Le « Jour de l`hôpital » : comment faire d`un lieu… un temps du
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Le « Jour de l`hôpital » : comment faire d`un lieu… un temps du
Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220 DOI 10.1007/s11839-015-0546-y ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER Le « Jour de l’hôpital » : comment faire d’un lieu… un temps du parcours de soins ? Regards croisés du psycho-oncologue et de l’oncologue à l’hôpital de jour The “Day of the Hospital”: How to Make a Place… a Time for a Care Pathway Journey? The Perspective of a Psycho-Oncologist and an Oncologist at a Day Unit P. Saltel · C. Levy Reçu le 21 mai 2015 ; accepté le 30 septembre 2015 © Lavoisier SAS 2015 Résumé Les enjeux de calendrier, d’horaires, de temps d’attente deviennent décisifs dans le contexte actuel des soins qui sont aujourd’hui, le plus souvent, ambulatoires. À l’hôpital de jour (HJ), les rencontres successives avec les soignants pour les traitements et le dépistage de symptômes sont des moments souvent brefs mais qui, néanmoins, assurent la continuité des soins, ainsi rythmée comme dans un rituel, par le « Jour de l’hôpital ». Ce jour peut-il alors s’émanciper quelque peu des contraintes d’une temporalité pressée, du seul temps des horloges et des « obligations » mais, par sa discontinuité, faire apparaître un temps plus singulier, attentif au vécu de chacun ? Une meilleure connaissance par les soignants des diverses dimensions de la temporalité perçue autoriserait d’en orchestrer les « accords » selon les catégories par exemple, du temps perdu, du temps des « au revoir » ou du temps donné. Ce temps qui n’était pas planifié et qui, par surprise, fait le plus sûr remède au dépit. Un dialogue entre une oncologue et un psycho-oncologue en propose certaines des conditions, alors que les changements dans les modalités d’administrations de « nouvelles molécules » peuvent être une opportunité, pour revisiter nos pratiques. Mots clés Organisation des soins · Satisfaction du patient · Nouvelles molécules · Temporalité · Psycho-oncologie · Épuisement professionnel Abstract Scheduling, timetabling and waiting time challenges are becoming decisive in the current context of care, P. Saltel (*) Centre Léon-Bérard, 28, rue Laennec, F-69008 Lyon, France e-mail : [email protected] C. Levy Centre François-Baclesse, F-14076 Caen cedex 05, France which is most often provided as an outpatient. At the day unit, successive encounters with care providers for treatments and screening of symptoms are often brief moments in time, but which nevertheless ensure the continuity of care, which is rhythmical, like a ritual, by the “Hospital of the day”. Can this day be freed from the restrictions of a hurried temporality, one ruled by the clock and “obligations”, and through its discontinuity create time for the individual and dedicate more time to each person’s story? A better understanding by the care providers of the various dimensions of perceived temporality would allow “agreements” to be set up, based on categories, such as lost time, “good-bye” time or given time. This time, which was not scheduled and, surprisingly, does the most to remedy resentment. A discussion between an oncologist and a psycho-oncologist provides some of these conditions, whereas changes in the method of administering “new molecules” may be an opportunity to revise our practices. Keywords Organisation of care · Patient satisfaction · New molecules · Temporality · Psycho-oncology · Occupational burnout « Le temps est un phénomène de perspectives. » (Jean Cocteau) La notion de temps est omniprésente en cancérologie : « combien de temps va durer mon traitement ? »… « Combien de temps me reste-t-il à vivre ? »… Ces questions reviennent de façon récurrente lors des consultations des patients avec leur oncologue, mais aussi lors d’entretien avec d’autres professionnels de santé (infirmières, psychologues et psychiatres en particulier). Même si la valeur du temps correspond à une unité « objective », généralement exprimée en mois en oncologie, le vécu de cette durée semble variable selon le point de vue du patient ou des soignants. L’amélioration des taux de Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220 guérison de différents cancers grâce à la mise au point de thérapies plus efficaces et/ou plus ciblées modifie le regard des patients et plus globalement de la société sur cette notion