LE QUINQUINA ROUGE
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LE QUINQUINA ROUGE
Professeur Isabelle Fourasté Faculté des Sciences Pharmaceutiques de Toulouse Le Quinquina rouge Cinchona succirubra Pavon. Rubiaceae Pierre Fabre Pierre Fabre - Le Quinquina rouge Cinchona succirubra Pavon. (Rubiaceae) L es Quinquinas sont les écorces desséchées de divers Cinchona. Ce nom de Quinquina, donné par les Espagnols, viendrait du mot « Kina » qui signifie écorce dans la langue de certaines tribus de la cordillère des Andes et de l’expression « KinaKina », superlatif voulant dire écorce des écorces (5, 6, 8). Le Cinchona succirubra Pav. (C. pubescens Vahl.) est l’espèce officinale qui donne le Quinquina rouge. C’est un arbre qui, dans son habitat naturel peut atteindre 15 à 20 mètres de hauteur. Ses feuilles, opposées décussées, ont une nervation pennée souvent rougeâtre, comme le pétiole. Les fleurs, régulières, blanches ou rosées, pentamères, ont une corolle à lobes couverts de poils blancs; elles sont groupées en grappes de cimes terminales. Tous les Quinquinas sont originaires du versant oriental de la Cordillère amazonienne où ils sont localisés entre 1500 et 3000 m d’altitude de part et d’autre de l’équateur (de la Colombie à la Bolivie); ils se retrouvent dans des zones de forte pluviosité, d’hygrométrie élevée, de température moyenne et relativement constante (1, 2, 6, 12). L ’histoire des Quinquinas est assez confuse. En effet, il n’est pas sûr que ce soient les Indiens qui les aient utilisés les premiers contre les fièvres. En tous cas, au XVIIe siècle, les missionnaires espagnols, après la découverte du Pérou, ont reconnu les propriétés fébrifuges des écorces de Quinquinas, en relation avec leur amertume (tout ce qui était amer était, à l’époque, réputé fébrifuge). On indique généralement que la comtesse de Chinchon, femme du vice-roi du Pérou, aurait été guérie des fièvres de mal’aria, la maladie du mauvais air (allusion aux moustiques) par ces écorces, à Loxa, en 1640 et serait ainsi à l’origine de la réputation de la drogue et de son introduction en Europe. Cette légende a été démentie. Selon Mme Duran-Raynals (1946), la comtesse de Chinchon est morte à Panama lors de son voyage de retour. Son mari aurait effectivement connu et rapporté en Europe les précieuses écorces, mais « l’arbre de la fièvre du pays de Loxa » aurait été décrit pour la première fois par un missionnaire espagnol, le père Pedro de Calancha en 1633. Le Quinquina fut d’abord introduit en Espagne, puis en Angleterre et en France, mais comme remède secret, sous les noms de « poudre des Jésuites », « poudre de la Comtesse », « poudre du Cardinal » (le Cardinal de Lugo l’ayant introduit à Rome et ayant préconisé son usage). L’Anglais Talbor (nom francisé en Talbot) put guérir des fièvres, grâce à une poudre mystérieuse, de grands personnages comme Charles II d’Angleterre, le Grand Dauphin de France, la Reine d’Espagne; Louis XIV lui acheta son secret. A la mort de Talbot (1681), la composition du fameux remède anglais fut divulguée : il s’agissait de fortes doses de Quinquina dans du vin. L’usage s’en répandit, bien que de nombreux médecins lui soient hostiles. Mais les plantes productrices des précieuses écorces ne furent connues en France que bien plus tard, à la suite de l’expédition à Quito, en 1739, de l’astronome La Condamine, venu mesurer un arc de méridien; Joseph de Jussieu était le botaniste de l’expédition. C’est d’après les descriptions et les dessins de La Condamine que Linné, en 1742, créa le genre Cinchona (ou Chinchona, toujours en l’honneur de la fameuse comtesse de Chinchon) (6, 9). En 1820, les pharmaciens français Pelletier et Caventou isolent la quinine dont la structure complète ne sera connue que beaucoup plus tard. L’usage du Quinquina se développa rapidement et les gîtes sauvages de la Cordillère des Andes devinrent insuffisants pour les besoins, ce qui conduisit à l’introduction des Quinquinas, au milieu du XIXe siècle, dans diverses régions tropicales d’Asie, notamment aux Indes néerlandaises. Plus tard les Quinquinas furent également acclimatés dans de nombreux pays tropicaux (6, 8, 9). Actuellement, le Quinquina rouge est