La formation continue aide-t-elle à devenir cadre - Céreq

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La formation continue aide-t-elle à devenir cadre - Céreq
9es Journées d’études Céreq – Lasmas-IdL, Rennes, 15 et 16 mai 2002
« Formation tout au long de la vie et carrières en Europe »
La formation continue aide-t-elle à devenir cadre ?
Charles Gadea, Danièle Trancart
Les cadres d’aujourd’hui n’ont pas toujours commencé leur carrière comme cadres. L’enquête
Emploi, renouvelée annuellement par tiers, permet de retrouver la position professionnelle des sortants
interrogés jusqu’à trois ans avant l’enquête. On constate ainsi que parmi les 1747 cadres que comptait
l’échantillon de sortants en 2000, environ un quart n’étaient pas cadres en 19971. Le flux annuel de
promus accédant à la catégorie de cadre se situerait ainsi aux alentours de 8 %, dont un peu plus de la
moitié provient des professions intermédiaires.
Grâce à l’enquête Formation 2000, effectuée en complément à l’enquête Emploi de la même
année, il est possible de comparer les caractéristiques de ces promus, aussi bien à celles des cadres
déjà en place qu’à celles des salariés des autres catégories qui ne sont pas devenus cadres.
1. Qui devient cadre ?
En l’espace de trois ans, près de 9 % des salariés des professions intermédiaires ont pris place
parmi les cadres. Pour les autres salariés, ce taux n’est que de 1,7 % en moyenne. Si la promotion reste
une des voies majeures d’accès à la position de cadre, c’est à partir des catégories de salariés les plus
proches que s’effectue cette mobilité ascendante2.
Tableau 1 – Position en 1997 des cadres de 2000 (actifs aux deux dates)
Cadre
PI de l’enseignement, la santé, la fonction publique
PI administratives et commerciales des entreprises
PI techniciens
PI contremaîtres, agents de maîtrise
Autre
Total
Position en 1997
75,6
5,4
4,5
2,3
1,0
11,2
100,0
Une bonne part des promus vient des professions intermédiaires de la fonction publique
(enseignement, santé, travail social), ainsi que des professions administratives ou commerciales des
entreprises, dans une moindre mesure des techniciens.
Si l’on renverse la perspective et qu’on s’intéresse aux chances d’obtenir un emploi de cadre
rapportées aux effectifs des catégories d’origine, la situation se présente autrement : les possibilités
apparaissent plus grandes lorsqu’on occupe des fonctions administratives ou commerciales (12 %),
plus limitées pour les techniciens et les professions intermédiaires de la fonction publique
(respectivement 8,6 % et 7, 9%) et très faibles pour les contremaîtres et agents de maîtrise.
1. Les résultats sont donnés en effectifs non pondérés en raison de la faiblesse de l’échantillon.
2. Sur les liens entre la catégorie des cadres et les professions intermédiaires, voir Bouffartigue et Gadea, 2000.
Tableau 2 – Devenir en 2000 des salariés de 1997 (actifs aux deux dates)
Détail des professions (intermédiaires) d’origine
Cadre
PI de l’enseignement, la santé, la fonction publique
PI administratives et commerciales des entreprises
PI techniciens
PI contremaîtres, agents de maîtrise
Autre
Total
Cadre
86,4
7,9
12,0
8,6
5,4
1,7
11,3
PI
9,7
85,8
65,3
80,0
74,3
7,3
19,7
Autre
3,9
6,3
22,7
11,3
20,3
91,0
69,0
Total
100
100
100
100
100
100
100
C’est aussi vers les postes de cadres administratifs et commerciaux des entreprises que se
dirigent le plus souvent les promus, dans une moindre mesure vers les postes d’ingénieur ou cadre
technique, plus rarement vers les postes de cadre de la fonction publique qui recrutent en grande partie
sous le régime spécifique du concours. En bonne logique, on peut vérifier l’existence d’une série de
correspondances entre les différentes catégories de professions intermédiaires et les catégories de
cadre qui leur sont les plus ouvertes : les techniciens deviennent plutôt ingénieurs, les comptables,
secrétaires, gradés de la banque s’intègrent parmi les cadres administratifs et commerciaux des
entreprises, etc.
Cadre
PI
Autre
Total
Tableau 3 – Devenir en 2000 des salariés de 1997 (actifs aux deux dates)
Détail des catégories de cadre d’arrivée
Autres cadres
Cadres
Ingénieurs
Cadres de
et professions
et cadres
administratifs et
la fonction
PI
intellectuelles
techniques des commerciaux
publique
supérieures
entreprises
d’entreprises
18,2
19,7
9,9
38,6
9,7
2,1
3,2
0,9
2,5
78,3
0,4
0,7
0,1
0,5
7,3
2,5
3,0
1,2
4,6
19,7
Autre
Total
3,9
13,0
91,0
69,0
100
100
100
100
De nettes différenciations se font jour lorsqu’on considère les caractéristiques associées aux
différentes modalités de rapport entre la catégorie d’origine et celle d’arrivée.
