LA MOTIVATION : PERSPECTIVES EN FORMATION

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LA MOTIVATION : PERSPECTIVES EN FORMATION
VA R I AT I O N
Fabien FENOUILLET
Équipe « Savoirs et rapport au savoir » Équipe d’accueil 1589
Parix X Nanterre
LA MOTIVATION : PERSPECTIVES EN FORMATION
Qu’est ce que la motivation ? La réponse à
cette question intéresse tout le monde car chacun espère enfin y trouver le moyen de motiver ses collègues, son équipe, ses élèves ou tout
simplement soi même. Il est vrai que le champ
d’application de la motivation semble extrêmement vaste et varié. La motivation peut
potentiellement expliquer pourquoi vous n’avez
pas envie d’aller au travail le matin, pourquoi
les étudiants ne sont pas intéressés par leurs
cours, pourquoi certains élèves sont en échec
scolaire, pourquoi une équipe arrive à atteindre
ses objectifs, etc. Ces quelques exemples montrent toute l’ambition du champ de la motivation et permettent également d’établir quelques
constats.
La questions centrale de la motivation est
« pourquoi ». A un premier niveau d’analyse la
motivation peut être considérée comme l’explication de ce « pourquoi » là. Cependant
nous avons pu constater que ce « pourquoi »
s’applique à des situations aussi riches que
variées.
Dans la mesure où il existe une variété de situations, se pose la question de l’invariabilité de la
motivation. Autrement dit, quelle que soit la
cause, la motivation renvoit-elle à des causes
multiples ou à une cause unique ? Avant de
répondre à cette question, il convient de
constater qu’il existe à l’heure actuelle non pas
une mais des dizaines de théories motivationnelles qui chacune vont avancer des causes différentes pour expliquer la présence ou l’absence
de motivation. Face à un paysage théorique aussi
riche il est difficile de supposer que la motivation puisse avoir une cause unique. La motivation est donc un phénomène multi-factoriel où
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chaque facteur peut, en fonction de la situation,
être déterminant seul ou en relation avec
d’autres.
La motivation peut être expliquée un peu
comme les accidents de la route où une multitude de facteurs peuvent rentrer en compte
(vitesse, ceinture de sécurité, état du véhicule
etc). Sur un accident précis l’ensemble de ces
facteurs se combine mais très souvent l’un
d’entre eux est prépondérant. Les théories motivationnelles peuvent donc être vues comme
expliquant ces facteurs prépondérants qui dans
une situation donnée vont pouvoir permettre
non seulement de comprendre mais surtout de
prédire la motivation.
Malgré leurs différences, les théories motivationnelles ont en commun de chercher à expliquer ce même résultat qui sans elles peut passer pour une cause : La motivation. Au-delà des
causes, la motivation est perceptible par un certain nombre de phénomènes qui peuvent nous
permettre de la cerner et même de la définir.
Selon Vallerand et Thill (1993), « le concept de
motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes
et/ou externes produisant le déclenchement, la
direction, l’intensité et la persistance du comportement » (p 18). Les théories motivationnelles vont donc chercher à expliquer la ou les
forces qui poussent l’individu à persister là où
il devrait abandonner, à fournir l’effort supplémentaire lui permettant d’atteindre l’objectif
qu’il s’est fixé.
Ces forces, en fonction des théories considérées, peuvent porter des noms différents
comme instinct, besoin, être le fruit d’un
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apprentissage ou celui d’une réflexion. Certaines théories vont chercher à comprendre des situations similaires alors que d’autres avoir des filiations historiques
et partir d’une même conception de base. Il est donc
possible d’établir une catégorisation au moins approximative des théories motivationnelles.
Dans le cadre de l’enseignement, l’échec et la réussite
sont deux questions centrales. Les causes invoquées
pour expliquer l’échec sont généralement l’effort et la
compétence de l’apprenant. L’insuffisance d’effort, paramètre sur lequel l’enseignant pense avoir plus d’emprise
que la compétence, est associée à un manque de motivation. De nombreuses théories, dîtes de l’expectationvaleur, permettent aujourd’hui d’expliquer et de prédire l’absence ou la présence de motivation dans des
situations où l’individu doit chercher la réussite tout en
évitant l’échec. Nous allons donc en aborder ici
quelques-unes.
Dans un registre assez différent la question de la motivation dans un contexte de formation peut être liée au
choix que fait l’individu. Dans le système scolaire cette
question est plus ou moins éludée du fait de l’obligation scolaire, ce qui pose le problème du sens des
apprentissages. Elle revient au premier plan avec la formation pour adultes où cette fois les individus participent parce qu’ils l’ont plus ou moins choisie. Si la question du sens est moins présente, là encore chaque
formation comprend des obligations que l’individu doit
remplir. Nous verrons comment la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1985) peut expliquer
l’engagement de l’individu.
LES THÉORIES DE L’ÉCHEC ET
DE LA RÉUSSITE.
Dans le système scolaire il est presque impossible
d’évoquer un enseignement sans prendre en compte
son évaluation. La réussite d’un enseignement est
d’ailleurs considérée au travers de cette évaluation.
