Document 6334211

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EMERGENCE ET DÉVELOPPEMENT PRÉCOCE
DES PRÉFÉRENCES OLFACTIVES ET ALIMENTAIRES
PROFESSEUR L. MARLIER
LABORATOIRE D'IMAGERIE ET DE NEUROSCIENCES COGNITIVES,
CNRS, STRASBOURG, FRANCE
[email protected]
Dès les premiers instants qui suivent la naissance, les sensations olfactives déclenchent des réactions
affectives contrastées: certaines odeurs suscitent l'approche et l'appétence du nouveau-né, alors que
d'autres provoquent le rejet et le dégoût. Quelle est l'origine de ces préférences olfactives précoces?
L'enfant aurait-il détecté et mémorisé, au cours de sa vie fœtale, certains arômes présents dans le
liquide amniotique? Les expériences fœtales expliquent-elles l'attraction du nouveau-né pour l'odeur
du sein et du lait? Les acquisitions fœtales et néonatales peuvent-elles infléchir les préférences
alimentaires au cours de l'enfance?
De prime abord, il apparaît surprenant que l'odorat puisse être fonctionnel chez le fœtus en raison de
son immaturité et du fait que celui-ci se trouve dans un environnement liquide. Pourtant, les structures
nerveuses impliquées dans la réception olfactive sont achevées à la fin du premier trimestre de
gestation et rien n'empêche alors les molécules odorantes présentes dans le liquide amniotique
d'atteindre ces récepteurs, notamment lors de mouvements d'inhalation ou de déglutition du fœtus qui
entraînent une importante circulation de liquide amniotique dans les voies respiratoires. Par ailleurs, le
cerveau du fœtus, bien qu'encore immature, fait preuve d'aptitudes de mémorisation. Toutes les
conditions sont donc réunies pour que le cerveau fœtal soit réceptif aux influences de son
environnement olfactif.
En l'absence de possibilité d'expérimentation in utero, la mise en évidence des capacités du fœtus à
détecter et mémoriser des arômes transitoirement présents dans le liquide amniotique repose sur des
études conduites chez le nouveau-né à terme testé dans les premiers instants qui suivent la naissance et
des études menées chez l'enfant prématuré. Ainsi, il a été montré que des enfants nés de femmes ayant
consommé des produits anisés en fin de grossesse (sous forme de biscuits ou de sirops non alcoolisés)
sont fortement attirés par cet arôme à la naissance, et manifestent en présence de cette odeur de
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nombreux mouvements de succion et de léchage. En revanche, l'odeur anisée n'apparaît pas attractive
pour les enfants témoins (non exposés à cet arôme durant la vie fœtale). Une étude conduite chez des
enfants prématurés nés deux mois avant terme confirme que l'information olfactive peut être encodée
bien avant le terme normal de la grossesse. Ces enfants prématurés ont été exposés successivement à
une odeur agréable de vanille, une odeur désagréable de beurre rance, et un témoin d'eau.
Comparativement au stimulus témoin qui ne modifie pas la fréquence respiratoire, l'odeur agréable
entraîne une accélération de la respiration (flairage) et l'odeur désagréable un ralentissement
respiratoire. Ces modifications respiratoires attestent que l'enfant est apte à percevoir les stimulations
olfactives deux mois avant terme et suggèrent des performances olfactives similaires chez des fœtus
d'âge gestationnel équivalent. L'observation complémentaire des expressions faciales révèle chez ces
prématurés des réponses positives envers le stimulus vanillé (mouvements de léchages et de succion,
ouverture de bouche, tentatives de saisie du stimulus) et des réponses de rejet envers l'odeur
désagréable (froncements du nez et des sourcils, détournement de la tête). L'origine de ces préférences
olfactives initiales reste toutefois à déterminer.
Une façon de savoir si le nouveau-né utilise l'information olfactive encodée in utero dans ses
orientations initiales consiste à le confronter d'une part au dernier fluide rencontré avant la naissance
(le liquide amniotique) et d'autre part au premier fluide rencontré juste après la naissance (le
colostrum). Quelle stimulation l'enfant va-t-il rechercher le plus activement? Les observations ne font
apparaître aucune orientation préférentielle, ce qui indique que l'enfant traite de façon similaire le
liquide amniotique et le colostrum. Comme ces deux fluides se ressemblent au plan olfactif (ils sont
tous deux sous l'influence des derniers repas pris par la mère avant l'accouchement), la réponse
indifférenciée des enfants suggère l'existence d'une continuité olfactive entre le liquide amniotique et
le colostrum. Mais dès 4 jours, apparaît une préférence pour le lait maternel. Si l'expérience est répétée
avec des enfants nourris au lait artificiel, ces derniers ne manifestent pas les mêmes préférences. A 4
jours, ils s'orientent plus volontiers vers l'odeur amniotique plutôt que vers le lait artificiel qui les a
pourtant satisfaits 5 à 6 fois par jours depuis la naissance. Dans ce cas, l'odeur acquise in utero
demeure plus attractive que l'odeur acquise après la naissance. Ces mêmes enfants montrent également
une préférence pour l'odeur d'un lait humain (autre que celui de leur mère) par rapport à celle d'un lait
artificiel. Les préférences envers les premiers lactés dépendent donc très probablement des
acquisitions anténatales.
La tétée au sein est aussi l'occasion d'effectuer de nouveaux apprentissages. Ainsi, si on applique sur le
sein une pommade émolliente odorisée à la camomille, on constate que le nouveau-né se familiarise
rapidement avec cette odeur et la préfère par rapport à une odeur nouvelle. De façon surprenante, cet
apprentissage olfactif s'avère très robuste. A 7 mois, les enfants exposés au sein camomillé préfèrent
mettre en bouche un anneau de dentition odorisé à la camomille par rapport à un anneau porteur d'une
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odeur nouvelle. A 21 mois, la stabilité de l'apprentissage olfactif a été examinée en proposant à
l'enfant de choisir entre deux biberons d'eau dont l'anneau enserrant la tétine était odorisé soit à la
camomille soit à une odeur nouvelle. A nouveau, les enfants exposés à la camomille en période
néonatale choisissaient préférentiellement le biberon correspondant. Ces résultats indiquent que les
apprentissages précoces peuvent être relativement robustes et persistants. Au total, ces études montrent
que l'expérience chimiosensorielle prénatale et néonatale joue véritablement un rôle promoteur des
premiers apprentissages alimentaires. Les expériences sensorielles précoces pourraient ainsi participer
à la mise en place de différences individuelles dans la perception des aliments et leur choix par
l'enfant.
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REFERENCES
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d'Ercole et M. Collet (Dir.) Périnatologie, Editions Arnette, Paris, 125-142.
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Marlier L., Gaugler C., Astruc D., Messer J., 2007. La sensibilité olfactive du nouveau-né
prématuré: systèmes chimiorécepteurs, statut fonctionnel et implications cliniques,
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•
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is attractive without postnatal exposure, Child Development, 76, 155-168.
•
Marlier L., B. Schaal et R. Soussignan, 1997. Orientation responses to biological odours in
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l’Académie des Sciences, Série III, Life Sciences/Neurosciences, 320, 999-1005 (version
courte en français).
•
Marlier L., Gaugler C. et J. Messer, 2005. Olfactory stimulation prevents apnea in
premature newborns, Pediatrics, 115, 83-88.
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