mégère » est-elle « apprivoisée »? Transposant dans un
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mégère » est-elle « apprivoisée »? Transposant dans un
LA MEGERE APPRIVOISEE La « mégère » est-elle « apprivoisée »? Transposant dans un univers de palaces et de machines à sous une comédie peu jouée de Shakespeare, Mélanie Leray montre une femme capable d’entrer dans le jeu des hommes, et d’y trouver sa place. La Mégère apprivoisée est une des comédies de Shakespeare qui est rarement jouée en France. Il est vrai qu’au départ, chacun prenant la place d’un autre et réciproquement, il s’agit principalement de variations multiples sur les « jeux de rôle », peu compatibles avec notre esprit cartésien. Mais pour Mélanie Leray, le problème n’est pas là. Comme dans Contractions de Mike Bartlett (créé au TNB en 2012, puis programmé au Théâtre des Abbesses en 2013), s’il est question de rôle, c’est celui de la femme, aujourd’hui, dans notre société occidentale. C’est donc aujourd’hui que Catherine, l’insoumise qui rebute les hommes, rencontre Petruccio, le coureur de dot. Trouvant enfin un partenaire à sa taille, elle accepte de l’épouser. Il est vrai que son père refuse de laisser sa soeur cadette Bianca – pour qui se bousculent les prétendants prêts à tous les déguisements afin de l’approcher – se marier avant elle, et ira jusqu’à la faire prisonnière. Shakespeare place son intrigue en Italie chez de riches et puissants aristocrates. Mélanie Leray rafraîchit l’esprit en transformant la taverne du prologue en salle de projection, puis en passant l’intrigue dans les halls de palace et les salles de jeu, où attendent machines à sous et tables de poker. Dans notre monde, chez des gens sans noblesse aucune, sans scrupule aucun. Pour eux, l’argent se gagne, se prend ou se perd, s’échange comme tout le reste, y compris les personnes. Au titre français qui d’emblée donne Catherine perdante puisque d’emblée apprivoisée, Mélanie Leray préfère le titre anglais The Taming of the Shrew. Soit, Comment dompter l’insoumise? Manière de laisser la place au combat. Mais en quoi Catherine apparaît-elle comme une insupportable rebelle, une mégère tout juste bonne à faire fuir les hommes ? Simplement, elle a ses idées, ses points de vue sur le monde qui l’entoure, sur ce qu’il est et pourrait être. En somme, une femme avec une conception politique de la vie. Cela dit, il ne s’agit en aucune manière d’un manifeste féministe. Mélanie Leray va plus loin. Dans le rapport de force qui oppose Petruccio et Catherine se niche une attirance complice que l’on pourrait qualifier d’amour. Et surtout, ce combat offre à la femme la possibilité d’étudier le comportement masculin, ses tactiques et ses effets sur elle. En amenant Petruccio à se dévoiler, elle mène le jeu. Non pour prendre sa revanche, ni d’ailleurs sa place, ni pour dominer. Juste pour comprendre, être à égalité, avec tout le risque que cela comporte. D’ailleurs, dès le prologue, il ne s’agit plus d’un groupe d’ivrognes et de comédiens embarqués dans le tourbillon du jeu avec le vrai et le faux, mais, dans un pays en guerre, du discours de la première des reines d’Angleterre. La toute première dans notre monde occidental à assumer la fonction d’un homme de pouvoir. « Je suis venue parmi vous ici ce jour non pas pour ma distraction et mon plaisir, mais parce que je suis résolue à vivre et à mourir à vos côtés, au milieu et au plus fort de la bataille, et pour offrir à mon Dieu et à mon peuple mon honneur et mon sang même si je dois mordre la poussière. Je sais que www.apoptose.org ::: jean-benoît ugeux mon corps est faible, c’est celui d’une faible femme, mais j’ai le coeur et l’estomac d’un roi, et d’un roi d’Angleterre. » COLETTE GODARD | MEDIAPART | 23-02-2015 La Mégère apprivoisée dirigée par Mélanie Leray fourmille d’idées et mêle note