Pour plus d`informations téléchargez l`étude

Transcription

Pour plus d`informations téléchargez l`étude
COLLOQUE INTERNATIONAL
Réalisateurs, entre cinéma et télévision
Quels espaces pour la création?
ETUDE REALISEE PAR VIRGINIE SASSOON
Mercredi 3 Novembre 2004
9: 00 am – 12: 00 pm
14: 00 pm - 17: 00 pm
Anglais / Français –Traduction simultanée
Hôtel Richemond
Genève
Réalisateurs, entre cinéma et télévision
Quels espaces pour la création ?
Avant-propos
p.3
Introduction
p.4
I. Panorama des paysages audiovisuels européens
La diversité européenne
Caractéristiques des entreprises de production et de diffusion
La question du droit d’auteur
p.5
p.8
p.10
II. Des réalisateurs et des écrans
Autour des écrans
Éléments historiques
Réceptions, usages et publics
p.12
p.14
Réaliser pour le petit écran
La collaboration entre réalisateurs et scénaristes
Auteurs : une histoire d’implication
Des tournages sous influences ?
p.19
p.22
p.27
D’un écran à l’autre : la mobilité entre cinéma et télévision
p.33
Réalisateurs, producteurs, diffuseurs :
des configurations en quête d’équilibre
p.36
III. Le docu-fiction : un genre en devenir
L’émergence du docu-fiction
Atouts et limites
Perspectives
Télévision et culture : un engagement vital pour la création
p.41
p.43
p.45
p.47
Conclusion
p.50
Bibliographie
p.51
Remerciements et organisation
p. 53
2
Avant-propos
La qualité pour le plus grand nombre
Depuis le début, le festival Cinéma Tout Ecran se bat pour le talent des réalisateurs et la
qualité artistique des films, quel que soit leur support de diffusion, télévision ou cinéma.
Les exemples de films produits dans ce sens ne manquent pas. Ils prouvent que les
télévisions peuvent être des acteurs clés pour soutenir la créativité des réalisateurs et
même satisfaire ce qu’elles souhaitent le plus, un bon taux d’audience. C’est la nouvelle
tendance de certaines chaînes. Ce progrès nous encourage à défendre davantage
encore l’émergence de fictions de qualité, tout en critiquant les interventions abusives
des diffuseurs jusque dans les choix artistiques.
Reconnaître le rôle déterminant du réalisateur ne signifie pas que celui-ci devient
comme au cinéma «!maître après Dieu!». Une fiction à la télévision est une œuvre
collective associant le réalisateur, l’auteur et le producteur, ce que nous avons nommé
le RAP et que certains aujourd’hui appellent «!Trio!». Cette équation complémentaire
est un élément fondamental pour préserver une liberté de création valorisée par un
scénario imaginatif, bien structuré et une production rigoureusement gérée. Cette étroite
collaboration est une condition essentielle pour faire contrepoids aux logiques actuelles
de certains diffuseurs qui pensent savoir mieux que les téléspectateurs ce qu’ils
souhaitent. Une logique qui a comme conséquence la production de trop de films
formatés.
Redonner une place centrale au réalisateur de télévision permettrait à celui-ci de passer
au cinéma, et au cinéaste, à l’instar des comédiens, de se frotter à l’expérience
télévisuelle. Une circulation salutaire qui rendrait caduques les frontières absurdes qui
séparent la création audiovisuelle.
Cinéma Tout Ecran a pour vocation de susciter un dialogue entre les différents supports
de la création en mettant en avant la qualité. Si cette démarche revêt une telle
importance c’est parce que le cinéma et la télévision constituent des structures
d’observations incontournables pour exprimer la réalité de notre société au niveau
politique, social, culturel et sur «!les choses de la vie!». Meilleur est le film d’un point de
vue artistique mieux on rend compte de notre civilisation. Un objet filmique doit
permettre à un auteur de mettre le réel à la hauteur de son imaginaire, de créer une
œuvre sensible, entrecoupée de vertiges.
Léo Kaneman
Directeur artistique
3
Introduction
Si le réalisateur est au cœur de la création, les films sont avant tout des aventures
collectives qui nécessitent le soutien de multiples partenaires. Aujourd’hui, les chaînes
de télévisions apportent une aide de plus en plus indispensable mais dans le même
temps leurs implications dans toutes les étapes de la vie des films soulèvent de
nombreuses questions.
Comment proposer un point de vue singulier face aux impératifs des diffuseurs? Les
réalisateurs, mais aussi les scénaristes et les producteurs, arrivent-ils à préserver leur
indépendance et une liberté de choix? Quels sont les enjeux de ces collaborations pour
l’avenir de la création audiovisuelle et cinématographique ? Quelles perspectives offrent
les nouveaux genres de films spécifiquement télévisuels tels que les docu-fictions ?
Pour apporter des éléments de réponses à l’ensemble de ces interrogations, cette étude
suivra trois axes principaux, en se focalisant sur la place des réalisateurs.
Les logiques et les tendances économiques dépassant largement le cadre d’une
création individuelle, nous donnerons dans un premier temps une vision d’ensemble des
différents paysages audiovisuels européens. La description des caractéristiques
actuelles en matière de production et de diffusion en Europe permettra de mieux saisir
dans quel contexte les réalisateurs évoluent, ainsi que l’ensemble de leurs partenaires.
La réalisation d’un film pour la télévision s’inscrit généralement dans une autre histoire
qu’au cinéma. Quelles sont les opportunités et les contraintes du petit écran en matière
de réalisation ? Quel impact ont-elles sur la créativité des films ? Cette seconde partie
s’intéressera aux relations entre réalisateurs et scénaristes, à la place des auteurs, aux
conditions de tournages, à la mobilité entre télévision et cinéma… Les partenariats
autour du film conditionnent le champ des possibles en matière de création et, si les
configurations varient, on ne peut que s’interroger face à la dépendance croissante des
producteurs vis-à-vis des télévisions et à l’affaiblissement du poids des réalisateurs
dans les processus décisionnels.
La troisième partie de cette étude s’attachera à décrire l’émergence d’un nouveau genre
de films, les docu-fictions, destinés majoritairement au prime time. Quels sont les enjeux
et les perspectives de ces films qui renouvellent la mixité entre fiction et documentaire,
en alliant vocation pédagogique, culturelle et divertissement ? De façon plus générale,
nous tenterons de mettre en lumière le rôle et le devoir de la télévision vis-à-vis de la
création, le petit écran étant actuellement le vecteur le plus puissant de la diversité
culturelle et dans le même temps l’instrument le plus efficace de la globalisation.!
4
I.
Panorama des paysages audiovisuels européens
Quelles sont les principales caractéristiques des entreprises de production et de
diffusion en Europe ? Comment s’organise la création vis-à-vis des structures relatives à
chaque industrie nationale ? Cette partie vise à apporter un éclairage sur les différents
contextes dans lesquels travaillent les réalisateurs européens, ainsi que sur les
évolutions en cours.
v La diversité européenne
Au Royaume-Uni, des structures telles que BBC-TV et Channel 4 ont joué un rôle
décisif dans l’évolution du cinéma à partir des années 1970 et 1980 en s’engageant
dans la production cinématographique. Le cinéma anglais a puisé nombre de ses
talents tels que Stephen Frears, Mike Leigh, Ken Loach, Ken Russel, Richard Eyre,
Alan Clarke à la télévision… réalisateurs que l’on surnomme les fils de la BBC. On
constate que le secteur privé, dans le domaine de la fiction et du documentaire, se
maintient au niveau du service public, ce dernier étant totalement indépendant des
recettes publicitaires, vivant d’une redevance élevée et des apports de la loterie
nationale. La fiction télévisée est le moteur de la télévision anglaise. Aux yeux des
responsables, elle a le mérite de concilier les missions d’éducation (diffusion du
patrimoine littéraire et création de nouvelles œuvres) et de divertissement. Au cours des
années 1980, notamment avec la naissance de Channel 4, le lien entre cinéma et
télévision s’est renforcé, au-delà de la circulation des talents. La télévision produit
directement la plupart des films britanniques et la distinction entre film et téléfilm, qui n’a
aucun fondement juridique, est devenue encore plus ténue.
Les réalisateurs britanniques évoluent dans un contexte où la télévision représente un
espace de création fort, voire indispensable à leur épanouissement, grâce à un puissant
service public a su maintenir un niveau élevé d’exigence et d’innovation, stimulant pour
le secteur privé. En revanche, du côté du cinéma, la situation est plus problématique du
fait de la domination des majors américaines et d’une dépendance quasi-totale vis-à-vis
de la télévision.
En Allemagne, la télévision a épousé les modalités de l’organisation politique
territoriale, en accordant une large autonomie aux Länder, qui constituent la fédération.
Le paysage audiovisuel est riche, il comporte 30 chaînes, dont 5 culturelles. ARD
regroupe tous les Länder, personnalise les télévisions selon qu’elle est à Hambourg
(NDR) ou Cologne (WDR)… La ZDF est la deuxième chaîne nationale. Une forte
redevance et l’absence de publicité sur le service public à partir de 20 heures induisent
une indépendance vis-à-vis des annonceurs. On remarque une évolution constante de
la qualité de la fiction allemande, qui s’exporte beaucoup, et qui est très prisée dans le
monde anglo-saxon. Il n’y a pas de clivage fort entre télévision et cinéma, et les chaînes
sont directement associées à la préservation et au maintien d’un flux d’investissements
vers la production cinématographique.
5
Le secteur de l’exploitation en salles ne bénéficiant d’aucune protection, les chaînes
publiques assurent la survie de la visibilité des films de cinéma. Mais la concurrence des
chaînes privées oblige à revoir la politique de programmation, et les investissements
s’orientent de plus en plus vers les séries de fiction.
Les télévisions allemandes représentent un espace de création incontournable pour les
réalisateurs, même si les exigences en matière de rentabilité économique, de plus en
plus omniprésentes, ont des répercussions sur la liberté de création. Les nombreuses
passerelles qui existent entre cinéma et télévision font que les réalisateurs considèrent
souvent le petit écran comme un soutien indispensable au développement de leur
carrière.
En Italie, la situation de monopole de Silvio Berlusconi mène à une fusion des intérêts
politiques, du monde des médias et de l’économie. Un danger de sclérose guette ce
système, ainsi qu’une crise de la liberté d’expression. Silvio Berlusconi peut compter sur
un instrument de propagande politique imparable regroupant la quasi-totalité du réseau
italien.
La télévision italienne est sous haute surveillance, mais l’ensemble des professionnels
du secteur lancent et affirment des actions pour créer des espaces de création
indépendants et dynamiques. Les réalisateurs italiens ont besoin du soutien de la
télévision, et l’on peut observer une mobilisation croissante des artistes et des
producteurs pour la préservation de leur liberté d’expression.
En France, la chaîne dominante, TF1, est une chaîne privée, ce qui n’est ni le cas au
Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Suisse, ou en Belgique… D'un
côté, le secteur public, fondé sur la notion de service public, a un double financement ;
de l'autre, le secteur privé constitué d'entreprises commerciales repose sur la notion de
conquête de parts de marché. Contrairement aux autres systèmes européens, l'activité
de production est confiée principalement à des entreprises indépendantes. Captant
l'essentiel de la valeur de la filière, cette activité a l'impact le plus important sur les
résultats financiers. Pourtant c'est la diffusion qui constitue le nœud stratégique des
activités télévisuelles françaises, concentrant l'essentiel des revenus. Confrontés à une
diminution progressive des investissements des télévisions (notamment la crise de
Canal plus) dans la coproduction cinématographique, tous les professionnels de
l’Hexagone se sont lancés dans une quête intensive de financements internationaux
pour maintenir le niveau très élevé d’une production qui s’exporte de mieux en mieux.
Certains réalisateurs français réussissent à développer leurs projets uniquement dans la
sphère cinématographique. Le clivage entre télévision et cinéma est culturellement
prégnant mais les passerelles existent. Certains réalisateurs trouvent à la télévision des
espaces et des moyens d’expression qui bousculent cette dichotomie dans le sens d’un
meilleur dialogue.
6
En Belgique, la chaîne publique RTBF est spécialisée dans le secteur de l’information,
du reportage, du documentaire et des grandes enquêtes. Qu’il s’agisse de productions
majoritaires ou minoritaires, de plus en plus de films sont tournés et bénéficient des
aides régionales mises en place. Malgré tout, la faiblesse des financements ainsi que la
concurrence des chaînes francophones frontalières freine le développement de fictions
ou de séries nationales.
La différence entre Wallonie et Flandre se traduit par un « double » système de
production. Les francophones ont un atout linguistique qui les défavorise par ailleurs :
une dépendance accrue vis-à-vis des puissants partenaires français.
Même si le dynamisme des coproductions ouvre de nombreuses perspectives, les
réalisateurs belges évoluent sur un marché réduit. Ils pâtissent parfois d’un manque de
reconnaissance dans leur propre pays, qui les incite à chercher des partenaires
étrangers, ce qui peut être une source de déséquilibres et de questionnements
identitaires. La force de la créativité des auteurs belges font qu’ils s’exportent plutôt
bien. Reste que la télévision publique ne remplit pas toujours son devoir à la hauteur de
leurs besoins en matière de fiction.
En Suisse, il existe un découpage linguistique en quatre régions, avec les chaînes SF
DRS, pour la partie allemande, TSR pour la Suisse romande, TSI pour la Suisse
italienne, TVR pour la Suisse romanche. La TSR a été pionnière en lançant de
nombreux projets de coproductions avec la France.
“La Suisse romande est un territoire minuscule. Très peu de tournages se font, on ne
peut pas dire « je ne veux faire que du cinéma. » (…) R. Vouillamoz avait réussi à faire
beaucoup en lançant toute une série de coproductions, qui faisaient travailler des
techniciens, des assistants, des cadreurs…”
Claudio Tonetti, réalisateur
La SF DRS, quant à elle, est basée sur un système de production en suisse allemand et
continue à développer activement la production de téléfilms, elle représente un tremplin
pour de jeunes cinéastes et la réalisation de premiers films.
Dans cette perspective, la production suisse est soutenue chaque année par le festival
Cinéma Tout Ecran.
Les réalisateurs suisses rencontrent des problèmes assez similaires aux Belges, du fait
de la taille réduite de leur marché. La diversité culturelle et linguistique est un des
paramètres que les auteurs doivent prendre en compte pour la circulation des œuvres.
Dans ce contexte, les télévisions représentent des alliées indispensables pour soutenir
et appuyer le développement de la création.
7
v Caractéristiques des entreprises de production et de diffusion
Dans le tableau ci-dessous, le secteur de la production indépendante a été isolé afin
d'appréhender son poids dans chaque pays.
Part de marché de la
production dépendante
Part de marché de la
production indépendante
61%
39%
Espagne
31,3%
68,7%
France
10,9%
89,1%
Royaume-Uni
67,7%
32,7%
Italie
12,3%
87,7%
Allemagne
Source Ina, traitement Eurofiction 2003
La catégorie des sociétés de production liées aux diffuseurs est une catégorie qui
recouvre des fonctions et des pratiques professionnelles différentes et que l'on peut
regrouper en trois sous-ensembles :
•
•
•
Les systèmes de production intégrée (type BBC) ;
Les entreprises de « cofinancement » sans rôle actif, autre que de contrôle, dans le
déroulement des productions (type Mediaset) ;
Les entreprises qui se veulent sociétés de production à part entière avec vocation à
travailler pour tous les diffuseurs (type Bavaria). La diversité des chaînes clientes de
telles entités est variable selon les contextes. Ainsi, Granada et les sociétés de
production qui lui sont liées ont pour ambition de travailler avec tous les diffuseurs
britanniques ; les fictions livrées à d'autres chaînes que ITV existent, mais elles sont
rares. Au contraire, Bavaria, en Allemagne, ou les sociétés du groupe ExpandEllipse, en France, travaillent effectivement pour tous les diffuseurs ce qui est
l'apanage de peu de sociétés de production en Europe.
Deux pays, la France et Italie, privilégient nettement la production indépendante et
s'opposent à l'Allemagne et au Royaume-Uni où le secteur non-indépendant est resté
majoritaire, l'Espagne se situant dans une position intermédiaire. Les évolutions
observées ces dernières années montrent que ces oppositions se sont accentuées : en
France et en Italie, le secteur indépendant s'est renforcé; au Royaume-Uni, en
Allemagne, et surtout en Espagne, il s'est affaibli.
8
La fiction de prime time a, dans tous les pays, un poids financièrement majoritaire. La
grande diversité des durées et formats des fictions britanniques, leur forte présence dès
19 heures et leurs enjeux stratégiques en terme d'audience font que le Royaume-Uni
reste en tête pour la primauté accordée au prime time. En Allemagne et en France,
l'accroissement de la place des coproductions internationales et, plus généralement, le
renchérissement des fictions les plus prestigieuses contribuent à alourdir le poids
financier du prime time.
