du travail

Transcription

du travail
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LempLoyabiLité à L'épreuve
du travail
Anne Dietrich, Christian Jouvenot,
Marie-Christine Lenain
La notion d'employabitité se diffuse largement au cours des années 1990
pour traiter des problèmes d'emploi et de réinsertion professionnelle, aussi
bien du côté des pouvoirs publics et des institutions européennes, soucieux
d'activer tes dépenses en faveur de l'emploi que du côté des entreprises
confrontées à la votatitité dès marchés, des qualifications el des emplois.
Cette notion n'est toutefois pas nouvelle. Retraçant sa généalogie, Gazier
(20061 souligne ses mutations de sens et d'usage au gré des contextes socio-
économiques. Aujourd'hui, l'employabilité désigne la capacité à se maintenrr
en emploi ou à se réinsérer professionnellement dans un contexte où les
évolutions économiques, technologiques et organisationnelles affectent iné-
luctablement métiers et emplois. Son usage socio-gestionnaire n'en reste
pas moins controversé. Focalisant l'attention sur les aptitudes et motivations
individuetles, eUe semble (( exonérer les autres acteurs du marché du
travait, et en particulier les entreprises, de toute responsabilité en matière
d'accès à remploi ou encore de qualité d'empto;)) ¡Gazier, 2006, p. 3501.
Partant de t'idée que lemployabilité des individus implique de multiples
acteurs, ce chapitre analyse les formes d'interaction entre capacités individuelles et conditions objectives d'emploi. Notre hypothèse est qu'il existe
des facteurs objectifs d'inemployabHité qui trouvent leur source dans les
modes de gestion antérieurs de l'entreprise et plus globalement dans des
politiques d'emploi confrontées à un rationnement du travaiL.
Pour tester la validité de cette hypothèse el définir des modalités opératoires de construction de temployabilité, nous avons travailé avec l'ARACT
Nord Pas-de.Calais, engagée dès 2003 dans une démarche de développement de la VAE Ivalidation des acquis de l'expériencel auprès de la cellule de
reclassement des ex-salariés de Metaleurop (Lenain, 20051. Cette intervention constiue un terrain d'observation et d'analyse particulièrement riche
pour étudier les conditions de lemployabi/ié.
98
) Le trav~ll. un défi pour la GRH - "''''
Dans un premier temps, nous présentons te cas Metateurop et le contexte de
notre intervention. Da.ns un deuxième temps, nous tirons les leçons. Notre
contribution à cet ouvrage est ators ta suivante, D'une part, nous confirmons
timpact des pratiques de gestion sur les capacités individuelles et cetui des
critères de gestion des politiques publiques d'emploi (mesures d'âgel sur les
conditions objectives de reclassement des salariés. D'autre part, t'analyse
des difficultés de reclassement des ex-salariés de Metaleurop nous conduit
à avancer les thèses suivantes:
- en matière de redassement, une démarche exclusivement tournée vers
l'emploi et un suivi personnalisé ne suffisent pas;
- l'analyse du travail est indispensabte à la construction de l'employabHité ;
- une démarche collective d'analyse des activités est nécessaire afin d'iden-
tifier les savoir-faire et les compétences-clés qui pourront ensuite être
référés à des métiers en vue d'assurer des passereUes vers d'autres
emplois.
PRÉSENTATION DU (( CAS METALEUROP "
Métaleurop-Nord constitue un cas d'étude exemplaire car il condense un
grand nombre de dérives à l'origine de catastrophes humaines; logique
financière exacerbée, externalisation de produits à haute vateur ajoutée,
gestion paternaliste du personnel, réorganisations permanentes, arrêt des
investissements. Nous rappelons brièvement le contexte de sa fermeture.
les difficultés de sa celtule de redassement, l'intervention de t'ARACT Nord-
Pas-de-Calais,
Une fermeture de site qui fait scandale
Installée en 189tf, reconstruite en 1920 par Pennaroya, l'usine de Noyelles.
Godault est historiquement spécialisée dans te traitement du plomb et du
zinc, Le site qui représente la plus grosse fonderie d'Europe est classé
(( Seveso 2 )), à hauts risques, En 1988, Pennaroya et t'allemand Preussag
fusionnent et créent Metaleurop SA et Metaleurop-Nord. FHialisée, celle-ci
bénéficie d'une autonomie de gestion dès 199.4 mais ses efforts pour
s'adapter aux marchés et restruclurer sa production sont entravés par le
suisse Gtencore, principal actionnaire de Metateurop SA. Celui-ci impose à
sa fiiale des décisions qui à terme condamnent sa rentabilité, Le 16 janvier
2003, it tui coupe les vivres.
Les conditions dans lesquelles s'opère la fermeture font du cas Metaleurop
line (~ affaire )) fortement médiatisée, car l'entreprise s'exonère de ses
Parlie2-Chap 2-lennploy¡ibll,téålépreuvedulrava,1 99
~.
responsabilités en matière de plan du social et de dépollution du site,
L'ampleur des dégâts sanitaires et environnementaux est considérable.
Deux mois après l'annonce de la fermeture, Les 830 salariés sont licenciés,
À La stupeur sw:cèdent la colère et Le saccage des installations par les
salariés, Le préjudice social est important. Il ne concerne pas seulement les
salariés de l'entreprise mais tout un bassin d'emploi en grande difficulté
économique, marqué par la désindustrialisation et le chômage.
Ce cas particulièrement dramatique met en évidence la pluralité des acteurs
impliqués dans une problématique d'employabitité et pose la question de
leur responsabilité. La politique sociale et environnementale d'une multinationate sans scrupule est dénoncée. L'Etat est contraint de financer le plan
social; gouvernement, élus régionaux se mobilisent largement dans cette
affaire et y investissent des moyens financiers et humains importants. Les
services publics de l'emploi. les cabinets de conseil mettent en æuvre les
dispositifs d'accompagnement des salariés prévus dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique, Les entreprises en tant qu'offreurs
potentiels d'emploi, les ex-salariés sont inévitablement parties prenantes de
la revitalisation du bassin d'emploi, de l'accompagnement et de la réussite
du plan sociaL. SaLariés et riverains de l'usine s'organisent pour obtenir en
la réparation du préjudice moraL, sanitaire et
financier. L'association Chællr de fondeurs est créée,
Justice la reconnaissance el
Le tableau suivant présente l'ensemble des acteurs engagés dans la
démarche de reclassement des salariés de Metaleurop.
