A moitié vide, la prison pour ados est hors de prix

Transcription

A moitié vide, la prison pour ados est hors de prix
Vaud et région
A moitié vide, la prison pour ados est hors de prix
Palézieux : L’établissement des Léchaires est sous-exploité depuis ses débuts. Pour combler son
déficit, les cantons latins devront se partager une addition salée. La grogne monte.
Par: Pascale Burnier 11.02.2016
Plus question de le nier: la prison pour mineurs des Léchaires, ouverte en mai 2014 à Palézieux, tourne à
bas régime. Cinq mois après son ouverture, les voix des professionnels s’élevaient déjà pour questionner
son avenir. Son directeur, Philip Curty, se montrait rassurant: «L’établissement répond jusqu’ici aux
attentes», répondait-il à 24 heures. Moins de deux ans après son ouverture, le constat est unanime. Sur
les 36 places prévues initialement avec possibilité d’agrandir jusqu’à 54, seules 18 places sont ouvertes,
confirme Sylvie Bula, cheffe du Service pénitentiaire vaudois (SPEN).
Le taux d’occupation reste pour l’heure tenu secret. A l’Office fédéral de la statistique (OFS), aucune
donnée n’a été transmise, contrairement aux autres établissements de détention du pays. Selon nos
informations, rares seraient les jours où les 18 places sont toutes utilisées. Une certitude: «Le canton de
Vaud est celui qui a placé le plus de jeunes aux Léchaires», précise Sylvie Bula. Genève n’a envoyé
qu’une dizaine de jeunes. Le Jura et le Tessin, par exemple, n’ont jamais placé de mineurs, expliquent
leurs autorités respectives.
Un système solidaire pour le déficit
Conséquence directe de cette sous-occupation: la prison des mineurs est devenue un gouffre financier.
C’est que les charges du personnel et d’exploitation devaient être compensées par les frais de pension
facturés aux utilisateurs de la prison, soit les cantons membres du Concordat latin sur l’exécution de la
détention pénale des personnes mineures (Vaud-Genève-Valais-Fribourg-Jura-Neuchâtel et
partiellement le Tessin). Dans le projet de décret de la prison, le Conseil d’Etat estimait que celle-ci
aurait des charges annuelles à hauteur de 10,3 millions de francs.
Les frais de pension, soit 36 places occupées à 100%, devaient engendrer des recettes de 9,6 millions. Le
reste étant compensé par les subventions de l’Office fédéral de la justice. Un calcul qui n’a pu se
confirmer. En se basant sur le budget du Conseil d’Etat de 2011, on peut donc estimer que la prison de
Palézieux présente un déficit de centaines de milliers de francs, voire de millions.
Qui paiera? Sur la base d’un système solidaire dit de la 13e facture prévu dans le Concordat latin, le
Canton de Vaud calcule la différence entre les charges réelles et les recettes. La différence est alors
réclamée aux cantons membres du Concordat. Et depuis peu, la tension monte. Car c’est bien cette
question de la 13e facture qui fait grincer des dents. Selon nos sources, certains se verraient réclamer
une facture de plusieurs centaines de milliers de francs. La plus grosse note atteindrait 500'000 francs.
On parle de plusieurs dizaines de milliers de francs pour le Jura, qui n’a jamais envoyé de jeunes à
Palézieux.
Source: http://www.24heures.ch/vaud-regions/A-moitie-vide-la-prison-pour-ados-est-hors-de-prix/story/16260126
L’extérieur de la prison peu avant son ouverture, en 2013. Photo: Chantal Dervey
Le Service pénitentiaire vaudois affirme que les cantons n’ont pas encore reçu de 13e facture. «La
question est actuellement en discussion», relève Sylvie Bula. «La sous-occupation des Léchaires pose
problème et des discussions sont en cours, tant pour l’avenir que pour les coûts des journées depuis
l’ouverture», commente Alain Ribaux, conseiller d’Etat en charge du Département de la justice, de la
sécurité et de la culture à Neuchâtel. En Valais, le chef du Service de l’application des peines et mesures,
Georges Seewer, confirme: «Concernant la facturation des placements aux Léchaires, les discussions
sont encore en cours.» «En juin dernier, même l’Office fédéral de la justice a tapé sur la table, explique
anonymement un directeur d’établissement pour jeunes. Il en avait marre de subventionner chaque
mois les Léchaires alors que c’est quasi vide.»
Comment en est-on arrivé là? Cet épineux problème trouve sa racine principale dans la baisse de la
délinquance juvénile. Une bonne nouvelle avant tout, même si elle met en lumière la surestimation des
besoins faite en construisant la prison des Léchaires (lire ci-dessous). Mais ce n’est pas tout. Les longues
peines de détention chez les mineurs sont extrêmement rares, et pour les courtes peines ou les
détentions préventives, les cantons du Concordat préfèrent garder le jeune chez eux. «Cela me
prendrait une heure et demie pour aller aux Léchaires et interroger un mineur, relève Yves Richon,
président du Tribunal des mineurs du Jura. Nous utilisons donc soit des cellules mises à disposition par la
police ou des places dans la prison pour adultes d’arrondissement de Moutier.» Même raison pratique
en Valais: «Les détentions provisoires jusqu’à 5 jours se font à Pramont, en Valais», confirme son
directeur, Alexandre Comby.