L’Angleterre et l’Allemagne dépassent largement la France en matière de diffusion de
fictions. Un des éléments d’explication tient au fait que les séries y tiennent une place
prépondérante. Le financement de la fiction y est donc mieux assuré. En Europe du
Sud, la nature de la production est différente, moins sérialisée et bâtie sur des schémas
voisins de ceux du cinéma, mais l’Italie et l’Espagne dépassent maintenant la France,
car ces deux pays se sont lancés dans une production importante de feuilletons
quotidiens. En France, la fiction est surtout produite pour le prime time et spécialisée
dans le téléfilm unitaire.
Le système de production aux Etats-Unis fait que l’industrialisation n’est pas synonyme
de médiocrité. De nombreux exemples montrent que ces conditions de production
accordent une place à la créativité, dans le fond comme dans la forme. La diversité de
l’offre et une concurrence accrue obligent les diffuseurs à prendre des risques et ils
n’hésitent pas à s’appuyer sur des auteurs, producteurs et concepteurs d’univers
originaux.
Concernant la pénétration du câble et du satellite, au Royaume-Uni, et encore plus en
Allemagne, les chaînes non hertziennes ont des moyens beaucoup plus importants que
les chaînes thématiques françaises, et surtout elles accaparent une part beaucoup plus
importante de l’audience. Les taux d’audience des grandes chaînes sont donc plus
basses qu’en France, mais la télévision y est mieux financée : il faut faire 15%
d’audience en France pour réaliser le même chiffre d’affaire qu’au Royaume-Uni avec
10%. Les chaînes françaises ont de ce fait une structure d’audience qu’on ne trouve
nulle part ailleurs. Dans tous les pays les chaînes leaders visent au mieux les 20% de
part de marché moyenne (13% aux Etats-Unis). En France, TF1 vise en moyenne plus
de 30% et France 2 plus de 20%. Pour atteindre de telles audiences, il faut réunir des
publics très différents et respecter des contraintes éditoriales fortes, ce qui peut être
considéré comme un frein à l’innovation et à la créativité.
9
v La question du droit d’auteur1
Les questions relatives aux droits d’auteurs représentent des enjeux considérables. En
fonction des législations nationales les auteurs parviennent avec plus ou moins de force
à défendre leurs intérêts et à se faire reconnaître.
La particularité des œuvres cinématographiques et audiovisuelles
Dans la plupart des pays de droit d'auteur continental, l'œuvre cinématographique ou
audiovisuelle est œuvre dite de collaboration, c'est-à-dire que plusieurs personnes ont
concouru à sa création. Les législations de ces pays définissent généralement les coauteurs de l'œuvre, dont les trois principaux sont : le réalisateur, le scénariste et le
compositeur de la musique originale.
Droit d’auteur contre Copyright ?
Alors que dans la conception continentale, le droit d'auteur naît de l'acte de création
d'une personne, dans les pays de common law (Etats-Unis, Royaume-Uni, Irlande), le
copyright protège un investissement. Ainsi, le droit ne naît pas sur la tête du créateur,
mais sur celle de l'investisseur, qui détient toutes les prérogatives économiques. Le droit
moral est absent du copyright américain. La loi britannique sur le copyright prévoit des
droits moraux pour les auteurs, mais permet qu'ils y renoncent par contrat, ce que ne
manquent pas de prévoir la plupart des contrats proposés aux auteurs.
Pour les œuvres cinématographiques et audiovisuelles, l'investisseur, le propriétaire du
copyright, est considéré comme l'auteur de l'œuvre, tandis que la protection des
véritables auteurs relève du droit du travail et des conventions collectives négociées
entre les guildes de producteurs et d'auteurs. Les auteurs sont cependant associés aux
différentes exploitations de l'œuvre au travers des residuals , sommes versées
annuellement aux guildes d'auteurs par l'association des producteurs. En Europe, les
auteurs de l'audiovisuel du Royaume-Uni cumulent les inconvénients des deux
systèmes : ils ne bénéficient ni des droits d'auteur continentaux forts, ni des droits
syndicaux des puissantes guildes américaines.
«En Allemagne, comme les producteurs n’ont pas beaucoup de pouvoir et de chance
d’avoir un revenu en dehors des chaînes de télévision, ils se prennent pour des
créateurs avec l’argument « c’est nous qui sélectionnons le scénariste, c’est nous les
créateurs de l’œuvre, on a fait tout le travail avec la rédaction de la chaîne », les
réalisateurs ne sont plus que des techniciens. C’est aussi pour des questions d’argent
relatives aux droits d’auteurs.»
Peter Carpentier, réalisateur
1
Source: Association Internationale des Auteurs de l’Audiovisuel
10
L’approche Creative Commons 2
L’organisation Creative Common a été fondée en 2001 à l’initiative de Lawrence Lessig
et est herbergée à la Stanford Law School Center for Internet and Society. Les textes
Creative Common ont été rédigés en langue anglaise, en référence à la législation
américaine du copyright. Ils sont actuellement en cours de traduction.
Creative Commons propose des contrats-type d’offre de mise à disposition d’œuvres en
ligne. Inspirées par les licences de logiciels libres et le mouvements open source, ces
textes facilitent l’utilisation et la réutilisation d’œuvres (textes, musiques, photos, sites
web…). Au lieu de soumettre toute exploitation des œuvres à l’autorisation préalable
des titulaires des droits, les licences creative commons permettent à l’auteur d’autoriser
à l’avance certaines utilisations selon des conditions exprimées par lui et d’en informer
le public. Le but est de rendre les droits d’accès, de reproduction et d’utilisation des
œuvres plus disponibles, sous certaines conditions et réglementations. Dans cette
perspective, la BBC vient d’adopter ce système de licences pour une large partie de ces
archives.
Le droit d’auteur freine-t-il le développement de la fiction industrialisée? 3
Ce type de fiction est une écriture collective qui ne donne pas la primauté à un seul
auteur. De plus, le mode de rémunération des auteurs lors de la diffusion (partage des
droits) n’incite pas à multiplier le nombre de scénariste. Mais cet obstacle n’est pas
forcément pertinent au regard de la situation des autres pays européens. En Italie, en
Allemagne et en Espagne, où le droit d’auteur existe (et non le copyright anglo-saxon), il
ne semble pas qu’il y ait de problèmes majeurs. Par ailleurs le système du copyright
anglo-saxon ne laisse pas une totale liberté au producteur : il s’accompagne de
conventions collectives avec des syndicats d’auteurs très contraignantes.
La gestion collective des droits d’auteurs
Les sociétés d'auteurs sont nées de la nécessité pour les auteurs de se regrouper afin
de représenter une force collective de négociation face aux producteurs et aux
diffuseurs. Aujourd'hui, la multiplication des modes d'exploitation les rend encore plus
indispensables car les auteurs sont dans l'impossibilité de suivre eux-mêmes ces
exploitations. Il en existe partout en Europe, qui ont pour but de négocier et percevoir
les droits des auteurs et de les répartir. Elles sont extrêmement utiles aux utilisateurs
d'œuvres (diffuseurs) qui n'ont pas à négocier au cas par cas avec les titulaires de
droits. Ce sont des sociétés de droit privé gérées par les auteurs qui en sont membres.
Elles jouent un rôle considérable dans la défense des intérêts patrimoniaux des auteurs.
2
Un colloque sur cette question aura lieu le Jeudi 4 novembre 2004 à partir de 9h, en présence de professionnels,
dans le cadre du Geneva Select Market à l’hôtel Bristol , « Le droit d’auteur à l’époque d’Internet et du numérique :
l’approche creative commons », proposé par Cinéma Tout Ecran, FOCAL, SSR SRG idée suisse.
3
Les perspectives et les conditions du développement de la production et de la diffusion de fiction en France,
Département d’Etudes Stratégiques sur l’Audiovisuel et le Cinéma, Novembre 2003
11
II.
Des réalisateurs et des écrans
Les chaînes de télévisions représentent aujourd’hui un pôle incontournable de
production, de diffusion et de promotion des films. La pluralité des parcours et des
façons de faire ne permet pas de couvrir la réalité de façon exhaustive, mais à travers
certains exemples et des considérations d’ordre plus général, nous nous attacherons à
saisir les opportunités et les contraintes qu’offre le petit écran pour les réalisateurs en
matière de création.
Pour introduire cette partie, nous présenterons brièvement des aspects relatifs à
l’histoire, ainsi qu’à l’usage, la réception et la conception du public, pour la télévision et
le cinéma.
v Autour des écrans
Le cinéma et la télévision n’ont pas la même histoire, ni les mêmes vocations. Entre les
grandes chaînes généralistes et les chaînes thématiques à vocation culturelle, comme
entre les films commerciaux et le cinéma d’art et d’essai, il existe une formidable
diversité dans la façon d’aborder les publics. La réception des films s’inscrit aussi dans
des logiques différentes, liées aux spécificités des deux médias.
Éléments historiques
La télévision, qui s’introduit dès 1947 dans les foyers américains, se situe dans le sillage
de la radiophonie. Elle perpétuera les modèles inaugurés par la radio : commercial aux
Etats-Unis, service public en Grande-Bretagne. En France, lors de la Seconde Guerre
Mondiale, l’Etat met sous tutelle tout le système radiophonique, qui prévaudra lors du
lancement de la première chaîne, plus tardif qu’Outre-Manche. Initialement les
télévisions du service public se voient assigner une triple mission : informer, éduquer,
distraire. Les télévisions commerciales quant à elles favorisent la fonction du
divertissement. Alors qu’aux Etats-Unis, les chaînes sont structurées en réseaux
(NBC,CBS,ABC) et tirent leur revenu de la publicité, les systèmes télévisuels européens
fonctionnent au départ sous le régime du monopole public. La redevance, payée par les
utilisateurs, constitue le moyen de financer le nouveau bien de la collectivité nationale.
La période des années 1960 jusqu’aux années 1980 a été marquée par une chute
importante de la fréquentation des salles de cinéma dans la plupart des pays du monde
et par l’affirmation de plus en plus concurrentielle de la télévision. De nouvelles formes
d’écritures cinématographiques sont alors apparues, les « nouvelles vagues », d’abord
en France, en Angleterre, en Italie, en Hongrie… Le cinéma a alors cessé d’appartenir
aux médias de masse, cédant la place aux télévisions. Les Etats-Unis ont alors
réorienté leur stratégie de production, délaissant le public adulte devenu téléspectateur
au profit des populations plus jeunes, principales consommatrices de films en salle.
12
Face à cette réaffirmation de la domination américaine, les industries
cinématographiques européennes ont eu de plus en plus de difficultés à développer leur
production et à la soutenir.
A la fin des années 1970, l’ensemble du secteur audiovisuel européen est en crise, et
un processus progressif de déréglementation se met en place. Les facteurs nationaux,
dont l’incapacité croissante du service public à satisfaire les attentes de plus en plus
fragmentées du public, viennent se greffer sur les tendances de l’économie mondiale.
L’accent est mis sur la productivité et la rentabilisation accélérée des capitaux, ce qui
bouleverse l’organisation du travail et les processus de production. De ce fait, les séries
prennent une place croissante. D’autre part, l’internationalisation croissante de la
publicité et de la production audiovisuelle agit sur les marchés nationaux, pénétrés par
les programmes étrangers. Le câble et le satellite seront les vecteurs déterminants de
cette évolution.
En Italie, la déréglementation « sauvage » fait exploser les télévisions locales privées.
Le public déserte les salles de cinéma au profit d’un petit écran qui rediffuse des
centaines de milliers d’œuvres de cinéma.
Malgré la volonté politique européenne de préserver la notion de service public, c’est le
modèle commercial de la télévision qui triomphe, où la fonction de divertissement
prédomine largement. La pression de l’audimat devient le trait majeur du nouveau
paysage audiovisuel, définit de nouveaux équilibres, et fait établir des stratégies de
programmation. Longtemps conçu comme un programme phare, le film de cinéma à la
télévision voit son statut peu à peu remis en question. La déréglementation des
systèmes de télévisions nationales a fait de l’Europe le premier importateur mondial et
le premier client de l’industrie américaine de programme.
Concernant les cinématographies nationales, le processus de déréglementation a eu
des effets irrémédiables en terme de production pour la plupart des pays d’Europe. A
l’exception de la France, peu de pays ont véritablement protégé leur cinéma. Les films
américains, quant à eux, cumulent leurs recettes dans tous les pays du monde, allant
même jusqu’à dépasser les parts de marché des productions nationales.
Depuis ses origines, l’histoire du cinéma a été nourrie des écrits d’intellectuels et
d’artistes développant points de vue et critiques, et a été marquée par l’existence de
lieux d’échanges autour des films, tels que les revues et les ciné-clubs. L’histoire de la
télévision a été façonnée quant à elle par l’innovation technologique et le monopole
d’Etat pour beaucoup de régions de monde, telle que l’Europe. Aujourd’hui elle est le
media de masse et de proximité dominant, mais aussi le vecteur le plus puissant de la
diversité culturelle.
«Le clivage télévision/cinéma, est-ce que ça correspond à un clivage entre une fiction
indépendante, iconoclaste, créative, qui serait rebelle et l’apanage du cinéma avec des
œuvres d’auteurs pouvant aborder des thématiques frontalement avec un langage
provoquant et la télévision considérée comme plus consensuelle, formatée ? Ce clivage
a son sens en Europe, puisque la fiction à la télévision se destine à un large public. (..)
13
Aux Etats-Unis la situation est inversée, le cinéma est plus conformiste alors qu’à la
télévision sur les chaînes câblées et payantes il y a une liberté de création, une audace,
à aborder des thématiques qui ne sont pas traitées au cinéma.»
François Sauvagnargues, directeur de la fiction, Arte
Réceptions, usages et publics : quelles influences sur la création ?
«La pauvreté de la télévision est un chose merveilleuse. Le grand film classique est
évidemment mauvais sur le petit écran, car la télévision est l’ennemie des valeurs
cinématographiques classiques, mais pas du cinéma. C’est une forme merveilleuse, où
le spectateur n’est qu’à un mètre cinquante de l’écran, mais ce n’est pas une forme
dramatique, c’est une forme narrative, si bien que la télévision est le moyen
d’expression idéal du raconteur. A la télévision, on peut dire dix fois plus en dix fois
moins de temps qu’au cinéma parce qu’on ne s’adresse qu’à deux ou trois personnes.
Et par-dessus tout, on s’adresse à l’oreille. Pour la première fois, à la télévision, le
cinéma prend une réelle valeur, trouve sa réelle fonction, du fait qu’il parle, car le plus
important est ce que l’on dit et non pas ce que l’on montre. Les mots ne sont plus les
ennemis du film.»
Orson Welles, réalisateur 4
La télévision inscrit le film dans un rapport au public qui est celui de la proximité, de la
parole, de l’intimité, de la présence, ce qui développe une esthétique particulière. André
Bazin affirmait que « le fondement psychologique du plaisir de la télévision ne réside
pas dans la notion de spectacle mais dans l’illusion d’ubiquité », car contrairement à
l’écran de cinéma qui est une surface de projection, le petit écran est comme le
prolongement de notre organe de vision, « la rétine d’un œil magique.» 5
On peut penser qu’un désir de cinéma et qu’un désir de télévision ne sous tendent pas
les mêmes logiques. Une des principales différences réside dans le fait que le cinéma
est un loisir en rupture avec le quotidien alors que la télévision est une activité
sédentaire et souvent routinière. En effet, la sortie en salle et le paiement à l’entrée
supposent une démarche active et le choix du film comporte une part de risque.
Dans une salle, les spectateurs sont soumis au temps du film, avec pour seule
alternative celle de sortir. A l’inverse, la télévision appartient au cadre domestique, et un
film diffusé est mis en concurrence avec une infinité d’autres programmes. La possibilité
de zapper sans bouger induit une maîtrise totale sur le temps du film qui contribue à
modifier profondément la réception.
4
Cité dans L’influence de la télévision sur le cinéma, Dossier réuni par Guy Hennebelle et René Prédal,
Cinémaction, Editions Cerf, 1987
5
Cité dans L’œil critique, Etudes Medias Recherches, INA, Editions De Boeck, Sous la direction de Jérôme
Bourdon et Jean-Michel Frodon, Bruxelles, 2003
14
«Il y a une différence fondamentale qui menace sérieusement l’avenir du cinéma. Ce qui
manque avant tout, c’est l’aspect rituel. Quand on va au cinéma, on sort de chez soi, on
choisit son film. On obéit surtout à un ancien rituel : on va vers un lieu où s’inscrit le
message. On se soumet à un rituel même inconsciemment. On s’assoit dans une salle,
toutes lumières éteintes. L’écran s’éclaire, la communication s’instaure. Tout cela, la
télévision l’ignore complètement.»