TABLEAU 1. LES ACTEURS DE LINTERVENTION VAE
Comité des flnanceurs du .i Plan de sauvegarde it
(Les Pouvoirs Publics)
Chæur de Fondeurs
Des conseillers animant la ceHute
de
Coopération
de l'histoire industrielle
Facilitateur
Porteur
reclassement
puis
animation
ARACT
Conception
de
La démarche,
transfert,
expérimentation,
capit
aLisalion
et
diffusion
Trois acteurs apportant un engagement dans l'expérimentation
CoordinatriceEmploi
Chargée
Formation de La OOTEFP
de
mission
Région,
Direcllon de la Formation,
ResponsabLe de La CRIS
(CetluLe
inler
servicelVAE
chargée de la VAE
62/ Lens
régionale
les acteurs de la cerUlication Jouant un mie essentIel
Directrice
académique
de
lenseignement
technoLogique (Rectorat)
100
lieiravall,undéfiPOlJriaGRH'",,,,,
Représentant de l'AFPA
FonctionàLafoislocaLeelrégionate)
Une cellule de reclassement en difficulté
Mi-avrit 2003, une cetlule de rectassement est mise en place pour une durée
de dix huit mois, EUe est atypique: eUe est pilotée par tes pouvoirs publics
(État, Région! car t'entreprise n'existe plus.
LES CELLULES DE RECLASSEMENT
Les cetlutesde rectassementfont partie des dispositifs d'accompagnement
des
salariésLicendésfoumenacésderètreJpourmotiféconomiQUe.LeLégislaleurne
cesse de renforcer l'obligation de reclassement afin d'atténuer Les méfaits des
Licenciements
collectifs,
de favoriser
le retour
à l'emploi,vo
entreprises å assumer les conséquences de Leurs choix de gestion.
ire
un
une
ou
orientation
menacés
et
de
un
rêtre,c'est-à_dire
conseil
aux
bénéficiaires,
contraindre
Les
la mission
déiiolueà laceltuleestformutéeainsi: "assurer
licenciés
de
suiv;
proposer
indiv;dualisé
un
accueiL,
des
salariés
uneéiiaLuation,
prospecter
les
of fres
demploi
en
s'appuyant notammenl sur le réseau des relaiions de renlreprise,
mettre en
relation des salariés avec des employeurs éventuels et aider à la recherche
demploi " (circulaire nO 2003-25 du 9 oclobre 2003 de ta DGEFPl. Trois grandes
activilés
lui
incombent
donc :
une
démarche
commerciale
de
prospection
auprès
des oHreurs demploi ; une activité dite de suivi individualisé,
auprès
des
demandeurs d'emploi; une mise en relation des offreurs et des demandeurs.
A Metaleurop, ta celtule de rectassement, animée par deux cabinets privés,
Raymond Poulain Mobilité et Attedia, peine à mobitser les ex-satariés dans
ta recherche d'un emploi ou même la rédaction d'un CV, Conseillers et ex~
salariés ne se comprennent pas, Par exemple, tes premiers insistent sur
l'ntérêt de l'intérim comme marchepied vers te CD' et dissuadent l'entrée
dans des formations longues; les seconds ne saisissent pas l'utiité des
l'xercices proposés, se montrent incapables de se projeter dans un projet
professionnel ou d'analyser leur expérience (Mazade, 20051. De fait les
ronseillers veulent transformer le plus rapidement possible, en demandeurs
(j'¡!mploi motivés et capables de réflexivité, des travailleurs qui eux peinent
Il f,e penser en dehors du contexte de l'entreprise,
r PS difficultés ne traduisent pas seulement les diffiçultés des ex-satariés de
M¡!/aleurop à retrouver un emploi, ou celtes des conseilters, confrontés à des
hommes en cotère dont l'activité est en voie d'extinction, EUes révètent plus
Ilil'qement tes limites des démarches de reclassement et la forte incidence
d(l; pratiques de GRH antérieures sur tes compétences, les capacités
d lirJdptatjon et d'analyse réflexive des salariés licenciés,
Poe,,, 2 ~ CO'P 2 ~ L.'mpl,y.b,I". "'p~"~ d",","" 1
101
Intervention de l'ARACT
Face à ces difficultés, le Conseil régional du Nord - Pas.
de-Calais soUicite
l'ARACT pour faciliter l'inscription des ex-salariés dans une démarche
individuelle de VAE, jugée propice à leur reconversion. Notre mission est
d'expérimenter une démarche novatrice en ce sens.
Dans un premier temps, nous proposons de mener un diagnostic, c'est-àdire de reconstituer à gros traits le cadre du travait afin de pouvoir
questionner l'expérience des travaitleurs de Metateurop. La connaissance
des produits, process, organisation est pour nous indispensabte car nous
avons pour habitude d'interroger le travail, ce (( point aveugle du
management des restructurations)) IRaveyre, 2005, p. 971. La reconstitution
de l'activité est réalisée via des entretiens et la visite du site,
Des témoins sont là: responsables de l'association Chæur de fondeurs, euxmêmes anciens techniciens ou responsables de la Maintenance, de la
Formation ou de la Qualité, chefs de secteurs et agents de maîtrise
(( réquisitionnés )) pour protéger te site et préparer ta cession des
instaHations. Entretiens et visite permettent de reconstituer l'organisation
de la production et de caractériser tes deux principaux process, ptomb et
zinc, leur degré d'automatisation, les outillages, tes métiers, Ils mettent en
lumière les grands principes de l'organisation du travaiL, tes évolutions
qu'elle a subies et leur incidence sur les métiers, notamment ceux de la
maintenance.