Ces caractéristiques sont d’une part liées au sexe. La position de cadre à l’arrivée (position en
mars 2000) semble entourée d’une série de filtres qui laissent passer de moins en moins de femmes au
fur et à mesure qu’on se rapproche d’elle.
Quelle que soit l’origine, cette position va de pair avec une proportion de femmes plus faible
que dans les autres catégories. En outre, pour une même catégorie d’origine, la proportion de femmes
est plus faible parmi les promus que parmi les salariés demeurant dans la catégorie. Les cadres de
2000 qui étaient professions intermédiaires en 1997 comptent moins de femmes que les professions
intermédiaires de 2000, les cadres de 2000 qui étaient en 1997 dans une catégorie différente (ni cadre
ni profession intermédiaire) comptent moins de femmes que les salariés toujours présents dans ces
catégories en 2000.
Des nuances doivent être toutefois apportées à ce constat : en détaillant un peu plus la catégorie
d’origine au sein du groupe des professions intermédiaires (tableau 5), on ne perçoit plus de relation
marquée entre la féminisation et une réduction des chances d’être cadre. Les professions
administratives et commerciales des entreprises, qui accueillent bien plus de femmes que les
techniciens et les contremaîtres ou agents de maîtrise, bénéficient de meilleures chances de promotion,
mais les professions intermédiaires de la fonction publique, de loin les plus féminisées, ne sont guère
avantagées.
278
Tableau 4 – Évolution de la position professionnelle et sexe, âge, niveau de formation
(actifs aux deux dates)
% femmes
% <40 ans
Niveaux
%
I et II
%
< à IV
CAD/CAD
34,8
25,8
63,6
8,9
CAD/PI
35,3
33,2
31,9
16,8
CAD/AUT
44,6
47,2
48,9
36,8
49,9
41,6
Total
48,1
39,3
10,0
33,1
1,6
78,5
9,7
62,0
PI
52,8
20,0
AUT
Lecture : parmi les cadres de mars 2000 qui étaient déjà cadres en mars 1997, on comptait 34,8 % de femmes, 25,8 % de
personnes de moins de 40 ans, 63,6 % de diplômés de niveau II ou I.
Tableau 5 – Devenir en 2000 des salariés de 1997 en fonction de l’âge et du sexe
Proportion de femmes et de jeunes (moins de 40 ans)
Cadre
PI de l’enseignement, la santé, la fonction publique
PI administratives et commerciales des entreprises
PI techniciens
PI contremaîtres, agents de maîtrise
Autre
Total
Effectif
1528
1201
652
476
335
11 292
15 484
% femmes % <40 ans
35,6
25,4
70,5
31,8
48,6
38,7
11,1
37,6
8,4
19,4
50,2
42,6
48,1
39,3
% cadres
86,4
7,9
12,0
8,6
5,4
1,7
11,3
Il faut tenir compte du fait que l’influence du genre se combine avec celle de l’âge, et cette
dernière variable n’agit pas de manière univoque. D’une part, il faut du temps pour être promu, ce qui
explique que les cadres comportent nettement moins de « jeunes » (moins de 40 ans) que les autres
catégories, et les membres des professions intermédiaires promus cadres moins que ceux qui n’ont pas
changé de catégorie (tableau 4). Mais la jeunesse est également un atout pour la mobilité ascendante,
qui varie au sein des diverses catégories de professions intermédiaires dans le même sens que la
proportion de personnes d’âge inférieur à 40 ans (tableau 5). Ainsi, le taux de promotion relativement
faible dans la fonction publique s’associe-t-il à une présence réduite de « jeunes ». De même, les
contremaîtres et agents de maîtrise, qui forment un groupe très masculin mais plutôt âgé, ne
parviennent que très rarement à la catégorie des cadres.
Le cas des promus qui ne viennent pas des professions intermédiaires semble quant à lui très
représentatif de la nécessité d’introduire des dimensions supplémentaires dans l’analyse.
On peut s’étonner, en effet, de trouver dans ce groupe à la fois une féminisation plutôt forte
(mais inférieure à celle des non-promus de même origine) et une proportion de jeunes d’autant plus
remarquable qu’elle dépasse celle des non-promus (tableau 4). En fait, ce n’est pas seulement par l’âge
que les promus se distinguent mais surtout par leur niveau de formation : plus de la moitié d’entre eux
possèdent au moins un diplôme de niveau bac+3, très rare au sein de leur groupe d’origine, un groupe,
il est vrai, très hétérogène puisqu’il peut inclure des ouvriers, des employés ou des indépendants3. Il
s’agit donc très probablement d’un flux de mobilité correspondant pour une bonne part au rattrapage
d’un déclassement en début de carrière pour des jeunes diplômé(e)s.
