n° 106 - Roms and Media

Transcription

n° 106 - Roms and Media
 06
n°1
Avril 2013 - 3,40 €
Dans le box avec
Sylvie Andrieux
Reportage dessiné au
procès de la députée PS
menacée de deux ans de
prison avec sursis. p.25-27
Tous les chemins
mènent aux Roms
Expulsions, aires d’accueil en sousnombre ou indignes, les gens du voyage et les Roms
ne sont pas à la fête en Paca. Enquête et rencontres…
Avec
tsiganes. p.10 à 14
la grosse enquête
COMBIEN POUR UNE PIP ?
Paca. Le procès du PDG varois Jean-Claude Mas
va s’ouvrir à Marseille. Enquête sur l’affaire des
prothèses mammaires PIP défectueuses. p. 3
CUMUL, QUAND TU NOUS TIENS
Paca. Nos élus s’accrochent à leurs mandats. p. 5
Fin de règne pour JOISSAINS
Aix-en-Provence (13). Mme le maire UMP
accumule les tuiles alors que les municipales
approchent. Mais son clan a de la ressource... p. 7
Une petite ligne ?
Paca. Des réouvertures de lignes de TER sont à
l’étude, des collectifs se mobilisent mais élus et
argent manquent à l’appel… p. 9
«VOUS FOURVOYEZ LE DROIT»
Orange (84). Contrôle technique de la démocratie
au conseil municipal présidé par Jacques Bompard,
le député d’extrême droite. p. 23
UN PApYVore A la Provence
Presse. Olivier Mazerolle a pris ses fonctions
de directeur de la rédaction de La Provence, ère
Tapie. Portrait satirique. p. 28
R 28871 - 106
10 ‹ n°106 Avril 2013 ‹ leravi
tous les chemins mÈnent aux roms
la grosseenqu
Tous les chemins
mènent aux Roms
Expulsions, aires d’accueil en sous-nombre
ou indignes, les gens du voyage et les Roms
ne sont pas à la fête en Paca.
Enquête et rencontres… tsiganes.
Tendances
C’est la dernière tendance à New York :
les Roms font une percée remarquée
dans le milieu de la mode. Les stylistes
hexagonaux et autres apôtres de la
« branchitude » suivent, bien entendu, le
mouvement. Le 3 avril, les salons feutrés
du Sofitel Vieux Port, le nouvel hôtel de
luxe marseillais, ont pris « une coloration
chaude et estivale » avec la soirée So
Gipsy. Rien de plus glamour, également,
qu’un séjour en roulottes tsiganes dans
le Lubéron. « Décorées pour rêver »,
elles sont destinées aux amoureux « qui
voyagent même la nuit ».
Une autre tendance semble, hélas,
indémodable : les gens du voyage et les
Roms font toujours de parfaits boucs
émissaires. Nicolas Sarkozy, l’ancien
président mis en examen pour « abus de
faiblesse », n’est plus là afin de porter le
flambeau des expulsions, mais Manuel
Valls se débrouille très bien. « Les familles
Roms qui souhaitent s’intégrer sont
peu nombreuses » a lancé, en mars, le
ministre de l’Intérieur pour justifier le
démantèlement à marche forcée des
camps.
Selon la Cour des comptes, Paca est la
région la moins accueillante pour les gens
du voyage. Les aires d’accueil y sont en
sous-nombre ou indignes. Alors que le
festival Latcho Divano, à Marseille, fête les
cultures tsiganes, alors que le 8 avril est
décrété journée internationale des Roms,
nous avons voulu aller à la rencontre
de celles et ceux que notre République
pourchasse dans des bidonvilles. Et nous
avons aussi donné la parole à ceux qui
se mobilisent pour combattre l’ignorance.
Bonne nouvelle : les « gadjé » mobilisés
contre les discriminations sont de plus en
plus nombreux…
Michel Gairaud
En partenariat avec
Les chiens aboient...
Dans le sud, si on apprécie
les Gipsy King, on n'aime
pas les caravanes : malgré
l'ancienneté de la présence
des gens du voyage en Paca,
notre région est la moins
accueillante.