Dans un second temps, nous proposons une méthodologie de travail
collectif. EUe nous permet d'identifier des métiers non repérés, non
répertoriés dans tes documents de l'entreprise, comme celui de contrôteur,
et de tes référer à des emplois et des qualifications présents sur te marché,
TABLEAU 2. LES ÉTAPES DE NOTRE INTERVENTION
1" semestre 2003
Arrêtdelactivité. Une
Octobre
L'ARACT est invitée il un comité de piLotage VAE : priorité est
2003
donnée
aux
cetlule
demandes
des
de reclassement
Agents
de
Maitrise
est
de
Novembre 2003 à
Deuxgroupesmétiersontconstllués,
Décembre 2003
de maîtrise de la Maintenance: en Mécanique, en
Ils
créée
La maintenance.
regroupent
10
Agents
Electromécanique. l'ARACT expérimente aux côtés d'une
conseillere
pour
Janvier
2004
à Mars
de
la
reconslruire
ceLLuLe
le
travail
de
reclassement
ã partir
une
des
situations
démarche
colLective
compLexes.
Deux groupes métier composés de 8 contrÔleurs sont constitués:
contrôLeurs du raffinage et contrôleur de La fusion, l'ARACT passe
le relais à deux conselUères de La cetluLe de reclassement pour
L'animation d'un des groupes. la méthode est la même.
102
Le lravail. un défi pour la GRH _ "'.~"'
Les
rencontres
avec
les
certificateurs
se
dérouLent
en
Mars.
La majorité des contrôleurs s'engagent pour un BP PIPP
(Brevet Professionnel de PiLote d'lnstalLations de Production
par Procédés) qu'iLs obtjennent un an plus tard.
Février
2005
Verbatlm : Après des réunions de bilan avec tous les acteurs
publics, t'ARACT rencontre pour des entretiens approfondis et
fjtmés,
4 ex-salariés qui ont participé
à l'approche colLective
et
poursuivi une démarche individuelLe deVAE, Les extraits cités
dans
Le texte
ont
été
recueiLtis
à ce
moment.
CONSTRUIRE l'EMPLOYABILlTÉ
DU TRAVAIL À l'EMPLOI
Notre analyse des pratiques de la cellule de reclassement révèle une démar-
che exdusivement tournée vers l'emploi, tenant peu compte des ressources
professionnelles des ex-salariés. Notre expérience d'accompagnement à la
VAE montre l'intérêt de mener avec les intéressés une réflexion collective sur
le travail car la verbalisation qu'elle engendre leur permet de se réapproprier
leur expérience et participe à la construction de leur employabitité,
Les impasses de la cellule de reclassement
Trois principes nous semblent cARACTériser de manière générale (es
pratiques des cellules de reclassement: la focalisation sur l'emploi. l'aide
conçue comme un reclassement, tindividualisation du suivi. Lanalyse du
fonctionnement de la cellule de Melaleurop montre que ces principes ont
conduit les conseillers à négliger certains aspects de la reconversion.
La mission dévolue à ta cellule est avant tournée vers l'emploi. Cette finalité
est constitutive de la cellule: c'est le problème de l'emploi qui mobilise
l'intervenlion des pouvoirs publics et la celtule doit son existence aux
licenciements massifs. Cette pression à l'emploi est renouvetée tout au long
de la durée de la cellute, en raison de l'obtigation de résultats qui lui est
faite.
Paradoxatement cette focalisation sur t'emploi fait de la celtule de reclasse-
ment t'acteur principaL. A Metaleurop, la cellute conduit des entretiens
individuels, aide à ta confection de CV, anime des séances de techniques de
recherche d'emploi. EUe mobilise sa connaissance du marché du travail pour
identifier des emplois jugés accessibles aux ex.satariés et organise des
séances d'information, Elle utilise ensuite la connaissance qu'eUe a des
'''''''-Ch,p '-'-,mp""b",""',,,,,,,,,,,,,,, 1
103
compétences de ses adhérents pour affecter chacun à la place qu'elle estime
lui convenir. C'est ce qu'on appelle tes offres valables d'emploi lOVE). Son
activité prend alors la forme du reclassement, c'est-à-dire de la réaffectation
à un emploi, à une place dans la société,
La responsabilité du (( bénéficiaire ~) se limite en grande partie à l'accepta-
tion ou au refus de ta proposition qui lui est faite. Une tetle conception est
comparable à la manière dont certaines entreprises envisagent la gestion
des compétences (( selon une forme technocratique,., qui se résume à une
activité éclairée de "staffing")) IParlier, 2005, p, 71. C'est l'aspect collectif du
licenciement qui Justifie l'installation de la cellule. Mais à t'autre bout, du
côté du retour à l'emploi, l'aspect individuel domine: c'est un individu
particulier qui signe le contrat de travaiL.
Laccent mis sur le suivi individualisé conduit à ne pas prendre en compte le
coltectif de travaiL. Certes, la cellule anime des réunions collectives mais les
groupes constitués ne sont que le moyen commode de réunir des individus
et non de redonner forme à des collectifs de travail ou de métier disparus.
Or, pour chacun des salariés, (( on travailte en équipe, en poste, h. on est
habitué à travailter en groupe, ... C'est d'être seul qui est diffcite ~). En effet,
c'est à partir du collectif de travail que les salariés .( ont le sentiment de
détenir une maîtrise de leur travail qui leur permet d'accomptir des performances reconnues comme telles)) lLinhart 2005, p. 89J.