utilisé comme anti-infectieux et comme tonique général. Les écorces de Cinchona succirubra Pav. sont inscrites à la Pharmacopée Européenne. - composition chimique - ■ PRINCIPAUX CONSTITUANTS CHIMIQUES PRÉSENTS DANS L’ÉCORCE DE Cinchona succirubra Pav. (1, 2, 4, 5, 7, 8) 1 - Alcaloïdes A - les alcaloïdes des écorces Les principaux alcaloïdes du quinquina ont une structure quinoléique. Les alcaloïdes majoritaires sont des stéréoisomères : la quinine et la quinidine et leurs homologues déméthoxylés. R = OCH3: (-)-quinine R=H : (-)-cinchonidine H2C H2C H R = OCH3: (+)-quinidine R = H : (+)-cinchonine H H2C H2C H H HO HO R N H HO HO R R N N H N N H H R N N N B - les alcaloïdes des feuilles Des alcaloïdes de structure indolique comme la cinchonamine sont largement majoritaires dans les feuilles. - cinchonamine H H2C H N N H OH 2 - Glucosides triterpéniques amers - la quinovine : glucoside de l’acide quinovique acide quinovique 3 - Dérivés catéchiques s’oxydant pour former le Rouge de Quinquina 4 - Acides organiques 5 - Amidon - acide quinique - Données pharmacologiques - Les actions physiologiques du Quinquina rouge sont attribuées aux tanins catéchiques et aux alcaloïdes (1, 2, 4, 5, 7, 8). ■ EFFET TONIQUE AMER Le Quinquina contient des substances amères dont les alcaloïdes et la quinovine, qui provoquent la stimulation réflexe de la digestion, par augmentation des sécrétions gastriques (l’effet tonique amer est mis à profit dans des vins apéritifs qui échappent largement à la Pharmacie). ■ ACTION DE LA QUININE Action antimalarique La quinine est un toxique cellulaire agissant en particulier sur les protozoaires et plus spécialement sur les plasmodiums (agents du paludisme). Cet alcaloïde est un schizonticide, c’est-à-dire qu’il est actif sur les formes endoérythrocytaires asexuées des plasmodiums ou schizontes. La quinine est plus active sur Plasmodium vivax que sur P. falciparum. Elle est inactive sur les sporozoïtes et les formes tissulaires; son action sur les gamétocytes est pratiquement nulle. L’activité antimalarique serait liée à la fonction alcool secondaire unissant le noyau quinoléine au noyau quinuclidique (la réduction de l’alcool secondaire supprime l’activité antimalarique). Autres actions Au niveau du système cardio-vasculaire, la quinine diminue l’excitabilité, la conductibilité et la contractibilité du myocarde, comme la quinidine mais à un degré moindre. • Au niveau du système nerveux central, la quinine n’est que très modestement antipyrétique et analgésique. • Il faut noter que la cinchonidine et la cinchonine ont des actions semblables à celles de la quinine mais sont plus toxiques. ■ ACTION DE LA QUINIDINE • La quinidine est le prototype des substances antiarythmiques de la catégorie des « stabilisants de membranes » (tout comme la raubasine). • Cette molécule intervient directement au niveau des propriétés electro-physiologiques des cellules cardiaques. Elle déprime le courant entrant sodique rapide, rend les cellules moins excitables, ralentit la repolarisation et allonge les périodes réfractaires; elle diminue l’automaticité, déprime la contractibilité et diminue la vitesse de conduction auriculaire et intra-ventriculaire. • Par ailleurs, la quinidine est aussi efficace sur les plasmodiums mais n’est pas utilisée comme anti-malarique en raison de ses effets plus marqués sur la conduction cardiaque. - USAGES TRADITIONNELS ET COURANTS - ■ USAGES TRADITIONNELS (6, 7,11) Les Quinquinas et le Quinquina rouge, en particulier, ont été des remèdes traditionnels utilisés par les Incas en tant que fébrifuges ainsi que pour soigner les problèmes digestifs et les infections. Le Quinquina et surtout la quinine ont été les principaux traitements du paludisme jusqu’en 1914. A partir des années 1960, la résistance du parasite aux produits de synthèse comme la chloroquine a remis la quinine au premier plan pour la prévention et le traitement du paludisme. A faible dose, le Quinquina rouge est un tonique amer qui stimule les glandes salivaires, les sécrétions digestives et l’appétit; il est prescrit pour stimuler la digestion. ■ INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES (2, 3) Les formes galéniques des écorces de