«D
ébut avril, un spectacle,
« Reinhardt, prénom Django »,
aura lieu à Gignac... dans le
Gard. Car, à Gignac, dans
le « 13 », pour les gens du
voyage, une autre partition se joue. D'après l'association
Rencontres tsiganes (1), le maire (PS), « prenant prétexte
de la préservation des terres agricoles », vient d'engager
« une campagne systématique d’évacuation de plusieurs
dizaines de familles dont certaines sont présentes dans la
commune depuis plus de vingt ans et sont propriétaires de
leurs terrains ».
Rappelant qu'il reste à Gignac « moins de 3 % de
terres agricoles », M. le maire, Christian Amiraty est
inflexible : « Suite à l'installation de poteaux électriques
de fortune pour alimenter une parcelle, lorsque mes équipes
ont voulu intervenir, elles se sont faites caillasser. Avec le
procureur et la préfecture, on ne pouvait pas ne pas réagir.
Des familles sont déjà parties. Et d'autres ont demandé un
relogement... »
L'une d'elles ne décolère pas : « C'est du harcèlement ! On
vivait, tranquille, sur notre terrain depuis 2005. On avait
installé notre caravane, un mobil-home... Nos enfants
allaient à l'école. Et puis il a fallu tout retirer. On s'est
installé un peu plus loin. Mais on ne va pas pouvoir rester.
Alors qu'on est propriétaire ! Paraît qu'il y aura une aire
d'accueil à Gignac. Mais, avec 46 places, comment accueillir
tout le monde ?»
Dans le collimateur
Cette situation est loin d'être isolée. Au Puy-SainteRéparade, près d'Aix-en-Provence, une quarantaine
de familles est sommée de quitter les terrains qu'elles
occupent. « Quand elles ont voulu voir le maire, on leur a
dit qu'il n'était pas là. Ce jour-là, il était au tribunal pour
être mis en examen », peste l'association. Jean-David
Ciot, le maire PS, assume : « S'il y avait jusque-là une
tolérance, on est passé de caravanes à des constructions en
dur. Or, on est en zone inondable. Une caravane, on peut
l'évacuer. Pas un chalet. »
Reste que dans ces deux villes de plus de 5000 habitants,
il n'y a pas, comme les y oblige pourtant la loi Besson
de juillet 2000, d'aire d'accueil pour les gens du voyage.
Légalement, elles ne devraient donc pouvoir s'opposer
à leur présence. Ciot assure qu'il y aura une aire au
Puy. Sauf que « le terrain proposé fait l'objet d'un examen
en interne, précise-t-on à la Communauté du pays
d'Aix. Car, quand le terrain est inondable ou pose d'autres
problèmes, rien ne sert de soumettre le dossier à l’État. En
matière de manœuvre dilatoire, nos élus savent faire... »
Pourtant, suite à l'abrogation par le Conseil
Constitutionnel, après un siècle d'existence, du carnet
de circulation, le gouvernement vient d'annoncer
vouloir non seulement reconnaître la culture des gens
du voyage mais surtout faire évoluer leur statut. Or,
pour Alain Fourest, de Rencontres Tsiganes, « après les
Roms, aujourd'hui, ce sont les gens du voyage qui sont dans
le collimateur ». Et il y a, selon lui, en Paca, une véritable
ambivalence à leur égard : « D'un côté, on promeut leur
culture mais, de l'autre, on rejette ceux qui la portent. »
Ainsi, d'après la Cour des comptes en octobre dernier,
Paca est, pour les gens du voyage, la région la moins
accueillante : moins d'un quart des aires d'accueil
prévues ont été réalisées, avec, bons derniers, les
Bouches-du-Rhône (16 %) et les Alpes-Maritimes
(8 %). Mais le Var n’est pas en reste ! (lire page 12)
Pourtant, comme le rappelle l'ethnologue aixois Marc
Bordigoni (2), même si « le pèlerinage aux SaintesMaries-de-la-Mer ne date que de 1935 », « la présence du
« Boumian » dans la crèche » témoigne de l'ancienneté
de la présence des gens du voyage en Paca. Ce qui n'est
guère étonnant au regard de la situation géographique
de la région - au croisement de l'Italie, de l'Espagne
et du Maghreb - et des activités qu'ils exercent : « Ils
travaillent dans l'agriculture, l'artisanat, le commerce, les
marchés. Et, en été, les clients, ils sont en bord de mer... »
Néanmoins, pour le chercheur, ce qui caractérise
la région, c'est « l'inorganisation de l'accueil ». Si la
stigmatisation des « nomades » par Sarkozy, notamment
depuis le discours de Grenoble en 2010, n'a rien arrangé,
leravi › Avril 2013 n°106› 11
enquête
Petite leçon
de vocabulaire…
Bohémiens. Désigne les premiers Tsiganes
venus de Bohême (une région de la République
tchèque actuelle), souvent liés aux diseuses de
bonne aventure.
