des articles de loi plus beaux qu`efficaces

Transcription

des articles de loi plus beaux qu`efficaces
pro natura magazine
thema
1
04 | 2014 JUILLET
1
Droit suisse de l'environnement : des
articles de loi plus beaux qu'efficaces
3
sommaire
éditorial
dossier
4 — 13 Des articles de loi con-
tournés ou même ignorés
La Suisse dispose d’un arsenal de lois en
droit de l’environnement parmi les plus
progressistes au monde. A travers un
grand nombre de lois, d’ordonnances et
Florence Kupferschmid-Enderlin,
rédactrice romande
Entre la théorie et la pratique :
il y a un monde …
Dans un document officiel de l’Office fédéral
d’inventaires, la protection de la nature
est prévue dans notre pays. Dans la pra­
tique cependant, cet édifice législatif ne
produit pas l’effet escompté : les cantons
et les communes se moquent d’une appli­
cation lacunaire du droit fédéral. Et s’inté­
de l’environnement consacré au droit de l’en­
ressent davantage à défendre les intérêts
vironnement, on peut lire que : « Le droit
économiques, parfois même leurs propres
suisse de l’environnement a atteint un haut ni­
intérêts, qu’à se mobiliser pour sauvegar­
veau qualitatif au cours des dernières décen­
der la nature et le paysage.
Illustration: Isabelle Bühler
nies. Dans les prochaines années, les vides ju­
ridiques devront être ponctuellement comblés
en faisant évoluer la législation environnemen­
tale et en l’adaptant aux nouveaux défis. »
C’est clairement dit : la Suisse dispose de
presque tout l’arsenal législatif nécessaire pour
protéger ses beaux paysages, favoriser la biodi­
versité et enrayer le mitage du territoire. Alors
où est le problème ? La Suisse a certes des lois
progressistes en matière de protection de la
nature, mais elles ne sont pas appliquées de
manière conséquente. Dans notre dossier, trois
chargés d’affaires de sections cantonales de
Pro Natura partagent leurs expériences : pour
eux, il est notoire que le droit environnemen­
tal est souvent soumis à de fortes pressions et
appliqué de manière laxiste.
Quant à Bertrand von Arx, président de
la Conférence des délégués à la protection de
la nature et du paysage, son analyse met clai­
rement en évidence que les aspects nature et
paysage sont parfois négligés, voire plus ou
moins volontairement ignorés, lors des réflex­
ions initiales sur les projets ou durant leurs
phases de planification. Entre la théorie et la
pratique, il y a un monde …
14 rendez-vous
16en bref / impressum
18 actuel
18 P
esticides : tous à la caisse
20 F
enaco : quelle politique se cache
derrière cette multinationale
silencieuse ?
24 Prêt pour l'ours : le Val Poschiavo
se prépare à la prochaine visite
29 nouvelles
29 1000 nouveaux arbres fruitiers grâce
à Pro Natura Fribourg 30 service
34 pro natura actif
38 saison
39 shop
40la dernière
actuel
tection de la nature, Pro Natura en tête, endos­
24 Le Val Poschiavo se prépare
à la prochaine visite de l'ours
sent le rôle parfois ingrat d’avocat de la­nature­.
En mai dernier, l’ours M25 a fait une in­
Face à ce hiatus, les associations de pro­
Un travail difficile et quelquefois découra­
cursion d’une journée dans le Val Poschia­
geant pour les ONG, mais un travail néces­
vo. S’il revient, lui ou l’un de ses congé­
saire. Alors avant de combler certains vides ju­
nères, la vallée grisonne est désormais
ridiques, appliquons déjà correctement les lois
bien préparée.
existantes, afin que les articles de loi – comme
nous les avons symbolisés visuellement dans
Tanja Demarmels
ce dossier – ne restent pas de purs éléments
décoratifs.
Couverture : sur le papier, notre droit de l'environnement est exemplaire. Dans la réalité, les
articles de loi, comme nous les avons illustrés dans ce magazine, suscitent peu d'intérêt.
Illustration : Isabelle Bühler
www.pronatura.ch
4
dossier
Le droit suisse de
l'environ­nement est vidé
de sa substance
En Suisse, les moyens font souvent défaut pour exécuter les obligations
légales en matière de protection de la nature. Et la pression politique
sur les autorités compétentes ne cesse de croître.
Il fait frais en cette soirée de mai dans la réserve naturelle Pro
et ne leur octroient guère de ressources, ou pas assez. Et si des
Natura de Bösimoos près de Stetten, dans la vallée de la Reuss
intérêts économiques sont en jeu – souvent à l’encontre de la
en Argovie. Il y a vingt ans, un champ marécageux y a été amé-
conservation d’un objet naturel digne de protection – les milieux
nagé en petit paradis naturel : des mares, des prairies humides,
politiques font comprendre aux autorités cantonales et fédérales
des haies et des murgiers offrent de nouveaux habitats aux rai-
compétentes qu’elles sont priées de ne pas s’y opposer.
nettes vertes et aux crapauds accoucheurs. Malgré la fraîcheur,
les chanteurs, d’abord timides, se font de plus en plus nombreux
Des piques contre la protection de la nature
à la tombée de la nuit.
