CR 20110208 Collomb-Thouvenel

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CR 20110208 Collomb-Thouvenel
La désindustrialisation et l’avenir du travail
dans le contexte de la financiarisation et de la mondialisation de l’économie
Cercle Les Sarments – mercredi 8 février 2010 – Institut Marc Sangnier
Interventions de M. Bertrand COLLOMB, Membre de l'Institut, Président d'honneur du groupe Lafarge et
de M. Joseph THOUVENEL, Secrétaire général adjoint de la CFTC en charge des questions économiques et
internationales, Membre de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers.
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Intervention de M. Bertrand Collomb
Le contexte dans lequel s'inscrit la désindustrialisation peut essentiellement se résumer à deux mots-clefs :
mondialisation et financiarisation.
I Contexte
a Mondialisation
La mondialisation – ou globalisation – s'est intensifiée particulièrement depuis trente ans. Comme exemple,
dans le cas du groupe Lafarge, le nombre de pays avec lesquels l'entreprise est en rapport passe sur cette période
de 15 à 80. Il y a certes eu d'autres périodes de mondialisation par le passé, mais aucune d'une telle intensité. En
outre, certaines transformation paraissent irréversibles, notamment ce qui concerne les transports et la
communication, ce qui empêchera le retour à un monde compartimenté et favorisera le développement d'une
conscience collective. A ce titre, dans le cas de la crise de 2009, on a résisté au repliement sur soi qui avait
provoqué la crise de 1929. Cette crise a notamment provoqué la remise en cause du modèle dominant jusqu'en
2008, qui était celui du modèle libéral anglo-saxon. La libéralisation ne va pas de soi. Il va falloir à présent revenir
à une économie mixte, mêlant marchés et pouvoirs publiques, et dont l'organisation diffèrera selon les zones. On
note que le G20 est une première tentative de régulation, par le biais de régulations locales coordonnées, qui
devraient favoriser une globalisation sans catastrophe. La globalisation s'accompagne également d'un
déplacement des centres de gravité économiques – vers les pays émergents ; le marché automobile chinois en est
le symbole – qui engendre de l'angoisse dans nos pays. Toutefois, le potentiel de production asiatique est en fait
doublé d'un potentiel de consommation et à terme, de nouveaux équilibres vont s'établir, même s'il est
impossible aujourd'hui de prédire ce qu'ils seront.
b Financiarisation
En ce qui concerne la financiarisation, le plus important depuis 30 ans est la mise en concurrence de toutes les
Directions. Concrètement, ce qui a le plus évolué dans la vie d'un chef d'entreprise, c'est la mise en concurrence
de toutes les entreprises devant les actionnaires. Dans cette perspective, il faut distinguer le « sain » du
« pervers ». Ce qui semble sain, dans son principe, c'est une demande de bonne performance de la part de
l'actionnaire. Ce qui est pervers, c'est l'innovation financière avec rentabilité sans risque au plan financier, qui a
abouti à des marchés qui tournent sur eux-mêmes et dont les volumes d'échanges représentent de cent à dix mille
fois le volume économique sur lequel ils reposent. C'est fondamentalement pervers. Ces marchés sont taillés pour
le court terme et ne s'intéressent pas tant à l'investissement qu'à la transaction.
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Comment inverser ces tendances ? Toute régulation a quelque chose de stupide car simplificateur. Il faut
rendre les activités de trading moins rentables.
Depuis 6 ou 7 ans on observe le grand potentiel d'instabilité des systèmes financiers. Comment réduire leur
instabilité ? C'est compliqué ; on n'y comprend rien d'autant que ceux qui comprennent en bénéficient.
II L'industrie
Le contexte étant posé, pour en venir à l'industrie française, le sentiment général est celui du « tout fout le
camp ». La proportion relative dans le PIB français de l'industrie a diminué d'environ 15 % en 25 ans, baisse qu'il
faut nuancer par l'externalisation des activités de service qui ne sont de ce fait plus comptabilisées dans le secteur
industriel, ce qui corrige d'environ un tiers cette baisse. Cette proportion de l'industrie dans le PIB est néanmoins
moindre en France que dans les pays tels que les États-Unis, l'Allemagne, le Japon, qui ont commencé à
désindustrialiser plus récemment. Depuis 2002, l'évolution est défavorable. C'est une menace. Particulièrement,
on note une diminution des parts de marché de la France à l'exportation, liée à l'investissement dans les pays
émergents, qui deviennent capables de produire des biens à haute valeur ajoutée, que l'on prétendait conserver
dans les années 80, réservant aux pays en développement les secteurs non high-tech. Un nouvel équilibre va donc
devoir s'établir également à ce niveau. Cependant dans le même temps l'Allemagne a accru ses exportations.