Federico Fellini6
Aujourd’hui, les cartes d’abonnements proposées par les multiplexes permettent aux
spectateurs de voir un nombre de films illimité et remettent en question cette logique du
choix et de prise de risque vis-à-vis du film, sortir de la salle étant devenu aussi facile
qu’un zapping sans conséquence.
Les modes de réceptions ont une influence prépondérante sur la façon dont les films
sont conçus en amont. La logique de l’audimat et la concurrence entre les chaînes
impose aux films de télévision « d’accrocher » le téléspectateur dès les premières
minutes, ce qui explique en partie pourquoi les films de cinéma ne sont plus garants des
meilleurs taux d’audience, la temporalité y étant traitée selon d’autres règles, en rapport
direct avec la réception.
«Il y a des réalisateurs qui aiment vraiment la télévision, qui sont fiers de faire 9 ou 10
millions de téléspectateurs. Ça m’est arrivé et j’étais content pour des motifs personnels,
on m’avait fait confiance et ça avait relancé la série. Mais si le même soir Citizen Kane
passait sur une autre chaîne, il aurait eu 2 millions de personnes. Moralité je suis
meilleur qu’Orson Welles avec une série récurrente ! Tout est faussé, un épisode de
Navarro fera toujours plus que La Strada de Fellini…»
Claudio Tonetti, réalisateur
Les réalisateurs doivent nécessairement s’adapter aux règles du média et, dans le
cadre de la télévision, à celles de la chaîne avec laquelle ils collaborent.
«Aux Etats-Unis, ils font du quatre fois 13 minutes pour la coupure publicitaire, tout le
scénario est construit autour de cette rythmique. En Allemagne on ne sait jamais quand
va arriver la pub, c’est sauvage.»
Peter Carpentier, réalisateur
De la grille de programmation jusqu’à la coupure publicitaire, le fonctionnement des
chaînes contribue donc à modifier le rythme et le contenu même des films.
6
Transcription de l’entretien de Fellini avec Beniamino Placido dans Fellini télévision, émission de l’INA
15
«Les films coproduits par les chaînes visent à alimenter les cases cinéma des
programmes de télévision, et on voit de plus en plus les diffuseurs discuter âprement
avec les producteurs et les réalisateurs au moment du montage, de manière à
supprimer les passages qu’ils jugent trop lents, ou non conformes à leurs objectifs. (…)
En télévision, le discours dominant, c’est « retenir le spectateur », il faut absolument le
garder au moment où il vient, même par hasard, sur une chaîne, et la temporalité d’un
film d’auteur n’est pas par hypothèse propice à retenir le téléspectateur, puisque ces
films supposent précisément qu’on aille à la rencontre d’une autre temporalité.»
Michel Reilhac, Directeur du Cinéma Arte France7
«Je vois bien à quel point le public ne cesse de changer avec le pouvoir grandissant de
la télévision. Franchement, je crois que si vous voulez faire du cinéma aujourd’hui, vous
feriez mieux d’étudier la télé, parce que c’est vraiment ce qu’est devenu le marché. Le
taux d’attention du spectateur a énormément réduit avec l’influence de la télé, au point
où il devient impossible aujourd’hui de faire un film calme.»
Oliver Stone, réalisateur8
Le public des grandes chaînes généralistes est généralement familial. Réunir toutes les
catégories de la population, âges, sexes et catégories socioprofessionnelles confondues
est à la fois un défi et une énorme contrainte. Cela explique en partie pourquoi les
chaînes payantes, thématiques et/ou culturelles sont celles où les fictions, destinées à
un public plus restreint, sont les plus audacieuses.
En fonction de la place de la chaîne dans le paysage audiovisuel, de son financement
public, privé ou hybride, et de sa vocation, la conception du public change et influence la
programmation.
«Le public de la télévision, c’est plutôt à partir des trentenaires. Ils regardent la
télévision primo parce qu’ils sont dans le monde du travail, qu’ils ont un gamin, qu’ils ont
des crédits sur le dos, qu’ils ne peuvent pas sortir tous les soirs. A partir de ce moment,
c’est un public beaucoup plus conservateur, qui cherche dans la télévision un regard sur
la société dans laquelle ils vivent.»
Takis Candilis, directeur de la fiction, TF1 (Entretien réalisé en 2003)
On observe que les réalisateurs ont de plus en plus de difficultés à proposer des projets
qui ne correspondent pas, aux yeux des dirigeants des chaînes, aux caractéristiques de
l’audience et ses goûts supposés.
7
Cité dans Le cinéma sans la télévision, Le banquet imaginaire/2, Groupe de réflexion sur le cinéma, Editions
Gallimard, 2004
8
Cité dans Leçons de cinéma, Laurent Tirard, Editions Nouveau Monde, 2004
16
«A la télévision, il est devenu bien plus difficile qu’au cinéma de créer des œuvres
ambitieuses, parce que la tolérance des décideurs de la télévision est très faible par
rapport à des œuvres originales. L’audimat ou ce qu’on croit être le goût du public prime
sur tout. Il y a une sorte de censure au départ établie à la télévision à travers la pression
de ce qu’on croit être le goût du public (…) Dans la mesure où l’on croit savoir que le
public aime ceci ou cela, on interdit, on anéantit toute autre possibilité.»
Pierre Koralnik, réalisateur
D’autre part, si le succès n’est pas synonyme de qualité, cela ne signifie pas que les
téléspectateurs ne savent pas faire la différence.
«L’environnement télévisuel a quelque chose de pathétique. Mon idée là-dessus est
partagée par beaucoup de gens, c’est qu’on agit sur une demande de plus en plus
triviale, de plus en plus vulgaire. Mais cette demande, on l’a crée, on l’impose. Il y a une
demande pour autre chose, il suffit de proposer (…) et on se rendra compte que le
niveau d’exigence est plus élevé que ce que l’on pense. On a toujours intérêt à mettre la
barre très haut et à supposer que les spectateurs sont très compétents.»
Emmanuel Bourdieu, réalisateur
«Chacun sait que naguère, on plaignait les spectateurs de télévision des horreurs
auxquelles ils étaient soumis. Ces êtres malheureux et passifs (…) avaient le choix
entre l’état de zombie, le statut de consommateur et la catatonisation par l’idéologie
bourgeoise. Bien heureusement, on découvrit un jour que ce musée des horreurs
relevait du malentendu. Les supposées victimes de la société de masse se portaient
bien, merci. Loin d’être catatoniques, elles étaient au contraire tout à fait alertes, et
activement employées face à leurs postes, à épingler les connotations furtives, à
résister aux séductions hégémoniques et en général, à déjouer les ruses de l’idéologie.»
David Morley, sociologue9
La fragmentation croissante de la demande oblige les professionnels à s’adapter à des
exigences de plus en plus pointues.De plus, les générations actuelles ont une culture
télévisuelle qui devrait conduire à des innovations, si toutefois elles parviennent à
imposer ce renouvellement.
«La génération qui est en poste actuellement n’a aucune culture télévisuelle, et ça va
forcément changer, parce que les jeunes qui arrivent qui ont 16 ou 17 ans, qui écrivent
des fictions sur Internet, parfois même depuis qu’ils ont l’âge de 12 ans, ils ne vont pas
se contenter de la télévision qu’on a aujourd’hui. En tant que scénaristes ils vont bien se
défendre. A un moment ou à un autre il faudra que les choses changent parce qu’il y a
un appel, tous les scénaristes ne vont pas s’expatrier pour pouvoir travailler.»
Denys Corel, scénariste
9
Cité dans Du côté du public, Usages et réceptions de la télévision, Brigitte Le Grignou, Editions Economica, 2004
17
Au Royaume-Uni, Channel Four a eu pour mission de développer une programmation
s’adressant aux goûts et aux publics minoritaires, et ses investissements dans la
production cinématographique ont eu pour effet de stimuler la production indépendante
et l’innovation. Les fictions conçues par les télévisions anglaises n’appartiennent pas à
un genre préexistant et bénéficient tour à tour du statut de film de cinéma et de téléfilm.
La chaîne franco-allemande Arte illustre aussi dans sa démarche, en permettant le
passage en salle de certaines de ses productions, l’importance que recouvre cet aspect,
non sans rencontrer certains problèmes avec le CNC qui sépare clairement les deux
types de production.
Si la frontière réglementaire contribue à accentuer le clivage entre télévision et cinéma
en « prédéterminant » le destin des films, dans le même temps elle est censée garantir
l’intégrité des œuvres.
«Faire des films de télévision et de cinéma ça devrait être la même chose, mais il faut
tenir compte de la réalité des faits. J’ai peur que ça devienne la même chose, mais dans
l’autre sens, que ça soit nivelé par le bas, que les films de cinéma s’alignent sur les
exigences très brutales et très minimales des films de télévision, alors que c’est le
contraire qui devrait être fait.»
Emmanuel Bourdieu, réalisateur
Dans l’idéal, les passerelles devraient se construire dans le respect des identités de
chacun, pour permettre aux réalisateurs de s’exprimer avec une pluralité d’approches.
Dans la réalité, la dépendance du cinéma vis-à-vis de la télévision soulève de
nombreuses questions car les logiques télévisuelles ont tendance à « déteindre » sur le
cinéma et à remettre en question une indépendance et une liberté de création déjà
fragilisée.
Aujourd’hui les festivals de fictions, par exemple en France le Festival International des
Programmes Audiovisuels de Biarritz, les festivals de Luchon, Saint Tropez…ou encore
en Suisse Cinéma Tout Ecran, ont un rôle essentiel pour affirmer et faire reconnaître les
qualités des films produits par les télévisions. Les récompenses qui sont attribuées aux
films conduisent à reconnaître la valeur de certaines fictions. D’autre part, la projection
des films sur grand écran représente une opportunité remarquable. Les festivals jouent
un rôle de laboratoire mais aussi de critique suscitant des rencontres, des dialogues qui
stimulent tant les créatifs que les décideurs et devraient conduire à une meilleure
appréciation du potentiel de la télévision comme espace de création, sans que cela se
fasse au détriment du secteur cinématographique.
18
v Réaliser pour le petit écran
Réalisateur, metteur en scène, auteur du film…cette pluralité sémantique est le signe
que ce métier recouvre des ambitions et des statuts variés.!Certains réalisateurs
s’affirment avant tout comme des techniciens, alors que d’autres revendiquent le titre
d’artistes. Certains détiennent un pouvoir quasi-absolu sur la totalité du processus
d’élaboration du film, alors que d’autres sont employés sur commande, affectés
principalement à la direction du tournage. Mais dans tous les cas, le réalisateur est de
fait l’auteur principal du film qu’il tourne.
Les télévisions européennes sont diverses, et certaines chaînes font office de modèle,
comme la BBC, chaîne publique et indépendante du Royaume-Uni. Mais la plupart sont
confrontées à un impératif commun : l’audimat. Comment dès lors initier des projets
développant le point de vue d’un ou plusieurs auteurs? Les réalisateurs peuvent-ils
rester maîtres de leur film face à l’intervention active des télévisions dans toutes les
étapes de fabrication?
La collaboration entre réalisateurs et scénaristes
«Idéalement, le réalisateur devrait trouver un scénariste qui soit vraiment une sorte
d’âme sœur, et leur relation devrait être similaire à un mariage.»
Pedro Almodovar, réalisateur 10
Dans le cadre des séries, les scénaristes sont les auteurs principaux et ce sont eux qui
investissent la plus grande part de créativité du format. Il est alors logique que les
réalisateurs s’adaptent à l’identité du programme et servent la cohérence du propos.
Lorsqu’un réalisateur tourne un épisode d’une série déjà lancée, ce sont ses
compétences «!techniques!» qui sont mobilisées en priorité.
«Si on attaque une série comme un unitaire, on a de fortes chances d’aller dans un mur.
En Europe, on a trop la vision de l’auteur carte blanche, peut-être même que nos séries
n’ont pas assez de cahiers des charges parce que ça deviendrait un exercice de style
pour les réalisateurs d’y répondre. Quand on prend Urgences aux Etats-Unis, Tarantino
a réalisé des épisodes, il n’y a que les aficionados qui vont dire là il y a du Tarantino, la
question étant comment je peux m’exprimer à travers un cahier des charges. (…) La
carte blanche n’est pas si saine pour le créateur, parce que finalement la contrainte peut
vous amener plus loin que l’idée première »
Jacques Malaterre, réalisateur
10
Cité dans Leçons de cinéma, Laurent Tirard, Editions Nouveau Monde, 2004
19
A la différence du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, en France le rôle du metteur en
scène est directement influencé par la primauté du modèle cinéma mais aussi par la
culture de l’auteur issue de la nouvelle vague.
«Tout n’a pas besoin d’un point de vue d’auteur, souvent ce sont les scénaristes qui
l’ont et tous les metteurs en scène ne sont pas des mecs qui ont des univers. Il y a des
gens qui ont des univers très particuliers et qui, sur des séries, nous plantent parce
qu’ils font leurs films. Ce qui est remarquable dans les séries américaines, c’est que le
metteur en scène quel qu’il soit, connu ou pas connu, on sent qu’il travaille pour la série.
Si un metteur en scène arrive et transforme tout, il ne joue pas la règle du jeu.»
Laurence Bachman, ex-directrice de la fiction, France 2
L’aspect le plus intéressant pour les réalisateurs peut être d’avoir une double casquette
d’auteur et de réalisateur du pilote, qui sera le point de départ d’un univers.
«A la télévision il faut que les grilles de lecture soient plus simples rapidement, avec des
structures et des personnages moins complexes, avec des dialogues plus explicatifs,
des situations faciles à comprendre, dramatiques, des choses qui se répètent en amont
et en aval. C’est une écriture qui s’adapte au média. Mais il faut continuer à être
ambitieux, à écrire des sujets durs, moi je m’applique autant à la télévision parce que je
trouve que le jeu en vaut la chandelle. Le cinéma ne propose pas ce genre de chose, de
développer des personnages sur la durée, avec des rendez-vous. La qualité est dans la
série qui est un langage spécifique à la télévision.»
Jérôme Cornuau, réalisateur
Dans le cadre de fictions unitaires, la collaboration entre scénaristes et réalisateurs ne
s’établit pas selon les mêmes règles. Un travail commun sur un récit unique et les
images qui lui donneront forme apparaît nettement plus important. Il arrive souvent
pourtant que les scénaristes et les réalisateurs se rencontrent dans les dernières
phases de développement, où une grande partie du scénario a déjà été modifié et
corrigé, en collaboration avec les producteurs et les diffuseurs. Le travail en amont entre
réalisateurs et scénaristes, s’il peut être considéré comme un facteur de cohérence pour
le rendu final du film, n’est pas toujours envisagé au sein des chaînes de télévision.
«Pour nous il y a deux métiers bien différents, qui sont l’écriture du scénario et sa mise
en scène. Pourquoi ? Parce qu’en poussant à ce que se crée un réel métier d’auteur, on
fait un travail beaucoup plus en profondeur sur un texte. L’écriture du scenario est un
travail qui peut prendre entre un an et quatre ans. On ne pourrait pas mobiliser un
réalisateur sur cette durée. Dans le passé nous avons travaillé avec des
auteurs/réalisateurs. Il se trouve que les réalisateurs s’attachent à des scènes, et
lorsqu’on décide avec le producteur de changer les choses ou des les orienter dans une
autre direction, malheureusement, il reste une mémoire de la scène qui fait qu’on a plus
de mal à travailler de manière forte et active sur les scénarios.»
Takis Candilis, directeur de la fiction, TF1
20
Les relations entre scénaristes et réalisateurs sont donc largement conditionnées par
les modes de fonctionnement internes aux chaînes. Chacune d’entre elles développe sa
propre façon de faire et, si chaque film apporte de nouvelles questions, il se dégage des
tendances qui renvoient aux notions de contrôle sur les films et de rapport au public.
«En Allemagne, le rédacteur et le producteur décident de faire une histoire, ils appellent
le scénariste qui travaille avec le producteur, qui renvoie le texte au rédacteur, qui
change le texte sans arrêt pour qu’il corresponde à la structure d’audience. Les
scénaristes sont payés petit à petit, pour le synopsis, pour le traitement, pour la
première version du scénario, mais à chaque moment ils peuvent être échangés avec
un autre scénariste. C’est comme ça que les diffuseurs exercent leur pression. Je me
suis toujours demandé pourquoi ils choisissent un réalisateur si tard. C’est parce que les
rédacteurs des chaînes de télévision ont la pression de leurs chefs et de leurs
départements, ils ont peur quand un réalisateur et un scénariste s’allient, qu’ils
travaillent ensemble, de se retrouver deux contre trois… Tant qu’un réalisateur n’est pas
à bord de l’entreprise c’est le rédacteur qui a le pouvoir puisque le producteur,
dépendant de la chaîne, ne va s’opposer à lui. Quant au scénariste il écrit sur
commande de la rédaction.»