Le peuple suisse a certes renforcé le pouvoir des organisations
écologistes en rejetant très nettement l’initiative demandant la
La rainette verte (Hyla arborea), qui vit dans des milieux hu-
mides diversifiés, a également sa place, directement ou indirecte-
suppression de leur droit de recours en 2008. Au plan politique,
ment, dans plusieurs lois et ordonnances. Elle jouit même d’un
les milieux hostiles à la nature ne souhaitent plus se brûler les
statut de protection très élevé en Suisse. Selon la Loi sur la pro-
doigts sur ce sujet. Mais les bases légales sur l’environnement
tection de la nature et du paysage (LPN), elle est protégée de
sont désormais en point de mire : la protection des eaux et du
toute atteinte directe, ainsi que contre la destruction de ses bio-
paysage est torpillée sous le couvert de la transition énergé-
topes – et cela depuis des décennies. Par ailleurs, bon nombre
tique, notamment par la proposition d’affaiblir la Commission
de ses habitats sont inscrits à l’inventaire des sites de reproduc-
fédérale pour la protection de la nature et du paysage (CFNP).
tion de batraciens d’importance nationale.
Et quelques gouvernements cantonaux s’opposent systématiquement à une amélioration de la protection des paysages d’impor-
La politique ignore les mandats légaux
tance nationale (IFP).
Pourtant, la rainette verte est considérée comme fortement me-
nacée en Suisse. Comme 78 % des amphibiens indigènes, elle
que c’est pour des raisons financières que les Forces motrices
L’attitude du canton de Berne est symptomatique : alors
figure sur la Liste rouge parmi les espèces plus ou moins mena-
bernoises (FMB) repoussent de gros investissements déjà au-
cées. Bien que la rainette soit sous protection totale depuis des
torisés dans la région du Grimsel, l’exécutif prétend envers et
années en Suisse, elle ne parvient pas à recoloniser les plaines
contre tout que c’est la protection de ses plus beaux paysages
où elle était autrefois si répandue.
qui entrave la transition énergétique. Détail piquant : le canton
Cet exemple démontre que même la plus haute protection
de Berne est actionnaire majoritaire des FMB. En raison des in-
légale a peu d’effet si les priorités politiques ne vont pas dans le
certitudes économiques, la société investit aujourd’hui dans le
sens de la protection des bases naturelles de la vie. Une majori-
marché de l’électricité dont elle retire un bénéfice garanti par
té de parlementaires fait passer des milliards pour un deuxième
l’Etat ; c’est-à-dire dans les petites centrales hydrauliques parti-
tunnel au Gothard ou des dizaines de millions pour un gigan-
culièrement dommageables pour l’environnement. Or, ces der-
tesque projet de Jeux olympiques. Or, quand il en va d’une vé-
nières ne contribuent pratiquement pas à la transition énergé-
ritable protection des marais, d’une stratégie adéquate pour la
tique, mais assurent des excédents découlant de la rétribution à
biodiversité ou d’une protection efficace du paysage, ces mêmes
prix coûtant du courant injecté (RPC). Il n’est pas difficile, dans
élus trouvent que cela coûte trop cher malgré le mandat légal
ces circonstances, de se représenter la marge de manœuvre dont
Pro Natura Magazine 4/2014
Illustrations : Isabelle Bühler
dossier
disposent les autorités bernoises en charge de la nature
des dépenses annuelles. Le comité central et les sections ont dé-
lorsqu’elles doivent évaluer la protection des eaux contre les at-
posé entre 15 et 20 recours par an en faveur de la nature ces der-
teintes techniques des FMB, qui appartiennent de facto à l’Etat.
niers temps. Grâce au taux de succès élevé d'environ 70 %, cet
Si des projets de construction portent préjudice à la nature,
instrument déploie un important effet préventif bien qu’il soit
les associations environnementales peuvent intenter une action.
très peu utilisé.
Pro Natura et ses alliés ont ainsi réussi à empêcher des inter-
ventions qui auraient été très néfastes et peu bénéfiques le long
tut légal de protection de l’animal, l’Argovie a tout de même
de la pittoresque Verzasca (2013) et du romantique torrent du
pu financer les nombreuses et coûteuses mesures de sauvetage
Mais revenons à la rainette verte et à ses lois : grâce au sta-
Gonerli dans la vallée de Conches (2014). Elles n’ont fait usage
prises par la section Pro Natura avec des deniers fédéraux et
de leur droit de recours que parce que les autorités cantonales
cantonaux. L’histoire finit donc bien dans le Bösimoos, mais de
ne voulaient ou ne pouvaient s’opposer avec succès aux fortes
tels succès seront toujours plus rares dans beaucoup de cantons
atteintes à l’environnement. Le Tribunal fédéral a aussi rappelé
si les caisses de l’Etat sont délibérément vides. C’est pourquoi
très clairement aux autorités cantonales compétentes leur res-
les organisations de protection de la nature luttent actuellement
ponsabilité légale face à la nature.
afin que le plan d’action de la Stratégie Biodiversité Suisse ne
reste pas lettre morte et que notre riche pays libère des moyens
Police verte des constructions ? Non merci !
pour conserver la biodiversité comme l’exige le mandat légal.
