La politique belge en matière de traite des êtres humains
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La politique belge en matière de traite des êtres humains
La politique belge en matière de traite des êtres humains Etat des lieux, évaluation et options futures La politique belge en matière de traite des êtres humains Etat des lieux, évaluation et options futures Sous la direction de Gert Vermeulen Avec la collaboration de : Laurens Van Puyenbroeck Bruno Moens Fleur Dhont Annelies Balcaen La Politique Belge en Matière de Traite des Etres Humains Etat des lieux, évaluation et options futures Cette publication est également disponible en néerlandais sous le titre de ‘Mensenhandelbeleid in België. Status questionis, evaluatie en toekomstopties’ Une publication de la Fondation Roi Baudouin, rue Brederode 21, à B-1000 Bruxelles Auteurs IRCP Institute for International Research on Criminal Policy – Ghent University Sous la direction de Gert Vermeulen Avec la collaboration de : Laurens Van Puyenbroeck Bruno Moens Fleur Dhont Annelies Balcaen Traduction Marielle Goffard Coordination pour la Fondation Roi Baudouin Gerrit Rauws, Directeur Fabrice de Kerchove, Responsable de projet Graphisme & impression Tilt Factory Cette publication peut être téléchargée gratuitement via notre site www.kbs-frb.be ou être commandée gratuitement par e-mail via [email protected] et par téléphone auprès de notre centre de contact : tel +32-70-233 728 – fax +32-70-233 727 Dépôt légal : D/2006/2848/20 ISBN-13 : 978-2-87212-504-3 ISBN-11 : 2-87212-504-3 EAN : 9782872125043 Décembre 2006 Avec le soutien de la Loterie Nationale Avertissement: les opinions exprimées dans ce rapport sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Roi Baudouin. Table des matières I. Introduction et méthodologie 9 II. Traite des êtres humains: définition A. La description légale de la traite des êtres humains 1. Dans un lointain passé... 2. Après la loi du 13 avril 1995 3. Après la Loi du 10 août 2005 B. La distinction entre traite et trafic des êtres humains 1. Importance de la distinction 2. La distinction de jure 3. La distinction de facto C. Conclusion 13 13 13 13 15 22 22 23 25 26 III. La lutte belge contre la traite des êtres humains A. Une approche intégrale de la traite des êtres humains 1. Contexte 2. Attention à la prévention 3. Accent sur la répression 4. Prise en charge des victimes B. Coordination et collaboration dans la lutte anti-traite 1. Au niveau national 2. Au niveau international 29 29 29 31 38 40 43 43 46 C. E nregistrement, collecte de données et formation d’images en matière de traite des êtres humains 47 1. La nécessité de la collecte d’informations et de la formation d’images 47 2. Collecte de données et formation d’images au niveau national 47 3. Le Centre d’Information et d’Analyse en matière de Trafic et de Traite des Etres Humains 48 4. Un coup d’œil sur le futur… 49 IV. L’approche spécifique de la traite des êtres humains au sein du milieu de la prostitution 51 A. Introduction 51 B. L ’apport d’un marché de la prostitution honnête dans la lutte anti-traite 52 52 55 1. La nécessité d’un marché de la prostitution ‘honnête’ 2. Conclusion V. Une politique migratoire réfléchie, élément d’une approche intégrée de la traite des êtres humains 57 A. Introduction 57 B. Le lien entre migration et traite des êtres humains 57 C. L a politique migratoire actuelle et l’impact sur la problématique de la traite des êtres humains 1. La nécessité d’une politique migratoire commune plus souple 2. Une politique de contrôle au niveau national 3. Traite des êtres humains et lutte anti-immigration 4. Nécessité d’une politique migratoire réfléchie et réaliste D. Vers une politique migratoire plus souple dans la lutte contre la traite des êtres humains? 1. Un régime migratoire restrictif n’est pas une solution 2. Les avantages d’une politique migratoire plus souple dans la lutte contre la traite des êtres humains 3. Une approche progressive, élément de la solution E. Conclusion 58 58 59 60 60 61 61 61 62 63 VI. Une nouvelle approche des victimes de la traite des êtres humains? 65 A. Les droits de l’homme: un critère fondamental 65 B. Les points essentiels du débat 66 66 67 1. Le devoir de collaboration de la victime 2. Identification et détection des victimes C. Evaluation de l’approche actuelle des victimes 1. Dissocier devoir de coopération et droit de séjour: pour et contre 2. La loi du 15 septembre 2006 transposant la directive européenne relative au permis de séjour pour les victimes de traite des êtres humains 3. La Loi du 10 août 2005 et la protection de la victime D. Conclusion 67 67 69 71 72 VII. Conclusions et recommandations A. La description légale de la traite des êtres humains 75 1. Une définition pénale explicite 2. Un champ d’application élargi 3. Une distinction plus claire avec le trafic des êtres humains 75 75 75 76 B. L’approche intégrale de la traite des êtres humains 77 C. L a coordination de la lutte contre la traite des êtres humains 78 78 78 1. Au niveau national 2. Au niveau international D. Le recueil des données et la formation d’images en matière de traite des êtres humains 79 E. P révention de la traite des êtres humains au sein du secteur de la prostitution 80 F. L’approche des victimes de la traite des êtres humains 1. La réglementation de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains 2. Détection et identification des victimes 81 81 81 TABLE DES MATIÈRES VIII. Annexes 83 A. Liste des acteurs interrogés 83 B. Questionnaire 85 SAMENVATTING VAN DE AANBEVELINGEN 91 SUMMARY OF THE RECOMMENDATIONS 94 I. Introduction et méthodologie La lutte contre la traite des êtres humains constitue une des priorités à l’agenda politique national et international, et ce depuis déjà plus de dix ans. La politique belge en matière de traite des êtres humains ne résulte pas tant d’un processus mûrement planifié que d’une réaction à plusieurs événements (retentissants). En l’absence d’une stratégie globale, l’appareil anti-traite des êtres humains s’est progressivement développé sur la base de recommandations formulées par diverses autorités législatives, administratives et judiciaires. En d’autres mots, la politique belge en matière de traite des êtres humains a grandi de manière organique et se caractérise par une dimension intégrale, intégrée et multi-sectorielle. Bien que la politique belge en la matière soit toujours considérée comme un des systèmes les plus développés au sein de l’UE et qu’elle ait remporté plusieurs succès importants au niveau national (tant en termes d’intervention judiciaire qu’en termes de protection et d’accueil des victimes), elle présente quelques lacunes indéniables, telles que le manque de données fiables et précises, la confusion entre traite et trafic des êtres humains (tant au sein de la législation qu’au niveau opérationnel), la trop forte insistance sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, l’étroitesse du champ d’application du règlement de séjour pour les victimes, et l’instrumentalisation accrue de la lutte anti-traite au sein d’une politique restrictive en matière de migration et de lutte contre la prostitution. La Fondation Roi Baudouin est active depuis plusieurs années dans le domaine des migrations et de la traite des êtres humains. Que ce soit en Belgique ou dans les pays d’Europe du Sud-Est, son action est centrée sur les victimes de cette forme d’esclavagisme moderne et le respect de leurs droits fondamentaux. Outre des initiatives concrètes visant à la prise en charge des victimes et à leur réinsertion, la Fondation souhaite également contribuer au débat sur les politiques mises en œuvre dans ce domaine tant en Belgique qu’au plan européen. L’attention renouvelée pour la problématique de la traite des êtres humains – liée à la question très actuelle des migrations –, les récentes évolutions au niveau international et européen ainsi que la nouvelle loi du 10 août 2005 sur la traite des êtres humains ont convaincu la Fondation de la nécessité d’évaluer la politique belge dans ce domaine. Cette tâche délicate et complexe a été confiée à l’équipe du Professeur Gert Vermeulen au sein de l’Institute for International Research on Criminal Policy (IRCP) de l’Université de Gand. La présente étude vise une évaluation globale de la politique belge en matière de traite des êtres humains. Cette évaluation se base en grande partie sur l’apport des divers acteurs sur le terrain (au moyen d’interviews à l’aide d’un questionnaire standardisé). L’implication de ces derniers permet d’évaluer les forces et les faiblesses de la politique de manière plus pratique. Outre les informations obtenues auprès des différents acteurs, l’étude contient également une analyse des principaux documents politiques en la matière, complétés d’études scientifiques et de littérature (nationale et internationale) spécialisée. L’étude se subdivise en six parties. La première partie comporte une analyse approfondie du cadre légal pour l’incrimination de traite et de trafic d’êtres humains à la lumière de la nouvelle Loi du 10 août 2005. La deuxième partie décrit la politique ‘multi-piliers’ intégrée belge actuelle en matière de traite des êtres humains, y compris les toutes dernières évolutions en la matière, avec une attention spécifique pour la problématique de la collecte des données et de la formation d’images en matière de traite des êtres hu- mains. La troisième partie traite des possibilités de renforcer la lutte contre la traite des êtres humains via des mesures relatives à la prostitution. Dans la quatrième partie, la lutte contre la traite des êtres humains est étudiée à la lumière du problème très actuel des migrations. La cinquième partie décrit les évolutions récentes en matière d’approche des victimes et examine la nécessité d’une modification de la politique actuelle en cette matière qui constitue la clé de voûte d’une lutte intégrée contre la traite des êtres humains. Enfin, la sixième partie contient une série de recommandations concrètes visant à renforcer la politique belge dans ce domaine. 10 11 12 II. Traite des êtres humains: définition A. La description légale de la traite des êtres humains 1. Dans un lointain passé... Au départ, le code pénal ne contenait pas de clauses spécifiquement destinées à réprimer la traite des êtres humains. Les choses changèrent avec la Loi du 26 mai 1914 qui introduisait dans le code pénal un nouvel article 380bis qui avait entre autres buts de réprimer la traite des êtres humains. Cet article prévoyait l’incrimination de “quiconque, pour satisfaire les passions d’autrui a, par fraude ou à l’aide de violences, menaces, abus d’autorité ou tout autre moyen de contrainte, embauché, entraîné ou détourné une femme ou fille majeure en vue de la débauche”. En cas de consentement de la femme ou fille majeure, l’article 380bis du code pénal de l’époque ne prévoyait pas de sanction. Durant les années qui suivirent, le champ d’application de cet article 380bis fut systématiquement étendu: tant la traite des femmes que celle des hommes et des enfants à des fins de débauche ou de prostitution fut pénalisée, indépendamment du consentement de la victime et de l’usage de fraude, de violences, de menaces, d’abus d’autorité ou de tout autre moyen de contrainte. 2. Après la loi du 13 avril 1995 a. Article 380 du Code pénal: la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle L’article 380bis de l’époque a été remanié à l’occasion de la Loi du 13 avril 1995. D’après le nouvel article 380bis, § 1, 1° du Code pénal, entre-temps renuméroté 380, il était question de traite des êtres humains dès qu’une personne “pour satisfaire les passions d’autrui, aura embauché, entraîné, détourné ou retenu, en vue de la débauche ou de la prostitution, même de son consentement, une personne majeure”. Pour l’incrimination de traite des êtres humains, il n’était à nouveau pas requis que l’auteur ait fait usage de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou de toute autre forme de contrainte ou qu’il ait abusé de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle une personne se trouve pour des raisons déterminées. Le consentement de la victime était indifférent, qu’il ait été fait usage ou non de contrainte ou de privation de liberté. L’élément de contrainte ou de privation de liberté donnait uniquement lieu à une répression plus sévère de la traite des êtres humains. Loi du 26 mai 1914 sur la répression de la traite des blanches, M.B. 10 juin 1914. Cette loi avait pour but de mettre la législation belge en conformité avec la Convention internationale du 4 mai 1910 relative à la traite des blanches (M.B. 20 août 1914). Voir: Loi du 25 mai 1936 approuvant la Convention Internationale, conclue à Genève le 11 octobre 1933, pour la répression de la traite des femmes majeures, et complétant l’article 380bis du Code pénal, de même que l’article 2 de la Loi du 26 mai 1914 sur la répression de la traite des blanches, M.B. 29-30 juin 1936; Loi du 21 août 1948 supprimant la réglementation officielle de la prostitution, M.B. 13-14 septembre 1948. Enquête parlementaire en vue d’élaborer une politique structurelle visant la répression et l’abolition de la traite des êtres humains. Rapport fait au nom de la commission d’enquête par Mmes Merckx-Van Goey et de T’Serclaes. Annexes, Doc. parl. Chambre, 1993-1994, 673/8-91/92 (A.E.), 250-256. Loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, M.B. 25 avril 1995. L’art. 380, § 1 du Code pénal sanctionne cette infraction d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500 à 25.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). L’art. 380, § 3 du Code pénal sanctionne cette infraction d’une peine d’emprisonnement de 10 à 15 ans et d’une amende de 500 à 50.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). Une autre circonstance aggravante concerne le cas où la traite des êtres humains constitue l’activité principale ou accessoire d’une association (art. 381 du Code pénal). Le fait que la victime soit mineure ne constitue en revanche pas une circonstance aggravante: la traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle est incriminée séparément dans l’art. 380, §§ 4 et 5 du Code pénal. 13 L’art. 380, § 1, 1° du Code pénal s’écartait ici des normes actuellement en vigueur au niveau international et européen: selon les définitions les plus récentes des Nations Unies, de l’UE et du rapport du Groupe d’experts Traite des êtres humains de la Commission européenne, pour qu’il y ait traite des êtres humains, il faut non seulement un élément de mouvement et d’exploitation, mais aussi un élément de contrainte, de privation de liberté ou d’absence de libre choix et de consentement. Ce n’est que lorsqu’il est question de contrainte ou de privation de liberté que le consentement de la victime est indifférent. De plus, l’art. 380, § 1, 1° du code pénal a un champ d’application réduit: il vise uniquement la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, et non pas les situations de traite aux fins d’exploitation du travail ou des services ou aux fins de prélèvement d’organes ou de tissu qui doivent pourtant être punies aussi d’après les toutes dernières définitions des Nations Unies et de l’UE. b. L’article 77bis de la Loi sur les étrangers: la traite des étrangers A l’exception de l’art. 380 du Code pénal, la traite des êtres humains a également été rendue punissable dans l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers, modifié depuis. La traite des êtres humains y est décrite comme la situation dans laquelle une personne “contribue, de quelque manière que ce soit, soit directement soit par un intermédiaire, à permettre l’entrée, le transit ou le séjour d’un étranger dans le Royaume et, ce faisant fait usage à l’égard de l’étranger, de façon directe ou indirecte, de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d’une forme quelconque de contrainte, ou abuse de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve l’étranger en raison de sa situation administrative illégale ou précaire, ou de son Etat de minorité, d’un Etat de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale”. Contrairement à l’art. 380 du Code pénal, l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers exigeait, pour qu’il soit question de traite des êtres humains, qu’il ait été fait usage de la contrainte ou qu’il ait été abusé de la situation vulnérable d’un étranger: ces deux conditions étaient considérées comme des éléments essentiels de l’infraction traite des êtres humains. Pour l’incrimination de traite des êtres humains, on n’attachait pas non plus d’importance à la nature de l’exploitation visée. Pourtant l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers avait aussi un champ d’application limité dans la mesure où il s’appliquait exclusivement aux étrangers. Bien que cela n’ait pas été expressément stipulé, l’éventuel consentement de l’étranger était une nouvelle fois indifférent.10 L’incrimination de traite des êtres humains, tant dans le Code pénal que dans la Loi sur les étrangers, présentait clairement plusieurs lacunes. C’est ce qui est ressorti aussi de l’interview des différents acteurs. Qui plus est, elle ne répondait finalement pas aux exigences minimales imposées par les instruments internationaux et européens de lutte contre la traite des êtres humains. C’est une des raisons pour lesquelles il a été décidé de remanier la législation belge relative à la traite des êtres humains. De même, le fait que l’activité de traite des êtres humains constitue une activité habituelle ne constitue pas, d’après le Code pénal, une circonstance aggravante. Pour le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre le crime transnational organisé visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes du 15 novembre 2000 et la Décision-cadre de l’UE en matière de traite des êtres humains du 19 juillet 2002, la contrainte ou privation de liberté constitue un élément essentiel de l’infraction de traite des êtres humains. Selon l’art. 380, § 3 du Code pénal, il s’agit en revanche uniquement d’une circonstance aggravante: en cas de contrainte ou de privation de liberté, la peine d’emprisonnement est de 10 à 15 ans et l’amende de 500 à 50.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). Contrairement à ce qui est stipulé dans le protocole des Nations Unies et dans la Décision-cadre en matière de traite des êtres humains, le consentement de la victime, en vertu de l’article 380, § 1, 1° du Code pénal, est indifférent, même lorsque la victime n’a pas fait l’objet de contrainte ou d’abus de la position vulnérable dans laquelle elle se trouve pour des raisons déterminées. Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M.B. 31 décembre 1980. L’art. 77bis de la Loi sur les étrangers punit cette infraction d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500 à 25.000e. Des peines plus lourdes ont été prévues dans les cas où l’activité de traite des êtres humains constitue une activité habituelle ou un acte de participation à l’activité principale ou accessoire d’une association. 10 Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECR), Images du phénomène de la traite des êtres humains et analyse de la jurisprudence, mai 2001, p. 38 14 DÉFINITION 3. Après la Loi du 10 août 2005 a. Le nouvel article 433quinquies du Code pénal i. Une définition pénale explicite de la traite des êtres humains Avec la Loi du 10 août 200511, les dispositions légales en matière de traite des êtres humains ont été profondément modifiées. Ainsi, il a été décidé d’inscrire explicitement l’incrimination de traite des êtres humains dans le Code pénal uniquement.12 Désormais, tant des étrangers que des Belges peuvent être victimes de traite des êtres humains: la traite des êtres humains ne doit plus être transfrontalière, la traite ‘interne’ est punissable également.13 L’infraction de traite des êtres humains est reprise, en tant qu’infraction autonome, dans les art. 433quinquies à 433nonies et est définie pour la première fois14 explicitement comme “le fait de recruter, de transporter, de transférer, d’héberger, d’accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle, afin: 1° de permettre la commission contre cette personne des infractions prévues aux articles 379, 380, §§ 1 et 4, et 383bis, § 1; 2° de permettre la commission contre cette personne de l’infraction prévue à l’article 433ter; 3° de mettre au travail ou de permettre la mise au travail de cette personne dans des conditions contraires à la dignité humaine; 4° de prélever sur cette personne ou de permettre le prélèvement sur celle-ci d’organes ou de tissus en violation de la Loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d’organes; 5° ou de faire commettre à cette personne un crime ou un délit, contre son gré.”15 Il est en outre stipulé une nouvelle fois que, à l’exception du cas visé à l’article 433quinquies, § 1, 5°, le consentement de la victime à l’exploitation envisagée ou effective est indifférent. L’élément positif de cette nouvelle disposition, c’est qu’on y incrimine non seulement la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle mais aussi la traite des êtres humains à d’autres fins telles que l’exploitation du travail et le prélèvement et la transplantation d’organes et de tissus, que la victime soit belge ou étrangère. On répond ainsi à ce qui est requis au niveau international et européen, et on met un terme à la principale lacune de l’ancienne législation en matière de traite des êtres humains.16 11 Loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil, M.B. 2 septembre 2005 12 La traite des êtres humains n’est désormais plus incriminée dans la Loi sur les étrangers. L’art. 380, § 1 du Code pénal reste en revanche curieusement inchangé. 13 Pour ce qui est de l’incrimination proprement dite, la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, contrairement aux instruments internationaux, ne fait pas de distinction entre traite des humains et traite des enfants. Le fait que la victime de la traite soit mineure constitue toutefois une circonstance aggravante qui donne lieu, conformément à l’article 433septies du Code pénal, à une répression plus lourde de la traite des êtres humains (Exposé des motifs du projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions visant à renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Doc. Parl. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001,20) 14 Avant cela, le terme ‘traite des êtres humains’ n’était pas explicitement mentionné, ni dans l’article 380 du Code pénal, ni dans l’ancien article 77bis de la Loi sur les étrangers. 15 L’art. 433quinquies, § 2 du Code pénal punit cette infraction d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500 à 50.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). 16 Voir également: G. Vermeulen, “Matroesjka’s: tien jaar later. Repressie en controle als speerpunten van het vernieuwde mensenhandelbeleid?”, Pan. 2005.2, 6. 