Résumé documentaire n°4 Et si Marx avait raison ? Le Manifeste du

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Résumé documentaire n°4 Et si Marx avait raison ? Le Manifeste du
Résumé documentaire n°4
Et si Marx avait raison ?
Principaux intervenants :
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Robert Boyer, économiste
Mary Gabriel, écrivaine
David Harvey, géographe, anthropologue
Tristram Hunt, historien, député travailliste britannique
Vandana Shiva, écrivaine
Kevin Noonan, juriste
Aseem Shrivastava, économiste de l’environnement
Carol Hem, économiste
Yanis Varoufakis, économiste, ancien ministre grec des finances
Karl Marx (1818 – 1883)
Le Manifeste du parti communiste (1848)
Le Capital, livre 1 (1867) – Les livres 2 (1885) et 3 (1894) ont été publiés par
Friedrich Engels à partir des brouillons de Marx.
Est-il possible que nous n’ayons pas très bien lu Marx et que ses analyses soient
plus pertinentes aujourd'hui ?
Marx est né à Trèves en Rhénanie, la province la plus occidentale de la Prusse. Il a
grandi dans l’environnement des Lumières. Il fut engagé très jeune autour de
questions liées à la démocratie.
Le Manifeste du parti communiste, une analyse du
capitalisme
En 1848, les révoltes populaires en Europe auraient pu être une occasion pour Marx
mais le Manifeste du parti communiste n’est pas encore terminé.
Il débute l’écriture à Paris en 1843. Là, il rencontre Friedrich Engels, fils d’un riche
industriel avec lequel « il est d’accord en tous points ». Engels peut lui parler de la
vie dans les usines de Manchester : « ils sont plus esclaves que les noirs d’Amérique
car ils sont plus étroitement surveillés ».
Passé inaperçu en 1848, le Manifeste devient en 1917 le programme de la révolution
bolchevique.
Le Manifeste n’était pas seulement l’annonce d’une révolution communiste mais
l’analyse d’une révolution en cours, celle du capitalisme.
Marx et Engels furent les premiers à établir la nature inflexible, implacable et
iconoclaste du capitalisme. Ils se rendent compte que « le capitalisme a annihilé les
hiérarchies ancestrales issues de la féodalité et réduit les relations humaines au pur
intérêt personnel et aux paiements inhumains ». Et ce fut Marx qui prédit combien le
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capitalisme broierait les langues, les cultures, les traditions et même les Nations. En
un mot, « le capitalisme crée un monde à son image »
Ce texte met en garde contre cette inévitable mondialisation des économies et des
cultures.
Le Capital explique le fonctionnement du capitalisme
Après la publication du Manifeste, Marx est expulsé d’Europe continentale. Il se
réfugie à Londres en 1850.
Il commence d’écrire le Capital. Il explique que le capitalisme est capable de produire
des richesses mais qu’il serait cause de grands ravages.
Dans le capital, on apprend peu de choses sur le socialisme ou le communisme mais
beaucoup sur le fonctionnement du capitalisme.
Marchandises
Marx analyse le fonctionnement du capital à partir de l’analyse de la marchandise.
La marchandise est pour nous quelque chose d’extérieur qui vise à satisfaire des
besoins humains. Notre expérience ne nous donne pas toutes les informations pour
comprendre comment fonctionne le système. Elle se résume à acheter un produit
avec de l’argent mais on ne sait pas le travail qu’il a fallu pour la produire. Pour Marx,
le système de marché occulte toutes les formes de relations sociales.
Aliénation
« Les marchandises ont toutes un point commun : elles sont le produit du travail. »
La Révolution industrielle, qu’on fait remonter à 1780, se fonde sur la création d’un
système d’usines, des machines à grande échelle et d’un processus de travail très
différent de celui engagé par des artisans. La conversion au capitalisme industriel
connait son apogée à partir de 1780 et constitue une transformation cruciale.