Pro Natura n’entend cependant pas jouer le rôle de « police verte
Mais pour cela, il faut aussi un changement de tendance dans la
des constructions ». Elle n’emploie qu’une seule juriste spécia-
politique de protection de la nature en Suisse. Pro Natura s’en-
lisée en droit de l’environnement au secrétariat central et dé-
gage pour le rendre possible.
pense environ 25 000 francs par an en frais d’avocat. Les coûts
dus à l’usage du droit de recours représentent environ 0,5 %
Pro Natura Magazine 4/2014
RICO KESSLER dirige la division Politique et affaires
internationales chez Pro Natura.
5
6
dossier
Des dispositions efficaces
sur le papier
La Suisse peut se targuer de disposer d’une législation progressiste en
matière de protection de la nature et de l’environnement. Point faible :
les autorités ne s’y tiennent pas toujours.
La législation suisse sur la protection
ou encore les prairies et pâturages secs
de la nature et de l’environnement est
(PPS). Toute intervention dans ces zones
exemplaire. Les actes essentiellement
d’importance nationale est strictement
édictés par la Confédération, mais aus-
réglementée.
si par les cantons et les communes, auxquels s’ajoutent des traités internatio-
Le droit fédéral est ignoré
naux, forment un vaste dispositif régle-
Mais aussi efficaces qu’elles semblent en
mentaire qui vise à conserver et à pro-
théorie, ces lois ne garantissent malheu-
mouvoir la nature et l’environnement.
reusement pas une protection automa-
Ces divers actes reposent sur le man-
tique de la nature. Encore faut-il qu’elles
dat constitutionnel de protection de la
soient appliquées. Ce qui est trop rare-
nature, du paysage et de l’environne-
ment le cas. Bien souvent, les cantons et
ment. Les pierres angulaires en sont la
les communes négligent l’exécution des
Loi sur la protection de l’environnement
prescriptions édictées par la Confédéra-
(LPE), qui définit les fondements du droit
tion. Bon nombre de lois ne sont pas res-
dans ce domaine – tels que les principes
pectées – en raison de la pression finan-
de précaution et de causalité – ainsi que
cière et politique, de conflits d’intérêts,
la Loi sur la protection de la nature et
d’un usage par trop généreux des déro-
munes, ou les cantons, jugent les inté-
du paysage (LPN), qui assure le ména-
gations et de services affaiblis, mais aus-
rêts économiques plus importants que
gement et la conservation intacte de la
si du manque de possibilités de sanction
la conservation de la nature et du pay-
nature et du paysage.
en cas de non application de la loi.
sage. Résultat : ils délimitent des zones à
Ce fossé entre la théorie et la pra-
bâtir surdimensionnées ou octroient gé-
du territoire (LAT) régit l’utilisation du
En outre, la Loi sur l’aménagement
tique est particulièrement frappant dans
néreusement des permis de construire
sol ; c’est grâce à elle qu’il existe encore
le domaine de la protection des eaux : se-
hors de ces zones, notamment à des fins
des zones non bâties en Suisse. D’autres
lon la LEaux, les autorités auraient dû
touristiques.
lois, relatives notamment à la protection
prescrire des débits résiduels minimaux
des eaux (LEaux) et des forêts (LFo), as-
pour les captages existants au plus tard
portants pouvoirs pourraient remédier à
Des tribunaux cantonaux dotés d’im-
sorties de leurs ordonnances, ont égale-
en 2012. En dépit du mandat légal clair,
ce problème. C’est sans compter qu’ils
ment pour but de protéger la nature.
les lits de rivières continuent de rester
accordent parfois eux aussi un poids
secs et sans vie en aval de nombreuses
disproportionné aux intérêts locaux. De
plus, ils ne peuvent agir que s’ils sont
Les inventaires complètent les lois
centrales électriques. Et les prescrip-
De nombreuses zones où la nature est
tions légales sont régulièrement ignorées
saisis par un plaignant qui exige le res-
particulièrement riche, unique, vulné-
lorsqu’il s’agit d’octroyer des concessions
pect des dispositions légales. En fin de
rable et digne de protection sont réper-
pour de nouvelles usines hydrauliques.
compte, c’est à chaque autorité chargée
toriées dans des inventaires fédéraux,
L’instance judiciaire suprême, le Tri-
de mettre en œuvre le droit qu’il revient
comme l’Inventaire fédéral des pay-
bunal fédéral, remet régulièrement les
d’observer les dispositions légales. Sinon,
sages, sites et monuments naturels d’im-
autorités à leur place. Les violations
notre législation progressiste risque bien
portance nationale (IFP), l’Inventaire des
de la loi sont également très fréquentes
de rester lettre morte.
bas-marais, celui des sites de reproduc-
dans le domaine de l’aménagement du
tion des batraciens, des sites marécageux
territoire. En effet, de nombreuses com-
FRANZISKA SCHEUBER est cheffe de projet
en droit de l’environnement chez Pro Natura.
