Tirages de l`auto La belle et le vieux
Transcription
Tirages de l`auto La belle et le vieux
GER - EXEMPLAIRE NUMERIQUE > ET AUSSI La belle et le vieux Elie TREESE Une saisissante intrigue construite à la façon d’un puzzle très, très noir. D ’un côté une jeune femme brune et belle, de l’autre un vieil homme qui dit souvent « ouais ». La première se prénomme Aude, ce que l’on apprendra seulement tardivement. La voici venue jusqu’au fin fond d’une région de marais. Dans le mobile home de Démiurge qui boit, fume et répond à ses questions. La visiteuse, que son hôte appelle « la petite demoiselle », veut connaître la vérité sur une histoire remontant à deux décennies. Lorsque la maison des Monte Cassino a brûlé avec ses occupants. Dont Hector, le fils aîné de la riche famille, que l’on n’a jamais retrouvé dans les décombres. Un Hector qu’on savait fou de désir pour la rousse Rachel. Qu’est également devenu le petit Corot du salon, toile méconnue du peintre, intitulée La Femme d’intérieur? Une œuvre n’ayant manifestement pas toujours appartenu aux Monte Cassino… Le lecteur fait comme la jeune femme. Et assemble une par une les pièces d’un étrange et inquiétant puzzle. Ce qui l’amène à entendre parler de Jon, de S/D, du Verbe et de Tobi qui y allait allégrement sur les substances illicites. De remonter vers un temps où Démiurge travaillait sur un chantier de bateaux, fréquentait de drôles de lascars et se trouvait aux premières loges… Déjà très impressionnant avec Ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient (Allia, 2012) et Les Anges à part (Rivages, 2014), Elie Treese s’avère ici plus fort encore. Et signe un somptueux roman noir à la française à l’écriture ciselée HHH L’ombre couvre leurs et à la construction reyeux par Elie doutable. Du grand Treese, 192 p., art. Alexandre Fillon Rivages, 18 € LÕinsurrection qui vient Jérémie LEFEBVRE Rôles et vies inversées, hiérarchies sociales renversées… une fiction révolutionnaire où le changement est radical ! E t si la révolution était pour aujourd’hui ? Dans ce court et incisif récit, le romancier Jérémie Lefebvre imagine la France de 2016 soulevée par une insurrection. Du jour au lendemain, l’Assemblée nationale est déclarée illégitime. Le président doit s’exiler. Tous les députés sont poursuivis. Au palais Bourbon siège depuis peu une convention populaire. En l’espace d’un mois, elle décrète la redistribution des terres agricoles, l’abolition de la propriété immobilière, la nationalisation des sociétés de grande distribuHH Avril par tion. A l’étranger, les Jérémie Lefebvre, 136 p., chefs d’Etats s’affoBuchet Chastel, lent. Objectif de la 13 € milice qui a pris le pouvoir : mettre fin à la « démocratie du plus fort » qui avait depuis des années alimenté un ras-le-bol général. Au cœur de ce chaos très temporaire, la plume de Jérémie Lefebvre avance telle une chambre d’écho au centre d’une foule en mouvement. En une série de microfictions et de monologues intérieurs, elle capte les voix de dizaines d’anonymes touchés de loin ou de près par ce séisme politique. Une mère qui tente de trouver les mots pour expliquer la situation à son fils de 8 ans. Un jeune couple d’une cité HLM parachuté dans un duplex de trois cents mètres carrés. Un ancien fonctionnaire sans nouvelle de sa femme depuis le renversement du régime. D’une grande force cathartique, Avril est l’électrocardiogramme d’une société prise de convulsions, mais qui continue de respirer. E.L. Tirages de l’auto Eloïse LIÈVRE Quatre décennies, à travers quarante photos. Un autoportrait théorique et sensible de l’auteure. T oute autobiographie n’est autre que le récit d’une métamorphose. On en aura l’expérience, au-delà des mots, à la lecture du passionnant ouvrage d’Eloïse Lièvre. Dans Les gens heureux n’ont pas d’histoire, cette quadragénaire a en effet sélectionné quarante photos la représentant, année par année, de sa naissance à son quarantième anniversaire. A travers ces images volées, on voit son corps naturellement changer, dans des situations très variées. Loin du simple album égocentrique, elle s’est ici lancée dans une étrange entreprise littéraire, vaguement oulipienne et rappelant les travaux d’une Sophie Calle. Pendant quarante jours – précédant son quarantième anniversaire –, elle a ainsi légendé chaque cliché sur plusieurs pages, évoquant aussi bien le contexte de la photo que des digresHH Les gens sions générales sur la (ou heureux n’ont sa) vie. Cet auto-« calenpas d’histoire drier de l’avent » nous par Eloïse Lièvre, 304 p., montre alors Eloïse Lièvre tour à tour bébé, JC Lattès, 18 € en tutu, avec ses camarades sur la photo de classe, aux côtés d’un cheval nommé Pacha, en train de jouer du saxophone ou d’embrasser un garçon. On la découvrira ensuite starisée dans un journal, femme mariée et jeune maman… Réflexion sur l’image, livre madeleine et témoignage sur le « continuum des jours », Les gens heureux n’ont pas d’histoire est aussi le portrait d’un « prototype d’enfant [de] la fin des années 70 », récit expérimental qui ne s’enferme jamais dans son dispositif théorique pour mieux laisser passer la vie, les anecdotes a priori inutiles et pourtant essentielles. Comme une coupe de cheveux ratée, tiens. Baptiste Liger LIRE MAI 2016•57