Cette prééminence de l’évaluation en fait sans doute
le principal moteur de l’apprentissage dans un
contexte scolaire ou diplômant. Dans ce contexte,
les étudiants comme les élèves sont d’ailleurs généralement beaucoup plus intéressés par les conditions
d’évaluation que par le contenu d’un cours. La valeur
accordée à l’évaluation est pour une formation le
meilleur atout de l’enseignant pour « motiver » ses
étudiants. Rien de tel par exemple que de menacer
d’une interrogation surprise pour avoir tout de suite
un peu plus d’attention et de considération pour le
cours. Cependant, cette motivation est sensible à différents facteurs comme l’ont montré de nombreuses
théories motivationnelles. Le potentiel motivant de
l’évaluation est conditionné notamment par l’expectation (ou attente) et l’aspiration de l’individu. Par
exemple si l’individu s’attend systématiquement à une
mauvaise note, cette attente va avoir un impact négatif sur l’incitation potentielle de l’évaluation. De
même, une note de 14/20 va être considérée comme
très satisfaisante pour un étudiant qui aspire uniquement à la moyenne alors qu’elle va être insatisfaisante
pour un autre qui aspire à la perfection. Dans le premier cas la satisfaction risque d’entraîner un affaiblissement des efforts fournis contrairement au
deuxième cas. Au regard de l’évaluation, la question
de la motivation est donc à reconsidérer en cherchant
à comprendre comment se forgent les attentes de
résultats.
La résignation apprise
La théorie de la résignation apprise (Abramson et al.,
1978) montre que l’échec et la réussite doivent impérativement faire l’objet d’un contrôle de la part de l’individu pour ne pas risquer des dérives extrêmement
fâcheuses. Après de multiples études chez l’homme
mais aussi chez l’animal, différents travaux ont ainsi pu
mettre en évidence que face à une situation incontrôlable les organismes ont tendance à se résigner. Il est
important de souligner que c’est bien l’incontrôlabilité
de la situation qui est en cause et non son caractère
aversif.
Dans une étude, Hiroto (1974) a constitué trois
groupes d’étudiants équivalents. L’expérience se
déroule en 2 phases. Seuls deux groupes, que nous
appellerons « arrête » et «sans effet », sur les trois
passent la première phase de l’étude, le troisième
groupe « passe pas » saute directement à la deuxième
phase. Les étudiants des deux premiers groupes
séjournent, lors de cette première phase, individuellement dans une salle où se trouve un bouton posé
sur une table. Peu après leur arrivée, un bruit fort et
très désagréable, apparaît aléatoirement dans le temps
pendant quelques secondes. Les étudiants du groupe
«arrête » qui appuient sur le bouton arrêtent le bruit
avant son terme (qui ne dépasse pas quelques
secondes). Par contre les étudiants du groupe « sans
effet » n’ont aucun moyen d’arrêter le bruit car ils
constatent très rapidement que la pression sur le bouton au milieu de la salle n’a aucun effet. La deuxième
phase de l’expérience est identique pour les trois
groupes. Lors de cette phase, les étudiants sont invités à se présenter, toujours individuellement, dans une
autre salle. Cette dernière est équipée d’une lampe
rouge et toujours d’une table sur laquelle des boutons
« à navette » sont disposés. Ces boutons à navette
coulissent dans un rail qui permet de leur donner différentes positions.
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Les étudiants sont confrontés à un signal sonore désagréable qui n’apparaît cette fois que 10 secondes après
l’allumage de la lampe rouge.
Cependant si l’étudiant, dés l’allumage de la lampe rouge,
trouve la bonne combinaison de touches, alors le signal
sonore n’a pas le temps d’apparaître.
Les résultats de cette étude montrent clairement que
le groupe « arrête » et « passe pas » ont des résultats
similaires. Par contre ceux du groupe « sans effet » sont
extrêmement médiocres. Par exemple, plus de 50% des
étudiants de ce groupe n’arrivent pas à trouver la bonne
combinaison de touches avant l’apparition du signal
sonore. Comparativement, à peine 20% des étudiants
dans les autres groupes n’arrivent pas à trouver cette
combinaison dans les temps. Même après l’apparition
du signal sonore les étudiants du groupe « sans effet »
sont beaucoup plus longs à réagir que les étudiants des
deux autres groupes. Cette différence est attribuée à
l’apprentissage de la résignation. Si l’apprentissage de
la résignation se produit bien lors de la première phase
et est révélée à la deuxième, il est important de constater que la résignation n’est pas liée à l’aversion du signal
sonore lors de cette première phase. Si le caractère
désagréable était suffisant pour créer la résignation les
deux groupes « arrête » et « sans effet » auraient dû se
résigner.
Ce n’est pas le cas puisque le groupe « arrête » a des
performances identiques au groupe « passe pas ». La
seule distinction entre le groupe « arrête » et le groupe
« sans effet » est liée à la possibilité de contrôler ou
non l’arrêt du signal sonore lors de la première phase
de l’expérience. C’est l’apprentissage de cette incontrôlabilité de l’environnement pour le groupe « sans
effet » qui induit la résignation et dégrade les performances de la deuxième phase et ceci uniquement pour
ce groupe.
Pour tester précisément l’hypothèse qu’un stimulus non
aversif pouvait conduire à la résignation, Benson et
Kennelly (1976) ont soumis des individus à des tâches
dîtes de réussite mais incontrôlables. Les individus qui
ne pouvaient contrôler leurs réussites se sont montrés
tout aussi résignés lors de cette étude.
