Blocage de sites L`ordonnance sur requête, une

Transcription

Blocage de sites L`ordonnance sur requête, une
S
ylvie Rozenfeld : En tant
qu'avocat d'un fournisseur
d'accès, j'imagine que vous
êtes satisfait de l'ordonnance
du 28 juin 2011 du TGI de Paris, qui s'est
prononcée pour la rétractation de l’ordonnance sur requête du 11 mai 2010
portant sur le blocage de l'accès à un
site internet (voir p. 287 et 313).
Alexandre Limbour : Je suis surtout
satisfait que le juge rappelle qu'on ne peut
déroger au principe du contradictoire que
si les conditions expresses de l'urgence et
de l'absolue nécessité sont remplies.
Blocage de sites
L'ordonnance sur requête,
une procédure inadaptée
aux FAI
Tel est le point de vue d'Alexandre Limbour, du
cabinet DS Avocats, qui a défendu un des huit
fournisseurs d'accès impliqués dans une affaire
où Gallimard avait demandé au juge d'autoriser le
blocage de 767 adresses. Il nous explique pourquoi.
Quels sont les cas dans lesquels on
pourrait recourir à une ordonnance
sur requête afin d'obtenir le blocage
de contenus en ligne ?
La requête concernant des intermédiaires
techniques tels que les fournisseurs d'accès n'est pas du tout adaptée. Nous avons
tout à gagner à avoir un débat contradictoire. Il existe de réelles difficultés liées à la
faisabilité technique du blocage. Ne pas
avoir d'échanges avec les fournisseurs
d'accès dans le cadre d'une procédure
contradictoire, ce n'est pas seulement
violer le principe de la contradiction mais
c'est aussi, dans les faits, rendre des décisions de justice qui ne sont potentiellement pas exécutables. Dans cette affaire,
l'ordonnance sur requête portait sur le
blocage de 767 adresses.
conséquences de son comportement
après qu'il ait été mis dans la cause ?
Assurément. Il y aurait sinon eu une difficulté sur le principe de la subsidiarité.
En tant qu'avocat d'un fournisseur
d'accès, vous ne semblez guère favorable au blocage des contenus sur
internet.
entre Gallimard et l'hébergeur. Ce dernier
a répondu qu'il agirait en vertu d'une
décision de justice. Or, Gallimard a préféré se tourner, de façon non contradictoire,
et un an après les faits, vers les fournisseurs d'accès.
Est-ce possible à exécuter ?
C'est impossible en raison de l'architecture technique des fournisseurs d'accès. Il
existe des modes de blocages qui peuvent
éventuellement être déclinés, mais aucun
ne permet de bloquer un contenu URL par
URL sur un tel volume. Les fournisseurs
avaient à souhait de faire entendre la façon
dont, éventuellement, ils pourraient être mis
à contribution au terme d'un chemin juridique qui passe par la contradiction.
Et si Gallimard avait choisi la procédure du référé ?
Il y aurait eu un débat contradictoire avec
Gallimard. Et un autre grand principe aurait
été évoqué par les fournisseurs d'accès, celui
de la subsidiarité. Dans cette affaire, l'éditeur
et l'hébergeur avaient été identifiés.
Il semble, à la lecture de la décision, que Gallimard n'ait pas pu agir
contre eux.
C'est un raccourci. Il y a eu des échanges
Mais dans l'affaire Aaargh (voir
Légalis.net) la Cour de cassation ne
se prononce-t-elle pas contre l'obligation d'avoir à engager des procédures
auprès de l'éditeur et de l'hébergeur ?
Ce n'est pas ce que dit cet arrêt. La cour
d'appel avait validé le principe de subsidiarité qui veut que l'on mette éventuellement à contribution les fournisseurs d'accès, après avoir constaté la défection de
l'hébergeur. La Cour de cassation, quant
à elle, après avoir rejeté les pourvois
formés contre l'arrêt de la cour d'appel, a
sybillinement énoncé qu'il ne lui semblait
pas nécessaire de mettre les hébergeurs
dans la cause auparavant. Or il faut se
souvenir que dans l'affaire Aaargh, les
demandeurs avaient assigné les hébergeurs et les fournisseurs d'accès à toutes
fins utiles, en même temps.
Y-avait-il un impératif à mettre l'hébergeur dans la cause et à tirer les
EXPERTISES - août-septembre 2011
Je ne porte pas de position. Le législateur
en 2004 s'est posé longuement la question de savoir si le blocage d'un site était
une mesure opportune, efficace et si elle
devait intervenir à la fin du processus.
Le jour où on admettra l'idée qu'il suffit
d'aller voir un fournisseur d'accès pour
obtenir le blocage d'un contenu illicite,
on lancera un message d'impunité aux
éditeurs sur internet. Ils sauront ainsi qu'ils
ne risquent pas d'être recherchés. De plus,
ce serait inefficace. Nous savons que l'éditeur remettra en ligne le contenu illicite
le lendemain de la mesure de blocage,
et rien ne sera résolu. C'est ce qui s'est
du reste passé dans l'affaire Aaargh. Il
suffit par exemple de changer une lettre
dans l'URL et le contenu est de nouveau
disponible. Enfin, il faut que ce soit à la
fin d'un processus, au terme duquel on
n'a d'autre choix que de se tourner vers
le fournisseur d'accès, en raison de la
défaillance de l'éditeur et de l'hébergeur
et parce que le principe de subsidiarité
aura été respecté. La mise à contribution
du fournisseur d'accès nécessite, de toute
façon, une contradiction. Il faut un débat
dans lequel le fournisseur d'accès puisse
expliquer la façon dont peuvent être mises
en place les solutions qui sont demandées
par les tribunaux. Car chacun des procédés possède ses limites et des dangers.
Propos recueillis par Sylvie Rozenfeld
287