Discours de remerciement - Association Diagrama France
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Discours de remerciement - Association Diagrama France
Discours de remerciement de M. Francisco Legaz Cervantes à l’occasion de l’attribution de la Croix du mérite de deuxième classe de l'Ordre de San Raimundo de Peñafort, le 20 février 2014 Monsieur Eduardo Torres-Dulce, Monsieur Antonio Narváez, Madame Consuelo Madrigal, Monsieur Manuel Dolz, Très chères autorités, Mesdames et messieurs, Chers amis. Bonjour à tous, Tout d'abord, je tiens à remercier Son Excellence le Procureur général d'Etat de m’avoir remis personnellement cette distinction, qui constitue pour moi un grand honneur et une grande joie. Je tiens également à remercier le ministère de la Justice espagnol, et en particulier le Ministre de la Justice, Alberto Ruiz Gallardón, de me l’avoir octroyée. Il ne fait aucun doute que recevoir la Croix du mérite de l'Ordre de San Raimundo de Peñafort au sein même du siège de l’institution à laquelle ont étés confiées la promotion de la justice et la défense de la légalité et des droits des citoyens rend ce moment encore plus émouvant. Cela a été une grande surprise pour moi et un véritable honneur, à la fois d’avoir été jugé digne de cette reconnaissance, mais aussi de sentir le soutien de tant de professionnels du domaine juridique, qui ont, d'une manière ou d'une autre, contribué à cette reconnaissance. J’ai été particulièrement heureux de découvrir que c'était M. Manuel Dolz qui avait présenté la proposition qui est ensuite parvenue jusqu’au ministère et qui a reçu l’appui de Mme Consuelo Madrigal. L’impulsion de ces deux grands professionnels, à qui je suis profondément reconnaissant, a été inestimable. Je tiens également à remercier M. Daniel Navalón, Directeur du département socio-éducatif de la Fundación Diagrama, qui a promu cette initiative. L’estime et le soutien de toutes ces personnes ont été très importants pour moi, autant professionnellement que personnellement. Et, en ces mots de gratitude, que j'étends à toutes les personnes ici présentes, je voudrais m'arrêter un instant pour me rappeler de ma mère et de mon père, 1 parce que ce moment et cette distinction, ce sont aussi les leurs. Mes parents m’ont éduqué en se fondant sur trois grandes valeurs : la bonté, la vérité et la justice. Je dois reconnaître que même si les leçons que j’ai apprises étaient parfois très difficiles, je continue à être cohérent avec ces principes, qui sont, je pense, les piliers qui soutiennent chacun de mes pas et me rendent heureux de travailler pour le bien-être des gens. Je crois en la justice. Je crois en chaque personne. Et je crois que travailler pour les droits, les libertés, le futur, l’épanouissement et la dignité de ces personnes a marqué ma vie. Et d’une manière plus ou moins réussie, je m’abandonne chaque jour à ce travail avec un engagement inconditionnel et la volonté la plus absolue de bien le faire. Quand j'ai commencé à me demander de quoi je pourrais parler dans ce bref discours, je me suis rendu compte que cela fait déjà 30 ans en 2014 que j'ai commencé à travailler directement avec des personnes vulnérables, des personnes qui vivaient de graves situations graves d'exclusion et avaient énormément besoin d'aide. Je me souviens de mes années de bénévolat à la prison pour jeunes délinquants de Carabanchel et à la prison pour femmes de Yeserías, de ma collaboration dans les quartiers d’Entrevías et de Vallecas à Madrid, et de l’expérience que j’ai acquise en accueillant chez moi nombre de ces jeunes à leur sortie de prison. Plus tard également, lors de mon retour à Murcie, je me souviens de ma collaboration avec le centre pénitentiaire de cette ville, quand j’accueillais également chez moi d’autres jeunes qui sortaient de prison. Mais je me souviens surtout de la chance que nous avons eue en 1988 de pouvoir créer à Murcie une première maison pour accueillir ces jeunes. Je me souviens de tous, et en particulier de ceux qui ne sont plus de ce monde aujourd’hui à cause de la toxicomanie ou de maladies telles que le SIDA. Ce sont ces jeunes en conflit avec la loi et ces toxicomanes qui ont renforcé ma vocation à travailler pour la justice, pour les aider, ne pas les abandonner, se battre pour eux et avec eux. Sur la justice, je n'ai que peu voire rien à dire que d’autres personnes plus expertes que moi en la matière n'ont pas déjà dit. Mais laissez-moi vous parler de la justice telle que je la ressens et que je la vis, parce que la poursuite de la justice, en particulier pour les plus défavorisés, a été et continue à être, par essence, le fil conducteur de mon quotidien. 