Trois croyances des joueurs québécois de Lotto 6/49 posent

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Trois croyances des joueurs québécois de Lotto 6/49 posent
Trois croyances des joueurs québécois de Lotto 6/49
Posent-elles vraiment problème ?
110543-200410
Jocelyn Gadbois,
chercheur postdoctoral
CRDM-IU
Tuesday, 21 January, 14
Le paradoxe de l’utilité du billet de loterie
Les Québécois jouent au Lotto 6/49, même s’ils savent qu’ils vont perdre.
Probabilités de gagner un prix : 1 sur 32,3
Probabilités de gagner le gros lot : 1 sur (approximativement) 14 millions
Faut-il conclure que les joueurs sont des idiots ?
Tuesday, 21 January, 14
Études sur les jeux de
hasard et d’argent
Freud : Le jeu est une stratégie
d’autopunition.
Clothefelter and Cook : La loterie est un
instrument du capitalisme ; il enseigne
aux joueurs à quotidianiser les injustices
sociales.
Veblen : Dans les sociétés de loisirs, les
individus acquièrent du prestige en
gaspillant leur argent.
Caillois : Le jeu est un piège pour la
rationalité.
Ladouceur : Les joueurs surestiment
l’espérance d’utilité réelle, car ils ont
développé des distortions cognitives.
Korn : La loterie agit comme une
substance psychoactive.
Tuesday, 21 January, 14
A-t-on demandé l’avis
des principaux
intéressés ?
Méthodologie
À ma première ronde d’entrevues, les
joueurs répétaient sans cesse qu’ils
n’étaient pas de “vrais” joueurs. Si
j’insistais, ils finissaient par me
confesser que leurs comportements de
jeu étaient complètement irrationnels
et commençaient à s’insulter.
J’avais le choix entre continuer à les
interroger, et conclure que les joueurs
de loterie étaient effectivement idiots,
ou changer de méthodes d’enquête, en
interrogeant lesdits “vrais” joueurs.
Problèmes avec cette première ronde :
1 - Mythe du joueur récréatif
2 - Sélection
3 - Format des entrevues
Tuesday, 21 January, 14
Deuxième ronde d’entrevues
J’ai décidé d’opter pour un style d’entrevue à brûle-pourpoint, à l’intérieur de ce que
Johan Huizinga a appelé le “cercle magique” du jeu, à proximité des kiosques de
Loto-Québec dans les centres commerciaux de la ville de Québec.
Terrain (janvier à avril 2010)
- 200 entrevues auprès de 213 joueurs dits récréatifs
- Observation directe (entre autre assistée par dessin)
- Participation observante
Tuesday, 21 January, 14
La confiance
La confiance est un sentiment qui semble coordonner les différents passages entre les
joueurs et leur environnement. Elle transforme un homo oeconomicus, le penseur
rationnel, en homo ludens, soit celui qui sait jouer. La confiance permet aux joueurs de
lever le doute sur le sens de leur vie. Elle est un pouvoir qui permet de créer des liens
où il n’y en avait pas. Elle aide les joueurs à penser qu’ils peuvent défier l’espérance
d’utilité en dépit des statistiques. C’est une arme magique pour vaincre le
déterminisme. La confiance est une expression de la pensée magique ; il s’agit d’une
croyance ou plus justement, d’un savoir.
Tuesday, 21 January, 14
La nature des problèmes de jeu
Premier réflexe : questionner le jeu
pathologique comme un problème de
confiance. Mais ma base de données ne me le
permettait pas et je commettais la même erreur
que ma première ronde d’entrevues : je ne
pouvais pas supposer que les joueurs récréatifs
sont ceux qui ont un comportement normal et,
à l’inverse, les joueurs problématiques, ceux
qui ont un comportement anormal.
J’ai donc décidé de me pencher sur la question
des croyances, accusées par les psychologues
cognitivo-comportementalistes
d’être
responsables du jeu pathologique, en
m’interrogeant comment elles étaient vécues
chez des joueurs. Comme mon corpus ne traite
pas du jeu pathologique, j’ai dû ouvrir mon
questionnement à l’ensemble des problèmes de
jeu expérimentés par les joueurs.
Tuesday, 21 January, 14
3 croyances :
A - Les résultats du tirage du Lotto 6/49 sont
prévisibles.
B - Le monde du joueur peut s’écrouler sous le
poids du gros lot.
C - Le monde des morts peut influencer le jeu.
Il s’agit de voir comment ces trois croyances
sont vécues chez les joueurs de mon corpus.
Pour chaque croyance, je propose d’étudier trois
cas plus atypiques. Mon hypothèse : ce ne sont
pas nécessairement les croyances qui génèrent
des problèmes de jeu chez les joueurs dits
récréatifs.