Bien que le contraste soit moins frappant que dans le cas précédent, les promus issus des
professions intermédiaires possèdent également un niveau de formation bien supérieur à celui des nonpromus de même origine.
Les variations de la part des autodidactes appellent des conclusions analogues aux précédentes.
La chute est beaucoup moins forte quand on compare les salariés des professions intermédiaires non
promus aux promus, que lorsqu’on compare les salariés des autres catégories restés hors du monde des
cadres à ceux qui l’ont rejoint.
3. Pour près de la moitié de ces promus, la position en 1997 n’a pas pu être retrouvée, les autres sont avant tout des employés
(secrétaires, comptables) et, dans une moindre mesure, des indépendants, plus rarement des ouvriers.
279
La figure traditionnelle du promu autodidacte ne semble en définitive guère correspondre à la
réalité des mobilités professionnelles ascendantes. Dans les deux groupes de promus, les autodidactes
demeurent très minoritaires (un sur cinq tout au plus), mais selon des configurations différentes : les
promus des professions intermédiaires ont plus d’une fois sur deux une formation située entre bac et
bac+2, ce qui est nettement moins fréquent chez les promus issus des autres catégories.
Tableau 6 – Évolution de la trajectoire professionnelle et taille de l’entreprise en 1997
< 50
50 à 999
1000 et +
Total
CAD/CAD
CAD/PI
CAD/AUT
PI
AUT
Total
36,1
21,6
42,2
100,0
32,3
28,4
39,2
100,0
48,7
15,8
35,5
100,0
32,2
27,3
40,5
100,0
48,6
22,3
29,1
100,0
43,6
23,4
33,0
100,0
Nouveau trait distinctif des promus qui ne viennent pas des professions intermédiaires, ils
travaillaient nettement plus souvent dans des grandes entreprises que les non-promus, alors que cette
différence n’apparaît pas entre promus et non-promus des professions intermédiaires.
2. La formation favorise-t-elle la mobilité professionnelle ascendante ?
L’accès à la formation continue au cours de la période comprise entre mars 1997 et mars 2000
se différencie nettement, à la fois selon les catégories d’origine et selon la trajectoire suivie.
Les cadres et les professions intermédiaires se forment plus souvent que les autres salariés. En
même temps, les promus se distinguent des autres salariés dans leur catégorie d’origine. Ainsi, les
salariés des professions intermédiaires devenus cadres sont pratiquement aussi nombreux à avoir suivi
une formation que ceux qui étaient déjà cadres. Par contre, les cadres issus d’une autre catégorie de
salariés bénéficient de moindres chances d’accès à la formation que les précédents, mais devancent de
loin les salariés qui ne sont pas devenus cadres.
On peut donc vérifier qu’il existe bien un lien entre le recours à la formation continue et le fait
de suivre une trajectoire professionnelle ascendante. Toutefois, la nature de ce lien n’est pas aisée à
déterminer. On sait que la formation ne garantit nullement une promotion (Podevin, 1999), elle tend à
fonctionner plutôt comme une condition nécessaire que comme une condition suffisante. On sait
également, et on peut le constater dans le cas présent, que les cadres sont le groupe qui dispose des
plus fortes chances d’accès à la formation. De ce fait, si le taux d’accès des promus est plus élevé que
celui des autres salariés de leur catégorie d’origine, cela peut signifier soit qu’étant devenus cadres, ils
rencontrent davantage d’opportunités, mais aussi d’obligations de suivre une formation qu’auparavant,
soit qu’ils ont suivi davantage de formations pour pouvoir être promus.
Tableau 7 – Évolution de la position professionnelle et accès à la formation selon les périodes
er
er
1 janvier 99 au 1 mars 2000
1er mars 98 au 31 décembre 1998
Entre la fin de vos études et fin
février 1998
CAD/CAD
55,8
41,1
CAD/PI
53,0
41,1
CAD/AUT
38,5
33,2
51,6
38,0
24,5
16,0
Total
33,1
23,1
90,1
89,6
69,9
85,3
62,3
69,7
PI
AUT
Lecture : 55,8 % des cadres de mars 2000 qui étaient déjà cadres en 1997 ont suivi au moins une formation entre
janvier 99 et mars 2000.