Peter Carpentier, réalisateur
Lorsque les réalisateurs sont engagés au moment du casting, ils n’ont pas toujours le
temps de trouver des solutions adéquates et créatives pour contourner les contraintes
temporelles et budgétaires.
«Ce qui est compliqué pour les metteurs en scène, c’est quand ils arrivent 6 semaines
avant le tournage, et qu’ils n’ont pas le temps de travailler sur le scénario pour
contourner les contraintes économiques parce que le scénario en général est toujours
plus cher que l’argent que les producteurs ont. C’est pour ça que c’est mieux de mettre
quelqu’un en amont.!»
Laurence Bachman, ex-directrice de la fiction, France 2
Le scénario est un point de départ auquel le réalisateur doit donner corps, une forme
plastique et visuelle, et pour cela il a besoin de temps, afin d’apporter ses modifications
et construire sa vision du film.
Le manque de dialogue entre réalisateurs et scénaristes a pour conséquence que les
films peuvent apparaître formatés et sans force, même si à l’origine les scénarios sont
bons. Si certains se satisfont du système, privilégiant le côté alimentaire, pour d’autres
c’est une source de frustration et de démotivation.
21
«Je crois que la mise en scène est intrinsèquement liée à l’écriture. Et même si, pour
des raisons contractuelles ou autres, leurs noms n’apparaissent pas au générique en
tant qu’auteurs, tous les réalisateurs sérieux participent à l’écriture de leurs films. (…)
Un scénario évolue énormément quand il passe entre les mains du metteur en scène,
parfois même du tout au tout. Et je crois que le réalisateur lui-même ne sait pas bien de
quoi va parler le film un fois fini. D’ailleurs, je crois que c’est la façon dont je choisis un
film : si je sais d’entrée de jeu de quoi il parle, c’est que mon travail ne va consister qu’à
exprimer une idée déjà évidente. Ce ne sera que de l’exécution et je vais vite me lasser,
alors autant ne pas le faire. En revanche, si je ne suis pas sûr de savoir de quoi parle le
film, alors je sais que je vais pouvoir explorer le sujet tout en le faisant et être surpris du
résultat.»
John Boorman, réalisateur11
La fragmentation voire l’absence d’une véritable collaboration entre réalisateurs et
scénaristes apparaît à plusieurs égards comme un facteur néfaste tant sur le plan de
l’efficacité de l’organisation que sur celui de la créativité. Il est donc essentiel de
repenser! la collaboration entre ces deux piliers fondateurs et de mieux financer la
phase de recherche et de développement.
Auteurs : une histoire d’implication
«Un film c’est un point de vue. Le reste n’est que du décor.»
Oliver Stone, réalisateur 12
A la différence des autres domaines artistiques - littérature, peinture, musique - la
question de l’auteur au cinéma a toujours posé un problème à la fois technique,
esthétique, juridique et économique. A l’exception de quelques films expérimentaux dont
toutes les étapes sont assurées par un créateur unique, le cinéma comme la télévision
résulte d’une collaboration : c’est un art collectif, œuvre d’une équipe dont les
personnages principaux sont le metteur en scène, le scénariste, le dialoguiste, le chef
opérateur, les acteurs et le producteur, mais aussi les diffuseurs, chacun pouvant avoir,
selon l’époque et les projets, une place prépondérante. Dans une conception première
du cinéma, comme pour le théâtre filmé, l’auteur du scénario a pu être considéré
comme l’auteur du film, ce qui a été remis en question à l’apparition du parlant. Le star
system américain a quant à lui relégué scénariste et metteur en scène dans le même
anonymat, faisant la part belle aux studios et aux stars : le film n’était pas envisagé
comme une œuvre d’art mais comme un produit. C’est en réaction contre cette
conception que s’est dessinée la figure du metteur en scène-auteur dans les années
cinquante : la revendication du style, en opposition à une production standardisée,
devient avec la Nouvelle Vague le cheval de bataille des Cahiers du Cinéma.
11
12
Cité dans Leçons de Cinéma, Laurent Tirard, Editions Nouveau Monde, 2004
Idem
22
La politique des auteurs s’est développée avec des variantes dans les pays
anglophones.13
Nous considérerons ici que les auteurs sont les pôles majeurs de la création,
(principalement les scénaristes et les réalisateurs qui, selon les cas, peuvent être
directement associées à la production) qui nourrissent par leur sensibilité et leur point
de vue le propos, la densité, le rythme, l’identité même du film.
«Le devoir de tout metteur en scène est avant tout d’avoir quelque chose à dire, d’avoir
le désir de raconter.»
Wim Wenders, réalisateur14
La place des auteurs dans les processus de décision cristallise la tension qui existe
entre le désir de développer des idées originales et personnelles face aux impératifs
économiques et aux contraintes d’audiences.
«On fait des films pour un public, la vision d’auteur n’est intéressante que lorsqu’elle est
pertinente par rapport au public. On est là pour s’assurer que les films sont faits pour le
public et pas pour des raisons personnelles. (…) Les producteurs et les auteurs
essayent de répondre aux grands axes de notre ligne éditoriale en nous proposant des
projets. Sur la base de leurs propositions on décide ou pas d’engager une co-écriture.
C’est la première option, 90% des projets que l’on fait. Pour les 10% restant on peut
commander une adaptation ou le développement d’une idée qui vient de nous en
interne.»
Christophe Carmona, directeur délégué de la fiction française, M6
«La télévision est plus interventionniste que le cinéma. Au cinéma, si vous arrivez avec
3 pages on vous dira « revenez quand ce sera écrit ». A la télévision, 9 fois sur 10 ils
préfèrent qu’on arrive avec des synopsis et qu’on discute avec eux de comment on va
les développer. Mais cela ne me choque pas qu’une chaîne cherche à maîtriser sa ligne
éditoriale.»
Jean-François Lepetit, producteur15
L’intervention active des diffuseurs dès l’origine du projet peut transformer le rapport
que les auteurs entretiennent avec les films, les éloignant d’un désir qui leur ressemble
et provoquant un sentiment de « dépossession » vis-à-vis du projet d’origine.
«Je pense que le désir d’un film ou téléfilm, doit venir des créateurs eux-mêmes, ça ne
doit pas venir d’un calcul des producteurs qui se disent « la chaîne X aimerait bien un
sujet de ce genre là ». Ça devrait être pensé, senti d’un point de vue artistique, donc ça
ne peut être que le réalisateur et le scénariste, venir des auteurs. (…) A la télévision, on
vient chez toi, on te demande si tu ne voudrais pas faire un film sur la maltraitance de
13
Le vocabulaire du cinéma, Marie Thérèse Journot, Cinéma 128, Nathan, 2002
Cité dans Leçons de Cinéma, Laurent Tirard, Editions Nouveau Monde, 2004
15
Interview réalisée par Béatrice de Mondenard
14
23
l’enfance par exemple, c’est différent quand le sujet a grandi en toi, que tu as fait des
recherches, que tu as lu. Il faut souvent abandonner ton idée de départ, ton désir,
travailler sur d’autres thématiques. C’est contre productif sur le plan de la création, de
l’invention. En plus, tu dois écrire dans des limites convenables qui ne heurtent pas un
certain nombre de sensibilités, de susceptibilités, pour en faire quelque chose de moyen
qui se consomme facilement.»
Marian Hand Werker, réalisateur
Quand les scénaristes et les réalisateurs deviennent des éléments interchangeables, les
films ressemblent à l’institution qui les produit et/ou les diffuse. L’idée originelle a été
«diluée» à travers des interventions successives pour aboutir à un produit relativement
impersonnel.
S’il n’existe pas de recettes du succès et que répondre efficacement aux contraintes
d’audience de la télévision n’est pas facile, ces types de films ont rarement la même
saveur que des œuvres pensées d’un bout à l’autre par des auteurs, qui développent et
proposent un univers.
«Je pense que la notion de film d’auteur est assez complexe. Un film d’auteur, ça veut
dire beaucoup de choses extrêmement positives et négatives, mais dans l’ensemble,
une vision d’auteur au sens large d’auteur-scénariste, d’auteur-réalisateur, voire même
d’auteur-producteur, c’est la garantie qu’on aura un film qui aura de la force, qui aura du
souffle, et qui sera abouti. Un film où des gens se sont investis à 150%. Et pour que les
gens soient investis il faut qu’ils aient une latitude pour créer, sinon c’est des faiseurs.»
Patrick Pechoux, directeur de la fiction France 3
Dans un monde où la créativité est de plus en plus soumise à des logiques
d’immédiateté et d’efficacité commerciale, les fictions d’auteurs ont plus que jamais leur
place à la télévision.
«J’ai fait des films de commande pour le cinéma dans un but précis et j’y étais moins lié
qu’aux téléfilms que j’ai réalisés. Quand j’ai travaillé pour Arte j’étais complètement libre,
avec un vrai respect de mon travail tant au niveau du scénario que de la mise en scène.
Le travail que demande un diffuseur sur le scénario, par rapport à certains longs
métrages que je ne citerai pas, c’est un travail très productif.»
Jérôme Cornuau, réalisateur
24
« Dans un film de cinéma, on peut faire des scènes inutiles, mettre beaucoup de
personnages, de décors. A la télévision dès l’écriture, on sait qu’il faut peu de décors,
peu de personnages, et que l’économie y est assez cadrée. La télévision, c’est une
relation entre un diffuseur, un producteur et un réalisateur, alors que le cinéma c’est
l’initiative d’un auteur de faire un film. Je ne dis pas que ça fait des films plus personnels
parce que certains de mes films de télévision sont beaucoup plus personnels que
certains de mes films de cinéma. Sur le résultat, on ne peut pas savoir ce qui nous
habite quand on fait le film et ce qui traverse nos films.»
Laurent Heynemann, réalisateur16
Au regard des enjeux financiers, il est légitime que les chaînes soient investies dans le
développement des projets. Chacune conçoit son intervention en fonction de son
identité et de ses moyens. Comme évoqué précédemment, le mode de diffusion est
aussi un paramètre qui influence la fabrication des films en amont.
«Grosso modo, sur le public d’un film, la moitié des téléspectateurs voit seulement 50%
du film…L’innovation est indispensable, mais il ne faut pas oublier que lorsque nous
décidons de mettre un 90mn en production, cela représente un risque de l’ordre de
800K à 1 M d’euros »
Nicolas Coppermann, directeur de la production de M617
«Moi, je suis un réalisateur heureux. J’ai fait du documentaire et je suis venu à la fiction,
j’ai travaillé aussi bien pour Arte que pour TF1 et je continue à travailler pour les deux,
je m’entends très bien avec les deux. Si on entend par création la carte blanche, je ne
crois pas qu’il faut faire du cinéma ou de la télévision. Je dissocie mal mon métier de la
communication, j’utilise des outils qui doivent toucher le public. On ne peut pas être
réalisateur aujourd’hui si on n’a pas conscience des fenêtres qu’on nous offre, et en
fonction de ces fenêtres je vais mettre ma couleur, tout en répondant à une demande.
(…) Compte tenu des moyens engagés est-ce qu’on peut avoir le luxe de donner carte
blanche aux gens ? C’est la question, donner carte blanche avec un investissement
moyen oui, mais si quelqu’un te dit voilà 4 millions d’euros sur la table, fais ce que tu
veux.»
Jacques Malaterre, réalisateur
Les auteurs/réalisateurs, associés dès le départ au développement du projet,
contournent en quelque sorte le système pyramidal des télévisions. En tant qu’initiateurs
du projet avec un producteur, ils sont impliqués tout au long du processus de fabrication
et gardent une plus grande maîtrise et proximité avec le film.
16
17
Interview réalisée par Béatrice de Mondenard
Ecran Total n°512, avril 2004, propos recueillis par Serge Siritzky et Christophe Bottéon
25
«Ken Loach dit très clairement que le cinéma anglais est sous la domination des studios
hollywoodiens. Quand on veut faire du cinéma en Angleterre on est happé par
Hollywood. Beaucoup de cinéastes se sont tournés vers la BBC pour faire des films
d’auteurs. Family Life de Ken Loach, c’était d’abord un téléfilm. La chaîne offre un
espace de liberté qui n’existe pas au cinéma. (…) J’ai fait L’Algérie des chimères pour
Arte et France 2, puis L’adieu pour France 2. L’Algérie des chimères, c’était la
colonisation de 1830 à 1870, trois films de 90mn, et l’Adieu, c’est l’histoire de la
décolonisation en 1960/1962. Cela fait donc 5 films de 90mn qui racontent le lien entre
le peuple français et le monde arabe, et plus particulièrement avec les Algériens. C’est
typiquement des choses qui sont passionnantes et que je ne pourrais jamais faire au
cinéma. A la télévision ces films ont eu beaucoup de succès. (…)
J’ai toujours écrit mes propres scénarios, ou je les co-écris. Le problème c’est que
quand vous arrivez face à un diffuseur et que vous dites « je suis l’auteur et le
réalisateur du film », souvent le diffuseur prend peur parce qu’il se dit « le pire qui
pourrait m’arriver serait d’avoir droit à un film d’auteur ! » Ils préfèrent garder le contrôle,
c'est-à-dire que le réalisateur fasse son job un peu à l’américaine, le scénariste aussi,
chacun fait son job. C’est une configuration plutôt souhaitée par les diffuseurs. »
François Luciani, réalisateur
«Si on veut faire un film d’auteur, il faut trouver un producteur et discuter, on aura
toujours les mains plus libres. Pour un téléfilm, ce n’est pas le cas. Au lieu d’être n°1, le
réalisateur est n°3 ou n°4. Il faut prendre ça avec philosophie et se dire que c’est des
croquis, des brouillons grandeur nature.»
Claudio Tonetti, réalisateur
Au Royaume-Uni, comme aux Etats-Unis, les artistes se sont emparés du petit écran
pour s’exprimer. Sur le plan historique, alors que les cinémas anglais et allemand
disparaissaient, tous les nouveaux cinéastes de ces deux pays ont été formés par la
télévision : Stephen Frears, John Boorman, Wim Wenders, Fassbinder... La France a
réussi à protéger son cinéma mais de ce fait peu de professionnels de l’image se sont
intéressés à la télévision, mis à part certains pionniers. Des films de télévision de
l’époque sont même devenus des classiques pour certains, tel que Don Juan de Marcel
Bluwal, qui portait alors une vision très critique sur le cinéma.
«Nous vivons dans le sentiment que le cinéma est impérissable. Il est en train de mourir
pourtant. Il restera sans doute un cinéma qui perpétuera des formes, mais la novation
sera ailleurs et le cinéma sera un conservatoire. Je suis très intéressé par le
phénomène que va enclencher la prolifération des télévisions, même si les dangers sont
très grands. Parce qu’on voit bien que la créativité quitte le cinéma pour entrer dans les
médias. La télévision devient un phénomène de communication complètement nouveau
qui va avaler le cinéma et le tuer. Au cinéma on est en présence d’une génération qui
parle du cinéma, qui fait de la citation.(…) Là où c’est vivant, c’est à la télé. Je sens que
de ce côté-là des médias, c’est l’Ouest, une nouvelle frontière.»
Marcel Bluwal, réalisateur 18
18
Le Monde de la Communication, 1987, Propos rapportés par Catherine Humblot.
26
L’époque a changé mais le cinéma est aujourd’hui encore le premier écran de référence
en matière de liberté de création en Europe. En France, il devient de plus en plus
difficile pour les auteurs d’avoir un poids sur les décideurs au sein des chaînes de
télévision, par rapport à une période où, pour certains, il y avait une plus grande liberté
dans le choix et la qualité des sujets traités.
«Il y a eu une époque où la télévision était pour les réalisateurs, par rapport au cinéma,
une grande aventure possible. J’ai eu comme expérience de pouvoir faire des films à la
télévision sur les sujets qui m’intéressaient, qui étaient ambitieux, que je n’aurais jamais
pu réaliser au cinéma, parce qu’au cinéma la règle était de faire des films avec un
certain potentiel de commercialisation et la télévision c’était une époque où l’on pouvait
réaliser de grandes adaptations littéraires. Mais les choses ont changé par la suite, et il
s’est trouvé que peu à peu la télévision est devenue aussi demandeuse de films
commerciaux que le cinéma, en ayant une censure liée au public, ou disons à l’audimat,
et à ce moment là le cinéma devenait une aire de liberté.»
Pierre Koralnik, réalisateur
Au Royaume-Uni, et plus largement en Europe du Nord, les créatifs sont davantage
impliqués dans les instances de décision. C’est un facteur qui contribue à une meilleure
compréhension entre les partenaires, grâce à la connaissance d’un langage commun.
