Mike Jean - Jean Troillet

Transcription

Mike Jean - Jean Troillet
La rencontre
Jean
Mike
Horn
Photos: Didier Martenet et DR
Troillet
Soudés et déterminés: Mike et Jean sous leur tente, pendant
l’ascension du Gasherbrum I (8068 m), cet été.
Les amis a venturiers
Aussi infatigables
que des enfants, ils
parcourent les routes,
les montagnes et les
océans en cultivant leur
amitié. Ils viennent une
fois encore de l’éprouver
cette année, en gravissant
deux sommets himalayens
de plus de 8000 mètres.
Récit à deux.
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L’ILLUSTRÉ 50/07
La nature,
les bons moments
Fromage de L’Etivaz, moutarde de
bénichon, viande séchée: Jean Troillet
(59 ans) et Mike Horn (41 ans) ont
choisi de beaux produits pour un
pique-nique automnal, dans un sousbois de Broc (FR).
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La rencontre
«Quand j’ai
vu Jeannot,
ses petits
yeux qui
brillent, tous
nos points
communs,
cela a tout
de suite collé
entre nous»
Mike Horn
Rires en famille
Devant le chalet des Troillet, à La Fouly (VS),
Cathy Horn, Mireille Troillet, Mike Horn et
Jean Troillet entraînent leurs enfants dans
une acharnée course de bob. «Les amis, c’est
maintenant qu’on les a!» s’écrie Jean.
Texte: Marc David
Photos: Julie de Tribolet
et Didier Martenet
A l’attaque de Mike
Dans le chalet, l’intrépide Jules Troillet, 3 ans, part à l’assaut de Mike
Horn. Alice, sa sœur jumelle, n’interrompt pas sa lecture pour si peu.
Le récit des aventures
A table, Mike évoque ses grands projets. Il s’embarque en mars pour
une longue expédition qui traitera de l’environnement et de l’enfance.
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«V
as-y Jules, pousse!
Fais tomber Mike!»
rit Jean Troillet en
encourageant son
fils de 3 ans, à la
même bouille ronde et aux mêmes
petits yeux fendus de sage chinois
que lui. Poussé par son père, le très
jeune Jules Troillet se rue à l’attaque
de Mike Horn et l’agrippe aux
jambes. Bon prince, le grand se
laisse bousculer par le petit et
tombe en arrière dans la neige, sous
les hurlements de joie du reste des
deux familles. Les Troillet. Les
Horn. Femmes et enfants unis
dans des vies qui se ressemblent,
au gré des aventures de leurs intrépides pères de famille.
Ce dimanche-là, les Troillet invitent les Horn chez eux, dans le
grand chalet en bois niché au bout
du val Ferret, en Valais. Ils sont
tous là, en pleine nature. Fribourgeoise d’origine, Mireille Troillet
tranche du fromage de sa Gruyère,
Jean fait bouillir la soupe aux lettres, ça embaume beau et profond
dans toute la pièce. Ça sent l’amitié
et la pause bienvenue entre deux
aventures. Il faut les savourer, ces
instants: le lendemain, Mike repart
pour l’Allemagne, le Brésil, New
York. Il prépare une expédition qui
l’emmènera sur les routes pendant
quatre ans, dès le printemps prochain. Son budget n’est pas bouclé.
Il va d’Albert de Monaco à la chaîne
CBS, infatigable et convaincu. «Je
pars de toute façon! Mais je ne rêve
que d’une chose, passer une journée entière à la maison...» glisset-il, sans craindre le paradoxe. Alors
il n’hésite pas à goûter à ces courts
instants de paix entre amis. A
sourire et à se réchauffer au poêle
de la fraternité.
Une maison à construire
Car ils sont amis, et comment! Mike
et Jean se connaissent depuis plus
de quinze ans. Ils se sont rencontrés
parce qu’un copain commun pratiquait le canyoning «... et que les
guides de montagne nagent comme
des cailloux», précise Mike. Expert
ès rivières, il est allé les initier à
certains de ses secrets, comme
réaliser des nœuds qui tiennent
dans l’eau. Entre le fou des jungles
et l’enragé des cimes, le courant est
vite passé. «Bien sûr: quand j’ai vu
Jeannot, ses yeux qui brillent, tous
ces points communs entre nous!»
Il lui a dit «Jeannot» tout de suite
et celui-ci a adopté illico ce grand
escogriffe sorti de ses brousses
sud-africaines.
Peu après, quand Jean a
demandé à Mike un coup de main
pour construire sa maison, celuici a dit banco. Il n’avait jamais
touché au béton mais il a monté
des murs, coulé des chapes. «Surtout, qu’est-ce qu’on a rigolé!» se
souvient Jean. Le contrat entre
eux était conclu. Il restait à le
confirmer dans le domaine qui les
fait respirer: l’aventure, la vraie.
Sur l’eau, d’abord, en embarquant
en 1997 avec un autre pote, Laurent Bourgnon, et son bateau Primagaz. «Je ne connaissais rien à
la voile mais Laurent voulait vingt
gars qui n’avaient pas peur, qui
aimaient foncer», rit Mike. «Il a
compris le mouvement, il a été
parfait», rétorque Jean.
Ils ont récidivé sur la terre ferme,
ou plutôt la glace vive. La traversée
du Groenland à skis, en 2001. A