L’examen des périodes de formation distinguées dans le questionnaire permet d’apporter
quelques éléments de réponse. Au cours de la période comprise entre la fin de leurs études et fin
février 1998, les promus de notre échantillon n’étaient pas encore cadres. Cette période étant en
moyenne plus longue que les deux périodes plus récentes retenues dans le questionnaire, on ne
280
s’étonnera pas de voir le taux d’accès s’élever pour tous les groupes, mais on remarquera que la
structure des écarts reste identique aux autres périodes : les salariés des professions intermédiaires
promus cadres étaient déjà aussi nombreux à avoir suivi au moins une formation que ceux qui étaient
cadres en 1998 ou avant, les salariés des professions intermédiaires non promus restent à un niveau
plus élevé que les cadres ne provenant pas des professions intermédiaires, et ces derniers se
distinguaient déjà des autres salariés. En d’autres termes, les promus semblent bien avoir adopté un
comportement spécifique envers la formation avant qu’elle se réalise, et celui-ci apparaît bien comme
une conséquence de leur formation plutôt que comme un effet de leur accès au statut de cadre.
Le nombre de formations s’avère lui aussi révélateur : les promus ont bien manifesté un
« appétit de formation » bien supérieur aux non promus, ou ont bénéficié de bien plus d’opportunités
qu’eux.
Tableau 8 – Nombre de formations suivies entre la fin des études et fin février 1998
<2
2à9
10 et +
Total
CAD/CAD
17,8
33,6
48,6
100,0
CAD/PI
18,7
40,4
40,9
100,0
CAD/AUT
46,2
37,5
16,3
100,0
PI
AUT
25,6
41,5
32,9
100,0
58,8
32,4
8,8
100,0
Total
47,9
34,5
17,6
100,0
Les différenciations de l’appétit de formation se maintiennent dans les périodes plus récentes,
soit dans la plupart des cas, après l’accès éventuel à la catégorie des cadres, mais une tendance
significative semble apparaître. Après mars 1998, les écarts entre les salariés des professions
intermédiaires, promus ou non promus, et les cadres restent faibles, tandis que celui qui sépare les
promus des autres catégories des non-promus s’élargit. Le rapport de ces promus à la formation
s’aligne sur celui des autres cadres et des professions intermédiaires.
C’est du moins ce que suggère leur réponse à toute une série de questions rendant compte de
leur perception de la formation.
3. Perceptions de la formation
Ainsi, les cadres et les salariés des professions intermédiaires sont davantage informés de
l’existence d’un plan formation dans leur entreprise et le consultent plus souvent, ils pensent plus
souvent avoir droit au congé individuel de formation, et savent mieux que les autres salariés que leur
employeur est sujet à des obligations en matière de formation des salariés.
Sous tous ces aspects, les ouvriers et employés semblent moins informés de leurs droits ou
moins enclins à en faire usage. Ils ne sont par exemple que 26,5 % à consulter le plan de formation de
leur entreprise. Les salariés de ces catégories devenus cadres en 2000 se rapprochent dans leur réponse
des autres cadres, mais manifestent une plus grande distance qu’eux envers cet univers de la formation
(tableau 9).
Il faut toutefois nuancer ce constat, la configuration des écarts peut varier sensiblement lorsqu’il
est question de certains sujets relatifs à la formation, comme le fait d’avoir bénéficié d’un bilan de
compétences. Dans ce cas, qui concerne il est vrai des effectifs réduits, les cadres ne sont pas plus
fréquemment usagers du dispositif et les promus des professions intermédiaires ne le sont pas
davantage que les non-promus, mais le décalage peut s’expliquer par le fait que cette mesure est
souvent associée à la recherche d’emploi et les cadres et les promus des professions intermédiaires
sont moins exposés au chômage que les autres salariés (tableau 10).
281
Tableau 9 – Perception de la formation selon l’itinéraire professionnel (réponses oui seulement)
Existence d’un plan formation
Consultation du plan formation
Droit à un CIF
L’employeur est-il obligé de
former ses salariés ?
Les autres salariés suivent-ils
des formations ?
CAD/CAD
79,9
65,4
61,8
86,7
CAD/PI
78,2
64,8
66,7
87,5
CAD/AUT
55,0
37,9
42,1
82,1
PI
AUT
74,7
57,9
58,2
87,1
48,5
26,5
38,5
76,5
Total
58
38,1
45,7
80,2
81,5
80,1
60,0
75,2
48,3
58,2
Lecture : 79,9 % des salariés qui étaient déjà cadres en 1997 répondent oui à la question : « Selon vous, existe-t-il un
plan de formation ou un document présentant les formations dans votre entreprise ? ». Pour la question « Dans votre
entreprise [..], les autres salariés suivent-ils des formations ? », la modalité retenue ici est « oui, quel que soit leur
niveau de qualification ».
