Trad propre Ecclesiaste

Transcription

Trad propre Ecclesiaste
Traduction inédite de l’Ecclésiaste
Au second semestre 2012, une fois achevée la traduction des Notae in
programma
quoddam
de
Descartes
commencée
l’an
dernier
(http://www.caphi.univ-nantes.fr/Traduction-inedite-du-texte-latin), la suite du
cours de latin pour non débutants a été consacrée à traduire l’Ecclésiaste dans le
texte qu’en donne la Vulgate (= la version latine de la Bible procurée par saint
Jérôme au IVe siècle après JC).
Dans la mesure où elle ne se réfère pas au texte hébreu, cette traduction ne
prétend pas avoir la scientificité de celles que proposent les éditions modernes
de la Bible. Elle s’efforce en revanche de restituer aussi fidèlement que possible
le « génie » propre du texte de la Vulgate dont l’importance « culturelle » ne
saurait être sous-estimée, puisque c’est dans cette version que la Bible a
longtemps été lue, puis traduite, en Occident.
Pour une présentation de ce texte, voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ecclésiaste
Étudiants ayant participé à la traduction : Valeria Castagnini, Angela Ferraro,
Anne Woisson, Vincent Gémin, Pierre Guignard, Samy Rupin.
Professeur : Denis Moreau (à qui vous pouvez envoyer vos remarques et
suggestions de corrections).
1
L’Ecclésiaste
1 Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David, roi à Jérusalem
Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, et tout est vanité.
Quel avantage l’homme tire-t-il de s’efforcer à tant d’efforts sous le soleil ?
Une génération passe, une autre arrive, tandis que la terre demeure éternellement.
Le soleil se lève et se couche, et s’en retourne à sa place ; et de là, renaissant, il file
vers le midi et tournoie vers le nord.
Tournoyant de toute part, le vent va et rattrape ses tourbillons.
Tous les fleuves se mêlent à la mer, et la mer ne déborde pas; au lieu d’où ils naissent,
les fleuves s’en retournent, pour s’en écouler encore.
Toutes choses sont difficiles ; l’homme ne peut les expliquer par des paroles.
Voir ne rassasie pas l’œil, entendre ne comble pas l’oreille.
Qu’est-ce qui a été ? Cela même qui sera.
Qu’est-ce qui s’est fait ? Cela même qui se fera.
Rien de nouveau sous le soleil, et personne ne peut dire : voilà une chose nouvelle, car
elle nous a devancés dans les siècles antérieurs.
Nous ne gardons pas en mémoire les choses passées, et ceux qui viendront les derniers
n’auront pas davantage de souvenir des choses à venir.
Moi, l’Ecclésiaste, j’ai été roi d’Israël à Jérusalem ; et j’ai forgé en moi le projet de
chercher et d’examiner avec sagesse tout ce qui advient sous le soleil.
C’est une bien triste occupation que Dieu a donnée aux enfants des hommes, pour les
tenir occupés.
J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil, et voilà : tout est vanité et affliction pour
l’esprit.
Il est difficile de réformer les méchants, et les sots sont en nombre infini.
J’ai parlé en mon cœur, et dit : voilà, je suis devenu grand, et j’ai surpassé en sagesse
tous ceux qui m’ont précédé à Jérusalem ; et mon esprit a sagement contemplé de
nombreuses choses, et j’ai appris.
J’ai voué mon cœur à la connaissance de la prudence et de la science, des erreurs et la
sottise ; et j’ai reconnu qu’en elles aussi se trouvaient la peine et l’affliction pour
l’esprit ; car, dans beaucoup de sagesse, on trouve beaucoup d’indignation, et qui
augmente le savoir augmente aussi la peine.
2 Moi, j’ai dit en mon cœur : vas-y, abandonne-toi aux délices, et profite des biens ; et
j’ai vu que cela aussi était vanité.
J’ai tenu le rire pour erroné, et j’ai dit à la joie : pourquoi m’abuses-tu en vain ?
J’ai résolu en mon cœur de priver ma chair de vin, pour porter mon âme à la sagesse,
et échapper à la sottise, jusqu’à ce que je voie ce qui est utile aux enfants des hommes,
et ce qu’ils ont à faire sous le soleil des nombreux jours de leur vie.
J’ai tiré gloire de mes œuvres, je me suis construit des demeures, et j’ai planté des
2
vignes ; j’ai fait des jardins et des vergers, et j’y ai planté toutes sortes d’arbres ; et je
me suis construit des bassins pour arroser une forêt de jeunes arbres.