« L’ouvrier est à l’égard de son travail comme à l’égard d’un objet étranger. Plus
l’ouvrier s’extériorise dans son travail, plus le monde étranger créé en face de lui
devient puissant, plus il s’appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient
pauvre. »
L’aliénation commence avec la fabrication des biens.
Pour Marx, l’idée de travail vivant est fondamentale. Pour lui, le travail n’est pas
simplement un facteur de production mais un processus. Or, l’industrialisation enlève
le lien avec le produit fabriqué (à la différence du paysan ou de l’artisan). Le
consommateur n’a pas de relation non plus avec le producteur. Le marché occulte
cette relation. Et tout devient marchandise…
Marchandisation du vivant
La vie elle-même devient une marchandise. Les semences, les animaux (vaches,
cochons, etc) deviennent de simples marchandises.
A partir du moment où on transforme la vie en marchandise, on la soumet aux lois du
marché et, pour les gènes comme pour les semences, il faut protéger les
découvertes par des brevets.
Selon Marx, notre système de production ne change pas seulement la vie, il
transforme notre perception de la nature et de nous-mêmes.
Ce fétichisme, selon l’expression de Marx, masque l’impact de la marchandisation
sur la société. Il y a encore 60 ans, les innovations scientifiques n’étaient que
rarement brevetées et jamais industrialisées à ce point. En 1955, Jonas Salk,
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l’inventeur du vaccin de la polio, n’aurait même pas eu l’idée de privatiser un tel
« bien commun », ni de le commercialiser.
La théorie du changement social
La théorie du changement social est un processus selon lequel les idées doivent
changer, mais si les moyens de production ne changent pas, alors les idées ne
servent à rien. Dans le matérialisme marxiste, l’infrastructure économique détermine
les superstructures culturelles et sociales, et seul un changement des rapports
sociaux de production permettra un changement des idées. Ce qu’il faut réussir à
changer, c’est donc la relation entre le processus de production, les idées, les
relations sociales, les facteurs institutionnels et la vie de tous les jours.
Marx a inventé une théorie coévolutive du changement social. Le capital est pris
dans une configuration révolutionnaire permanente et nous pouvons observer des
mouvements parallèles dans les idées et les relations sociales.
Fétichisme
A la fin du Capital, Marx revient sur la notion de fétichisme. Celle-ci prend la forme de
l’argent. Pour que les besoins de demain augmentent, la production d’aujourd'hui a
besoin de financements. Ça signifie que le système du crédit doit se mettre en place.
On peut déduire que l’accumulation de capitaux s’est depuis le début du capitalisme
construite en symétrie avec l’accumulation des dettes. L’une ne va pas sans l’autre :
« Une grande partie du capital est toujours fictive et se compose simplement de
signes de valeur servant de commune mesure pour les échanges ».
Dans le Capital, Marx a su montrer les formes multiples qu’ont pu prendre les
relations sous-jacentes entre accumulation de la dette et accumulation du capital.
Exemple de la construction d’un lotissement.
Les constructeurs trouvent l’argent auprès d’une institution financière, ce qui leur permet d’acheter
des terrains et de construire des pavillons. Grâce au taux de rendement de ces logements, l’argent
peut être remboursé. Il faut cependant pouvoir vendre ces logements. Les acheteurs vont donc
emprunter auprès de la même institution financière afin d’acheter des logements dont la
construction aura été financée par leurs propres dépôts bancaires. C’est l’œuvre du capital fictif car
l’institution financière qui possède ce surplus monétaire finance en vérité à la fois la construction et
l’achat de la maison.
A présent la crise du capital fictif occupe toute la scène. Marx avait eu cette intuition
brillante en décrivant la véritable nature de ce fétiche qui crée le capital fictif.