de temps. Par ailleurs, de nouveaux modes d’administration de certains traitements : voie orale (capécitabine, vinorelbine, lapatinib) et plus récemment voie sous-cutanée (trastuzumab, denosumab) retentissent sur l’organisation du temps dédié au traitement (réduction du temps nécessaire à la préparation et à l’administration des traitements intraveineux), ce qui peut faire évoluer et améliorer le vécu qu’ont les patients du déroulement de la prise en charge. Nous tenterons d’analyser ici, au travers d’un « dialogue » entre psycho-oncologue et oncologue, les différentes composantes de cette valeur temps et leur évolution dans le contexte de la cancérologie à l’ère des traitements individualisés. De nouvelles temporalités en cancérologie L’oncologue L’incertitude concernant le pronostic de la maladie et les possibilités de guérison reste une dimension bien particulière en cancérologie. Le terme de « longue maladie » témoigne de cette difficulté à pouvoir assurer un jour la guérison mais tout autant la possibilité de traitements prolongés. Les patients, eux, expriment souvent ce sentiment que « le temps est compté » ! Il se partage entre les phases de traitement et les périodes de rémission exposées au risque de la récidive. Même dans les situations de « bon pronostic », la guérison est toujours difficile à garantir, les rechutes peuvent être très tardives… On voit donc que la perspective donnée à la personne malade est un espace-temps centré sur la maladie, souvent imprévisible et dans laquelle il lui est difficile de se projeter. L’arrivée de thérapeutiques innovantes a ouvert de nouvelles perspectives : • • apparition de la notion de « thérapie ciblée » puis de « médecine personnalisée » : ces termes peuvent induire la confusion dans l’esprit des patients. Les traitements ciblés sont dirigés vers une spécificité biologique de la cellule cancéreuse et non une spécificité de la personne malade…, et cette représentation différente de la maladie entre le patient et l’oncologue peut être la source d’une possible frustration pour le patient. Il paraît donc préférable de parler de médecine « individualisée » ; possibilité de maintenir une pression biologique sur les cellules cancéreuses par une maintenance des thérapies ciblées, laissant espérer la transformation du cancer en « maladie chronique », notion à l’évidence bien différente de celle de guérison espérée par les malades. 215 Ces distinctions ne sont pas purement terminologiques, elles mettent en exergue des différences de représentation de la maladie qui peuvent générer insatisfaction ou incompréhension de la part des patients, compliquer le dialogue avec les soignants et perturber l’image que leur renvoie la société. Le psycho-oncologue C’est le cas de la notion de chronicité, désormais assez utilisée, mais que la dialectique « prolongation/échappement », liée à l’efficacité limitée dans le temps de ces nouvelles thérapeutiques, rend bien relative en justifiant la réflexion des patients : « cela ne bouge pas…, mais il n’y a pas d’amélioration ! ». Devrait-on mieux définir les catégories de « maladie évolutive » et de « maladie stabilisée », pour ne pas en rester à l’insistance de cette prédiction : « cela échappera inéluctablement… » ? La plainte si habituelle, « je ne peux plus faire de projets… », témoigne de la complexité du temps « perçu » et entretient la quête d’un pronostic ou d’une espérance de vie quantifiée qui rend l’aléatoire insupportable. Cependant, l’avenir ne peut se prescrire, même s’il paraît dépendre de l’efficience provisoire d’une molécule, et en risquant d’assimiler projets et avenir, on néglige l’injonction philosophique de Heidegger : « Tout commence avec l’avenir » [1]. La dimension humaine de l’avenir appartient au temps présent, il est d’emblée le ressort d’une curiosité au possible et ainsi paradoxalement, il précède l’épreuve d’une réalité « concrètement » matérialisée pour en être plutôt la condition suffisante… De même que la mémoire du passé se réécrit chaque jour à l’aune des péripéties actuelles, le futur est toujours une hypothèse déjà mise à l’essai, selon plusieurs options… Le temps, une dimension de la « satisfaction » du patient en soins ambulatoires, bien paradoxale ! L’oncologue Les patients, les soignants ainsi que les établissements de santé ont dû s’adapter à l’évolution des thérapeutiques avec la multiplicité de lignes de traitement, parfois sur plusieurs