Les effets de la résignation se traduisent par trois déficits : motivationnel, cognitif et émotionnel.
L’expérience d’Hiroto (1974) montre un déficit motivationnel au niveau du retard des réponses des sujets du
groupe résigné car ceux-ci montrent des latences de
réponses beaucoup plus importantes que les autres
groupes. Ce retard dans la réponse a été répliqué chez
l’homme pour ce type de tâche définie comme instrumentale (Hiroto & Seligman, 1975), mais aussi sur des
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tâches de type cognitif comme la résolution d’anagrammes (Roth & Kubal, 1975). Le déficit cognitif apparaît quand les sujets montrent des performances largement amoindries par rapport au groupe contrôle ou aux
groupes qui ont été exposés à des séquences d’événements aversifs mais contrôlables. Au niveau cognitif
Hartman, Hanusa et Schulz (1977) montrent que les
sujets résignés mettent plus de temps à résoudre un labyrinthe et Hiroto et Seligman (1975 ; Tennen & Eller,1977)
s’aperçoivent que ces mêmes sujets ont besoin de plus
d’essais pour résoudre des anagrammes quand ils arrivent à les résoudre ; Roth et Kubal (1975) montrent que
ces sujets ont de moins bons scores en utilisant des
puzzles. Au niveau émotionnel, Roth & Kubal (1975)
notent que les sujets résignés se sentent plus frustrés,
dépressifs, plus fâchés à propos de leurs performances
et moins amicaux envers l’expérimentateur. Pittman et
Pittman (1979), pour leur part, montrent que ces mêmes
sujets sont plus dépressifs.
Maier et Seligman (1976), au travers de leur revue de
questions, relèvent que les rats dans la condition d’incontrôlabilité, défèquent plus, sont plus stressés et
font plus d’ulcères à l’estomac, tandis que l’homme a
une pression sanguine plus élevée.
Les études successives chez l’homme ont pu montrer
que l’apprentissage de la résignation dépend dans une
large mesure des réflexions que porte l’individu sur
l’incontrôlabilité de la situation. En effet, dans une
autre étude Tennen et Eller (1977) ont construit une
situation expérimentale composée de plusieurs
groupes d’individus confrontés à une situation incontrôlable. Dans l’un de ces groupes les sujets avaient
pour information que l’activité serait très difficile
contrairement à un autre groupe où l’expérimentateur informait les sujets qu’elle serait très facile. En
dehors de cette information les groupes étaient
confrontés à des situations incontrôlables strictement
identiques. Les résultats de cette étude ont montré
que seuls les sujets du groupe « facile » se sont résignés. Les individus du groupe « difficile » ont même eu
tendance à se montrer plus motivés que les individus
du groupe contrôle.
Chez l’homme, la confrontation à une situation incontrôlable ne suffit donc pas pour comprendre la résignation de l’individu. Abramson, Seligman et Teasdale
(1978) ont proposé un modèle attributif de la résignation qui permet de prendre en compte l’inférence
des individus sur l’absence de contrôle. Pour ces
auteurs trois dimensions attributionnelles sont à
prendre en compte :
• Dimension interne/externe : Les individus vont se
demander si l’absence de contrôle est liée à eux, par
exemple leurs capacités, ou si elle est causée par des
phénomènes extérieurs comme la chance.
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• Dimension globale/spécifique : Quand la résignation apparaît dans toutes les situations, on peut
alors la qualifier de globale, alors que si elle n’apparaît que dans certaines catégories de situations
alors elle est considérée comme spécifique. Un
individu qui attribue son incapacité de contrôle à
un manque d’intelligence produit une attribution
globale. A l’inverse, s’il estime que cette absence
de contrôle est liée à un manque de travail alors il
produit une attribution spécifique.
• Dimension stable/temporaire : Si l’absence de
contrôle est susceptible de durer sans perspective
de fin alors la résignation est considérée comme
stable. Par contre si la résignation est seulement
transitoire et bien circonscrite dans le temps alors
elle est considérée comme instable. Le manque d’intelligence est un facteur stable alors que le manque
d’effort est un facteur transitoire.
Prenons l’exemple d’une situation où l’étudiant se
retrouve en échec suite à un contrôle. Ce dernier va
chercher à attribuer cet échec à différents facteurs.
Si l’individu estime que cet échec est lié à son état de
paresse générale, il fait une attribution interne, globale et temporaire. On ne peut dire dans ce cas que
l’individu est résigné. Il lui faut simplement trouver
comment se « motiver » pour espérer faire mieux la
prochaine fois. Deuxième exemple, l’individu estime
que cet échec s’explique par un manque de culture
générale irrécupérable à son âge, il s’agit ici d’une
attribution interne, globale et stable. Cette fois il
estime qu’il ne peut rien faire, qu’il ne peut contrôler la situation, il est donc en résignation apprise. Il
est important de noter que parmi ces trois dimensions, seule la dimension stable/temporaire est liée à
la résignation.
Performance et apprentissage
La formulation théorique de la résignation apprise a
permis très tôt d’envisager des solutions pour les
individus résignés. Ces derniers, en fonction du
champ d’application peuvent avoir des étiquettes différentes. Dans le cadre du travail par exemple, le
modèle de la résignation apprise s’applique assez bien
aux chômeurs de longue durée et il en va de même
à l’école avec les élèves en situation d’échec scolaire.