15 ii. Les finalités de la traite des êtres humains La traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle L’article 433quinquies du Code pénal incrimine en premier lieu la traite des êtres humains visant à “permettre la commission contre cette personne des infractions prévues aux articles 379, 380, §§ 1 et 4 et 383bis, § 1”. Les infractions évoquées concernent la traite des êtres humains et des enfants à des fins d’exploitation sexuelle et de pornographie enfantine. Les nouvelles dispositions en matière de traite des êtres humains ne remplacent pas les articles existants 379, 380, §§ 1, 1°, 2, 3 et 4, 1° du Code pénal. Il ressort de l’exposé des motifs de la nouvelle loi que les articles 379, 380, §§ 1, 1°, 2, 3 et 4, 1° du Code pénal continuent à incriminer la traite des êtres humains et des enfants à des fins d’exploitation de la débauche ou de la prostitution, et continuent donc à exister aux côtés des articles 433quinquies à nonies du Code pénal. L’exposé des motifs justifie cela en affirmant qu’une distinction doit être faite entre la situation dans laquelle une personne se rend coupable de traite des êtres humains afin d’exploiter elle-même sexuellement la personne (ce qui reste punissable en vertu de l’article 380, § 1, 1° du Code pénal) et la situation dans laquelle une personne se rend coupable, conformément à l’article 433quinquies, § 1, 1° du Code pénal, de traite des êtres humains afin de permettre à quelqu’un d’autre, qui se rend aussi coupable de traite des êtres humains, d’exploiter sexuellement la personne concernée.17 En d’autres mots, la loi prévoit désormais de réprimer la traite des êtres humains aux fins de traite des êtres humains dans la sphère sexuelle. Il pourrait en être question lorsque la traite des êtres humains, dans le sens de l’article 433quinquies du Code pénal, a pour but de faire exploiter une personne dans la prostitution au sens de l’article 380 du Code pénal, ce qui en soi doit être considéré comme de la traite des êtres humains.18 Quoi qu’il en soit, il est clair que cela ne fait que renforcer la confusion relative aux infractions devant être considérées comme des formes de traite. Il est dès lors regrettable que les articles 379, 380, §§ 1,1°, 2, 3 et 4, 1° du Code pénal n’aient pas été intégrés dans les nouvelles dispositions en matière de traite des êtres humains. Il est à noter également que la définition belge de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle s’écarte tout de même partiellement des définitions internationales et européennes: par exploitation sexuelle, on entend en effet dans l’article 433quinquies du Code pénal uniquement l’exploitation de la débauche ou de la prostitution (articles 379 et 380, § 1 et 4 du Code pénal) et la pornographie enfantine (article 383bis, § 1 du Code pénal), alors que les définitions internationale et européenne, ainsi que le Groupe d’experts de la Commission européenne, donnent à l’exploitation sexuelle un contenu plus vaste, et visent de ce fait aussi l’exploitation dans la pornographie adulte, entre autres.19 La traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique D’après l’ancien article 77bis de la Loi sur les étrangers: abus de la situation vulnérable de l’étranger Avant la Loi du 10 août 2005, la traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique, qui était incriminée à l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers, n’était punissable que dans la mesure où un étranger en était victime. La traite de ressortissants nationaux aux fins d’exploitation économique n’était pas (en- 17 Exposé des motifs du Projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Parl. St. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001, 18-19. 18 Voir également: G. Vermeulen, l.c., 8-9. 19Voir également CECR, Rapport traite des êtres humains. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, 26. 16 DÉFINITION core) punissable à ce moment-là. Pour parler d’infraction, il fallait qu’il ait été fait usage “à l’égard de l’étranger, de façon directe ou indirecte, de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d’une forme quelconque de contrainte” ou “qu’on ait abusé de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouvait l’étranger en raison de sa situation administrative illégale ou précaire.” Les juges se laissaient parfois difficilement convaincre sur le fond de ce dernier élément, à savoir qu’il avait été abusé de la situation vulnérable de l’étranger et qu’il était par conséquent question d’exploitation économique, ce qui donnait lieu nécessairement à un acquittement en raison des accusations sur base de l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers. Le constat d’infraction à la législation sociale ne suffisait pas et ne suffit toujours pas pour conclure à l’exploitation économique et dès lors aussi à la traite des êtres humains.20 Avec la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, on a voulu mettre fin à ces problèmes de preuve, qui résultaient en grande partie des interprétations divergentes données à la notion ‘abus de la situation vulnérable’. D’après le nouvel article 433quinquies, § 1, 3° du Code pénal: conditions de travail contraires à la dignité humaine Avec la Loi du 10 août 2005, la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail et des services a été explicitement incriminée dans le Code pénal pour la première fois. On reconnaît donc désormais qu’outre des étrangers, des Belges peuvent également devenir victimes de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique. D’après le nouvel article 433quinquies, § 1, 3° du Code pénal, il est question d’exploitation économique lorsqu’on “met au travail ou permet la mise au travail d’une personne dans des conditions contraires à la dignité humaine”. La contrainte ou l’abus de la situation vulnérable de la victime n’est plus requis.21 Ce faisant, on néglige une nouvelle fois le consensus obtenu au niveau international et européen en la matière. D’après le Protocole des Nations Unies sur la traite des êtres humains et la Décision-cadre du Conseil de l’UE, on ne doit en effet combattre et incriminer que la traite des êtres humains aux fins de travail ou de services forcés ou obligatoires, d’esclavage ou de pratiques analogues à l’esclavage ou de servitude. Contrairement au Conseil d’Etat, le gouvernement est convaincu que l’incrimination de (traite des êtres humains aux fins de) mise au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine se rapporte aussi aux formes d’exploitation mentionnées dans le Protocole et la Décision-cadre en matière de travail, et se montre en outre plus sévère.22 Ce qu’on entend par conditions de travail contraires à la dignité humaine n’est pas explicité dans l’art. 433quinquies, § 1, 3° du Code pénal. D’après l’exposé des motifs de la nouvelle loi, on n’entend pas le travail en noir ou l’occupation illégale au regard de la législation sociale. Pour établir si les conditions de travail sont contraires ou non à la dignité humaine, différents éléments doivent être pris en considération, selon l’exposé des motifs, tels que le salaire, l’environnement et les conditions de travail. Le fait que des conditions de travail soient contraires à la dignité humaine peut, d’après l’exposé des motifs, découler entre autres du fait que les services fournis n’ont pas été payés, que le salaire est manifestement sans rapport avec le grand nombre d’heures de travail prestées ou est inférieur au revenu minimum mensuel moyen fixé par la convention collective de travail d’application. Il en va de même dans le cas où un ou plusieurs travailleurs sont occupés dans un environnement de travail 20 CECR, Rapport annuel. Plaidoyer pour une approche intégrée, analyse de la législation et de la jurisprudence , Décembre 2003, p. 70. 21 Dans la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, la contrainte et l’abus de la situation vulnérable de la personne ne sont en effet plus retenus comme des éléments constitutifs de l’infraction traite des êtres humains. Ce ne sont plus que des circonstances aggravantes. 22 Dans son avis, le Conseil d’Etat craint en revanche qu’une personne qui recruterait par exemple une autre personne en abusant de sa situation de vulnérabilité ou en utilisant des formes de contrainte pour réaliser un profit anormal, sans que toutefois les conditions dans lesquelles cette mise au travail est effectuée ne puissent être considérées comme contraires à la dignité humaine, ne serait pas punissable conformément au nouvel art. 433quinquies, § 1, 3° (Exposé des motifs du projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Doc. Parl. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001, p. 43-44). 17 manifestement non conforme aux normes prescrites par la Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.23 Malgré ces précisions, la définition de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail ou de services qui ne parle que de mise au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine est particulièrement vague. Les acteurs interrogés regrettent également que la loi n’explicite pas plus clairement la notion de ‘dignité humaine’. Du fait de l’absence d’une bonne définition juridique, une vaste marge d’appréciation est laissée au juge et il n’est pas impensable que la notion de ‘dignité humaine’, à l’instar de la notion d’‘abus de la situation particulièrement vulnérable’ de l’ancien art. 77bis de la Loi sur les étrangers, soit interprétée de manières divergentes, avec tous les problèmes (de preuve) qui en découlent. Pour deux autres raisons on peut encore regretter que la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail et des services dans l’art. 433quinquies, § 1, 3° se limite aux cas dans lesquels on est mis au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine. D’une part, on craint de ne pouvoir réprimer toute forme d’exploitation économique au moyen de cette nouvelle disposition. Se pose ainsi la question de savoir dans quelle mesure la traite des êtres humains aux fins de travail forcé ou de travail pour lequel il est abusé de la situation particulièrement vulnérable de la personne, sans que les conditions dans lesquelles on est mis au travail soient contraires à la dignité humaine, pourra encore être sanctionnée. D’autre part, le danger existe que, maintenant que la contrainte ou l’abus de la situation particulièrement vulnérable de la personne ne seront plus requis pour sanctionner la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail ou des services, toutes les affaires de travail en noir ou d’occupation illégale seront poursuivies. De cette manière, la lutte contre la traite des êtres humains serait à nouveau détournée de son objectif primaire qui consiste à protéger les personnes contre l’exploitation forcée ou obligatoire.24 Pour établir si les conditions de travail sont contraires ou non à la dignité humaine et s’il est question par conséquent d’exploitation économique, celles-ci doivent être confrontées, d’après les acteurs interrogés, aux normes, valeurs et critères de l’Union européenne, comme également stipulé par la Circulaire COL 10/04 relative à la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains.25 Les conditions de travail des pays d’origine des victimes ne peuvent être prises en considération à cet effet. Que l’étranger illégal soit occupé ici en Belgique dans de meilleures conditions et qu’il gagne malgré tout plus que dans son pays d’origine, n’ôte rien, aux dires des acteurs interrogés, au fait que dans certains cas il peut quand même s’agir d’exploitation économique, et par conséquent de traite des êtres humains. Il importe de signaler d’autre part que la thèse selon laquelle le travail qui est contraire aux normes et valeurs de l’Union européenne doit par définition être considéré comme exploitation économique, déroge au droit d’autodétermination de chacun, pour autant que celui-ci doive être considéré comme absolu. Il se peut en effet que l’étranger illégal consente de son plein gré aux conditions dans lesquelles il est mis au travail. S’il s’avère par après que celles-ci ne correspondent pas aux normes et valeurs de l’Union européenne, il est peut-être question d’infraction à la législation sociale, qui doit être sanctionnée conformément au droit pénal social, mais pas nécessairement d’exploitation économique et de traite des êtres humains. La traite des êtres humains concerne en effet en premier lieu l’exploitation forcée ou obligatoire, qui doit être réprimée via son incrimination. L’exploitation dite consensuelle à laquelle consentent toutes les parties concernées ne doit en revanche pas être sanctionnée sur la base des dispositions pénales en matière de traite des êtres humains. 23 Exposé des motifs du Projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Doc. Parl. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001, p. 19. 24 CECR, Rapport. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, pp. 31-32. 25 SPF Justice, Circulaire COL 10/2004, Politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains. Directive du Min. de la Justice, 20 avril 2004 (http:/www.moniteurbelge.be), 10 p. 18 DÉFINITION La traite des êtres humains aux fins de commerce d’organes, d’exploitation dans la mendicité ou aux fins de faire commettre un crime ou un délit Contre toute attente, la nouvelle loi sur la traite des êtres humains introduit, à côté de la traite à des fins d’exploitation sexuelle ou économique, de prélèvement et de transplantation d’organes ou de tissus, d’autres variantes de traite des êtres humains.26 D’après l’article 433quinquies du Code pénal, le fait de recruter, de transférer, d’héberger, d’accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle, son exploitation dans la mendicité ou même, au sens général, pour la contraindre à commettre un crime ou un délit, sont considérés comme des formes de traite des êtres humains.27 Les deux incriminations posent question. D’abord, aucun instrument international ou européen n’incite à l’incrimination de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation de la mendicité. De plus, l’exploitation de la mendicité revient en fait à de l’exploitation économique, une forme de traite des êtres humains pouvant, si nécessaire, être aisément réprimée sur base de l’article 433quinquies, § 1, 3° du Code pénal, qui incrimine la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail ou des services. Dans cette optique, l’incrimination séparée de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation de la mendicité semble superflue. Certains des acteurs interrogés se demandent à juste titre si la nouvelle incrimination de traite des êtres humains visant l’exploitation dans la mendicité n’est pas plutôt dictée par des motifs d’ordre public ‘moral’ et n’a pas plutôt pour objectif d’expulser plus facilement les mendiants de la rue, dans un soi-disant souci de respect des droits de l’homme.28 L’incrimination de traite des êtres humains en vue de faire commettre à la victime un crime ou un délit contre son gré surprend encore davantage. Contraindre une personne à commettre un délit n’est évidemment pas possible, les règles relatives à la complicité et aux coauteurs suffisent pour réprimer cela.29 Que la personne ait été préalablement transportée ou transférée sous la contrainte ne peut justifier l’incrimination séparée. On ne peut en effet conclure à la traite des êtres humains sur la base du seul élément de mouvement.30 L’argument utilisé dans l’exposé des motifs de la nouvelle loi, selon lequel cette nouvelle incrimination constitue une simple confirmation du contenu ‘moderne’ donné à la notion de traite des êtres humains par la récente jurisprudence belge dans des affaires de commerce de drogues et des vols, ne convainc pas davantage.31 La jurisprudence invoquée concernait en effet des cas d’entrée illégale où, conformément à l’ancien article 77bis de la Loi sur les étrangers, il a été abusé de la position vulnérable des victimes en les obligeant à vendre de la drogue ou à commettre des vols, alors qu’on leur avait fait miroiter des activités totalement différentes. La condamnation pour traite des êtres humains ne se basait donc pas sur le fait que les intéressés avaient été contraints à commettre des délits, mais résultait du constat que le trafic d’êtres humains s’accompagnait de contrainte, de tromperie ou de privation de liberté. L’autre motif cité dans l’exposé des motifs, à savoir que la Convention n°182 de l’Organisation internationale du Travail interdit l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant aux fins d’activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, peut difficilement justifier l’incrimination de traite des êtres humains avec l’objectif de contraindre la victime à commettre un crime ou un délit, puisque cette Convention ne concerne que les enfants.32 26 L’incrimination de la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes ou de tissus est prescrite uniquement par le protocole des Nations Unies en matière de traite des êtres humains; elle ne l’est pas par la Décision-cadre de l’UE en matière de traite des êtres humains. 27 Maintenant que la nouvelle loi sur la traite des êtres humains a considérablement étendu les formes d’exploitation visées par la traite des êtres humains, il est étonnant que la traite d’enfants à des fins d’adoption illégale – qui s’avère pourtant un réel problème – n’y est pas incriminée (G. Vermeulen, l.c., 2). 28Voir également: G. Vermeulen, l.c., 6. 29 Conformément à l’article 66, § 3 du Code pénal, ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront directement provoqué à ce crime ou à ce délit seront punis comme auteurs du crime ou du délit. 30 C’est confirmé par le Groupe d’Experts Traite des Etres humains de la Commision européenne dans son rapport final du 22 décembre 2004 (COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, Brussels, 22 december 2004), consultable via http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/crime/trafficking/doc/report_expert_group_1204_en.pdf, 48. 31 Exposé des motifs du Projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Parl. St. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001, 20. 32 Organisation Internationale du Travail, Convention n° 182 du 17 juin 1999 sur les pires formes de travail des enfants, http:/www.ilo.org/ilolex/ english/convdisp1.htm. 19 Au vu des considérations précédentes, on peut se demander si cette nouvelle variante ne vise pas en premier lieu à pouvoir intervenir de manière plus répressive contre ceux qui se servent de personnes (économiquement) vulnérables et dès lors facilement remplaçables (de pays tiers) pour leur faire accomplir ici des délits. Dans ce cas, la lutte anti-traite serait détournée de son objectif premier et serait utilisée plutôt pour réprimer plus efficacement des phénomènes de criminalité difficiles à maîtriser autrement, même s’il faut remarquer que la nouvelle loi n’incrimine pas la mendicité.33 b. La contrainte ou la privation de liberté ne sont à nouveau pas des caractéristiques essentielles de la traite des êtres humains Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, au vu des définitions internationale et européenne de la traite des êtres humains, le nouvel article 433quinquies du Code pénal n’exige pas la présence d’un élément de contrainte ou de privation de liberté pour qu’il soit question de traite des êtres humains.34 La traite des êtres humains suppose désormais uniquement un élément de mouvement et d’exploitation. Pour qu’il y ait infraction, la traite des êtres humains ne doit plus s’accompagner de l’usage de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d’une quelconque forme de contrainte ou d’abus de la situation particulièrement vulnérable de la victime: il s’agit ici ‘seulement’ de circonstances aggravantes qui donnent uniquement lieu à des peines plus lourdes.35 D’après les définitions internationale et européenne de la traite des êtres humains et celle du Groupe d’experts, la contrainte et la privation de liberté constituent pourtant une caractéristique essentielle de la traite des êtres humains, en l’absence de laquelle on ne peut parler de traite des êtres humains. La nouvelle définition de la traite des êtres humains va à l’encontre de ce dernier aspect. L’exposé des motifs de la nouvelle loi et certains des acteurs interrogés signalent à juste titre que les définitions internationale et européenne de la traite des êtres humains ne fixent que des normes minimales, et qu’elles n’empêchent pas le législateur belge d’aller plus loin. On peut cependant se demander pourquoi, au niveau international et européen, on a négocié pendant des années à propos d’une définition de la traite des êtres humains qui conviendrait à tout le monde.36 D’après l’exposé des motifs, le fait que la contrainte ou la privation de liberté n’ait pas été retenue comme élément constitutif de l’infraction de traite des êtres humains, est en outre compensé par l’ajout dans l’incrimination de l’exploitation envisagée ou effective comme nouvel élément constitutif de l’infraction.37 Sauf qu’il ne ressort pas clairement de l’art. 433quinquies du Code pénal que l’exploitation envisagée ou effective soit un nouvel élément constitutif de l’infraction. Ce qu’on entend par exploitation envisagée ou effective n’est pas clair non plus. Il est évident que celle-ci ne peut être déduite de l’absence de consentement de la victime, ni de la présence de contrainte, de violence, de menaces ou du fait qu’il a été abusé de la situation particulièrement vulnérable de la victime. Le consentement de la victime, l’usage de moyens coercitifs ou l’abus de la situation vulnérable de la victime ne sont en soi pas pertinents pour établir s’il est question ou non de traite des êtres humains. Il faut par conséquent admettre que par “exploitation envisagée ou effective” on entend qu’on doit vouloir tirer profit de l’activité de traite des êtres humains ou qu’on en tire profit. Cela suppose que le 33 Voir aussi G. Vermeulen, l.c., 6. 34 Contrairement à ce qui était stipulé dans le précédent art. 77bis de la Loi sur les étrangers 35 L’article 433septies du Code pénal punit cette infraction d’une réclusion de 10 à 15 ans et d’une amende de 1000 à 100.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). 36 A cela s’ajoute que la Décision-cadre de l’UE en matière de traite des êtres humains (qui œuvre pour une définition de la traite des êtres humains commune à tous les Etats membres de l’UE) découle en fait de l’Action commune du 24 février 1997 relative à la lutte contre la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des enfants, qui a été adoptée à l’initiative belge. 37 Exposé des motifs du projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Doc. Parl. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001, p. 21. 20 DÉFINITION but de lucre est considéré désormais comme un élément constitutif de la nouvelle définition de la traite des êtres humains, alors que les instruments juridiques internationaux et européens en la matière disent justement que le but lucratif est une caractéristique essentielle du trafic des êtres humains et non pas de la traite des êtres humains, et que la traite des êtres humains, même en l’absence d’un but lucratif, doit être rendue punissable. Ici aussi la nouvelle définition belge de la traite des êtres humains s’écarte du consensus existant à ce propos au niveau international et européen. c. Conséquences de la nouvelle définition de la traite des êtres humains La formulation plus large des finalités de la traite des êtres humains entraîne un élargissement considérable de son champ d’application. Outre l’exploitation sexuelle, l’exploitation du travail et le vol et la transplantation d’organes et de tissus, l’exploitation de la mendicité et la commission d’un crime ou d’un délit sont également présentés comme d’éventuelles finalités de la traite des êtres humains. Cet élargissement du champ d’application de la traite des êtres humains comporte toutefois plusieurs risques, qui ont d’ailleurs été cités par plusieurs des acteurs interviewés. Plus que jamais, le risque existe que certaines pratiques illicites soient groupées à tort sous le dénominateur traite des êtres humains et que l’incrimination de traite des êtres humains soit ainsi détournée de son objectif primaire, à savoir la protection de la dignité humaine. La crainte qu’il ne soit conclu trop souvent et trop rapidement à la traite des êtres humains et que la lutte contre la traite des êtres humains soit exploitée à d’autres fins est dès à présent partagée par plusieurs acteurs qui estiment que la nouvelle incrimination de traite des êtres humains aux fins d’exploitation de la mendicité n’a pas seulement pour objectif de contrer la traite des êtres humains mais aussi de s’attaquer aux nuisances publiques résultant de la mendicité. En résulte également le danger qu’un nombre accru de personnes essayent de revendiquer le statut spécial de victime de la traite des êtres humains, qui risque ainsi d’être vidé de sa substance. Dans ce cas, on consacrerait moins d’attention et de soins aux ‘vraies’ victimes de la traite des êtres humains, comme le craint un des acteurs interrogés. Dans cette optique, il faut veiller à ce que la lutte contre la traite des êtres humains reste autant que possible axée sur les ‘vrais’ cas de traite des êtres humains. Une autre cause de l’incrimination plus large de traite des êtres humains réside dans le fait que pour qu’il soit question de traite des êtres humains, il ne doit plus y avoir de contrainte ou de privation de liberté dans le chef de la victime. Les éléments mouvement et exploitation suffisent pour qu’il soit question de traite des êtres humains, la contrainte ou la privation de liberté ne doit désormais plus être prouvée.38 Il convient pourtant de souligner que la violence, la contrainte, la privation de liberté, la fraude, la tromperie ou l’abus de la situation vulnérable de la victime constituent l’essence même de la traite des êtres humains et que dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, il faut agir en premier lieu contre l’exploitation forcée ou obligatoire qui porte atteinte à la dignité humaine.39 Vu le droit d’autodétermination de tout être humain, on peut en outre se poser des questions quant à la nécessité d’incriminer l’exploitation dite consensuelle à laquelle consentent toutes les parties concernées. La majorité des acteurs interviewés se montrent particulièrement satisfaits du fait que la contrainte ou privation de liberté n’est plus considérée comme caractéristique essentielle de la traite des êtres humains, 38 Pour une condamnation sur la base de l’art. 77bis du code pénal, il fallait auparavant apporter la preuve de contrainte ou de privation de liberté dans le chef de la victime. Pour l’incrimination en soi, il n’est plus nécessaire de prouver que la victime a été contrainte de l’une ou l’autre manière ou n’était pas libre. Si la preuve en est établie, l’infraction donne lieu, conformément à l’art. 433septies, 2° et 3° du code pénal, à une peine plus lourde. 