Pro Natura Magazine 4/2014
dossier
« Il manque parfois
une certaine connaissance
de la loi »
Pro Natura : comment jugez-vous la
vation de la biodiversité, le transfert du
qualité de la législation sur l’environ-
trafic de marchandises de la route au rail,
nement en Suisse ?
la diminution de la teneur en poussières
Heribert Rausch : les fondements
fines dans l’atmosphère et la réduction
constitutionnels sont forts. « La Confé-
des émissions de CO2 au plan national.
dération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre
Comment expliquez-vous cette exécu-
la nature, en particulier sa capacité de
tion lacunaire ?
renouvellement, et son utilisation par
Dans la mesure où l’application du droit
l’être humain », dispose la Constitution
relève d’une autorité communale ou canto-
fédérale (Cst.) à l’art. 73. Elle vise égale-
nale chargée en priorité d’accomplir
ment à protéger l’être humain et son en-
d’autres tâches, il y a parfois une certaine
vironnement naturel contre les atteintes
méconnaissance de la loi. De plus, ces
nuisibles ou incommodantes (art. 74).
instances sont souvent proches des mi-
Et l’aménagement du territoire doit ser-
lieux concernés, contre les intérêts indivi-
vir « une utilisation judicieuse et mesu-
duels desquels il faudrait appliquer la loi
rée du sol » (art. 75). Les dispositions re-
dans l’intérêt général. Quelquefois même,
latives aux eaux, aux forêts ainsi qu’à
les magistrats cantonaux donnent l’im-
la protection de la nature et du paysage
pression de vouloir prouver leur indépen-
(art. 76 à 78) sont tout aussi pertinentes.
dance par rapport à Berne en mettant du
Les articles énonçant le but, ainsi que les
zèle à refuser d’exécuter le droit.
dispositions fondamentales des lois fédérales concernées ne font pas de conces-
Quelles mesures proposez-vous pour
sions là-dessus. Par contre, leurs normes
améliorer l’exécution ?
opérationnelles ne sont pas toujours
Le gouvernement national doit se rappe-
cohérentes. Le fait de privilégier par
ler l’art. 49, al. 2 de la Constitution selon
exemple le trafic par rapport à d’autres
lequel « la Confédération veille à ce que
sources de bruit dans la Loi sur la pro-
les cantons respectent le droit fédéral. » Il
tection de l’environnement ou les révi-
doit aussi faire régner l’ordre au sein de
sions de la Loi sur l’aménagement du ter-
sa propre administration. On ne peut pas
ritoire, qui ont ouvert la zone agricole
continuer de laisser l’Office fédéral du dé-
à des utilisations toujours moins liées
veloppement territorial regarder, les bras
au sol. Le principal problème, toutefois,
croisés, le mitage de notre pays se pour-
est clairement l’exécution déficiente des
suivre. km
prescriptions en vigueur.
Dans quels domaines est-elle la plus
frappante ?
Il existe de grosses lacunes dans les assainissements des débits résiduels et la revitalisation de cours d’eau, la conservation des surfaces d’assolement, la préserPro Natura Magazine 4/2014
Heribert Rausch,
professeur émérite
ordinaire de droit
public à l’université
de Zurich. Il est
reconnu comme un
pionnier en droit
de l'environnement.
7
8
dossier
Un changement
de paradigme
désastreux
Les cantons qui enfreignent les exigences
environnementales ont peu à craindre de la
Confédération : l’OFEV considère que sa mission
n’est plus d’assurer la protection de la nature
mais de gérer les ressources, dans une juste
représentation des intérêts.
de passe-passe permet à l’OFEV de camoufler l’échec de la politique climatique suisse, et plus particulièrement l’augmentation constante des émissions de CO2 dues au trafic privé, totalement passée sous silence dans son communiqué de presse.
Le fameux « changement de paradigme » de Bruno Oberle
n’a pas trouvé un terrain favorable ni au sein ni à l’extérieur de
l’Office. Le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA)
a noté en 2010 que la stratégie de positionner l’OFEV comme
un « Office des ressources » et non un « Office de protection »,
ne s’est pas imposée à l’intérieur de l’Office. Les niveaux de
direction inférieurs et les collaborateurs ne sauraient même
pas ce que cela signifie concrètement. Les cantons de Suisse
orientale ont également manifesté leur désaccord lors d’une
rencontre avec l’OFEV, en déplorant son manque de leader-
« La politique environnementale, c’est de la politique des res-
ship dans la communication sur le climat. Ainsi, début mai à
sources, donc c’est de la politique économique et sociale »,
Frauenfeld, l’OFEV a invité les professionnels de la communi-
a déclaré Bruno Oberle, le directeur de l’Office fédéral de l’envi-
cation de la Confédération, des cantons et des villes à une réu-
ronnement (OFEV), juste après son entrée en fonction en 2006.
nion de crise sur la « communication environnementale », lors
Depuis, il ne promet rien de moins qu’un « changement de pa-
de laquelle il a essuyé quelques critiques acerbes.
radigme » et prêche l’abandon d’une « philosophie univoque de
protection de l’environnement » au profit d’une « perspective
« Un leadership clair » est souhaité
économique globale. » En plus de l’aspect écologique, il sou-
Dans le procès-verbal que l’OFEV a tenu de cette réunion, il
haite remettre l’accent sur les dimensions économique et so-
est souligné de manière lapidaire que « la communication ac-
ciale de la durabilité. La « gestion des ressources » est le maître-
tuelle ne fonctionne pas. » L’énergie et les transports sont des
mot de cet ancien professeur de l’EPFZ.
