Heurts coupables - Editions des Tourments

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Heurts coupables - Editions des Tourments
Christophe
PELLEGRINI
Heurts coupables
Éditions des Tourments 2012
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Heurts coupables
" C’est à peu près l’heure où tu envisages de te donner la
mort : 21 heures. "
Inexorablement, tes grands yeux verts kaki
prennent leur distance d'avec le reste du visage.
Lentement, ils plient, glissent, coulent, synchros,
incapables qu'ils sont de soutenir ce poids aussi lourd
qu'indéfinissable. Seules les épaules se solidarisent avec ce
mouvement descendant. Une goutte de pleurs, partie
pourtant avec un léger retard a tôt fait de passer en revue
l'ensemble des éléments constitutifs de ton long, si long
corps ; cela pour se splasher sans ménagement sur le
pompon élimé d’un mocassin Sébago plus que crotté. Le
flux lacrymal dont tu es en droit d'attendre de sa fonction
majeure, qu'elle te soit un minimum régénératrice, n'a en
réalité pour unique effet, que de rendre encore plus
meuble ce sol dans lequel tu ne cesses de t’enfoncer, de
t'enliser.
Tu pleures sur tes groles mon Sacha. Une flaque de
larmes s'est formée en un temps record et t’encercle.
Seules, peut-on distinguer dans celle-ci, quelques cimes de
pelouse. En somme, le tableau habituel : le jardin, l'olivier
bicentenaire, trois cognassiers, des fruitiers en veux-tu en
voilà, dont le majestueux cerisier sauvage... puis la
balançoire vers laquelle tu lorgnes inlassablement depuis
10 jours.
21h04... Tu deuilles.
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Elle est belle, évidemment, "rigolote" avec ses cheveux
citron travaillés pour la bataille... Elle passe des heures à
se balancer. Le jeu préféré de Cassandra est de croiser les
deux cordes et tout en restant bien en place, tourner
jusqu'à ce que se forme une longue torsade qui va du
sommet de la balançoire à ses bancales couettes. Là, la
jeune fille détache enfin les pieds du sol pour se retrouver
instantanément au cœur d'un tourbillon qui dure le temps
que se dénoue l’emmêlée et que les deux cordes
récupèrent leur parallélisme. À distance de la tornade, tu
mates, bades, t'enflammes pour ta bombe anatomique,
sans prendre conscience un seul instant que si un de ces
engins vient à te péter à la face, ça peut faire très mal !
Et comme pour ces objets que l'on fait tant
tournoyer qu'ils finissent par rattraper leur fixité,
Cassandra n'en finit plus de t'exposer ses détails. "Petit
Cimenti" se goinfre, jamais rassasié ! Pendant qu'elle
toupille, qu'elle toupille, qu'elle toupille, le monde entier,
quand à lui, sait que tu n'es pas de taille et ce, en aucun
temps, à fournir un de ces travaux de cyclope qui seul
permettrait de pénétrer l’œil d’un tel cyclone. T'es un
moustique Sacha, un moustique pas du genre qui pique
ou alors pas fort, pas souvent, puis pas longtemps !
T’avances la fleur aux dents, sans fusil, complètement nu,
à la merci des hommes, des femmes…, d'une femme :
Cassandra..., un joli cul de 18 ans, juché entre Gémeau et
Taureau... jamais su… et un ascendant du côté des enfers
!
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CHAPITRE I : Coup d'envoi
Malo Les Bains, 28 juin 1990, 15 heures :
Les digueurs n'en reviennent toujours pas,
ensuqués, assommés, assoiffés qu'ils sont par un soleil
venu d'on ne sait où mais pas de chez eux ! T'es pas le
dernier à souffrir mais tu connais la souffrance déjà ! Tu
te traînes seul, déjà ! Rougi, tu l'es avant même que
n'agissent les effets de l'astre solaire sur ton friable
épiderme. C'est comme ça, ça l'a toujours été, ça le
restera. Tu t'excuseras de mourir comme tu t'excuses de
vivre.
- Pardonne-moi, tu es du coin ? Non, parce que j'ai
rendez-vous avec un ami devant la Citronnelle et je ne
vois pas de Citronnelle ni d’ami.
Instantanément, ton visage rejoint dans la couleur, le
micro haut vermillon de la jeune et sémillante, pétillante,
alarmante, désarmante, envoyée de chez les anges. Voilà
comment tu la reçois la belle inconnue, capable à elle
seule de renvoyer l'insolite luminosité du jour à sa plus
sinistre apparence. Tu la reçois en pleine gueule en fait !
Le tableau qui s'offre à toi s'est vidé de tout, de
tous, plus rien n'existe sorti des contours de cette perle
que tu vois rare. Puis, dans un sursaut impensable venant
d'un effacé, d'un égaré, d'un pas tenté, pas qualifié
comme toi, s'échappe une note, deux, bientôt un accord
de ta blanche partition :
- Où sommes-nous ?
- Eh oh ! Tu m'as fait super peur là ! Bon, on va pas
pouvoir s'aider j'crois... ! Je m'appelle Cassandra...
- … (silence assourdissant)…
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- T'es sûr que ça va ?
- ...( )...
- Bon et bien... bonne chance !
Sur le tableau, un dos, plus abouti que tous les
dos du globe peut-être mais un dos qui fout le camp !
Bientôt ne distingues tu plus l'incroyable roulement
d'épaules de cette longue tige, tout juste un courtaud mais
borné point rouge au milieu du rien, en passe de franchir
la frontière de l'infiniment trop petit si... Alors un
hurlement à la mort ou à la vie :
- La Citronnelle, numéro 3 après la Chlorophylle, moi
c'est Sacha !
Le tableau se craquelle pour former en quelques secondes
un paquet de milliards de pièces qui se détachent une à
une, à une vitesse que l'on ne s'emmerde pas à mesurer.
Et là, nichée sous le puzzle, la réalité, le vrai, le temps vrai
reprend toute sa place dans le cadre. Cassandra, encerclée
par la multitude réapparaît. Sous l'effet loupe de ton
regard kaki, c'est illico et avec inspiration que tu aspires
son sexi-haut rouge sang. Quand Cassandra, ressortie
indemne de la mêlée, retrouve son pied d’estale, toi, tu te
mets à dérouler, à enchaîner fissa, à... t'humaniser. Tu
oses foutre un pied dehors, là où je t'ai enfermé, là où tu
t'es laissé enfermer sans résistance... "Enfermé dehors",
c'est exactement ça ! Tu prends les choses, la vie, le
monde en main ! Tu gicles comme l'éclair et défonces ton
mur d'habitudes. Ces briques que tu as mis vingt piges à
aligner mieux qu'un maçon ne l'aurait fait (d’un autre
côté, quand on s'appelle Cimenti...) Toutes les sortes et
toutes les tailles étaient bonnes à prendre pourvu que le
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