39 Cette position est soutenue par le Protocole des Nations Unies relatif à la Traite des êtres humains du 15 novembre 2000, la Décision-cadre du Conseil de l’UE en matière de traite des êtres humains du 19 juillet 2002 et le groupe d’experts Traite des êtres humains de la Commission européenne. 21 car cela allège considérablement le fardeau de la preuve du ministère public et permet d’éviter des acquittements pour cause de manque de preuve de contrainte ou de privation de liberté.40 Un des acteurs fait en outre remarquer que maintenant que la contrainte ou privation de liberté ne doit plus prouvée, on fera moins appel aux témoignages des victimes concernant la contrainte ou privation de liberté qu’elles ont subies. De moins en moins de victimes sont en effet disposées à collaborer avec les autorités judiciaires et à faire des déclarations ou des témoignages contre leur(s) trafiquant(s) dans le cadre d’une procédure pénale. Souvent, elles ne se sentent pas victimes de traite des êtres humains lorsqu’au départ elles ont consenti à l’exploitation, et ne veulent pas non plus être reconnues comme telles. Ce qui explique aussi que dans le cadre d’une procédure pénale elles ne sont guère motivées à faire des déclarations ou des dépositions.41 Reste à savoir si, dans la pratique, la nouvelle définition de la traite des êtres humains ne sera pas préjudiciable à ceux qui ont vraiment été victimes d’exploitation, quelque soit leur consentement initial à l’exploitation. Le ministère public fera également moins appel à ces victimes pour prouver qu’il y a eu traite des êtres humains. Maintenant que la contrainte ou privation de liberté n’est plus requise pour incriminer la traite des êtres humains, le risque existe en outre que les dispositions pénales en matière de traite des êtres humains soient utilisées pour réprimer certaines pratiques inacceptables, telles que l’occupation purement illégale, qui, étant donné qu’il n’est pas question d’exploitation forcée ou contrainte, ne peuvent être considérées comme des formes de traite des êtres humains. On craint en outre que des dossiers importants, où il est question d’actes de violence ou de menaces de représailles – plus difficiles à prouver et généralement basés sur les déclarations des victimes qui ne sont pas souvent disposées à collaborer avec les autorités judiciaires – ne soient traités que de manière secondaire, avec toutes les conséquences négatives qui en découlent pour les victimes.42 On pourrait remédier à cela en stipulant dans une (nouvelle) circulaire sur la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains que, nonobstant les modifications de loi relatives à la contrainte, il convient de donner la priorité aux cas d’exploitation forcée ou obligatoire. B. La distinction entre traite et trafic des êtres humains 1. Importance de la distinction a. Les deux phénomènes sont liés… La traite des êtres humains est depuis toujours intimement liée au trafic de migrants. La raison principale réside dans le fait que la traite et le trafic des êtres humains se présentent souvent ensemble, étant donné 40 Durant les discussions relatives aux nouvelles modifications de loi en commission Justice du sénat et l’interview des acteurs, il est apparu que le ministère public avait parfois eu du mal dans le passé à prouver la contrainte ou privation de liberté dans le chef de la victime de traite des êtres humains et d’obtenir une condamnation sur la base de l’art. 77bis du code pénal. 41 L’interview des acteurs a clairement mis en lumière que la problématique de la traite des êtres humains a considérablement évolué ces dix dernières années. Contrairement à l’image véhiculée dans les médias des victimes de la traite des êtres humains, plusieurs acteurs sont convaincus que la majorité des victimes aujourd’hui sont bel et bien informées du secteur et des conditions dans lesquelles elles seront mises au travail et y consentent, en concluant parfois les accords nécessaires. Cela explique pourquoi bon nombre des victimes ne se sentent pas victimes d’exploitation et, en raison aussi des accords conclus, ne sont pas disposées à collaborer avec les autorités judiciaires et à déposer plainte ou à témoigner contre leur(s) trafiquant(s). Un des acteurs interrogés se base sur cela pour affirmer que la problématique de la traite des êtres humains en soi – du moins en partie – est dramatisée. Il est à noter néanmoins que le fait d’être informé à l’avance du secteur et des conditions dans lesquelles on sera mis au travail n’empêche pas qu’on puisse finalement devenir victime de traite des êtres humains lorsque les conditions de travail ne correspondent pas à ce qui avait été convenu au départ et équivalent à de l’exploitation. 42 CECR, Rapport. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, p. 28. 22 DÉFINITION que les personnes ‘passées clandestinement’ qui séjournent illégalement dans le pays et y sont mises au travail, sont généralement plus susceptibles, en raison de leur statut illégal, d’être exploitées (en matière d’occupation) et de devenir victimes de traite des êtres humains.43 La communauté internationale et européenne souligne néanmoins que la traite et le trafic des êtres humains doivent être clairement distingués, car ils se différencient fondamentalement l’un de l’autre.44 b. …mais tout de même fondamentalement différents La traite et le trafic des êtres humains ont des caractéristiques différentes; leur incrimination et leur répression ont aussi une autre finalité. Alors que pour qu’il y ait trafic d’êtres humains, il doit être question de passage (illégal) de la frontière et d’un but de lucre dans le chef du trafiquant, la traite des êtres humains se caractérise par l’aspect exploitation qui y est attaché et le fait que le trafiquant fait usage de violence, de contrainte, de fraude, de tromperie ou abuse de la situation vulnérable de la victime.45 L’incrimination de la traite des êtres humains a pour but de protéger l’être humain contre l’exploitation forcée ou obligatoire. L’incrimination du trafic des êtres humains en revanche a pour objectif principal de protéger le territoire ou les intérêts (nationaux) économiques ou autres, et n’a pas grand chose à voir avec la protection de la dignité humaine. Le trafic des êtres humains doit donc être considéré plutôt comme une infraction contre l’Etat que comme une infraction contre l’être humain. D’où la nécessité et l’importance de bien distinguer traite et trafic des êtres humains. 2. La distinction de jure a. L’ancien article 77 de la Loi sur les étrangers Avant la Loi du 10 août 2005, le trafic des êtres humains était implicitement incriminé à l’ancien art. 77 de la Loi sur les étrangers. Selon cet article, il était question de trafic des êtres humains lorsqu’une personne “aide ou assiste sciemment un étranger soit dans les faits qui ont préparé son entrée illégale ou son séjour illégal dans le Royaume ou qui les ont facilités, soit dans les faits qui les ont consommés, ou aide ou tente sciemment d’aider un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d’un Etat partie à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique, en violation de la législation de cet Etat relative à l’entrée et au séjour des étrangers”.46 Si l’aide ou l’assistance est offerte à l’étranger pour des raisons principalement humanitaires, il n’était pas question, selon l’art. 77 de la Loi sur les étrangers, de trafic des êtres humains. b. Après la Loi du 13 avril 1995 Avec la Loi du 13 avril 1995, un art. 77bis a été inséré à la Loi sur les étrangers qui incriminait la traite des êtres humains. Il ressort de la lecture de cet article modifié depuis que l’incrimination avait trait en fait au trafic des êtres humains pour autant que celui-ci s’accompagnait de l’élément contrainte ou privation de 43 C’est également confirmé par plusieurs des acteurs interrogés. 44 Qu’il faille faire la distinction entre traite et trafic d’être humains ressort entre autres du fait qu’ils font l’objet d’instruments de droit séparés pour les Nations Unies et l’Union européenne. Au niveau des Nations Unies, la traite et le trafic des êtres humains sont traités dans deux protocoles séparés à la Convention des Nations Unies contre le crime transnational organisé du 15 novembre 2000. Au niveau de l’UE, ils sont abordés dans deux décisions-cadres séparées du Conseil, la décision-cadre en matière de traite des êtres humains du 19 juillet 2002 et la décision-cadre du 28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la lutte contre l’aide apportée à l’entrée illégale, au transit illégal et au séjour illégal. Cette dernière est encore complétée par la Directive du 28 novembre 2002 visant à décrire l’aide apportée à l’entrée illégale, le transit illégal ou le séjour illégal. L’importance de la distinction entre traite et trafic des êtres humains est également soulignée dans le rapport du Groupe d’experts de la Commission européenne Traite des êtres humains du 22 décembre 2004 et dans l’exposé des motifs de la nouvelle Loi sur la traite des êtres humains du 10 août 2005. 45 Bien que ce dernier élément ne ressorte plus du nouvel art. 433quinquies du code pénal qui incrimine la traite des êtres humains sans qu’il doive être question de contrainte ou d’abus de la situation vulnérable de la victime. 46 L’art. 77 de la Loi sur le étrangers prévoyait pour cela une peine d’emprisonnement de 8 jours à 3 mois et/ou une amende de 1700 à 6000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). 23 liberté qui caractérise la traite des êtres humains. A l’époque de la Loi du 13 avril 1995, la distinction entre traite et trafic des êtres humains était déjà insuffisante dans la loi, ce qui doit sans aucun doute avoir semé la confusion entre traite et trafic sur le terrain. Ce qu’ont d’ailleurs confirmé les acteurs interviewés.47 c. Après la Loi du 10 août 2005 i. Une définition légale explicite du trafic des êtres humains Avec la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, on a essayé de clarifier la distinction entre traite et trafic des êtres humains. Ainsi, l’incrimination de traite des êtres humains a été transférée dans le Code pénal tandis que l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers n’incrimine désormais plus que le trafic des êtres humains. Tout comme pour la traite des êtres humains dans l’art. 433quinquies du Code pénal, on décrit pour la première fois explicitement dans le nouvel art. 77bis de la Loi sur les étrangers ce qu’on entend par trafic des êtres humains. D’après le nouvel article, on se rend coupable de trafic des êtres humains lorsqu’on “contribue, de quelque manière que ce soit, soit directement soit par un intermédiaire, à permettre l’entrée, le transit ou le séjour d’une personne non ressortissante d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un Etat partie à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures et liant la Belgique, en violation de la législation de cet Etat, en vue d’obtenir, directement ou indirectement, un avantage patrimonial”.48 Comme on l’a dit, l’entrée ou le franchissement (illégal) des frontières et le but de lucre constituent d’après le nouvel article 77bis de la Loi sur les Etrangers les caractéristiques essentielles du trafic des êtres humains. ii. L’aide à l’immigration illégale On fait en outre pour la première fois une distinction claire entre le trafic des êtres humains et l’aide à l’immigration illégale qui est incriminée dans le nouvel art. 77 de la Loi sur les étrangers et équivaut à l’aide apportée à l’entrée illégale, le transit illégal ou le séjour illégal d’étrangers en Belgique sans qu’il soit question, comme pour le trafic des êtres humains, de but de lucre.49 Seuls les cas où l’aide à l’immigration illégale est offerte pour des raisons humanitaires ne sont pas punissables.50 iii. Peines identiques et circonstances aggravantes Le fait que la traite et le trafic des êtres humains soient incriminés dans deux lois séparées contribue incontestablement à mieux les distinguer. D’après les acteurs interrogés aussi, la nouvelle législation contribue à une meilleure compréhension et à une distinction plus claire entre traite et trafic des êtres humains. Il est à noter pourtant que la distinction entre traite et trafic des êtres humains est une nouvelle fois partiellement réduite à néant du fait que tous deux font l’objet du même montant de peine et des mêmes (nouvelles) 47 L’interview des acteurs, qui a eu lieu avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi du 10 août 2005, a montré très clairement que la distinction entre traite et trafic des êtres humains est souvent très problématique dans la pratique et donne lieu à discussion, et qu’elle est en tout cas encore insuffisamment claire pour les acteurs sur le terrain (les instances dites de première ligne). 48 Le nouvel article 77bis de la Loi sur les étrangers sanctionne cette infraction d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500 à 50.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). 49 Le nouvel article 77 de la Loi sur les étrangers sanctionne cette infraction d’un emprisonnement de 8 jours à 1 an et/ou d’une amende de 1.700 à 6.000e. 50 La législation belge est une nouvelle fois plus sévère que ce qui a été fixé au niveau européen. Contrairement à ce qui est prescrit par la Directive européenne du 28 novembre 2002, l’art. 77bis du Code pénal incrimine non seulement l’aide au séjour illégal, mais aussi l’aide à l’entrée et au transit illégal pour autant que cette aide s’accompagne d’un but de lucre. En dérogation de la Directive européenne, l’art. 77 de la Loi sur les étrangers incrimine non seulement l’aide à l’entrée ou au transit illégal, mais aussi l’aide au séjour illégal sans but de lucre. D’autre part, il est bien stipulé que lorsque l’aide au séjour illégal sans but de lucre est offerte pour des raisons principalement humanitaires, elle n’est pas punissable. De cette manière, l’art. 77 de la Loi sur les étrangers donne une signification plus large à la clause dite humanitaire que la directive européenne qui ne prévoit pas cette exception. 24 DÉFINITION circonstances aggravantes.51 De plus, la contrainte et l’abus de la situation particulièrement vulnérable de la victime constituent aussi des circonstances aggravantes pour le trafic des êtres humains, alors que ce sont justement des caractéristiques essentielles de la traite des êtres humains. De toute évidence, la traite des êtres humains n’a quand même pas complètement disparu de la Loi sur les étrangers. D’après l’exposé des motifs de la nouvelle loi, cet alignement des peines et des circonstances aggravantes favorise la cohésion et se justifie en outre du fait que la traite et le trafic des êtres humains se déroulent souvent dans des conditions identiques et comportent les mêmes risques pour la santé et la vie des victimes.52 La traite et le trafic des êtres humains peuvent donc désormais être punis de la même manière et plus sévèrement, suite tant à l’alourdissement de la peine qu’à l’élargissement des circonstances aggravantes. Un alourdissement de la peine contribuera sans aucun doute, d’après les acteurs interrogés, à la lutte contre la traite des êtres humains. Il semble en outre logique de prévoir dans les cas de trafic d’êtres humains s’accompagnant de contrainte ou d’abus de la situation vulnérable (cfr l’ancien article 77bis de la Loi sur les Etrangers) la même peine que pour la traite des êtres humains, puisque dans de tels cas, l’intégrité de la victime est atteinte dans la même mesure que dans la traite des êtres humains. Il semble cependant moins logique de prévoir un parallélisme généralisé des peines, qui pourrait s’avérer contre-productif pour la lutte contre la traite des êtres humains. Non seulement on néglige ainsi la différence essentielle entre traite et trafic des êtres humains, mais le danger existe également que le ministère public poursuive à l’avenir – dans les cas de traite aussi – plutôt le trafic, plus facile à prouver pour le tribunal, sans qu’il faille faire appel à la victime. Le montant de la peine est en effet le même pour les deux infractions. Comme on l’a dit, cela pourrait, à terme, avoir comme conséquence que peu de victimes de la traite des êtres humains pourront encore revendiquer le statut spécial de victimes et être reconnues comme telles. Cette préoccupation est formulée par certains des acteurs interrogés. Il est clair que la distinction de jure entre traite et trafic des êtres humains n’est pas encore tout à fait au point, même après la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, et peut encore donner lieu à une certaine confusion. 3. La distinction de facto Bien que la nécessité et l’importance de la distinction entre traite et trafic des êtres humains aient déjà été soulignées dans différents forums, les deux formes d’infraction sont encore abordées intégralement dans la pratique et la lutte contre la traite est étroitement imbriquée à la lutte contre le trafic des êtres humains. Cela ne peut évidemment qu’entretenir la confusion entre les deux concepts. Il a été décidé par Arrêté royal du 16 mai 2004 de renforcer le rôle de la Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre la traite des êtres humains et de la faire intervenir aussi dans la lutte 51 On a respecté ce faisant ce qui est prescrit par les instruments internationaux et européens relatifs à la répression de la traite et du trafic des êtres humains. Tant la traite que le trafic sont punissables en vertu de l’art. 433quinquies du code pénal et de l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500 à 50.000e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). Pour la traite des êtres humains, l’amende maximum a donc été doublée, pour le trafic des êtres humains, tant la peine d’emprisonnement que l’amende ont été augmentées. Dans les deux cas, plusieurs nouvelles circonstances aggravantes ont été prévues: le fait que le trafiquant a autorité sur la victime ou occupe une fonction publique; le fait que la vie de la victime a été mise en danger délibérément ou par négligence grave, le fait que la traite ou le trafic d’êtres humains a causé une maladie paraissant incurable, une incapacité permanente physique ou psychique, la perte complète d’un organe ou de l’usage d’un organe, ou une mutilation grave, que l’infraction a causé la mort de la victime; le fait que l’activité concernée est l’œuvre d’une organisation criminelle (art. 433sexies à octies du code pénal et des art. 77ter à 77quinquies de la Loi sur les étrangers). A l’exception de la circonstance aggravante relative à la qualité d’officier ou de fonctionnaire public, de dépositaire ou d’agent de la force publique du trafiquant, toutes ces nouvelles circonstances aggravantes ont été stipulées au niveau international. D’autres circonstances aggravantes pour la traite des êtres humains, déjà prévues dans l’article 381 du Code pénal ou l’ancien article 77bis de la Loi sur les étrangers, sont le fait que l’activité de traite des êtres humains constituait l’activité d’une association ou constituait une activité habituelle. Ce qui est nouveau en revanche, c’est que ces circonstances aggravantes s’appliquent désormais aussi au trafic des êtres humains. 52 Exposé des motifs du projet de loi du 14 janvier 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, Doc. Parl. Chambre, 2004-2005, DOC 51 1560/001, p. 11 et 30. 25 contre le trafic des êtres humains.53 54 Aujourd’hui, la Cellule interdépartementale de coordination, pivot d’une politique intégrée en matière de lutte contre la traite et le trafic d’êtres humains, est chargée de la préparation et de la mise en œuvre de cette politique.55 On a également prévu la création d’un Centre d’information et d’analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains (CIATTEH) chargé de la collecte, la centralisation, la gestion, la transmission de toutes les informations relatives tant à la traite qu’au trafic des êtres humains, données qui feront l’objet d’analyses stratégiques.56 Les compétences du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre Racisme ont été élargies par ce même Arrêté Royal. Depuis lors, le CECR est chargé de la stimulation, de la coordination et du suivi de la politique de lutte tant contre la traite que contre le trafic des êtres humains ; il doit rédiger un rapport annuel évaluant l’évolution et les résultats de la lutte contre les deux phénomènes.57 Enfin, le Gouvernement doit désormais rendre compte dans son rapport bisannuel au Parlement non seulement de l’application de la loi sur la traite des êtres humains et de la lutte contre la traite des êtres humains, mais aussi de la lutte contre le trafic des êtres humains.58 Etant donné la distinction essentielle, déjà évoquée, entre traite des êtres humains et trafic (non-problématique) d’êtres humains, l’option politique actuelle, qui consiste à confier les cas de trafic ne s’accompagnant pas d’une situation de contrainte ou d’abus à la Cellule interdépartementale de coordination, au CIATTEH et au CECR est contestable. Bien qu’il semble logique de faire intervenir ces organes tant dans la lutte contre la traite que dans le trafic d’êtres humains s’accompagnant de contrainte ou d’abus, il est recommandé de faire une distinction claire avec les cas non-problématiques de trafic des êtres humains. Sinon, le risque existe que la confusion entre traite et trafic des êtres humains subsiste de facto. Enfin, la nouvelle circulaire COL 10/2004 relative à la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains, le formulaire d’enregistrement uniforme correspondant, censé alimenter la banque de données traite des êtres humains de la police fédérale, la nouvelle Cellule interdépartementale de Coordination et le CIATTEH partent toujours de l’ancienne définition de la traite des êtres humains utilisée dans les articles 379, 380, §§ 1, 1°, 2 et 3 du Code pénal et dans l’article 77bis de la Loi sur les étrangers. Il est dès lors urgent de revoir et d’adapter en profondeur ces nouveaux instruments et initiatives. C. Conclusion La législation belge en matière de traite des êtres humains a été profondément remaniée par la Loi du 10 août 2005.59 Cette loi a été élaborée avant tout pour remédier à la lacune ayant trait à la définition 53 Cette Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre la traite des êtres humains a été créée à l’origine par Arrêté royal du 16 juin 1995 portant exécution de l’article 11, § 5 de la Loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la lutte contre la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine (M.B. 14 juillet 1995). Cette cellule a disparu à l’arrière-plan au fil des ans. 54 Arrêté royal du 16 mai 2004 relatif à la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains, M.B. 28 mai 2004. 55 Voir infra, 51-52. 56 Voir également infra, 57-58. 57 La Loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme (M.B. 19 février 1993) a été adaptée dans ce sens par la Loi du 10 août 2005 et stipule maintenant que le Centre doit stimuler non seulement la lutte contre la traite des êtres humains mais aussi la lutte contre le trafic. Le Centre a également la capacité d’ester en justice dans tous les litiges auxquels l’application de la Loi du 13 avril 1995 pourrait donner lieu. A ce propos, il est à noter que le fait que le Centre soit désormais impliqué dans la lutte contre le trafic des êtres humains est difficilement conciliable avec ses autres tâches dans le cadre de la lutte contre le racisme et la xénophobie. 58 Art. 40 de la Loi du 10 août 2005. 59 Voir également le rapport le plus récent du CECR pour une analyse juridique de la nouvelle loi relative à la traite des êtres humains (CECR, Rapport traite des êtres humains. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, 7-39). 