Le mot qui revient le plus souvent dans ta bouche des conseillers est celui
de (( deuil)~ : chacun est incité à faire le deuil de son emploi, de son équipe,
de son entreprise, La formule, pour légitime qu'elle soit, ne saurait suffire
Icf Bruggeman 2005). D'une part, le (( travail de deuil ~) est un processus
long, avec des étapes caractéristiques, mises en lumière par les psychologues et tes psychiatres dans les cas de disparition d'un proche, La
pionnière en la matière, E. Kübler-Ross, a décrit minutieusement les cinq
étapes de ce processus: (( refus et isolement )), (( irritation )\ (( marchandage )), (( dépression )) et finalement (( acceptation ~) (Mertens de Wilmant,
1999. p. 400), Les conseillers semblent démunis devant le phénomène, le
réduisant à la seule dimension d'acceptation fataliste de la situation et de
consentement aux propositions d'emploi. D'autre parl, cette approche en
termes de deuil contribue fortement à disqualifier le passé des salariés
selon la formule de Raveyre 12005, p. 121 et par contrecoup renforce ta colère
et le sentiment d'injustice,
La focalisation sur l'emploi, la logique de réaffectation et l'insistance sur la
rupture à opérer dans le (( deuil )~ conduisent la cellule de reclassement à
négliger la ressource que te travail représente pour les ex-salariés, Le
dossier qui leur est proposé n'a pas pour fonction de revenir sur le travail et
l'apprentissage qu'il a exigé mais de servir de base à un cv. Il n'y est pas
question de compétences mais de qualités !curiosité, rigueur, précision...!.
104
1 Leir~va'l.undéfipourlaGRH.",..
détachées du contexte professionnet dans lequel elles trouvaient à s'exprimer. Alors, comment dévetopper chez les salariés une capacité réflexive?
Par un retour cottectif sur l'expérience passée, en vue de sa réappropriation.
Une démarche collective pour reconstruire le travail
Deux grands principes ont guidé notre démarche; une approche collective et
t'analyse de situations complexes,
L'approche collective, au sein de groupes de métier homogènes, facilìte une
expression faite de confrontation, dïnterpeHation, d'émulation. Le groupe
est par nature facititant : (( Diffcite de travaitler seul, c'est ptus facile à
plusieurs cerveaux, il y a moins d'oubli )), Son homogénéité imparfaite favorise à son tour des échanges fructueux et l'identiication des spécificités de
métier, Ainsi en est-il au sein du groupe de contrôleurs (( raffinage )) entre
les contrôleurs zinc qui pilotaient un process automatisé et le contrôleur
plomb qui intervenait sur un process non automatisé et se définit lui-même
comme un contrôteur (( pédestre 1). Celte démarche est relativement économe en temps: 3 réunions anim'ées par un intervenant qui organise le
questionnement, aSSure le compte-rendu et sa validation par (es salariés ont
permis d'identifer les activités de chaque métier concerné.
La description de situations complexes évite te piège du retevé des tâches, qui
ne fait pas sens, pour se focaliser Sur tïdentjfication des régulations mises en
æuvre par tes salariés. Celtes-ci répondent aux dysfonctionnemenls de
l'organisation et font apparaître les compétences que les individus mobilisent
pour avoir (( l'ntetlgence pratique de la situation)) rZarifian, 1999, p. 741, non
pas seulement leur savoir-faire, qui peut se limiter à l'exécution d'une
procédure mais leur (( savoir comprendre)) (Hatchuel el Weil, 1992, p. 51).
L'exploration des situations complexes permet en effet d'identifier une
grande étendue de compétences en lien avec l'évolution du travail et de sa
compréhension. (( Eire compétent aujourd'hui, ce serait savoir prendre en
compte des situations de plus en plus variées, de ptus en plus étoignées du
régime proto
typique )) (Pastré, 1999, p. 1161
UN EXEMPLE DE RÉGULATION AUTONOME
A Metaleurop, ('analyse des opéralions de déclenchement du moteur 380 v à ta suite d'un
dysfonctionnement électrique montre ce qu'assume un contrôleur (( Fusion line )) dans
un moment diffcile. A la suite d'Une aterte sonore, il assure la sécurité, réparti les
tâches des opérateurs, fait vider les fours, procède à l'évacuation, intervient sur les
commandes de linstattation, met en route le groupe étectrogène en évitant la
détérioration de lïnstallation lfourl et te débordement du bassin mais en assurant le
iofroidissement. Une telle description donne du mên:ecoup du contenu à sa compétence
pn matière de gestion du risque lintoxication et exptosionJ.
p",,, , . Ch.p ,. C'rn",","b,',,. ¡ r,p~"W do "",,' 1
105
Dans tous les cas, le repérage des compétences se fait en deux temps, sur
le mode du récit détaillé d'abord, sous forme de récapitulatif ensuite, Cela
permet de passer du récit au référentiel de travaiL.
Lorganisation du récit détaillé permet de sortir du (( on)) collectif et indifférencié et de passer au (( je )) de l'individu, insconscient dans une organisation, Elle oblige chacun à préciser le rôle qu'il joue dans l'action, à définir Ii
la place qu'il occupe, à qualifier la nature et la forme des relations qu'il
établit avec les autres, Le récit individuel s'inscrit en contrepoint du récit
collectif. C'est dans la confrontation aux autres que chacun organise son
histoire. Les dimensions collective et individuelle ne s'opposent donc pas car
la construction du récit assure la transition de l'un à l'autre en faisanl 1
émerger une (( identité narrative )) (Ricæur, 1990, p. 1671. qui redonne du \
sens à des activités apparemment disparates et en montre l'unité essen-
tielle, celle des péripéties dramatiques par rapport à l'action principale et au '
héros du drame. Le récit de l'activité professionnelle peut devenir l'amorce
du récit de vie professionnelle et un appui pour la Irel.construction de
l'identité professionnelle. Celle-ci sup'pose que je me reconnaisse pour le
même malgré les changements qui sont intervenus IRicæur, 2004, p, 961,
TABLEAU 3, LA MÉTHODOLOGIE D'INTERVENTION
Une démarche collective pour
2 réunions pour produire des récits:
reconstruire Le travail
descriplion
situations
Du récit
au référentieL
travaiL
de
1 réunion pour
,
Des référentieLs de travail aux métiers
¡
certiiés:
i
transition par
Les
référentiels
1
,
des
dans
classer Lesrécils dansSà
1 réunion
Les
activîtés
grandes
sur
d'information
certifications
proches,
donnée
parlescertificateurs:seconde
d'actIvités professionnelles
de la certification IRAPI
,
taciivité
professionnelles:
première décontextuallsatlon
10
1
de
complexes
décontextualisation
Une dernIère étape = L'engagement
Vers la VAE... et l'empLoi
des démarches IndIvidueLles de VAE :
1
,
le BTS Maintenance et te BP PIPP, pour
obtenu
Ils ont
eux.
d'entre
La majorité
te
diplôme
en Novembre
2004.
