a se faire peur - Christophe André
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a se faire peur - Christophe André
A GRIPPE partiede notre André,la peurfaitnaturellement PourChristophe PSYCHOLOGIE Interview. Ellenedevientnocivequedanslescasde panique. défensif. arsenal JOUE-T.ON \ A SE FAIREPEUR? Le psychiatre Christophe André décortique pour nous les ressortsde nos peurs - y compris celles de notre enfance - tout en regrettant la manière dont elles sont auj ourd'hui instrumentalisées. LA VIE. Contrer un risque en déaeloppant la peur, n'assiste-t-on pas aujourd'hui à une sorte de paradoxe? CHRISTOPHE ANDRÉ. rr.Lo peur estplus grande de loin et dinxinue lorsqu'on I'approchel, disait le philosophe Alain. De fait, quand on est dans l'expectative, c'est I'imagination qui prend la place de I'action. Et plus on inocule de I'inquiétude ou de la peur à des personnes qui ne peuvent agir, plus on augmente leur inconfort. C'est un peu à cela qu'on assisteaujourd'hui. Avec le risque d'instrumentaliser la peur à des fins pas strictement adaptatives, c'est-à-direqui permettent aux personnes de faire face au danger. Auons-nolts besoin d'auoir peur ? C.A. La peur est un phénomène naturel et utile, qui fait partie de notre équipement biologique : nous sommestous équipés pour en ressentir et pour agir sousson emprise. C'est l'émotion qui nous fait réagir face au danger et nous aide à en tenir compte. Lors de randonnées en montagne, par exemple,le vertige nous incite à la prudence, et diminue le risque d'accident. Si on ' n'a pas vraiment besoin d'avoir peur, comme on a besoin d'aimer ou d'être aimés, il est bon qu'elle existe et que de temps en temps elle se déclenche.Notre espècea besoin de l'éprouver pour vérifier que ses systèmesd'alarme marchent toujours. Et puis aussi parce qu'il y a une certaine jubilation à la surmonterouàyéchapper. 24 uvle - 24seotembre 2oog Quand deaient-elle toxique ? C.A. Soit par son intensité - la panique -, soit par sa chronicité, comme dans les ruminations inquièqui poussent tes ou peurs ressassées aujourd'hui certains à surveiller chaque éternuement ou postillon de leur voisin. Sur quoi se cristallise-t-elle ? C.A. Les peurs les plus répandues sont celles liées aux dangers qui nous ont menacésdans notre évolution : la peur du noir, du vide, de l'enfermement, de l'inconnu, de la mort. Ces peurs-làapparaissentchez I'enfant, qui peu à peu apprend à les domestiquer. Mais cespeurs archaiques s'actualisent, au fur et à mesure que nos conditions devie changent.La peur de I'avion, par exemple - pas vraiment évolutionniste ! - répond à I'angoisse de I'enfermement ou de la chute. Dans la crise actuelle, les politiques et les médias sont montr.ôs du doigt, accusés d'en faire trop. Resteque la grippe contatnine les conaersations au traaail, dans lesfamilles. C.A. Les politiques veulent à tout prix éviter les erreurs de la canicule - qui, en fait, a surtout révélé la solitude des personnes âgées-, et les médias trouvent là une bonne info pour retenir le téléspectateur devant l'écran ou vendre du papier,et aucun ne semble prêt à dire : t Stop,attendons que Ia grippe soit lù pour en parler. l Mais si cela prend dans le public, c'est aussi que toutes ces manipulations culturelles réveillent en lui des peurs dormantes, celles de l'épidémie, du microbe et des maladies infectieuses, dont il pensait être débarrassé. Il y a bien eu le sida ou le retour de la tuberculose, mais on les reliait à des situations particulières (sexualité,hygiène...). Cette fois, on réalise que le virus peut