« thèmes environnementaux éminemment importants », mais
hélas l’OFEV ne les considère pas « comme des domaines envi-
Des chiffres trafiqués pour embrouiller les esprits
ronnementaux », ce que les participants à la réunion ont quali-
Lors d’une conférence de presse en avril dernier, M. Oberle a
fié d’« absurde. » « Un leadership clair de l’OFEV » est nécessaire.
montré ce qu’il entend exactement par là en déclarant que la
Suisse avait atteint l’objectif fixé dans le protocole de Kyoto et
importante des intérêts économiques, a aussi des conséquences
Le «changement de paradigme», avec sa pondération plus
ce « majoritairement grâce à des mesures de réduction au ni-
négatives pour la protection des espèces. Pour le lynx par
veau national ». Mais les faits prouvent le contraire : pour at-
exemple, espèce pourtant strictement protégée, les milieux de
teindre l’objectif de Kyoto, la Suisse aurait dû réduire ses émis-
la chasse ont désormais le droit d’abattre un lynx dont la pré-
sions de gaz à effet de serre de 4,2 millions de tonnes, afin de
sence entraîne une réduction des populations de gibier.
les abaisser de 52,8 à 48,6 millions de tonnes. En réalité, les gaz
à effet de serre ont été réduits de 0,5 million de tonnes. Pour
œuvre de la protection des paysages et monuments naturels
atteindre l’objectif fixé à Kyoto, la Suisse a acheté des certifi-
d’importance nationale (sites IFP). En 2003, la Commission de
cats d’émissions à l’étranger, permettant ainsi une réduction de
gestion du Conseil national constatait déjà une protection in-
On déplore aussi des lacunes importantes dans la mise en
2,5 millions de tonnes, ce qui correspond à 60 % de l’objectif de
suffisante des sites IFP dans un de ses rapports. Il a fallu dix
Kyoto. Cet objectif a donc été atteint principalement à l’étranger
ans pour que le Conseil fédéral décide enfin l’année dernière
et pas en Suisse, comme l’a prétendu M. Oberle.
une révision totale de l’Ordonnance IFP, sous l’égide de l’OFEV.
Mais comment Bruno Oberle a-t-il abouti à cette affir-
Malgré cette révision, on cherche encore en vain des sug-
mation téméraire ? Fidèle à son « changement de paradigme »,
gestions d’amélioration pour les sites IFP dégradés. Ces amé-
il a inclus la dimension économique et sociale du dévelop-
liorations sont non seulement requises par la LPN, mais elles
pement durable dans ses calculs – plus précisément la crois-
sont plus que nécessaires. En témoignent notamment le diffé-
sance économique et démographique. Il a ainsi gonflé ar-
rend sur l’exploitation de l’énergie éolienne dans le site IFP de
tificiellement les émissions de gaz à effet de serre de 52,8 à
la Vallée de Joux ou la triste situation du Doubs, dont l’état ne
56,9 mio de tonnes. Il en a résulté une différence fictive de 4,1
cesse de se dégrader, bien qu’il soit largement protégé par la loi.
mio de tonnes, que le directeur de l’OFEV a attribuée sans autre
forme de procès à une réduction sur le plan national. Ce tour
cantons : selon une enquête du bureau lucernois Interface, com-
Le laxisme de l’OFEV ne fait pas que des heureux dans les
Pro Natura Magazine 4/2014
dossier
mandée par l’OFEV, les fonctionnaires cantonaux responsables
25 ans ». Il en va de même pour les dispositions sur les débits
de la protection de la nature souhaitent « que l’OFEV défende
résiduels « malgré une période transitoire de 20 ans ».
mieux et davantage les intérêts de la protection du paysage au
niveau de la Confédération ». Les lacunes dans l’application de
du comité de Pro Natura Soleure, critique dans une interpel-
la LPN viendraient du « manque de ressources et de volonté po-
lation datant de mars 2013 le fait que l’OFEV attende l’achève-
litique » des cantons.
ment du plan d’action pour entreprendre des activités sur la
Le conseiller national radical de Soleure Kurt Fluri, membre
biodiversité bien qu’il y ait un « important retard à combler »
« Eviter les conflits et rester en retrait »
dans ce domaine. Il déplore également la manière dont l’OFEV
L’OFEV essuie aussi les critiques des milieux politiques verts :
considère son propre rôle. « L’OFEV ferait souvent preuve d’une
selon la conseillère nationale socialiste grisonne et présidente
grande retenue » et serait « très vite prêt au compromis ».
de Pro Natura, Silva Semadeni, l’attitude de l’OFEV peut être
qualifiée de « très en retrait ». Dans le domaine de la biodiver-
fets positifs pour son directeur, M. Oberle : alors que sous son
sité, la Suisse a « un gros retard à combler ». Elle estime encore
prédécesseur, Philippe Roch, l’OFEV a été menacé à plusieurs
La nouvelle conception du rôle de l’OFEV a au moins des ef-
que l’OFEV « cherche plutôt à éviter les conflits avec les can-
reprises d’une suppression ou de coupes budgétaires massives
tons qui négligent la protection de la nature et du paysage ». La
par des représentants des partis bourgeois, M. Oberle a été
protection des marais, par exemple, « est toujours insuffisante
épargné jusqu’ici par ce type d’attaques.
malgré une base constitutionnelle claire existant depuis plus de
KURT MARTI travaille comme journaliste à Brigue.