farcesque et propos incisifs sur les représentations de la femme. La Mégère apprivoisée est une pièce complexe, paradoxale : que veut dire Shakespeare dans cette comédie de jeunesse en faisant rire de la cruelle mise au pas d’une femme insoumise ? Petruccio y marie Catherine et la dompte. Catherine est pourtant une femme au caractère bien trempé, du type de celles que certains se plaisent à qualifier de mégère parce qu’elles revendiquent trop. Mais quelques semaines d’union suffiront à Petruccio, homme en apparence pas des plus fins, pour transformer la furie en bien docile petite chatte – Petruccio n’a d’ailleurs de cesse, comme pour l’amputer, de l’appeler Cat. Voilà pour l’argument principal d’une pièce qui déploie par ailleurs les habituels procédés de la comédie shakespearienne : mise en abyme, tromperies, insultes et grivoiseries… La mise en scène de Mélanie Leray s’en empare avec gourmandise et développe une note farcesque souvent drôlissime conjuguée à un propos très parlant sur la place et les représentations de la femme dans la société. Scolaires scotchés Tout commence en tragédie, avec un discours d’Elisabeth Ière à ses troupes – elle était paradoxalement en cette période patriarcale celle qui dirigeait seule l’Angleterre - : un discours invoquant Dieu, sa patrie et son peuple. En ces temps d’après Charlie, on tremble un peu face à une telle parole politique tandis que le rideau s’ouvre lentement sur une vidéo en gros plan tapissant le fond de scène : sur un plateau tournant comme suppliciée en place publique, une bride enfoncée dans sa bouche qui l’étrangle et la muselle, c’est la Mégère. Image terrible et lente qui fait aussitôt place dans un brusque changement de rythme et de ton, à la présentation des personnages de la pièce à venir, façon série télé, débit rapide et débile du présentateur sur un fond de formes et de couleurs psychédéliques très années 70. On ne sait plus trop où donner de la tête et l’énergique, électrique et éclectique troupe de très bons comédiens se charge alors brillamment de ne jamais laisser le spectateur poser pied à terre. Dans cette somptueuse cavalcade, les caractères sont parfois difficiles à cerner, les situations basculent (un peu) rapidement mais la nouvelle traduction de Delphine Lemonnier-Texier colle au plateau et à la langue d’aujourd’hui. La scénographie est belle et ingénieuse, l’utilisation de la vidéo sans cesse renouvelée joue avec les codes actuels de l’image, le jeu est tenu tout en fourmillant d’idées… Avec cette comédie tout en subtilités, Shakespeare nous balade et Leray se l’approprie très intelligemment… Mentionnons le plaisir jubilatoire d’une salle aux trois-quarts remplie de scolaires, scotchés de bout en bout lors de cette première à L’apostrophe. www.apoptose.org ::: jean-benoît ugeux ERIC DEMEY | LA TERRASSE | 26-02-2015 Une Mégère apprivoisée irrévérencieuse à la vulgarité délicieusement assumée Au Théâtre de la Ville, Mélanie Leray propose une version déjantée en mode gangster-disco d’une comédie misogyne de Shakespeare, La Mégère apprivoisée. Assumant avec malice une vulgarité outrancière, la jeune metteur en scène ose le « too much » avec fantaisie. La Reine Elisabeth, première du nom, ouvre les hostilités au lever de rideau : tout en confessant sa faible condition de femme, elle revendique son cœur et son estomac d’homme. Cet ajout initial de Mélanie Leray impose d’emblée l’intelligence de sa lecture de la pièce en liant le destin de la souveraine anglaise (contemporaine de Shakespeare) à celui de Catherine, cette fameuse mégère qui fait tourner en bourrique son entourage. Prisonnière de l’inégalité sexuelle, l’anti-héroïne éponyme joue les rebelles et refuse de se soumettre à la loi patriarcale. Bianca, sa ravissante sœur cadette, charme tout le voisinage mais ne pourra se marier qu’à condition