26 DÉFINITION de la traite des êtres humains (suite à la Loi du 13 avril 1995) et pour satisfaire aux exigences minimales des instruments internationaux actuels. Sur le terrain aussi, les différents acteurs exprimaient la nécessité d’un éclaircissement et d’une amélioration de l’appareil légal pour pouvoir lutter plus efficacement contre la traite des êtres humains. La nouvelle loi sur la traite des êtres humains peut être applaudie pour plusieurs raisons. C’est la première fois que la législation belge fait une distinction claire entre la traite et le trafic des êtres humains, en incriminant la traite (uniquement) dans le Code pénal et en limitant l’incrimination de trafic à la Loi sur les étrangers. Etant donné la nature fondamentalement différente des deux phénomènes (la traite des êtres humains, infraction à l’encontre d’une personne s’accompagnant d’une atteinte souvent grave à son intégrité physique d’une part, et le trafic des êtres humains, atteinte à la souveraineté d’un Etat et par conséquent nécessité de protéger le territoire d’autre part), le législateur a fait le choix le plus logique. La loi pénale contient donc désormais une définition explicite de la traite des êtres humains. Cette définition englobe tant la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle que la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail ou des services ou de prélèvement et de transplantation d’organes ou de tissus. Enfin, les Belges peuvent désormais être reconnus aussi comme victimes de toutes ces formes de traite des êtres humains. La nouvelle loi relative à la traite des êtres humains suscite toutefois plusieurs considérations critiques. D’abord, les nouvelles dispositions pénales en matière de traite des êtres humains ne remplacent pas les dispositions existantes en matière d’exploitation de la prostitution (articles 379, 380, §§ 1, 1°, 2, 3 et 4, 1° du Code pénal). Il aurait été plus simple et plus logique d’intégrer ces articles dans les nouvelles dispositions pénales relatives à la traite des êtres humains. Deuxièmement, la nouvelle description de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique (“mettre au travail une personne ou permettre la mise au travail de cette personne dans des circonstances contraires à la dignité humaine”) peut poser des problèmes (de preuve et d’interprétation) du fait de l’absence d’une description légale de la notion de “dignité humaine”. L’élargissement de la définition légale à la traite des êtres humains aux fins d’exploitation de la mendicité ou de la commission de délits ne contribue en rien à la lutte contre la traite des êtres humains et ne peut conduire qu’à une meilleure répression de formes de criminalité difficilement contrôlables. L’option la plus regrettable est peut-être le retrait de l’élément de contrainte ou de privation de liberté dans la définition de la traite des êtres humains. Sur ce point, le législateur a voulu se montrer encore plus sévère que les définitions en vigueur au niveau international et européen. Tout le monde s’accorde pourtant à dire que l’essence même de la traite réside justement dans la contrainte exercée sur la personne concernée. En retirant cet élément de la définition de la traite des êtres humains, on anéantit en grande partie la distinction faite par la loi avec le trafic des êtres humains. De plus, l’importance de (la collaboration de) la victime dans la procédure pénale en est sensiblement réduite, ce qui ne bénéficie guère à la protection de cette victime. Outre le retrait de l’élément de contrainte, d’autres facteurs risquent de contribuer à maintenir la confusion existante entre traite et trafic des êtres humains. L’alignement des peines pour les deux infractions annihile manifestement la différence essentielle entre les deux phénomènes et le danger existe de voir porter au tribunal surtout des dossiers de trafic d’êtres humains (aisément démontrables), au détriment des dossiers de traite, plus graves, et des victimes concernées. Enfin, la différence essentielle entre la traite des êtres humains et les cas non-problématiques de trafic d’êtres humains semble difficilement conciliable avec l’intégration de la Cellule interdépartementale de coordination, le CIATTEH et le CECR dans la lutte contre de telles formes non-problématiques de trafic des êtres humains. 27 III. La lutte belge contre la traite des êtres humains A. Une approche intégrale de la traite des êtres humains 1. Contexte En Belgique, le problème de la traite des êtres humains n’a été véritablement reconnu qu’en 1992, lors de la parution d’un ouvrage qui a fait grand bruit et qui traitait en détail de la traite des femmes et de la prostitution forcée qui avait cours en Belgique à ce moment-là.60 On a instauré presque immédiatement une commission d’enquête parlementaire “Traite des êtres humains” qui a été chargée, sur la base d’une étude approfondie de tous les secteurs concernés et des différents aspects du problème, de formuler des recommandations en vue d’élaborer une politique structurelle visant la répression et l’abolition de la traite internationale des femmes.61 A l’issue de son étude, la commission d’enquête est arrivée en 1994 à la conclusion que la Belgique ne disposait jusqu’alors d’aucune politique pénale en matière de traite des êtres humains. On avait toujours considéré la traite des êtres humains comme un problème ponctuel, et non comme un problème structurel ou permanent. Aucune politique de recherches et de poursuites uniforme et cohérente n’avait été développée en la matière et il n’existait pas non plus de véritable stratégie d’enquête. Si l’approche pénale faisait défaut, il en allait de même des approches sur le plan financier, sur le plan du droit administratif et du droit social; le gouvernement ne prévoyait pas non plus d’accueil adéquat des victimes.62 Dans ses recommandations, la commission d’enquête a dès lors incité les décideurs belges à améliorer la législation ayant trait à la traite des êtres humains, à adopter une approche politique et judiciaire cohérente et coordonnée de la problématique, à mettre au point de nouvelles mesures en matière de droit administratif et de droit social, à amplifier les projets de développement et de collaboration policière et judiciaire internationale, à renforcer le contrôle relatif à la délivrance de visa et à améliorer l’accueil des victimes de la traite des êtres humains.63 60 C. De Stoop, Ze zijn zo lief, meneer, Leuven, Kritak, 1992, 284 p. Dans cet ouvrage, l’auteur (à côté d’autres acteurs tels que Payoke et certains services de police) attirait l’attention sur cette forme moderne d’esclavage. Les modifications (de loi) qui furent introduites par après étaient manifestement insuffisantes (c’est ce que DE STOOP laissa entendre par après) pour combattre efficacement la traite des êtres humains (C. De Stoop, Ze kwamen uit het Oosten, Amsterdam, De Bezige Bij, 2003, 207 p.). 61 Proposition de création d’une commission d’enquête parlementaire chargée d’une étude visant à élaborer une politique structurelle de lutte contre la traite internationale des femmes, Parl. St. Chambre 1991-92, n° 673/1, p. 1-4; Doc. parl. Chambre 1991-92, n° 673/6, 1-2. 62 Enquête parlementaire en vue d’élaborer une politique structurelle visant la répression et l’abolition de la traite des êtres humains. Rapport au nom de la commission d’enquête par Mmes Merckx-Van Goey et De T’Serclaes, Doc. parl. Chambre 1991-92, n° 673/7, p. 1-83; B. De Ruyver, K. Van Heddeghem et N. Siron, “De strijd tegen mensenhandel: een beleidsprioriteit in België. Stevige, niet aflatende reactie na late ontedkking.”, TvC 2001, 408; A. Dormaels, B. Moens et N. Praet, The Belgian Counter-trafficking Policy, in C. Van Den Anker , The Political Economy of New Slavery, Palgrave Macmillan Published, 2004/3, 76. 63 Enquête parlementaire en vue d’élaborer une politique structurelle visant la répression et l’abolition de la traite des êtres humains. Rapport fait au nom de la commission d’enquête par Mmes Merckx-Van Goey et De T’Serclaes, Doc. parl. Chambre 1991-92, n° 673/7, 84-105. 29 Au travers de ces recommandations, on soulignait pour la première fois la nécessité et l’importance d’une meilleure approche tant pénale qu’administrative et sociale de la traite des êtres humains et d’un accueil de qualité pour les victimes. Par après, il est également ressorti clairement du rapport d’enquête de la sous-commission “Traite des êtres humains et Prostitution” et de la discussion des mesures gouvernementales prises dans la foulée que la problématique de la traite des êtres humains devait être abordée de manière intégrée et intégrale.64 Ainsi, la sous-commission plaidait (dans le droit fil d’études réalisées dans la seconde moitié des années nonante65) pour qu’on investisse davantage dans la prévention de la traite, qu’on recoure aussi au droit social et administratif pour la réprimer et qu’on améliore l’accueil et la protection des victimes. Suite aux recommandations de la commission d’enquête parlementaire “Traite des êtres humains” (et ensuite de la sous-commission “Traite des êtres humains et Prostitution”), les décideurs politiques belges ont déclaré que la lutte contre la traite des êtres humains devait devenir une priorité et que le problème devait être abordé de manière intégrale et intégrée.66 Ce choix politique a été explicitement consigné pour la première fois dans le Plan fédéral de Sécurité et de Détention de mai 2000.67 68 Dans la Note-cadre de Sécurité intégrale de mars 2004, qui remplaçait le Plan fédéral de Sécurité et de Détention, le gouvernement fédéral s’est une nouvelle fois engagé à considérer la lutte contre la traite des êtres humains comme une priorité et a proposé des mesures qui avaient pour but de contribuer tant à la prévention qu’à la répression de la traite des êtres humains et à la prise en charge des victimes.69 64 La sous-commission “Traite des êtres humains et Prostitution” a été instaurée fin 1999 par la commission du Sénat de l’Intérieur et des Affaires administratives. Elle était chargée d’étudier la problématique de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et de prostitution. Son enquête a finalement donné lieu en juillet 2000 à un volumineux rapport sur ses activités et ses constatations, contenant un grand nombre de recommandations relatives à la problématique de la traite des êtres humains. Suite à ces recommandations, la sous-commission a débuté en juin 2001 une série d’auditions avec le premier ministre et les ministres des autres départements concernés, les centres d’accueil spécialisés pour les victimes de la traite et un des magistrats nationaux de l’époque. Durant ces séances, on a discuté des mesures déjà prises ou qui seraient prises dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains (La traite des êtres humains et la prostitution en Belgique. Rapport fait au nom de la sous-commission Traite des êtres humains et Prostitution par Mesdames Thijs et T’Serclaes, Doc. parl. Sénat, 1999-2000, n° 2-152/1, 166p.; Les mesures prises par le gouvernement à la suite des recommandations de la sous-commission Traite des êtres humains et Prostitution. Rapport fait au nom de la sous-commission Traite des êtres humains par Mr Hordies, Mesdames Lizin et Thijs, Doc. parl. Sénat, 2000-2001, n° 2-365/1, 102p.). Suite à ces recommandations, il a été également décidé de prolonger et d’étendre le mandat de la sous-commission Traite des êtres humains et Prostitution, de sorte qu’elle puisse également étudier d’autres formes de traite, telles que la traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique. Cette nouvelle sous-commission Traite des êtres humains a repris ses activités en novembre 2000: durant la période 2001-2003, elle a mené une enquête sur la traite des êtres humains dans le sport et la fraude des visas, et a également formulé plusieurs recommandations en la matière (La traite des êtres humains dans le sport. Rapport au nom de la sous-commission Traite des êtres humains à la commission Intérieur et Affaires administratives par Messieurs Dedecker et Lozie, Parl. St. Sénat, 2001-2002, n° 2-1132/1, 95p.; La traite des êtres humains dans le sport. Rapport fait au nom de la commission de l’Intérieur et des Affaires administratives par Messieurs Dedecker et Lozie, Parl. St. Sénat, 2001-2002, n° 2-1132/2, 7p.; La traite des êtres humains et la fraude des visas. Rapport fait au nom de la sous-commission Traite des êtres humains (Intérieur et Affaires administratives) par Mme Lizin et Mr Galand, Doc. parl. Sénat, 2002-2003, n° 2-1018/1, 189p; La traite des êtres humains et la fraude des visas. Recommandations adoptées par la commission de l’Intérieur et des Affaires administratives, Doc. parl. Sénat, 2002-2003, n° 2-1018/3, 7p.). Au début de l’actuelle législature 2003-07, il a cependant été décidé de ne pas ré-instaurer la sous-commission Traite des êtres humains en tant que commission indépendante au sein du sénat: désormais, la problématique de la traite des êtres humains doit être discutée en commission du sénat de l’Intérieur et des Affaires administratives. 65 K. Van Impe, P. De Somere, M. Delcour, B. De Ruyver Et W. Van Eeckhoutte, Trade in women. A Pilot and Case Study with the Philippines, Ghent, Research Group Drug Policy, Criminal Policy and International Crime, Ghent University, 1998; B. DE RUYVER, W. VAN EECKHOUTTE, K. VAN IMPE, P. DE SOMERE et M. DELCOUR, De Filippijnen als case-study, Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, 1999, 405p.; J. MEESE, K. VAN IMPE, S. VANHESTE, B. DE RUYVER et W. VAN EECKHOUTTE, Trafficking in Human Beings. A Pilot Study with Poland and Hungary, Ghent, Research Group Drug Policy, Criminal Policy and International Crime, Ghent University, 1998; N. SIRON, P. VAN BAEVEGHEM, B. DE RUYVER, T. VANDER BEKEN et G. VERMEULEN, Trafficking in Migrants through Poland, Multidisciplinary research into the phenomenon of transit migration in the candidate Member States of the EU, with a view to the combat of traffic in persons, Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, 1999, 326 p. 66 B. De Ruyver, K. Van Heddeghem et N. Siron, l.c., 411-412. 67 Le gouvernement fédéral belge a annoncé le Plan fédéral de Sécurité et de Détention dans son accord de gouvernement du 7 juillet 1999, dans lequel il s’engageait à renforcer la sécurité pour la population. Un plan général de sécurité serait rédigé à cette fin, grâce auquel le gouvernement espérait obtenir une baisse effective de toutes les formes de criminalité ainsi qu’une réelle augmentation du faible taux d’élucidation des délits. Le Plan fédéral de sécurité et de détention a été approuvé par le Conseil des Ministres, le 31 mai 2000 (gouvernement belge, La voie vers le 21e siècle. Accord du gouvernement fédéral 7 juillet 1999 (3. Une société sûre), annexe 2 au Plan fédéral de sécurité et de détention, http://www.senate. be/www/? MIval= /publications/viewPub.html&COLL =S&LEG=2&NR=461&VOLGNR=1&LANG=nl, p. 141-144). 68 Gouvernement belge, Le plan fédéral de sécurité et de détention, http://www.senate.be/www/? MIval=/publications/viewPub.html&CO LL=S&LEG=2&NR=461&VOLGNR=1&LANG=nl, p. 6, 63-67. 69 Cette Note-cadre visait à mettre en lumière, de manière cohérente et structurée, les priorités établies dans l’accord gouvernemental du 12 juillet 2003 en matière de sécurité, en guise de cadre à une politique de sécurité intégrale et intégrée. La Note-cadre de sécurité intégrale a été approuvée par le Conseil des Ministres les 30 et 31 mars 2004 (Gouvernement belge, Du souffle pour le pays. Une Belgique créative et solidaire. Accord gouvernemental 12 juillet 2003, http://www.premier.fgov.be/fr/politics/20030710-accord_gov.pdf, 3 novembre 2005, p. 59-64; GOUVERNEMENT BELGE, Note-cadre de Sécurité intégrale, http://www.just.fgov.be/fr_htm/ordre judiciaire/parquet/note_cadre.pdf, 3 novembre 2005, p. 8, 25-29. 30 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains L’interview des acteurs révèle qu’ils considèrent ce choix politique d’une approche intégrale et intégrée de la traite des êtres humains comme un point positif. Certains s’interrogent toutefois sur l’engagement réel du gouvernement fédéral à considérer la lutte contre la traite comme une priorité politique. Selon eux, cet engagement s’avère insuffisant dans la pratique et l’attention pour cette problématique s’est émoussée surtout ces deux dernières années. On justifie cela en invoquant entre autres le manque de personnel et de moyens dans le cadre de la lutte anti-traite, les problèmes de subsidiation des centres d’accueil spécialisés pour les victimes de la traite et le fait qu’en 2003, il a été décidé de ne pas réinstaller la sous-commission “Traite des êtres humains”. Bon nombre de bonnes initiatives ont été prises au fil des ans dans le cadre de la lutte anti-traite, aux dires de certains des acteurs interrogés. Mais le personnel et les moyens manquaient et manquent toujours pour les mener à bien. Si on considère effectivement la lutte contre la traite des êtres humains comme une priorité politique, il importe, selon eux, d’y investir davantage de moyens. 2. Attention à la prévention a. Approche des causes structurelles On a compris entre-temps que pour lutter efficacement contre la traite des êtres humains, il faut également des mesures préventives pour l’éviter. Au fil des ans, la communauté européenne et internationale a de plus en plus expressément attiré l’attention sur l’importance de la prévention qui, à l’instar de la répression et de la prise en charge des victimes, constitue un élément essentiel de la lutte anti-traite.70 Elle donne à la notion de “prévention” un contenu fort large. Ainsi, les Etats nationaux sont invités, à des fins préventives, à investir (davantage) dans l’étude de la traite des êtres humains, dans des campagnes d’information et de sensibilisation, ainsi que dans des initiatives visant à s’attaquer aux causes structurelles de la traite, telles que la pauvreté, le chômage et le sous-développement dans les pays d’origine des victimes. Le Plan fédéral de sécurité et de détention et la Note-cadre de sécurité intégrale montrent déjà que le gouvernement est bien conscient de la nécessité d’agir, dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, de manière non seulement répressive mais aussi préventive. Ainsi la Note-cadre propose de lancer dans les pays d’origine, de transit et de destination des campagnes de sensibilisation et de prévention.71 Aux dires des acteurs interrogés, la Belgique investit effectivement dans la prévention de la traite des êtres humains. Outre à l’étude du phénomène, la Belgique a déjà apporté un soutien financier à plusieurs campagnes de sensibilisation et de prévention (directement) liées à la traite des êtres humains ou à ses causes. Ces initiatives certes louables ne suffisent cependant pas, d’après la plupart des acteurs. La population belge semble encore insuffisamment au fait de la problématique et doit être informée et sensibilisée davantage. Dans les pays d’origine aussi, les victimes potentielles doivent être mieux informées des dangers de l’immigration illégale, de la traite et du trafic des êtres humains, des conditions de vie et de travail dans les pays de destination ainsi que de l’existence et du fonctionnement des possibilités légales de migration. De telles campagnes de sensibilisation et de prévention ne devraient pas constituer 70 Voir entre autres: le Protocole Traite des êtres humains des Nations Unies du 15 décembre 2000, le Plan d’Action de lutte contre la traite des êtres humains de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE ) du 24 juillet 2003, le rapport du Groupe d’experts Traite des êtres humains du 22 décembre 2004 et la Convention Traite des êtres humains du Conseil de l’Europe du 16 mai 2005. 71 g ouvernement belge, Le Plan fédéral de sécurité et de détention, http://www.senate.be/www/? MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LE G=2&NR=461&VOLGNR=1&LANG=fr, p. 65; gouvernement belge, Note-cadre de sécurité intégrale, http://www.just.fgov.be/fr_htm/ordre_judiciaire/parquet /note_cadre.pdf, 3 novembre 2005, p. 28. 31 des initiatives ponctuelles d’un ou de plusieurs pays, mais devraient faire partie d’une politique de prévention au niveau mondial. b. L’approche de la traite sur le plan du droit social i. Le droit social et la lutte contre la traite des êtres humains L’étude de la commission d’enquête parlementaire “Traite des êtres humains” et les études qui ont suivi ont montré qu’une lutte anti-traite efficace requiert également une approche au niveau du droit social.72 Suite à ce constat, plusieurs mesures et dispositions ont été élaborées au fil des ans en matière de droit social, dans le but de contribuer directement ou indirectement à renforcer la lutte contre la traite des êtres humains. En effet, la traite des êtres humains va en général de pair avec l’exploitation de l’occupation illégale d’une personne, souvent d’origine étrangère (et en séjour illégal sur le territoire belge). Autrement dit, les trafiquants d’êtres humains se rendent généralement coupables aussi, dans le cadre de leurs pratiques d’exploitation, d’infractions à la législation du travail et ne sont guère enclins à payer des cotisations de sécurité sociale pour les personnes qu’ils emploient. Ce qui explique que la traite des êtres humains est souvent associée au travail au noir et à d’autres formes de fraude sociale. Dans cette optique, il a été décidé d’intensifier les contrôles et les actions contre le travail en noir, les pourvoyeurs de main d’œuvre et l’occupation d’illégaux et d’intégrer les services d’inspection sociale compétents dans la lutte antitraite.73 ii. Collaboration et coordination accrues Les services d’inspection sociale ont conclu ces dernières années divers protocoles de collaboration visant à renforcer la lutte contre le travail au noir et la fraude sociale. Le 31 mars 1995, le gouvernement fédéral et les gouvernements des Régions ont conclu un accord de collaboration relatif à la coordination des contrôles en matière d’occupation de main d’œuvre étrangère.74 Cet accord représentait une première mesure concrète en vue de contrôles plus ciblés dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains.75 Par la suite, l’Inspection sociale et l’Inspection des lois sociales ont conclu le 31 mai 2001 un accord de collaboration séparé, dont l’objectif était d’encore mieux collaborer dans le cadre de la lutte anti-traite. Suite à ce mini-protocole, les deux services d’inspection ont décidé d’organiser, de leur propre initiative, des contrôles communs systématiques dans les secteurs présentant un risque accru de traite des êtres humains.76 72 Enquête parlementaire en vue d’élaborer une politique structurelle visant la répression et l’abolition de la traite des êtres humains. Rapport fait au nom de la commission d’enquête par Mmes Merckx-Van Goey et De T’Serclaes, Parl. St. Chambre 1991-92, n° 673/7, 105p.; N. Siron, P. Van Baeveghem, B. De Ruyver, T. Vander Beken et G. Vermeulen, o.c., 326p.; B. De Ruyver, W. van Eeckhoutte, K. Van Impe, P. De Somere et M. Delcour, o.c., 405p. 73 Il est à noter à ce propos que l’Inspection sociale dispose depuis 1997 de cellules régionales “Traite des êtres humains et secteurs à risque” (appelées cellules MERI), qui sont chargées des contrôles de l’occupation des travailleurs étrangers (non-UE), principalement dans les secteurs sensibles au travail illégal et à la traite des êtres humains, et dans cette optique doivent contribuer à lutter plus efficacement contre la traite des êtres humains. 74 SPF Sécurité Sociale, Inspection sociale. Rapport annuel 2002, 7. 75 Les services d’inspection collaboraient déjà dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale et fiscale, en vertu du Protocole de collaboration du 30 juillet 1993 relatif à la collaboration entre les différents services d’inspection sociale en vue de la coordination des contrôles lors d’infraction à la législation sociale et du travail, signé par les Ministres de l’Emploi et du Travail, de la Circulation routière et de l’Infrastructure, de la Justice, des Affaires économiques, des Finances, de l’Intérieur et des Affaires administratives, des Classes moyennes, de la Prévention sociale, de l’Intégration sociale, de la Santé publique et de l’Environnement. Des cellules dites d’Arrondissement ont été créées à cet effet. Le protocole du 30 juillet 1993 a finalement été implicitement supprimé par la Loi du 3 mai 2003 portant création du Conseil fédéral de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale, le Comité fédéral de Coordination et les cellules d’Arrondissement, qui a modifié entre autres la composition des cellules d’arrondissement, présidées désormais par l’auditeur du travail (M.B. 10 juin 2003). 76 Le Protocole préconise une action par mois par arrondissement judiciaire. Une telle action peut d’après le Protocole comporter un ou plusieurs contrôles ou concerner plusieurs arrondissements judiciaires (Point 3 du Protocole relatif à la collaboration en matière de lutte contre la traite des êtres humains conclu entre l’Inspection sociale du Ministères des Affaires sociales et l’Inspection des Lois sociales du Ministère de l’Emploi et du Travail du 31 mai 2001). 