Boumian. Bohémien en provençal, santon
important de la crèche de Noël.
Forains. Commerçants nomades mais pas
forcément issus de familles tsiganes.
Gadjo. L’étranger, celui qui n’est pas tsigane.
Gens du voyage. Désigne, au départ, les
artistes de rue ou de cirque qui passent
l’année sur les routes. Depuis la décennie
70, l’administration utilise l’expression pour
remplacer le terme de « nomades » sur le sol
français.
Gitans ou Kalé. D’origine andalouse ou
catalane, ils résident le plus souvent dans le sud.
Manouches ou Sinti. Désigne les Tsiganes des
régions germanophones qui ont été déportés et
exterminés en partie (85 %) par les nazis lors de
la Seconde guerre mondiale.
Romani (le). Langue indo-européenne à
déclinaisons parlée par les Gitans et Tsiganes,
dont la forme savante était le sanskrit.
Romanichel. Signifie « le peuple Rom » en
romani et serait théoriquement le meilleur
terme à utiliser, même s’il est devenu péjoratif
en français.
Roms. Signifie « Homme » en hindi et désigne
une population qui a en commun la langue
Romani. Ce terme est souvent employé, à tort,
pour regrouper des populations diverses qui
ne veulent absolument pas être amalgamées.
Les Roms, originaires d’Inde, ont migré
progressivement à travers l’Asie occidentale
puis l’Europe. Les premiers Roms sont arrivés
en France autour du XVème siècle. La vague
d’immigration récente concernent les Roms de
Roumanie et des pays de l’Est sans papiers qui,
pour la plupart, sont des sédentaires (seulement
2 % de voyageurs).
Tsiganes. Recouvre toute la diversité des gens
du voyage, dont certains sont français depuis
des siècles : les Gitans, les Sinti ou Manouches et
les Roms.
la Cour des comptes pointe, elle, autant « la rareté des
disponibilités foncières » que la « réticence des collectivités à
remplir leurs obligations ». Ce que Fourest traduit ainsi :
« Ici, les gens du voyage, personne n'en veut. » En témoigne
ce qui se passe aux Saintes-Maries-de-la-Mer (13),
une ville qui, tout en bénéficiant du pèlerinage, fait la
chasse aux « diseuses de bonne aventure ».
Autre facteur explicatif, pour Marc Bordigoni, ayant, un
temps, travaillé pour l'AREAT (association régionale
études actions tziganes), la façon dont cet organisme
a conçu et géré les aires d’accueil : « Ne serait-ce que
par leur physionomie - un camp, entouré de clôtures avec,
au centre, le bloc sanitaire - ces aires sont devenues de
véritables points de crispation ».
Dans le collimateur
Comme l'est désormais la question des terres agricoles.
Un « prétexte, dixit Alain Fourest. Si des gens du voyage
se retrouvent sur des terrains, c'est parce qu'on a bien voulu
leur vendre. D'ailleurs, légalement, rien ne devrait s'opposer
à ce qu'ils bénéficient d'un raccordement au réseau électrique
et sanitaire ». Et si, aujourd'hui,
nous". De fait, des préjugés, il y en
l'heure est aux aires « nouvelle « Une caravane,
a des deux côtés. Le dialogue est donc
génération » avec emplacements et
indispensable. »
sanitaires individualisés, pour lui, on peut l’évacuer » Problème : pour dialoguer, il faut être
« les problématiques ont évolué. On a Jean-David Ciot
au moins deux. Or, symbolique, les
affaire de plus en plus à des populations
quelques élus en Paca qui s'intéressent
sédentarisées. Or, vu le retard en Paca
à la question se comptent sur les
sur les aires d'accueil comme du côté du logement social, doigts de la main... de Django Reinhardt. Ce qui fait
l'alternative entre la caravane et le HLM, si elle est dire au fondateur de Rencontres Tsiganes : « Depuis plus
imposée, est un non-choix ».