Au cours d’une expérience, Dweck (1975) a eu l’idée
de procéder à un entraînement attributionnel pour
tenter de sortir les élèves de l’échec scolaire. Le principe de cette étude consistait à progressivement amener les enfants résignés à attribuer leurs échecs à un
effort insuffisant plutôt qu’à un manque d’habileté.
Conformément aux hypothèses de Dweck, cet entraînement attributionnel a eu pour effet de créer chez
les enfants résignés une plus grande persistance dans
les activités scolaires et également à avoir de
meilleures performances. Cependant, bien qu’encourageant, ce type de résultat n’a pas autant d’impact
que souhaitable. Différentes études ont montré que
la résignation des élèves dépend en grande partie de
la considération de l’apprenant envers l’effort et la
capacité.
Comme nous avons pu le voir précédemment, la
notion d’effort est centrale en enseignement. Cette
notion est systématiquement présente quand l’individu doit atteindre un certain niveau de performance
ce qui est très souvent le cas dans le système scolaire. Certains auteurs ont montré que la relation
entre effort et capacité peut soit protéger de la résignation soit au contraire en augmenter le risque.
Avant d’en expliquer la raison, certaines études vont
permettent d’exposer clairement la nature de cette
relation.
Dans l’une d’entre elles, Covington et Omelich (1979)
demandent à des étudiants de répondre à une série
de questions qui examinent la relation entre l’effort,
l’incompétence, l’insatisfaction et la honte. Ces questions se penchent, dans chacun des cas évoqués précédemment, sur les raisons susceptibles d’expliquer
un échec à l’issue d’un examen. Elles proposent à
chaque fois les quatre cas de figures suivants : faible
effort sans excuse, faible effort avec excuse, grand
effort sans excuse et grand effort avec excuse.
L’excuse invoquée pour un grand effort est que l’examen ne porte presque pas sur le cours. L’excuse pour
un faible effort était que l’étudiant était malade.
Contrairement à toute attente la lecture des résultats montre que l’incompétence, l’insatisfaction et la
honte sont à chaque fois plus élevées quand l’effort
est important quelle que soit l’excuse considérée.
Autrement dit quand un étudiant échoue à un examen il a intérêt à le faire en ayant produit le moins
d’effort possible. Ce type de résultats est parfaitement expliqué par Nicholls (1984) dans le cadre d’une
conception différenciée où l’effort et la capacité sont
inversement proportionnels. Cet auteur a montré
dans différentes études que dans certaines situations
chez l’adulte l’habileté est clairement différenciée de
l’effort car ces deux causes sont perçues comme
indépendantes pour l’établissement du résultat. Par
contre, chez l’enfant l’effort, l’habileté et les résultats
ne sont pas différenciés. Cependant, cette dernière
conception est aussi présente chez l’adulte dans des
situations où l’habileté ne peut être jugée indépendamment de son expérience subjective. Ces deux
conceptions ont des implications majeures sur la
motivation de l’individu.
Lorsque l’effort est différencié de la capacité pour
expliquer une performance, ces deux causes sont
inversement impliquées. Par exemple si l’apprenant
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réussit à obtenir une très bonne évaluation à un examen, sa perception de capacité sera plus importante
s’il a produit peu d’effort. Inversement s’il échoue,
il s’estimera d’autant moins incompétent s’il a fait
peu d’effort. Paradoxalement, nous pouvons voir
que dans la conception différenciée quelle que soit
la performance l’individu est incité à faire le moins
d’effort possible. Le pire pour l’apprenant est le cas
où il subit un échec tout en ayant produit l’effort
maximum.
Lorsque la performance est jugée uniquement par
rapport à des critères subjectifs, l’effort et la capacité sont directement reliés. C’est l’exemple
typique de l’apprenant qui cherche à progresser
dans sa compréhension de l’informatique. Plus l’apprenant fait d’effort pour comprendre, plus il
estime gagner en compétence. La moindre réussite dans la compréhension du fonctionnement d’un
logiciel est appréciée subjectivement indépendamment de la progression que pourraient montrer
d’autres apprenants placés dans la même situation
d’apprentissage.
Cette distinction ne s’arrête pas là car elle recoupe
le but poursuivi ou le type d’implication de l’individu lors de la réalisation de l’activité.
Le terme d’implication de l’ego est utilisé pour
désigner les individus qui adoptent la conception
la plus différenciée. Ce terme est employé dans le
cas où l’individu chercherait à démontrer son habileté en adoptant une attitude relativement externe
ou une perspective de comparaison sociale. Cette
conception d’implication de l’ego rejoint celle du
but d’orientation vers la performance de Dweck
et Leggett (1988). Lorsque l’individu est impliqué
par l’ego il cherche avant tout à valoriser ou à éviter une dévalorisation de son ego. Dans le cadre
d’une implication de l’ego l’individu recherche les
activités qui sont valorisées socialement. Dans une
étude menée par Monteil (1993) l’impact des mauvais résultats présentés en public est d’autant plus
négatif que la matière est élevée dans la hiérarchie
scolaire. Si l’individu est impliqué dans une activité par son ego, la difficulté de la tâche est jugée
à partir de la performance des autres. L’individu
qui démontre une grande habileté doit réussir là
où les autres échouent. Dans ce cas, la capacité
peut être inférée de la comparaison interpersonnelle de la performance et de l’effort. Ainsi, plus
il y a d’effort et de temps requis pour apprendre
quelque chose (comparé au temps et à l’effort que
prennent les autres) moins la capacité est impliquée.