Tableau 10 – « Avez vous bénéficié d’un bilan de compétences au cours des 14 derniers mois ? »
Oui
Non
Total
CAD/CAD
5,6
94,4
100,0
CAD/PI
4,7
95,3
100,0
CAD/AUT
6,2
93,8
100,0
PI
AUT
6,4
93,5
100,0
3,7
96,3
100,0
Total
4,4
95,5
100,0
Le décalage en matière d’appétence envers la formation se trouve confirmé avec la réponse aux
questions relatives au fait d’avoir suivi des formations sous la contrainte de l’employeur et à
l’existence de besoins ou envies de formation non satisfaits (tableau 11). Les ouvriers et employés se
distinguent des autres groupes en déclarant plus fréquemment que toutes les formations qu’ils ont
suivies au cours des 14 mois précédant l’enquête ont été imposées par l’employeur. Réciproquement,
ils font moins souvent part d’un besoin ou d’une envie de formation non satisfaits. Les promus issus
de ce groupe manifestent beaucoup moins de sentiments de contrainte et davantage de frustrations
envers la formation.
Le sentiment de contrainte est par ailleurs nettement moins répandu chez les promus des
professions intermédiaires que chez les non-promus de la même catégorie. On peut donc penser que la
formation est matière à tension dans les relations entre employeurs et salariés, et ces tensions vont en
décroissant lorsqu’on passe des ouvriers et employés aux cadres et professions intermédiaires, les
ouvriers et employés promus tenant là aussi une position intermédiaire.
Tableau 11 – Appétence envers la formation et trajectoire professionnelle
CAD/CAD
CAD/PI
CAD/AUT
PI
« Au cours des 14 derniers mois :
Votre employeur vous a-t-il imposé les formations que vous avez suivies ?
Oui toutes
16,2
16,2
18,0
26,4
Oui certaines
13,7
12,0
14,8
15,0
Avez-vous eu un besoin ou une envie de formation non satisfait ?
Oui
28,9
30,6
26,7
30,7
AUT
Total
36,0
10,2
29,1
12,4
19,2
22,6
4. Pratiques et effets de la formation
L’étude des conditions de déroulement de la formation permet d’appréhender avec plus de
précision la différenciation des rapports à la formation.
Les formations décrites s’inscrivent la plupart du temps au sein du plan de formation de
l’entreprise, mais on retrouve, comme à propos de l’information et de la consultation du plan, un
décalage entre le bloc formé par les cadres et professions intermédiaires et les autres salariés. Les
ouvriers et employés sont moins souvent financés par le plan formation et plus souvent soit par euxmêmes, soit par des aides de l’État, de l’ANPE, des collectivités locales destinées aux chômeurs.
282
Tableau 12 – Conditions de formation (entre mars et décembre 98) et trajectoire professionnelle*
CAD/CAD
Quel a été le financeur principal ?**
Employeur, plan formation
État, ANPE
Région, département,
commune
Vous-même
Mode de certification
Concours, examen, diplôme,
Titre homologué
CQF de branche, Q convention
Collective, autre certif. Prof.
Rien
Avez-vous obtenu le diplôme ou la
qualification visés ?
Oui (en totalité ou en partie)
Non (échec ou ne s’est pas
présenté)
CAD/PI
CAD/AUT
PI
Total
AUT
71,2
5,0
0,9
73,7
4,2
1,1
52,5
11,5
9,8
74,7
7,0
2,1
63,3
11,0
6,6
68,4
8,4
4,1
15,6
12,6
24,6
11,1
11,5
12,3
3,6
7,4
11,5
6,3
9,3
7,4
2,9
5,3
13,1
6,5
12,6
9,0
93,3
87,4
75,4
87,1
78,1
83,6
82,1
18,0
84,6
15,4
70,6
29,4
83,9
16,1
80,0
20,0
81,0
19,0
* La consigne était de décrire la formation qui a commencé le plus tôt entre mars et décembre 1998, quelqu’en soien²t le
contenu et la forme.
** Le total est inférieur à 100 car certaines modalités très dispersées n’ont pas été prises en compte (association, club,
fournisseur, gratuit, etc.).
La situation la plus remarquable est certainement celle des promus de cette catégorie, non
seulement parce qu’ils ont eu bien souvent à financer eux-mêmes leur formation, mais aussi parce
qu’ils semblent viser plus souvent que les autres une formation sanctionnée par un diplôme, un
examen ou une certification professionnelle. En bref, des formations qui semblent les plus proches du
modèle traditionnel de la « promotion sociale » entreprise à l’initiative de l’individu et qui s’avèrent
plus difficiles à réussir au sens de décrocher le diplôme ou la certification visés.
Tableau 13 – Conditions de formation (entre mars et décembre 98) et trajectoire professionnelle
CAD/CAD
CAD/PI
CAD/AUT
Pour vous, quel a été le principal résultat de cette formation?
Adaptation à votre emploi
81,5
74,7
55,7
Un nouvel emploi
0,9
8,4
6,6
Un diplôme ou qualif reconnue
2,8
5,3
9,8
Autre (non professionnel)
7,8
10,5
18,0
Pas de résultat particulier
7,0
1,1
9,8
Votre rémunération a-t-elle augmenté à l’issue de la formation ?