de dix ans, on a été de toutes les discussions pour défendre les
droits des gens du voyage. Aujourd'hui, l'échec est si patent
Une problématique abordée par l'exposition « A la et la tension telle que même notre crédibilité est mise à
gitane », au J1, sur la vie quotidienne des gitans arlésiens mal. Ceux qui ont joué le jeu se sentent floués. Comment
et sur laquelle a travaillé Anne Drillau, de l'association s'étonner alors de voir des convois qui, avant, ne comptaient
Petit à Petit. « Parce que voyager était de plus en plus pas plus de cinq caravanes, en réunir aujourd'hui plus d'une
difficile, une communauté de gitans s'est installée sur Arles dizaine ? Car, d'une certaine manière, la seule chose qui
il y a plus de 20 ans, souligne-t-elle. Et, depuis 2004, elle marche, c'est le rapport de force. »
vit dans un quartier d'habitat social. Or, parce que cela ne
va pas sans mal, il a fallu accompagner cette sédentarisation. 1. www.rencontrestsiganes.asso.fr
On sent chez eux beaucoup de nostalgie. Comme me l'a 2. Auteur, entre autres, au Cavalier Bleu, du livre Les gitans.
dit un vieux gitan : "Avant, on était plus libre. Non
Sébastien Boistel
parce qu'on voyageait. Mais parce qu'on restait entre
12 ‹ n°106 Avril 2013 ‹ leravi
tous les chemins mÈnent aux roms
la grosse enqu
Se poser
à Saint-Menet
L’aire d’accueil des gens
du voyage de SaintMenet est l’une des
rares à bénéficier d’un
centre social permanent,
lieu d’échange et de vie
où tsiganes et gadjé se
côtoient. Reportage.
Une semaine
en décembre…
Deux journalistes partagent une tranche
de vie avec une famille rom. Elles
témoignent de leur rencontre dans un
documentaire.
Lever de soleil sur une passerelle d’autoroute dans le
15ème arrondissement de Marseille : juste en dessous, un
campement de Roms et une caravane, celle des Gjuliaj,
originaires du Kosovo, ayant fui la guerre des Balkans
pour se réfugier en Allemagne puis en France… Chassée
de partout et bienvenue nulle part, cette famille est
contrainte à l’errance.
Sahar et Dasuhrije ont trente ans, quasiment le même
âge que les deux journalistes de LCM (La chaîne
Marseille) qui les ont filmés, une semaine, en décembre.
Fanny Fontan et Margaïd Quioc ont installé leur
camping-car sur le campement, pour partager quelques
moments de vie. Elles ont pris le temps de poser leur
caméra afin de montrer la réalité de ceux que l’on
ne regarde pas. C’est François Missen, grand reporter
marseillais (Prix Albert Londres) qui leur a présenté la
famille Gjuliaj - rencontrée par hasard lors d’une panne
de voiture - et les a incitées à réaliser leur premier 52
minutes.
« C
haïma, je t’aime, tu es
belle, tu es la plus jolie très
très fort. » Quelques mots
d’amour, écrits au feutre
rose et épinglés à côté d’autres dessins d’enfants,
décorent le poste de travail de Chaïma, agent
d’accueil et secrétaire du Centre de culture
ouvrière (CCO) situé sur l’aire des gens du voyage
de Saint-Menet (Marseille 11ème). Paumée entre
l’autoroute A50 et la Chocolaterie de Provence,
l’aire est loin de tout et de tous, sans panneau
d’indication. Créée en 1977, fermée en 2005 pour
insalubrité, ré-ouverte depuis 2006, elle est l’une
des rares à accueillir sur son site un centre social
permanent.
« C’est un luxe ! », se réjouit Loucif Mendil responsable
du CCO qui voulait travailler avec les gens du voyage.
« La différence, je la situerais dans leur mode de vie,
dans leur rapport au temps, souligne-t-il. Aujourd’hui,
dans notre société, la notion de famille est redistribuée,
redessinée. On y est beaucoup plus isolé, alors qu’ici, il y a
encore du respect pour la place de l’ancien pris en charge
par la communauté. Et puis il y a toute une histoire, toute
une langue, une forme de résistance aussi, puisqu’ils veulent
préserver leur mode de vie et rester en caravane. »
dire que John est un papa un peu particulier. Alors que
beaucoup de voyageurs sont illettrés voire analphabètes,
il a décidé d’apprendre à lire et à écrire il y a deux ans.