J’ai possédé des domestiques et des servantes, une maisonnée nombreuse ; du bétail
aussi, des troupeaux de moutons, plus que tous ceux qui ont été avant moi à
Jérusalem ; j’ai amassé or et argent, et les biens des rois et des provinces ; je me suis
entouré de chanteurs et de chanteuses, et des délices des enfants des hommes, de
coupes et de vases pour verser le vin ; et j’ai surpassé en richesses tous ceux qui ont
été avant moi à Jérusalem ; et la sagesse aussi est demeurée à mes côtés.
Et je n’ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu’ils ont désiré, je n’ai pas non plus
interdit à mon cœur de profiter d’aucune volupté, et de prendre du plaisir dans ce que
j’avais préparé ; et j’ai cru que c’était là ma part, de jouir ainsi de mon travail.
Et lorsque je me suis tourné vers toutes les œuvres réalisées de mes mains, et les
travaux dans lesquels j’avais peiné en vain, j’ai vu en tout cela vanité et affliction de
l’esprit, et rien ne demeure sous le soleil
Je suis passé à la contemplation de la sagesse, des erreurs et de la sottise (qu’est ce
qu’un homme, dis-je, pour suivre le roi qui l’a créé ?)
Et j’ai vu qu’il y a autant de supériorité de la sagesse sur la sottise que de différence
entre la lumière et les ténèbres.
Les yeux du sage sont dans sa tête ; le sot marche dans les ténèbres ; et j’ai appris que
l’un comme l’autre périssent. Et j’ai dit en mon cœur : si mon sort et celui du sot
doivent être identiques, à quoi me sert-il de m’être davantage adonné à une œuvre de
sagesse ?
Et je me suis entretenu avec mon esprit, et j’ai reconnu que cela aussi était vanité.
Car le souvenir du sage, comme celui du sot, ne durera pas, et les temps à venir
enseveliront tout également dans l’oubli : le savant meurt comme l’ignorant.
Et c’est pourquoi ma vie m’est devenue ennuyeuse, en voyant que tout est mauvais
sous le soleil, et que toutes choses sont vanités et affliction de l’esprit.
Et en retour, je me suis détourné de tout ce travail auquel je m’étais tant appliqué sous
le soleil, et que je laisserai après moi à mon héritier, dont j’ignore s’il sera sage ou sot,
et qui sera maître de ces œuvres où j’ai peiné et me suis appliqué : et y a-t-il rien de si
vain ?
C’est pourquoi j’ai abandonné, et mon cœur a renoncé à travailler plus avant sous le
soleil.
Car lorsqu’un homme a cultivé la sagesse, la science et l’attention, il laisse ce qu’il a
trouvé à un oisif ; et cela est donc vanité, et un grand mal.
Car que retirera l’homme de tout son travail, et de l’affliction de l’esprit par laquelle il
s’est tourmenté sous le soleil ?
Tous ses jours sont pleins de douleur et d’amertume, et son esprit ne se repose pas la
nuit. Et cela n’est-il pas vanité ?
N’est-il pas meilleur de boire et de manger, et de montrer à son âme les biens de ses
travaux ; et cela vient de la main de Dieu. Qui autant que moi dévorera ces délices et
en sera comblé ?
Dieu a donné à l’homme qui lui plaît la sagesse, et la science, et la joie : et il a donné
au pécheur l’affliction et le souci superflu afin qu’il ajoute, qu’il amasse, et qu’il
transmette à celui qui plaît à Dieu ; mais cela aussi est vanité, et un vain tourment de
l’esprit chimérique.
3
3 Il y a un temps pour tout, et sous le ciel, toutes choses font leur temps.
Un temps pour naître et un temps pour mourir ; un temps pour planter et un temps pour
arracher ce qu’on a planté.
Un temps pour tuer et un temps pour guérir ; un temps pour détruire et un temps pour
bâtir.
Un temps pour pleurer et un temps pour rire ; un temps pour se frapper la poitrine et un
autre pour sauter de joie.
Un temps pour jeter des pierres et un temps pour les ramasser, un temps pour
embrasser et un temps pour s’éloigner des embrassades.
Un temps pour acquérir et un temps pour perdre ; un temps pour garder et un temps
pour rejeter.
Un temps pour déchirer et un temps pour recoudre, un temps pour se taire et un temps
pour parler.
Un temps d’amour et un temps de haine, un temps de guerre et un temps de paix.
