«Je me sentais espionnée» Roumaine e t fière de l `être Un cadeau

Transcription

«Je me sentais espionnée» Roumaine e t fière de l `être Un cadeau
1976: princesse à Montréal.
1989: fuite au Canada «pour être libre», sygma
Sygma
1996: mariage avec Bart Conner. sygma
Comaneci
un nom,
un business
Héroïne des JO de Montréal en 1976, la gymnaste roumaine a bâti
un empire aux USA. Mais ses activités restent liées à sa passion
Montreux
figurait même dans le top 10 des légendes
olympiques de l’hebdomadaire américain
Time.
Emmanuel Favre
Pierre-André Pasche
etit test dans une classe d’école vaudoise. Le prof demande à ses élèves
de 12 ans de citer le nom d’une
gymnaste; aussitôt les mômes s’embrasent
et scandent presque naturellement celui de
Nadia Comaneci. Pourtant, trop jeunes, ils
n’ont jamais vu la Roumaine à l’œuvre.
Entrée dans l’Histoire en 1976 à l’occa­
sion des JO de Montréal, la belle Nadia a
marqué les consciences. L’excellence de ses
exercices, sa grâce, son sourire avaient sé­
duit la terre entière. Grande dame des JO
malgré l’innocence de ses 14 ans, elle quitta
le Québec sous un tonnerre d’applaudisse­
ments, avec cinq médailles (trois d’or, une
d’argent, une de bronze) et — phénomène
sans précédent — une note maximale (10)
reçue aux barres asymétriques. «Je ne par­
viens pas à imaginer que des gens s’intéres­
sent encore à moi, dit-elle aujourd’hui.
Pour moi, Montréal appartient au passé.
C’est fini, il faut savoir tourner la page.»
Effort vain. Quoi qu’elle fasse, où qu’elle
soit, Comaneci est rattrapée par son passé.
Les chasseurs d’autographes, les photo­
graphes, les journalistes, les admirateurs
sont là pour le lui rappeler. Il y a un an, elle
P
Tournée de galas d'exhibition
Installée en Oklahoma, où elle réside
avec son mari, Bart Conner — champion
olympique aux barres parallèles à Los An­
geles en 1984 et actuel commentateur pour
la chaîne de télévision américaine ABC —,
Nadia Comaneci a su créer un environne­
ment propice à son épanouissement. «Làbas, je fais partie des meubles. On me solli­
cite très peu.» De publicité, pourtant,
Nadia Comaneci en a toujours besoin pour
promouvoir ses multiples activités, toutes
étroitement liées à la gymnastique.
Vingt et un ans après Montréal, elle
s’éclate toujours sur des agrès. Avec son
mari et son manager, Paul Zirt, elle a mis
sur pied une tournée mondiale de galas
d’exhibition. Basé sur le thème de
«Grease», le spectacle a rencontré un im­
mense succès aux Etats-Unis, en France,
au Mexique et en Roumanie. <J e dois être
la seule gymnaste de plus de 30 ans à pou­
voir exercer sa passion.» Mais là n’est pas
son but premier: «A 18-19 ans, les gym­
nastes sont souvent contraints de prendre
leur retraite. Grâce aux galas profession­
nels, ils trouvent une nouvelle scène d’ex­
pression. Et ce sans juges (rire)...» L’idée a
d’ailleurs fait des émules, puisque l’équipe
féminine américaine couronnée à Atlanta a
emprunté la même voie.
Propriétaire d'une fabrique
de chaussures
Active dans le monde des affaires, Nadia
Comaneci gagne aussi très bien sa vie grâce
à ses conférences et démonstrations dans
les soirées des multinationales. Sous
contrat avec la société Danskin, elle est
souvent l’invitée surprise de cocktails ré­
unissant les grandes personnalités du busi­
ness. «Les gens apprécient mes petits nu­
méros, exclusivement au sol et à la poutre.
Quant à moi, je pense avoir trouvé un bon
moyen de reconversion.»
A ses heures perdues, la Roumaine s’oc­
cupe encore du magazine de gymnastique
qu’elle a acquis avec son manager, de sa fa­
brique de cuir (gants de protection utilisés
par les gymnastes aux anneaux et aux
barres) et d’une manufacture de chaus­
sures de gym, achetée il y a dixjours. «J ’en­
visage de dessiner mes propres modèles et
de les tester moi-même à la poutre. C’est
un vieux rêve d’enfant qui se réalise.» Les
chaussures s’appelleront «Nadia». Tout
simplement...