années. Aujourd’hui, ce sont les « traitements de maintenance » spécifiques des thérapies ciblées, qui maintiennent la pression sur les cellules cancéreuses en situation « d’addiction » par rapport à la cible incriminée. Maintien facilité par la bonne tolérance de ces traitements au long cours, ce qui était auparavant impossible avec la plupart des chimiothérapies. Ainsi, la nécessité d’un maintien du trastuzumab (un an en adjuvant, traitement très prolongé en phase 216 métastatique) dans le cancer du sein HER2+ oblige les patientes à des venues régulières à l’hôpital, ce qui va avoir des conséquences sur leurs habitudes de vie. À l’inverse, la durée des séjours hospitaliers s’est considérablement raccourcie au fil des années ; la quasi-totalité des traitements sont réalisés en ambulatoire en hôpital de jour (HJ), ce qui limite le temps des échanges entre les patientes et les soignants. La présence de la patiente à l’hôpital se résume à la durée de l’acte technique (perfusion)… et parfois surtout à l’attente en HJ ! Il importe donc de réfléchir à la façon dont les protagonistes de cette relation vont pouvoir gérer cette évolution. Les patientes font valoir leur souhait de minimiser le temps passé à l’hôpital, mais attendent que ce temps soit utilisé au mieux (limitation du temps d’attente, disponibilité et écoute des équipes) [2]. Cette attente légitime à titre individuel peut s’avérer difficilement compatible avec les exigences organisationnelles de l’établissement et la nécessité d’être disponible pour tous les patients ; la nécessité de prioriser le collectif peut alors entrer en compétition avec les exigences individuelles… Le psycho-oncologue Le temps « perçu » est une composante de l’état émotionnel comme le rapporte le travail de Wittmann et al. conduit à Munich [3]. Cette équipe a proposé à des patients hospitalisés (88 patients) en oncohématologie de donner leur estimation en minutes pour une période de temps délimitée par deux sonneries successives (dans l’expérience décrite, un temps de 13 minutes) ainsi que plus globalement, leur manière de le vivre dans ce contexte hospitalier. On recueillait en outre les scores de divers questionnaires d’autoévaluation : QOL, psychologie, douleur… Les résultats indiquent que l’estimation de la durée est en moyenne un peu plus « longue » que le temps « réel » (16,5 minutes) et que son « ressenti » est évalué de manière mitigée (5.01, pour une EVA O –10). La surestimation de la durée est plus importante chez les 20 % de personnes dont l’autoévaluation pour l’anxiété est supérieure à l’HADS (considéré donc comme sévère), mais le temps passé n’est alors pas plus mal vécu. Par contre, le temps passe plus « vite » (durée estimée et satisfaction) lorsque les scores de QOL sont plus favorables sur le plan des émotions et de la spiritualité (FACT). On peut être surpris que les scores de dépression (18 % du groupe) et même de douleur n’aient, eux, pas d’influence sur ces deux types de résultats. Les neurosciences grâce aux enregistrements par PetScan montrent comment la diversité des temps « perçus » relève de structures cérébrales distinctes : le temps de l’attente dit « temps implicite », celui pendant lequel on se prépare à une situation anticipée participerait d’une activité importante surtout au niveau du cervelet, alors que la durée Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220 estimée d’une action en cours, dite « temps explicite », répondrait plutôt de l’activation de zones corticales motrices et visuelles ainsi que de l’hippocampe (fonction de mémorisation). Anderson et al. [4] explorent cette dimension subjective de l’attente en s’efforçant de corréler la « Satisfaction » de patients en soins ambulatoires, selon deux paramètres : durée de l’attente et durée de la consultation médicale ! Lorsque la consultation avec le médecin a duré plus de 30 minutes, les scores de satisfaction sont très élevés quel que soit le temps de l’attente. Même quand il a été dans ce cas de plus d’une heure, le score de satisfaction reste au moins égal à la situation où l’attente mais aussi la consultation se limitent chacune à 30 minutes !