2 J’ai toujours pensé que la justice c’était la bonté, l’équité, l’honnêteté, le respect, la responsabilité et l’engagement, et il n’y a pas, et ne peut y avoir, d’excuse pour ne pas se lutter pour elle quand elle fait défaut. C’est cette justice devant laquelle nous sommes tous égaux et qui protège et garantit les droits des peuples et des nations que j'ai essayé de servir toute ma vie du mieux que je sais et du mieux que je peux. Je pense qu'il est indispensable d’aider à créer une justice sociale réelle et efficace dans laquelle l'égalité n'est jamais limitée par des discriminations fondées sur le sexe, l'âge, la race, l'ethnie, la religion, la culture ou la condition. La justice est une valeur fondamentale de l’équilibre des relations humaines, et elle est par conséquent nécessaire pour parler de cohabitation, de respect, de liberté et de société. Après ces expériences qui commencèrent en 1984, les années qui suivirent 1989 furent marquées par mon travail en tant que psychologue public de la Consejería de Sanidad y Asuntos Sociales (ministère régional de la santé et des affaires sociales) de la région de Murcie. À partir de cette année-là, j’ai concilié mon travail de fonctionnaire et mon engagement personnel et volontaire dans la prison de Murcie, créant des groupes de soutien pour jeunes détenus. Cette période de transition entre la vieille Loi sur les tribunaux tutélaires de mineurs (LTTM) de 1948 et ce qui fut la première loi pénale des mineurs de la démocratie, la Loi organique de Protection Juridique du Mineur 4/92, se révéla difficile pour beaucoup de jeunes, qui, dès l'âge de 16 ans étaient assujettis au Code pénal et purgeaient leurs peines de prison, enchaînant souvent plusieurs condamnations desquelles ils ne prenaient conscience que lorsqu’ils atteignaient l’âge de 20 ans. Ces jeunes avaient commis des crimes, certains plus graves que d'autres, certains consommaient de la drogue, d’autres non, la grande majorité d’entre eux venaient de famille éclatées, d’autres n’avaient pas de famille… Mais ils avaient tous quelque chose en commun : ils disposaient de très peu d'options pour reconstruire leur vie, manquaient d’instruments adaptés, de routes, de formes… L'intégration était quelque chose qui semblait lointain. Beaucoup avaient même renoncé à la possibilité de faire partie de la société, et je pense que, d'une certaine manière, la société avait également renoncé à eux. Leur redonner le sentiment d'être des citoyens, ce fut sans doute leur rendre justice. Ce fut mon travail avec les mineurs et les jeunes en conflit avec la loi : chercher à ce que ces jeunes gens aient eu et aient à nouveau la possibilité d'être des 3 personnes libres sachant comment vivre en liberté et aidant à construire une société plus juste et solidaire où ils peuvent avoir le sentiment d’être des personnes menant une vie digne et responsable. C’est dans ce but que j’ai, en 1991, créé la Fundación Diagrama, et c’est grâce à la confiance que les administrations publiques étatiques et communautaires de notre pays ont placée en nous et au cadre juridique qui nous a permis de mener à bien notre mission de servir la société que nous avons été en mesure d'aider au fil des ans plus de 200 000 personnes, principalement des jeunes en conflit avec la loi et des jeunes en situation vulnérable, mais aussi leurs familles, des détenus et des femmes victimes de violences fondées sur le genre. C'est en 1992 que nous avons ouvert à Murcie le premier centre privé d’Espagne pour mineurs délinquants faisant l'objet de poursuites judiciaires. Compte tenu des grandes lacunes normatives qui existaient à l’époque, nous avons commencé à travailler à l’élaboration de la première règlementation interne de fonctionnement pour gérer ces centres, collectant des principes découlant de la Loi organique 4/92 ainsi que d’autres textes nationaux et internationaux relatifs aux droits de l'homme et à la protection de l'enfance, en prenant toujours comme référence la défense de l’intérêt supérieur de l'enfant. Cette règlementation interne, qui a permis de réaliser une intervention socioéducative assurant à tout moment les