La gloire de Dieu, c`est l`homme debout

Transcription

La gloire de Dieu, c`est l`homme debout
Eglise Réformée de l’Annonciation
12 février 2012
Evangile selon Marc 1,40-45
(notes de prédication)
La gloire de Dieu, c’est l’homme debout
(Saint Irénée de Lyon – 130/202 – 2e pasteur-évêque de Lyon).
La lèpre. Certes aujourd’hui, cette maladie est mieux connue qu’aux temps bibliques où plusieurs
maladies de peau pouvaient être désignées ainsi.
Il n’empêche, aujourd’hui selon l’OMS, 750.000 cas de lèpres sont dépistées tous les ans, soit un
nouveau cas toutes les minutes. Autant de personnes mises à l’écart, sans compter tous les autres
malades, que leur maladie soit une atteinte à la santé physique, ou une atteinte à la santé sociale,
mentale, spirituelle, culturelle ou autre.
Alors que nous avons la visite de Sœur Marie Vianney, nous pensons tout particulièrement aux
personnes atteintes du SIDA qu’elles soignent avec sa communauté, à Pondichéry et dont la situation
ressemble souvent à celles des lépreux au temps de Jésus.
Pourquoi, dans la mentalité antique et biblique (mais a-t-on vraiment changé de ce point de vue ?!)
est-on passé d’une mise en quarantaine nécessaire pour la santé publique à cette charge
symbolique ?
Car (relire Lévitique 13), le lépreux est déclaré non seulement malade mais impur. Il l’est par le
prêtre, c'est-à-dire au nom de Dieu, en quelque sorte par Dieu lui-même !
Ce n’est pas une simple maladie : le malade (et non la maladie) est déclaré impur au nom de Dieu, ce
qui le fait passer au statut de rejeté de Dieu et des hommes.
Le livre du lévitique va même plus loin: il oblige le lépreux à porter des vêtements déchirés et des
cheveux en désordre, c'est-à-dire à porter le deuil.
Le lépreux est ainsi assimilé à un mort parmi les vivants, il est l’impur par excellence, l’exclu par
excellente, y compris de la vie. Il est porteur de la malédiction et de la mort, il est INTOUCHABLE.
Le Lévitique précise même qu’il doit se déplacer en criant « impur ! » pour tenir à distance les gens. Il
intériorise ainsi son statut de paria. C’est l’humiliation la plus totale : une mise à mort physique,
mentale, sociale et même spirituelle puisque un impur ne peut plus s’approcher de Dieu.
En effet, la condition première pour s’approcher de Dieu, c’est d’être pur. Les bêtes offertes en
sacrifices doivent être pures, sans défauts, et les humains aussi, physiquement autant
qu’intérieurement (l’anthropologie biblique ne dissocie pas l’un de l’autre).
Lorsque Jésus rencontre ce lépreux, il y a cet arrière fond. Il ne rencontre pas seulement un malade
mais aussi un impur, un exclu, un intouchable, un banni, un quasi-mort et déclaré ainsi par Dieu luimême (c’est tout au moins ce qu’on croit).
La société qui nous est décrite (à tort ou raison) est fondée sur un Dieu qui ne veut que de la pureté ;
sur une conception de la maladie qui l’accable d’une charge symbolique lourde (pur/impur) ; sur une
religion chargée de séparer le pur et l’impur, donc de séparer les capables et les incapables
d’approcher Dieu et d’être dignes de son royaume.
Mais voilà que notre histoire décrit un certain nombre de transgressions.
La première transgression : le lépreux désobéit à la loi (Lév. 13,45) en décidant de s’approcher de
Jésus.
La seconde transgression : ce même lépreux, au lieu de crier « impur ! » comme le lui commande la
loi, s’adresse directement à Jésus.
Nous sommes évidemment dans un contexte d’attente du messie libérateur qui doit, comme le dit le
psalmiste, guérir toute maladie (Ps 103,3), et la réputation de Jésus grandit dans ce sens.
Il n’empêche : le lépreux s’approche. Quelques versets auparavant, l’évangile disait que le Royaume
de Dieu s’est approché (v15). Ici le lépreux s’approche, comme si le royaume de Dieu l’habitait déjà,
lui l’exclu, l’impur, comme si le royaume de Dieu habitait l’attente, l’espérance, le cri du lépreux.
C’est en réalité plus qu’un cri dans sa bouche : une confession de foi ! Car dans la logique antique, il
n’y a que Dieu qui peut purifier, Dieu seul à qui l’on peut dire « si tu veux, tu peux me rendre pur ».
Non pas « me guérir », ce que pourrait faire un médecin ou un guérisseur ; mais « me purifier ». Car
Dieu seul peut lever la malédiction et la mort attaché à cet homme. Le lépreux donc, reconnaît en
Jésus plus qu’un homme, plus qu’un guérisseur : Dieu lui-même qui s’approche et qui se laisse
approcher !
Mais alors, Dieu a déjà changé d’image.
Rappelez vous le prophète qui voit Dieu et qui s’écrie « Malheur à moi car je suis impur » (Esaïe 6,5).
Moïse lui-même ne s’en approchait pas du lieu de la révélation par peur de ne pas être assez
pur/saint !
Ici, le lépreux, l’impur par excellence, s’approche de Dieu et par conséquent, renverse l’image de
Dieu : non plus un Dieu qui trie entre le pur et l’impur, mais un Dieu qui accueille l’impur comme le
pur ; un Dieu qui ne pose aucune condition de purification préalable pour qu’on approche de lui ; un
Dieu même, qui ne se trouve pas seulement dans la personne de Jésus, mais déjà aussi dans l’élan du
lépreux qui s’approche comme s’approche le royaume de Dieu.