Oui
0,7
7,5
8,3
PI
Total
AUT
72,1
5,4
4,6
10,6
7,2
61,0
6,7
7,8
11,0
13,6
68,0
5,4
6,0
10,5
10,1
4,9
5,4
4,6
Alors que pour la plupart des salariés, et plus particulièrement pour les cadres pour lesquels elle
tend à devenir une routine dans le cadre du travail, la formation n’a pas d’autre effet que d’améliorer
leur adaptation à l’emploi, elle s’avère au contraire utile à d’autres fins pour une part non négligeable
d’entre eux. Il s’agit parfois d’un bénéfice non professionnel, comme l’acquisition de connaissances
culturelles, artistiques ou scientifiques, ou encore de l’accès à un diplôme ou une qualification
reconnue. Sous ces deux aspects, ce sont bien les anciens ouvriers ou employés promus cadres qui
semblent avoir tiré le plus de profit de leur formation. Les deux catégories de promus, anciens salariés
des professions intermédiaires et anciens ouvriers ou employés, déclarent plus souvent des résultats
que les salariés de même origine non promus. Si elle n’est que rarement à l’origine de l’accès à un
nouvel emploi, la formation a tout de même permis une augmentation de salaire dans un nombre non
négligeable de cas, particulièrement visibles chez les promus.
283
Tableau 14 – Salaire au moment de l’enquête selon la trajectoire professionnelle
CAD/CAD
16 937
CAD/PI
12 993
CAD/AUT
11 657
PI
AUT
10 826
7 639
On notera d’ailleurs que les différences de salaire au moment de l’enquête sont tout à fait
significatives entre les promus et les salariés non promus de même origine. L’écart est
particulièrement fort, là aussi, parmi les ouvriers et employés : lorsqu’ils ont été promus, leur salaire
n’égale certes pas celui des cadres, mais s’en rapproche beaucoup plus que des autres salariés de leur
catégorie d’origine.
5. Impact des caractéristiques individuelles sur la promotion à un emploi de cadre
en 2000
Afin de mieux cerner les effets spécifiques des variables prises en compte dans l’analyse, nous
avons d’une part tenté d’estimer l’impact individuel de certaines modalités. Certaines des variables
retenues décrivent des caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, situation familiale, nombre
d’enfants, niveau de formation initiale), d’autres font référence à l’emploi occupé en 1997 (catégorie
socioprofessionnelle, ancienneté dans l’entreprise, taille de l’entreprise et secteur d’activité), d’autres,
enfin renvoient à la formation, souvent sous la forme d’indices ou scores agrégeant des modalités de
diverses variables. Ont ainsi été retenues pour résumer la formation les variables suivantes :
– avoir suivi ou non une formation en P1 ou P2 (après mars 98) ;
– avoir ou non suivi une formation avant 98 ;
– score d’attitude envers la formation (faible, moyen, fort). Ces modalités résultent d’un calcul qui
intègre des éléments liés à la perception de la formation (Questions F1a, F1b, F2, F7a, F7b). Le
score est d’autant plus élevé que les droits des salariés et les enjeux de la formation sont perçus de
manière précise par le répondant.
– score d’appétence envers la formation : faible, moyen, fort en fonction des réponses aux questions
F3a et F8. Un score élevé est réputé signifier que le répondant manifeste une propension à saisir
les opportunités de formation qui lui sont offertes.
Dans un second temps, nous avons soumis l’analyse à un modèle de régression logistique (de
type logit) qui permet de mesurer l’effet propre ou toutes choses égales par ailleurs de chaque modalité
en comparaison d’une situation de référence choisie à l’avance.
Mis à part le cas de certaines modalités non significatives 4, l’impact individuel des modalités
fait ressortir quelques-unes des propriétés qui semblent déterminantes pour connaître les chances
d’accès à un emploi de cadre. Ainsi, un profil du candidat gagnant à la promotion commence à se
dessiner : les chances sont plus fortes pour les hommes de moins de 35 ans, sans enfants, diplômés de
niveau III en formation initiale et appartenant en 1997 aux professions intermédiaires, de préférence
dans les métiers de la finance ou du service aux entreprises.
Le rapport à la formation n’est nullement indifférent : un score faible d’attitude envers la
formation, indice d’une image vague et lointaine de celle-ci, s’associe à des chances de promotion très
inférieures à la moyenne alors qu’un score fort va de pair avec une augmentation significative des
chances, de même que le fait d’avoir effectivement suivi des formations, surtout après 1998. À la
faible appétence pour la formation correspond un bas odd-ratio, alors que l’appétence forte semble
faire monter fortement les espérances de promotion.