1997: rayonnante à Montreux, en marge des Mondiaux de gymnastique de Lausanne.
«Je me sentais espionnée»
Roumaine et fière de l ’être
— En 1989, vous avez fui la
Roumanie pour vous installer au
Canada. Dans quel but?
Une Roumaine s’adapteelle bien à la vie américaine?
— A cette époque-là, la presse
avait parlé de vos malheurs,
des mauvais traitem ents que
vous aurait infligés le fils de
Ceausescu...
—Je ne veux plus en parler. Un
jour, quand je me sentirai prête, je
franchirai le pas et j ’écrirai sans
doute un livre qui relatera ce mo­
ment de mon existence.
— Vous sentiez-vous libérée en
débarquant en Amérique?
—Pas tout de suite. J ’étais mé­
fiante, je n’avais confiance en per­
sonne. En fait, je me sentais tra­
quée, espionnée... Heureusement,
un ami roumain (réd.: Alexandre
Stefu) m’a hébergée à Montréal.
— Avant les JO d’Atlanta, vous
aviez offert 100 000 dollars à la
Fédération roumaine de gym­
nastique. Quelles étaient vos
motivations?
Au début, j ’ai dû m’accrocher.
& culture était tellement diffénte de la mienne. Mais je me
adaptée à cet environnement;
un tel point qu’aujourd’hui je
e plais aux Etats-Unis, où je me
ns chez moi.
— Pour être libre. Libre de gérer
ma vie, libre de prendre des déci­
sions, libre de travailler où je le
souhaitais.
Mais, malheureusement, Stefu
s’est tué en plongée, et je me suis
retrouvée toute seule au Québec.
— C'est alors que vous avez pris
contact avec Bart Conner...
— Oui, j ’avais rencontré Bart en
1976 à l’American Cup. Il m’avait
dit de l’appeler le jour où j ’aurais
besoin de lui. Quatorze ans plus
tard, j ’ai composé son numéro, et
il m’a accueilli en Oklahoma
— Résultat: le 22 avril 1996,
vous vous êtes mariés à Buca­
rest!
— C’est une belle histoire, non?
E.F.
Vous n’avez pas oublié vos
racines pour, autant...
Bien sûr que non! Aux Etatsnis, je suis fière d’être Rouaine. Pour l’anecdote, lorsque je
serve un billet d’avion, je téléîone en priorité à une compa­
gnie roumaine.
Rentrez-vous souvent à Bu­
carest?
Aussi souvent que possible, car
’ai besoin de voir ma famille, qui
îabite en Roumanie.
Vos
compatriotes
vous
considèrent-ils toujours comme
ne reine?
Un cadeau de 100 000 dollars
—Oui, mais je ne préviens jamais
personne de mes visites au pays. A
Bucarest, je tiens à passer tout
mon temps avec mes proches plu­
tôt que de m’exhiber en public et
de répondre à des invitations offi­
cielles. Donc, je m’enferme (rire).
— Voyagez-vous avec un passe­
port roumain ou américain?
—Les autorités roumaines m’ont
attribué un passeport diploma­
tique et j ’en suis fière. Aux EtatsUnis, je ne suis qu’une résidente.
Je dois attendre quelques années
encore avant d’obtenir le statut de
citoyenne.
e. F.
—Je voulais simplement les aider
afin que les gymnastes de mon
pays arrivent aux JO dans les
meilleures conditions possibles.
Au Georgia Dome, les filles ont
brillé, décrochant notamment
trois médailles (une d ’argent, deux
de brome) à la finale individuelle.
— Vous impliquez-vous encore
pour la gym roumaine?
— De manière ponctuelle seule­
ment. Etant présidente honoraire,
j’assiste parfois à des séances ou à
des conférences de presse. Mais, à
ce niveau-là, mon rôle est unique­
ment représentatif. B m’arrive
aussi d’accueillir des gymnastes
en Oklahoma. Ainsi, il y a
quelques mois, Lavinia Milesovici
a participé à notre gala.
— Les critiques s'abattent régu­
lièrement sur les méthodes
d’entraînement préconisées par
les entraîneurs roumains au
Centre de Deva...
—Par exemple?
— On attacherait les pieds des
gymnastes pour les rendre plus
performantes à la poutre...
— Ecoutez: on n’obtient pas de
bons résultats sur le plan mondial
sans sacrifices ni discipline. Les
filles qui refusent de se soumettre
à ces exigences ne brilleront ja­
mais. C’est une question de choix
dç départ.
E. F.