… Pour une consultation de moins de 15 minutes, il faudra que l’attente soit inférieure à 15 minutes pour que la satisfaction soit supérieure à ce timing des 30 minutes. Si on accepte de considérer le temps perçu, « décompté », comme une perception sans « organe » unique, mais très influencée par des processus attentionnels et les émotions, peut-être se sent-on dès lors moins à sa merci et retrouvet-on une « liberté » que l’organisation des soins pourrait exploiter ? Une réflexion sur des notions comme celle de « rythme » encouragerait les soignants à s’engager dans la relation de soins sans cette crainte si fréquente : « On n’a jamais le temps… ! » C’est en effet ce qu’expriment les infirmières dans une enquête récente menée au sein d’HJ dans divers établissements français (enquête « Temporelles » : 630 infirmières, dont 64 % travaillant uniquement en HJ) [5]. Elles sont très satisfaites de cette affectation aux soins ambulatoires, que pour la plupart elles ont choisie et qui leur permet de suivre leurs patientes sur de longues périodes avec la possibilité de créer de vraies relations (c’est l’avis de 66 % d’entre elles), mais elles se disent frustrées de ne pas avoir selon elles assez de temps à leur consacrer. C’est la dimension d’écoute et de soutien psychologique aux patientes qui leur paraît la moins bien accomplie. Elles ne sont que 46 % à en être satisfaites, alors que pour ce qui concerne les soins infirmiers et l’information délivrée à propos des médicaments et des risques d’effets secondaires, 80 % le sont ! Dans cette même enquête, la satisfaction des patientes est en parallèle recueillie (4 000 patientes traitées pour cancer du sein et ayant accepté de répondre anonymement aux autoquestionnaires mis à leur disposition). Ces femmes, dont 30 % ont moins de 50 ans, continuent à travailler dans 13 % des cas et élèvent des enfants encore jeunes pour plus de 20 % d’entre elles, passent au moins deux heures (80 % des cas) et parfois jusqu’à plus de cinq heures à l’HJ, quand elles y viennent pour leur soin ! Dans 30 % des cas, elles attendront l’administration du traitement plus d’une heure. Néanmoins, la majorité ne considère pas ce temps passé à l’hôpital comme trop contraignant même si le temps d’attente lié à la préparation des traitements est jugé trop Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220 long pour près de la moitié. Elles se disent satisfaites de l’écoute, de l’aide apportée par les infirmières, et les trois quarts ont des échanges avec d’autres patientes que plus de 80 % jugent utiles et réconfortants (néanmoins, seulement 20 % indiquent que ce n’est pas du tout démoralisant). Cette nette différence d’appréciation entre professionnels et patientes, à propos de la qualité de la relation dans ce contexte si exigeant de l’ambulatoires, n’est pas tant un malentendu que la manifestation de l’importance accordée par chacun à ces moments, mais dont la spécificité reste peut être mal reconnue. L’écart dans le jugement porté sur la situation à l’HJ entre les patientes et les infirmières pourrait-il témoigner de la dimension « projective » que peut avoir son investissement, tant celui-ci est en effet inséparable de la relation à l’autre ? Ce temps qui se donne, qui se prend, qui se perd… participe d’ailleurs comme le médicament de la catégorie des « objets » au sens qu’il suscite envie, besoin, désir et qu’une dimension pulsionnelle y est attachée ! [6]. La clinique de tout soignant est émaillée de réactions plus ou moins manifestes à propos de comparaisons attentives du timing attendu d’un soin. Les patients peuvent dans ce contexte parfois se sentir oubliés, mal considérés, délaissés et ainsi faire observer amèrement que d’autres patients semblent eux « passer plus vite »… En fait, de ces moments successifs, qui ne peuvent être inscrits seulement dans une routine efficace, peut-on en faire une opportunité, celle d’un temps quasi élastique, propice à la surprise mais aussi à l’ennui ? C’est le vieux sens du mot interstice, un espace de temps, ce terme si commode aux « psys » pour illustrer des rencontres souvent fugaces, impromptues où la distribution des rôles n’est pas trop établie à l’avance comme le seraient soit le rituel d’un soin en hospitalisation classique ou la consultation en colloque singulier… Quelque chose comme un temps volé, celui des échanges impromptus dont, selon l’opinion des patientes de l’étude « Temporelle », les infirmières malgré leur rythme de travail ne sont pas si avares, comme elles risquent de le croire. Le temps des « soins de support » : une synchronie des actions L’oncologue La mise au point de formes galéniques plus adaptées aux traitements de longue durée modifie progressivement la problématique du