L’homme, que retire-t-il de plus de son travail ? J’ai vu l’affliction que Dieu a donnée
aux enfants des hommes, de sorte qu’ils en soient tourmentés.
Tout ce qu’il a fait est bon en son temps, et il a livré le monde à leurs disputes, de sorte
que l’homme ne rencontre pas l’œuvre que Dieu a façonnée du commencement
jusqu’à la fin.
Et j’ai connu qu’il n’y avait rien de meilleur que de se réjouir, et de bien faire durant
sa vie ; en effet, tout homme qui mange et qui boit et qui voit le bien de son travail,
cela est un don de Dieu.
J’ai appris que toutes les œuvres faites par Dieu demeureront pour toujours : les choses
que Dieu a faites pour être craint, nous ne pouvons rien leur ajouter ni leur ôter.
Ce qui a été demeure identique ; ce qui sera a déjà été ; et Dieu renouvelle ce qui est
passé.
J’ai vu sous le soleil au lieu du jugement l’impiété, et au lieu de la justice l’iniquité; et
j’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et l’impie, et alors viendra le temps de toute
chose.
J’ai dit en mon cœur au sujet des enfants des hommes que Dieu les met à l’épreuve et
donne à voir qu’ils sont semblables aux bêtes.
C’est pourquoi il y a un identique trépas pour l’homme et les chevaux, et leurs
conditions sont égales. De même que l’homme meurt, eux aussi.
Ils respirent tous de la même manière, et l’homme n’a rien de plus que le cheval :
toutes choses sont soumises à la vanité et tendent vers un même lieu.
Elles sont tirées de la terre, et toutes elles y retournent.
Qui sait si l’esprit des enfants d’Adam monte, et si celui des chevaux descend ?
Et j’ai reconnu qu’il n’y a rien de meilleur pour l’homme que de se réjouir dans son
travail, et c’est là son lot.
En effet, qui le conduira à connaître ce qui arrivera après lui ?
4 Je me suis tourné vers les autres choses, et j’ai vu les oppressions qui adviennent
sous le soleil, et les larmes des innocents, et personne pour les consoler, et leur
impuissance à résister à la violence, et leur abandon du secours de tous, et j’ai estimé
4
davantage les morts que les vivants ; et j’ai jugé plus heureux que les uns et les autres
celui qui n’est pas encore né, et n’a pas vu les maux qui se font sous le soleil.
J’ai contemplé en retour tous les travaux des hommes, et j’ai reconnu que leurs
activités subissent la jalousie du prochain ; et en cela donc il y a vanité et inquiétude
inutile.
Le sot se tourne les pouces, et se nourrit de sa propre chair en disant : mieux vaut
remplir une poignée sans effort que les deux mains avec travail et affliction de l’esprit.
Considérant le monde, j’ai encore découvert une autre vanité sous le soleil.
Tel est seul, il n’a pas de compagnon, pas de fils, pas de frère, et pourtant il ne cesse
de travailler, et ses yeux ne sont pas rassasiés par les richesses ; et il ne songe pas à
dire : pour qui est-ce que je travaille, et frustre mon âme en cherchant des biens ?
C’est là encore une vanité, et une très grande affliction.
Il est donc meilleur d’être deux ensemble que seul : car ces deux-là tirent avantage de
leur société.
Si l’un vient à tomber, l’autre le soutiendra.
Malheur au solitaire, car lorsqu’il sera tombé, il n’aura personne pour le relever.
Et si les deux dorment ensemble, ils se réchaufferont l’un l’autre ; mais le solitaire,
comment se chauffera-t-il ?
Et si quelqu’un l’emporte sur un des deux, ils lui résisteront ; une corde triple se rompt
difficilement.
Mieux vaut un enfant pauvre et sage qu’un roi sénile et sot, qui ne sait prévoir l’avenir.
Parfois, quelqu’un sort des prisons et des chaînes pour régner ; et tel autre, né roi,
verse dans le dénuement.
J’ai vu tous les vivants qui déambulent sous le soleil avec un second jeune homme,
celui qui surgira à la place de l’autre.
Ceux qui ont été avant lui sont des peuples en nombre infini, et ceux qui seront après
lui ne se réjouiront pas en lui ; et cela aussi est vanité, et affliction pour l’esprit.
En entrant dans la maison de Dieu, prends garde à ton pied, et approche pour écouter.
Car l’obéissance vaut bien mieux que les sacrifices des sots, qui ne savent pas ce qu’ils
font de mal.
