Kinsey 64 - Didier Lestrade

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Kinsey 64 - Didier Lestrade
Flamme des années 80
«Kinsey 6. Journal des années 80», le second livre de Didier lestrade, collaborateur de «Têtu»,
est plus que le journal intime d'un jeune gay provincial «monté» à Paris à la fin des années 70.
laurent Goumarre, journaliste à France Culture et à «Max» notamment, l'a lu pour nous.
uand on commence sa préface par ça: « Je crois savoir
comment on devient homosexuel », on sait qu 'on ti ent un
livre, qu ' on a trou vé le so n de sa vo ix, c' est un début qui
ne fait aucun doute. Didier Lestrade, ça ne fait aucun
doute, n ' a jamais oubli é d'éc rire . Je me souvi ens avo ir lu
Act Up, une histoire, son précédent liv re, mo i qui sui s si peu concern é , si
pe u politique, si pe u militant qu 'o n pourrait me pense r
homophobe. Ça s'est dit, je le sais, même si, bref. . . Je me
so uvie ns donc avo ir lu Act Up, une histoire et m 'être dit
que Didier Lestrade sava it écrire. Je pense même l' avo ir
écrit, ou qu elque chose d 'approchant. Que le journ alisme,
c'était auss i de l'éc riture, qu ' il faut savo ir ce qu' est l' éc ri ture pour pouvo ir co mmencer par «Je crois savoir comment on devient homosexuel », et poursui vre par un e histo ire de papill on, sans chercher à filer la métaphore .
Cette pré face, qui raco nte l'enfance des ann ées 70 , ill ' a
titré « Pré face », mais c 'est un e erre ur. Le vra i titre en
est « Kin sey 6 », c'es t éc rit en co uve rture. « Kin sey 6 »,
ce qui s ignifi e « exclusivement homosexuel. Alfred
Kinsey a établi que les différe nces sexuelles s 'échelonnent de J (exclus ivement hétéro) à 6 (exclusivement
homosexuel). [ .. . ] C'est à cette époque qu'est arrivé le
déclic. » U n li vre pour plusieurs tex tes. 1. Une pré face
qui n ' en est pas un e, qui vaut mi eux que ça , auto nom e, avec une fin qui vous étre int, j 'a i do nn é le
début, je peux bie n dévoil er la fin: « Ma vie est pratiquement terminée. Voici le temps du repos.» Didier
Lestrade a 43 ans, ça se passe de co mm e ntaire, ça
Q
LES ANNÉES 80 DÉFILENT : RENAUD CAMUS,
«MAGAZINE», LALA LE FRÈRE CHANTEUR,
JIMMY (SOMERVILLE), «GAI PIED» •••
me g lace, mo i qui e n pe nse autant. 2. Une postface sur laquelle on rev iendra. Et 3. <d o urn al des années 80 », texte du mili eu, mai s pas ce ntral pour
autant. Car Didier Lestrade n 'y es t pas e nco re , du mo ins son éc riture n 'y
est pas e nco re, ce jo urn al n 'est pas le sien, qui co mm ence d 'a ille urs sur une
tripl e négati ve: «Samedi 3 janvier 198 1. La boÎte postale ne m 'apprend
rien, pas de commandes notables ni de contacts. » Pas le sie n, il le sait, l' a
titré «do urn al des années 80 »), ce n ' est pas un lapsus, ni un acte manqu é,
ni n ' importe qu o i. Et ce sont e lles, les ann ées 80, qui défil ent : Renaud
Camu s, le magaz ine de Les trade, Magazine (a ujourd ' hui collec tor), Lala le
frère chanteur , Jimm y (Somerville), Gai Pied, et d ' autres qu e je ne
co nn aissa is pas. Mi stgri s, conna is pas . Mes ann ées 80 éta ie nt montpe lliéraines avec Jea n-Marc Lalanne , juste que lq ues noms no us parve naient au
Café de la mer: Pacad is, Le Pa lace, Le Broa d, bie n sûr Gérard Le fort,
Samourai; des mecs qui baisaient à Par is, nous ri en, o u presque ri en co mparé à Didier Lestrade qui adore ça, ne s'e n pri va it pas. Quand je di s qu e
Didi er Les trade n 'y est pas, je ne d is pas de ma l, je d is seul ement que ce
journa l raco nte le te mps qu ' il fa ut pour deve nir un jour Didier Les trade.
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TËTU
•
Dans une postface par exe mpl e. Là on y est, l'écriture revient e n force : « Je
vais dire la chose qui va f aire hurler Dustan. Le végétal. J'adore le végétal. » Plus lo in: « J' adore le sexe, il est f OiI, il n'est pas f outu de le voir. »
Il ? Gui ll aume Dustan , motif d 'écriture incontournable dans sa propre collec ti on c hez Balland , mais auss i c hez les autres , et Didie r Lestrade n 'y
éc happe pas. La « Postface » - qu e l titre! l' un de s me illeurs -, je le sa is,
e n gê ne quelques-uns qui pe nsent « Duel au sole il », qui di sent « ridicule », « narci ss ique », « déba ll age » et
« règ le me nt de co mpte » . Or c'es t
exacte ment ça , et j ' aj o ute « o utrance »,
« diffamation », « vio lence », o n pourrait ajouter « prise de parol e », « pri se
de ri sque », « con victio n », « force de
convi ction », « intimité », tout ce qu e
j ' aime lire , tout ce que j 'a i a imé lire
dan s Act Up , son histoire. Quant à son
dernier mot, ne pas se tromper, page 349,
ce n 'est pas « renou vea u », c'est plus
bas, « lestrade@ free. fr».
Ju ste qu elques mots ava nt de finir, je ne
co nn ais pas Didier Lestrade,
ne l'ai même jama is re nco ntré, il a dédi cacé so n li vre,
comme ça se fa it entre jo urnaliste s, il a écri s « Pour sir
Laurent Goumarre ». Ge ntil.
À doubl e se ns? Un ri e n
moque ur, bien. Je vo udra is à
mon tour dédi cacer ce tex te,
mes textes, mon année 200 1,
à Dominique L. , qui vient de
téléphoner. Nous sommes le
28 déce mbre, je n ' in ve nte
pas, je ti ens les co mptes, on
se voit ce soir à Pari s pour
tenter de se retrouver encore,
car, comme le dit Dani e l, ce
n'est pas un e vie, avec
l' autre ce n'est pas une vie.
L ' autre qui vient de repartir
dans le Lot, le mal du pays,
après six mo is de non-recherche, il n' a touj ours pas trou vé
de trava il. L ' autre c'est rien, je l'ai vu, je n' ai pas compris, ce n'est ri en, un
peu moche , incompréhensible, et des mocassins. Je ne ti ens pas mon journal
200 l , mais nous sommes à quelques jours de l'année 2002, le 28, je dois
retro uver Dominique L. chez moi . Je sa is exactement ce qui va se passer, on
s'en doute, il le sait, le confirme au té léphone, parce qu ' un jour on se retrouvera, parce qu ' avec l' autre ce n'est pas une vie, comme dit Danie l, parce que
comme dit sa femme de ménage : rien n'est définitif. Lestrade aurait conclu:
« C'est propre. La lumière entre. Et après les arbres poussent. C'est le
renouveau .» On av ouera que ça a une autre gueul e . • LAURENT GOUMARRE PH OTOS
DIDIER LESTRADE (AUTOPORTRAITS, DUNES DU PYLA, 1981)
Kin sey 6 . Jo urn al des ann ées 80 , Didier Lestrade , Denoël, 35 7 p., 2 1,50 €.
FËVRIER
2002