droits des enfants, fut adoptée et ratifiée par les directions générales de toutes les communautés autonomes, et admise par les divers tribunaux pour mineurs. Le changement de millénaire s’est accompagné de la naissance de la Loi organique 5/2000, actuellement en vigueur. Nous avons d’ailleurs eu l'occasion d’apporter plusieurs fois notre contribution au cours de l’élaboration de celle-ci, chose que nous avons également eu l’occasion de faire par la suite lors du règlement d’application de cette loi en 2004 ainsi que deux ans plus tard à l’occasion de ce qui a été la plus grande réforme de la loi, celle de 2006, pouvant ainsi apporter nos connaissances et l’expérience acquise dans l’exécution matérielle des mesures judiciaires. J’aimerais profiter de cette occasion pour rendre hommage et exprimer notre gratitude au regretté Professeur Francisco Bueno Arús, père spirituel de la loi pénale du mineur en vigueur, qui nous a à maintes reprises accueillis dans son bureau du Secrétariat général technique du ministère de la Justice pour écouter nos propositions et contributions à la loi qui se préparait. 4 Des années plus tard, nous avons eu l'honneur de travailler ensemble sur le livre promu par la Fondation Diagrama : Comentarios al Reglamento de la Ley Orgánica 5/2000 (Commentaires sur la réforme de la Loi organique 5/2000), œuvre pionnière en Espagne et unique à ce jour à proposer une étude approfondie de cette norme réglementaire, et à laquelle nous travaillons dans le but d'approfondir sa compréhension et de pouvoir l’utiliser pour mieux servir les droits des enfants. Pour paraphraser Francisco Bueno, « on ne peut rien réussir sans être mû par l'amour et par la foi en l'être humain, ainsi que dans le monde du droit et de la justice c’est la foi qui déplace les montagnes ». Je me souviens aussi de cette situation particulièrement difficile en 2001, lorsque, à quelques mois de l’ouverture d'un centre dans le Pays Basque espagnol et me trouvant déjà sur place car j’y mettais en œuvre des processus de recrutement de personnel, ledit centre a été la cible d’un attentat de l’ETA, qui l’a démoli. Le matin même de l'attentat, très tôt, nous avons reçu un message nous avertissant que nous nous retournerons jamais plus dans le Pays Basque. Les années ne se comptent plus, de même que les expériences. Et notre vocation au service de la justice est toujours bien présente et implique un travail pour les personnes et avec elles, et ce, toujours en collaborant puisque nous sommes nombreux à être engagés dans cette tâche. Et chaque jour, nous sommes témoins du grand professionnalisme et du dévouement des juges, des procureurs, des équipes techniques, de la police et de la Guardia Civil, des administrations étatiques et des communautés autonomes, des ONG et de bien d’autres, qui dans leurs différents domaines d'action, travaillent au service de la justice, et en particulier de la justice juvénile. C’est à chacun d'eux, et en particulier aux jeunes dont nous nous occupons et que nous aidons, et pour qui j’éprouve le plus grand respect et la plus grande admiration, que je dédie cette récompense. Certains pensent peut-être que lorsque les personnes se comptent par milliers et les années de travail par dizaines, tout devient relatif, que les idéaux se fanent et que l’habitude anesthésie le sentiment. Mais en réalité, il se passe exactement le contraire. Chaque matin je me réveille avec le même enthousiasme que lors de mon premier jour de travail, avec la même foi dans les personnes et dans leur capacité à réussir. 5 À cet égard, permettez-moi de profiter de cette occasion pour exprimer mon désir de voir naître un nouveau cadre réglementaire assurant une plus grande sécurité juridique à ces enfants que nous appelons « mineurs ayant des problèmes de comportement ». Le ministère de la Justice possède, d’ailleurs, un texte déjà bien élaboré et approuvé aux travaux préparatoires duquel nous avons eu l'occasion de collaborer. Enfin, en un jour comme celui-ci, le 20 février, Journée mondiale de la justice sociale, je souhaite exprimer ma ferme conviction en l’idée qu’en travaillant avec et pour la justice, nous construisons ensemble un monde de citoyens et de citoyennes égaux en droits et en chances, et par conséquent ayant un avenir plus digne. Un grand merci à vous tous. Francisco Legaz Cervantes. Président de l´Observatoire International de Justice Juvénile 6