Fraudeur - Passage du livre

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Fraudeur - Passage du livre
Fraudeur
GENCOD : 9782707328311
PASSAGE CHOISI
S'étant frotté la tête contre un pubis poilu, le fou se promène la tignasse en pétard, les
cheveux embroussaillés comme de l'étoupe. N'ayant ni hauteur ni forme, le fou n'a non plus
d'épaisseur et pas plus de consistance que de couleur. Il n'a ni nom ni matricule ni argent ni
ventricule. S'il court, il s'arrête aussitôt. S'il se lève, il se recouche illico. Éveillé, il dort.
Endormi, il veille. N'ayant ni maison ni charrette, il n'a pas de balais ni de serpillière. Il n'est ni
vivant ni mort, il n'est ni froid ni chaud. Il n'a ni père ni mère, il n'a ni patrie ni havre. N'ayant
pas de portefeuille, il n'a ni carte ni crédit. N'étant d'aucun parti ni d'aucune confrérie, il ne
porte ni drapeau ni étendard ni rosette. Il ne va ni à l'église ni au stade ni au bordel ni à
l'école. Ne fréquentant pas les cercles ni les assemblées, il n'a de notion ni des règles ni des
lois. La plupart du temps il fraude.
La brouette bien empoignée, le fou remonte une pente finissant en raidillon. Et calme, sur la
terre, les pavés et sur l'herbe, pense, cogite, rumine, soupèse, évalue, se tâte. Et tout en se
tâtant trottine. Quelles histoires raconter ? Quels jurons proférer ? Y aura-t-il de la bouse sur
la prairie des vaches ? Si pas de bouse, nous prendrons du crottin. Dans et autour de l'étable
des chevaux. Ils accourent du fond du pré, s'intéressent à ce qu'il fait de leur merde.
Heureux crotteurs des champs brabançons, le jardinier aime autant la douceur de vos
naseaux que celle de la raie culière des femmes. Trottinant, suant, comme un déjà vieux
cheval de trait, il songe aux saveurs, aux odeurs, aux couleurs, aux formes. Pense à sa mère
vivante, se souvient de la plupart de ses gestes. Est obsédé par quelques phrases
prononcées par cette femme. Pour y penser, écrit. Nous parlerons d'elle en long et en large.
Nous parlerons de Russie qui est le pays où elle est née. D'elle nous ne possédons qu'un
poème, dix photographies où on la voit belle et trois recettes indispensables. Nous avons
donc la voix, la beauté et la bonté, comme est bon le beurre, comme est bon le poisson
fumé, comme sont bons les pirojki frits farcis au chou ou à la poitrine de boeuf.
Le rouge de la betterave est son rouge préféré.
REVUE DE PRESSE
Le Monde du 5 mars 2015
Après avoir célébré ses enfants dans un diptyque lumineux, Marin mon coeur et Exquise
Louise (Minuit, 1992 et 2003), l'écrivain belge revient à sa propre adolescence - celle d'un
garçon de 14 ans «aux os légers», à l'été 1969...
Mais Fraudeur est également le «récit protéiforme» de l'expérience concrète, des joies
sensuelles qu'offrent les champs et les taillis : la suavité des reines-claudes, le piquant de
l'ortie, la douceur des pelages.
Libération du 19 mars 2015
Dix ans après Fou trop poli, sous la forme d'une reconstitution poétique, protéiforme,
éclatée, c'est à une singulière exploration de l'enfance et de son territoire que nous convie
Eugène Savitzkaya dans Fraudeur. Peu de noms, de personnes ou de lieux, on devine que
l'on est en Belgique, un bel été, en août 1969, dans une campagne boisée, profuse, intacte,
peuplée de bêtes, un «pays des délices» à l'abri du remembrement, de la reconfiguration
destructrice. Une figure se détache et aimante tout le récit, celle d'un garçon sans nom,
léger, «aux os légers»...
Livre d'escapades porté par les pas ailés du «garçon léger», livre de stations, de pauses dans
la luxuriance de la campagne et de son fourmillement de vies, au bord des rivières et au pied
des arbres magiques, dans un espace somme toute circonscrit, Fraudeur déroule aussi un
flux de paysages, et pas seulement ceux de la Belgique, des champs et des peupliers de
Hesbaye, ceux de Russie, des forêts de sapins et de pins, la terre lointaine, cet arrière-pays
maternel dont la mémoire affleure, entre les poèmes en prose, les évocations d'une
quotidienneté enchantée, le parti pris des choses rurales et simples. A cet égard, le
nomadisme buissonnier de l'enfant trahit sans doute une errance plus profonde...
Le récit est constitué de courts textes, de splendides échappées oniriques sur le mode du
conte, d'enchantements, de vertiges, d'émotions dans une atmosphère estivale, saturée de
sucre et de soleil.
Télérama du 15 avril 2015
Voici un livre intimidant, comme peuvent l'être les gens les plus simples et les plus profonds,
puits de science et de silence. Un livre qui bruisse d'une langue poétique tellement
magnétique qu'on est tenté de le lire à voix haute, comme sous emprise. Sous ce titre
faussement racoleur se cache un aveu douloureux : on ne peut aujourd'hui goûter la suavité
du monde qu'en douce, à condition de resquiller, de refuser d'aller toujours plus vite,
toujours plus amnésique...
Joie de retrouver Eugène Savitzkaya, après plusieurs années d'absence...
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