Pour les apprenants qui cherchent plus à s’améliorer
dans la maîtrise d’une tâche que de démontrer leur
habilité par rapport aux autres, Nicholls (1984)
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emploie le terme d’implication pour la tâche ou l’activité. Lorsque l’individu effectue l’activité dans ce
but il ne va pas différencier l’effort de l’habileté et il
aura une forte sensation de compétence qui résulte
de toutes les progressions ressenties. Ce terme
d’implication pour la tâche est également similaire
à celui de but d’apprentissage de Dweck et Leggett
(1988).
Dans ce cas, une faible compétence signifie un échec
à maîtriser une tâche ou ne pas faire autant que ce
que l’on a espéré pouvoir faire. Lorsque les individus sont impliqués par la tâche, seul l’effort permet
de maîtriser l’activité. Cette sensation d’effort est
donc intimement liée à la perception de compétence.
Si ces individus perçoivent qu’un grand effort est
nécessaire pour un accroissement de l’habileté alors
ils vont produire cet effort.
Lorsqu’ils sont confrontés à une difficulté dans le
cadre d’une implication pour l’activité, les individus
estiment qu’il s’agit d’une occasion d’apprendre. Par
contre si l’apprenant est impliqué par rapport à l’ego,
l’échec à un examen, surtout associé à un effort
important risque de le mener à la résignation. Le
type d’implication dans un apprentissage est donc
capital pour la motivation de l’apprenant. Il paraît
même presque logique, au vue des théories précédentes, de promouvoir une implication pour
la tâche dans toute activité d’apprentissage.
Cependant, en regardant de plus prés nous pouvons
constater que le système scolaire classique est relativement obnubilé par l’évaluation des enseignements. Cette centralisation de l’évaluation force l’accent sur la comparaison sociale qui est à la base de
l’implication de l’ego. Cette focalisation oriente les
élèves vers la recherche d’une performance la
meilleure possible. Dans ces conditions, il est
presque logique de résigner les plus faibles ou du
moins ceux qui pour une raison ou pour une autre
se sont montrés moins performants à un moment
donné. Lorsque l’élève est en échec, l’institution scolaire se trouve alors obligée de changer ses règles
de fonctionnement. Il est à remarquer que le système scolaire cherche généralement à placer les
élèves en échec dans des cadres pédagogiques de
type pédagogies actives, pour les sortir de cette
ornière. En effet, les pédagogies actives sont généralement centrées sur l’activité et la progression de
l’élève et correspondent plus, du moins dans leur
conception, à une implication dans l’activité. Ce
problème de la résignation se pose moins dans le
cadre de la formation professionnelle ou l’évaluation de l’apprenant est généralement exclue de la
formation.
La raison de cette exclusion peut d’ailleurs se trouver
dans les traces laissées par l’évaluation scolaire. De
plus, en ce qui concerne la formation professionnelle,
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les participants sont généralement là pour mettre
l’accent sur l’acquisition de compétence, non pour
démontrer une performance.
LE LIBRE CHOIX
La question de l’évaluation se pose d’autant plus
dans le système scolaire que les élèves ne peuvent
généralement s’y soustraire. Même si l’élève ne
s’engage pas dans sa formation, ne fait plus rien et
affiche clairement qu’il refuse de travailler, il y
reste soumis. Il en va autrement dans les formations pour adultes où l’engagement est la condition minimum. Les raisons de cet engagement sont
multiples et pour certains chercheurs elles sont
même à la base de toute forme de motivation en
formation.
Deci en 1971 a montré dans une expérience qui a
marqué le champ de la motivation, que la liberté
de choix affecte profondément le type de motivation. Pour mener à bien son étude, l’auteur propose à deux groupes de sujets de résoudre des
problèmes de puzzles qui ont été jugés auparavant
comme très intéressants. Les problèmes sont présentés aux individus au cours de trois séances. La
première est identique pour les deux groupes : les
sujets doivent résoudre un certain nombre de problèmes en temps limité. Par contre, lors de la
deuxième séance, l’expérimentateur donne 1$ par
puzzle réussi au premier groupe alors que le
deuxième groupe ne perçoit aucune rémunération
monétaire. Enfin, lors de la troisième séance, l’expérimentateur invoque une excuse qui lui permet
de s’absenter. Il demande aux sujets, avant de partir, d’effectuer soit quelques puzzles supplémentaires, soit de lire des journaux, soit de ne rien
faire.
Une des grandes originalités de l’étude se trouve
au niveau de la mesure qui permet d’appréhender
la motivation des individus. Avant cette étude, dans
de nombreuses expériences c’était l’évaluation
d’une performance qui permettait de mesurer la
motivation. Classiquement l’individu est «incité »
à faire plus d’effort dans une condition par rapport
à une autre car, par exemple, il est récompensé
par une forte somme d’argent ou l’évitement d’un
événement aversif. De ce point de vue d’ailleurs,
l’expérience de Deci est conforme aux résultats
basiques sur l’incitation car lors de la deuxième
séance les étudiants récompensés résolvent plus
de puzzles que ceux qui ne le sont pas. Par contre,
s’il est indéniable que l’incitation monétaire a un
effet important sur l’effort pendant un court laps
de temps qu’en est-il de la durée et de l’engagement ? En effet, comme nous avons pu le voir précédemment, la motivation produit plusieurs effets
visibles. L’intensité ou l’effort n’est que l’une des
quatre composantes de la motivation. La persistance et le déclenchement autrement dit la durée
et l’engagement sont loin d’être des effets négligeables.