Classer l'activité sous de grandes rubriques telles que (( s'informer )),
(( communiquer )), (( conduire l'nstallation )), (( assurer la sécurité)) oblige à
dépasser le récit circonstancié pour organiser l'activité selon les normes des
référentiels d'activités professionnelles IRAPI des certifications, Ceux-ci
les compétences et ta
constituent une passerelle entre le travail et l'emploi,
106
Le travail. undélipourlaGRH
-",-.1
certification, Plus encore que le récit, cette opération permet de prendre
cette (( distance de soi à soi )) absolument nécessaire (( pour comprendre la
manière dont on travaitle, et ainsi pouvoir reconstruire à des niveaux
d'abstraction plus élevés et à des niveaux de généralisation ptus amples les
compétences que par ailleurs on utilise, )) IPastré, 1999, p, 1181, Elle
constitue aussi une étape importante dans la valorisation de t'activité: les
intéressés soutignent leur étonnement face aux textes produits par le
groupe métier: (( on n'imaginait pas qu'on faisait tout ça )),
De la verbalisation du travail à l'émergence
d'une capacité réflexive
Le moment coHectif ainsi organisé permet aux ex.
se
réapproprier une identité professionnelle collective mise à salariés
mal par lede
ptan
social et l'action de la ceUule de rectassement. Le passé professionnel n'est
pas nié, comme tendrait à le faire la demande un peu rapide de deuiL. IL est
explicité et assumé, Chacun peut le ressaisir, le (( mettre en intrigue)) et du
même coup commencer à opér.er cette (( transaction biographique ... véritable négociation de soi à soi)) fDubar, 2003, p, 681), composante essentielle
du processus de reconversion, Les conseilers de la celtule de reclassement
ont souligné à plusieurs reprises qu'ils (( découvraient )) le travail et les
compétences des salariés dans le groupe métier, Les ex'salariés ont pu faire
le lien entre leurs propres référentiets de travail et les (( métiers certifiés )).
Le rôle de cette analyse du travail dans le processus de VAE n'est pas apparu
clairement aux certificateurs' dans un premier temps, S'agissait-il de
procéder à un (( positionnement )) en vue de la VAE, impossible à faire dans
un cadre cotlectif, de créer une dynamique ou de faciliter une rencontre à
visée essentiellement informative? Mais après avoir étudié les documents
produits par les groupes métiers, ils se sont aperçus qu'ils pouvaient
facilement les rapprocher des référentiels d'activité professionnelle liés à
leur certification, Ainsi, le représentant du Rectorat n'a-t-il eu aucune
difficulté à reprendre sous forme de tableau les cinq constituants de ta
fonction de contrôleur qu'il avait lui-même identifiés dans les documents
produits par les groupes métiers et à montrer tes relations avec les six
(( capacités principales )) requises par le diplôme. Ce travail préliminaire a
donc facilité la rencontre entre les ex-salariés etles certiicateurs qui ont pu
annoncer leur (( pronostic )) de faisabilité de ta VAE, préalable indispensable
aux salariés pour engager leur démarche individuelle,
1. Etaientcertificateurs un" IngênieurpOUrl'~cole" travaillant dans l'équipe de la Oireclrice
lenseignement
technologique
du
Rectorat
el le correspondant
Poe''''.
académique
VA
Eauprèsde(aORTEFPdIJP~s_de_Calais.
de
Ch.p_"L-.mph".b""'à"'p"'''d''".." 1
107
C'est lors de cette rencontre avec les certificateurs que tes ex-salariés sont,
pour la première fois, confrontés aux représentations du marché externe du
travail alors que leurs seules références étaient les exigences du marché
interne de leur usine, Mais cette confrontation n'engendre pas un sentiment
de déclassement. Elle fournit une norme qui permet aux ex.salariés de se
positionner sur ce nouveau marché: (( On a pu présenter notre expérience
aux certificateurs et vérifier si ça correspondait aux certifications )), affirme
t'un d'eux. Ce faisant, à un moment où la disparition de rentre
prise entraîne
une certaine disqualification du travail qui y était effectué, elle permet de
redonner sens à l'expérience professionneUe et de se réassurer dans son
identité professionneUe ; (( On avait l'impression que notre travait n'avait
plus de valeur. C'est important de parler en groupe avec d'anciens collègues
et d'échanger avec des organismes comme t'Education nationale ou t'AFPA,
ça permet de voir la valeur de ce travail, de voir que ça correspond à quetque
chose )),
Ces quelques séances collectives et cette première confrontation aux
exigences de ta VAE fonctionnent comme la promesse d'Un possible,
l'ouverture d'un avenir, On peut penser que sans elles, tes participants au
groupe métier ne se seraient p~s engagés dans le processus tong et coûteux
de ta VAE. Car, si eUe permet une réelle économie de temps par rapport à
une entrée en formation, la construction du dossier de VAE nécessite en
moyenne un investissement personnel de l'ordre de deux mois à temps
plein. Lourd investissement donc, Mais en retour, une pleine réussite. Les
ex.salariés obtiennent des certifications qu'ils n'espéraient pas: BPPIP
pour tes uns, BTS de maintenance pour les autres, Les preuves qu'ils ont
fournies d'une expérience acquise dans un milieu clos et fermé sont
reconnues correspondre aux exigences du diptôme que la branche
professionnelte a élaboré en lien avec t'Education Nationale pour attester
des capacités de l'ndividu qui le possède à exercer le métier visé par ce
diplôme. Quelques salariés, moins nombreux, ont engagé et réussi une
démarche VAE pour un litre professionnel du Ministère de l'Emploi, dont
l'opérateur est lAFPA.
La VAE joue donc bien son rôle de reconnaissance sociale, de médiation
entre l'expérience professionnelle et le futur emptoyeur, (( Avec la VAE, disait
l'un d'eux, on ne laisse pas tomber son expérience, on ta fait reconnaître
pour la présenter à un employeur". Pourtant, dans le cas des ex-salariés de
Metaleurop, eUe ne permet pas le retour à t'emploi pour ta majorité des
personnes concernées, ators que paradoxalement, les métiers reconnus
concernent des emplois a priori recherchés au sein du bassin d'emptoi :
surveillance des risques industriels en sites ctassés par exemple, Comment
expliquer ce paradoxe?