temps. L’apparition de traitements oraux (inhibiteurs de tyrosines-kinases tel le lapatinib) et plus récemment de formes sous-cutanées (trastuzumab par voie sous-cutanée) est l’opportunité d’une simplification du traitement, en réduisant le temps passé à l’hôpital (suppression du temps de préparation en pharmacie, réduction du temps 217 d’administration). On peut espérer que ces aménagements contribueront à améliorer l’observance des traitements au long cours. Mais les patientes attendent aussi que le temps passé à l’HJ soit mieux utilisé, et en plus d’aménager l’organisation de l’administration du traitement (par ex. : circuits dédiés, recueil anticipé des bilans biologiques), il faut faciliter l’accès à des soins de support. Le psycho-oncologue Selon les étapes de l’évolution de la maladie, on observe des changements des souhaits et besoins exprimés par les patientes : à la phase métastatique par exemple, l’attention aux soins corporels et esthétiques devient plus importante, témoignant ainsi d’un « souci de soi » qui vient moduler l’investissement auparavant souvent exclusif d’une recherche de « guérison » presque à tout prix… [7]. La représentation des thérapeutiques par chimiothérapie classique [8] était très ambivalente, semblant lier étroitement la toxicité du poison à l’importance de l’efficacité d’un remède dont on acceptait de subir les effets violents. Dès lors, la maladie « existait » à l’esprit de la patiente, des proches mais et aussi des soignants comme un état de dégradation physique, d’épuisement moral cruel. Avec les thérapeutiques actuelles, la maladie cancer devient une période de la vie qui pourrait s’inscrire sans trop d’amertume dans une destinée. Le sentiment de révolte peut s’estomper à la condition que les répercussions physiques et psychologiques aient été convenablement traitées. Le recours de plus en plus fréquent aux diverses techniques de soins corporels (socioesthétique, massages…), aux nombreuses activités créatives proposées dans les établissements de soins, et surtout par des associations proches du domicile, semble confirmer ces évolutions. Il ne s’agit plus seulement de survivre, de tout sacrifier aux traitements spécifiques, mais enfin de « revivre » ! L’oncologue Il devient évident que le seul oncologue ne peut prétendre à apporter les réponses à l’ensemble de ces problèmes. Le premier Plan cancer avait priorisé l’amélioration de la qualité de l’information lors de la prise en charge initiale, en particulier par le dispositif d’annonce et, aujourd’hui, on doit conforter la continuité du lien qui est indispensable tout au long de la maladie, même s’il est possible que le malade et son médecin n’envisagent pas de la même façon l’évolution de cette relation. Lors des séquences où le traitement se limite à des administrations assez espacées (tel le trastuzumab), la présence médicale est allégée, ce qui réduit en parallèle le temps d’écoute et de dialogue. Cependant, une grande fragilité émotionnelle persiste, entretenant un sentiment « d’abandon ». À l’arrêt de ces thérapeutiques, la crainte du risque 218 de récidive augmente, même si une possible alternance de la prise en charge avec le médecin traitant et/ou le spécialiste d’organe est alors proposée. Encourager la patiente à retourner vers sa « vie d’avant » passe par une plus grande implication du médecin traitant (ou du gynécologue) dans le suivi et un espacement des venues à l’hôpital. Elle permet aussi aux établissements d’alléger la charge de travail des équipes soignantes, très sollicitées par les traitements lourds. Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220 « décideur » et un patient recevant « passivement » son traitement) à une relation plus équilibrée entre les deux parties, laissant au patient la possibilité de faire entendre ses besoins et ses souhaits. L’apparition de nouvelles thérapies et de nouveaux modes d’administration contribue à non seulement à améliorer l’efficacité des traitements, mais aussi modifie les représentations que les patients se font de leur maladie. Le psycho-oncologue Une présence soignante qui orchestre la diversité des temps ? Le psycho-oncologue Les patients réagissent souvent à cette injonction de devoir vivre « normalement » en revendiquant que leur cancérologue garde une certaine « préoccupation » à ce sujet, mais l’implication d’autres spécialistes appartenant à divers métiers est désormais une condition de la « continuité des