Au départ c’était pour déchiffrer les annonces sur le Bon
Coin, mais maintenant il est plutôt fier de pouvoir se
débrouiller tout seul dans ses démarches, pour aider sa
fille aux devoirs, mais aussi pour lire les panneaux sur la
route : « Quand on voyage on suit tous une même caravane
et si elle se trompe de chemin, et bien on se trompe tous de
chemin. Maintenant je peux savoir si on va dans la bonne
direction ou pas ! »
Une école en moins
Amour et méfiance
Le quotidien de cette famille pourrait ressembler à celui
de n’importe quelle autre si seulement on ne lui refusait
pas l’asile depuis 10 ans. Sahar voudrait travailler mais,
faute de papiers, il est obligé de se débrouiller comme il
peut - vente d’objets aux puces, branchement sauvage
sur les poteaux électriques - pour que ses enfants
mangent et soient au chaud. Cette bataille journalière
lui permet de tenir. Pour sa femme, Dasuhrije, c’est plus
compliqué. Enceinte de son cinquième enfant, coincée
dans la caravane, elle a le temps de ressasser. A 31 ans,
elle porte sur ses épaules la lassitude de trop d’années
d’errance : « Je ne veux pas la même vie pour mes
enfants […] Parfois, je voudrais mourir. »
Leurs quatre enfants, trois filles et un petit garçon,
rêvent d’une maison « où chacun aurait sa chambre »,
insiste Samira, 9 ans. Samantha, 11 ans, voudrait un
bureau « pour dessiner mieux ». Ils vont dans la même
école depuis deux ans, ils se sont faits des amis, ils
dansent, chantent, rient, parlent avec l’accent marseillais.
Si leur joie de vivre contraste avec leur dure réalité
matérielle, c’est justement dans leurs sourires que réside
l’espoir… Une semaine en décembre, sans voyeurisme
aucun, montre avec justesse la vie d’une famille
ordinaire que la quête absolue d’un avenir meilleur rend
extraordinaire.
Le CCO propose du soutien scolaire, des sorties Melissa et Jessica, la vingtaine, ne savent pas lire, ce
S.R.
culturelles, des moments de paroles etc. Chaïma gère qui n’a pas empêché Loucif de leur donner leur chance
Une semaine en décembre, reportage de 52 minutes,
aussi au quotidien les soucis de CAF, de docteur, en leur proposant de devenir animatrices. Le mercredi
réalisé par Fanny Fontan et Margaïd Quioc. Le film,
diffusé sur LCM le 31 mars, sera prochainement projeté
d’inscription à l’école et de documents en tout genre. et pendant les vacances scolaires, elles s’occupent de
en salle. le Ravi fera connaître les dates.
Les problèmes administratifs sont
huit enfants de l’aire de 3 à 7 ans. Les
nombreux : « Pourtant c’est simple, il
deux jeunes femmes
faut juste leur expliquer les choses. Mais les « C’est toujours
sont encore célibataires,
administrations ne prennent pas le temps et
et même si Melissa a
à côté des
ça complique tout. » Voilà un an et demi
un petit copain, elle ne
qu’elle travaille à Saint-Menet et une déchèteries
compte pas se marier
avant quand il n’y avait pas de
Dans l’un des
relation de confiance s’est établie. Son qu’on installe les
de si tôt. Et tomber
places désignées. »
départements les plus
bureau n’est pas que celui des pleurs,
amoureuse d’un gadjo,
aires ! »
touristiques de France,
on passe dire bonjour et discuter un
est-ce envisageable ?
Dans le Var, les gens du voyage
les élus préfèrent y
peu… Il est aussi le terrain de jeux des Loucif Mendil
« Même si l’occasion ne
se bousculent aux portillons des
voir fleurir les tentes
enfants dont les têtes dépassent à peine
s’est jamais présentée, on
aires d’accueil tellement elles
Quechua des vacanciers
le comptoir d’accueil. C’est mercredi, le reste du temps n’est pas raciste et de toute façon l’amour
sont peu nombreuses. Le schéma
que les caravanes des
ils sont scolarisés. Jusqu’à l’an dernier il y avait une est au-dessus de ça », nous assure-t-elle.