Exemple de la Roumanie :
Un afflux de capitaux étrangers en quête de rendement a inondé les banques roumaines et
entrainé le pays dans une croissance basée sur la dette. Les banquiers ont favorisé le crédit à la
consommation. Tout le monde s’est permis d’acheter de nouvelles choses : des voitures, des
maisons. Quand la bulle financière a éclaté, on a vu que l’endettement n’est qu’un capital fictif. Ce
modèle de croissance au service du capital engendre une vulnérabilité de l’économie dans son
ensemble parce qu’il est fondé sur la libre circulation des capitaux, une libéralisation financière
totale et une lourde dépendance des emprunts externes de la part du secteur privé : ça devient
insupportable en cas de crise.
Le capital s’accompagne toujours de ses propres tendances à la crise. La crise de
2008 a commencé dans l’immobilier, puis elle a touché les institutions financières et
bancaires et s’est finalement transformée en crise de la dette souveraine à la suite
des dépenses engagées par les Etats pour venir en aide aux secteurs sinistrés. A
présent, elle touche les peuples car les Etats adoptent des mesures de rigueur pour
rééquilibrer leurs finances mises à mal.
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Marx explique que lorsque le capital se propage, il engendre un gigantesque
processus de destruction de capital, de travail et de relations sociales
(« suraccumulation-dévalorisation »).
Quelle explication à la crise de 2008 ?
En 1942, l’économiste autrichien Joseph Alois Schumpeter forge le concept de
« destruction créatrice » pour désigner la capacité du capitalisme à se renouveler
constamment de l’intérieur. Sa vision s’inspire de l’intuition de Marx : ce sont les
mutations industrielles qui détruisent ce qui est ancien et font émerger la nouveauté.
Pour Schumpeter, l’agent de ce changement, c’est l’entrepreneur, et même si les
pertes humaines et sociales consécutives à ce processus peuvent se révéler lourdes,
il faut se réjouir de sa capacité créatrice.
C’est le déséquilibre permanent qui crée le mouvement du capitalisme. Par sa quête
insatiable d’innovation, le capitalisme détruit lui-même en permanence la valeur de la
marchandise, du travail et du capital accumulé.
Doit-on considérer la crise actuelle comme le simple résultat de ce processus de
destruction créatrice, ou comme l’inéluctable effondrement d’un mode de production
miné par ses contradictions internes ?
A ce jour, le capitalisme ne s’est pas effondré parce que partout dans le monde, les
gouvernements ont choisi de renflouer le marché prétendument libre : ce sont
finalement les forces du collectivisme qui ont redonné au capitalisme un nouveau
souffle.
Yanis Varoufakis explique que les partisans de Hayek justifient le capitalisme libéral
au nom du darwinisme, qui permettrait de sélectionner les agents les plus aptes à
survivre. Or, en 2008, on a paradoxalement assisté à la victoire d’un darwinisme
inversé : plus les banquiers échouaient, plus les soutiens qu’ils recevaient du
contribuable étaient importants. C’est la « faillitocratie ».
Conclusion
Sur la tombe de Marx, on peut lire : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le
monde de diverses manières, il s’agit maintenant de le transformer ». C’est
précisément ce qu’ont fait les partisans du capitalisme en développant des
mécanismes d’adaptation, en instaurant le gouvernement du droit, les sociétés
anonymes, les syndicats, les mutuelles, les assurances sociales, les allocations ainsi
que les découvertes technologiques qui alimentent la productivité, les salaires et les
emplois.
Marx était convaincu que Le Capital, publié trois ans après la création de
l’Association internationale des travailleurs, changerait le monde, mais son ouvrage
est resté ignoré de son vivant, et le capitalisme a su faire preuve d’une capacité
d’adaptation bien supérieure à ce qu’il imaginait.
Il est mort le 14 mars 1883 à Londres, seize ans après la publication du Livre I du
Capital. Onze personnes seulement assistèrent à l’enterrement de celui qui, plus
qu’aucun autre, pèsera sur le destin de milliards d’humains au cours du XXème
siècle !
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