soins ». En plus d’apporter plus de disponibilité et d’efficacité par la conjonction des compétences, le fait que chaque intervenant ait une relative autonomie, que les lieux de soins soient distincts, que les moments se succèdent restitue au patient une responsabilité, des initiatives qui légitiment ce nouveau rôle qu’on lui confie, celui d’être son « propre expert », pour ne pas dire son propre cobaye. Paradoxalement, la discontinuité des rencontres, des propos, peut « libérer » sa parole et autoriser une expression susceptible de révéler les enjeux psychologiques les plus secrets de la situation ! La psychologie enseigne, en effet, que « l’accès » à ce qu’il est habituel de nommer l’Inconscient ne se fait pas tant par de longs moments d’entretiens bien programmés que par des effets de « surprise » et donc plutôt comme chacun le sait, par un « acte manqué », un oubli, une émotion inattendue… pour s’évanouir aussitôt. C’est de cette discontinuité des manifestations dont le cadre dit « psychothérapique » cherche à profiter, circonvenant ainsi les résistances habituelles à de tels « dévoilements » ! Dans le contexte de la cancérologie et plus particulièrement des « soins de support », cette succession de brèves interactions soignants/patient, dont ensuite celui-ci pourra parler avec chacun, constitue le fil conducteur d’un cheminement permettant d’acquérir plus d’audace et de confiance pour persévérer dans cette longue « trajectoire » qu’est encore aujourd’hui la « prise en charge » de la plupart des formes de cancer. L’oncologue La relation médecin–malade a considérablement évolué, passant d’une relation jugée paternaliste (entre un médecin Les nouvelles générations de médecins sont aujourd’hui confrontées à une « extension » des attentes des patients, mais surtout de la part de l’ensemble du groupe social. La médecine est interpellée sur de nombreux sujets et les règlements, « avis », « lois » se succèdent. Les décisions médicales sont très encadrées par des procédures soumises à des discussions pluriprofessionnelles et impliquent donc toujours plus de temps. L’exigence de disponibilité qui appartient à la mission du médecin devient la contrainte d’être presque « à disposition » pour tout et aussi pour tous ! L’apparition des nouveaux métiers du soin (exemple des infirmières cliniciennes) peut leur permettre d’espacer les colloques singuliers et faire des temps passés à l’HJ pas tant un « substitut » qu’une autre « mise en scène » de la manière désormais de pouvoir être soigné. Les diverses catégories d’acteurs et d’actions qui s’y trouvent, incarnent en quelque sorte la globalité de l’expérience vécue et combien le « parcours de soins » concerne de nombreux aspects. Cette mobilisation, ces rencontres avec les nombreuses autres personnes malades font accepter de devoir revisiter bien des investissements de sa propre vie, à ne pas être contraint de tout faire « comme avant » pour éviter une certaine stigmatisation ! Diachronie d’un récit, celui des crises et changements… L’oncologue La gestion du temps reste donc une priorité dans la prise en charge des patients cancéreux dans le but de les aider à investir de façon positive ce temps gagné sur la maladie et les traitements. Certains y voient l’opportunité de s’adonner enfin à une activité qu’ils n’avaient pas eue le temps de réaliser avant, alors que d’autres ont besoin de se recentrer sur eux-mêmes (prendre soin de soi, être à l’écoute de son corps…), et d’autres enfin auront le souci de faire profiter les autres (famille, amis…) de ce temps disponible. Quelle que soit la manière, cet investissement peut être à la fois une façon d’oublier la maladie et ses symptômes, mais aussi pour certains patients l’occasion de se découvrir « autre » : se Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220 découvrir des forces qu’on n’imaginait pas, s’adonner à de nouvelles passions, s’ouvrir plus aux autres… D’une certaine façon, l’expérience du cancer les aura enrichis, les rendra parfois plus forts et changera à la fois l’image qu’ils ont d’euxmêmes et celle qu’ils donnent aux autres. Le psycho-oncologue Dans ce contexte d’équipes devenues interdisciplinaires et multiprofessionnelles, le psycho-oncologue contribue à conforter leur capacité à collaborer pour le recueil des répercussions émotionnelles de la maladie, des traitements et souvent à en accompagner les péripéties. En effet, les soignants peuvent être en difficulté