Il faut s'intéresser au coût du travail, à la charge salariale et à l'organisation. On ne doit pas négliger cela même
si cela ne résout pas le différentiel par rapport à la Chine.
A court terme, on note et on peut prévoir la poursuite de l'érosion de notre compétitivité. La comparaison avec
l'Allemagne est intéressante :
En 10 ans, l'Allemagne a consenti des sacrifices drastiques.
L'industrie française est plus domestique qu'exportatrice, n'est pas bien placée en technologie – sauf le
très haut de gamme – et se classe mieux en produits intermédiaires, c'est-à-dire des secteurs où la
croissance est faible.
L'économie allemande est sujette à des variations plus intenses en raison de la part importante
exportatrice dans son économie mais elle se redresse plus vite.
Une enquête McKinsey de mars 2010 s'interroge sur la façon dont la puissance publique peut intervenir dans
les économies des pays développés et dégage quelques points à retenir :
La compétitivité est plus importante que le mix pour la croissance. La performance sectorielle est plus
importante.
Pour créer de l'emploi, il faut surtout une bonne compétitivité des services, secteur où se créent le plus
d'emplois.
La compétitivité dans les secteurs innovants n'est pas suffisante, et il faut se préoccuper de tous les
secteurs.
L'équilibrage public/privé dépend du secteur, des services locaux qui dépendent de la réglementation (ex.
des taxis) jusqu'au high-tech, domaine dans lequel un retard technologique est impossible à rattraper.
Quelques points à noter pour l'industrie française :
Il est important de noter que la recherche du plus bas prix – objectif souvent envisagé par les Français – ne
constitue pas la meilleure stratégie. Les Allemands proposent surtout un ensemble de services liés à leurs
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produits, vendus à des tarifs plus élevés. (« on ne vend plus un produit, mais une solution »).
Il faut développer l'innovation, malgré la forte résistance au changement qui s'y oppose.
L'état doit jouer son rôle, notamment dans le cas du développement durable : le marché ne peut fixer le
taux d'émission de CO2, et il doit avoir une intervention efficace et continue.
Pour finir, deux points importants :
la crise financière a détruit le modèle du tout marché... sauf pour Bruxelles, qui laisse l'Europe totalement
ouverte à l'extérieur comme à l'intérieur.
L'établissement des nouveaux équilibres va supposer de changer de modèle et de ne pas s'accrocher aux
modes de fonctionnement du passé... si les Français ne l'acceptent pas, ils perdront.
Ce qui manque à la France, c'est une vision mais les politiques n'en proposent pas et les économistes comme
les décideurs publics ont ici une responsabilité cruciale.
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Industrie et valeur travail
La lutte des classes est une théorie fausse et l'expérience montre que ce sont les rapports humains qui
gouvernent les entreprises, y compris dans leur dimension hiérarchique.
L'approche qui sera ici envisagée est le respect de la personne et de la valeur travail. En ce qui concerne cette
dernière, force est de constater qu'elle est déconsidérée, en raison du manque quasi généralisé de perspective
donnée au travail, qui n'est envisagé que comme une force physique, et non comme une participation à l'œuvre
commune. Cette dernière notion est en fait essentielle et doit permettre de reconnaître à toute personne la
possibilité de contribuer à l'œuvre collective (y compris les bénévoles, les parents au foyer, etc.). Ce qui fonde ici
la dignité de chacun, c'est de reconnaître sa capacité à apporter quelque chose à la société. Dans cette
perspective, l'économie est un moyen et non une fin mais dans nos sociétés productivistes et de consommation,
le moyen est devenu but.
L'industrie, sous ce regard, doit être envisagée comme un élément essentiel d'équilibre dans une société par
les activités qu'elle implique (on y produit, fabrique, pense, etc.) et la finance doit rester un service.
