Julie Som - Lycée Paul Rey
Transcription
Julie Som - Lycée Paul Rey
Souvenir d’un stage Ce matin, j’ai décidé de faire un peu de rangement dans ma chambre et c’est en ouvrant un tiroir que j’ai fait la découverte d’une photo prise dans une ferme lorsque j’avais seize ans. Soixante années s’étaient écoulées, mais je me rappelais parfaitement du jour où ma mère avait fait venir le docteur à la maison. Cela faisait trois jours que j’étais enfouie sous ma couette avec une forte fièvre. Après une semaine de récupération, j’avais repris le chemin du lycée. Ce quatre Avril 1999 était une journée particulièrement agréable, et c’est à partir de ce jour là, que ma vie ne fut plus la même ! En effet, j’apprenais à mon retour que mon professeur principal avait organisé des stages en entreprise pour découvrir différents métiers. Pour moi le choix était fait, c’était celui d’un séjour dans une ferme et cela m’avait complètement contrariée. Moi, une fille de la ville, une « fashion-victim », comment m’imaginer pendant une semaine au milieu des porcs et des volailles, isolée en pleine campagne ? Je n’avais pas eu le choix et avais dû supporter les moqueries de mes camarades de classe. - Je ne veux pas y aller ! m’étais-je plainte à ma mère. - Mais ce n’est qu’une semaine ! m’avait-elle répondu calmement. - Imagine ce que les gens vont penser ? Ils vont parler derrière mon dos. As-tu pensé à moi ? Un mois les pieds dans la boue ! -De toutes façons, tu n’as pas le choix. Tu pars dans deux jours ! Le jour de mon départ était arrivé. Et c’est après deux heures de route, énervée et anxieuse, que je découvris ma demeure pour ces quelques jours ; enfin si l’on pouvait appeler cela une habitation : c’était impur, triste et méprisable, rien à voir avec mon appartement en ville. Dans cette ferme, vivait un couple âgé, complètement détaché de la société. Aussi, la vieille dame m’avait adressé la parole d’un ton désagréable et sec : - Pas de temps pour les présentations! File poser ton barda! Occupe-toi d’aller éplucher les carottes pour le potage et va faire la litière des vaches ! Pour qui se prenait-elle celle-là, pensais-je. De quel droit me donnait-elle des ordres ? Je venais à peine d’arriver, que déjà elle osait me commander. Malgré ma colère, j’avais exécuté ses ordres. Lorsque j’aperçus ma chambre, je fus choquée par sa laideur et son manque d’entretien et réalisai que cette semaine allait être abominable. Plus tard, le campagnard me fit visiter son élevage de volailles, bien sûr je n’y connaissais pas grand-chose, mais j’étais tout étonnée de certaines méthodes : en effet, les poulets semblaient malades et maltraités. Tout cela je ne le savais pas encore… Quelques jours plus tard, j’avais réussi à m’adapter à la vie de la campagne, d’ailleurs je me rendais utile; je m’occupais de plusieurs taches ménagères et allais nourrir les bêtes. J’avais ressenti une certaine liberté que je n’avais jamais éprouvée jusqu’alors. Une complicité s’était installée entre les animaux et moi, et j’avais sympathisé avec les propriétaires même si leur mauvais caractère me dérangeait un peu. Aussi, j’avais découvert la merveille de la nature avec la magnifique verdure des prés, les papillons volaient au dessus des hautes herbes, l’air pur et frais que je respirais loin de la ville et de sa pollution. Tout cela avait commencé à me plaire, et je me disais que j’avais une chance inouïe de vivre une telle expérience, qui au début pourtant, ne m’avait pas enchantée! J’étais heureuse et en apprenais chaque jour sur la ferme. Je ne m’en étais pas rendu compte mais j’avais énormément changé : je ne portais plus les mêmes visions sur le monde et mon côté de jeune fille orgueilleuse s’était largement atténué. En effet, je ne consacrais plus autant de temps pour ma coiffure ou encore le maquillage. Ce séjour aurait pu être un conte de fée, si je n’avais pas désobéi aux règles… Un beau matin, en contemplant longuement les volailles, j’étais intriguée. Je me posais certaines questions où je n’avais pas de réponses. - Pourquoi sont-elles ainsi, enfermées plutôt qu’en liberté ? avais-je demandé au fermier d’un ton inquiétant. - Cette race de poulet préfère rester dedans, m’avait répondu celui-ci. -Ah bon ? Et pourquoi sont-ils entassés ? -Oh ! Tu m’ennuies avec tes questions, laisse moi tranquille, conclut-il d’un air désagréable. Mais la curiosité m’avait poussée à en savoir plus sur ce type d’élevage. Je m’étais procuré des magazines spécialisés sur l’élevage. Après maintes recherches, je fus scandalisée ! Dans cette sorte d’agriculture, on utilise des souches de poulets à croissance rapide. Leurs muscles se développent rapidement, mais le cœur, les poumons et les os ne suivent pas leur évolution. De ce fait, des millions de poulets souffrent de douloureuses déformations des pattes ou de paralysies. Si les poules pondeuses sont les plus malheureuses, les poulets n’ont pas de quoi pavoiser. Dans des bâtiments sans fenêtres dont la ventilation n’est pas toujours adéquate (points communs avec les pondeuses, qui risquent aussi de mourir