devant l’expression de certains désarrois qui surviendraient à un « mauvais moment », dans ce timing particulier aux hôpitaux de jour. Par exemple, une plainte à propos d’un grand isolement affectif prend une dimension vite dramatique, alors que l’heure de départ programmée approche. Se sentir incapable de retrouver à domicile toutes les obligations du quotidien justifie des manifestations de découragement, et les allusions à des idées noires ne sont pas exceptionnelles, faisant alors douter les soignants de l’efficience du soutien psychologique apporté. Le sentiment d’abandonner le malade à son sort peut être particulièrement pénible. Ces moments de séparation, par leur répétition, constituent une certaine spécificité des soins à l’HJ. Ils sont une épreuve pour tous dans laquelle chacun à sa manière manifeste ses doutes, ses craintes mais, en fait, des attachements « réciproques ». Ils s’inscrivent dans le fil d’une histoire, il faut accepter d’en vivre les émotions, les effrois et de les communiquer, les partager à plusieurs : entre soignants, soignants et soignés et parfois des proches… dans ce cadre, c’est en effet souvent au grand jour ! Si, comme le décrit Schneider [9], la souffrance psychologique est surtout la conséquence d’une tentative de contenir, de différer, d’éviter de prendre la mesure de telle ou telle blessure, frustration, tragédie (une modalité des « processus de défense », selon les « psys »), c’est donc en parvenant à « regarder » autrement ces drames, mais pas en restant seul, qu’un soulagement est possible, une confiance restaurée, une réalité acceptée ! Il ne suffit pas d’écouter, il faut aussi « éprouver » ensemble… Cela se fait par des étapes successives, par tâtonnements, et les « allers-retours » que met en place le soin à l’HJ sont propices à un tel processus d’autant que bien souvent, ce seront les mêmes soignants qui sont présents pour chaque séjour : on se quitte, on se retrouve, on se reconnaît… séparations sans ruptures ! Les rencontres même brèves, les périodes où le patient est confié à d’autres soignants, se révèlent efficaces à conforter les changements psychologiques nécessaires. L’adaptation à une situation existentielle, où désormais le temps « vécu » doit échapper à une 219 perspective uniquement « linéaire », s’étayera volontiers sur une telle dynamique. Pour conclure Au-delà de la mesure objective d’une estimation de la survie, le temps est en cancérologie une valeur subjective dont le vécu peut être influencé par de multiples paramètres. Le regard du soignant peut s’avérer très différent du vécu du patient, qui se trouve « violemment » confronté avec la précarité du « temps qui lui reste ». Même si ce temps est toujours trop court, il peut être valorisé par une meilleure utilisation : limiter les temps inutiles, telle l’attente à l’hôpital et en revanche valoriser le temps dédié aux soins de support. C’est l’occasion de réconcilier « quantité » et « qualité » de vie, deux notions souvent opposées lorsqu’on parle des enjeux de la prise en charge des patients atteints de cancer. Il faut aussi mettre en perspective le bénéfice d’un passage à la chronicité dans le cas de la maladie métastatique, bien que cela soit différent de l’espoir des patients d’une véritable guérison. Les mois, voire dans certains cas les années gagnées ne doivent pas être considérés comme un sursis, qui ne permet aucune projection vers l’avenir. Cette complexité de la « dimension temps » justifie une collaboration entre les oncologues et les psycho-oncologues, afin de former autour du patient un réseau agissant en cohérence et dans le but commun de donner du sens à l’amélioration de l’efficacité des traitements. Cette approche, complémentaire de celle actuellement développée sur la qualité de vie, est indispensable pour permettre au patient d’adhérer au projet thérapeutique et éviter ainsi une incompréhension mutuelle entre le patient et l’équipe soignante sur les enjeux de la prise en charge. Les nouvelles thérapies et, en particulier, les thérapies ciblées ainsi que les nouvelles formes galéniques des traitements nous donnent l’occasion d’une lecture différente de la dimension « temps » dans le parcours du patient à l’hôpital et dans son environnement proche. Liens d’intérêts : les auteurs déclarent que cet article a été rédigé à l’initiative de l’agence Vivactis Innovations.. Références 1. 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