toucher tout le monde, même celui qui est < innocent >,< sain >.La peur de Ia transmission franchit ici un pas de plus. A lire rPsychologie de la peur de ChristopheAndré ' (Odile Jacob). Voiraussi,page99, la chroniquede GérardMiller. Nos sociétés nanties seraient-elles aussi comme en manque de leur dose de peur? C.A. Certains signesle laissent à penser.Dansnos sociétésdouces,il est frappant de voir comment on essaiede policer la vie des individus au maximum, en les quadrillant au point de vue santé, et dans leur quotidien. Un exemple : regardez comme nos villes sont éclairéescomme s'il fallait nous épargnerle moindre coin d'obscurité. Mais, paradoxalement,ce sont elles aussi qui se mettent à consommer de la peur autrement: en allant voir des films d'épouvante,ou sefaire secouer dans desmanèges...Une sociétémarquée par I'insécurité, Ia guerre, le danger,n'y aura pas recours. Le meilleur moyen pour soigner sa peur ? C.A. Faceà un patient éprouvant des peurs ou des inquiétudgs excessives,I'attitude soigrranteconsisteà lui demanderd'écoutersapeur,devoir ce qu'ilpeutfaire concrètementcontre et ensuiteà I'encouragerà passerà autre chose.En I'espèce,il faut que nos concitoyens évitent de ruminer leur inquiétude et continuent à vivre. O INTERVIEW ARMELLE BRETON Le retour des théoriciensdu complot VousI'avezpeut-êtrereçudansvotre boîteaux lettres éIectronique,ou bien sousforme detract, distribué sur la voie publique. Le messagepeut varier dans sa forme, mais le contenu serésume en un mot:méflance. Le t uéritableennemil ne serait upas celui qu'on nous présenten.Le virus H1Nl, t nê sur lesterresdu capitalisme néolibéral leplus agressif n, aurait été fabriqué de toutes piècespar desindustriels et t leursauidpsactinnnairesn, les vaccins contiendraient destoxiques,et les gouvernementsinstrumentaliseraient l'épidémie afin de détourner I'opinion de la crise économique. PourVéroniqueCampion-Vincent, attachéeau CNRS, qui étudiedepuislongtempsces phénomènesdansune perspectiveanthropologique, la grippe A recèle t tous lesingrédientspour faire naître Ia rumeur : un uirus, un uaccinque I'on inocule...De tous temps,lesépidémiesont donnélieu ù des récitsnon authentiJiés.Au MoyenÂge, on s'enprenait auxjuifs, aux étrangers,qui auraient infecté I'eau despuits. Ou bien aux mêdecinscharlatans, auec I'idéeque ceuxqui peuuentsoignersont aussi capablesde répandreI'infection.Aujourd'hui, on accuselesélitesqui seraientuenduesà un pouuoir supérieur Les rumeurs contemporainesprennent souuentpour cible ceuxqui organisent la uiesociale.l Commeles organisations internationales, et en premier lieu les Nations unies. Un courrier- anonyme - reçuà La Yie pourfend ainsi les t oligarques l de l'Organisation mondiale de la santé r au seruicedesexigencesd'un Prirrce et de son Plan n. Un autreingrédientdope les rumeurs: I'argent.Dansle cadre d'une vaccination de masse,les enjeux financiers sont colossaux.La France a investi 1 milliard d'euros dans I'achat desvaccins contre Ie HlN1. Or. dans le domaine de la santé,la conflance en l'État s'est érodéeen vingt ans. La fin du XX" siècle et sesgrandes affaires de santé publique, du sang contaminé à la vache folle, de I'amiante au nuage de Tchernobyl, ont montré que les intérêts économiquespouvaient passerdevant ceux de santé publique, ébranlant Ia confiance dans les pouvoirs publics. Les nouvelles rumeurs s'inspirent directement des erreurs passéeset des incertitudes à venir. Le HlNl et son vaccin n'échappentpas à la règle, c.L. >> enexprimantlesdoutesdel'époque.o 25 Lavie - 24 septemOrezOoS