Dans cette étude Deci a eu l’idée de mesurer plus
précisément ces deux composantes au travers de la
mesure du « libre choix ». Cette mesure reflète le
temps que les individus passent à résoudre le puzzle
pendant la dernière période dite période de libre
choix. En effet, une glace sans tain permet d’observer les sujets à leur insu. Il est ainsi possible à l’expérimentateur de voir les individus qui vont choisir
de s’engager sur la résolution de nouveaux puzzles
au détriment des magazines ou de la possibilité de
ne rien faire. De plus, l’expérimentateur en profite
pour chronométrer le temps passer sur la résolution de ces puzzles. Le temps moyen de résolution
lors de la troisième séance reflète donc le temps
que l’individu passe sur l’activité en dehors de toute
contrainte.
Les résultats sont surprenants car ce sont les étudiants qui ont été récompensés qui passent en
moyenne le moins de temps sur la résolution de
puzzles lors de la période de libre choix. Autrement
dit si la récompense a un effet indéniable sur l’intensité du comportement pendant un court laps de
temps, par la suite elle en diminue l’engagement et
la persistance en dehors de toutes contraintes.
Dans le cadre de la formation ce résultat est d’une
très grande importance. En effet, le système scolaire classique considère généralement l’effort
comme étant presque synonyme de motivation.
Tous les moyens sont donc mis en œuvre pour faire
en sorte que l’individu produise le maximum d’efforts. L’incitation sous toutes ses formes (récompenses et punitions) reste le moyen le plus utilisé
car le plus simple d’accès. Cette étude nous montre
que malheureusement l’utilisation de l’incitation a
ses limites.
L’étude de Deci a bien entendu été reproduite et les
résultats ont non seulement été reproduits mais de
plus, les chercheurs ont montré d’autres effets. Ryan,
Mims et Koestner (1983) conjointement à la période
de libre choix, proposent un questionnaire sur l’intérêt de la tâche, le niveau de tension et de pression
ressentie au cours de l’expérience. Ces différentes
échelles de motivation et la période de libre choix
sont corrélés significativement.
L’intérêt pour l’activité est d’autant plus faible que
le temps moyen de libre choix est bas. Par contre
plus l’individu ressent pression et tension sur
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l’activité moins il passe de temps sur l’activité lors
de la période de libre choix. Ces corrélations permettent de comprendre pourquoi la récompense
n’est pas le seul facteur qui peut avoir un effet négatif sur la motivation. La compétition (Deci, Betley,
Kahle, Abrams & Porac, 1981) les limites temporelles (Amabile, Dejong & Lepper, 1976), ou la surveillance d’un professeur envers ses élèves (Lepper
& Greene,1975) en sont des exemples parmi
d’autres.
Par la suite, Deci et Ryan (1985 ; Ryan & Deci, 2004)
ont proposé l’existence de différentes formes de
motivations qui se distinguent par le degré d’autodétermination sous-jacent à leurs fonctionnements.
Les auteurs postulent l’existence d’un continuum
d’autodétermination sur lequel se distribuent différentes formes de motivations. Les quatre premières
formes de motivations sont des motivations extrinsèques ou régulation car le comportement est considéré comme régulé par des attentes détachables de
l’activité. Les récompenses par exemple ne sont pas
spécifiques à une activité, par exemple il est possible
d’utiliser l’argent pour n’importe quel type de tâche.
A l’inverse, la motivation intrinsèque sous-tend le
comportement de l’individu quand ce dernier effectue une activité uniquement pour la satisfaction inhérente à la pratique de cette activité. Cette fois la
satisfaction est spécifique à la pratique de l’activité
et elle n’est pas détachable de cette dernière. La
motivation intrinsèque se trouve dans la pratique des
jeux, la lecture de roman ou la pratique des mathématiques totalement désintéressée de toute implication et application. La motivation intrinsèque suppose une autodétermination totale de la part de
l’individu. Les différentes formes de motivation
extrinsèque se distinguent au niveau de l’autodétermination. Voici une rapide définition de ces différentes formes de motivation :
• Régulation externe : Il s’agit de la motivation
extrinsèque la moins autodéterminée. Dans ce cas,
l’individu agit uniquement pour obtenir une récompense ou pour éviter quelque chose de désagréable telle qu’une punition. L’élève qui travaille
son cours uniquement pour éviter d’avoir une
mauvaise note reflète exactement ce type de motivation.
• Régulation introjectée : Le comportement est
motivé par des incitations et des pressions internes
telles que le sentiment de culpabilité, des menaces
adressées à l’estime de soi ou au contraire des
compliments. Ce type de régulation n’est qu’une
internalisation partielle, dans la mesure où l’individu agit quand il doit le faire sous peine de se sentir honteux. Ce type de régulation est interne à
l’individu dans le sens où elle ne nécessite plus
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RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 83 - DÉCEMBRE 2005
d’incitation externe, mais elle est séparée du soi.