départemental de 2003 en
gens du voyage…
école maternelle sur l’aire. Le poste a été supprimé pour Mais finalement les seuls gadjé qu’elles
prévoyait 18, mais dans les faits
des raisons budgétaires. « Ça a été un coup dur pour les côtoient sont bien souvent ceux qui
« La misère est au soleil, moi
il n’en existe que cinq. Celle de
mamans, déplore Loucif. On nous a dit que ça permettrait travaillent ici. Comme le dit Latino (1),
j’vous l’dis ! », lance Bodin, la
Six-Fours a pris l’eau peu de temps
aux enfants de s’intégrer plus facilement dans les écoles, voyageur d’une soixantaine d’années :
trentaine qui attend de savoir
après son inauguration. Celle de
pourtant c’est toujours à côté des déchèteries qu’on installe « En voyant la caravane, les gens ont
s’il peut s’installer avec sa famille
Puget est dégradée avant d’être
les aires, pas des écoles ! »
toujours peur, c’est pour ça qu’on nous
sur l’aire des gens du voyage de
terminée. Parmi les deux aires
met loin de la ville. » Mais la méfiance,
la Farlède, à côté de Toulon. Le
de grand passage destinées aux
John, 33 ans, est venu acheter les tickets de cantine de sa conclut Loucif, n’est pas à sens unique :
bureau d’Hélène, l’agent d’accueil,
convois de missionnaires, sur les
fille Céléna, 9 ans, qui veut devenir institutrice : « Moi « Le gadjo c’est celui qui les a rejetés et
ne désemplit pas. L’aire compte
8 préconisées, celle de Fréjus est
si j’envoie ma fille à l’école c’est pour qu’elle apprenne à bien pourchassés. Ils le ressentent encore quand
30 emplacements, tous déjà pris.
inondable… « Tout gitan qu’on
parler le français et pour qu’elle se mélange avec d’autres ils voient le traitement que les politiques
est, on tient à notre dignité »,
Elle dirige Bodin vers celle de
enfants. J’ai envie que ma fille ait des amis sédentaires, leur accordent. »
note Helig, la soixantaine, en nous
Brignoles. « Ah non merci ! C’est
des Arabes, des Chinois... Mais là, ils les mettent tous dans
une cuvette là-bas, on n’arrive pas
montrant les sanitaires collectifs
des classes de voyageurs, où ils ne parlent que le Romanès (1) A sa demande, nous avons changé le prénom.
avoir la télé et le portable ne passe sans fenêtre de la Farlède. Les
et où ils dessinent ! Ma fille elle ne veut pas colorier, elle
pas, s’insurge Bodin. C’était mieux
aires existantes ont été construites
veut apprendre ! C’est pas normal et ça m’énerve ! » Faut
Samantha Rouchard
Quand le Var
leravi › Avril 2013 n°106 › 13
enquête
manque d’aires…
sans l’avis de ceux qui vont y vivre
et qui paient des emplacements.
5 euros par jour à la Farlède, 6
euros à Brignoles, contre 2 euros
à Marseille (St Menet) et à 2,
50 euros sur Paris. Avec l’eau
et l’électricité, l’emplacement
revient facilement à 80 euros par
semaine. Une caravane n’étant pas
considérée comme une habitation,
aucune aide au logement n’est
possible.
« Avant, les communes de
plus de 5000 habitants étaient
subventionnées à 70 % par l’Etat
pour installer les aires d’accueil,
précise Jérôme Burcklen, chargé
du pôle habitat de la Fnasat
(Fédération nationale des
associations solidaires d'action
avec les Tsiganes et les Gens du
voyage). Depuis le 31 décembre
2008, c’est à la charge de la
commune, mais la préfecture
peut s’y substituer et mettre en
place les espaces manquants.
Cependant aucun préfet ne le
fait et aucune commune n’est
inquiétée. » A Sanary-sur Mer,
l’aire doit être construite depuis
cinq ans, elle est même inscrite
au PLU. Mais toujours rien ! L’an
dernier, le maire, Ferdinand
Bernhard (sans étiquette), grand
seigneur, nous assurait : « Je leur
ai même proposé de leur payer
le camping, mais ils ne veulent
pas. Que voulez-vous que j’y
fasse ! » Un geste altruiste qui fait
sourire l’opposition. « Ça n’a pas
été une prise de parole publique
en tout cas ! », s’étonne Olivier
Thomas, conseiller municipal
UMP. En juin dernier, Ferdinand
Bernhard n’a pas hésité à couper
l’eau à tout un secteur sur lequel
s’étaient installés des gens du
voyage… Mais vivant lui-même
dans le quartier, il a fini par la
rétablir ! Pour François Espinas,
coordinateur départemental gens
du voyage, il y a peu d’espoir de
voir le problème se régler : « A une
année des échéances municipales
on sait de toutes façons qu’aucune
aire d’accueil ne verra le jour
car les politiques ne veulent pas
froisser leurs électeurs. »
Si rien n’avance pour les itinérants,
c’est encore autre chose pour
ceux qui veulent se sédentariser.