tiges de Cinchona succirubra Pav. ne connaissent plus qu’un emploi sporadique et l’utilisation en homéopathie ne représente qu’une très faible quantité d’écorces. La quinine et la quinidine constituent l’essentiel des produits du Quinquina actuellement utilisés en pharmacie. Les médicaments à base d’écorce de Quinquina peuvent revendiquer plusieurs indications notamment comme stimulant de l’appétit et pour faciliter la prise de poids en cas de maigreur. Par voie externe, ils peuvent être utilisés dans le cas de démangeaisons et desquamations du cuir chevelu avec pellicules. Les écorces de Quinquina peuvent également entrer dans la formulation de médicaments utilisés dans les états fébriles et grippaux. ■ EFFETS INDÉSIRABLES, CONTRE-INDICATIONS (5, 8, 11) Les Quinquinas ne sont pas toxiques, mais des personnes hypersensibles peuvent, déjà aux doses thérapeutiques, subir de légers effets secondaires. Des doses plus élevées provoquent des nausées et des vomissements; des doses encore plus élevées provoquent surexcitation, bourdonnements d’oreilles, troubles de la vue et autres effets secondaires. - identification (9, 10, 12) - La partie utilisée est constituée par l’écorce desséchée de Cinchona succirubra Pavon ou de ses variétés ou de ses hybrides. Elle contient au minimum 6,5 % d’alcaloïdes totaux, dont au moins 30 et au plus 60 % sont constitués par des alcaloïdes de type quinine. • Le Quinquina rouge a une faible odeur caractéristique, une saveur extrêmement amère et quelque peu astringente. • L’écorce de tige se présente en fragments tuyautés ou courbés; la surface externe est terne, gris brunâtre ou grise, et fréquemment garnie de lichens; elle est habituellement rugueuse, fissurée transversalement et sillonnée ou ridée et fissurée longitudinalement. La surface interne, qui est striée, est brun rougeâtre foncé. • Examinée au microscope, une section transversale présente extérieurement plusieurs assises de cellules de suber remplies de masse brun rougeâtre, un cortex étroit constitué par des cellules à parois ponctuées, allongées tangentiellement et contenant de la matière amorphe brun rougeâtre ou des grains d’amidon de 6 à 10 μm de diamètre. Les iodoblastes contenant du sable d’oxalate de calcium sont disséminés à travers le cortex. Dans les assises internes de ce parenchyme cortical se trouvent de larges cellules sécrétrices à tanin. On retrouve des fibres libériennes, sclérifiées, caractéristiques, avec des parois épaisses, parcourues par des canicules en entonnoirs; ces fibres se rencontrent isolées ou disposées en rangées radiales irrégulières. L’écorce de racine ne présente pas de cellules sécrétrices. • L’identification des alcaloïdes s’effectue par Chromatographie sur Couche Mince (CCM) en présence de témoins : quinine, quinidine, cinchonine et cinchonidine. Le dosage des alcaloïdes totaux dans les écorces de Quinquina rouge s’effectue par spectrophotométrie U.V. Cinchona succirubra Pavon. Ecorces - face interne Cinchona succirubra Pavon. Ecorces - face externe Pierre - bibliographie - 1 - BÉZANGER L., BEAUQUESNE L. et al. Les plantes dans la Thérapeutique Fabre Moderne Ed. Maloine, 1986, 2ème édition, p.138. 2 - BRUNETON J. Pharmacognosie - Phytochimie - Plantes médicinales 1993, 2e édition , p. 845, Ed. Lavoisier. 3 - CORNILLOT P., ANTOINE P., BALANSARD G. et al. Encyclopédie des Médecines Naturelles Editions Techniques , 1993, Section D1 p.6. 4 - CRAKER L. E., SIMON J. E. Herbs, Spice and Medicinal Plants Ed. Oryx Press, 1987, Vol II, p. 142. 8 - PARIS M., HURABIELLE M. Abrégé de matière médicale Ed. Masson, 1981, tome 1, p. 291. 9 - PARIS R. R, MOYSE H Matière médicale Ed. Masson, 1967, tome III, p. 319. 10 - Pharmacopée Européenne Ed. Maisonneuve, 1975, tome III, p. 196. 11 - VAN HELLEMONT J. Compendium de phytothérapie Ed. Service Scientifique de l’APB, 1986, p.103. 12 - WALLIS T.E. Text book of pharmacognosy Ed. Churchill, 1967, 5ème édition, p. 92. 5 - DELAVEAU P. Les Actualités Pharmaceutiques Juillet 1984, n° 212. 6 - GIRRE L. Traditions et propriétés des plantes médicinales Ed. Privat, 1997, p. 210. 7 - LAROUSSE Encyclopédie des Plantes Médicinales Ed. Larousse-Bordas, 1997, p. 79. Pierre Fabre Pierre Fabre