LA PROVENCE. 19 février 2014.
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LA PROVENCE. 19 février 2014.
LA PROVENCE, 19.2.2014 Vitrolles : de la cause à l'effet Mégret VITROLLES / PUBLIÉ LE MERCREDI 19/02/2014 À 05H29 Professeur retraité et figure locale des mouvements sociaux, Gérard Perrier sort un livre sur l'extrême droite Gérard Perrier cherche à comprendre ce qui a conduit cette ville à l'élection de Catherine Mégret en 1997. Dans le cadre de la parution de son livre intitulé "Vitrolles : un laboratoire d'extrême droite et de la crise de la gauche (1983-2002), Gérard Perrier, ancien enseignant, dont le coeur bat résolument à gauche, nous livre, sous une plume au vitriol, son constat des errements d'une partie de cette gauche "bling-bling" qu'il n'aime pas, et des stratégies d'extrême droite pour arriver au pouvoir et mettre en application les formules d'un ordre nouveau. Sans concession, à la fois avec passion et rigueur, l'auteur, au travers de témoignages, cherche à comprendre ce qui a conduit cette ville à l'élection de Catherine Mégret en 1997. Entretien avec un homme engagé. Avec la multitude d'ouvrages sur l'extrême droite, qu'est-ce qui caractérise votre livre ? Gérard Perrier : La particularité du mien est double. Je mets en relation les échecs de la gauche dans la gestion de la ville, bien antérieurs à la gestion du FN (la plupart des municipalités étant à gauche), ce qui permet de comprendre pourquoi Bruno Mégret s'est intéressé à Vitrolles particulièrement. En second lieu, je passe à la loupe la gestion du Front National, puis ensuite du Mouvement national républicain (MNR). Je dirais qu'il y en a même une troisième, qui est propre à la construction du livre. Je ne me suis pas contenté de lire les journaux, les archives municipales, les lettres, les déclarations... J'ai fait parler énormément d'acteurs locaux essentiellement de gauche. J'ai interrogé 80 personnes, des élus, syndicalistes, avocats, intellectuels, du monde associatif, artistes même... Je suis en quelque sorte le porte-parole d'un collectif de témoins assez large. Pourquoi avoir décidé d'écrire un livre sur cette période ? G.P. : Pour deux raisons. J'ai travaillé à Vitrolles pendant 11 ans et il s'y est passé des choses inédites. Même s'il y avait déjà eu Marignane, Toulon et Orange deux ans avant (souvent lors de triangulaires), c'était la première fois en France en 1997, qu'une mairie passait dans l'escarcelle du FN, lors d'un face-à-face gauche-FN, avec 85 % de participation . On ne peut pas dire qu'ils sont passés en douce, mais largement en tête. Je suis témoin de cet événement, et ça m'a marqué personnellement, car j'étais là, j'avais des élèves, des parents d'élèves, et j'étais acteur, syndicaliste et associatif, dans la ville. J'ai fait le livre 14 ans après pratiquement, (j'ai commencé en 2011), car je me suis aperçu que Bruno Mégret était en avance sur Marine Le Pen. Peut-on, selon-vous, faire un parallèle entre la tentative de Bruno Mégret de rendre "respectable" le FN et la logique, 17 ans plus tard, de Marine Le Pen, de "dédiabolisation" du parti ? G.P. : Bruno Mégret a clairement essayé de prendre la direction du FN, virer Le Pen père et, pour ce faire, construit tout un appareil, pas seulement, à Vitrolles, mais dans toute la région. C'était son projet, mais en 1998, il échoue. Il tente la gestion d'une ville pour dire "voilà ce qu'on peut faire si on est élu à la tête de l'Etat", et il pratique ce qu'il a appris au Club de l'Horloge et à la nouvelle droite : le camouflage des choses traditionnelles, à l'époque, encore présentes de l'extrême droite, c'est-à-dire la collaboration sous la Seconde Guerre mondiale, tout ce qui est en rapport avec la guerre d'Algérie, et les parties les plus voyantes de l'extrême droite puisqu'il ne se dit pas raciste, il pratique la