Pro Natura Magazine 4/2014
9
10
dossier
« Beaucoup de fonctionnaires
sont mis sous pression »
Le droit environnemental est souvent soumis à de
fortes pressions et appliqué de manière laxiste.
Trois chargés d’affaires de sections cantonales
de Pro Natura partagent leurs expériences.
Le gouvernement uranais veut à tout
prix réaliser le complexe touristique
d’Andermatt et nomme comme chef
de projet le responsable du service
de l’environnement. Ce service peut-il
dès lors déterminer en toute indépendance si les lois sont respectées ?
Pia Tresch : le chef de service alors en
poste a fait du bon travail et il a pu intégrer plusieurs mesures de compensation
dans le projet, ce qui nous a évité de faire
opposition sur certains points. Par contre,
il a dû se récuser dans le processus d’autorisation car il était soupçonné de partialité et le Conseil d’Etat a alors plutôt pris
des décisions politiques que techniques ;
le chef de l’environnement n’a donc pas
pu agir là où il aurait dû. Le projet est immense avec un grand nombre de mesures
de compensation. C’est mieux que rien,
mais cela montre justement à quel point
ce projet est insensé.
Luca Vetterli : elles sont comme autant
d’indulgences qui disculpent les tenants
du projet.
Tresch : exactement, parce que les lois sur
l’environnement sont violées à différents
niveaux ; à commencer par le Conseil fédéral qui a largement contourné la Lex
Koller.
caisses cantonales mais sont aussi respon-
loi mais aussi envers leurs supérieurs. Il
Est-ce que ce commerce d’indul-
sables du traitement des oppositions aux
est plus facile de ne pas être fidèle à la
gences est aussi pratiqué dans d’autres
centrales hydroélectriques. Difficile de pe-
loi car elle est silencieuse. Je connais de
cantons ?
ser les intérêts en jeu en toute impartialité.
nombreux fonctionnaires mis sous pres-
le secteur de l’hydroélectricité. Il est fré-
Les fonctionnaires sont-ils priés par
notre sens car les intérêts économiques
quent que des conseillers d’Etat siègent
exemple de rédiger des évaluations
vont souvent à l’encontre de ceux de la
aux conseils d’administration des compa-
qui agréent aux autorités ?
nature. En outre, de nombreux fonction-
gnies d’électricité. Ils apprécient les rede-
Vetterli : les fonctionnaires cantonaux
naires agissent dans le sens de leurs supé-
vances hydrauliques qui remplissent les
doivent faire preuve de loyauté envers la
rieurs par une sorte d’excès de zèle.
Vetterli : les intrications sont fortes dans
sion. Et cette pression ne va jamais dans
Pro Natura Magazine 4/2014
dossier
Andreas Hasler : la pression économique
savent qu’ils ne seront plus dans la course
sont prises de temps en temps. Il nous
est particulièrement forte dans le canton
lors de la pesée des intérêts. Et l’autori-
faut alors faire recours.
de Zurich. Mais dans ce processus, nous
té supérieure fait encore un compromis
avons un réel rôle de correcteur. Le Tribu-
à partir du compromis. C’est finalement
Au plan fédéral, des conseillers natio-
nal fédéral a par exemple admis nos re-
l’environnement qui en paie le prix.
naux et aux Etats des partis bourgeois
ont menacé à plusieurs reprises de
cours dans deux cas concernant l’Oberland zurichois et il a blâmé les autorités
Lors de projets importants, les maîtres
supprimer l'OFEV. Avez-vous connais-
concernées. Mais nous nous exposons
d’ouvrage doivent expliquer dans des
sance d'intimidations de ce genre au
aussi et passons souvent pour des empê-
rapports d’impact sur l’environne-
plan cantonal ? cheurs de tourner en rond. Etonnamment,
ment (RIE) comment ils comptent ré-
Hasler : on n’a pas besoin de suppri-
duire les dommages. Un instrument
mer un service, il suffit de lui couper ses
efficace ?
moyens financiers. Cette année, le Grand
Tresch : de nombreux RIE sont de pures
Conseil a de nouveau réduit de deux mil-
expertises de complaisance. Cela n’a rien
lions de francs le budget alloué à l’envi-
d’étonnant car ils devraient être com-
ronnement, ce qui était manifestement
« Il est plus facile de
ne pas être fidèle à
la loi car la loi est
silencieuse. »
Luca Vetterli,
Pro Natura Tessin.
mandés par une instance neutre, c’est-
une mesure politique punitive.
à-dire par le canton ou la Confédération.