Les propositions des diffuseurs pouvant se révéler alors un champ d’exploration et
d’expérimentation passionnant.
Les films sont toujours le résultat d’une collaboration, un film d’auteur et un film
commercial n’étant d’ailleurs pas des notions antagonistes. Mais la question que pose la
fragilité croissante des films d’auteur face à un flux d’images en quête de succès
immédiat renvoie au danger d’uniformisation des pratiques vers un impératif unique :
l’audimat. Dans cette perspective, les Etats-Unis servent souvent de contre exemple
aux situations européennes, où l’aspect commercial, un point de vue d’auteur et
l’innovation parviennent parfois se côtoyer sans se contredire.
Des tournages sous influence ?
«On fait toujours un compromis quand on travaille sur un film commercial. Et ce
compromis ne porte pas vraiment sur la nature du film ou la façon de le réaliser, sur la
technique qu’on désire, ou même sur le contenu, le vrai compromis c’est qu’on
commence à ne plus faire confiance à ses pensées les plus intimes. »
John Cassavetes, réalisateur19
En télévision, le réalisateur doit surmonter des contraintes temporelles et budgétaires
mais il doit aussi gérer l’influence des diffuseurs sur ses choix artistiques.
19
Autoportraits, Cahiers du Cinéma, propos sélectionnés par Ray Carney, Editions de l’étoile 1992
27
«Les chaînes sont interventionnistes sur la façon de filmer, les comédiens récurrents
commencent à avoir des droits de regard sur le scénario, le casting. Il y en a même qui
exigent d’avoir un droit de regard sur le montage. Il faut trouver des subterfuges pour
passer à travers des mailles et faire un travail de mise en scène pour se faire
remarquer. (…) Pour moi, le terrain de la liberté c’est le long métrage. Et Truffaut qui
disait que le cinéma c’est l’art des contraintes! Aujourd’hui un réalisateur de long
métrage, même s’il n’est pas satisfait de son travail, est toujours plus libre qu’à la
télévision.» Claudio Tonetti, réalisateur
A la télévision, les tournages sont plus rapides (23 jours environ pour un téléfilm), et les
budgets plus serrés, même si l’on peut remarquer que de plus en plus de téléfilms ou
documentaires de prestiges bénéficient aujourd’hui de moyens équivalents à certains
films de cinéma.
«Les temps de tournage au cinéma tendent à s’aligner sur les temps de tournage de la
télévision. (…) Faire un film en 4 semaines, c’est obligatoirement sacrifier beaucoup de
choses. A l’arrivée ça se sent, à la fin de la journée on se dit « je l’ai fait mais j’aurais eu
besoin de plus de temps pour faire mieux ». Le mouvement devrait être inverse, c’est
utopique, mais la télévision pour devenir plus riche au niveau de ses téléfilms devrait
donner plus de temps, avec peut-être moins de moyens ailleurs, il y a des économies à
faire mais celle sur le temps est dangereuse. (…) En tant que réalisateur, on sait tous
que réaliser un téléfilm en début de carrière c’est dangereux pour notre image, notre
carrière, peut-être parce que qu’on sait qu’on risque de rater plus à la télévision à cause
des contraintes de temps. Il faut avoir une très forte personnalité et une légitimité pour
réussir à la télévision. Tout le travail de la forme, de l’innovation, de la recherche
demande du temps et pour l’instant la télévision n’est pas prête à le donner, c’est
vraiment ça la difficulté.»
Emmanuel Bourdieu, réalisateur
Tour à tour technicien, gestionnaire, créateur, chef d’équipe, le métier de réalisateur
recouvre plusieurs réalités et les télévisions proposent autant de façons de fonctionner.
«Faire un film de télévision n’est pas plus facile que faire un film de cinéma, c’est un
langage que j’entends malheureusement souvent. Je préfère ne pas travailler avec ces
gens-là, mais avec des réalisateurs qui prennent à cœur et font ce métier avec sérieux
parce que c’est un métier qu’ils aiment. Si vous prenez tous les films de cinéma qui se
tournent en France et que vous regardez la qualité de la réalisation, je ne parle que de
la réalisation je ne parle pas d’auteur, je crois que la télévision n’a absolument pas à
rougir des conditions qu’elle donne à ses metteurs en scène. Et dans 90% des cas les
films de télévision sont bien mieux réalisés que les films de cinéma.»
Takis Candilis, directeur de la fiction, TF1
Si les réalisateurs qui travaillent pour la télévision sont généralement obligés de tenir
compte des spectateurs ciblés et sont soumis à des contraintes plus fortes qu’au
cinéma, il arrive un moment où ils deviennent les seuls responsables de ce qui se fait
sur le plateau.
28
«S’adapter, improviser, dominer, le film est à vous, c’est vous le capitaine du bateau,
c’est une grande confiance qu’on fait au réalisateur. Même si on peut lui indiquer
comment faire la course, à un moment il sera le seul maître à bord. (…) Dans chaque
film il y a du moi à 100%. Peut-être pas sur 90 minutes, mais il y aura peut-être 10
minutes de moi saupoudré sur 90 minutes, ce qui est déjà énorme. Il ne faut pas être
prétentieux, c’est génial de pouvoir porter à l’écran son émotion propre, l’acte de
création il est là. (…) Quand j’aborde un diffuseur, j’essaye d’entendre ce qu’il veut, de
comprendre sa ligne éditoriale et, dans cette mesure, de la respecter puisque c’est
quand même lui qui va financer à 80% la demande. J’essaie d’amener mon plus, mon
émotion, mon savoir-faire et pas une contre-proposition.»
Jacques Malaterre, réalisateur
«Quand on est réalisateur, on est assailli par le doute, et le fait de tourner beaucoup
permet d’acquérir une plus grande confiance. La télévision m’a permis de mieux
affronter les problèmes. Le défaut, c’est que la télévision vous apprend à vous adapter.
Or, au cinéma, c’est le financement qui doit s’adapter au désir de l’artiste.»
Laurent Heynemann, réalisateur20
La télévision, comme le cinéma, se nourrit de l’imaginaire des réalisateurs, qui ont
besoin de questionner les valeurs sociales, culturelles et politiques du monde dans
lequel ils vivent. Mais la nécessité de toucher un nombre de spectateurs incroyablement
plus élevé qu’au cinéma peut engendrer une certaine paralysie, une difficulté à
surprendre, une frilosité sur le choix et le traitement des sujets, et conduire parfois à une
forme de censure.
«Ce téléfilm (Hitler, La naissance du mal) de trois heures écrit par des historiens
américains et mis en scène par le canadien Christian Duguay reconstitue, au travers de
figures authentiques, la résistible ascension du chef du parti nazi. Se parant du « devoir
de mémoire » à l’occasion de l’anniversaire de la prise du pouvoir au Reichstag (30
janvier 1933), TF1 l’a diffusé… amputé de quarante minutes. Disparues les séquences
satiriques où apparaît l’auteur-compositeur juif Friedrich Hollander ; disparues les
tirades antisémites d’Hitler et les professions de foi dans lesquelles il justifie la privation
des droits et libertés civiques par « la lutte contre l’ennemi infiltré ». Les Américains y
avait lu, à juste titre, une allusion à la paranoïa sécuritaire de George W. Bush ; TF1,
elle, n’a pas jugé utile de montrer aux Français qu’une fiction historique peut parler du
monde d’aujourd’hui.»
Martin Winckler, romancier et médecin21
«Peu de sujets abordent le pouvoir ou la politique qui soi-disant n’intéressent personne.
(Pourtant ce ne sont pas les scandales qui nous manquent). Trop peu d’argent est
consacré au développement, le seul moyen pourtant de faire germer des idées
nouvelles, de chercher des voies neuves, qui pourraient néanmoins réunir un large
public. Parce que pour créer de nouvelles fictions, il faut d’abord essayer et apprendre.»
Joelle Goron, scénariste, Membre de la commission télévision de la SACD.22
20
21
Interview réalisée par Béatrice de Mondenard
« Les écrans du mépris », Le Monde Diplomatique, mars 2004
29
La BBC a récemment produit Les années Tony Blair. Ce docu-drama réalisé par Peter
Kosminsky, raconte par le menu les mœurs et les méthodes du parti travailliste en
campagne et au pouvoir, et a rencontré un grand succès auprès des téléspectateurs
britanniques. Cette entreprise a nécessité trois ans d’enquête et suscité plusieurs
polémiques. Mais cela n’a pas empêché le réalisateur et la BBC de mettre à nouveau en
chantier, avec la même méthode, un film sur le suicide de David Kelly, l’expert en
armement mort le 18 juillet. Les missions du service public représentent une véritable
force quand elles sont basées sur des valeurs différentes que celles du secteur privé, en
créant une diversité de règles du jeu proposées aux auteurs et aux réalisateurs.
D'un point de vue esthétique, la taille de l’écran peut influencer la façon de filmer.
«La stratégie de l’araignée est un des premiers vrais films produits par la RAI. (…)
Pendant le tournage, je n’ai voulu faire aucune concession au petit format. Au contraire
je filmais carrément, comme par vengeance, contre la télévision. On sait bien que le
petit écran refuse les panoramiques et les plans généraux, alors qu’il a besoin de détails
et de premiers plans et leur fait la part belle. La stratégie de l’araignée est un film
entièrement en panoramique et en plans généraux. C’est pour ça qu’il fonctionne bien
dans les salles mais perd de son intensité à la télévision. Aujourd’hui si je devais à
nouveau travailler pour la télévision, ma position serait complètement différente.»
Bernardo Bertolucci, réalisateur23
Aujourd’hui, on peut observer que de plus en plus de films de cinéma, souvent
coproduits par la télévision, répondent aux critères esthétiques et de temporalité du petit
écran. La place centrale du réalisateur est remise en question, la marchandisation des
films étant devenue une logique omniprésente qui restreint de façon inquiétante la
possibilité de monter des films de façon libre et indépendante.
«La prééminence qu’avait le réalisateur autrefois à la télévision a disparu. Aujourd’hui la
liberté n’intervient qu’avec le succès, mais de quoi dépend le succès ? C’est là qu’à
nouveau nous sommes dans le paradoxe, car le succès implique une certaine forme de
non liberté, c’est un paradoxe terrible. (…) Depuis une dizaine d’années, c’est un
combat assez dur pour faire passer des idées nouvelles ou différentes, c’est un
parcours ardu. Si vous avez les moyens, un minimum de financement le cinéma permet
quand même de faire des œuvres plus originales, mais nous sommes tous condamnés
au succès.»
Pierre Koralnik, réalisateur
22
23
L’imaginaire a-t-il encore un avenir , Etude SACD, 2004
Bertolucci par Bertolucci, Entretiens avec Enzo Ungari et Donald Ranvaud, Editions Calmann-Levy, 1987
30
Ces dernières années, des groupes et lobby, comme par exemple le groupe 25 images,
se sont formés pour défendre la place en réaction à un système qui les met en marge.
«Il y a eu la télévision des réalisateurs dans les années 1960/70 où les réalisateurs
avaient une grande importance, et progressivement dans les années 1980/90 l’influence
des réalisateurs a diminué au profit des scénaristes et des producteurs. On s’est donc
un peu retrouvés les oubliés de la fête. On a décidé de réagir il y a trois ans en créant le
groupe 25 images, pour réaffirmer le métier de réalisateur. »
François Luciani, réalisateur
D’autres organisations de réflexion et/ ou de défense du métier de réalisateur existent
partout en Europe.
«L’action de la FERA (Fédération Européenne des Réalisateurs de l’Audiovisuel) est
politique par rapport aux droits d’auteur et au respect du métier de réalisateur. Ces
derniers temps les réalisateurs se sont repliés sur eux-mêmes, il y a donc une nécessité
d’initier une action collective. Mes collègues ne savent pas ce qui se passe à l’extérieur
de l’Allemagne, c’est la même chose en Belgique. La conscience politique des
réalisateurs doit être encore développée pour identifier les grands conflits, les batailles à
mener, pour faire respecter les droits d’auteurs ainsi que le thème du producteur
indépendant.»
Peter Carpentier, réalisateur
31
La charte des réalisateurs du groupe 25 images
« Sans réalisateur, il n’y a pas de film »
Placé au cœur de la spirale de création qui le met en symbiose avec des partenaires multiples, le
réalisateur est l’auteur final du film. A ce titre, il partage à part égale la paternité de l’œuvre commune
avec le scénariste qui en est l’auteur initial.
Il lui revient de donner vie au texte qui lui est confié. Sous sa responsabilité, des comédiens sont choisis,
des décors, des objets, des costumes, inventés. Un drôle de cheminement s’organise autour du plan de
travail dont les données économiques sont déterminantes. Il doit les maîtriser. Et le moment du tournage
venu, s’imposent, facteurs incontournables, le lieu, le temps qu’il fait, les lumières, l’humeur, l’imprévisible
programmé et l’inattendu créatif. Il y a, à chaque instant, une imbrication totale entre la mise en scène, les
décisions d’ordre technique, et leurs incidences artistiques.
La mise en forme définitive conduit enfin le réalisateur à diriger le montage et la bande sonore jusqu’à la
sortie de la première copie. Alors seulement, le film existe.
C’est pourquoi, il est essentiel, dès la mise en œuvre d’un projet, que les options fondamentales
traduisent un réel « commun accord » entre les partenaires privilégiés que sont le réalisateur et le
scénariste d’une part, le réalisateur et le producteur d’autre part.
Le réalisateur face au scénariste
L’adhésion au scénario est pour tout réalisateur un préalable. Pour cela, il lui faut pouvoir faire valoir en
temps utile ses observations et être en contact étroit avec le ou les scénaristes. L’idéal est qu’une estime
mutuelle (un choix mutuel) facilite cette relation.
Si une intervention du réalisateur est envisagée au niveau de l’écriture (au-delà des menus
aménagements liés aux circonstances de tournages), ce ne peut être qu’avec un contrat stipulant
explicitement sa qualité de co-scénariste. Dans ce cas, l’ensemble des intervenants ayant concouru à la
rédaction du scénario doivent être immédiatement informés par la production.
En tout état de cause, le réalisateur doit disposer du délai nécessaire pour intégrer et s’approprier les
éléments préexistants. Cette prise en main, suppose, d’une façon pratique, que le réalisateur soit
contacté aussitôt que possible, dès que le projet prend corps.
Le réalisateur face au producteur
La plupart des choix techniques et artistiques engagent la double responsabilité du réalisateur et du
producteur. C’est donc sous le signe systématique d’un commun accord que ces décisions sont prises.
L’accord du diffuseur est l’affaire du producteur.
Le réalisateur est un constituant privilégié au cours des différentes étapes du développement du projet.
Chaque film ayant son caractère particulier, le détail du budget, une fois acquis, doit être porté à la
connaissance du réalisateur qui a la charge d’en optimiser la mise en valeur.
Le réalisateur a la responsabilité de la préparation, du tournage et de la finition du film jusqu’au PAD.
Le réalisateur face à lui-même
Le réalisateur est un auteur solitaire. Il arrive qu’il se heurte à des obstacles qu’il estime insurmontables.
Acculé à renoncer (ou, pire, congédié), il faut qu’il sache qu’aucun de ses collègues n’acceptera de
prendre sa place sans entrer préalablement avec lui.
Les difficultés que rencontrent les réalisateurs rendent indispensables une étroite solidarité entre eux.
Le respect des œuvres et le droit moral qui s’y attache sont mis à mal dans les clauses restrictives (de
plus en plus copieuses) figurant dans les contrats. Le rapport de force au moment des décisions de « gré
à gré » est rarement propice à une défense individuelle efficace.
C’est donc dans une entente collective que peut être préservé ce qui reste des grands principes qui
fondent nos droits. Les abus observés ne doivent pas rester honteusement secrets mais au contraire
portés à la connaissance de tous.
32
v D’un écran à l’autre : la mobilité entre télévision et cinéma
Quand l’idée d’un film naît, on ne sait pas toujours à l’avance sur quel écran il pourra
exister. L’implication des télévisions dans les coproductions cinématographiques et des
frontières de plus en plus mouvantes provoquent parfois des rebondissements
inattendus. Par exemple, l’histoire de Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana,
qui a été à l’origine écrit pour la télévision, conçu comme une mini-série d’une durée de
plus de 6 heures, est finalement sorti en salle et y a connu un véritable succès. Il a
notamment été présenté et primé à Cannes dans la section « Un certain regard ».
Certains réalisateurs qui travaillent à la fois pour le grand et le petit écran parviennent à
trouver un équilibre, et réalisent des films de qualité dans chacun des deux domaines.
En France, Benoît Jacquot réalise des films d’auteur au cinéma et a tout au long de sa
carrière régulièrement travaillé pour la télévision. Dernièrement il a réalisé Princesse
Marie avec Catherine Deneuve (France 2/ Arte).