Concurrence entre établissements
A cela s’ajoute que, quasi partout, les établissements pour mineurs se vident. Selon les autorités
judiciaires genevoises, le Centre éducatif de La Clairière présente un taux d’occupation de seulement
65%. Alors certains cantons privilégient leurs structures au détriment des Léchaires. «La Clairière
accueille des mineurs en détention provisoire pour une courte durée, mais aussi ceux qui purgent de
courtes peines», confirme Laurent Forestier, directeur de la communication du Département de la
sécurité et de l’économie de Genève.
La concurrence entre établissements est réelle. Et minimiser les coûts est un but pour tous. «Le prix de
pension est plus cher à la prison de Palézieux qu’à La Clairière, à Genève, observe Nicolas de Weck, juge
des mineurs à La Chaux-de-Fonds. Les juges et les politiques ont alors parfois des intérêts divergents.
Ces derniers recherchent les coûts les moins élevés. Mais plus on place ailleurs et plus le prix de la
Source: http://www.24heures.ch/vaud-regions/A-moitie-vide-la-prison-pour-ados-est-hors-de-prix/story/16260126
prison de Palézieux sera important. C’est un cercle vicieux. Selon moi, nous devons être solidaires des
Vaudois.» Le prix de pension pour une journée de détention à la prison de Palézieux lorsque le mineur
est au bénéfice d’une occupation est aujourd’hui de 900 francs. (24 heures)
(Créé: 11.02.2016, 06h26)
___________________________________________________________________________________
Evolution inattendue
Un lent processus Dans les années 2000, la délinquance juvénile explosait. A cela s’ajoutait en 2003 le nouveau
Droit pénal des mineurs, qui prévoit des peines de prison non plus de 1, mais de 4 ans maximum. Tous, et les juges
les premiers, ont donc réclamé une prison pour mineurs.
En 2005, le Concordat latin était créé et donnait cette mission aux Vaudois. En 2009, le Grand Conseil accordait un
crédit pour l’étude et l’achat du terrain, soit 20'000 m2 à Palézieux. Le feu vert à la construction de la prison était
donné en 2011. Pour un coût de 30,5 millions, dont 27,7 millions à la charge des Vaudois, le solde venant de la
Confédération.
La réalité actuelle Depuis 2007, la vapeur a commencé à s’inverser. Les délinquants mineurs ont diminué. Les juges
ont aussi privilégié les mesures de placement à durée indéterminée mais à visée éducative plutôt que de mettre des
ados en prison. Depuis 2013, la baisse est encore plus radicale. «Il est vrai que l’établissement pour mineurs de
Palézieux a été conçu (dans les années 2000) à un moment où les besoins étaient autres.
Depuis, la situation a évolué», constate Sylvie Bula, cheffe du SPEN. Selon une photographie d’un jour de septembre
2015 de l’Office fédéral de la statistique (OFS), seuls 23 jeunes étaient en préventive et 9 en détention dans toute la
Suisse. Une enquête des années 2004-2006 projetait un besoin de 46 places de préventive et 19 de détention
uniquement pour les cantons latins.
_____________________________________________________________________________________________
L’avenir de Palézieux au cœur des discussions
Que faire de la prison pour mineurs? Avec son grillage de 6 mètres érigé devant un mur, ses six unités pouvant
accueillir chacune six détenus, ses gardiens de prison et ses éducateurs, l’établissement des Léchaires n’est pas un
foyer, mais bien une prison. Sa mission est d’accueillir des mineurs condamnés à de la détention ferme
ou préventive. Mais voilà, les jeunes candidats se font rares.
Vendredi dernier, le foyer d’éducation pour mineurs de Prêles (BE) fermait ses portes, faute de clientèle, et
prévoyait d’en faire un lieu d’accueil pour les requérants. Parallèlement, le foyer
de Pramont, en Valais, qui gère des mineurs en placement fermé et des jeunes adultes (18-25 ans) avec un trouble
de la personnalité, affiche complet. «Nous avons même une liste d’attente plus élevée au niveau des jeunes
adultes», précise Alexandre Comby, son directeur.
Le Service pénitentiaire vaudois (SPEN) confirme: «Une réflexion sur l’avenir de Palézieux est en cours. Une
communication aura lieu prochainement.» Reprendre les jeunes condamnés à une mesure accueillis jusqu’ici à
Prêles? Ou mieux. Reprendre les jeunes adultes sous le coup d’une mesure qui attendent pour une place à Pramont?
En coulisses, beaucoup estiment que Palézieux devrait accueillir désormais les jeunes adultes.
«La loi proscrit le mélange de l’exécution des mesures et des peines, ce qui empêche Les Léchaires de reprendre
cette mission, ou encore celle de Prêles», répond le SPEN. Fin février, la Commission du Concordat latin se réunira,
précise Alexandre Comby. «La répartition de la clientèle mineure au sein des établissements concordataires (les
Léchaires et Pramont) suite à l’annonce de la fermeture de Prêles sera abordée.»
Source: http://www.24heures.ch/vaud-regions/A-moitie-vide-la-prison-pour-ados-est-hors-de-prix/story/16260126