Vetterli : il y a des années, je me suis oc-
Lorsqu’ils sont ordonnés par le maître de
cupé d’une importante affaire dans le do-
la population apprécie en général que
l’ouvrage, celui-ci peut influencer les bu-
maine de l’hydroélectricité au Tessin. Lors
nous intervenions, que nous protégions
reaux d’écologie concernés. Plusieurs au-
d’une réunion à Berne avec le directeur
la nature et que nous luttions contre le
teurs de ce type d’expertises m’ont dé-
de l’OFEV de l’époque, un conseiller aux
mitage du territoire.
claré avoir de toute façon bien trop peu
Etats lui a rappelé ouvertement que c’est
Un contrôle indépendant est-il aussi
de temps à disposition pour effectuer
le Parlement qui vote le budget de l’OFEV.
une analyse sérieuse. D’autre part, s'ils
Par la suite, l’Office a défendu une posi-
réalisé au niveau judiciaire ?
ne modifient pas le RIE dans le sens de
tion différente de celle qu’on aurait atten-
Tresch : la tendance va dans ce sens
leurs mandants, ils ne reçoivent plus de
due de lui.
mais les tribunaux se basent sur l’avis du
mandats. Quand nous regardons de près
canton.
ces expertises, nous avons souvent de la
Vetterli : c’est pourquoi il est si lourd de
peine à croire ce qui y est écrit.
conséquences que les autorités environ-
Vetterli : le manque de courage civique
nementales modifient des évaluations
nous complique beaucoup la vie. J’ai en-
techniques sous la pression. Que l’auto-
couragé de nombreux employés de ser-
rité supérieure prenne une décision poli-
vices cantonaux de l’environnement à ne
tique me préoccupe moins. Il y a au moins
jamais modifier leur position. Seuls ceux
« De nombreux rapports d'impact sur
l'environnement sont
de pures expertises
de complaisance. »
Pia Tresch,
Pro Natura Uri.
de la transparence et la décision peut être
qui ont changé leur position se retrouvent
Tresch : les sommes allouées à la na-
attaquée.
à nouveau sous pression. Après un cer-
ture et à l’environnement sont remises
Hasler : il peut aussi arriver que des
tain temps, les autres sont laissés en paix.
en question à chaque débat sur le bud-
juges fassent réévaluer des décisions en
demandant des expertises, mais c’est plutôt l’exception. Généralement, la difficulté des cas environnementaux réside dans
le fait qu’il ne s’agit pas de questions mathématiques : si cela se résumait à deux
plus deux font quatre, la situation serait
claire. Mais il y a une grande marge de
get mené par le Grand Conseil. Certains
« La grande marge
de manœuvre est
largement utilisée
au détriment de la
nature. »
Andreas Hasler,
Pro Natura Zurich.
députés, surtout les représentants des
milieux agricoles, tentent toujours de supprimer des postes pour les récupérer à
leur profit. Il n’est pas rare d’entendre dire
que le Service de la protection de l’environnement ou la Section Protection de la
nature et du paysage ne comptent que des
manœuvre qui est largement utilisée au
Hasler: après, il y a toujours l’étude d’im-
gratte-papier et qu’on peut sabrer allègre-
détriment de la nature.
pact sur l’environnement dans laquelle le
ment dans leur budget.
Vetterli : raison pour laquelle de nom-
canton évalue le RIE. Le canton de Zu-
breux services de l’environnement re-
rich y recourt assez régulièrement même
cherchent d’emblée le compromis car ils
si des décisions à connotation politique
Pro Natura Magazine 4/2014
RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef
du magazine Pro Natura.
11
12
dossier
« C'est alors que des
tensions surgissent ... »
Et les moyens financiers sont-ils
suffisants ?
Non. Les coupes budgétaires mettent en
péril les investissements faits ces dernières années pour la remise en état du
patrimoine naturel. Actuellement, l’ar-
Sur la scène politique, la protection de la nature vit des moments
difficiles, d'après Bertrand von Arx,
président de la Conférence des délégués à la protection de la nature
et du paysage (CDPNP). Cet aspect
est souvent négligé, voire ignoré
dans de nombreux projets.
le plan national, l’adoption de la Straté-
gent nécessaire pour l’entretien des bio-
gie Biodiversité Suisse, ainsi que l’adop-
topes d’importance nationale, régionale et
tion à l’unanimité par le Grand Conseil
locale n’est assuré qu’à moins de la moi-
genevois d’une loi sur la promotion de
tié des sommes nécessaires par les can-
la biodiversité – la première en Suisse –
tons. C’est notamment une partie de la
semble néanmoins indiquer que cette
contribution de la Confédération qui fait
politique publique gagne du terrain et
défaut. Le nombre insuffisant de collabo-
s’invite dans les débats stratégiques. Dans
rateurs dans les services compétents em-
la planification et dans l’application pra-
pêche une collaboration transversale effi-
Pro Natura : dans la pratique, la protec-
tique cependant, la démarche commune
ciente avec les multiples projets et interlo-
tion de la nature et du paysage n'est-
et concertée n’est pas encore une habitude
cuteurs concernés.
elle pas reléguée au second plan ?
bien ancrée.