facilement en cas de coup de chaleur), ils vivent au sol par milliers. La densité habituelle pour un poulet ordinaire, sans label, est de 22 par mètre carré! Un endroit sans soleil où, même quand elle n’est pas « polluée », la nourriture industrielle (céréales, « produits énergétiques » : graisse, suif, farines de viande et d’os, et supplémentation de produits chimiques) arrive automatiquement : pas de vermisseaux à picorer dans l’herbe avec maman poule. La mortalité y est de 5 ou 6 % (sans compter le transport), soit une trentaine de millions de poulets au moins chaque année en France. Mon cœur battait vite. Très vite ! Mes mains tremblaient. Comment avais-je pu être aussi naïve ? Alors je m’en voulais d’être aussi égoïste, de ne penser qu’à mon bonheur sans me soucier de la vie de ces pauvres oiseaux. Je ressentais aussi de la haine et du dégoût envers ces agriculteurs qui ne pensaient qu’au rendement pour se remplir le porte-monnaie, quelques en soient les conséquences. Je ne savais plus que faire, et plus que penser ; j’étais complètement perdue, abasourdie ! Bien sûr que j’aurais pu fermer les yeux, et faire comme si je n’étais au courant de rien, mais je ne pouvais pas, je n’en étais pas capable. Maintenant que j’avais pris conscience de la gravité, je devais mettre fin à cette cruauté et je devais agir… Cependant, des idées m’avaient trotté dans la tète. En parler à mes parents ? Non, eux ils ne pourraient pas comprendre. Montrer aux fermiers que je suis au courant ? Non plus, ils m’en voudraient trop. Que faire alors ? Puis, une nuit, où je ne trouvais pas le sommeil, m’était venue une idée. Je descendis les marches et quittai la maison. Dehors, il faisait froid et la lune m’éclairait jusqu’au bâtiment des animaux. J’ouvris la barrière, le seul obstacle qui séparait ces volailles de leur liberté. Je me sentais angoissée et courageuse à la fois. Le lendemain, je fus réveillée par un cri : - Que se passe t-il ? demandai-je. -Les abrutis de poulets se sont échappés! avait répondit le fermier complètement secoué. Alors, j’avais pris conscience de mon geste mais n’avais rien regretté. -Quelqu’un a poussé la barrière, volontairement, m’avait exclamé la vieille dame en me regardant d’un air soupçonneux. -C’est moi ! Pourquoi avais-je avoué ? Je me sentais mal d’un seul coup, je donnais des explications à mes actes. -Mais réalisez- vous ce que vous faites endurer à cette volaille ? Votre hangar fermé contient plusieurs dizaines de milliers de poulets entassés. Du fait de leur croissance très rapide, beaucoup souffrent de douloureux problèmes aux pattes ou meurent d’insuffisance cardiaque. Ils ne voient la lumière du jour que pour être chargés dans un camion qui les mènera à l’abattoir. Manipulés avec brutalité, entassés dans des caisses, ils n’en seront sortis que pour être suspendus par des crochets qui les feront plonger dans un bac d’eau électrifié… Là, étourdis, ils seront égorgés. N’avez-vous pas honte ? -Tais- toi espèce de garce ! s’écria l’agriculteur, tu ne vas m’apprendre mon métier ! -Mais pourquoi n’essayez vous pas de changer vos méthodes, pourquoi ne pas tenter de pratiquer l’élevage bio ? En effet, celui–ci autorise l’engraissement des animaux, à condition qu’il soit réversible à tout stade de l’élevage, mais interdit le gavage. Certains aliments sont strictement interdits, notamment les farines animales, les acides aminés de synthèse, les OGM et les produits obtenus avec des solvants chimiques. Cette démarche vise une meilleure harmonie entre l’agriculteur et la nature, grâce à des pratiques plus respectueuses de l’environnement et des animaux. Malgré mes explications, les fermiers n’avaient rien voulu entendre, de plus, ils m’en avaient voulu terriblement. Ils avaient même mis au courant ma mère, d’ailleurs elle m’avait punie sévèrement. J’avais été renvoyée chez moi de force et virée de mon stage. Aussi, mes parents avaient dû rembourser les agriculteurs pour les dégâts que j’avais causés. Quelques années plus tard, j’avais créé une association en rapport avec le développement durable. Durant ma vie, j’ai combattu pour la protection de la nature. J’ai beaucoup aidé des agriculteurs à se convertir dans le biologique. J’ai lutté pour faire changer les mentalités. A présent, je sens mes derniers jours approcher et je me dis que je vais pouvoir enfin mourir fière et digne. Toute ma vie, j’ai agi en bonne citoyenne et j’en suis totalement satisfaite. Mas mains ont tremblé en tenant cette photo. Au dos, j’ai aperçu un petit mot : Chère Judith, On est si heureux de t’avoir rencontrée et on espère qu’il te reste de merveilleux souvenirs de chez nous durant ton stage. Merci pour tout. Pour nous tout va bien, on pratique l’élevage bio comme tu nous l’avais conseillé et notre bénéfice a même augmenté. On t’embrasse en attendant impatiemment de tes nouvelles. Mr et Mme Labrouisse Ainsi, ils avaient suivi mes conseils et avaient changé d’avis. Une larme a coulé sur ma joue. Je range la photo dans le tiroir, pour qu’elle y reste à jamais. Tout cela, était le passé, mon passé…