4. Ces modalités non significatives sont les suivantes (tableau 15) : plus de 40 ans, vivant en cohabitation ou pas, avoir un
enfant ou plusieurs, un emploi de la CSP « autres » en 97, l’ancienneté, la taille 500 à 1 000 salariés et plus de 1 000, le score
moyen d’attitude envers la formation.
284
Tableau 15 – Impact individuel de chaque modalité sur la promotion à un emploi de cadre en 2000
Modalités
Odd-ratio*
Femmes
Moins de 30 ans
30 à 35 ans
De 35 à 40 ans
Plus de 40 ans
Niveau III
Niveau IV
Niveau V
Niveau Vbis et VI
Vie en couple : Non
0 enfant
1 enfant
2 enfants
3 et plus
PI en 97
Employé en 97
Ouvrier en 97
Autre
Ancienneté : 3 ans ou moins
4 à 7 ans
8 à 11 ans
12 ans et plus
Taille :Moins de 100 salariés
100-500
500-1 000
Plus de 1 000
Biens équip., biens interm., énergie
Commerce, Transports, Services particuliers
Finance, Immobilier,
Services entreprises
Administration publique et éducation
Autre
A suivi une formation en P3 : Oui
A suivi une formation en P1 ou P2
Attitude vis-à-vis de la formation : score faible
Moyen
Fort
Appétence faible moyenne
Moyenne
Forte
0,67
1,38
1,2
0,68
0,93 (N.S)
9
1,27
0,2
0,26
1,1 (N.S)
1,4
0,89 (N.S)
0,8 (N.S)
0,86 (N.S)
7,1
0,33
0,06
1,03 (N.S)
0,96 (N.S)
1 (N.S)
0,8 (N.S)
1,1 (N.S)
0,69
0,75
1,19 (N.S)
1,12 (N.S)
0,67
0,75
2,8
2
1,2
0,6
2,1
2,4
0,35
0,9 (N.S)
2,2
0,4
2
2
Taux de promus
(2,9 % en moyenne)
2,36 %
3,9 %
3,48 %
2,1 %
2,9 %
11 %
3,6 %
0,9 %
1,07 %
3,29 %
3,7 %
2,7 %
2,52 %
2,6 %
8,7 %
1,26 %
0,26 %
3,03 %
2,87 %
2,95 %
2,54 %
3,1 %
2,4 %
2,3 %
3,3 %
3,2 %
2%
2,3 %
7,4 %
5,4 %
3,3 %
2%
3,5 %
4,5 %
1,4 %
2,8 %
4,5 %
2%
4,6 %
5,5 %
* Lire ainsi : Lorsque la modalité de l’analyse conduit à un taux de promus plus faible que le taux
moyen, le rapport de probabilité ou odd-ratio est inférieur à 1. Par exemple, le fait de considérer une
femme promue et un homme non promu est 0,67 fois plus fréquent que les deux évènements contraires.
À l’inverse, le fait d’avoir un PI en 97 promu en 2000 et un non PI non promu est 8,7 fois plus fréquent
que les deux évènements contraires. On peut vérifier que le taux de promus parmi les PI en 97 est bien
supérieur au taux moyen.
Il reste cependant difficile de distinguer les effets conjoints de certaines modalités, c’est
pourquoi nous avons soumis l’analyse à un modèle de régression logistique. Cette fois, les modalités
ayant un impact positif ou négatif par rapport à la situation de référence peuvent être situées plus
précisément (tableau 16). Il se confirme que, selon la formule consacrée « toutes choses égales par
ailleurs », c’est au voisinage des cadres, c’est-à-dire parmi les professions intermédiaires qu’on trouve
le plus de « futurs cadres », surtout s’ils n’ont pas d’enfants, et que les secteurs de la finance,
l’immobilier, les services aux entreprises sont les plus favorables à la promotion.