Les aires d’accueil ne sont pas
prévues pour, puisque tous les
deux mois les caravanes doivent
quitter les lieux. On leur propose
des HLM, comme c’est le cas à la
Ripelle, au Revest où les familles
« Tout gitan qu’on
est, on tient à notre
dignité »
Helig
qui vivent sur place depuis 1972
seront relogées dans des maisons
individuelles d’ici quatre ans.
« Mais lorsqu’ils veulent rester
dans leurs caravanes c’est plus
compliqué, nous explique Sasha
Zanko, rom français et président
de l’association Tchatchtipen à
Toulon. Car même lorsqu’ils ont
les moyens d’acheter un terrain
privé les communes font tout pour
empêcher qu’il soit viabilisé. »
Les occupations illégales sont donc
légions. Fin février les soixante
familles sédentaires qui occupaient
depuis dix ans le terrain de la
Chaberte à La Garde, ont été
expulsées par TPM qui, ironie
du sort, veut y construire une
aire d’accueil pour les itinérants.
Philippe Chesneau, a tenté avec
d’autres élus locaux de défendre
les droits de ces derniers en
préfecture. « C’est la première
fois que je vois ça, s’inquiète
le conseiller régional EELV. La
directrice de cabinet qui nous a
reçus est restée campée sur ses
positions, il n’y a plus de dialogue
possible » Le député varois UMP,
Philippe Vitel en est encore, quant
à lui, à balancer sur son blog des
clichés d’un autre temps : « Mais
comment font-ils pour se payer de
si belles voitures et caravanes ? »
Façon, l’air de rien, d’entretenir la
peur du voleur de poules…
Samantha Rouchard
14 ‹ n°106 Avril 2013 ‹ leravi
la grosse enquête
tous les chemins mÈnent aux roms
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en réalité, à pa reté et le
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les stérilisation dirige vers
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ošice 2013
Sur le papier, K ande
gr
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accordait un s minorités,
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que l'argent a ét ncert de
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Košice apparaîtnce, comme
centre d'excellelturelle pour
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les Roms » – av mme l’École
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Košice nous
Nos ami(e)s de , professeurs,
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montrent la voie
ctuels, toute un
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une mission :
élite investie d' ire vivre les
sauvegarder et fangue comme
traditions – la la isine. Et nous
les recettes de cuons jouer ce
aussi, nous voul de culture.
rôle de passeurs
ures tsiganes ?
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quand il n´y a pl populaire,
on dit. Culturens du terme,
dans tous les se sprit, de
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l'âme, nourritu ssible de
il ne serait pas po
survivre.
er – persister
Insister – résist us donnent
– les Tsiganes no
uer à exister –
envie de contin vie.
vivre – aimer la
cho Divano
Le Festival Ljuatsqu’au 8
se poursuitseille. Infos
avril à Mar
page 18.
2000 Roms
et moi, et moi...
Malgré la mobilisation
d'une multitude d'acteurs,
la situation des Roms
ne cesse de se dégrader.
Interrogations en marge du
premier « Social For'Roms » à
Marseille.
« Vous savez ce qu’on dit de Manuel Valls ? Que, dans le
gouvernement, Sarkozy a oublié un de ses ministres »,
plaisante un écolo. Comme pour lui donner raison, le
premier flic de France y est allé d’une saillie que ses
prédécesseurs n’auraient pas reniée : « Les Roms ne
souhaitent pas s’intégrer » car ils « ont vocation à rester
en Roumanie ou à y retourner. »
servir ? A trier, à sélectionner ? »
En filigrane, cette interrogation :
comment expliquer, malgré la
pluralité des acteurs - institutionnels,
associatifs... - intervenant auprès d’une
population n’excédant pas dans les
Bouches-du-Rhône 2000 personnes,
que la situation de ces dernières ne cesse
de se dégrader ? Certes, comme le rappelle
Alain Fourest, de Rencontres tsiganes, « au début, on
n'était qu'une poignée. Cela ne fait que trois-quatre
ans qu’il y a une multitude d’acteurs ». Ce qui, pour
le vice-président (Front de gauche) à la Région, JeanMarc Coppola, a permis à la fois « une médiatisation
de la question et donc une mobilisation mais aussi une
radicalisation des positions ».