108
/Leiravall,UndériPOUriaGRH.",.v,
LEMPLOYABILlTÉ OU LOBJECTlVATlON
D'UN PROBLÈME D'EMPLOI
Accumulant des dysfonctionnements dont il grossit le trait, le cas
Metaleurop souligne avec force la responsabilité de l'entreprise dans la
production de facteurs dinemptoyabitité qu'une approche trop centrée sur
l'ndividu tend à occulter,
l'entreprise, productrice d'inemployabilité
l'exclusion commence dans l'entreprise; tel est le postulat sur tequel se
fonde le cabinet Développement et Emploi pour plaider dès la fin des années
1980 en faveur d'une politique d'employabHité dans et par t'entreprise et
souligner son rôle et sa responsabilité dans la prévention de l'exclusion, Ceci
nous amène à revenir sur les usages sociaux et ffanagériaux de la notion
d'employabiUté,
Jusque dans les années 1980, la question de l'employabilité se situait en
dehors des frontières de l'entreprise, concernant essentieltement les
(( exclus ~) du marché du táivail, dont ta prise en charge incombait aux
pouvoirs publics, Elle entre dans l'entreprise au début des années 1990 et
devient un (( concept interne de gestion des ressources humaines )) (Thierry,
1995/. Cette internalisation de la notion est révétatrice d'un changement de
perspective.
Elle souligne t'incidence des modes d'organisation du travail et des pra~
tiques de gestion du personnel sur la capacité de réinsertion professionnelle
des individus La notion demployabiUté interroge la qualité des emplois et de
l'organisation du travaiL. Ce sont d'abord les conditions d'exercice de l'emptoi
qui produisent (ou non) de temployabilité. Des emplois peu qualiiés, trop
répétitifs ou parceltisés, des emplois qualifiés mais trop spécialisés, peu
évolutifs conduisent rapidement à la déquatiication, voire à la disqualification en cas de rupture, l'absence dïnvestissement comme à Metaleurop
renforce cette tendance, n'incitant ni à ta formation, ni à la mobiUté profes-
sionnelte.
Les organisations déquaUfiantes /taylorisme, bureaucratiel ne sont pas
seules en cause. La notion d'emptoyabilité interroge également la qualité
des politiques et des pratiques de gestion des ressources humaines, Faire
du maintien de l'employabilité des salariés un objectif d'entreprise suppose
une veHle environnementale et une anticipation permanente des évolutions
des métiers, des emplois et des compétences, Celles-ci supposent à leur
tour des pratiques d'évaluation régulière permettant aux salariés de
connaître les exigences du marché du travail, de se positionner et de se
P"".2-Ch,p 2- L'.mp""'b""'llprno""0
109
"",,' 1
former en conséquence. Mais cela ne suffit pas, Thierry /19951 souligne
qu'un usage inapproprié de ces outils de gestion pourtant indispensables à
une politique d'emptoyabilité (bilan de compétences, entretien d'apprécia~
tionl peut renforcer tes positions de retrait des salariés ou de repli sur des
avantages acquis,
Lauteur dénonce alors les pratiques de gestion qui (( lient ~) les salariés à
l'entreprise: avancement à l'ancienneté, paiement des nuisances des conditions de travail en salaires, QuaUfiées de (( fausses sécurités ~), ces pratiques
ne favorisent pas la mobilité sur le marché du travail et conduisent les
salariés à rechercher prioritairement la sécurité (de l'emploi par exemple!,
à s'accrocher aux avantages acquis ou à .., attendre, Or, (( il s'agit que (les
salariés) ne soient pas tétanisés par ta perspective de la perte de leur emploi
maÎs simplement conscients de leur responsabilité dans leur propre
devenir; conscients aussi du caractère de monnaie d'échange que revêtent
les compétences et soucieux de leur valeur marchande )) /Thierry, 1995,
p. 7881, Pour les experts, faire de l'employabilité un objet de gestion, c'est
avant tout préparer les salariés aux changements d'emploi, de métier,
d'entreprise auxquels ils seront inévitablement confrontés et (( orienter leur
comportement sur le marché du travail )) ¡Gazier, 1999, p, 381, afin qu'ils
soient en (( état de trouver un autre emploi que te Heur!, dans ou hors métier
exercé actuellement )) /Thierry, 1995, p. 7831. La notion d'employabiUté sert
à promouvoir de nouvelles représentations de l'entreprise, du salarié et de
l'emploi dans des contextes de mobilité professionnelte.
On retrouve chez Metaleurop ces facteurs cumulés: ancienneté forte fmoyenne de
20 ansl, favorisée par un marché du travail interne fermé, recrutement favorisant Les
enfants
des
mineurs
dont
lactivitédisparait,apprentissage
((SU rtetas),desavoir_faire
étroitement liés à l'activité de l'entreprise, sur un process essentiellement ancien,
f;:iblement automatisé et en voie de disparition, rémunérations attractives prenant en
compte Les risques encourus et La pénibilité du travail fchateur intense, travail posté,
manutention lourde). Ces déterminants de la fixation et de la fidéLisation des salariés
sont renforcés
parla dangerosité du
site
et
du travaiL.
Pour les conseitlers de la cellule, ce marché (tropl protégé explique la
résistance collective et t'ncapacité des salariés à s'engager dans un projet
de reconversion. Les licenciés de Metateurop ne peuvent imaginer un avenir
en dehors de l'entreprise, Cette dépendance à l'égard de l'entreprise où
lïdentité professionnelle se fond littéralement dans l'adhésion à
l'entreprise, où ta carrière se confond avec l'ancienneté, constitue
aujourd'hui un handicap majeur à l'emploi fHenni, 2005!.
Cette vision du marché interne protégé comme vecteur d'exclusion et
dinemptoyabilité est aujourd'hui entérinée par tes professionnels de
110
Le travail, undéfi
pour
la
GRH-"'..'"