trois, avec Erhard Loretan. «Jean et
Erhard étaient des dieux pour moi.
J’ai été engagé comme mulet»,
rigole encore Mike. Le vent et le
mauvais temps se sont levés. Si fort
qu’ils se sont retrouvés bloqués dix
jours sous la même tente. Que faire
pour patienter sinon parler (beaucoup) et manger la fondue (rarement)? Mike a dit l’Amazonie, la
guerre en Afrique, «tout ce qu’on
ne peut jamais raconter parce qu’on
n’a jamais le temps.» Les deux
La rencontre
la montagne, c’est un autre
homme.» Ils n’ont pas beaucoup
parlé en montant mais, peu avant
le sommet, côte à côte, Jean a testé
leur attachement. Mike: «Jean m’a
dit: on fait dix pas de suite et on
se repose. Alors j’ai compté: huit,
neuf, dix... onze! Il en faisait
toujours un de plus! C’est cela,
l’amitié. Ce pas supplémentaire
voulait dire: on va en haut, on
s’accroche!» Ils y sont arrivés,
heureux, «là où tu as envie de
rester toute ta vie». Jean, qui
grimpait là son dixième 8000, a
eu l’hommage immédiat. «Un
gars comme cela, tu n’as pas
besoin de t’en occuper...»
A la même corde
Partie de rigolade à l’instant
d’assurer un jeune, perché sur
une passerelle en altitude.
Initiation pour ados
autres ont dit l’Himalaya, le vertige
d’un 8000 mètres vaincu. «Nous
nous sommes découverts, se souvient Jean, c’était extraordinaire.
L’un de nous commençait une
histoire. Le suivant la continuait,
chacun à son tour.» Jusqu’à ce
qu’un Inuit vienne les secourir,
paisible, pour les ramener à la
civilisation.
Deux sommets sur quatre
Depuis, ils ne s’oublient plus.
«Entre Mike et Jean, c’est une vraie
amitié, explique Mireille Troillet.
Ils la vivent aussi comme un
moyen de passer de beaux
moments avec d’autres copains.»
Comme cet été, dans l’Himalaya.
Né dans un pays sans montagnes,
Mike voulait y aller. Jean l’a embarqué au pied levé avec deux excellents alpinistes, Fred Roux et Olivier Roduit. L’objectif était d’ali-
Ils animent d’étonnants stages pour ados
Sous l’égide de Cap Foundation, Jean et Mike s’occupent de jeunes en
difficulté. A Château-d’Œx, ils leur font vivre des séjours où ces ados
se découvrent à travers diverses épreuves.
gner quatre sommets en deux
mois, au Pakistan.
Ils en graviront deux, le Gasherbrum I, le 30 juillet, et le Gasher-
brum II, le 12 août. Admiratif,
Mike dit combien il «était passionnant de voir Jean placer ses
pieds, utiliser ses piolets. Dans
Rentrés en Suisse, ils se sont
retrouvés, tous les deux, autour
d’une autre de leurs activités. Animer à Château-d’Œx des stages en
montagne pour jeunes en difficulté, souvent issus de foyers. Jean:
«Nous avons été des rebelles, nous
aussi. Des bêtises, nous en avons
aussi faites.» Mike: «Quand nous
sommes les deux en face d’eux, ils
ne sont plus si durs que cela...» Ils
les ont fait voltiger sur des tyroliennes, gravir des parois, marcher
dans la nuit. Ils les ont grondés
quand il le fallait. Jean: «A l’un d’eux
qui ne suivait plus, j’ai dit que ce
n’était pas grave: on a droit à un ou
deux décès. Il a recollé au groupe,
ventre à terre.» Et il part d’un de
ses rires larges, yeux plissés, tête
en arrière, irrésistible, qui entraîne
Mike à sa suite. Bonne route, avenM. D. J
turiers.
Mike Horn et Jean Troillet, du tac au tac
«Nous, courageux? Non, nous nous faisons plaisir!»
Une-deux direct et complice entre aventuriers qui savourent chaque seconde de leurs intenses existences.
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Lequel est le plus courageux?
Mike: Le vrai courage est plutôt
de se lever et d’aller au boulot.
Jean: Je n’aime pas dire que je
suis courageux. J’aime ce que
je fais. Le courage, c’est d’aller
travailler dans une banque un
lundi matin quand on n’en a
pas envie, comme si on allait à
la mine. Nous, nous nous faisons plaisir.
Mike: Je vis le moment le plus
courageux de mes aventures
quand je rentre chez moi.
Quand je dois me confronter à
nouveau avec les gens.
Jean: Moi aussi. Quand je rentre, j’aurais souvent envie de
m’effacer.
Lequel est le plus patient?
Mike: Jean a beaucoup de
patience.
Jean: Peut-être moi, oui. Ou,
quand je n’ai pas de patience,
je m’endors et tu en profites: en
expédition, tu nous tournes
autour et tu nous prends en
photo, assoupis dans la neige.
Lequel est le plus cassecou?
Jean: Je suis un mec sérieux,
moi. Non, c’est Mike.
Mike: Je suis un instinctif et je
viens du sport de rivière. Là où
tu dois agir vite, presque sans
réfléchir.
Jean: Il va vite, il fait toujours
le geste juste. M.D.
Photos: Julie de Tribolet et DR
«J’ai appris
chaque jour
quelque
chose de
nouveau»,
dit Mike
(à dr.), de
son
expédition
dans
l’Himalaya
avec Jean
et deux
alpinistes.

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