La photo, médium de l`invisible - Reflexions

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La photo, médium de l`invisible - Reflexions
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
La photo, médium de l'invisible
18/01/10
Comment la photographie, dont la représentation visuelle est déterminée par l'empreinte d'un « ici-etmaintenant », peut-elle signifier quelque chose au-delà de ce qui se rend disponible devant l'objectif ? Telle
est la question centrale à laquelle Maria Giulia Dondero s'emploie à répondre dans un livre. Chercheuse
qualifiée du FRS-FNRS, elle travaille dans le Service de sémiologie et rhétorique du Professeur Jean-Marie
Klinkenberg. Les recherches sur le dispositif photographique et la transcendance de cette jeune sémiologue
italienne ont débouché sur l'ouvrage Le sacré dans l'image photographique. Etudes sémiotiques (Paris,
Hermès Lavoisier, 2009).
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Il est des idées reçues qu'il est malaisé de
déconstruire. La photo ne serait que « fragment de réel », comme une excroissance de la vision de tout
un chacun, et rien de plus. Maria Giulia Dondero montre au contraire, à travers l'analyse sémiotique des
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œuvres des plus célèbres photographes actuels, qu'elle est apte à se dégager de sa fonction spéculaire pour
construire du sens et, partant, révéler quelque chose qui n'est pas directement capté par l'objectif. Bref, dans
la mesure où le sacré ne se réduit pas au religieux mais relève d'une conception « écologique » (au sens
d'un ensemble composé par des parties ayant une relation salutaire entre elles), voilà l'invention de Niepce et
Daguerre susceptible de construire un discours second sur le monde et sur les valeurs de l'homme.
La peinture, on le sait, ne s'est pas privée depuis des siècles de s'adonner à la représentation de l'invisible.
Il suffit de penser à tous les tableaux - et ils sont légion dans la tradition chrétienne occidentale - qui ont pour
thèmes des scènes religieuses. Pour figurer par exemple la distance entre ce qui est terrestre et ce qui est
céleste, elle a volontiers recours aux nuages. Mais la photographie contemporaine, qui a réalisé la dissociation
entre le religieux et le sacré, a-t-elle pour sa part des dispositifs plastiques utilisables à cet égard ? C'est cette
problématique que l'auteure aborde et creuse, avec une impressionnante finesse d'investigation, à l'aide de
six corpus photographiques.
Chacun d'entre eux est constitué de « textes », ce mot ne désignant pas ici le produit d'une énonciation verbale
mais celui d'une énonciation visuelle. Précision sémantique indispensable avant de se plonger dans l'analyse
- dite « textuelle » - des images. Plusieurs critères de pertinence ont présidé au choix concernant ce discours
photographique sur le sacré. Dans l'un d'eux, titre et thématique des images photographiques se réfèrent
explicitement à des sujets, des personnages et des motifs de l'iconographie religieuse (vie de Jésus, vie de
saints, visions de l'au-delà, etc.), avec parfois une simple mention des personnes sacrées : c'est le cas de la
Madeleine en extase (1991) et de la Madeleine pénitente (1991) de Richon : dans ces photos en fait la sainte
Marie Madeleine n'apparait pas. Dans un autre, on aura affaire à une citation explicite d'une configuration
précise de la peinture religieuse, aux niveaux figuratif et plastique : sont représentatifs dans ce cas Le Christ
mort (1490) de Mantegna et le Soliloquy VII (2000) de Taylor-Wood. Cette dernière image, on le remarque
facilement, reprend la configuration spatiale des anciens retables d'autel.
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D'autres critères ont été retenus dans ces riches corpus, dont la particularité est de donner une inflexion
différente à la notion de sacré. Il en est, en effet, qui sont totalement étrangers aux références intertextuelles
à la peinture religieuse, parmi lesquels certaines séries de Witkin. Leur originalité est de construire une
configuration du sacré par le biais d'un raisonnement par figures allant au-delà de la thématique du religieux
et faisant émerger la pertinence du sacré, soit en relation avec la maladie, la santé ou la mort, soit à travers
des configurations expressives comme en témoigne l'iconographie de l'aura chez Michals.
Si l'on en revient au diptyque de Richon évoqué précédemment, on peut se rendre compte que plus la photo
s'éloigne de la citation ou de la référence religieuse - en l'occurrence, la femme pécheresse de l'Evangile plus elle a la possibilité de faire un discours sur le sacré. Ici, on n'est plus en présence du corps de MarieMadeleine, mais du reliquat de ses sensations, essentiellement figurées par un grand voile: de couleur rouge
pour évoquer l'extase ou la passion et de couleur bleue pour suggérer la pénitence ou le repentir. Ainsi donc,
le portrait du personnage nous est donné à travers une nature morte qui nous renvoie à la vanité de tout
emballement du cœur et à la recommandation Memento mori (« Souviens-toi que tu vas mourir »). Et c'est
nous, les observateurs, qui allons prendre la place laissée vide par la femme des Ecritures saintes et sommes
en quelque sorte invités à partager les parcours sensoriels figurés par les images. Bref, il y a ici une forte
interpellation sur les rapports entre sacré et sensorialité.
A l'aune de ce subtil décryptage des photos artistiques qui y sont sélectionnées, on s'aperçoit que l'ouvrage
de Maria Giulia Dondero contribue grandement à la vitalité de la sémiotique, voire à son renouvellement, ne
fût-ce que par la relation peu explorée à ce jour entre photographie et sacré. Sa lecture ne manque pas d'être
parfois ardue certes, mais dans une première partie éclairante - intitulée « Les différentes croyances à l'égard
de la photographie » -, il s'emploie avec bonheur à « problématiser la question de la sacralisation de l'objetphotographie » et à en « investiguer les stratégies ». A cette fin, il se nourrit en particulier des conceptions
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d'un Bateson, chez qui le sacré comporte une extension nettement plus large que le religieux, et d'un Floch,
dont l'approche constructiviste a sans conteste ouvert « la voie à l'analyse de la textualité photographique
en adoptant une perspective sur les pratiques d'interprétation et de réception ». Y sont interrogées aussi, en
guise d'ouverture, les théories de Barthes (La chambre claire) et de Benjamin (L'œuvre d'art à l'époque de
sa reproductibilité technique). Prestigieux sillage, on en conviendra.
Voir également l'article sur le site Culture de l'ULg
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