que son aînée se fasse au préalable passer la bague au doigt. Mais qui voudrait épouser cette colérique virago ? Petruccio, un gentilhomme vénal, s’accommodera parfaitement de la situation. Entre l’opportuniste et la tête de mule s’engage un combat verbal étonnant, dans lequel le perdant n’est pas celui que l’on croit… Le titre programmatique de la pièce de Shakespeare devrait tracer les contours de la métamorphose de la chatte en brebis inoffensive. Le personnage de Catherine symbolise une percée féministe avant l’heure définissant une émancipation des sexes. Cependant, le mariage reconfigure les destins et les hommes reprennent le dessus. Petruccio use de toutes les tortures possibles pour mater son épouse indisciplinée : famine (hilarant épisode avec un paquet de chips), privation de sommeil, miroitement d’habits magnifiques… La lobotomie semble s’effectuer sans accroc mais le final de la pièce, en forme de manifeste misogyne, renvoie davantage à une méchante ironie soulignant la bêtise du pseudo sexe fort. D’où la position paradoxale et délicate à établir de Shakespeare. Mélanie Leray réussit un coup de génie en fusionnant caricature et finesse d’analyse dans sa mise en scène. Elle parvient à mettre le doigt sur la fausse soumission de Petruccio : bien plus qu’un maître idiot et violent, il s’agit du double de Catherine. Il lui enseigne comment le langage peut se transformer en redoutable arme de persuasion. La hargne peu subtile de la louve s’est transformée sous l’apprentissage du mari en sournoise manipulation : tel un gourou, Catherine hypnotise ses proches à la fin tout en indiquant clairement qu’elle n’est pas la dupe de son discours de femme soumise. L’air de rien, Leray propose ainsi une trajectoire féminine complexe. Pour le reste, elle ne se prive de rien et s’éclate comme une gosse sur le plateau : d’autres trouveront à coup sûr qu’elle en fait des tonnes mais pour le coup, cet aspect exagéré se montre cohérent avec la vision qu’offre Leray. Sous l’égide d’un capitalisme éhonté où les billets pleuvent à gogo, où tout peut se mettre aux enchères (même ses propres filles !), où les machines à sous contrôlent le sort de www.apoptose.org ::: jean-benoît ugeux nos vies, la cour italienne se montre bouffonne à souhait. Leray aurait pu se vautrer dans un grotesque hors de propos (on se souvient de la mise en scène catastrophique de Hamlet par Jemmett au Français) mais étrangement, la mayonnaise prend royalement. Parodiant allègrement Le Parrain et autres films de mafieux véreux, Leray opte pour un comique kitsch appuyé dont l’effet est garanti par la maîtrise incroyable de la vidéo. Constamment en gros plan, les visages des acteurs peignent une hyperbole émotionnelle épatante. Stupéfaction, crise de larmes désopilante (provoquée par des gouttes pour les yeux abondamment versées) ou incompréhension, tout y passe. Baignant son intrigue dans les années 60-70 (mention spéciale aux magnifiques costumes de Laure Mahéo), Leray lorgne vers la période disco avec une Veuve à la coupe afro dynamique (formidable Ludmilla Dabo dont les intermèdes musicaux sont une pure merveille). Surfant sur les anachronismes avec un naturel déroutant, la metteur en scène dirige en outre ses acteurs à la baguette : Laetitia Dosch se distingue en odieuse Catherine impitoyable dont la feinte soumission cache une intelligence hors pair. Clara Ponsot campe une Bianca faussement sainte-Nitouche avec aplomb tandis que Vincent Winterhalter insuffle une désinvolture pathétique à Petruccio. Enfin, Jean-Benoît Ugeux amuse en valet Lucky-Luke aussi bienveillant que crétin. Ainsi, cette Mégère apprivoisée séduit par son irrévérence revendiquée, son goût de l’éclectisme et sa grossièreté toujours justifiée. Prenant et malin. ♥ ♥ ♥ ♥ HIER AU THEATRE | 05-03-2015 www.apoptose.org ::: jean-benoît ugeux