Tuesday, 21 January, 14
Le systémisme
Le systémisme consiste à compiler attentivement les statistiques entourant les précédents
tirages afin de décrypter le code qui permettrait de prévoir les prochains résultats. Les
joueurs qui le pratiquent sont nourris par la conviction qu’il y a un système qui organise les
résultats des tirages et qu’il est possible, sinon nécessaire, de percer son mystère.
Albert : joueur de mises-éclairs, a déjà compilé les statistiques selon les conseils d’un ami.
Trouve cette technique plus “chanceuse”, mais ne la pratique plus. A manifesté le désir de
s’y remettre en investissant le temps, l’effort et la conviction nécessaire.
Jean : a développé sa propre technique par essais et erreurs. Tente chaque semaine de
“déjouer l’ordinateur”. Citation : “c’est un petit combat personnel. Je vais finir par les avoir,
je vais les combattre, je vais deviner les chiffres... Mais c’est assez spécial de dire ça de
même »
Gaétan : veut déjouer l’ordinateur, tout en passant inaperçu. Souhaite gagner deux fois le
gros lot pour démontrer que les résultats sont arrangés. Veut protéger les “petits joueurs”.
Pris dans un cercle vicieux.
Tuesday, 21 January, 14
La peur de gagner
Selon Abélès, la peur de gagner se manifeste quand une personne laisse passer sa chance
parce que le combat qu’elle doit (et souhaite) mener se heurte à un conflit intérieur
insurmontable. Apparaît dès lors un double doute qui transforme le jeu en impasse.
Denise : veut arrêter de jouer. Se demande si elle est faite pour la vie de multimillionnaire.
Croit que gagner lui causerait de nouvelles préoccupations.
Éric : croit que son rêve de gagner pourrait se transformer en cauchemar. Est révolté d’avoir
peur de devenir riche. Attribue sa relative pauvreté à cet état d’esprit. Se sert du Lotto 6/49
pour se préparer psychologiquement à devenir riche.
Laurent (aux dires de Caroline) : est angoissé à l’idée de gagner. A trop honte de faire vérifier
ses billets. Ne fait pas confiance aux commis, aux vérificateurs de billets libre-service et à ses
proches qui pourraient lui voler son billet gagnant. Son jeu lui cause des problèmes de
couple. Pris dans un cercle vicieux.
Tuesday, 21 January, 14
La participation des morts
Comme l’a démontré Blanc, la loterie permet de faire dialoguer le monde des morts et celui
des vivants en renégociant la place des mondes respectifs. Il s’agit pour le joueur d’un
moment intense de réflexivité. Je n’ai enregistré qu’une dizaine de témoignages traitant de
cette croyance, la plupart en faisant intervenir leur propre mort grâce à l’héritage. Trois cas
se distinguent :
Vincent : mise sur la date de fête de ses ancêtres. Citation : “Ils vont me faire gagner c’est sûr.
Ils n’ont pas le choix de me faire gagner une fois.”
Patrick : ne joue plus qu’un billet par semaine. Ne considère pas ses achats comme du jeu.
Hanté par la vision du cadavre de son frère, qui s’est suicidé pour des problèmes de jeu,
laissant sa femme et ses cinq enfants à la rue. Cette image a vidé le jeu de son sens,
bouleversé ses comportements.
Simone : joue la combinaison de son mari défunt. Se sent obligée. Citation : “Je me dis que si
je ne la joue pas, il va sûrement revenir pour me tirer les orteils. Pour me dire que je n’ai pas
pris la combinaison.” Incapable d’arrêter de jouer. Attend un signe de son mari, mais ne
veut pas gagner, car cela signifierait qu’il a cessé de l’attendre de son côté. Ne s’accorde pas
le droit de commencer son deuil. Commence à croire qu’il n’y a peut-être rien après la mort
et donc plus de raison pour elle de rester en vie. Prise dans un cercle vicieux.
Tuesday, 21 January, 14
Conclusions :
1 - On ne peut pas simplement pointer du
doigt les croyances pour comprendre ce qui
est problématique dans un jeu. Ces
dernières peuvent être vécues de manière
positive, comme elles peuvent enfoncer les
joueurs dans un cercle vicieux. C’est ce
dernier qui entraîne un dysfonctionnement
du quotidien.
2 - Les joueurs pris dans un cercle vicieux
n’investissent pas nécessairement beaucoup
d’argent dans le jeu. Ils sont en revanche si
investi dans le jeu qu’ils ne voient pas le
poids qu’il exerce sur leur vie.
3 - Un jeu devient problématique quand un
joueur n’a pas la solution pour briser le
cercle vicieux. Comme ses proches sont plus
préoccupés à juger ce qu’il croit plutôt que
d’écouter ce qu’il dit, le joueur s’isole dans
son problème.
Tuesday, 21 January, 14
Comment peut-on briser
l’isolement des joueurs aux
prises avec un problème de
jeu ?