La Cigale et la Fourmi
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La Cigale et la Fourmi
La Fourmi et la Mouche (Formica et musca) La Fourmi et la Mouche contestaient assez vivement de leur prix. La Mouche commença ainsi : « Peux-tu bien comparer ta position à la mienne ? Dans les sacrifices, je goûte la première les entrailles des victimes ; je m’arrête sur les autels, et je parcours tous les temples. Je me pose sur le front des rois, et, quand il me plaît, je cueille un baiser sur la bouche la plus chaste : je ne fais rien et je jouis de tout. Est-il dans ton existence quelque chose à comparer, campagnarde ? — Sans doute, dit la Fourmi, il est glorieux de siéger au banquet des dieux, mais comme convive, et non comme parasite. Tu habites les autels ; mais, dès que l’on t’y aperçoit, on te chasse. Tu parles de rois, de baisers surpris aux dames : folle ! tu te vantes de ce que, par pudeur, tu devrais cacher. Tu ne fais rien ; aussi, venu le besoin, tu n’as rien. Tandis que j’amasse avec ardeur du grain pour mon hiver, je te vois, le long des murs, te nourrir de viles ordures. L’été, tu m’étourdis ; pourquoi te tais-tu donc l’hiver ? Lorsque le froid te saisit et te tue, je rentre saine et sauve dans ma demeure, où est l’abondance. En voilà assez, je crois, pour rabattre ton orgueil. » Cette fable nous apprend à connaître deux caractères différents : l’homme qui fait parade de faux avantages, et celui dont la vertu brille d’un solide éclat. PHÈDRE, auteur latin, 1er siècle après J.-C. Fables, livre IV La Cigale et la Fourmi La Cigale, ayant chanté Tout l’Eté, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue. Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle. Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l’Oût, foi d’animal, Intérêt et principal. La Fourmi n’est pas prêteuse ; C’est là son moindre défaut. "Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. - Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. - Vous chantiez ? j’en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant." La Fontaine, Fables, Livre I, 1. La Cigale La cigale ayant chanté Tout l’été, Dans maints casinos, maintes boîtes Se trouva fort bien pourvue Quand la bise fut venue. Elle en avait à gauche, elle en avait à droite, Dans plusieurs établissements. Restait à assurer un fécond placement. Elle alla trouver un renard, Spécialisé dans les prêts hypothécaires Qui, la voyant entrer l’œil noyé sous le fard, Tout enfantine et minaudière, Crut qu’il tenait la bonne affaire. « Madame, lui dit-il, j’ai le plus grand respect Pour votre art et pour les artistes. L’argent, hélas ! n’est qu’un aspect Bien trivial, je dirais bien triste, Si nous n’en avions tous besoin, De la condition humaine. L’argent réclame des soins. Il ne doit pourtant pas, devenir une gêne. À d’autres qui n’ont pas vos dons de poésie Vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat De gérer vos économies, À trop de bas calculs votre art s’étiolera. Vous perdriez votre génie. Signez donc ce petit blanc-seing Et ne vous occupez de rien. » Souriant avec bonhomie, « Croyez, Madame, ajouta-t-il, je voudrais, moi, Pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu’aux muses ! » Il tendait son papier. « Je crois que l’on s’amuse », Lui dit la cigale, l’œil froid. Le renard, tout sucre et tout miel, Vit un regard d’acier briller sous le rimmel. « Si j’ai frappé à votre porte, Sachant le taux exorbitant que vous prenez, C’est que j’entends que la chose rapporte. Je sais votre taux d’intérêt. C’est le mien. Vous l’augmenterez Légèrement, pour trouver votre bénéfice. J’entends que mon tas d’or grossisse. J’ai un serpent pour avocat. Il passera demain discuter du contrat. » L’œil perdu, ayant vérifié son fard, Drapée avec élégance Dans une cape de renard (Que le renard feignit de ne pas avoir vue), Elle précisa en sortant : « Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement... » (Ce dernier trait rendit au renard l’espérance.) « Oui, conclut la cigale au sourire charmant, On dit qu’en cas de non-paiement D’une ou l’autre des échéances, C’est eux dont on vend tout le plus facilement. » Maître Renard qui se croyait cynique S’inclina. Mais depuis, il apprend la musique. Jean Anouilh, Fables, 1962 La Fourmi et la Cigale La Fourmi, ayant stocké Tout l’hiver Se trouva fort encombrée Quand le soleil fut venu : Qui lui prendrait ces morceaux De mouches ou de vermisseaux ? Elle tenta de démarcher Chez la Cigale sa voisine, La poussant à s’acheter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison prochaine. " Vous me paierez, lui dit-elle, Après l’oût, foi d’animal, Intérêt et principal. " La Cigale n’est pas gourmande : C’est là son moindre défaut. " Que faisiez-vous au temps froid ? Dit-elle à cette amasseuse. - Nuit et jour à tout venant Je stockais, ne vous déplaise. - Vous stockiez ? j’en suis fort aise ; Eh bien ! soldez maintenant. " Françoise Sagan, La cigale et la fourmi, 30 versions inédites, 1989 La Cigale et la Fourmi La Cigale reine du hit-parade Gazouilla durant tout l’été Mais un jour ce fut la panade Et elle n’eut plus rien à becqueter. Quand se pointa l’horrible hiver Elle n’avait pas même un sandwich, À faire la manche dans l’courant d’air La pauvre se caillait les miches. La Fourmi qui était sa voisine Avait de tout, même du caviar. Malheureusement cette radine Lui offrit même pas un carambar. - Je vous paierai, dit la Cigale, J’ai du blé sur un compte en Suisse. Pierre Perret, Chansons L’autre lui dit : Z’aurez peau d’balle, Tout en grignotant une saucisse. - Que faisiez-vous l’été dernier ? - Je chantais sans penser au pèze. - Vous chantiez gratos, pauvre niaise Eh bien guinchez maintenant ! Moralité : Si tu veux vivre de chansons Avec moins de bas que de hauts N’oublie jamais cette leçon : Il vaut mieux être imprésario !