32 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains Afin de lutter encore plus efficacement contre le travail illégal et la fraude sociale et garantir un coordination optimale sur ce plan, on a créé en 2003 un Conseil fédéral de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale et un Comité fédéral de coordination.77 Ces organes sont chargés ensemble de la coordination des actions menées par les inspections et d’autres services compétents dans le cadre de la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale. iii. Meilleure protection des travailleurs étrangers La législation relative à l’occupation de travailleurs étrangers a également été réformée et renforcée.78 Ainsi, le système de délivrance des permis et des cartes de travail aux employeurs et aux travailleurs étrangers qu’ils veulent employer, a été durci en vue de prévenir l’occupation illégale (par des trafiquants entre autres). Des règles et des conditions plus sévères ont été adoptées pour l’occupation de stagiaires, de jeunes au pair et d’artistes de cabaret étrangers (des statuts qui dans le passé avaient donné lieu à des abus dans le cadre de la traite des êtres humains). Désormais, l’occupation de stagiaires et de jeunes au pair doit faire l’objet d’un contrat spécifique, à l’instar des artistes de spectacle. Un salaire minimal a été fixé pour les sportifs et les entraîneurs non-européens, pour mettre fin à la traite des êtres humains dans le sport.79 Des mesures de protection spéciales ont également été élaborées pour le personnel domestique engagé par des diplomates étrangers en Belgique. Pour pouvoir travailler en Belgique comme personnel domestique diplomatique, il faut disposer d’une carte d’identité spéciale (modèle IV). Pour cela, le candidat-domestique et l’employeur doivent satisfaire à plusieurs conditions et rédiger un contrat de travail en conformité avec la législation belge. De plus, le domestique doit aller chercher lui-même sa carte d’identité au Service Protocole et Sécurité du SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, chargé du contrôle de la situation de travail du personnel domestique étranger qui travaille chez les diplomates accrédités en Belgique.80 L’obligation pour le domestique d’aller quérir luimême la carte d’identité donne l’occasion au fonctionnaire compétent du Service Protocole et Sécurité de s’entretenir personnellement avec le domestique au sujet de sa situation (de travail), de le conseiller et de lui donner des informations au cas où des problèmes se poseraient dans le cadre de son occupation.81 77 Loi du 3 mai 2003 portant création du Conseil fédéral de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale, le Comité fédéral de Coordination et les cellules d’Arrondissement, M.B. 10 juin 2003. En 2006, le Comité fédéral de Coordination est devenu, à l’initiative du gouvernement, le Service de renseignement et de recherche en matière sociale. Ce service dispose de nouveaux moyens budgétaires, de son propre personnel, travaillera avec une cellule spéciale destinée à l’analyse de la fraude et sera également responsable de la collaboration internationale. 78 La loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers a été complétée par l’Arrêté Royal du 9 juin 1999 portant exécution de la Loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers (Loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers, M.B. 21 mai 1999; Arrêté Royal du 9 juin 1999 portant exécution de la Loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers, M.B. 26 juin 1999 (modifié par l’Arrêté Royal du 6 décembre 2004, M.B. 7 janvier 2005; par l’Arrêté Royal du 15 juillet 2004, M.B. 23 août 2004; par l’Arrêté Royal du 12 avril 2004, M.B. 21 avril 2004; par l’Arrêté Royal du 4 décembre 2003, M.B. 17 décembre 2003; par l’Arrêté Royal du 9 mars 2003, M.B. 1 avril 2003; par l’Arrêté Royal du 6 février 2003, M.B. 27 février 2003; par l’Arrêté Royal du 18 octobre 2002, M.B. 24 décembre 2002; par l’Arrêté Royal du 11 juillet 2002, M.B. 26 septembre 2002; par l’Arrêté Royal du 3 décembre 2001, M.B. 20 décembre 2001; par l’Arrêté Royal du 12 septembre 2001, M.B. 18 septembre 2001; par l’Arrêté Royal du 22 janvier 2001, M.B. 7 février 2001; par l’Arrêté Royal du 20 juillet 2000, M.B. 30 août 2000; par l’Arrêté Royal du 19 juillet 2000, M.B. 1 août 2000; par l’Arrêté Royal du 15 février 2000, M.B. 26 février 2000)). La nouvelle réglementation est entrée en vigueur le 1 juillet 1999, elle remplaçait la réglementation qui avait régi l’occupation des travailleurs étrangers jusqu’alors. 79 Conformément à l’article 9, 11° de l’Arrêté Royal du 9 juin 1999, leur salaire ne peut être inférieur au huitième de la rémunération prévue à l’article 2, § 1 de la Loi du 24 février 1978 relative au contrat de travail pour certains sportifs. Cette clause a vu le jour suite à la découverte de cas de trafic de joueurs illégaux dans le milieu belge du football (Voir à ce sujet: Traite des êtres humains dans le sport. Rapport fait au nom de la sous-commission Traite des êtres humains à la commission de l’Intérieur et des Affaires administratives par Messieurs Dedecker et Lozie, Parl. St. Sénat, 2001-2002, n° 2-1132/1, 95p.; Traite des êtres humains dans le sport. Rapport fait au nom de la commission de l’Intérieur et des Affaires administratives par Messieurs Dedecker et Lozie, Parl. St. Sénat, 2001-2002, n° 2-1132/2, 7p). Voir également: CECR, Rapport annuel. Lutte contre la traite des êtres humains: plus de collaboration, de soutien et d’engagement, mars 1998, 45-49; CECR, Rapport annuel. Images de la traite des êtres humains et analyse de la jurisprudence, mai 2001, 94-110. 80 S PF Affaires étrangères, commerce éxterieur et cooperation au développement, Circulaire n° 1415 du 7 juin 1999, Conditions d’octroi des cartes d’identité spéciales aux domestiques privés. 81 D’après un des acteurs interrogés, cet entretien personnel avec le Service Protocole et Prévention est précédé d’un entretien similaire entre le domestique et le chef en poste ou le consul à l’occasion de la demande de visa. Durant cet entretien, le futur domestique est informé des conditions de travail en Belgique, de ses droits et devoirs à l’égard de l’employeur; on aborde également en détail le contenu et la portée du contrat de travail de manière à ce qu’il ne subsiste aucun malentendu à ce sujet chez le domestique. La procédure à suivre lors de l’arrivée en Belgique est également expliquée en détail. 33 Ce type d’entretien personnel a lieu chaque année, à l’occasion du renouvellement de la carte d’identité, et donne au domestique la chance de dévoiler d’éventuels cas d’exploitation ou d’abus.82 Contrairement aux stagiaires étrangers, aux jeunes au pair, aux artistes de cabaret et de spectacle et au personnel domestique diplomatique, les prostituées étrangères ne bénéficient d’aucune mesure de protection particulière. Jusqu’à présent, le(la) prostitué(e) ne bénéficie en Belgique d’aucun statut social. La prostitution est tolérée, mais pour le droit belge du travail, le(la) prostitué(e) n’existe pas puisque la prostitution n’est toujours pas reconnue comme une profession. Pour des raisons d’ordre public et de bonnes mœurs, le(la) prostitué(e) ne peut conclure de contrat de travail valable avec son employeur-exploitant.83 Une approche sérieuse de la traite des êtres humains sur le plan du droit social voudrait pourtant que les prostitué(e)s (qui courent un risque accru d’être exploité(e)s et de devenir victimes de la traite des êtres humains) puissent bénéficier d’une protection convenable sur le plan du droit du travail et du droit social.84 Dans cette optique, nous plaidons pour la mise en œuvre d’un statut social similaire pour cette catégorie professionnelle, comme cela a d’ailleurs été annoncé dans l’accord gouvernemental du 12 juillet 2003 dans lequel il est explicitement stipulé ‘qu’il sera mis fin à l’insécurité sociale et juridique des prostituées’.85 86 Sinon, l’approche ‘sociale’ de la traite des êtres humains se limitera à des actions et à des contrôles du travail illégal et de la fraude sociale par les services d’inspection sociale et à une série de mesures de protection pour un nombre de catégories spéciales de travailleurs. c. L’approche de la traite des êtres humains au niveau du droit administratif i. Le droit administratif et la lutte contre la traite des êtres humains La commission d’enquête parlementaire “Traite des êtres humains” et les études qui ont suivi ont attiré l’attention sur l’importance et l’impact de l’approche administrative de la problématique.87 L’enquête a révélé que la traite des êtres humains est souvent liée à la migration (il)légale, dans la mesure où les réseaux de trafiquants d’êtres humains abusent régulièrement des canaux de migration légaux pour obtenir pour leurs victimes l’autorisation de pénétrer sur le territoire belge. Souvent, ils essaient de se procurer un permis de séjour en obtenant, à l’aide d’un faux document d’identité, le droit de s’établir dans l’UE, en introduisant une demande d’asile ou en contractant un mariage blanc. 82 A ce propos, il est à noter également que nonobstant les mesures de protection, dans une étude de 2002 menée à la demande de la Fondation Roi Baudouin et de la ministre de l’Emploi de l’époque, L. Onkelinx, il a été constaté que le personnel domestique diplomatique se trouve toujours dans une situation précaire. Il s’est avéré que les cartes d’identité spéciales étaient en fait souvent envoyées aux employeurs, et qu’elles n’étaient pas remises en personne au personnel domestique, comme cela avait été prescrit par la circulaire de 1999 (G. VERMEULEN, A. BUCQUOYE et W. CRUYSBERGHS, Personnel domestique international en Belgique, Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, 2003, p. 39 et 65-75). A la suite de cette étude, on a dès lors plaidé pour que la circulaire de 1999 soit correctement appliquée, et pour qu’on accorde plus d’attention à la prévention et à la sensibilisation. Suite à cela, à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin et en collaboration avec le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, le Service Protocole et Sécurité du SPF Affaires étrangères et le Conseil National du travail, a débuté en mai 2005 une campagne de sensibilisation ayant trait à l’occupation du personnel domestique diplomatique et aux abus qui peuvent se produire dans ce contexte. Cette campagne est soutenue par deux brochures (une pour les services sociaux de première ligne et une pour les employeurs) et deux dépliants (l’un s’adressant au personnel domestique employé dans une famille en Belgique et l’autre destinée au personnel domestique diplomatique). Cette même étude de 2002 a révélé également que le statut des jeunes au pair et la branche des mariages sur catalogue étaient également propices aux abus. Pour obtenir un tableau plus complet de ces phénomènes et de la nature et de l’ampleur des abus éventuels, une étude plus approfondie en la matière a été recommandée. 83 Voir également ci-dessous, 61 e.s. 84 Voir: B. De Ruyver, W. van Eeckhoutte, K. Van Impe, P. De Somere et M. Delcour, o.c., 385. 85 Gouvernement belge, “Du souffle pour le pays. Une Belgique créative et solidaire. Accord gouvernemental 12 juillet 2003”, http://www.premier.fgov. be/fr/politics/20030710-accord_gov.pdf, 3 novembre 2005, p. 98). 86 Pour que cela soit possible, il faut toutefois que la Belgique annule sa signature et son approbation de la Convention des Nations Unies du 21 mars 1950 pour la lutte contre la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution (United Nations Treaties Series, 1951, Vol. 96, No. 1342, 271), qui rend obligatoire l’incrimination de l’exploitation de la prostitution adulte consensuelle, non-problématique, ou qu’elle insère une clause restrictive autorisant une telle exploitation. 87 Enquête parlementaire en vue de l’élaboration d’une politique structurelle visant la répression et l’abolition de la traite des êtres humains. Rapport fait au nom de la commission d’enquête par Mmes Merckx-Van Goey et De T’Serclaes, Parl. St. Chambre 1991-92, n° 673/7, p. 105 p. Voir également: Traite des êtres humains et fraude de visas. Rapport fait au nom de la sous-commission Traite des êtres humains (Intérieur et Affaires administratives) par Mme Lizin et Mr Galand, Doc. parl. Sénat, 2002-2003, n° 2-1018/1, 189p; Traite des êtres humains et fraude de visas. Recommandations adoptées par la commission de l’Intérieur et des Affaires administratives, Doc. parl. Sénat, 2002-2003, n° 2-1018/3, 7p; N. Siron, P. Van Baeveghem, B. De Ruyver, T. Vander Beken et G. Vermeulen, o.c., 326p.; B. De Ruyver, W. van Eeckhoutte, K. Van Impe, P. De Somere et M. Delcour, o.c., 405p. 34 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains Au fil des ans, des abus en matière de procédure d’asile, des différents types de visa et de mariage ont été constatés à de multiples reprises. Souvent, ces abus s’accompagnaient d’usage de faux documents ou de documents falsifiés. De tels abus ont été imputés à une application insuffisamment rigoureuse de la législation, au manque de contrôle de la part des instances compétentes en matière de délivrance de documents de voyage ou de séjour et aux lacunes de la législation elle-même. Le gouvernement a été encouragé à se montrer plus vigilant face à toute forme d’abus ou de violation aux règlements administratifs, à mettre sur pied un contrôle des procédures administratives existantes et, si nécessaire, à adapter la réglementation en vigueur. Suite aux constats établis, plusieurs initiatives ont été prises ces dernières années sur le plan du droit administratif, en vue d’éviter les mariages blancs et les abus de la procédure d’asile ou à l’occasion d’une demande de visa par des personnes impliquées dans la traite des êtres humains entre autres. ii. Mesures en matière de mariage Etant donné que l’institution du mariage laisse toute latitude pour contourner la législation sévère en matière de migration, des mesures ont été prises afin d’éviter ou d’entraver les mariages dits blancs ou de complaisance qui ont pour seul but de procurer au partenaire étranger un droit de séjour en Belgique, et qui en d’autres mots ne sont pas contractés avec l’intention de créer une communauté de vie durable. La problématique des mariages blancs a fait l’objet d’une réglementation légale pour la première fois en 1999.88 Avec la Loi du 4 mai 1999, qui a réformé la procédure de mariage et prescrit des formalités plus sévères en la matière, le mariage blanc a été clairement défini pour la première fois dans la loi, et l’officier de l’Etat civil a été contraint, dans le cas d’un mariage blanc, de refuser de célébrer le mariage.89 Le fonctionnaire de l’Etat civil est désormais appelé à jouer un rôle actif et préventif dans la mesure où il doit personnellement évaluer si le mariage prévu est un mariage blanc ou non. Si c’est le cas, il est de son devoir d’empêcher le mariage blanc.90 Afin d’éviter qu’un étranger clandestin dont le mariage blanc a été refusé puisse contracter ce mariage dans une autre commune, on s’est efforcé (en collaboration avec l’Office des Etrangers) d’améliorer l’échange d’information entre les officiers de l’Etat civil.91 On a en outre prévu une clause spécifique de nullité pour les mariages blancs: les époux, tous ceux qui y ont intérêt ainsi que le Ministère public peuvent demander que le mariage blanc soit déclaré nul.92 88 Avant cela, le mariage blanc n’avait fait l’objet que de quelques circulaires. L’une d’elles prévoyait la possibilité, pour l’officier de l’état civil, de refuser de célébrer un mariage blanc, et définissait plusieurs critères permettant au dit fonctionnaire de déterminer s’il était ou non confronté à un mariage blanc. La circulaire souligne le rôle actif de l’officier de l’état civil lors du contrôle des conditions prescrites pour contracter mariage. S’il existait une présomption sérieuse que l’intention des futurs époux n’était pas tant la création d’une communauté de vie durable mais visait plutôt l’obtention d’un avantage en matière de séjour, l’officier de l’état civil était tenu de refuser de célébrer le mariage. Ces prescriptions s’appliquaient également aux officiers de l’état civil auprès des postes consulaires et diplomatiques belges à l’étranger, qui étaient également invités à se montrer vigilants face à d’éventuels mariages blancs (Circulaire du 1 juillet 1994 relative aux conditions dans lesquelles l’officier de l’état civil peut refuser la célébration du mariage, M.B. 7 juillet 1994; CECR, Rapport annuel 1998. Lutte contre la traite des êtres humains. Attention aux victimes, mai 1999, 86). 89 Voir l’article 146bis et 167 du Code civil (introduit par la Loi du 4 mai 1999 modifiant plusieurs dispositions relatives au mariage, M.B. 1 juillet 1999). D’après l’article 146bis du Code civil, il n’y a pas de mariage “lorsque, bien que les consentements formels aient été donnés en vue de celui-ci, il ressort d’une combinaison de circonstances que l’intention de l’un au moins des époux n’est manifestement pas la création d’une communauté de vie durable, mais vise uniquement l’obtention d’un avantage en matière de séjour, lié au statut d’époux.” S’il n’est pas établi qu’il s’agit d’un mariage blanc, mais que l’officier de l’Etat civil nourrit une présomption sérieuse en la matière, il peut également décider, en vertu de l’article 167 du Code civil, après avoir éventuellement recueilli l’avis du procureur du Roi de l’arrondissement judiciaire dans lequel les requérants ont l’intention de contracter mariage, de surseoir à la célébration du mariage pendant un délai de deux mois au plus, afin de procéder à une enquête complémentaire sur les intentions des candidats au mariage. 90 La circulaire du 17 décembre 1999 énumère à l’intention des officiers de l’Etat civil plusieurs facteurs pouvant révéler un mariage blanc (Circulaire du 17 décembre 1999 en matière de la Loi du 4 mai 1999 modifiant certaines dispositions relatives au mariage, M.B. 31 décembre 1999). 91 Voir la circulaire du 13 septembre 2005 relative à l’échange d’information entre les officiers de l’Etat civil, en collaboration avec l’Office des étrangers, à l’occasion d’une déclaration de mariage concernant un étranger, M.B. 6 octobre 2005. 92 V oir l’article 184 du Code civil (introduit par la Loi du 4 mai 1999 modifiant certaines dispositions relatives au mariage, M.B. 1 juillet 1999). 35 Après un temps, les mesures administratives susmentionnées ont été jugées insuffisantes pour endiguer les mariages blancs et on a plaidé pour une répression pénale du phénomène. On vient d’introduire un projet de loi qui incrimine explicitement le mariage blanc et prévoit la possibilité de condamner les deux partenaires qui contractent ou essaient de contracter un mariage blanc, selon le cas, à un emprisonnement ou à une amende. Dans ce cas, le droit de séjour du partenaire étranger est aboli.93 Des mesures ont également été prises contre d’éventuels abus dans le secteur des agences matrimoniales. La Loi du 9 mars 1993 prévoyait une réglementation et un contrôle stricts de l’exploitation des agences matrimoniales. Toutes les agences matrimoniales doivent désormais être préalablement enregistrées, respecter des règles strictes en matière de publicité et satisfaire aux conditions s’appliquant aux contrats entre les agences et les clients. Toute infraction à la réglementation en vigueur a en outre été rendue punissable. Ces mesures ont pour but de contribuer à la qualité des services fournis par les agences matrimoniales, et de mieux protéger contre d’éventuels abus les femmes ou les hommes étrangers qui font appel à ces agences pour épouser quelqu’un en Belgique.94 iii. Mesures en matière de procédure d’asile Afin d’éviter l’usage abusif de la procédure d’asile par des personnes qui ne sont manifestement pas des réfugiés dans le sens de la Convention de Genève95, on s’est également efforcé de traiter plus rapidement les demandes d’asile et d’éloigner les personnes qui ont été déboutées et séjournent ici illégalement.96 En raison du grand nombre de demandes d’asile et d’abus qui y sont liés, la procédure d’asile a été réformée et raccourcie au fil des ans. Il a été décidé de supprimer le soutien financier aux demandeurs d’asile durant la procédure au cours de laquelle la recevabilité de leur demande d’asile est étudiée et de le remplacer par un accueil matériel dans un centre d’accueil. Le remplacement du soutien financier par un accueil matériel dans un centre d’accueil avait également pour but d’éviter que dans l’attente de la décision sur la recevabilité de sa demande d’asile, le demandeur d’asile ne devienne victime des marchands de sommeil, de l’exploitation dans la prostitution ou de l’occupation illégale.97 On a également désigné à l’Office des étrangers plusieurs fonctionnaires ‘immigration’ qui, lors d’une augmentation anormale du nombre de demandeurs d’asile en provenance d’une région déterminée, sont envoyés sur place pour étudier la situation et les raisons de la hausse du nombre de demandes d’asile, et si nécessaire de porter assistance aux postes consulaires et diplomatiques belges sur place.98 93 Conformément au projet de loi, les partenaires qui concluent un mariage blanc peuvent être condamnés à un emprisonnement de huit jours à trois ans ou à une amende de 50 à 500e (à multiplier par les centimes additionnels légaux). La tentative de conclure un mariage de complaisance est uniquement passible d’une amende de 26 à 50e (à multiplier par les centimes légaux additionnels). Le projet prévoit également une sanction plus sévère pour celui qui reçoit une somme d’argent pour conclure un mariage de complaisance, ou recourt à des violences ou menaces pour forcer une personne à conclure un tel mariage (Projet de loi du 15 juin 2005 modifiant la Loi du 15 décembre 1980 concernant l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, Doc. parl. Chambre 2004-2005, n° Doc. 1861/001, 11p.). 94 Voir la Loi du 9 mars 1993 tendant à réglementer et à contrôler les activités des entreprises de courtage matrimonial, M.B. 24 avril 1993 (modifiée par la Loi du 11 avril 1999, M.B. 30 avril 1999). 95 Loi portant approbation de la Convention internationale relative au Statut des réfugiés et des Annexes, signée à Genève, le 28 juillet 1951, M.B. 4 octobre 1953 (Modifiée par la Loi du 14 juillet 1987, M.B. 18 juillet 1987). Il ressort du rapport du CECR que l’abus de la procédure d’asile est essentiellement du à la durée de la procédure d’asile, au fait que les intéressés ne pouvaient être éloignés à l’issue de la procédure parce que les autorités de leur pays d’origine ne fournissaient pas les documents de retour nécessaires et au fait qu’il était possible d’introduire plusieurs demandes d’asile sous différentes identités (CECR, Rapport annuel 1995. Traite des êtres humains. Vers une politique de volonté commune, mars 1996, 49). 96 CECR, Rapport annuel. Lutte contre la traite des êtres humains: plus de collaboration, de soutien et d’engagement, mars 1998, 16. 97 Vvsg (Ass. des villes et des communes de Flandre), “Hoor, wie klopt daar?Vijf jaar asielbeleid in vogelvlucht?”, http://www.vvsg.be/cmsmedia/ overzicht%20asielbeleid.doc?uri=ff808081050ec772010515254c890082&action=viewAttachement. Signalons en marge que le gouvernement belge a procédé en 2000 et 2001 à la régularisation du séjour de certaines catégories d’étrangers ayant séjourné sur le territoire belge et satisfaisant à des conditions précises (voir la Loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation du séjour de certaines catégories d’étrangers résidant sur le territoire du Royaume, M.B. 10 janvier 2000). 98 CECR, Rapport annuel 1997. Lutte contre la traite des êtres humains: plus de collaboration, de soutien et d’engagement, mars 1998, 16. 