Au Royaume-Uni, Stephen Frears, a toujours travaillé pour les deux médias. Il a réalisé
The Deal en 2003 pour la télévision, après avoir connu un succès en salle avec Dirty
Pretty Things.
Mais la volonté de travailler pour les deux médias n’est pas toujours simple à mettre en
œuvre.
«Au cinéma on a beaucoup de temps, beaucoup d’argent, des conditions assez
tranquilles. La télévision tourne très vite, dans des conditions beaucoup plus difficiles
donc il y a des réalisateurs de cinéma qui probablement ne savent pas travailler dans
ces économies là, ou n’en ont pas envie tout simplement. Mais à l’inverse il y a
beaucoup de réalisateurs de télévision qui passent au long, puis qui reviennent à la
fiction, qui font des allers-retours.»
Christophe Carmona, directeur délégué de la fiction, M6
«En ce qui concerne les télévisions, Arte voulait bien nous accueillir mais dans sa
branche télévision. Entre temps le film est repassé au CNC, dans l’espoir d’en faire un
film de cinéma. Tant du côté d’Arte que du CNC, nous nous sommes engagés à
produire deux films significativement différents, mais pas tant au niveau du contenu,
puisque nous n’avions de toute façon pas les moyens. (…) On a décidé d’enlever un
personnage, Inès. Pour moi il y a une déperdition, je perds des séquences que j’aime
bien, et je perds un peu Simon : sans Inès il devient une pure victime, une espèce de
misère sentimentale complète. (…) Je pense que la version télé cherchait à être plus
efficace, son rythme est différent, le film prend du temps alors que le téléfilm accélère.»
Emmanuel Bourdieu, réalisateur de Vert paradis pour le cinéma et Cadets de Gascogne
pour Arte24
24
Objectif Cinéma, Propos rapportés par Damien Stroka, 2003
33
Les réalisateurs qui travaillent pour les deux écrans sont de plus en plus nombreux. Les
règles qui encadrent la création, si elles sont respectueuses du travail du réalisateur,
deviennent des stimulations positives, des défis à relever, une source d’enrichissement,
les deux médias permettant d’explorer différentes manières de faire, de raconter des
histoires, d’aborder le public…
«J’aime beaucoup la télévision parce que c’est le média qui permet vraiment d’aller
chez les gens, pas forcément pour toucher un public de convaincus, mais peut-être à
convaincre et finalement les lignes éditoriales des chaînes nous obligent à simplifier
notre discours de communicants, à nous mettre à la portée du public, pour raconter des
émotions, des choses que l’on porte en nous.»
Jacques Malaterre, réalisateur
Assouplir la frontière réglementaire entre films de cinéma et de télévision devrait
permettre aux œuvres de se développer et d’exister sur petit ou grand écran davantage
en fonction de leurs potentiels, même si comme nous l’avons souligné plus haut
l’hybridation des films soulève un certain nombre de questions relatives à
l’indépendance du secteur cinématographique et à l’identité des films.
«Un film de cinéma nécessite une coproduction en Suisse, donc il faut déjà que ton
écriture puisse intéresser des producteurs étrangers. C’est quelque chose qui peut
durer plusieurs années. C’est une différence pratique de production. D’autre part, je
pense qu’aujourd’hui pour demander au spectateur 15 CHF, il faut faire quelque chose
d’assez particulier. Si on ne parle pas des gros blockbusters américains, c’est un public
d’élite. En télévision, on touche un grand public. Cela ne veut pas dire que les films
sont moins bons ou moins bien faits, mais je crois qu’on ne s’adresse pas tout à fait au
même public.»
Fulvio Bernasconi, réalisateur
«Dans les pays où le cinéma est moins présent, on voit que beaucoup d’oeuvres
peuvent être produites par des télévisions. Dans les systèmes anglais ou allemand, ce
sont des structures intégrées qui produisent leur propres œuvres et c’est en interne que
se décide le destin des œuvres télévision ou cinéma.»
François Sauvagnargues, directeur de la fiction, Arte
Un film se nourrit par ce qui précède et succède la phase de tournage. L’intervention
des chaînes dans toutes les étapes de fabrication peut représenter un danger de
dépersonnalisation de la démarche des auteurs, réalisateurs et producteurs. Par
ailleurs, si la télévision fournit des apports économiques de plus en plus indispensables,
la réputation des films continue encore à se construire en salle, ce qui leur permet aussi
d'exister sur des marchés secondaires.
34
«Même si la BBC a fait le même genre de films (que Channel Four) pendant quinze ans,
personne ne les a jamais considérés de la même façon parce qu’ils n’ont jamais été
distribués en salles, ni exploités dans le circuit vidéo.»
Kenneth Trodd, producteur de cinéma et de télévision 25
La diffusion télévisée ne tolère pas de temps mort. Si l’action ralentit le téléspectateur
risque de zapper. De ce fait les films de télévision n’ont souvent droit qu’à un seul
moment et une attention aléatoire.
«Le film de télévision est fugitif, le lendemain c’est fini. Au cinéma, on sent que son désir
est en jeu, là, dans le fait que le public vienne ou pas. A la télévision, cela dépend
surtout de la programmation de la chaîne en face.»
Laurent Heynemann, réalisateur26
Dans cette perspective, la télévision se doit d'être un terrain d’apprentissage,
d’expérimentation, et un tremplin vers le cinéma. Le parcours de Steven Spielberg est à
ce titre exemplaire, Duel son premier film ayant été réalisé pour la télévision.
Aujourd’hui l’édition de DVD permet de multiplier les regards, de créer de meilleures
conditions de réception et de faire exister les films plus durablement. Cela peut
contribuer indirectement à stimuler la qualité des productions. D’autre part, les
innovations technologiques, notamment l’apparition de caméras numériques de qualité
et de projections numériques en salle, ouvrent de nouveaux horizons pour les
réalisateurs et les producteurs de télévision et de cinéma en réduisant les coûts de
façon significative et en développant de nouveaux moyens d’expression.
25
26
Les Cahiers du Cinéma, n° 395-396
Interview réalisée par Béatrice de Mondenard
35
v Réalisateurs, producteurs, diffuseurs : des configurations en
quête d’équilibre
«Ce qui m’énerve c’est qu’on se met toujours du côté du réalisateur. C’est le gentil, le
créateur, l’artiste, celui qui n’entre pas dans le système pourri. Et les diffuseurs,
producteurs, ce sont les méchants. Or c’est un film. Quand on fait un film, on le fait
ensemble, on a tous besoin les uns des autres. Le réalisateur n’est rien sans les
autres.»
Jacques Malaterre, réalisateur
Une télévision créative ne peut exister que si les réalisateurs, scénaristes et producteurs
représentent une force de proposition assez puissante pour imposer leur point de vue et
instaurer une communauté d’intérêts autour du film.
Produire pour la télévision ne recouvre pas les mêmes réalités dans les différents pays
européens. Qu’elles soient directement intégrés aux structures des chaînes de
télévision comme au Royaume-Uni, que les maisons de productions appartiennent
directement ou indirectement aux chaînes comme en Allemagne, ou qu’elles soient
relativement indépendantes comme en France, la dépendance croissante des
producteurs vis-à-vis des diffuseurs pose des problèmes inhérents au monopole du
pouvoir.
Les producteurs ont pour rôle d’assurer une évolution qualitative mais ils voient leur
force de proposition de plus en plus limitée. On observe qu’en Allemagne, la majorité
des maisons de production indépendantes sont liées aux chaînes de télévision. Le
nombre réduit d’interlocuteurs provoque des déséquilibres, les producteurs de télévision
se situant de plus en plus du côté de la commande pour des questions de nécessité
économique.
«Je pense qu’il faut développer la production indépendante en Allemagne car la
différence d’identité des chaînes qu’elles soient privées ou publiques, ne se voit presque
plus. Elles se font concurrence mais suivent les mêmes tendances. (…) Si c’était les
producteurs, réalisateurs et scénaristes qui développaient les projets il y aurait une
compétition de proposition, mais quand ce sont les chaînes qui ont le pouvoir ce ne sont
pas elles qui subissent les conséquences de leurs décisions, c’est le problème des
producteurs dépendants. Il n’y a pas de travail d’argumentation, ce n’est pas un débat
ouvert où le conflit pourrait améliorer le projet.»
Peter Carpentier, réalisateur
Au Royaume-Uni, les producteurs de la BBC travaillent avec un budget dont ils sont
responsables et qu’ils gèrent de façon autonome. Chaque film, de fiction ou
documentaire, reçoit après étude un budget approprié. Il n’y a pas de budget type mais
des budgets ajustés. Les producteurs sont salariés et responsables du film. Ils peuvent
ainsi plus facilement dégager des fonds lorsqu’un auteur veut effectuer des recherches
pour l’écriture du scénario. Le groupe de projet est donc financé au niveau du scénario,
d’un pré-repérage et d’un pré-casting.
36
Ce type de fonctionnement favorise un dialogue constant et actif entre les différents
pôles de création, de production et de diffusion.
En France, les producteurs sont majoritairement indépendants, mais ils sont de plus en
plus nombreux à travailler avec les télévisions, et doivent savoir ajuster leurs
propositions aux attentes des chaînes. Le rôle du producteur est de plus en plus
souvent investi par les diffuseurs.
«Ce qui change, c’est que la hiérarchie est complètement inversée. Aujourd’hui les
producteurs sont devenus les diffuseurs, qui donnent l’argent aux producteurs exécutifs
qui eux engagent un réalisateur. Mais les chaînes interventionnistes ont un droit de
regard sur les réalisateurs, les comédiens, les choix des costumes… Tout doit être
validé par la chaîne.»
Claudio Tonetti, réalisateur
L’implication croissante des télévisions influence le casting, les comédiens étant des
éléments déclencheurs pour le financement d’un film. Mais les comédiens
«fédérateurs» aux yeux des diffuseurs ne répondent pas toujours aux désirs des
réalisateurs.
«C’est toujours effrayant pour les réalisateurs de voir à quel point la production peut être
intrusive dans le domaine artistique. (…) J’ai plein d’amis qui sont confrontés à ça, on
ne peut pas appeler ça autre chose qu’un chantage, c’est « si vous prenez untel dans le
rôle principal on fait le film, sinon tant pis ». Dans cette histoire, c’était un animateur de
télé. Les télévisions ont pris une place tellement importante dans le montage financier
des films que ça influence les choix artistiques. (…) Mes producteurs me préparent à ça
en me disant qu’il faut voir ce qu’il y a à gagner et à perdre. Sur mon casting, je suis
contraint, pour financer mon film, de faire certains choix. J’ai réussi à ménager un peu
les deux. J’ai trouvé des comédiens qui sont à la fois vendeurs comme on dit à la télé,
et qui pour moi ont un grand intérêt artistique. Heureusement il y en a.»
Emmanuel Bourdieu, réalisateur
Les relations entre réalisateurs, producteurs et diffuseurs représentent un
enchevêtrement complexe de rapports de force, et dans cette étroite collaboration le
dialogue est essentiel.
«C’est toujours un dialogue à trois : diffuseurs, réalisateurs, producteurs. On est très
présent sur les tournages, sur le visionnage des rushs, sur la fabrication du film,
montage, mixage. On n’attend pas qu’on nous livre un film clé en main. Cela fait partie
de la responsabilité normale d’une chaîne qui doit avoir son mot à dire. Il s’agit d’une
intervention toujours dans le sens de l’œuvre, de son amélioration pour le meilleur
résultat possible.»
François Sauvagnargues, directeur de la fiction, Arte
37
«Quand le rédacteur veut quelque chose dans le scénario, et que je lui dis « mais ça
coûte beaucoup d’argent », c’est à moi de résoudre les problèmes de contraintes
économiques avec le producteur. Et quand je n’arrive pas convaincre le rédacteur qu’il y
a une autre façon de faire avec le budget qu’on a, le producteur a un problème, mais
c’est nous qui menons les équipes. On travaille avec les producteurs mais aussi
directement avec les chaînes… c’est toujours l’angle réalisateur, producteur,
rédacteur.»
Peter Carpentier, réalisateur
La consolidation du tandem scénariste/réalisateur apparaît logique sur le plan de la
création et un rapport plus direct avec les diffuseurs devrait favoriser une meilleure
communication.
«Le nombre de fois où on s’est fait censurer par un producteur, on s’en rend compte en
allant voir les chaînes par la suite directement. En fait les producteurs s’autocensurent.
Ce n’est pas une censure de fait, tout le monde sait très bien ce qu’il a droit de dire ou
de pas dire et s’empêche donc de le dire.»
Denys Corel, scénariste
Du fait de la segmentation des rapports, de plus en plus scénaristes et de réalisateurs
deviennent producteurs, ce qui contribue évidemment à changer la configuration des
relations.
«Quand j’écris, que je produis, et je réalise mes propres projets, ça me permet d’avoir
une homogénéité, une relation de bonne intelligence, d’y voir clair, d’essayer d’optimiser
à tous les niveaux. Quand je produis d’autres réalisateurs ou d’autres auteurs, mon
expérience d’auteur-réalisateur me permet d’être assez concret et d’être assez proche
d’eux, de les aider à tous les niveaux.»
Jérôme Cornuau, réalisateur
Au cinéma, il est fréquent que le réalisateur soit le premier initiateur du film,
l’intervention d’une chaîne s’opérant dans les dernières phases. A la télévision, ce
cheminement est souvent inversé. Une fois que le scénario a été développé en
collaboration avec les chaînes, le producteur a souvent la charge de choisir le
réalisateur.
«Ce sont les producteurs qui m’ont amené à la télévision. Pierre Grimblat et Christine
Gouze-Rénal m’ont tous les deux proposé des sujets que je ne pouvais pas vraiment
faire au cinéma.(…) Les producteurs de télévision m’ont ouvert un espace de création
que je ne pouvais pas occuper au cinéma.»
Laurent Heynemann, réalisateur27
27
Interview réalisée par Béatrice de Mondenard
38
Les films produits par les télévisions peuvent donc représenter des opportunités
passionnantes, même si les règles du jeu et les relations de pouvoir ne sont pas les
mêmes.
«Les producteurs de cinéma sont plus indépendants, même dans un système un peu
hybride comme la Suisse. Quand on fabrique des produits pour un diffuseur, comme on
le fait pour eux, ils ont plus de pouvoir et de choses à dire. Pour un film, comme ils sont
co-producteurs, ils ont aussi des choses à dire, mais on fait le film d’abord pour le
cinéma. Le rapport n’est pas tout à fait le même.»
Fulvio Bernasconi, réalisateur
Le développement de groupe de projets indépendants, associant réalisateurs, auteurs
et producteurs, peut contribuer à renforcer leurs positions dans les processus
décisionnels, que cela se fasse au sein de chaînes ou de façon autonome avec le
soutien de politiques adaptées.
«Innover c’est forcément «insécuriser» les rendez-vous créés. Cela replace la
responsabilité de l’innovation là où elle doit être : c'est-à-dire chez les auteurs et les
producteurs. Cela ne signifie pas que les diffuseurs ne doivent pas innover, mais ils ont
un certain nombre de situations et de grilles de rendez-vous qu’ils essaient d’installer. A
nous de venir les insécuriser avec nos propositions. (…) Je voudrais faire bouger les
choses et appeler à une révolution culturelle : les auteurs doivent reconstituer une
véritable force de proposition, qui aujourd’hui fait presque défaut.»
Frédéric Krivine, scénariste28
«Aujourd’hui le formatage fonctionne encore parce qu’il n’y a pas beaucoup de
concurrence. Mais plus l’offre va se développer, plus on sera obligé de prendre des
risques. (…) Nous devons être une passerelle entre la création et le public, et c’est un
bon calcul de faire confiance aux créateurs, car lorsqu’ils sont impliqués ils font de
beaux films que gens aiment.»
Patrick Pechoux, directeur de la fiction, France 3
La diversité des formats peut susciter de nouvelles formes d’expression et chacun
d’entre eux doit être pris comme l’occasion d’investir un mode de narration particulier.
Les chaînes payantes américaines, telle que HBO, diffusent des séries qui peuvent
prendre valeur d’exemplarité, même si les paysages audiovisuels européens sont
structurés différemment.
«La comparaison avec HBO est dangereuse. Nous ne sommes pas sur le même
marché. Nous n’avons pas le même savoir-faire. Il ne faut pas calquer les programmes
de HBO. Nous serions toujours en dessous. Nous pouvons nous inspirer de leur
ambition. Mais nous devons faire notre propre apprentissage et développer une fiction
qui corresponde à notre culture, à notre sensibilité.»