"-.'"
gouvernent les potitiques d'emploi en France car il n'en va pas de même
dans d'autres pays, Mais il rend surtout compte du caractère d'arbitrage de
ces normes. L'exclusion ou la marginalisation de certaines catégories de
travaitleurs ne résulte pas tant de teur moindre compétence que de choix
politiques en amont, de compromis sociaux qui procèdenl à des arbitrages
quant au partage du travaiL. Maruani et Reynaud 12004, p, 41 posent crûment
la question en ces termes: (( sur qui choisit-on de faire peser le rationnement de l'emploi ?~)
Plus encore, les critères liés à la situation sociale lâge, sexe, nationalié,
situation de famillel se cumulent pour justifier les modes d'appariement
entre certaines formes d'emploi et certaines catégories de travaitleurs :
femmes et temps partiet, jeune et insertion professionnelte par le travail
intérimaire. Plaidant pour une distinction entre travail et emploi, Maruani
119941 souUgne que c'est l'emploi qui détermine l'accès au marché du
travail : ses formes, ses modalités et ses résultats (précarité/stabilité,
chômage). Ainsi (( tes politiques d'emploi, qu'eUes soient publiques ou
d'entreprises, s'appuient sur des clivages sociaux préexistants, qu'elles
contribuent à pérenniser, reriforcer ou définir )) IMaruani, Reynaud, 2004,
p, 87/. Les analyses précédentes montrent que tes conditions de l'employabHité ne sont pas les mêmes pour tout le monde: (( il est plus tacite à un
cadre diplômé de faire ta preuve de son employabilité qu'à un ouvrier peu
qualifié lmême si dans le principe,l'un et l'autre sont autant employabtesJ ))
lCentre des jeunes dirigeants. 2005, P,96/. De ce point de vue, promouvoir un
droit à l'employabiUté devient un (( agenda)~ IGazier, 1999, p, 391' un objectif
potitique qui confère à l'employabilité une signification nouvette,
Un révélateur des mutations du travail et de l'emploi
La diffusion de la notion prouve que sa signification symboUque et sociale va
bien au-delà de son sens littéral: (( l'emptoyabilité est désormais un terme
qui résume les problèmes de notre temps ~) ¡Gazier, 2005. p, 96). En ce sens,
elle constitue un révélateur des mutations du travail et de l'emploi
auxquetles travailleurs et entreprises sont contraints de faire face,
Ces mutations concernent le travaiL. L'accélération des évolutions technotogiques, les transformations des organisations. l'obsolescence plus ou moins
rapide des qualifications et des compétences exigent une maintenance
permanente des savoirs, et ce à tous tes niveaux de qualiication, la malléa~
bHité des situations de travail contraint les satariés à s'adapter à des
situations imprévues, à répondre à des exigences nouvetles, à s'impliquer
dans les résultats, mais aussi à prendre en charge leur adaptation à ces
évotutions, Les lois les ptus récentes intègrenl cette notion d'employabilité
pour définir tes termes d'un co-investissement entre employeur et employé
112
Le travail.
1
un
défi
pour
la
GRH-"ANAC1
concernant la formation !lois Aubry, loi sur la formation tout au long de la
vie, DIFJ,
Ces mutations affèctent la stabilité de l'emploi. Dans un contexte de crise
comme de croissance, quand la compétitivité conduit les entreprises à se
restructurer en permanence, l'emploi n'est plus garanti. La tittérature du
début des années 1990 rappetle à t'envi que le travail se raréfie (Maruani,
19941, remploi est rationné (Gazier (19991
le plein-emploi historiquement
daté ILatlement éd" 19941. Comme le note Gazier 11999J, (( les pays d'Europe
ne sont plus en mesure dassurer directement l'emploi de leur population
active, Face aux défis qu'entraîne l'mpératif d'adaptation permanente du
travaiL. des conditions de travail et des compétences, t'objectif à poursuivre
est d'assurer lemployabHité )). Faute d'emploi. assurons l'employabilité. Le
risque d'inemployabilité devient plus préjudiciable que le risque de perte
d'emploi qui se banalise.
Lemployabililé est alors mobilisée pour repenser ta relation d'emploi, voire
remettre en cause ses normes, telles qu'issues du modèle fordien de
régulation sociale ¡CDI, temps plein, promesse de carrièrel ou encore mettre
en perspective des réflexions en cours sur (es normes de travail en Europe,
sur la gouvernance de l'emplo,i dans une économie mondialisée (Supiot,
19991. Elle est au cæur de la doctrine managériale du MEDEF, fondée sur ta
logique compétence, L'organisation patronale y redéfinit la relation d'emploi
en termes d'engagements mutuels entre employeur et employé autour
dune obligation de résultats'. En échange de sa performance et de son
implication dans les résultats de l'entreprise, le salarié reçoit une
employabilité, En développant les compétences de ses satariés, l'entreprise
favorise leur employabilité et leur (( attractivité personnetle sur le marché du
travail)) (Thierry, 1995, p, 7841, Au cæur de cet échange, la co-responsabilité
employeur/emptoyé dans la construction d'un portefeuille de compétences
renouvelte la figure du travaitleur salarié au profit d'un (( salarié acteur de
son développement )).
Cet échange est certes inégal et laisse dans l'ombre deux questions; queUe
est la valeur marchande des compétences développées dans l'entreprise?
La démarche compétence concerne-t-elte tous les salariés ou segmentet-etle à son tour les travaileurs?
Le cas Metaleurop nous permet de répondre à la première question et de
soulever un paradoxe dans la gestion de l'entreprise, Lanalyse du travait fait
émerger une compétence collective et individuelle en matière de gestion du
risque. Celle-ci se développe en préventiön des risques encourus
(explosions, intoxications, plombémieJ et fait apparaître la nécessité d'une
sotidarité coltective, Or il a été impossible de valoriser individuellement cette
2. Quilendàse
subslituerà
lobligation
de moyns
du contraI
de
lrava
iL.