285
Tableau 16 – Effet propre des modalités
Modalité de référence
Modalité active
Constante
Hommes
35 à 40 ans
Femmes
Coefficient
dans le modèle
- 4,185
- 0,85 ***
0,42
Probabilité
estimée
1,6 %
0,7 %
2,1 %
Odd-ratio
Moins de 30 ans
30 à 35 ans
Plus de 40 ans
0,27 N.S
0,16 N.S
0,31 *
1,32
1,18
2,04
Niveau III
Niveau V
Niveau Vbis et VI
Non
1,14 ***
- 1,0 ***
- 0,64 ***
- 0,1 N.S
3,1
0,36
0,5
0,9
4,9 %
0,6 %
0,8 %
0 enfant
1 enfant
3 enfants et plus
0, 42 ***
0,19 N.S
0,21 N.S
1,52
1,2
1,23
2,4 %
PI
en 97
Ouvrier en 97
Autre
1,25 ***
- 1,44 ***
0,59 **
3,5
0,23
1,8
5,4 %
0,4 %
2,9%
3 ans ou moins
4 à 7 ans
12 ans et plus
- 0,05 N.S
0,16 N.S
0,21 N.S
0,95
1,17
1,24
Moins de 100
500- 1000
Plus de 1000
- 0,3 *
- 0,44 N.S
- 0,4 **
0,7
0,64
0,66
Biens équip., biens
interm., énergie
Commerce, Transports,
Services particuliers
Finance, Immobilier
Services entreprises,
Autres
Non
Non
0,17 N.S
1,19
0,83 ***
2,3
3,6 %
1,47 ***
1,12 ***
0,55 *
- 0,03 N.S
0,02 N.S
4,4
3,1
1,7
0,95
1,02
6,6 %
4,9%
2,8%
Faible
Fort
- 0,77 ***
0,04 N.S
0,46
1,04
0,7 %
Faible
Forte
- 0,29 ***
- 0,27 N.S
0,74
0,76
1,2%
Niveau IV
Vie en couple : Oui
2 enfants
Employé en 97
Ancienneté en 97 : 8 à 11 ans
Taille entreprise en 97 :
De 100 à 500 salariés
1,2 %
1%
97 Administration publique
et éducation
NAF
A suivi une formation en P3 : Oui
A suivi une formation en P1 ou P2
Attitude vis-à-vis de la formation :
score moyen
Appétence moyenne
Lecture : *** : seuil de significativité inférieur à 0,01 ; ** seuil compris entre 0,01 et 0,05 ; * seuil compris entre 0,05 et 0,1.
On part de la situation de référence suivante : homme, âgé de 35 à 40 ans, de niveau IV, vivant en couple, avec 2 enfants,
employé en 97, avec une ancienneté de 8 à 11 ans, dans une entreprise de 50 à 100 salariés, dans le secteur santé et éducation,
n’ayant pas suivi de formation et ayant des scores d’attitude et d’appétence moyen. Par un modèle de régression logistique on
estime les chances de promotion pour une personne dans cette situation à 1,6 %. Une personne présentant toutes les
caractéristiques de la situation de référence mais qui serait PI en 97 plutôt qu’employé en 97 aurait 5,4 % de chance d’être
promu.
286
Un niveau de formation initiale supérieur au bac exerce lui aussi un rôle significatif. Par contre,
certaines modalités ont un impact négatif. Les chances des femmes sont nettement inférieures à celles
des hommes, ce qui rejoint les constats récents d’autres collègues ayant exploité les mêmes données :
« Le calendrier de la vie professionnelle, indifférent à la transformation de la population active, reste
dominé par le modèle professionnel traditionnel. Riche en promotions et en formations entre 25 et
40 ans, il suppose que l’individu soucieux de progresser professionnellement, ou pour le moins ne pas
régresser, se montre disponible au cours de ces précieuses années pendant lesquelles les avancées
professionnelles vont prendre leur impulsion puis se réaliser » (Fournier, 2001, p. 4). De même, il
n’est pas étonnant de constater que les chances des ouvriers sont moins grandes que celles des
employés, le constat des inégalités devant la formation professionnelle a pu être fait depuis longtemps
et confirmé à de multiples reprises (Dubar, 2001).
En définitive, et tel sera peut-être le résultat le plus marquant, le fait d’avoir suivi ou non une
formation n’apparaît pas par lui-même bien discriminant, quelle que soit la période. C’est surtout de
manière négative qu’on peut lire les effets du rapport à la formation. Se sentir concerné, être bien
informé, manifester son désir de suivre des formations, etc., tout cela ne semble guère fonctionner
comme une condition suffisante pour connaître une promotion, mais cela s’avère certainement
nécessaire, comme l’indique l’impact négatif des scores faibles d’attitude ou d’appétence envers la
formation.
En somme, la formation intervient pour éliminer de la course à la promotion ceux qui n’en usent
pas suffisamment, mais ne garantit pas aux autres le succès.
Charles Gadea, Danièle Trancart
GRIS-CA Céreq de Rouen
Département de sociologie
Rue Lavoisier
76130 Mont Saint Aignan
Tél : 02 35 14 64 28 ; fax : 02 35 14 61 04
[email protected]
[email protected]
Bibliographie
Bouffartigue P, Gadea C. (2000), Sociologie des cadres, Paris, La Découverte, coll. Repères.
Dubar C. (2001), La formation professionnelle continue, Paris, La Découverte, coll. Repères.
Fournier C. (2001), Hommes et femmes salariés face à la formation continue, BREF Céreq, n° 179,
octobre.
Podevin G. (1999), Formation-Promotion sociale et professionnelle : un lien démocratique rompu ?
In : C. Dubar et C. Gadea (eds) La promotion sociale en France, Lille, Presses Universitaires du
Septentrion, pp. 213-226.
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