que j’ai compris »
Véronique jannot
Un peu par hasard, au fil de lectures et
de rencontres. Le Prophète de Khalil
Gibran, Propos sur le bonheur du phi­
losophe Alain, Les Chemins de la sagesse d’Arnaud Desjardins, Le Livre tibétain de la vie et de la mort de Sogyal
­R inpoché ont été pour moi des ouvrages salvateurs, ils m’ont profondément marquée et conduite petit à petit
vers le bouddhisme. En creusant cette
voie, je me suis rendu compte que les
enseignements de cette religion faisaient écho à ce que je ressentais dans
mon corps, mon esprit, à ma façon de
voir la vie après la maladie.
Êtes-vous pratiquante ?
Parmi ces épreuves que vous
évoquez, vous avez eu à 22 ans un
cancer qui vous a rendue stérile…
Avec le recul, je peux dire que j’ai été
heureuse de traverser cette maladie.
Elle m’a appris qu’il faut savoir reconnaître chaque petit bonheur et en jouir.
Quand on a failli mourir, tout est du bonus, cela donne un regard très positif
sur la vie ! J’ai aussi appris à accepter la
souffrance comme un « squatteur »
qu’on ne peut éviter, mais à ne surtout
pas devenir cette souffrance, à ne pas
me confondre avec elle. Quand on est
revenu d’une telle épreuve, on est armé
pour dépasser toutes les autres : on sait
que ça prendra du temps mais qu’à un
moment, forcément, les nuages se dissiperont pour laisser place au soleil. Cette
certitude permet, même au fond du trou,
de ne pas rater les petites lumières et de
s’y accrocher, en attendant…
Je suis une femme d’action plus que de
prière ! Voilà pourquoi j’ai créé Graines
d’Avenir, une association qui soutient et
parraine des enfants tibétains en exil.
Cet engagement envers le peuple tibétain persécuté me semble juste : il me
donne l’occasion de me sentir utile et
d’insuffler du sens à ma vie.
Votre métier de comédienne a-t-il
contribué à votre bonheur ?
Oui, dans la mesure où il m’a permis
d’incarner des personnages très forts et
porteurs de messages d’espoir. C’est
notamment le cas de Pause-café, une
série où je jouais le rôle d’une assistante
sociale pleine d’humanité qui, je crois, a
fait du bien à beaucoup de gens. Et puis
surtout, mon métier et la notoriété que
j’en ai tirée me permettent de servir les
causes qui me sont chères, de leur offrir
une vitrine. Non, ce métier n’est pas que
paillettes et superficialité ! Il est ce
qu’on en fait. Pour ma part, je crois avoir
réussi à en tirer le meilleur.
1. Trouver le chemin, éd. J’ai Lu.