Fabrice de la Pattelière, directeur de la fiction Canal plus29
28
29
Ecran Total, n°512, avril 2004, propos recueillis par Serge Siritzky et Christophe Bottéon
Idem
39
«Les grilles sont des paquebots qui se manient avec précaution, avec une inertie
extrêmement grande, il faut du temps pour changer une grille parce qu’il faut du temps
pour qu’elle s’installe.»
François Sauvagnargues, Arte
En France, à l’inverse du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, le sous-financement de la
télévision publique empêche en partie les diffuseurs d’investir dans des développements
longs et ambitieux. Si le privé peut exceptionnellement remplir cette mission,
l’indépendance vis-à-vis des annonceurs est censée garantir un espace de liberté pour
la création. Dans cette perspective, l’instauration d’un dialogue et de règles de
confiance ne peut que stimuler la prise de risque et l’innovation.
«Patricia Boutinard-Rouelle, qui dirige l’unité documentaire de France 3, a décidé de
produire en France ce genre de grand documentaire-fiction. Nous nous sommes donc
lancés dans L’odyssée de l’espèce. Ce qui veut dire que les chaînes aussi peuvent être
de vrais créateurs. Patricia Boutinard-Rouelle a pris de vrais risques, elle a même joué
sa place de directrice.»
Jacques Malaterre, réalisateur30
30
Le Monde Télévision , 21 août 2004, Propos recueillis par Martine Delahaye
40
III. Le docu-fiction : un genre en devenir
v L’émergence du docu-fiction
«Mettons bien les points sur quelques "i". Tous les grands films de fiction tendent au
documentaire, comme tous les grands documentaires tendent à la fiction. [...] Et qui
opte à fond pour l'un trouve nécessairement l'autre au bout du chemin.»
Jean-Luc Godard, réalisateur31
Les mélanges entre documentaire et fiction ne sont pas une nouveauté, ces deux
genres se sont toujours intimement côtoyés. Les historiens du cinéma peuvent citer des
dizaines d'œuvres où le documentaire s'est retrouvé partie intégrante d'une fiction, sous
divers titres et diverses formes, ainsi que des films où l'esthétique de la fiction a
constitué la meilleure part du documentaire.
Aujourd’hui, on peut toutefois observer que des nouveaux genres de films sont en train
d’émerger, qui renouvellent la mixité entre fiction et documentaire.
«Cette année il s’est passé un évènement important dans le monde du documentaire!:
l’éclatement des genres. Jusqu’à présent, la télévision était organisée de manière assez
fermée, chacun avait son domaine de compétence : la fiction, le documentaire, le
magazine, le divertissement. Aujourd’hui, notamment avec le succès de L’odyssée de
l’espèce sur France 3, on assiste à une explosion des cloisons. Je trouve cela
formidable. Ce qui compte, c’est d’utiliser tous les outils de la télévision pour arriver à
faire passer de l’enseignement, du savoir, une réflexion. (…) A Capa, nous sommes
journalistes et nous pensons que la télévision a une utilité, une fonction sociale
indispensable dans une démocratie. Je suis très content que par le biais du docu-fiction
ou docu-drama, on puisse faire accéder le maximum de gens à la connaissance et à la
réflexion.»
Hervé Chabalier, président de l’agence Capa32
Entre les documentaires de création, docu-drama, docu-fictions, docu-soap, les
feuilletons documentaires, les fictions historiques, scientifiques… les contours sont
mouvants et les interprétations varient. Pour des questions de clarté, nous tenterons ici
de définir (sommairement et de façon non exhaustive) ce que l’on entend par docufiction.
Construits autour d’une collaboration entre un réalisateur et une équipe de scientifiques,
archéologues et/ou historiens, les docu-fictions donnent une interprétation d’une réalité
disparue à travers une histoire scénarisée et interprétée par des comédiens. S’appuyant
sur tous les moyens technologiques modernes, effets spéciaux et images de synthèse,
ces films bénéficient d’une caution scientifique prestigieuse qui nourrit et légitime, en
quelque sorte, l’aspect documentaire.
31
32
Jean Luc Godard par Jean Luc Godard, Editions de l'Etoile, Paris, 1995
Le Monde Télévision, 14 août 2004, Propos recueillis par Sylvie Kerviel
41
Dans le même temps, ils utilisent tous les ressorts dramatiques de la fiction, notamment
à travers le jeu des comédiens, pour captiver et divertir le spectateur autour d’une
thématique ayant trait à l’histoire.
Les docu-fictions ont une vocation pédagogique et culturelle, et ont abordé
dernièrement de grandes périodes de l’histoire. Mais ils peuvent aussi s’intéresser au
système solaire, à la conquête de l’espace, à des projections futuristes…Le docu-fiction
peut se différencier du docu-évènement ou docu-drama. En effet, les docu-dramas sont
souvent basés sur des évènements spectaculaires, dramatiques, contemporains. Ils
permettent de mettre en lumière des aspects cachés ou mal-connus au moment des
faits, et proposent un nouveau point de vue sur l’évènement.
Les docu-fictions n’ont pas pour but de démontrer une vérité mais d’explorer des
possibles, en injectant de l’invention pure. Ils arrivent ainsi à rendre plus accessibles
certaines connaissances scientifiques et/ou historiques, en s’appuyant sur les ressorts
et la liberté de traitement de la fiction.
Les docu-fictions peuvent adopter une forme sérielle, appelé feuilleton documentaire.
Stéphane Millière, PDG de la société Gédéon, qui a conçu Les champions d’Olympie
diffusé cet été sur Arte, est un des principaux producteurs européens de documentaires.
«Les nouveaux genres de récit documentaire sont tous venus de Grande-Bretagne,
issus d'une rivalité entre la BBC et Channel Four. Il y a six ans, la BBC a installé la
première le docu-soap (ou feuilleton documentaire) en scénarisant la vie quotidienne.
Un genre aujourd'hui repris par Arte. Puis le département Histoire de Channel Four et la
société de production Wall to Wall ont lancé le « living-history », qui permet de replacer
des personnes d'aujourd'hui dans un monde passé, fidèlement reconstitué, afin
d'apprendre l'histoire de façon ludique. C'est ce genre qui nous a inspirés pour créer
avec Arte Les Champions d'Olympie. Dans le même temps, le département Science de
la BBC s'est approprié les techniques les plus sophistiquées d'images de synthèse pour
produire Sur la Terre des dinosaures, premier docu-fiction, succès international
colossal. Tous ces modes de récit sont pour moi autant d'horizons nouveaux.»
Stéphane Millière, Producteur, Gédéon33
La volonté de traiter des sujets sérieux sur un mode ludique a des perspectives d’avenir
prometteuses. Sur France 3, le deuxième opus de L’odyssée de l’espèce, sous la
direction de Jacques Malaterre et Yves Coppens, devrait être diffusé prochainement.
Autre projet de discussion avec la BBC, un film sur l’histoire des planètes empruntant à
la fiction, via un cosmonaute en voyage dans le système solaire à bord d’une navette
spatiale, et au documentaire par son contenu scientifique.
33
Le Monde Télévision, 27 Juillet 2004, propos recueillis par Catherine Humblot
42
v Atouts et limites du docu-fiction
Les docu-fictions peuvent conquérir à la fois le prime time national d'une grande chaîne
généraliste et le marché international. Ils représentent actuellement, avec le docudrama, la grande tendance en matière de réalisation documentaire pour la télévision et
séduisent les diffuseurs européens. Ces projets souvent exceptionnels sont l’objet d’une
quête croissante de coproductions internationales qui se font majoritairement entre la
France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Etats-Unis.
«On fabrique une trentaine de documentaire par an pour la BBC, Channel Four, et
Channel Five. Ce sont toujours des histoires vraies, présentées sous forme de
documentaire classique ou de plus en plus sous celle de docu-évènements, créés
spécifiquement pour la télévision : ce qu’on appelle docu-dramas, que vous nommez
docu-fictions, qui ont la même ambition et le même budget que des films de fictions. (…)
On peut presque dire que tout projet important nécessite l’apport des Français et des
Allemands, autant que celui des américains.»
John Smithson, producteur 34
La chaîne française TF1 a davantage opté pour le développement des docu-dramas, à
travers des projets sur l'attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle ou l'affaire
de l'Ordre du Temple solaire.
Les docu-fictions représentent des enjeux importants tant pour les réalisateurs que pour
les diffuseurs. La réflexion et l’impératif de divertissement pour un public le plus large
possible doivent cohabiter, et c’est dans l’équilibre de ces deux forces que se joue
l’avenir de ces films avec d’un côté l’innovation créative, l’invention, et de l’autre la
nécessité de produire majoritairement pour le prime time.
«En prime time, on ne doit pas faire travailler les téléspectateurs. La majorité des gens
qui regardent BBC1 en prime time ne connaissent rien à Pompéi. Ils veulent du
divertissement.»
John Lynch, responsable scientifique, BBC35
Les diffuseurs européens sont contraints à une quête de renouvellement permanent et
les docu-fictions n’échappent pas au fait que l’engagement financier et les impératifs de
rentabilité économique risquent de contraindre l’innovation à s’inscrire dans une logique
quantitative, privilégiant l’efficacité au contenu.
34
35
Le Monde Télévision, 3 juillet 2004, propos recueillis par Catherine Humblot
Le Monde Télévision, 14 février 2004, propos rapportés par Macha Séry
43
«Le débat documentaire ou fiction a aussi lieu en Angleterre. Mais il s’est quasiment
éteint ; la plupart des gens reconnaissent que notre travail est solide scientifiquement.
Nos sondages montrent que pour attirer en particulier les femmes et les enfants, il est
préférable d’insérer des personnages et une trame dramatique. L’intention de la BBC
est d’éduquer et d’informer le groupe le plus large. Or, sur un même thème, un docufiction rassemblera trois fois plus de téléspectateurs qu’un documentaire traditionnel.»
Michael Mosey, directeur du développement des docu-fictions, BBC36
«Il faut absolument que la télévision garde une place pour les regards singuliers. C'est
pourquoi j'ai signé la lettre ouverte des producteurs à Marc Tessier, Président de France
Télévisions. Mais je ne vois pas en quoi ces nouvelles formes de récit seraient
synonymes d'uniformisation. En Angleterre, elles ont créé une formidable émulation
entre producteurs, auteurs et réalisateurs. De cette concurrence est né un brassage
d'idées, générant de nouveaux modes de travail, de nouveaux talents. On commence à
faire travailler des scénaristes issus de la fiction sur des sujets issus du réel. Ce travail
d'équipe est inusité dans le monde du documentaire français, tourné sur l'approche
solitaire d'un auteur-réalisateur. Le succès du docu-fiction, le débat qu'il suscite, sont
salutaires : ils nous forcent à nous remettre en question. Il faudrait que les diffuseurs
français sachent maintenant, comme les chaînes anglo-saxonnes, prendre des risques,
stylistiques et financiers.»
Stéphane Millière, producteur, Gédeon37
Le docu-fiction déborde des cadres traditionnels de narration et, s’il y a quelques
années il était considéré comme un sous-genre, aujourd’hui il est de plus en plus perçu
comme une manière innovante de concevoir les rencontres entre documentaire et
fiction.
«Le rôle du réalisateur est de trouver une dramaturgie dans les archives. Les
scientifiques avec qui j’ai travaillé ont adoré ça, car on est allé là où la science leur
interdit d’aller, ils ne peuvent pas parler des rêves qu’ils ont. Avec L’odyssée de l’espèce
on a pu aller là, faire vivre des choses qu’ils ne peuvent pas affirmer parce que la
science demande des preuves. Leur boulot n’était pas de dire « c’est vrai/ c’est faux »,
mais juste « ce n’est pas faux ». On travaille à la fois sur le noyau de la fiction c'est-àdire la dramaturgie, la direction d’acteur, l’émotion, et sur la connaissance, ce que l’on
sait, ce que l’on ne sait pas, ce que l’on va savoir, qui sont plutôt des choses attachées
au documentaire. (…) Le tournage avait la lourdeur d’une fiction, mais j’ai recherché la
souplesse du documentaire. J’ai beaucoup travaillé en amont avec les acteurs, j’ai eu
les moyens de faire beaucoup de mouvements de caméra. Il a fallu s’adapter à la nature
et éviter d’aller dans le « plan rêvé », c'est-à-dire toujours aller à l’essentiel du récit. La
fiction et le documentaire se rencontrent en permanence. Je fais du documentaire
quand je réalise une fiction. Le regard caméra du mammouth, c’est de l’expérience du
documentaire animalier, une recherche de réalisme qui éveille la curiosité.»
Jacques Malaterre, réalisateur
36
TV8, Septembre 2004, Propos recueillis par Laurent Schafer
37
Le Monde Télévision, 27 juillet 2004, propos recueillis par Catherine Humblot
44
v Perspectives
Scientifiques et gens des médias ont longtemps évolué dans des mondes cloisonnés.
Pourtant, plus de la moitié de la population européenne reçoit son information
scientifique par la télévision. Le rôle du petit écran est donc central dans la transmission
et la popularisation du savoir.
Pour les communicants, la science est une source inépuisable d’inspiration. Dans cette
perspective, les docu-fictions peuvent offrir une vision plus claire, plus vivante que les
documentaires scientifiques classiques.
«La télévision évolue, les programmes évoluent, le langage image évolue, on ne va pas
interdire aux choses d’évoluer, ça évolue vitesse grand v dans le mode narratif. Il y a 30
ans, pour faire une ellipse on montrait un calendrier qui se tournait… Le docu-fiction
c’est un grand débat, ça a toujours existé, c’est plutôt des nouveaux genres de films.
L’odyssée de l’espèce est un nouveau genre, c’est tout neuf, mais peut-être que dans
dix ans il y aura un cahier des charges pour les docu-fictions.»
Jacques Malaterre, réalisateur
La volonté de rendre accessible la science et l’histoire au plus grand nombre en utilisant
les ressorts de la fiction constitue tant l’intérêt du docu-fiction, qu’elle pose ses limites.
On observe que la qualité de ces films est encore très inégale. L’excès d’émotion peut
être dangereux et, si l’honnêteté scientifique est de mise, les films sont loin de s’y
cantonner. D’autre part, le fait qu’ils bénéficient à la fois du soutien de la fiction et du
documentaire soulève le problème de l’hybridation du financement, ce qui inquiète les
auteurs et producteurs des deux genres originels.
«Renouveler le genre, diversifier les formes narratives, explorer de nouvelles pistes,
c’est très bien, il faut toutefois veiller à ce que l’ensemble du spectre continue d’exister.
L’école française, c’est le documentaire de création, et il ne faut pas, sous prétexte d’un
succès à 20h50, que les chaînes succombent à un effet de mode et optent toutes pour
une seule et même ligne éditoriale.»
Marc Olivier Sebbag, Délégué général du syndicat des producteurs indépendants,
(majoritaire chez les producteurs de documentaire)38
Le risque que les diffuseurs cherchent à répéter les recettes d’un succès, en se passant
d’un point de vue, est réel. La conséquence serait alors l’appauvrissement du genre, du
fait de la concentration des moyens sur de grandes productions événementielles et d’un
manque de diversité dans les approches.
38
Le film français, 2004, propos rapportés par Emmanuelle Miquet
45
«Le renouvellement des écritures et des dispositifs narratifs fait partie de la vitalité du
documentaire. Il y a des gens qui voient du « pur » ou de « l’impur » dans chaque
genre, pas moi. Je pense que toutes les innovations, qu’elles soient dans les formats, la
durée, les hybridations, sont positives. Le seul danger serait le naturalisme. Et dans le
désir de se passer du réalisateur, de répéter des formes stéréotypées. (…) Et c’est au
fond la docilité de l’auteur, ou au contraire son engagement, qui sont en cause.»
Thierry Garrel, directeur de l’unité documentaire Arte 39
«Schématiquement, le documentaire consiste à capter la vie, alors que la fiction
consiste à la reconstituer. Mais même pour réaliser un documentaire, je ne filme pas en
continu, je fais des choix. Je ne restitue donc pas toute la vérité d’un personnage ou
d’un évènement. Je transmets un point de vue. Ensuite, en montant les plans les uns à
la suite des autres, je fais aussi de la mise en scène. D’une manière ou d’une autre, on
scénarise toujours. On ne peut donc pas dire que dans le documentaire l’histoire qu’on
raconte est vraie. (…) Mais ce qui compte, pour moi, ce n’est pas le genre du film, c’est
le traitement sur la forme et le fond. L’importance c’est qu’il y ait création. Et la création,
elle tient à l’émotion qu’on insuffle dans le film, pour un plaisir partagé avec le
spectateur.»
Jacques Malaterre, réalisateur40
Avec les docu-fictions, les télévisions ont une opportunité de renouer avec des missions
essentielles sur le plan culturel, éducatif, social et politique. Les débats soulevés par ces
films doivent donc mener à un dialogue entre les différents partenaires, réalisateurs,
diffuseurs, producteurs, afin d’éviter les écueils d’un système qui fonctionne trop
souvent à sens unique.