Parlie2 'Chap 2- lemployabilité
à lépreuvedu
(ravail 1
113
,
L,
¡.,
compétence sur le marché du travaiL. En effet, (es entreprises préfèrent
1
"
l',;
':!
développer une telte compétence en interne ptutôt que de l'acquérir sur te
marché, car elles ont conscience de l'importance d'une (( communauté de
travail capable d'intervenir sur tes processus )0 IBruggeman 20051. Un tet
"'
argument justifie la mise en æuvre des démarches compétence mais
i
n'assure pas de valeur marchande à l'emptoyabilité des salariés.
La détention de compétences avérées ne sufft donc pas à assurer
l'employabiUté, D'aitleurs ce terme n'est pas prépondérant dans tes
démarches compétence,
- La première raison tient à la contingence des compétences: eUes sont plus
ou moins étroitemenl liées au contexte de leur mise en æuvre et leur
transférabilité d'un emploi à un autre, d'une entreprise à une autre est loin
d'être acquise,
- La seconde renvoie aux enjeux stratégiques de ta démarche compétence.
Celle-ci fonde t'essentiel de son argumentaire sur l'articulation de
l'économique et du sociat et l'mplication conjointe employeur/employé:
contribuer à la compétitivité et à la performance de l'entreprise doit
favoriser sa pérennité, le maintien des emptois, cetui des salariés dans
l'emploi. En d'autres termes, si les entreprises investissent dans les
compétences des salariés, ce n'est pas pour les voir partir et fournir de la
ma;n-d'æuvre de qualité aux concurrents, Elles en attendent un retour sur
investissement.
Or le propos d'une politique d'employabilité ne se limite pas au dévelop.
pement des compétences, Il se situe à un autre niveau qui consiste à favoriser
la mobilité sur te marché du travaiL. Son objectif est différent: (( d'une
optimisation des compétences internes, pour les besoins de l'entreprise,
l'accent se déplace vers l'optimisation des conditions pour conserver ou
retrouver un emploi )) (Pétosse et al.. 19951. Il s'agit de développer une
compétence à t'emploi, c'est~à-djre une (( capacité d'aulo-évatuation et
d'auto~positionnement sur te marché du travail)) (Benarrosh, 2005, p, 65/,
De plus, si tes dêmarches compétence n'intègrent pas encore totalement
cette (( compétence à l'emploi )0, eUes sont loin de concerner tous les
satariés d'une (( entreprise étendue )). A ce niveau, on peut faire l'hypothèse
que le développement de formes d'emploi diversifiées, de la sous~traitance,
de partenariats multiples introduit une discrimination entre tes activités (( à
forte valeur ajoutée ", (( cæur de métier )) et tes autres plus périphériques.
À l'affaiblissement du lien salarial correspond une moindre gestion des
compétences, Déjà t'observation montre qu'au sein de certaines entreprises
(( le dispositif (compétence) ne s'applique pas à toutes tes catégories de
satariés, mais à ceux que nous avons désignés par t'expression (( colonne
vertébrale )) (Parlier, 2005), à plus forte raison dans te cas d'une entreprise
étendue,
114
travaiL.
1 Le
un
dMipourlaGRH_....
Il n'en reste pas moins, qu'en l'état actuel des pratiques, les démarches
compétence constituent sarts aucun doute le terreau par excellence d'un
maintien de lemployabilité des salariés, Elles sont à la fois l'nstrument de
la conduite du changement organisationnel, du développement profes-
sionnel des salariés, de la connaissance des exigences du travail et de la
formalisation des emplois, Elles sont aussi le moyen d'introduire les
exigences du marché (client, donneur d'ordre, normes gestionnaires) dans
la culture des satariés, Elles contribuent certes à (( l'équipement du
salarié )) j elles laissent pleine et entière la question de (( l'équipement du
marché )) ¡Gazier, 20051.
CONCLUSION
Létude de la cellule de reclassement des ex-salariés de Métaleurop nous a
permis de mettre à l'épreuve la notion d'employabilité et de prendre la
mesure de ses enjeux et de son opérationnalité, EUe montre que la mobilité
des satariés, leur capacité de réinsertion professionnelle dépendent étroi-
tement des contextes d'emploi et de leurs modes de gestion, La responsabilité de l'entreprise en matière d'employabiUté est à ce niveau clairement
établie: une politique d'investissement en capital et en formation favorise
une employabilité élevée, eUe-même expticative d'un taux de reclassement
élevé et inversement (Beaujolin 2005). À Metaleurop, les salariés (( font les
frais des conditions dans lesquelles ils ont acquis, conquis les termes de
leur indépendance et de leur valeur, C'est-à-dire dans le cadre de l'nformel,
de l'ombre, du collectif installé dans la durée )) lLinhart, 2005, p, 921. Les
politiques publiques, de leur côté, en segmentant les catégories de
travailleurs et en les associant à certains types d'emploi, renforcent (es
inégalités sociales et les difficultés d'employabilité. Enfin, utiliser ta notion
pour évaluer te potentiel de retour à l'emploi conforte l'négalité des
individus face aux critères d'embauche.
Un premier paradoxe apparaît: mobilisée pour dénier la sécurité de l'emploi
et inciter t'ndividu à se projeter dans une dynamique d'évolution, la notion
reste référée à l'emploi dont les conditions objectives ne changent guère, et
se révèle peu opérante, Nous avons montré la nécessité d'un retour vers le
travail et le collectif pour lui donner un (( contenu )). Mais nous constatons
alors un second paradoxe : (es compétences ne sont pas une condition
suffsante à temployabilité. Leur transférabitité, leur valeur marchande ne
sont pas assurées et varient selon les secteurs d'activité et les niveaux de
qualification : quant aux pratiques de gestion des compétences, elles
s'inscdvent dans des contextes stratégiques el organisationnels qui à leur
Parlle'2-Chap '2-Lemployabilotéàlépreuvedutravai( 1
115
tour segmentent .les travailleurs, Dans ce cadre, être employable, c'est
d'abord développer une (( compétence à l'emploi ~~ pour pouvoir prouver et
vendre ses compétences. Cela aurait certes été utile aux salariés de
Métateurop !
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