Bertrand von Arx: la politique de la protection de la nature et du paysage a connu
Certains de vos collègues vous mettent
une période de forte reconnaissance par le
les bâtons dans les roues ?
peuple, notamment à l’époque de l’initia-
Il ne faut pas exagérer. La protection de la
tive de Rothenturm pour la protection des
nature et du paysage est par essence une
marais en 1987. Puis, c’est vrai, cette po-
politique transversale, nous sommes donc
litique publique a peu à peu été délaissée
habitués à chercher des solutions prag-
au profit d’autres thématiques en lien avec
matiques avec nos collègues des autres
l’économie. Mais je pense qu’aujourd’hui
domaines, ce qui est moins coutumier
elle retrouve une écoute auprès des élus,
chez eux. Mais les aspects nature et pay-
notamment pour ses avantages sociaux,
sage sont parfois négligés, voire plus ou
le bien-être et la qualité de vie pour la
moins volontairement ignorés lors des ré-
population.
flexions initiales des planifications ou des
projets. Lorsque l’information nous par-
Bertrand von Arx,
responsable de
la biodiversité du
canton de Genève :
« Il y a un nombre
insuffisant de
collaborateurs
dans les services
compétents. »
vient, nous constatons des écarts avec les
bases légales, souvent dûs à l’ignorance
des nombreux aspects légaux. Les modifications entraînent ensuite tensions et
coûts supplémentaires que personne ne
veut assumer.
C’est donc un combat de tous les jours
Protéger la nature, est-ce uniquement
pour être reconnu ?
un facteur de bien-être ?
Certes, dans certains cantons, le service
Assurer la survie de la flore et de la faune
compétent a été rétrogradé hiérarchique-
de notre pays, ainsi que des milieux dont
ment au sein du département dans lequel
ils dépendent, est une priorité intrinsèque
il se trouve, mais la thématique de protec-
pour nous. Les fonctions accomplies par la
tion de la nature et du paysage reste d’ac-
nature ne sont pas encore bien comprises,
tualité dans l’agenda politique, notamment
ni le lien entre les différentes composantes
avec le soutien d’autres politiques comme
de la nature et les bénéfices que peut en
l’énergie, l’agriculture, la chasse ou l’amé-
tirer la population, voire l’économie. Sur
nagement du territoire.
Pro Natura Magazine 4/2014
à propos
Urs Leugger-Eggimann,
secrétaire central de Pro
Natura
Comptez-vous alors sur le travail des
associations ?
Nous sommes partenaires et complémen-
Les lois ne doivent pas
rester lettre morte
taires. Les services cantonaux accomplissent
les tâches qui leur sont assignées par les
En pleine période de l’Avent 2013, les conseillers d’Etat, po-
bases légales en vigueur. Les associations,
liticiens et fonctionnaires supérieurs de Bâle-Campagne se
elles, sont intégrées dans la préparation des
sont donné rendez-vous, en présence de nombreux photo-
dossiers ou des projets dans un processus
graphes, pour l’inauguration de l’A22, une route à grand dé-
participatif, par exemple par le biais de com-
bit reliant Pratteln au chef-lieu Liestal. Un projet qui avait
missions consultatives. Elles ont aussi un
duré plusieurs décennies et coûté des centaines de millions
rôle important à jouer sur le terrain en repré-
de francs s’achevait (provisoirement).
sentant l’humeur et la vision des citoyens. Si
Ce qui ne s’est guère dit entre le champagne et les amuse-
les bases légales sont ignorées ou interpré-
bouches, c’est que la réalisation d’une partie des contre-pres-
tées en défaveur de la nature et du paysage,
tations écologiques était non seulement renvoyée aux calendes
elles doivent intervenir fermement.
grecques, mais carrément remise en question sur des points
FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN,
rédactrice romande du magazine Pro Natura.
ment de la route cantonale parallèle au plus tôt de 2022 à 2027,
importants. La direction compétente envisage le démantèleet des paramètres essentiels de cette mesure de remplacement
sont à nouveau remis en cause. Détail particulièrement piquant: tant l’étude d’impact sur l’environnement que le dossier
relatif à la votation populaire garantissaient la réalisation de
ces mesures directement après l’ouverture de la voie rapide.
Cet exemple montre clairement que lors de pesées d’inté-
rêts, la nature est marginalisée par rapport aux aspects économiques. Et cela même dans les cantons qui se veulent pionniers en matière de protection de la nature et du paysage. Les
décisions prises par les autorités en charge de la nature sur la
base d’arguments scientifiquement fondés sont balayées par
les services supérieurs. Les marges de manœuvre et les possibilités de dérogations légales sont plus qu’exploitées. Dans les
discussions sur les budgets, les parlementaires menacent de
fermer les vannes financières si les autorités prennent trop au
sérieux leurs tâches – qui, soulignons-le, sont pourtant inscrites dans la loi.
Les associations environnementales se voient alors trop
souvent obligées de corriger le tir et de dénoncer au tribunal
les manquements des juridictions inférieures. Le taux de succès élevé de nos recours indique que les dispositions légales
sur la protection de la nature et de l’environnement sont
bonnes dans de nombreux domaines mais (trop) fréquemment méprisées des décideurs politiques. En outre, les autorités et les exécutifs n’aiment guère chercher la confrontation
quand le soutien politique fait défaut. Il est donc nécessaire
d’agir pour que le droit de l’environnement ne reste pas lettre
morte et que les politiciens aient aussi le courage de se profiler en respectant les prescriptions légales.
Pro Natura Magazine 4/2014