36 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains iv. Mesures contre l’usage abusif de canaux de migration légaux Des actions ont également été menées afin de lutter contre la fraude de visa, en particulier par le SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, qui s’était en outre explicitement engagé fin des années ‘90 à adopter une attitude plus proactive dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains. Ainsi, les postes consulaires et diplomatiques belges dans les pays à risque ont été encouragés ces dernières années à faire preuve de la prudence nécessaire lors de l’octroi de visa et les conditions d’octroi de visa pour les étudiants, les jeunes au pair, les domestiques et le regroupement familial ont été renforcées. Afin d’améliorer le contrôle (interne) de l’octroi de visa par les ambassades et les consulats belges à l’étranger, on a procédé à une informatisation générale des demandes de visa et les sections ‘visa’ des postes consulaires et diplomatiques belges ont été équipées d’un programme informatique permettant au SPF Affaires étrangères à Bruxelles et aux postes étrangers de suivre en ligne l’évolution d’une demande de visa et de la contrôler à tout moment. Un programme informatique de ce type facilite le contrôle systématique des demandes de visa et permet de détecter et de combattre plus rapidement qu’avant des cas de traite d’êtres humains et autres abus.99 On a en outre créé une cellule ‘Monitoring Visa’. Opérationnelle depuis février 2004, cette cellule est chargée entre autres d’étudier l’activité ‘visa’ des postes consulaires et diplomatiques belges à l’étranger et si nécessaire, de rectifier les choses, en concertation avec les services concernés. En ce qui concerne les visas, la collaboration entre l’Office des étrangers et la Direction-générale des Affaires consulaires s’est également intensifiée grâce à un réseau visa qui permet l’échange électronique de données entre l’Office des étrangers, la Direction-générale des Affaires consulaires et les postes étrangers.100 D’autres mesures ont également prises afin de s’attaquer au problème des documents faux ou falsifiés (documents d’identité, de voyage ou de séjour).101 Plusieurs postes consulaires et diplomatiques à l’étranger ont procédé à un examen plus approfondi de l’authenticité des documents qui leur étaient présentés pour légalisation et ont travaillé à cet effet en collaboration étroite avec les autorités compétentes en Belgique.102 La légalisation a en outre fait l’objet de mesures de sécurisation et les communes peuvent actuellement contrôler via un site internet si la légalisation qui leur est soumise est correcte. A cela s’ajoute que le personnel des sections visa des postes consulaires ou diplomatiques dans certains pays à risque a été renforcé par des agents spécialement formés pour détecter des documents faux ou falsifiés et des demandes de visa malhonnêtes.103 On a également constitué une équipe multidisciplinaire qui se rend dans les différents postes consulaires et diplomatiques belges à l’étranger pour former le personnel en matière de documents faux ou falsifiés. La problématique de la fraude des documents et autres abus dans le cadre des migrations est par ailleurs de plus en plus souvent évoquée durant les conférences régionales, consulaires, les journées de contact annuelles pour le personnel des postes consulaires et diplomatiques 99 B. Moens, Applied Research and data collection on trafficking to, through and from the Balkan region. Belgian country background report. Part I, instructed by the International Organisation for Migration (IOM) and the Organisation for Security and Cooperation in Europe (OSCE), February 2001, point 7.1.8; SPF Affaires étrangères, commerce extérieur et coopération au développement, Rapport d’activités 2004, http://www.diplomatie. be, 23. 100 S PF Affaires étrangères, commerce extérieur et Coopération au développement, Rapport d’activités 2004, http://www.diplomatie.be, 20-21. 101 Le rapport annuel du CECR révèle que la fraude des documents était essentiellement imputée aux connaissances lacunaires des divers documents belges et internationaux chez les fonctionnaires des diverses administrations et services de police sensés contrôler ces documents, au trop grand nombre de documents officiels qui peuvent être acceptés comme document d’identité ou document de remplacement et qui diffèrent d’un pays à l’autre, et à la circulation de dizaines de documents internationaux non sécurisés (CECR, Rapport annuel 2001. Images du phénomène de la traite des êtres humains et analyse de la jurisprudence, mai 2001, 30-31). 102 CECR, Rapport annuel 1998. Lutte contre la traite des êtres humains. Attention aux victimes, mai 1999, 86. 103 F . del Marmol, “La position belge en matière de traite des êtres humains au niveau international”, exposé à l’occasion de la journée d’étude Traite des êtres humains – exploitation sexuelle – prostitution organisée par l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes le 13 décembre 2005. 37 étrangers et autres activités de formation et de recyclage.104 Des comités spéciaux d’enquête administrative ont également été créés dans certains postes afin de vérifier le caractère authentique de documents étrangers présentés en vue d’une légalisation.105 Parallèlement aux mesures administratives susmentionnées, qui visent à éviter l’abus des canaux de migration légaux, les contrôles aux frontières intérieures et extérieures belges ont été multipliés et renforcés.106 107 Enfin, il est à noter que la Belgique a également investi dans une meilleure sécurisation de ses propres documents et qu’elle est la première à avoir introduit en 2004 le passeport international électronique, mieux protégé contre le vol et la fraude.108 3. Accent sur la répression Le volet pénal n’est qu’un des piliers au sein de la politique intégrée en matière de traite des êtres humains, et ne constitue nullement l’aspect le plus essentiel pour s’attaquer aux causes profondes de ce phénomène. En termes de politique, de moyens et de médias, c’est pourtant l’approche répressive de la problématique de la traite des êtres humains qui fait l’objet de la plus grande attention. L’effet dissuasif vis-à-vis des trafiquants d’êtres humains et la fonction de justification (légitimante) vis-à-vis de la population (des interventions judiciaires réussies) jouent un rôle considérable à cet égard. L’accent mis sur la dimension pénale dans l’approche de la traite s’exprime tant au niveau de la législation pénale qu’au sein des autres piliers (social et administratif surtout) de la politique en matière de traite des êtres humains. En 1994, la commission parlementaire d’enquête “Traite des êtres humains” était arrivée à la conclusion qu’il n’existait pas de politique pénale relative à la traite des êtres humains en Belgique. Il manquait non seulement une politique de recherche et de poursuite uniforme et cohérente en la matière, mais les articles dans la législation pénale relative à l’exploitation de la prostitution s’avéraient insuffisants pour lutter efficacement contre la traite. De nouvelles dispositions légales ont été adoptées presque immédiatement, sur proposition de la commission d’enquête, afin de renforcer la lutte contre la traite des êtres humains et la pornographie enfantine. La Loi du 13 avril 1995 prévoyait une incrimination plus large et une répression plus sévère de la traite des êtres humains, qui était dissociée du domaine exclusif de l’exploitation sexuelle.109 Cette nouvelle législation (pénale) devait permettre à la Justice d’intervenir (plus) efficacement contre les trafiquants d’êtres humains et leurs réseaux. Durant les années qui ont suivi, d’autres modifications de loi ont été 104 CECR, Rapport annuel 1998. Lutte contre la traite des êtres humains. Attention aux victimes, mai 1999, 87; SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, Rapport d’activités 2004, http://www.diplomatie.be, 20-21. 105 B. Moens, o.c., point 7.1.6. 106 Ibid., point 7.1.11. 107 Il est à noter à ce propos que la Belgique collabore davantage avec les pays voisins, en particulier la France et le Royaume Uni. La police des chemins de fer à Bruxelles (post Eurostar) et les services de police français ont créé des patrouilles mixtes pour les trains entre Bruxelles et Lille. Pour ce qui est des trains à destination et en provenance de Londres, il y a un bon contact avec le service d’immigration du Royaume Uni, qui est également physiquement présent à la gare de Bruxelles-Midi. 108 SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, Rapport d’activités 2004, http://www.diplomatie.be, 22. 109 La traite des êtres humains est pénalisée dans le Code pénal, mais aussi dans l’(ancien) article 77bis de la Loi sur les étrangers. De plus, les peines sanctionnant la traite des êtres humains, qui étaient définies dans le Code pénal, ont été alourdies; la tentative de traite a elle aussi été incriminée et l’arsenal de peines complémentaires a été étendu pour le juge pénal. Par ailleurs, les ministres compétents peuvent, en guise de mesure préventive, introduire auprès du président du Tribunal de première instance une action en cessation s’il y a constatation d’infractions à la législation sociale dans les lieux où il y a un motif raisonnable de supposer que sont commises ces infractions. Enfin, cette même loi prévoyait l’application extra-territoriale du code pénal, ce qui permet de poursuivre en Belgique les cas de traite qui se sont produits à l’étranger, pour autant que le suspect puisse être appréhendé en Belgique (Loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, M.B. 25 avril 1995). 38 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains introduites, telles que les Lois du 28 novembre 2000 et du 2 janvier 2001 et la Loi du 10 août 2005, récemment entrée en vigueur.110 Cette dernière loi surtout a considérablement modifié la législation en vigueur jusqu’alors: l’incrimination de traite des êtres humains a non seulement été élargie mais les peines tant pour la traite que pour le trafic ont à nouveau été renforcées.111 Outre l’élargissement de l’incrimination et le renforcement des peines pour la traite des êtres humains, d’autres lois ont été promulguées ces dernières années qui contribuent directement ou indirectement à renforcer la lutte anti-traite. C’est le cas de la Loi sur les organisations criminelles et de la Loi portant extension des possibilités de saisie et de confiscation.112 Outre les mesures au niveau de la législation pénale, des initiatives ont également été prises en vue de mettre en œuvre une politique de recherche et de poursuite uniforme en matière de traite des êtres humains (par des directives ministérielles entre autres). Les initiatives les plus importantes en la matière seront exposées dans le chapitre suivant. L’influence de la composante répressive se fait également sentir au sein des autres piliers de la politique intégrée et multidimensionnelle en matière de traite des êtres humains. Le volet social et le volet administratif (deux domaines traditionnellement non-pénaux) sont de plus en plus ‘pénalisés’. Les services d’inspection sociale sont de plus en plus invités à constater et à signaler des infractions pénales. En tant que “services de première ligne sur le terrain”, ces services sont intégrés dans la politique de poursuite pénale. Les infractions aux règlements (administratifs) en matière d’immigration sont de plus en plus considérées en premier lieu comme des délits, ce qui mène entre autres à une criminalisation des immigrants illégaux et des victimes de la traite des êtres humains (du moins lorsque ces derniers ne souhaitent pas collaborer avec la justice et ne reçoivent donc pas de statut légal en échange). La raison de cette tendance à la pénalisation d’affaires non-pénales est évidente. Une politique ajoutant une dimension pénale au droit social et au droit administratif est considérée comme un outil supplémentaire important dans la lutte anti-traite. Reste à savoir si une telle approche répressive n’est pas une manière, sous le couvert de la lutte contre la traite des êtres humains, de combattre plus efficacement l’occupation (volet social) ainsi que l’entrée et le séjour (volet administratif) d’immigrants illégaux, ce qui ne veut évidemment pas dire que la lutte contre ces composantes de l’immigration illégale n’est en soi pas utile. Il importe de veiller à ce que l’approche répressive continue à viser en premier lieu de véritables formes d’exploitation et que la lutte contre la traite des êtres humains ne serve pas d’instrument dans une politique de migration restrictive. Une politique qui utilise l’aspect pénal comme ingrédient de base plutôt que comme solution d’urgence méconnaît non seulement une des fonctions fondamentales du droit pénal (ultimum remedium), mais risque à long terme de ne pas réussir à endiguer un phénomène aussi complexe et profondément ancré que la traite des êtres humains. 110 Par la Loi du 28 novembre 2000, le champ d’application de la traite des enfants aux fins d’exploitation sexuelle, rendue punissable dans l’article 380, § 4, 1° du Code pénal, a été étendu à la catégorie des mineurs entre 16 et 18 ans. Les cas de traite des êtres humains, à l’occasion desquels la victime ne fait que transiter par notre pays et est appréhendée avec son trafiquant dans la zone de transit de l’aéroport de Zaventem, y sont également incriminés (Loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs, M.B. 17 mars 2001). La Loi du 2 janvier 2001 incrimine également le phénomène des marchands de sommeil, du moins pour autant que des étrangers en soient victimes (Loi du 2 janvier 2001 portant des dispositions sociales, budgétaires et diverses, M.B. 3 janvier 2001). Entre-temps, le phénomène des marchands de sommeil a été introduit dans le Code pénal par la Loi du 10 août 2005 comme un délit autonome et non plus comme une forme particulière de traite des êtres humains. Désormais, tant des Belges que des étrangers peuvent en être victimes. 111 La répression plus sévère de la traite et du trafic des êtres humains résulte non seulement des peines plus élevées qui ont été fixées pour les deux délits, mais aussi de l’extension considérable du nombre de circonstances aggravantes établies tant pour la traite que pour le trafic des êtres humains (Loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil, M.B. 2 septembre 2005). 112 Loi du 10 janvier 1999 relative aux organisations criminelles, M.B. 26 février 1999; Loi du 19 décembre 2002 portant extension des possibilités de saisie et de confiscation en matière pénale, M.B. 14 février 2003. 39 4. Prise en charge des victimes a. La protection des victimes, élément fondamental d’une politique en matière de traite des êtres humains Comme le montrent les paragraphes précédents, la politique belge en matière de traite des êtres humains – à l’instar de beaucoup d’autres Etats membres de l’UE – est fortement axée sur une approche répressive du phénomène, par le biais d’une série de mesures, au niveau administratif, social ou pénal. Une approche essentiellement répressive semble cependant éluder le constat que la traite des êtres humains constitue en premier lieu une violation de l’intégrité physique et/ou psychique de quelqu’un. On ne pourra lutter efficacement contre la traite des êtres humains que si on consacre aussi suffisamment d’attention au phénomène dans son ensemble, depuis la prévention et la poursuite jusqu’à l’accueil et la protection des victimes.113 C’est pour ces raisons que les récents documents politiques belges mettent davantage l’accent sur l’assistance aux victimes de la traite des êtres humains. Ces dernières années, la Belgique a joué un rôle de pionnière en la matière et a promu le statut de victime au niveau de l’UE. Dans de nombreux pays européens, assurer un suivi et une protection efficaces des victimes reste pourtant un exercice difficile. Cela entraîne non seulement une charge financière considérable pour le gouvernement, mais ce même gouvernement se voit en outre confronté à la tâche complexe de distinguer les véritables victimes de ceux qui souhaitent à tort (sans qu’il soit question de véritable exploitation) revendiquer le statut de victime. L’approche belge en matière de prise en charge des victimes fait depuis longtemps figure d’exemple en Europe pour la qualité et l’organisation de l’accueil et de l’accompagnement des victimes de la traite des êtres humains. La Belgique a ainsi contribué à jeter les bases d’une initiative européenne qui a finalement donné lieu à la Directive du Conseil des Ministres du 29 avril 2004. Celle-ci établit un certain nombre de conditions minimales à l’octroi de titres de séjour à durée déterminée aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration illégale et qui apportent leur contribution à la lutte contre la traite des êtres humains.114 La Belgique vient d’approuver une loi qui transpose la directive européenne du 29 avril 2004 dans le droit national.115 La réglementation de séjour décrite ci-après se voit ainsi dotée d’une base légale. La nouvelle loi fait l’objet d’un prochain chapitre.116 b. Le statut spécial des victimes de la traite des êtres humains En concertation avec tous les acteurs concernés, le gouvernement belge a œuvré à l’élaboration d’un statut de protection pour les victimes de la traite des êtres humains, d’une part en offrant un ensemble de services d’accueil et d’accompagnement sociaux, médicaux et juridiques, et d’autre part, en prévoyant une procédure leur permettant d’obtenir des documents de séjour. Ensemble, ils forment le statut spécial pour les victimes de traite. 113 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 100. 114 COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION, OJ L 261, Brussels, 6 August 2004, Directive of 29 April 2004 on the residence permit issued to thirdcountry nationals victims of trafficking in human beings or to third country nationals who have been subjects of an action to facilitate illegal immigration and who cooperate with the competent authorities. 115 Voir la Loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M.B. 6 octobre 2006. Cette loi ajoute à la Loi sur les étrangers un chapitre IV intitulé ‘Des étrangers qui sont victimes de l’infraction de traite des êtres humains au sens de l’article 433quinquies du Code pénal ou qui sont victimes, dans les circonstances visées à l’article 77quater, 1°, en ce qui concerne uniquement les mineurs non accompagnés, à 5°, de l’infraction de trafic des êtres humains au sens de l’article 77bis, et qui coopèrent avec les autorités’. 116 Ci-dessous, p. 79. 40 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains La réglementation belge en matière de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains s’appuie depuis plus de dix ans sur une circulaire ministérielle, complétée par deux directives ministérielles.117 Pour pouvoir bénéficier du statut de victime, celle-ci doit satisfaire à trois exigences de base: (1) quitter le milieu dans lequel elle était exploitée, (2) accepter l’accompagnement obligatoire par un centre d’accueil agréé et spécialisé dans l’accueil et l’accompagnement des victimes de la traite des êtres humains et (3) porter plainte ou faire des déclarations à l’encontre des personnes ou des réseaux de trafiquants qui l’ont exploitée. La procédure d’octroi de documents de séjour et de permis de travail provisoires aux ressortissants de pays tiers, victimes de la traite, se déroule en trois grandes phases, parallèlement au déroulement de l’enquête judiciaire contre les auteurs. Après l’identification par les services de première ligne sur le terrain d’une victime de la traite des êtres humains et son orientation vers un centre d’accueil spécialisé, suit une période de réflexion de 45 jours (sous la forme d’un Ordre de quitter le territoire). Durant cette période, la victime doit prendre la décision de collaborer ou non avec les services judiciaires et de porter plainte ou de faire des déclarations. Un permis de séjour provisoire est délivré à la victime qui décide de collaborer dans un délai de 45 jours, sous la forme d’une Déclaration d’arrivée (DA), valable trois mois.118 Lors de l’étape suivante, on peut délivrer à la victime un Certificat d’inscription au registre des étrangers (CIRE) (valable pour une période de six mois et pouvant être prolongé jusqu’à la fin de la procédure judiciaire) si le Procureur du Roi ou l’Auditeur du travail fait savoir à l’Office des étrangers que l’enquête est toujours en cours et qu’on estime au stade actuel de l’enquête que la personne en question est bel et bien une victime de la traite des êtres humains.119 Dans une dernière phase, la victime se voit remettre un titre de séjour pour une durée indéterminée lorsque la plainte ou les déclarations ont conduit à une condamnation sur la base de la loi sur la traite des êtres humains.120 A côté de cette procédure officielle, la procédure officieuse dite STOP offre une alternative pour les cas où l’affaire est classée sans suite ou lorsque les auteurs restent introuvables, mais où la victime a passé au minimum deux ans dans la procédure. Dans ce cas, la victime peut quand même obtenir une régularisation sur la base du degré d’intégration (via l’article 9, troisième paragraphe de la Loi sur les étrangers).121 Outre la réglementation de séjour, le statut de victime prévoit aussi l’accueil et l’accompagnement par trois Centres spécialisés, agréés et financés par le gouvernement (Payoke à Anvers, Pag-Asa à Bruxelles et Sürya à Liège). Ces centres disposent d’équipes multidisciplinaires d’assistants sociaux, d’éducateurs et de criminologues et offrent à la victime un plan d’accompagnement composé de trois 117 Circulaire ministérielle du 7 juillet 1994 relative à la délivrance des titres de séjour et des autorisations d’occupation à des étrangers, victimes de la traite des êtres humains, M.B. 7 juillet 1994. Directives ministérielles du 13 janvier 1997 et du 17 avril 2003 à l’Office des étrangers, aux parquets, aux services de police, à l’inspection des lois sociales et à l’inspection sociale relative à l’assistance aux victimes de la traite des êtres humains, M.B. 21 février 1997 et M.B. 27 mai 2003. Suite à cette dernière directive, la procédure d’accès au marché de l’emploi a été assouplie. Auparavant, une victime qui déposait une déclaration bénéficiait d’une déclaration d’arrivée (DA, durée de trois mois), qui devait toujours être prolongée jusqu’au jugement (à ce moment-là seulement, on lui délivrait un Certificat d’inscription au registre des étrangers (CIRE). La DA s’accompagnait d’un permis de travail B, ce qui nécessitait une nouvelle demande tous les trois mois. Aujourd’hui, le CIRE est délivré beaucoup plus rapidement et la DA s’accompagne de l’octroi d’un permis de travail C. Cela a considérablement simplifié l’accès au marché du travail pour les victimes concernées. Voir à ce propos l’Arrêté Royal du 6 février 2003 modifiant l’Arrêté Royal du 9 juin 1999 portant exécution de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation de travailleurs étrangers, M.B. 27 février 2003; Arrêté Royal du 2 avril 2003 déterminant les modalités d’introduction des demandes et de délivrance du permis de travail C, M.B. 9 avril 2003. 118 D urant cette phase, l’accompagnement continu par un centre spécialisé est obligatoire et la victime peut bénéficier d’une autorisation d’occupation via le permis de travail C. 119 Si le Parquet ou l’Auditorat du travail ne peut donner de réponse positive aux deux questions, la DA de la victime est prolongée une seule fois pour une même période de trois mois. 120 C ela s’applique également dans les cas où une condamnation est prononcée sur la base d’une autre législation, mais où le parquet avait retenu l’élément traite des êtres humains dans son réquisitoire et où la plainte ou les déclarations étaient significatives pour la procédure judiciaire. 121 P armi les acteurs interviewés, certains ont à juste titre attiré l’attention sur le fait que dans la situation actuelle, il n’existe pas de solution pour les victimes qui collaborent activement avec les autorités mais dont la procédure judiciaire finit pour toutes sortes de raisons par aboutir à un classement sans suite dans une période de moins de deux ans. CECR, Rapport Traite des êtres humains. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, 55. 