Il s’agit donc d’une motivation interne qui contrôle
l’individu et dans laquelle le locus de causalité perçue est externe. Pour reprendre l’exemple précédent, l’élève va travailler ses cours pour éviter de
se sentir coupable de ne rien faire à l’école.
• Régulation identifiée : La régulation n’est plus
considérée comme extérieure à l’individu. Elle est
identifiée comme faisant partie du comportement,
c’est-à-dire qu’elle fait partie du soi. Les activités
sont effectuées cette fois car elles sont considérées comme importantes, comme ayant un sens
profond pour l’individu ce qui leur donne une certaine valeur. L’exemple typique est celui de l’étudiant qui travaille sur des matières qui ne lui plaisent pas particulièrement dans le seul objectif de
faire le métier qui semblerait lui convenir plus
tard.
• Régulation intégrée : A ce niveau, les différentes
identifications sont intégrées en un tout cohérent
qui permet à l’individu de développer le sens de
soi. L’individu va chercher à faire un ensemble d’activités qui sont liées à la réalisation de lui-même.
Par exemple, une personne qui estime qu’il lui faut
vivre en harmonie avec la nature va être une militante écologiste active, s’alimenter uniquement
avec des produits cultivés naturellement, s’informer en permanence sur la meilleure façon de vivre
en harmonie avec la nature. Ces différents comportements pris un par un sont des régulations
identifiées, mais elles sont ici articulées entre elles
ou intégrées à la réalisation de soi de l’individu. La
régulation intégrée suppose une autodétermination totale du comportement tout comme la motivation intrinsèque.
Un dernier type de motivation a également été
abordé par Deci et Ryan, il s’agit du niveau zéro de
la motivation que les auteurs ont appelé l’amotivation. Dans ce cadre théorique l’absence totale de
motivation se trouve quand l’individu n’a aucune
intentionnalité. Cet état est lié à différentes possibilités :
- l’individu ne trouve aucun sens aux activités qu’il
pourrait effectuer,
- il ne peut trouver de résultats valables à ses yeux,
- il s’estime totalement incompétent.
L’amotivation est une forme de démotivation qui
est proche de la résignation apprise. La perception
de compétence qui est une cause de l’amotivation,
est d’ailleurs commune avec la résignation apprise
et avec les différentes formes de motivations
extrinsèque et intrinsèque. En effet, certaines relations sont à faire entre les théories qui ont été
exposées ici.
LA MOTIVATION : PERSPECTIVES EN FORMATION
Le temps dit « de libre choix » où les autres
mesures, associées ici à la motivation, varient
en fonction des informations qui sont données
aux individus sur leurs niveaux de compétence
(Harackiewicz & Larson, 1986, Pittman, Emery &
Boggiano, 1982). Dans ces études si l’expérimentateur transmet une information à même de diminuer
la compétence perçue de l’individu alors ce dernier
passera par la suite moins de temps « en libre
choix » ou aura un score d’intérêt plus faible
concernant l’activité cible. A l’inverse, tout ce qui
concourt à augmenter la perception de compétence
de l’individu aura tendance à produire un effet du
même ordre sur les mesures associées au libre
choix. Au total, il semble que la compétence et l’autodétermination soient des facteurs clefs qui agissent directement ou en combinaison avec d’autres
pour augmenter ou diminuer la motivation de l’individu.
MOTIVATION ET MÉMOIRE
Pour les formateurs, enseignants ou étudiants, la
motivation est nécessaire à toute forme d’apprentissage car sans elle l’individu ne peut apprendre.
Dans quelle mesure les études scientifiques corroborent-elles cette évidence ? Il est indéniable qu’un
élève motivé va passer plus de temps à apprendre,
va être plus attentionné et rester concentré aussi
longtemps qu’il le faudra pour emmagasiner ou comprendre une leçon. Il semble donc inutile d’aller
chercher plus loin l’explication de l’action de la
motivation. Ce raisonnement est d’ailleurs tenu par
certains chercheurs pour dire que la motivation n’a
pas d’action directe sur la mémoire. En y regardant
de plus prés cet argument n’est pas tout à fait exact.
En effet, de nombreuses études ont montré que la
motivation a des actions assez variées en fonction
de la mémoire qui est en jeu (cf. Fenouillet, 2003b).
La raison de cette diversité se trouve dans la pluralité de la mémoire elle-même. Pour simplifier, nous
pouvons dire que la mémoire est constituée de deux
grandes structures qui ont des propriétés très différentes : la mémoire à court terme et la mémoire
à long terme.
La mémoire à court terme a comme principales
caractéristiques d’avoir une capacité limitée en
terme d’items (7 items) et de temps (quelques
dizaines de secondes). La question de l’action de la
motivation sur la mémoire à court terme est donc
essentiellement de savoir si la motivation peut agir
sur la capacité de cette mémoire ou sur la durée
de récupération des informations qui peuvent y
être stockées. La réponse à cette question est non
(Fenouillet, 2003b). L’action de la motivation est
ailleurs. Eysenck & Eysenck (1980) ont demandé à
des individus de rappeler des listes de mots. La moitié des mots était fortement rémunérée alors que
l’autre moitié l’était faiblement. Les résultats montrent que si les sujets n’outrepassent pas la limite
de la capacité à court terme, par contre ils se rappellent plus de mots fortement rémunérés. L’action
de la motivation sur la mémoire à court terme est
donc avant tout attentionnelle. L’individu qui est
motivé par une information va lui accorder plus d’attention ce qui augmente sa probabilité de mémorisation.