Développer la vision:
Le développement économique, industriel
La participation de l'homme au travail, à l'œuvre commune
En ce qui concerne la France, elle ne sait pas défendre son industrie, le cas de la société Péchiney étant
emblématique. Il est nécessaire d'envisager une régulation, au moins pour les secteurs stratégiques (pour
mémoire, Péchiney, ex numéro un de l'aluminium, matériau essentiel pour le secteur aérospatial, entre autre, a
été racheté par une compagnie américaine). Par comparaison, les États-Unis, eux, savent adopter une stratégie
protectrice quand leurs intérêts vitaux sont en jeu ; les Allemands savent le faire aussi. Les Etats-Unis savent
également utiliser massivement le secteur de la défense pour promouvoir la recherche scientifique, démarche qui
devrait être développée en Europe. Enfin, nous ne savons pas invoquer le principe de réciprocité.
Finance et marchés
Le problème de la financiarisation doit être abordé en distinguant les agents qui apportent des fonds propres
(c'est-à-dire qui laissent les ressources investies à disposition de l'entreprise un temps suffisant pour qu'elles
servent à son développement) et les spéculateurs (qui réalisent des opérations sur des temps extrêmement
cours, inférieurs parfois à la seconde), en encourageant les premiers et en pénalisant les seconds. La fiscalité doit
dépendre de l'utilité sociale.
En ce qui concerne les marchés eux-mêmes, la crise a révélé le besoin impérieux de traçabilité et de
transparence pour pouvoir évaluer les risques des investissements. Il faudrait donc traiter de manière différentiée
les marchés qui permettent de retracer les flux financiers de ceux qui ne le permettent pas. Sans transparence, pas
de contrôle. Les points noirs sont justement les zones à risques.
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Un aspect très malsain est l'absence de prise de risques personnels de la part des agents financiers face à leurs
décisions (alors qu'un chef d'entreprise s'engage potentiellement jusque sur ses biens personnels).
Europe
L'Europe n'a pas de politique industrielle solide. L'Europe de la connaissance – qu'il faut développer –
n'apportera rien si des secteurs tels que l'industrie de l'énergie ne sont pas développés de façon cohérente.
Parallèlement, la Chine est en train de se positionner sur le marché des matières premières et d'en prendre le
contrôle, ce qui pourrait bien devenir à terme une menace mortelle pour notre industrie et notre économie.
Comparaison France-Allemagne
Les causes du décrochage de la France sont multiples :
L'euro a agi comme un révélateur, en interdisant l'usage de la dévaluation pour améliorer la compétitivité
française.
Le problème du temps de travail et des 35 heures : cette réforme était idéologique et absurde, en
plaquant un même modèle à tous les secteurs sans égard pour leurs spécificités ; toutefois, un équilibre a
été trouvé.
L'Allemagne bénéficie d'une grande stabilité législative en matière de droit du travail.
La société allemande est capable de conduire un dialogue social apaisé, ce qui n'est pas le cas de la France
(la négociation collective, c'est différent de la lutte des classes, yc au niveau national). L'exemple du débat
sur la pénibilité a montré les limites du MEDEF en la matière). Les Allemands ont notamment été amenés
à négocier sur des paquets (salaire, maintien de l'emploi) en acceptant des sacrifices lorsque leur
économie était dans un creux, et à présent que leur croissance s'améliore, les salaires sont également en
augmentation. Le sens de la communauté est clairement plus développé en Allemagne.
Les PMI françaises sont moins rentables que les entreprises allemandes. Les groupes du CAC 40 sont
rentables mais les PMI ne le sont pas assez.
Le système allemand propose des produits à prix plus élevés, mais accompagnés de gammes de services,
quand la stratégie française est généralement simplement de viser les prix les plus bas.
Si l'Allemagne présente une économie industrielle nettement plus vigoureuse que la France, son taux de
natalité est en revanche dangereusement bas (1,4) quand il est de 2,1 en France... L'Allemagne réussit
économiquement et meurt démographiquement.
En conclusion, les exonérations accordées par l'État aux entreprises sont évaluées à 33 voire 56 milliards
d'Euros, selon les sources, mais l'État ne contrôle pas l'usage qui en est réellement fait : il n'assume pas son rôle
de régulateur. La France manque de projet. Elle en a eu par le passé (TGV, Airbus,...) mais en est dépourvue
aujourd'hui. Il nous faut des hommes politiques qui portent une vision, un rêve...
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