41 volets: aide psychosociale et médicale, aide administrative et assistance juridique. Les centres proposent un accueil résidentiel dans une maison d’accueil (à une adresse tenue secrète), ou un accompagnement ambulatoire.122 L’enquête auprès des centres d’accueil révèle que l’accueil et l’accompagnement des victimes se déroulent en général fort bien. Les Centres sont aidés dans leur mission par des interprètes, des avocats et l’OIM (en cas de retour volontaire de la victime). Une protection physique adéquate des victimes et leur accompagnement en vue de leur réintégration dans le pays d’origine posent davantage de problèmes. Il en va de même pour l’indemnisation octroyée à la victime dans le cadre d’une procédure judiciaire: celleci n’est souvent pas perçue en raison de l’insolvabilité du condamné.123 Globalement, les acteurs estiment qu’il convient de créer plus de possibilités pour les victimes de construire une nouvelle vie.124 c. Protection des victimes mineures Une critique formulée par les centres d’accueil pour les mineurs étrangers non-accompagnés (MENA) victimes de traite, c’est qu’on ne prête pas suffisamment attention aux besoins spécifiques des victimes mineures. Ces centres plaident depuis longtemps pour que l’octroi d’un statut spécial de victime aux mineurs non-accompagnés victimes de la traite ne dépende pas de leur disposition à collaborer avec la justice. La récente loi relative au statut de victime adopte ce point de vue et stipule que les mineurs non accompagnés victimes de la traite des êtres humains sont désormais immédiatement mis en possession d’une déclaration d’arrivée, sans exigence de coopération préalable avec les autorités. Le texte de loi stipule en outre qu’il sera dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant pendant l’ensemble de la procédure. Il n’est cependant pas question d’une victimisation objective, telle que proposée par les centres. Pour qu’une victime mineure puisse prétendre à un séjour de longue durée, sa collaboration avec la justice reste une condition essentielle. A cela s’ajoutent des problèmes concernant l’application de la nouvelle législation en matière de tutelle, qui prévoit depuis 2004 un tuteur pour chaque étranger mineur non-accompagné.125 Ces problèmes sont confirmés par différents acteurs. De toute évidence, tous les tuteurs ne remplissent pas leur fonction comme il le faudrait. D’après les Centres, cela est dû au fait que la tutelle est confiée à des bénévoles qui ont souvent peu d’expérience en la matière, qui sont trop peu formés et contrôlés et donc insuffisamment au fait des tâches à assumer. Pour résoudre ce problème, les centres spécialisés donnent maintenant des formations (entre autres sur la procédure de traite des êtres humains) dans le cadre du cours obligatoire que les candidats-tuteurs doivent suivre. 122 P our une description détaillée des trois composantes, voir CECR, Rapport Traite des êtres humains. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, 44-45. 123 Voir entre autres la Loi du 22 avril 2003 portant composition et fonctionnement de la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence, M.B. 22 mai 2003; Loi du 26 mars 2003 portant les conditions auxquelles la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence peut octroyer une aide, M.B. 22 mai 2003; Arrêté Royal du 19 décembre 2003 modifiant l’Arrêté Royal du 18 décembre 1986 relatif à la Commission pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et l’article 29, 2e alinéa de la loi du 1 août 1985 portant des mesures fiscales et autres, M.B. 30 décembre 2003. 124 O n signale à ce propos que bon nombre des victimes à qui le statut spécial a été octroyé gardent des contacts ou retournent même dans le milieu d’exploitation. Pour éviter cela, il faut encore améliorer l’accompagnement ou le soutien des victimes en vue de leur intégration en Belgique. C’est de cette manière seulement qu’on brisera chez la victime le besoin de reprendre contact avec le milieu d’exploitation. 125 Loi-programme du 24 décembre 2002, M.B. 31 décembre 2002; Arrêté Royal du 22 décembre 2003 portant exécution du Titre XIII, Chapitre 6 “Tutelle des mineurs étrangers non-accompagnés” de la loi-programme du 24 décembre 2002, M.B. 29 janvier 2004; Circulaire du 19 avril 2004 relative à la prise en charge par le service de tutelle et à l’identification des mineurs étrangers non-accompagnés, M.B. 29 avril 2004. Voir également la Circulaire du 13 avril 2004 relative à la fiche <mineur étranger non-accompagné>, M.B. 29 avril 2004; Circulaire du 30 avril 2004 relative à la collaboration entre l’Office des étrangers et les administrations communales concernant le séjour de mineurs étrangers non accompagnés, M.B. 7 mai 2004; Circulaire du 15 septembre 2005 relative au séjour de mineurs étrangers non accompagnés, M.B. 7 octobre 2005. 42 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains B. Coordination et collaboration dans la lutte anti-traite 1. Au niveau national a. La nécessité d’une bonne collaboration et coordination Le chapitre précédent a démontré que de nombreux acteurs sont impliqués dans la mise en œuvre de la politique belge en matière de traite, chacun avec leurs compétences, leurs attentes et leurs besoins spécifiques. La présence de ces instances n’est en soi pas suffisante pour apporter une réponse à un phénomène aussi complexe, dynamique et informel que la traite des êtres humains. Il faut une coordination et une collaboration entre tous les acteurs concernés au sein d’une structure flexible, afin d’assurer l’accès des victimes de la traite des êtres humains aux services d’accueil en même temps qu’une poursuite effective des trafiquants.126 La collaboration multidisciplinaire entre toutes les instances et groupements d’intérêts concernés est considérée comme un élément crucial au sein d’une approche intégrée et holistique de la traite des êtres humains.127 Au niveau national, cette collaboration se situe en premier lieu sur le terrain de la collecte de données et l’échange d’information entre les différentes institutions. On a besoin à côté de cela de structures de coordination nationales qui donnent un contenu concret à la politique en matière de traite, qui la coordonnent et l’évaluent.128 b. Une structure de coordination permanente pour la lutte anti-traite L’importance d’une coordination et d’un suivi permanent du phénomène de la traite des êtres humains a été soulignée dans le rapport final de la Commission d’enquête parlementaire Traite des êtres humains.129 Suite à ces recommandations, une structure de coordination permanente a été créée en 1995, la ‘Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains’ (ci-après cellule de coordination), chargée de permettre une coordination efficace en vue d’assurer une politique soutenue de lutte anti-traite, associant volet social et répressif.130 D’un point de vue conceptuel, la cellule de coordination constituait un exemple impressionnant d’approche intégrée du phénomène de la traite des êtres humains, du fait qu’elle regroupait tous les servi- 126 L’accent sur la coordination et la collaboration constitue un des éléments prioritaires de l’approche intégrée de la traite telle que présentée dans la récente communication de la Commission européenne et dans le plan d’action adopté par l’UE pour lutter contre la traite (COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2005) 514 final, Brussels, 18 October 2005, Fighting trafficking in human beings – an integrated approach and proposals for an action plan). Voir également les articles 10 et 11 du Protocole des Nations Unies sur la traite des êtres humains (UNITED NATIONS, General Assembly Resolution A/RES/55/25, Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons, especially Women and Children, Supplementing the United Nations Convention Against Transnational Organized Crime, 2005), la Convention Traite des êtres humains du Conseil de l’Europe (COUNCIL OF EUROPE, Convention on Action against Trafficking in Human Beings, Council of Europe Treaty Series, No. 197, 2005) et le Plan d’action de l’OSCE (ORGANISATION FOR SECURITY AND COOPERATION IN EUROPE, PC Journal No. 462, Action Plan to Combat Trafficking in Human Beings). 127 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 71. 128 L e rapport du Groupe d’experts Traite des êtres humains consacre à ce propos beaucoup d’attention à la création de mécanismes nationaux d’orientation (National Referral Mechanisms) pour les victimes de traite des êtres humains. Un tel mécanisme est défini comme un partenariat au sein duquel les instances gouvernementales protègent les droits des victimes de la traite et coordonnent leurs efforts avec la ‘société civile’. Les composantes essentielles d’un tel mécanisme sont le développement d’instruments et de modèles permettant d’identifier facilement les victimes et la collaboration entre les services de maintien de la loi et les acteurs civils (Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 152 e.v.). 129 P arl. St. Chambre 1991-92, n° 673/7, 102-104. 130 Arrêté Royal du 16 juin 1995 relatif à la mission et la compétence du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme en matière de lutte contre la traite internationale des êtres humains, ainsi qu’à l’exécution de l’article 11 § 5 de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, M.B. 14 juillet 1995. La cellule de coordination était composée de représentants de tous les ministres et services fédéraux impliqués dans la lutte contre la traite des êtres humains. La présidence était confiée au Ministre de la Justice, le secrétariat et la coordination générale des travaux au CECR. La cellule de coordination devait assurer l’échange d’informations entre tous les partenaires dans la lutte contre la traite des êtres humains afin de coordonner les actions sur le terrain et de développer une politique efficace. Un résultat concret des travaux de la cellule de coordination fut la Circulaire du 13 janvier 1997 relative à l’assistance aux victimes de la traite des êtres humains (M.B. 7 juillet 1994). 43 ces impliqués dans la lutte anti-traite. Plusieurs des acteurs interrogés formulent toutefois des réserves concernant l’implication effective de certains membres de la cellule de coordination et la plus-value apportée par la structure intégrale actuelle à la mise sur pied d’une politique réellement intégrée dans la pratique. Constatant que la cellule de coordination était dans une impasse ces dernières années, le Premier ministre a mis en place en décembre 2000 la Task Force Traite des êtres humains, de même composition que la cellule de coordination. Cette Task Force avait un double objectif: d’une part promouvoir un bon échange d’information en tenant compte des différentes finalités des divers acteurs et d’autre part dynamiser la structure de coordination par une bonne gestion (stratégique) de l’information. Les travaux de la Task Force ont finalement abouti à un nouvel Arrêté royal relatif à la lutte contre la traite des êtres humains.131 Cet AR renforce le rôle de la cellule de coordination, en lui confiant tant la préparation que la mise en oeuvre d’une politique en matière de traite des êtres humains.132 c. Le rôle de coordination du CECR L’AR du 16 mai 2004 maintient et renforce également le rôle du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. D’après l’AR, le CECR est chargé de la stimulation, la coordination et le suivi de la politique de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, la coordination et la collaboration entre les différents services privés agréés spécialisés dans l’accompagnement des victimes de la traite des êtres humains (centres d’accueil) et la rédaction d’un rapport annuel indépendant et public d’évaluation sur l’évolution et les résultats de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains.133 Le CECR est en cela comparable au Nationale Rapporteur Mensenhandel aux Pays-Bas. D’après les acteurs (les centres d’accueil surtout), le rôle de coordination du CECR engendre quelque confusion dans la pratique. Bien que le CECR soit explicitement compétent pour la coordination des centres, le mandat du CECR à l’égard des centres et la répartition des rôles n’ont jamais été concrètement définis. Les réunions entre les trois centres d’accueil et le CECR, où on discute des nouvelles évolutions, de la dimension politique et des problèmes concrets, ne suffisent manifestement pas.134 Il est dès lors recommandé d’expliciter le rôle de coordination du CECR en accord avec les centres d’accueil, par ex. sous la forme d’un protocole de collaboration. Cela permettrait déjà de résoudre les dissensions existantes sur ce plan et d’accroître l’uniformité de l’accompagnement proposé par les trois centres d’accueil. d. Une politique de recherches et de poursuites uniforme Outre la concertation et la collaboration des différents acteurs sur le terrain, une politique intégrée et coordonnée vise également une certaine uniformité dans la politique de recherche et de poursuite des affaires de traite. Les directives ministérielles jouent ici un rôle essentiel en fournissant un cadre uniforme et des critères permettant aux magistrats et aux services de police de mener une politique uniforme. 131 Arrêté Royal du 16 mai 2004 relatif à la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, M.B. 28 mai 2004. 132 Afin d’assurer de façon optimale la préparation et la mise en œuvre de la politique, la composition de la cellule de coordination a été élargie: des représentants du Premier Ministre et des Vice-Premiers ministres en font désormais partie. La cellule comprend maintenant également un Bureau chargé de lui soumettre des propositions, de mettre ses décisions à exécution et de coordonner les réunions. 133 Articles 1-3 AR du 16 mai 2004. 134 Ces réunions ont donné lieu entre autres à la rédaction d’un contrat uniforme d’accompagnement pour les trois centres d’accueil. On y explique la procédure, l’offre de services d’aide, ce qu’on attend avec précision du client (respect du règlement intérieur, délivrance de copies des autorisations de séjour, etc.) et les éventuelles sanctions en cas de non-respect du contrat. Ce contrat existe en huit langues ; un plan d’accompagnement y est annexé. 44 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains La récente directive du 20 avril 2004 de la politique de recherche et de poursuite de la traite des êtres humains (COL 10/2004) remplace les directives existantes en matière de politique de recherches et de poursuites de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine (voir entre autres COL 12/99). En plus d’une unité centrale spéciale traite des êtres humains au sein de la police fédérale, l’appareil judiciaire belge dispose depuis 1996 de magistrats spécialisés dans la lutte anti-traite. Ces magistrats de liaison sont désignés au sein de chaque parquet135 (par arrondissement judiciaire) et des cinq parquets-généraux136 (niveau de la Cour d’Appel) et dirigent l’instruction dans les affaires de traite. Une des principales adaptations de la COL 10/2004 concerne l’ajout de magistrats de liaison ‘traite des êtres humains’ au niveau de l’auditorat du travail et de l’auditorat-général. Les magistrats de liaison font partie du réseau d’expertise ‘traite et trafic des êtres humains’ créé par le Collège de Procureurs-Généraux.137 Le réseau d’expertise organise chaque année une réunion avec tous les magistrats de liaison, l’Office des Etrangers, la police fédérale, les services d’inspection sociale, le Service Politique Judiciaire et le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Les opinions des acteurs interrogés à propos du réseau sont partagées. Le réseau ferait surtout office de lieu de rencontre, mais aurait peu d’impact sur le terrain proprement dit. Le réseau d’expertise a créé un site internet qui compile toutes sortes d’informations sur la traite et le trafic des êtres humains.138 Certains des magistrats interrogés décrivent le site internet comme une source d’informations intéressantes pouvant apporter, dans certains cas et surtout pour les plus petits parquets (moins souvent confrontés à la problématique de la traite des êtres humains), un soutien et une aide supplémentaire. D’autres se posent des questions quant à l’utilité et à la plus-value d’un tel site et attirent l’attention sur son manque d’accessibilité et de convivialité. e. Evaluation sur le terrain Les acteurs interviewés ne sont pas tous satisfaits de la concertation existante, de l’échange d’information et de la collaboration dans la lutte anti-traite.139 Bien que les acteurs sur le terrain échangent bel et bien leurs informations, se concertent régulièrement et collaborent, la coordination générale laisse encore à désirer. Malgré tous les efforts consentis, il n’est toujours pas question, d’après certains, de véritable coordination de la lutte contre la traite des êtres humains, ni au niveau politique, ni au niveau opérationnel.140 135 Les magistrats de liaison au niveau du parquet sont chargés d’entretenir les relations avec les autorités judiciaires et les autres acteurs impliqués dans la lutte contre la traite des êtres humains, comme les services de police, les services d’inspection sociale, les services chargés des enquêtes administratives et les trois centres d’accueil spécialisés pour les victimes de la traite des êtres humains. Ils sont également chargés de la collecte et de l’échange d’informations, du suivi des dossiers en rapport avec la traite des êtres humains et de la rédaction d’un rapport annuel relatif à la lutte anti-traite au sein de l’arrondissement judiciaire à l’intention du parquet-général. 136 Les magistrats de liaison au niveau du parquet-général font office de personnes de contact pour les magistrats de liaison nommés dans les parquets au sein de leur juridiction respective. 137 Le réseau d’expertise créé en 2000 est chargé de soutenir, sous l’autorité du Collège de Procureurs-généraux et sous le contrôle du procureurgénéral de Liège compétent en matière de traite des êtres humains, la politique judiciaire que le Collège de Procureurs-généraux souhaite mener et de favoriser l’échange d’information et de documentation entre les membres du Ministère public. 138 L e site internet fournit des informations en matière de législation nationale et internationale, de jurisprudence, de théorie du droit, travaux parlementaires, adresses utiles, procès-verbaux des réunions du réseau d’expertise, etc. 139 Une proposition concrète des services de police, magistrats et services d’inspection sociale interrogés afin d’améliorer la collaboration consiste à rendre le système Dimona (système de déclaration immédiate du début et de la fin d’une relation de travail à l’ONSS, qui remplace l’ancien registre du personnel) accessible non seulement aux services d’inspection sociale, mais aussi à l’auditorat du travail et aux services de police. Actuellement, des problèmes se poseraient lorsqu’à l’occasion d’une interception ou d’une action, les services de police ont besoin d’informations du système Dimona en dehors de heures de bureau, concernant l’éventuelle occupation de la personne interpellée. 140 D ’après les acteurs concernés, la coordination suppose en effet qu’une structure globale se charge effectivement de la coordination et impose à tous les acteurs concernés des directives contraignantes. Un travail de coordination n’est en effet possible que si le rôle des acteurs est clairement identifié et délimité. 45 2. Au niveau international La dimension transfrontalière souvent inhérente à la traite des êtres humains et au champ d’action international des réseaux de trafiquants d’êtres humains exige évidemment une collaboration et une coordination internationale efficace, tant au niveau politique qu’au niveau opérationnel. Parallèlement à l’attention croissante pour la problématique de la traite des êtres humains au sein des forums internationaux, diverses initiatives ont été mises sur pied ces dernières années en vue d’optimaliser la collaboration dans l’approche du phénomène. Le protocole des Nations Unies en matière de traite des êtres humains et la récente Convention du Conseil de l’Europe en sont des indications claires. Plusieurs accords de coopération ont été créés dans le but d’approcher le phénomène de manière plus harmonieuse, tant au niveau international (par ex. Alliance against Trafficking in Persons141) qu’au niveau régional (entre autres Nordic Baltic Task Force against Trafficking in Human Beings; Southeast European Cooperation Initiative). Au niveau européen, divers projets ont été mis en œuvre pour promouvoir la collaboration transfrontalière, tels que des programmes de formation pour les services de première ligne et le personnel des frontières, axés sur une meilleure identification et orientation des victimes de la traite des êtres humains.142 La collaboration internationale ainsi que l’échange d’informations entre les services policiers et judiciaires a considérablement évolué ces dernières années.143 Les services de police et les magistrats révèlent toutefois que la collaboration laisse encore à désirer dans la pratique. Le nœud du problème réside fréquemment dans l’absence de formation des acteurs de terrain. Ceux qui dans le cadre de leur fonction doivent recourir aux structures de coopération internationales ne sont pas ou trop peu au courant de leur existence ou de leur fonctionnement. Ce n’est pas tant le manque de mécanismes de collaboration ou de canaux d’échange que les connaissances lacunaires de ces mécanismes chez les divers magistrats et autres acteurs sur le terrain qui constituent souvent un véritable obstacle à une collaboration internationale efficace et rapide. 141 Un partenariat entre les acteurs internationaux concernés, mis sur pied à l’initiative du Représentant Spécial de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Ces acteurs comprennent des organisations internationales ou intergouvermentales (Conseil de l’Europe, International Organization for Migration (IOM), International Labour Organisation (ILO), United Nations High Commissioner for Human Rights (UNHCR), United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), United Nations Children’s Funds (UNICEF), International Centre for Migration Policy Development (ICMPD), United Nations Development Fund for Women (UNIFEM), Interpol, Europol et le Groupe d’experts de la Commission européenne) et des ONG (End Children Prostitution, Child Pornography and Trafficking of Children for Sexual Purposes (ECPAT), Anti-Slavery International, Terre des Hommes, Save the Children en La Strada International). 142 Voir entre autres IOM, Identification and Protection Schemes for Victims of Trafficking in Persons in Europe. Tools and Best Practices, Brussels, December 2005, 144 p. 143 Voir entre autres L. VAN OUTRIVE et E. ENHUS, Collaboration policière internationale – Europol, (Bruxelles, Centre d’études de la police, 1994), 142p.; J.D. OCCHIPINTI, The politics of EU police cooperation: toward a European FBI?, (Boulder (Colo.), Rienner, 2003), 286p.; R. D. INGLETON, Mission incomprehensible: the linguistic barrier to effective police cooperation in Europe, (Clevedon, Multilingual matters, 1994), 155p.; C.J.C.F. FIJNAUT and R.H. HERMANS, Police cooperation in Europe, (Lochem, Van den Brink, 1987), 90p.; Fifth annual report on the situation regarding the protection of individuals with regard to the processing of personal data and privacy in the European Union and in third countries : covering the year 2000, (Luxembourg, Office for official publications of the European Communities, 2002); J.C. MONET, Polices et sociétés en Europe, (Paris, Documentation française, 1993), 338p.; J. BENYON, L. TURNBULL, A. WILLIS, R. WOODWARD and A. BACK, Police co-operation in Europe: an investigation, (Leicester, University of Leicester: Centre for the study of public order, 1993), 351p.; M. ANDERSON, M. DEN BOER, P. CULLEN, a.o., Policing the European Union, (Oxford, Clarendon press, 1995), 331p.; C. CHEVALIER-GOVERS, De la coopération à l’intégration policière dans l’Union européenne, (Bruxelles, Bruylant, 1999), 450p.; F. DEHOUSSE and J.G. MARTINEZ, La coopération policière et judiciaire pénale de l’Union européenne: les lents progrès d’un nouveau projet européen, (Bruxelles, Institut royal des relations internationales, 2002), s.p; M. SABASTIER, La coopération policière européenne, (Paris, L’Harmattan, 2001), 512p.; R. OBERLEITNER, Schengen und Europol: Kriminalitätsbekämpfung in einem Europa der inneren Sicherheit, (Wien, Manzsche Verlags- und Universitätsbuchhandlung, 1998), 188p. 46 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains C. Enregistrement, collecte de données et formation d’images en matière de traite des êtres humains 1. La nécessité de la collecte d’informations et de la formation d’images La lutte contre la traite des êtres humains ne peut être menée de manière rationnelle et efficace qu’en bonne connaissance de cause. Une bonne perception des évolutions actuelles, des tendances, des menaces, des modi operandi, du nombre de personnes concernées et des intérêts financiers en cause est indispensable pour pouvoir apporter une réponse à la problématique, tant au niveau national qu’international.144 La collecte de données et la formation d’images relatives à la traite des êtres humains surtout restent insuffisantes.145 2. Collecte de données et formation d’images au niveau national Différents acteurs recueillent déjà une grande quantité d’informations. Au niveau national, la Banque de Données Nationale Générale (BNG) contient des informations fournies par les différents services de police (tant fédéraux que locaux).146 La BNG suit les mêmes classifications que le Code pénal belge et contient donc des informations sur tous les délits possibles. La BNG permet toutefois de spécifier le contexte des délits liés à la traite des êtres humains au moyen d’une liste de sous-classifications de délits présumés commis dans le ‘contexte’ de traite des êtres humains.147 Au niveau local/arrondissement, les données recueillies par les services policiers et administratifs dans le cadre de contrôles en matière de traite des êtres humains sont consignées sur le formulaire traite des êtres humains uniforme.148 C’est une check-list dont les éléments doivent aboutir ou bien dans un procès-verbal ou bien dans un rapport informatif sur un contrôle. Ces données peuvent ensuite être transmises au Carrefour d’Information d’Arrondissement (C.I.A.) et introduites dans la banque de données de la police fédérale.149 Au niveau fédéral, la formation d’images en matière de traite des êtres humains est du ressort de la cellule centrale traite des êtres humains de la police fédérale, qui effectue des analyses stratégiques et opérationnelles sur la nature, l’ampleur, la gravité et l’évolution du phénomène, de même que sur les secteurs à risque. Une dernière source d’informations cruciale est la banque de données victimes de traite des êtres humains du CECR, créée en 2004. Cette banque de données, dotée d’une interface internet conviviale, regroupe surtout des données émanant des victimes de traite enregistrées auprès des trois centres d’accueil spécialisés (Payoke, Pag-Asa, Surya) et vise l’élaboration d’analyses scientifiques.150 Cette banque de données est directement alimentée par les centres, au moyen d’un ques- 144 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 76. 