Notre lépreux n’est pas un lépreux ordinaire. En transgressant l’interdit de la loi au nom de
l’Espérance, il transgresse la vision que l’on avait de Dieu. Il devient un Dieu qui casse les barrières du
pur et de l’impur, dans le domaine médical certes, mais aussi dans le domaine social, culturel,
civilisationnel… Il n’y a plus les purs d’un côté et les impurs de l’autre. Mais tous peuvent s’approcher.
Mieux, tous portant quelque chose du royaume de Dieu qui s’approche. Mieux, tous sont aimés de
Dieu qui, comme le dit l’Evangile, s’émeut de compassion au plus profond de soi, « pris aux tripes ».
Bref un Dieu, en la personne de Jésus, qui se laisse extirper presque malgré lui, l’amour qui purifie,
guérit, réhabilite.
Regardons maintenant les transgressions du côté de Jésus.
Il y a d’abord cette parole/réponse incroyable qui donne à Jésus un statut inattendu : « Je le veux, sois
pur ».
Ce lapidaire « je le veux » qui reprend comme en miroir les paroles du lépreux (le lépreux et Jésus
sont miroir l’un de l’autre), dit sa volonté mais aussi plus largement la réalisation du projet (le telos)
pour lequel il est là : mettre du vivant là où se trouve la mort, mettre du lieu et du dialogue là où se
trouve l’exclusion, casser la barrière du pur et de l’impur, et plus que cela encore : rejoindre l’impur,
toucher l’intouchable !
Il ose en effet toucher le lépreux, signe suprême du don de soi à l’autre sans calcul, sans compter.
Ainsi, ce qui fait que « la lèpre quitta le malade » (et en même temps son enfermement dans l’impur
et son exclusion), n’est pas tant le geste magique du guérisseur Jésus, c’est tout cet ensemble de
transgressions de la loi, tout ce déplacement de la vision qu’on pouvait avoir de Dieu, tout cet
échange de paroles, et ce geste qui signe et signifie qu’il n’y a plus de barrières, que Dieu rejoint les
impurs et que Jésus, au nom de l’amour et de la justice libératrice du royaume qui s’approche, n’a
aucune crainte à prendre sur lui, s’il le faut, cette maladie.
C’est tout cela qui fait la transformation du lépreux… et la nôtre ! Celle que nous avons à recevoir (car
nous sommes tous impurs !) et à partager en tant que chrétiens.
Autre image : l’homme était à genoux et tourné sur lui-même, déjà mort en quelque sorte. Mais au
bout de l’histoire, il est debout, il communique, il est vivant ! Presque trop… au point que Jésus luimême n’arrive pas à contenir son enthousiasme ni celui des foules.
Jésus voulait pourtant, dit le texte, le renvoyer sur le champ, lui recommandant de garder le silence
(thème cher à l’évangile de Marc). Comme s’il ne voulait pas, comme si tout cela se faisait à la
sauvette.
Jésus lui-même semble dépassé par ce royaume de Dieu qui finalement le rejoint à travers ce
lépreux-impur, et le dépasse avec cet homme debout et enthousiaste.
Pourquoi cette insistance à garder le silence ? Parce qu’il n’est pas un faiseur de miracles et ne veut
pas être pris pour tel ! Nous avons vu en effet que là n’est pas l’essentiel (même si la guérison n’est
pas négligeable).
C’est qu’on ne peut comprendre véritablement sa mission qu’à partir de l’événement de la
croix/résurrection ; car à ce moment précis, il rejoint et habite la mort que porte le lépreux et tous
les lépreux de la terre ; à ce moment précis, il devient lui-même l’exclu par excellence au nom de la
justice ; à ce moment précis, lui, le pur, est déclaré l’impur total, banni du tout au tout. Et pourtant
c’est à ce moment précis, dit l’Evangile, que Dieu se révèle complètement Dieu en son nouveau
visage : Dieu ému de compassion qui, à l’homme non seulement à genoux mais torturé, crucifié,
mort, donne la Vie.
Voilà quelle sera dorénavant la vision de Dieu qui motive/inspire les chrétiens dans leur regard et leur
action pour leur semblables les plus démunis, les plus atteints, les plus « impurs ».
Conclusion
Au diner-débat de Jeudi dernier, nous nous sommes posé la question « le politique tient-il parole ? ».
Je ne ais pas si l’on peut répondre « oui » ou « non ». Mais nous pouvons dire qu’il est appelé à tenir
parole.
Comme chrétiens, au regard de cet évangile, nous pouvons dire que l’on tient parole, à l’image de
Jésus, lorsque nous reconnaissons dans les « impurs » d’aujourd’hui, exclus indésirables, cette
capacité
 à faire sortir de nous-mêmes la compassion (ému de compassion…)
 à provoquer un geste (il le toucha…)
 à faire surgir de nous-mêmes une volonté, un projet de vie, de guérison, de réhabilitation (je le
veux, sois pur…)
 à provoquer en nous une parole qui accueille, met en dialogue, fait du lien.
Bref tout un ensemble d’éléments qui renversent les situations de mort et nous entraînent dans le
Vivant.
Voire même une capacité à prendre tout cela sur soi, sans crainte, dans le silence, la discrétion et
l’humilité.
La conséquence de tout cela ? « Il se mit à confesser et à répandre la parole ! » : que du Vivant ! un
bonheur qui se démultiplie !