39
40
Idem
Le Monde Télévision, 21 août 2004, propos recueillis par Martine Delahaye
46
v Télévision et culture : un engagement vital pour la création
La concurrence intègre de plus en plus les marchés nationaux, et l'arrivée des nouvelles
techniques de diffusion amplifie la dimension transnationale de la télévision. Mais la
multiplication des programmes ne rime pas forcément avec diversité des contenus.
Dans ce contexte, il est nécessaire d’évaluer les obligations culturelles des télévisions,
la dimension culturelle pouvant être considérée comme le contrepoids aux impératifs
économiques.
Quelle que soit la méthode de réglementation utilisée, des objectifs communs aux
différentes réglementations peuvent être répertoriés. En effet, chaque système de
réglementation comprend des mesures relatives à la défense de l’identité culturelle et à
la création, aux missions de service public, à l’expression locale, à l’éducation ainsi
qu’aux programmes culturels au sens strict (spectacles vivants, arts plastiques…).
Au-delà de ces traits communs, deux approches juridiques se dégagent. Une approche
qui peut être qualifiée d'institutionnelle a été adoptée en Allemagne, au Royaume-Uni et
en Suède. Dans cette conception, la distinction entre les programmes dits « culturels »
au sens strict et les autres n'apparaît pas aussi clairement que dans l'approche
réglementaire. La culture comme phénomène social est une conception qui conduit à
donner une priorité aux missions d'intérêt général. Les « programmes culturels » ne
peuvent pas être isolés de l'ensemble de la programmation. C'est la qualité de
l'ensemble qui compte.
Cette définition large de la culture a plusieurs conséquences. Tout d’abord elle concerne
en priorité le secteur public mais englobe exceptionnellement le secteur privé (Channel
4 au Royaume-Uni par exemple) et d’autre part elle exige un encadrement institutionnel
pour légitimer les orientations adoptées. Le système repose sur le principe de
l'autorégulation (BBC, ARD/ZDF) et/ou sur une forme de représentativité de la société
civile par la constitution de commissions internes ayant un pouvoir décisionnel
(ARD/ZDF).
En revanche, une approche réglementaire entraîne une définition plus restrictive de la
culture. C'est le cas en Belgique, en France et, dans une certaine mesure, au Canada.
En effet, on observe dans ces pays la volonté de faire du débat sur la culture un objectif
politique (la défense de l'identité culturelle) ou un objectif de programmation en faveur
de certaines catégories de programmes (œuvres audiovisuelles et cinématographiques,
spectacle vivant, arts plastiques...).
Cette seconde tendance conduit naturellement à l'intervention des pouvoirs publics,
seuls en mesure d'imposer les obligations culturelles, et à l'instauration de mesures
quantitatives telles que les quotas.
47
La création d'instruments d'évaluation répond à une multiplicité d'objectifs adaptés aux
exigences de chaque Etat : fournir des données quantitatives et éviter une diminution de
l’offre de programmes culturels (grille du CSA en France), vérifier le respect des
obligations légales en matière de programmation (système PROGSOORT), classifier les
programmes et faciliter la standardisation internationale des statistiques de l’audiovisuel
(système ESCORT), et réaliser une typologie des politiques et actions culturelles (grille
du Conseil de l’Europe).
Ces différents outils d'évaluation de la programmation culturelle sont toutefois limités car
ils obéissent à une logique quantitative, qui peut mettre en évidence un pourcentage
satisfaisant d'émissions culturelles alors que la qualité de ces émissions peut s'avérer
très médiocre. Il s’agit de les considérer comme de simples indicateurs.
Malgré tout, les résultats obtenus grâce aux instruments d'évaluation ont, dans certains
cas, des conséquences non négligeables. En effet, ces instruments peuvent notamment
contribuer à une justification du service public audiovisuel en mettant en évidence ses
missions spécifiques en matière de programmation. En Suède, par exemple, une étude
comparative soulignant la grande variété des programmes des chaînes publiques a
permis de justifier l’existence du secteur public. Ils peuvent aussi favoriser - par à la
mise en évidence d'un manque - la création de chaînes thématiques consacrées à la
culture.41
La question des contenus et de leur créativité interroge la capacité des télévisions
européennes à promouvoir la diversité culturelle. Chaque pays a le droit et le devoir de
conserver et de promouvoir son identité. Au niveau des télévisions, cela se traduit par la
volonté de produire et de diffuser des œuvres originales, qui font partie du patrimoine et
ont un impact sur l’imaginaire collectif des sociétés.
«La fiction télévisée n’est pas seulement le reflet des préoccupations d’une époque,
mais elle joue un rôle actif dans l’explicitation et la consolidation du cadre normatif qui
accompagne et rend possible ses transformations. Par les sujets qu’elle sélectionne, le
type de héros qu’elle choisit, les qualités qu’elle leur confère, la manière dont elle
désigne les victimes, dont elle suggère les coupables, dont elle décrit les attitudes
dignes ou indignes, justes et injustes, la fiction ne contribue pas seulement à relayer de
manière mécanique les transformations de la société, elle propose des ressources
morales pour les comprendre et les juger.»
Sabine Chalvon-Demersay, chercheur au CNRS42
41
Synthèse de l’étude Télévision et Culture, d'Emmanuelle Machet et Serge Robillard à l'initiative de l'Institut
Européen de la Communication et du Service général de l'Audiovisuel et des Multimédias de la Communauté
française de Belgique.
42
L’imaginaire a-t-il encore un avenir ?, Etude SACD, 2004
48
Le regard que posent les auteurs sur leur époque, leur société et leur passé doit
pouvoir s’exprimer dans des films qui offrent un point de vue. Ces œuvres doivent être
plurielles, sources de divertissement, de questionnement, d’apprentissage, d’information
ou d’émotion.
Face aux évolutions actuelles, il est essentiel de souligner la différence qui existe entre
la notion de stock, formé par les œuvres, et celle de flux, lié à une certaine improvisation
et à une quête de succès immédiat, car il est impératif que les œuvres soient protégées
et conservées dans les programmes de télévision, face au flux.
«Une certaine télé-réalité tente de bénéficier des mécanismes de soutien à la création,
mais ces programmes ne sont pas des œuvres, ce sont des produits. S’ils sont
considérés comme des œuvres, comme cela a été le cas de Pop Star, ils entrent
comme un ver dévorant tout le fruit du soutien de la création. C’est de cela qu’il faut se
méfier. Les mécanismes qui permettent d’avoir une production française permettent
aussi l’émergence de talents européens : Pedro Almodovar, Lars Von Triers, Emir
Kusturica, ou Ken Loach ne pourraient pas réaliser leurs films s’ils ne trouvaient pas le
soutien des financements français. Les pays qui ne disposent pas de tels mécanismes
d’incitation à produire perdent leur identité culturelle et de création. Leur télévision n’est
plus qu’un écran de divertissement sans regard, sans point de vue, un flux continu de
produits, une annexe des télévisions américaines.»
Sophie Deschamps, vice présidente de la société des auteurs et compositeurs
dramatiques (SACD)
Une télévision de qualité n’est possible que si elle est activement soutenue par une
volonté politique et/ou économique, à travers une incitation à la production. La diversité
culturelle dépend donc des créateurs, mais surtout du soutien des institutions du pays
dans lequel ils vivent.
«La télévision, si elle continue comme ça, se fout complètement de la culture. Alors ça
marche comme Berlusconi, c’est vrai que ça marche, mais au bout d’un moment il n’y
aura plus aucun réalisateur qui acceptera de se compromettre avec des télévisions. La
télévision n’aura plus aucun rapport avec la culture, ni avec l’information.»
Emmanuel Bourdieu, réalisateur
Dans un monde caractérisé par la globalisation, l’engagement des télévisions en
matière culturelle apparaît d’autant plus urgent. L’existence d’un secteur public fort et
indépendant, en mesure de proposer aux auteurs et aux réalisateurs un espace
alternatif aux seules logiques commerciales, apparaît comme vital pour soutenir et
développer le dynamisme, la richesse et la diversité de la création audiovisuelle et
cinématographique.
49
Conclusion
«Mon conseil final à tout futur metteur en scène ce serait donc celui-ci : il faut rester
maître de son film, du début à la fin. Et mieux vaut ne pas faire de film du tout que
d’accepter de reléguer le pouvoir de décision finale.»
David Lynch, réalisateur43
Le réalisateur arrache à la pesanteur du réel les pièces de la vaste mosaïque qui
constitue son film. Chaque étape de la création a une influence décisive!: le découpage
de l’action, la direction des comédiens et leur inscription dans l’espace et le temps, le
son, la lumière, la place de la caméra, le cadre de l’image, le montage… A travers cette
étude nous avons tenté, même partiellement, de mettre en lumière les soutiens et les
opportunités qu’offrent les télévisions mais aussi les dangers d’un système qui tend à
reléguer les réalisateurs au rôle de «!super techniciens!», au détriment de l’expression
d’une créativité vitale pour la diversité culturelle.
L’existence de lieux d’échanges et d’expressions autour du petit écran est une condition
essentielle pour améliorer le dialogue entre les multiples partenaires du film. La
collaboration entre le réalisateur, l'auteur et le producteur constitue un trio charnière et
déterminant pour l’avenir de la création audiovisuelle. D’autre part, l’affirmation d’une
critique ayant un réel impact social et politique apparaît indispensable pour la
reconnaissance d’une culture télévisuelle exigeante.
«Seule la constitution critique de ces objets séparés du flux qu’on appelle « œuvres »
permet de penser le temps de la télévision comme temps historique - mémoire,
transformation, passage. Temps de conflits, temps de luttes. Si la chronique oublie toute
dimension critique, elle ne peut guère que conforter le schéma dominant d’un flux sans
ruptures, sans coupures. (…) Soumis à la seule « critique » d’un zapping aléatoire,
indifférent, le flux a bien pour effet de noyer les conflits, d’uniformiser et de fluidifier la
circulation des informations et des marchandises. Comme aux rayons des
supermarchés, tout est disponible, à tout moment, pour tout un chacun consommateur.
Il n’y a plus de temps, il n’y a plus d’usure, il n’y a plus de perte, il n’y a plus de rejet, il
n’y a plus de lutte. Il n’y a plus de point de vue, ni sujet. S’il y en avait, ils seraient en
trop, ils seraient à rayer. Il n’y a plus d’amour non plus, il n’y a plus trop d’amour. C’est
de cette (pénible) mutation que témoigne la disparition de la critique de télévision. A
nous de comprendre (enfin !) que circulation marchande et communication sont une
seule et même chose, fluide et indifférente. Le temps de l’indifférence contre le temps
du désir.»
Jean-Louis Comolli44
43
Cité dans Leçons de Cinéma, Laurent Tirard, Editions Nouveau Monde, 2004
« La disparition de la critique de télévision signifie-t-elle la disparition de la télévision ? », Voir et Pouvoir,
Editions Verdier, 2004
44
50
Bibliographie
Ouvrages
Autoportraits, John Cassavetes, Cahiers du Cinéma, Propos sélectionnés par Ray
Carney, Editions de l’étoile 1992
Bertolucci par Bertolucci, Entretiens avec Enzo Ungari et Donald Ranvaud, Editions
Calmann- Levy, 1987
Du côté du public, Usages et réceptions de la télévision, Brigitte Le Grignou, Editions
Economica, 2004
Jean Luc Godard par Jean Luc Godard, Editions de l'Etoile, Paris, 1995
L’audimat à mort, Hélène Risser, Editions Seuil,2004
Le cinéma sans la télévision, le banquet imaginaire/ 2, Groupe de réflexion sur le
cinéma, Editions Gallimard, 2004
Leçons de Cinéma, Laurent Tirard, Editions Nouveau Monde, 2004
L’influence de la télévision sur le cinéma, Dossier réuni par Guy Hennebelle et René
Prédal, Cinémaction, Editions Cerf, 1987
L’œil critique, Sous la direction de Jérôme Bourdon et Jean-Michel Frodon, Editions
INA, de Boeck, Collections Medias Recherches, 2003
Télévision et cinéma, le désenchantement, Régine Chaniac et Jean-Pierre Jézéquel,
INA, Nathan, Collection Médias Recherches, 1998
Voir et Pouvoir, L’innocence perdue : cinéma, télévision, fiction, documentaire,
Jean-Louis Comolli, Editions Verdier, 2004
Revues/ Etudes
Etude Eurofiction 2003, Observatoire Européen de l’Audiovisuel, INA, Département
d’étude stratégiques sur l’audiovisuel et le cinéma, 2003
Fiction : L’imaginaire a-t-il encore un avenir ? SACD, 2004
La société des écrans et la télévision, Revue Esprit, Mars-Avril 2003
Les perspectives et les conditions du développement de la production et de la
diffusion de fiction en France, Département d’Etudes Stratégiques sur l’Audiovisuel et
le Cinéma, Novembre 2003
51
MediaMorphoses, INA, n°6, novembre 2002
Télévision et Culture, Emmanuelle Machet et Serge Robillard à l'initiative de l'Institut
Européen de la Communication et du Service général de l'Audiovisuel et des
Multimédias de la Communauté française de Belgique, 2004
Articles
Objectif Cinéma
Art. sur Emmanuel Bourdieu, 2003, Propos recueillis par Damien Stroka
Ecran Total
Art. sur la fiction française, n°512, avril 2004, Propos recueillis par Serge Siritzky et
Christophe Bottéon
Le film Français
Art. 2004, Propos recueillis par Emmanuelle Miquet
Le Monde Télévision
Art. du 13 septembre 2003, La méthode Kosminsky , par Catherine Humblot
Art du 14 février 2004, Propos recueillis par Macha Séry
Art du 2 avril 2004, Les docus-fictions séduisent les chaînes françaises, par Guy Dutheil
et Sylvie Keriel
Art. du 3 juillet 2004, L’irrésistible ascension du documentaire, par Catherine Humblot et
Yves Marie Labé
Art. du 14 août 2004, Entretien avec Hervé Chabalier, par Sylvie Kerviel
Art du 21 août 2004, Propos recueillis par Martine Delahaye
Art. du 29 août 2004, Les atouts et les limites du docu-fiction, par Macha Séry
Le Monde Diplomatique
Art. mars 2004, Les écrans du Mépris, Martin Winckler
L’humanité
Art. août 2004, La paradoxe du documentaire, Ixchel Delaporte
TV8
Art .BBC Reine du Docu, Septembre 2004, Propos recueillis par Laurent Schafer
Sites
www.obs.coe.int/ : Observatoire européen de l’audiovisuel, Etude Eurofiction
www.6nop6.com: Articles sur tous les modes d’écritures audiovisuelles
www.lefilmfrancais.com: Articles et entretiens sur l’actualité
www.lumiere.org: Etude de Sandrine Sénéchal sur Channel 4
52
Remerciements
Interviews
Laurence Bachman, Ex-directrice de la fiction France 2
Fulvio Bernasconi, Réalisateur
Emmanuel Bourdieu, Réalisateur
Takis Candilis, Directeur de la fiction, TF1
Christophe Carmona, Directeur délégué de la fiction, M6
Peter Carpentier, Vice président de la FERA, Réalisateur (Allemagne, Autriche,
Belgique)
Denys Corel, Scénariste
Jérôme Cornuau, Réalisateur
Marian Hand Werker, Réalisateur (Allemagne, Belgique, France)
Pierre Koralnik, Réalisateur
François Luciani, Réalisateur
Jacques Malaterre, Réalisateur
Patrick Pechoux, Directeur de la fiction, France 3
François Sauvagnargues, Directeur de la fiction Arte
Claudio Tonetti, Réalisateur
Journalistes
Béatrice de Mondenard, Journaliste, Ecran Total, pour les interviews de Laurent
Heynemann, Réalisateur et Jean-François Lepetit, Producteur
Organisations
AIDAA : Association Internationale des Auteurs de l’Audiovisuel
DESAC : Département d’Etudes Stratégiques sur l’Audiovisuel et le Cinéma
FERA : Fédération Européenne des Réalisateurs de l’Audiovisuel
SACD : Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
53
Organisation
Conception
Léo Kaneman
Coordination
Yasmeen Basic, Virginie Sassoon
Assistante
Chiara Petrini
Chargée d'étude
Virginie Sassoon
Collaborateurs
Xavier Grin (PS Productions)
Gaetano Stucchi (Media Consulting)
Modérateurs
Laurent Delmas (France Inter)
Ronald Bergan (The Guardian)
Samuel Douhaire (Libération)
Gaetano Stucchi (Media Consulting).
Le colloque international est organisé en partenariat avec:
SRG SSR idée suisse
Variety
Ecran total
France Culture
54

Documents pareils