La mémoire à long terme a comme caractéristiques
d’être théoriquement illimitée à la fois en terme de
temps et de capacité. Même si les informations passent d’abord par la mémoire à court terme, toute
forme d’apprentissage vise une rétention à long
terme. Cependant, très peu d’informations parviennent à la mémoire à long terme. En effet,
comme nous avons pu le voir précédemment la
mémoire à court terme contient un peu moins
d’une dizaine d’informations et seules quelques
unes parviennent effectivement à être stockées à
long terme. Cette déperdition est surtout vraie
quand l’individu n’a pas de connaissances préalables
sur les nouvelles informations qu’il doit mémoriser. Dés que l’individu a quelques connaissances sur
le domaine, il peut organiser à la «volée » les informations qui se présentent et dépasser cette limite
(Lieury, 1997 ; Ericsson, Krampe & Tesh-Römer,
1993). L’action de la motivation sur la mémoire à
long terme se trouve à ce niveau. Lorsque l’individu est motivé, il cherche la meilleure méthode
possible pour organiser les informations entre elles.
Cette recherche lui permet d’augmenter sa capacité de stockage (Fenouillet, 2003b).
De même, l’individu motivé va davantage traiter les
nouvelles connaissances en profondeur ( Benware
et Deci,1984 ; Graham et Golan, 1991). Globalement
de nombreuses études montrent qu’à temps de traitement équivalent la motivation a pour effet d’augmenter la quantité et/ou la qualité des informations
qui sont stockées en mémoire à long terme (Fenouillet, 2003b).
Dans une étude qui utilise le potentiel motivant de
l’évaluation, Fenouillet et Lieury (1996) ont cherché
à en mesurer l’impact en interaction avec des
connaissances antérieures. Six groupes d’étudiants
ont été invités à apprendre une carte de géographie. La moitié d’entre eux a été sélectionnée pour
leur absence de connaissance en géographie à l’inverse de l’autre moitié. Avant l’apprentissage un
test préparatoire, ou pré-test, était utilisé pour
vérifier le niveau préalable des étudiants.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 83 - DÉCEMBRE 2005
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A l’issue de ce pré-test, les étudiants avaient « à
chaud » une soi-disant information sur leur niveau
en géographie. Le premier tiers d’entre eux était
informé qu’ils étaient parmi les meilleurs, le
deuxième tiers, qu’ils faisaient partie des plus mauvais, le dernier tiers n’avait aucune information sur
les résultats à ce pré-test. Cette information était
totalement fausse car manipulée par le chercheur,
elle avait pour objectif de motiver les étudiants
comme nous avons pu le constater précédemment
(cf. but de performance ou implication de l’ego).
Les résultats ont montré que les effets de la motivation sur la mémorisation étaient totalement différents en fonction du niveau de connaissances réel.
Les étudiants possédant de grandes connaissances
en géographie et qui ont eu une information de
compétence ou d’incompétence, ont augmenté la
quantité d’informations stockée en mémoire à long
terme de 100% par rapport aux étudiants de niveau
équivalent qui n’avaient aucune information à l’issue du pré-test. A l’inverse, les individus qui
n’avaient aucune compétence en géographie ont eu
des performances d’apprentissage équivalentes
quelle que soit l’information de niveau donnée à l’issue du pré-test. Les résultats vont même jusqu’à
montrer que certains individus avec peu de connaissances et qui ont eu une information d’incompétence à l’issue du pré-test, montrent une désorganisation dans leur apprentissage qui est similaire à
celle que pourraient produire des individus résignés.
Les résultats de cette étude illustre bien l’action de
la motivation sur la mémoire à long terme.
Lorsque l’individu a peu de connaissances, la motivation a un impact à peine visible sur les performances de mémorisation. L’utilisation de l’évaluation comme incitation peut cependant induire une
résignation. Il est donc dans ce cas plus que
recommandé d’utiliser une autre forme de motivation. Par contre, quand l’individu a beaucoup de
connaissances sur le sujet d’apprentissage, la motivation a pour effet de démultiplier les performances. L’utilisation de l’évaluation dans ce
contexte n’a non seulement pas d’effet nuisible
même si cette dernière est négative (car l’individu
a une compétence perçue bien établie) mais peut
sensiblement augmenter les performances.
Comme nous avons pu le voir si la motivation est
un terme d’utilisation banale son usage dans le
cadre d’un enseignement ne doit pas en être pour
autant banalisé que ce soit dans le cadre scolaire
ou celui de la formation pour adultes (Carré, 2001).
Si l’incitation sous différentes formes (réprimandes,
évaluation, rétribution par exemple) est largement
utilisée, il existe d’autres possibilités comme le libre
choix ou la recherche de compétence (Fenouillet,
2003a). Ces « alternatives » peuvent se révéler être
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RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 83 - DÉCEMBRE 2005
des alliées indispensables à toutes formes d’apprentissages. Attention cependant à ne pas enclencher la mécanique infernale de résignation qui
guette toute forme d’évaluation. Un mot mal placé
ou une pratique trop sélective peut avoir des effets
désastreux sur la motivation de l’étudiant jusqu’à
le détourner d’études pourtant prometteuses de
prime abord.
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