5 Ne parle pas à la légère, et que ton cœur ne se hâte pas de proférer une parole devant
Dieu
Car Dieu est au ciel, et toi sur la terre ; pour cette raison, parle peu.
Des soucis multiples engendrent des songes, et la sottise se trouve dans l’abondance
des paroles.
Si tu as fait un vœu à Dieu, ne tarde pas à t’en acquitter : car la promesse infidèle et
sotte lui déplaît, accomplis donc tous tes vœux : et il est bien meilleur de ne pas faire
de vœux que de manquer à sa promesse sans les accomplir.
Ne laisse pas ta bouche conduire ta chair au péché, et ne dis pas devant l’ange : ‘la
providence n’existe pas’, de peur que Dieu, irrité contre tes paroles, ne ruine toute
l’œuvre de tes mains
Là où les songes sont nombreux, les vanités sont multiples, et les paroles
innombrables ; quant à toi, crains Dieu.
Si tu vois l’oppression des pauvres, les jugements violents, et la justice renversée dans
5
l’Etat, n’en sois pas surpris : car celui qui est élevé trouve toujours plus élevé que lui,
et au-dessus d’eux, d’autres sont encore supérieurs ; et de plus, un roi commande à
tout le pays qui lui est assujetti.
L’avare ne sera pas rassasié d’argent, et celui qui aime les richesses n’en retirera pas le
fruit ; et cela est donc vanité.
Là où les richesses, nombreux sont ceux qui s’en repaissent.
Et en quoi cela sert-il celui qui les possède, sinon qu’il contemple de ses propres yeux
des richesses ?
Doux est le sommeil du travailleur, qu’il soit ou non repu ; quant à la satiété du riche,
elle ne le laisse pas dormir.
Il y a encore une autre terrible maladie que j’ai vue sous le soleil : des richesses
conservées pour le malheur de leur maître.
En effet, elles périssent dans une terrible affliction : et le fils qu’il a engendré se
retrouvera dans un complet dénuement.
Comme il est sorti du ventre de sa mère, nu, ainsi retournera-t-il, et il n’emportera rien
avec lui de son labeur.
C’est une maladie bien malheureuse : comme il est venu, ainsi retournera-t-il.
À quoi cela lui sert-il d’avoir travaillé dans le vent ? Tous les jours de sa vie, il s’est
repu dans les ténèbres, et dans de nombreux soucis, dans l’amertume et la tristesse.
C’est pourquoi il me semble bon que quelqu’un mange et boive et qu’il savoure la joie
du travail qu’il s’est efforcé d’accomplir sous le soleil pendant le nombre de jours de
vie que Dieu lui a accordé ; et c’est là son lot.
Et pour tout homme à qui Dieu a donné des richesses et du bien, et attribué le pouvoir
de s’en repaître, et de jouir de son lot, et de se réjouir de son labeur : cela, c’est un don
de Dieu.
Car il ne se souviendra pas assez des jours de sa vie, parce que Dieu occupe son cœur
de délices.
[...]
12 Souviens-toi de ton créateur aux jours de ta jeunesse, avant que vienne le temps de
l’affliction, et qu’approchent les années dont tu diras : elles me déplaisent ; avant que
s’assombrissent le soleil, le jour, la lune et les étoiles, et que les nuages s’en reviennent
après la pluie, lorsque les gardiens de la maison trembleront, que les hommes les plus
vigoureux chancelleront, que celles qui meulent cesseront leur activité et verront leur
nombre se réduire, que ceux qui regardent par les fenêtres s’obscurciront, quand les
portes se fermeront sur la rue, quand la voix de la meule s’affaiblira ; et qu’on se
lèvera au chant de l’oiseau, que toutes les filles chantantes deviendront sourdes, et que
l’on craindra aussi les montées et qu’on aura peur en chemin.
L’amandier fleurira, la sauterelle s’engraissera, les câpres se disperseront, puisque
l’homme s’en ira dans la demeure de son éternité, et qu’on marchera en pleurant dans
les rues.
Avant que la chaîne d’argent soit rompue, que le ruban doré se retire, que la cruche se
casse sur la fontaine, que la roue se brise sur la citerne, que la poussière revienne à la
terre d’où elle provenait, et que l’esprit retourne à Dieu, qui l’avait donné.
Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, et tout est vanité [...]
6
Mon fils, ne recherche rien de plus. Multiplier les livres est une activité sans fin, et
méditer fréquemment afflige le corps [...]
7