L`illettrisme de l`argent existe aussi - Cresus Île-de
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L`illettrisme de l`argent existe aussi - Cresus Île-de
L’illettrisme de l’argent existe aussi Tribune publiée par le quotidien Libération du 28 janvier 2013, sous la signature d’Olga Trostiansky, adjointe au maire de Paris, chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre l'exclusion, et de Jean Beaujouan, président de l’association Crésus Île-de-France Paris. La pauvreté est une forme d’emprisonnement dans des murs dont le matériau principal est le manque d’argent. Chacun en connaît les grandes causes : le chômage, la précarisation de l’emploi, la maladie, les accidents de la vie, le coût du logement, l’échec scolaire… Dans cette analyse, deux points supplémentaires méritent d’être mis en lumière. Le premier est que la société publicitaire de consommation de masse crée un environnement qui nous invite, avec une force extrême, à consommer et à dépenser, au besoin en empruntant. Si certaines personnes ont les moyens de résister aux sirènes de la consommation, d’autres sont plus fragiles face à ce matraquage publicitaire. Comme les autres, les plus démunis se voient offrir du crédit - ne serait-ce que sous la forme d’un découvert bancaire - ou réussissent à en trouver par leurs propres moyens. Qui pourrait reprocher à certains d’entre eux de succomber à ces tentations pour rendre leur quotidien moins difficile ? Un second facteur d’appauvrissement, rarement évoqué, est l’incompétence en matière de gestion budgétaire et de maniement de l’argent. Ce phénomène d’«illettrisme de l’argent» est moins connu mais non moins redoutable que l’illettrisme classique (lire, écrire, compter). Il ne touche pas seulement les personnes les plus pauvres, mais toutes les couches sociales. Une personne illettrée de l’argent défend souvent moins bien ses intérêts et son argent face aux multiples tentatives de prédation financière dont les particuliers sont l’objet dans leur vie quotidienne. Plus que d’autres, elle risque de dépenser au-delà de ses moyens, et d’entrer dans les procédures coûteuses du découvert non autorisé, du chèque sans provision, puis dans le cycle infernal du surendettement (recours à un premier, un second voire à un troisième crédit renouvelable, etc.). Dans son fonctionnement budgétaire et financier, une personne ou une famille illettrée de l’argent fonctionne un peu comme le ferait une entreprise qui n’aurait ni chef comptable ni directeur financier. Elle est donc en danger de s’appauvrir et de perdre son autonomie, voire de mettre sa vie en péril. La compétence budgétaire et bancaire n’est évidemment pas suffisante pour garantir contre la pauvreté ni contre le surendettement. Mais, à conditions égales de revenus et de besoins, elle permet à celui qui la possède d’optimiser ses dépenses et d’éviter de se mettre en danger de manière aveugle. Comme l’a montré récemment un travail réalisé par une équipe d’étudiants de Sciences-Po Paris dans le cadre d’un projet collectif soutenu par le département de Paris, l’éducation budgétaire et bancaire à grande échelle nous semble donc une voie évidente pour faire reculer la pauvreté et l’exclusion. Il est d’ailleurs étonnant de constater le décalage entre l’importance des efforts réalisés par notre pays en matière de lutte contre l’illettrisme classique et le silence dans lequel est menée la lutte contre l’illettrisme de l’argent au sein des services sociaux et des associations spécialisées. L’association Crésus Ile-de-France-Paris conduit, depuis trois ans, une expérience approfondie en proposant à ses usagers surendettés de participer à des groupes d’échange et de formation sur l’argent, la gestion du budget et la relation bancaire. Cette démarche conduit les participants à améliorer la tenue de leur budget et la relation avec leur banque, à constituer une épargne de précaution et à adopter des modes de consommation plus maîtrisés. Ce travail demande aux participants un réel investissement. L’enjeu pour eux n’est pas seulement d’acquérir des connaissances et des outils pour apprendre à mieux gérer leur budget. Il est aussi et surtout, progressivement, de regarder en face une réalité financière que beaucoup préfèrent ignorer. Il est enfin, et c’est là l’essentiel, de porter un regard plus critique sur les sollicitations publicitaires permanentes dont ils sont la cible, de se protéger contre les politiques de marketing parfois envahissantes de leur propre banque, d’apprendre à donner la priorité aux dépenses vraiment indispensables et de proscrire les autres dès lors qu’elles mettraient en danger l’équilibre de leur budget. L’éducation budgétaire constitue un enjeu éducatif citoyen et d’intérêt général au service des jeunes et des personnes en situation de fragilité : les pouvoirs publics doivent donc la soutenir activement.