préférence nationale... Et va faire ce que Marine Le Pen résume en un seul mot, en effet, "la dédiabolisation" du parti. C'est dans ce sens que Vitrolles est devenu "le laboratoire" de l'extrême droite. Une notion forte ! G.P. : Absolument. L'objectif de Jean-Marie Le Pen était de stigmatiser la classe politique, les vendus aux puissances mondialisées, l'intérêt pour lui étant de perturber le jeu politique. Alors que Mégret, lui, veut prendre le pouvoir, et en ce sens Vitrolles va lui servir de laboratoire. Lui, va faire beaucoup plus fort que les autres communes tombées dans le giron du FN, en se faisant d'ailleurs casser par la loi, en prenant des mesures dont il sait pertinemment qu'elles sont illégales. Mais ne trouvez-vous pas que l'extrême droite tient davantage un discours social qu'à cette époque, attirant de fait des électeurs de gauche ? G.P. : L'enjeu c'est clairement 2017. Marine Le Pen veut arriver au pouvoir, très probablement, en alliance avec la droite traditionnelle, en pleine déconfiture, et c'était aussi le but de Mégret, qui offre publiquement une alliance avec la droite, ce que Le Pen père, n'a jamais voulu faire. C'est intéressant, alors que les Mégret ont complètement disparu de la scène politique, chassés de Vitrolles, ça ne reste pas un simple moment d'histoire, c'est de nouveau d'actualité... Il y a des points de rapprochements, mais aussi des différences : la majeure est bien ce discours social. La gauche actuelle au pouvoir est en difficulté et n'arrive pas à faire autres choses que des réformes qu'auraient pu faire la droite. On va le voir pour les prochaines élections municipales, avec un sans doute un fort taux d'abstention, et même de vote, dans les catégories populaires, pour le FN. Les municipales et les bataille des régionales seront encore plus rudes. Le but est de capter les mécontents de la crise sociale, pour avoir des postes d'élus, la bataille centrale étant 2017. On sent dans votre livre une forte blessure à gauche, presque de la rancoeur envers ce parti que vous tenez pour responsable ? G.P. : Vous avez raison. Il y a une blessure. En 1983, lors des municipales à Marseille, la campagne contre l'insécurité est faite par la gauche. Gaston Defferre, tête de liste, dit "la droite c'est l'immigration sauvage" et la gauche va ramener la sécurité, là où la droite a semé l'insécurité. À Vitrolles, Jean-Jacques Anglade va céder aux pressions de Manuel Valls pour le marché de la vidéosurveillance et Vitrolles va être, à l'époque, à l'avant-garde d'un mouvement qui va ensuite se répandre, dont on ne sait jamais si c'est pour rassurer les gens où si c'est vraiment efficace... Le maire cède donc à la pression du FN, à tel point, que lors de sa campagne de 1997, il y a une phrase célèbre qui sert d'ailleurs d'amorce à l'un de mes chapitres qui dit : "Ce qu'ils demandent nous l'avons déjà fait". Ils sont sur le même terrain et Le Pen, père, disait d'ailleurs : "Les gens préfèrent l'original à la copie". La gauche n'est donc pas à la hauteur et singe le FN. À la veille des élections municipales quel est votre état des lieux à Vitrolles. Peut-elle retomber entre les mains du FN ? G.P. : Loïc Gachon est un de mes anciens élèves, on ne peut qu'espérer qu'il soit réélu. Je pense qu'il est menacé par une liste FN, mais les élections municipales sont imprévisibles. Ce qui est imprévisible n'est pas tant comment vont voter les gens, mais la question de l'abstention. La participation ou la non-participation, c'est ce qui fait la victoire de la droite et de l'extrême droite depuis un certain nombre d'années, à Vitrolles, comme ailleurs. Est-ce qu'elle sera élevée ? Je le crains." "Vitrolles Un laboratoire de l'extrême droite et de la crise de la gauche (1983 - 2002)". Aux éditions Arcanes 17 - 20€. Sortie nationale le 24 février. Narjasse Kerboua 2 réactions