Des propos largement commentés lors du « Social
For’Roms », mi-mars à Marseille, et qui entrent en Aujourd'hui, explique Bernard Eynaud, de la Ligue des
résonance avec la multiplication des démantèlements droits de l'Homme, « il y a plusieurs types d'associations
dans les Bouches-du-Rhône. Les représentants de l’État qui interviennent. Des associations caritatives, souvent
expliquent pourtant doctement que,
d'obédience chrétienne, comme la
dans le prolongement de la circulaire du « Sept siècles que Cimade (1). D’autres dont la porte
26 août 2012, le « diagnostic collectif et l’on nous chasse » d'entrée est plus « politique », comme
le Mrap (1). Et des associations plus
individuel » réalisé en ce moment dans
Un Rom.
« professionnelles » interviennent
les 32 camps recensés dans le « 13 », vise
autant à l’« amélioration des conditions sanitaires » qu’à avec un cahier des charges précis, sur la santé comme
« l’éradication des bidonvilles ». Et de rappeler que pour Médecins du monde ou sur le logement comme la
s’inscrire « dans un parcours d’insertion », « le premier fondation Abbé Pierre ou l'Ampil. A cela s'ajoutent les
organisations syndicales et politiques. »
critère, c’est de ne pas être un délinquant »…
Les associations, après avoir demandé, sans succès, un
« moratoire des expulsions », travaillent aujourd’hui avec
la Dihal (Délégation interministérielle à l’hébergement
et à l’accès au logement). Et, dans leurs rangs, le
malaise est palpable. D’autant que, comme le déplore
Kader Attia, de l’Ampil 13 (1), « quand on va sur le
terrain, juste après nous, c’est la police qui débarque ».
Et Christophe Lenfant, du Secours catholique, de
s’interroger sur le travail de diagnostic : « A quoi va-t-il
D'où parfois, sur le terrain, « des problèmes de
coordination ». Voire de « stratégies ». Pas simplement
sur l'opportunité de réquisitionner - ou non - tel ou
tel lieu. « Pour certains, cela ne sert à rien de travailler
avec l’Etat, décrypte le militant. D'autres considèrent
que, même si c'est un jeu de dupes, on ne peut pas
jouer la politique de la chaise vide. Et enfin, il y a ceux,
minoritaires, qui ont cru au changement. »
Reste qu'en ce moment, avoue-t-il, « on est en panne
car on ne voit pas de solution. D'autant que, sur le
terrain, les problématiques que l'on rencontre dépassent
largement nos capacités et nos compétences ».
Mais l’Etat, non content d'être schizophrène, a, lui
aussi, ses limites. « Quand on voit les terrains qui
appartiennent à l'Etat, à la Région, au département
ou aux agglos, il y aurait des niches à exploiter, estime
Dominique Michel, de l'Addap 13. Mais, à la veille
des élections, on sait très bien que les municipalités ne
bougeront pas. »
Pourtant, rappelle Alain Fourest, « on parle de 2000
personnes ! Qu'est-ce que c'est pour une ville comme
Marseille ? Rien ! La question qui se pose, ce n'est
pas celle des Roms, c'est celle de notre capacité à
accueillir l'autre. » Comme le dira un Rom, ce jourlà, à Marseille : « Cela fait sept siècles que l'on nous
chasse ! Combien de temps allons-nous encore devoir
courir ? » Et Bernard Eynaud de conclure : « A force
d'être chassé, au bout d'un moment, on ne peut plus
aller ailleurs, car ailleurs, il n'y en a plus. » Plusieurs
Roms ont d’ailleurs porté plainte contre les habitants
qui les ont délogés de la cité des Créneaux...
1.Ampil : Action méditerranéenne pour l'insertion par le logement. Addap
13 : Association départementale pour le développement des actions de
prévention. Cimade : Comité Inter-mouvements auprès des évacués. Mrap :
Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples.
Sébastien Boistel

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