145 Voir F. LACZKO (IOM), Human Trafficking: The Need for Better Data, 2002, consultable via: http://www.migrationinformation.org/Feature/display.cfm?ID=66 146 Cette banque de données électronique, officielle et confidentielle a été prévue par l’article 44/4 de la Loi sur la fonction de police (inséré par l’article 191 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, M.B. 5 janvier 1999 (en vigueur depuis 01.01.2001). L’objectif de la BNG “est de fournir la bonne information au bon moment au bon endroit en vue d’une exécution plus efficace des missions de la police judiciaire et administrative” (voir la circulaire commune MFO3 des Ministres de la Justice et des Affaires intérieures du 14 juin 2002 concernant la gestion des informations en matière de police judiciaire et administrative, M.B. 18 juin 2002). 147 Afin de faciliter les décisions des services policiers de désigner un délit de traite non-spécifique comme étant commis dans le contexte de traite des êtres humains, un ensemble standardisé d’indicateurs a été développé (voir l’annexe de la Circulaire Ministérielle du 20 avril 2004 (COL 10/2004). 148 Le formulaire uniforme traite des êtres humains a été introduit par la Circulaire ministérielle du 3 juin 1999 (COL 12/99). Suite aux critiques des services de police (formulaire trop long et difficile à remplir), le formulaire unique a été considérablement simplifié par la COL 10/2004. Les récentes évolutions informatiques permettent désormais de compléter ce formulaire de manière semi-automatique dès la rédaction d’un procèsverbal. Les services de police interrogés se montrent très satisfaits du nouveau formulaire d’enregistrement simplifié. 149 Cela doit se faire conformément à la circulaire MFO3 précitée. 150 CECR, Rapport annuel 2003. Lutte contre la traite des êtres humains. Analyse du point de vue des victimes, 2004, 109. 47 tionnaire standardisé et particulièrement détaillé. Via cette banque de données, le CECR et les trois centres d’accueil disposent d’une mine de données anonymes sur les victimes de la traite des êtres humains.151 3. Le Centre d’Information et d’Analyse en matière de Trafic et de Traite des Etres Humains L’absence d’informations fiables, déjà évoquée, et la fragmentation des informations disponibles constituent un obstacle important au développement, à l’implémentation et à l’évaluation d’une politique en matière de traite des êtres humains152. Le Groupe d’experts traite des êtres humains insiste à ce sujet sur la nécessité au niveau national d’un “lieu central où les informations des différentes sources et des différents acteurs soient recueillies et analysées de manière systématique”.153 Le Centre d’Information et d’Analyse en matière de Trafic et de Traite des êtres humains (CIATTEH), créé récemment, peut être considéré comme un tel réseau d’information.154 Le CIATTEH devrait devenir un site informatique auquel les membres de la Cellule interdépartementale de coordination seraient connectés via un extranet protégé. Cette connexion permettrait à tous les partenaires d’alimenter directement le site des données pertinentes et anonymes dont ils disposent.155 Des analyses stratégiques seraient menées sur la base de ces données. D’après les acteurs interviewés, une grande confusion règne à propos de la finalité réelle du CIATTEH. Le texte de l’AR du 16 mai 2004 est pourtant clair: le CIATTEH n’a pas une fonction opérationnelle mais une fonction d’évaluation et de soutien à la politique par la réalisation d’analyses stratégiques en matière de trafic et de traite des êtres humains sur la base des données transmises par les différents partenaires. L’anonymat des données imposé par l’AR est considéré par certains des acteurs comme problématique. D’après eux, il est impossible d’effectuer des analyses stratégiques fiables de qualité sur la base de données anonymes. En travaillant avec des données anonymes, le risque existe que différentes sources utilisent les mêmes données, et qu’on obtienne dès lors un tableau tronqué de la situation. Il est dès lors fortement recommandé d’adapter le texte de l’AR de manière à pouvoir intégrer des données non-anonymes dans le CIATTEH. Cela cadrerait non seulement parfaitement avec la finalité purement politique du réseau mais bénéficierait aussi à la qualité des analyses statistiques et donc au tableau relatif au trafic et à la traite des êtres humains. On pourrait lever les freins formulés (à juste titre) par les centres concernant la mise à disposition de leurs données (non-anonymes) aux autres partenaires du CIATTEH (en particulier les services de police)156en limitant la fonction du CIATTEH uniquement à la 151 Les variables recueillies pour chaque victime accueillie et aidée par les trois centres concernent: identité (lieu et date de naissance, sexe), nationalité et âge; conditions de vie dans le pays d’origine (Etat civil, nombre d’enfants); formation (diplôme, profession, revenu); statut administratif au moment de l’arrivée en Belgique; documents en possession à l’arrivée en Belgique; itinéraire de voyage; mode de recrutement; le nombre et l’identité des intermédiaires; les délits dont il/elle est victime; le mode d’exploitation; la manière dont la victime est maintenue sous contrôle (moyens de contrainte); le service par lequel il/elle a été orienté(e) vers le centre; si la victime a porté plainte ou non; la manière dont la victime est accompagnée par le centre; la situation (logement, formation, profession, revenu) de la victime en Belgique à la fin de la procédure; et l’intégration de la victime dans la société belge. 152 Voir F.LACSKO (IOM), Human Trafficking: The Need for Better Data, 2002, consultable via: http:/www.migrationinformation.org/Feature/display.cfm?ID=66 153 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 78, Recommandation n° 35. 154 Article 12 de l’Arrêté Royal du 16 mai 2004 relatif à la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains, M.B. 28 mai 2004. Le CIATTEH a pour mission la collecte, la centralisation, la gestion, la transmission et l’analyse des données anonymes utiles à la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains (article 14). Un Comité de gestion est chargé des activités quotidiennes du CIATTEH (articles 16-20). 155 Via cette même connexion, chaque partenaire auprès du CIATTEH a accès au réseau d’information et aux analyses (article 13). 156 Ce qui ne serait pas compatible avec le principe de finalité qui, en tant qu’un des principes fondamentaux de la protection des données personnelles, se trouve fortement ancré dans le ‘data protection acquis’ européen (voir entre autres Council of Europe Convention No 108 for the Protection of Individuals with regard to Automatic Processing of Personal Data; Additional Protocol to the Convention for the Protection of Individuals with regard to Automatic Processing of Personal Data, regarding Supervisory Authorities and Transborder Data Flows; en Recommendation No R (87) 15 regulating the use of personal data in the police sector). 48 L a l u tte bel g e c ontre la traite des ê tres h u mains réalisation d’analyses stratégiques et en cloisonnant les données non-anonymes (telles que celles fournies par les centres) des services à finalité judiciaire ou policière. 4. Un coup d’œil sur le futur… Avec la banque de données victimes de la traite des êtres humains du CECR, la Belgique est la première des pays de l’UE à disposer de données précises, standardisées et centralisées concernant divers aspects de la problématique du trafic et de la traite des êtres humains. Une telle banque de données centrale, contenant des informations venant des dossiers de victimes du trafic et de la traite des êtres humains, est unique en Europe. Au niveau européen, on insiste d’ailleurs de plus en plus sur l’importance d’une collecte et d’une analyse systématique au niveau national de données pertinentes en matière de traite des êtres humains, sur la base de critères communs.157 158 L’architecture de la banque de données victimes de la traite des êtres humains du CECR pourrait en outre servir de point de départ pour le développement d’un modèle d’inventorisation intégré et standardisé en matière de trafic et de traite des êtres humains au profit du CIATTEH. Une telle standardisation suppose que les divers partenaires auprès du CIATTEH, lorsqu’ils fournissent les données respectives dont ils disposent, utilisent une logique de collecte de données uniforme. Etant donné que la standardisation et la précision absolues des variables fournies par les divers partenaires constitue une condition essentielle pour un CIATTEH performant, la banque de données victimes des êtres humains offre une base réaliste et fiable pour l’élaboration du CIATTEH. Dans le même ordre d’idées, le CIATTEH pourrait même servir de modèle à un futur mécanisme européen de monitoring en matière de traite des êtres humains.159 160 157 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 76. Voir également COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2005) 514 final, Brussels, 18 October 2005, Fighting trafficking in human beings – an integrated approach and proposals for an action plan. 158 En ce qui concerne la Belgique, il importe d’attirer l’attention sur la première exploitation et analyse statistique scientifique des données brutes disponibles dans la banque de données du CECR de même que sur l’évaluation méthodologique de la structure de cette banque de données, menée actuellement par l’Institute for International Research on Criminal Policy (Universiteit Gent). Cette analyse pourrait générer un modèle standard pour l’exploitation statistique future, de manière à pouvoir identifier rapidement et avec précision les tendances et évolutions importantes au niveau politique et stratégique. 159 Dans sa récente communication relative à la lutte anti-traite, la Commission européenne évoque la possibilité de rassembler et d’analyser les données relatives à la traite des êtres humains dans le cadre de la future Agence européenne pour les Droits Fondamentaux, en étroite collaboration avec le futur Réseau européen des migrations et le Groupe d’experts Traite des êtres humains (COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2005) 514 final, Brussels, 18 October 2005, Fighting trafficking in human beings - an integrated approach and proposals for an action plan, 9). 160 Signalons à ce propos le projet SIAMSECT (Elaboration of an EU template and collection plan for Statistical Information and Analysis on Missing and Sexually exploited Children and Trafficking in Human Beings) actuellement mis en œuvre par l’Institute for International Research on Criminal Policy (Université de Gand). A partir de l’étude des données (chaotiques) en matière de traite des êtres humains au sein des Etats membres de l’UE (obtenues via d’autres projets tels que “Childoscope” et Mon-EU-Traf I et II), le projet veut élaborer un plan de collecte des données et un modèle d’inventorisation méthodologique scientifique pour l’UE, qui pourrait servir de base à un futur ‘observatoire’ UE en matière de traite des êtres humains. Les références des projets qui ont été à la base du projet SIAMSECT sont: G. VERMEULEN et H. DE PAUW, Missing and sexually exploited children in the EU. Epidemiological data, Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, 2004, 553 p.; G. VERMEULEN, Missing and sexually exploited children in the enlarged EU. Epidemiological data in the new Member States, Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, 2005, 397 p.; E. SAVONA, A. DI NICOLA et S. DECARLI, Mon-EU-Traf – A Pilot Study on the Three European Union Key Immigration Points for Monitoring the Trafficking of Human Beings for the Purpose of Sexual Exploitation across the European Union, Trento, 2002; A. DI NICOLA, Mon-EU-Traf II: A Study for Monitoring the International Trafficking of Human Beings for the Purpose of Sexual Exploitation in the EU Member States, unpublished, 2004. 49 IV. L’approche spécifique de la traite des êtres humains au sein du milieu de la prostitution A. Introduction Le chapitre précédent a mis le doigt sur l’absence de chiffres fiables ou empiriques sur le phénomène de la traite des êtres humains. En dépit de la perception limitée de l’ampleur réelle et des caractéristiques des différentes formes de traite des êtres humains, un nombre croissant d’acteurs s’accordent pour dire que la vision traditionnelle, tant politique que pratique, de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle des femmes est dépassée. La prostitution forcée existe, mais l’image stéréotypée du début au milieu des années ’90 ne colle plus.161 De nombreuses indications portent à croire en revanche que la traite à des fins d’exploitation du travail ou des services, par exemple, ou la traite d’enfants en vue d’adoptions illégales augmentent. Une part considérable de la traite des êtres humains est certes encore liée à l’exploitation à des fins sexuelles, de sorte que le lien avec le milieu de la prostitution est inévitable. Ce secteur se caractérise toujours par une vulnérabilité potentielle accrue face à l’exploitation et donc à la traite des êtres humains.162 Une évaluation globale de la politique en matière de traite des êtres humains requiert dès lors un examen plus approfondi de cet aspect de la problématique. Ce chapitre n’ambitionne pas d’offrir une nième synthèse des opinions très diverses sur le phénomène de la prostitution proprement dit. L’analyse se concentrera sur la question de savoir si des mesures politiques en matière de prostitution peuvent influencer positivement la lutte anti-traite. Le constat de départ est que la politique en matière de prostitution et le débat en matière de traite des êtres humains sont trop souvent mêlés. En qualifiant quasi automatiquement le milieu de la prostitution de terreau de la traite des êtres humains et en intervenant de manière répressive sur le terrain, on touche essentiellement les prostitué(e)s illégales mais on atteint peu les véritables exploiteurs. En laissant l’idéologie de traite des êtres humains dominer la politique en matière de prostitution, on maintient en outre une image irréaliste, à savoir que même le transport, le transfert ou l’hébergement d’une personne en vue de l’exploitation de la prostitution consensuelle de cette personne constituerait une forme de traite des êtres humains. C’est manifestement inexact. Comme on l’a déjà souligné à plusieurs reprises, l’essence de la traite des êtres humains réside dans l’élément de contrainte ou de privation de liberté, ce que méconnaît malheureusement la nouvelle loi sur la traite des êtres humains. Enfin, le risque existe qu’en mélangeant les deux débats, la traite des êtres humains devienne un instrument de mise en œuvre d’une politique anti-prostitution, qui consisterait en fait à mener une politique ‘anti-nuisances’ sous le couvert de traite des êtres humains. 161 G. VERMEULEN, l.c., 1. 162 Voir entre autres K. VAN IMPE, P. DE SOMERE, M. DELCOUR, B. DE RUYVER et W. VAN EECKHOUTTE, Trade in women. A Pilot and Case Study with the Philippines, Ghent, Research Group Drug Policy, Criminal Policy and International Crime, Ghent University, 1998; J. MEESE, K. VAN IMPE, S. VANHESTE, B. DE RUYVER en W. VAN EECKHOUTTE, Trafficking in Human Beings. A Pilot Study with Poland and Hungary, Ghent, Research Group Drug Policy, Criminal Policy and International Crime, Ghent University, 1998; C. De Stoop, Elles sont si gentilles, monsieur, Leuven, Kritak, 1992, 284 p; G. VERMEULEN, B. MOENS et E. DE BUSSER, Betaalseksrecht: naar een legalisering van niet-problematische prostitutie, AntwerpenApeldoorn, Maklu, 2005, 151 p. 51 B. L’apport d’un marché de la prostitution honnête dans la lutte anti-traite 1. La nécessité d’un marché de la prostitution ‘honnête’ Il importe, pour ne pas entraver la lutte contre les véritables formes de traite des êtres humains, de ne pas mêler cette lutte à la politique en matière de prostitution proprement dite. Mais il convient de se demander dans quelle mesure une politique en matière de prostitution peut apporter une contribution positive à la lutte anti-traite. Deux objectifs sont à prendre en considération à cet égard: d’une part réduire la vulnérabilité à l’exploitation en améliorant la position (le statut) de la prostituée et d’autre part se concentrer davantage sur les véritables cas d’exploitation et de traite des êtres humains en créant une distinction plus nette avec les formes ‘non-exploitantes’ de prostitution. Les deux objectifs ne sont réalisables que si on autorise l’existence d’un marché de la prostitution honnête. Pour créer un tel marché, il y a différentes options, depuis une légalisation complète des formes non-exploitantes et non-contraignantes de la prostitution jusqu’à une simple régularisation. Ces deux optiques sont évoquées ci-dessous. a. La légalisation de la prostitution non-problématique i. La piste de la légalisation L’option de la légalisation des formes non-exploitantes et non-contraignantes d’occupation dans ou d’organisation de la prostitution par des personnes majeures part du constat que toutes les formes de prostitution ne s’accompagnent pas d’exploitation.163 Une politique qui ne pénalise pas les formes non-exploitantes (uniquement axées sur le profit) de prostitution et qui accorde aux prostitués majeurs actifs dans ces formes de prostitution les mêmes droits qu’aux autres citoyens sert un double but. Non seulement on reconnaît ainsi le droit fondamental de chaque individu à disposer de lui-même164, mais cela permet aussi une approche plus efficace des véritables exploitants et trafiquants d’êtres humains au sein du milieu de la prostitution, puisqu’on fait une distinction plus nette et qu’on obtient un tableau plus clair du côté (illégal) du secteur. C’est là que réside le réel avantage d’une légalisation dans la lutte contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation dans le secteur de la prostitution. En encourageant la prostitution active honnête (entre autres sous la forme d’un statut d’employé ou d’indépendant165 et l’octroi de droits à la sécurité sociale166), on aura davantage de chances de détecter et de pénaliser les formes réelles d’exploitation. Des recommandations ont déjà été explicitement formulées dans ce sens au niveau international.167 Le débat autour d’une politique de régulation de la prostitution ou même de légalisation de l’exploi- 163 D’après la philosophie qui sous-tend une telle option, les adultes doivent avoir la liberté de décider eux-mêmes s’ils veulent travailler ou non comme prostitué(e)s. L’organisation d’une entreprise de prostitution, sans la moindre forme de contrainte, ne devrait dès lors pas être punissable et l’interdiction de tenir un bordel devrait être supprimée. 164 Il est aujourd’hui généralement admis au sein des Etats membres de l’UE que des femmes peuvent travailler volontairement comme prostituées (voir Resolution of the European Parliament on ‘Trafficking in Human Beings’, Official Journal of the European Communities, 1996, C 32/88). 165 Concernant la possibilité pour des ressortissants d’Etats membres de l’UE de s’établir dans un autre Etat membre comme prostitué(e) indépendant(e), nous attirons l’attention sur le jugement JANY de la Cour européenne de Justice (C.deJ. 20 novembre 2001, affaire C-268/99, Jany t. Ned.) qui a fait beaucoup de bruit. 166 On parle à ce sujet d’une vision ‘labourist’ (voir entre autres R. HAVEMAN, Voorwaarden voor strafbaarstelling van vrouwenhandel, Deventer, Gouda Quint, 1998, 246-248). 167 Voir les recommandations du 17e congrès international de pénalistes: “in order to enable law enforcement authorities to focus their attention on trafficking in persons for the purpose of sexual exploitation, it may be considered to be an option for some countries, respecting the fundamental principles of their own legal system and their own culture or religion, to decriminalize forms of non-coercive or non-abusive employment in or organisation of prostitution involving adults” (International Review of Penal Law, 2001, Année 72, 887). 52 T raite des ê tres h u mains et p rostit u tion tation de la prostitution a cours dans de nombreux pays, même en dehors de l’UE. Une légalisation a été introduite aux Pays-Bas en octobre 2000.168 Maintenant que la suppression de l’interdiction de tenir un établissement de prostitution est effective depuis quelques années, les adversaires de la légalisation soulignent les résultats relativement maigres que ce choix politique a apportés aux Pays-Bas.169 Le modèle néerlandais ne produit effectivement pas les effets escomptés. Une analyse détaillée de la situation permet d’identifier quelques faiblesses, comme le fait que la légalisation ne s’applique qu’aux ressortissants de l’UE, l’absence d’une approche efficace de l’aspect illégal du secteur de la prostitution et les problèmes posés par la décentralisation de la politique en matière de prostitution. L’exemple néerlandais montre surtout que la manière d’élaborer une légalisation est cruciale pour le succès de la mesure. ii. Légalisation en Belgique? Au sein du climat politique belge actuel, la piste de la légalisation de formes non-exploitantes d’exploitation de la prostitution va probablement trop loin. Bien que le gouvernement ait annoncé une amélioration du statut de la prostituée ces dernières années170, il n’existe pas aujourd’hui de consensus politique pour une légalisation de l’exploitation d’une prostitution adulte non-problématique, consensuelle. La nouvelle loi sur la traite des êtres humains du 10 août 2005, dans laquelle protection, contrôle et maintien se contredisent, le confirme.171 Un deuxième obstacle dans le contexte belge à une meilleure protection des prostitué(e)s (dont aussi les victimes de traite des êtres humains occupées et exploitées dans l’industrie du sexe) n’est autre que la Convention des Nations Unies de 1950 qui, contrairement aux Pays-Bas, a été ratifiée par la Belgique.172 Cette convention reflète une vision purement abolitionniste et sanctionne toute forme d’exploitation de la prostitution, quelque soit la forme sous laquelle elle se déroule et quelque soit le libre choix de la personne à se prostituer. Dans les pays qui ont ratifié la Convention des Nations Unies, cela donne lieu au paradoxe que le fait de se prostituer n’est en soi pas punissable, contrairement à tous les aspects qui ont trait au travail de prostitué(e) (faire de la publicité, louer une chambre pour fournir des services sexuels).173 168 La loi du 28 octobre 1999 portant suppression de l’interdiction générale des établissements de prostitution a modifié les articles du code pénal relatifs à la prostitution, Staatsblad 1999, 464. Voir S. BOUZOUMITA et E. VAN ACKER, Bederf van de jeugd en de prostitutie, in G. VERMEULEN (ed.), Strafrechtelijke bescherming van minderjarigen, Antwerp-Apeldoorn, Maklu, 2001. Pour une analyse des avantages et des inconvénients ainsi que des réactions du secteur de la prostitution à la légalisation de l’exploitation de la prostitution aux Pays-Bas, voir: T. VAN DER HELM, Nieuwe regelgeving ten aanzien van prostitutiebedrijven en de gevolgen voor de gezondheidszorg voor de prostituees in Amsterdam, in A. MEHEUS, B. DE RUYVER, K. VAN IMPE et M. MORIVAL (eds.), Van opjaagbeleid tot gedoogbeleid. De aanpak van prostitutie in Nederland en Vlaanderen doorgelicht, Antwerpen, Maklu, 1999, 93-95, respectivement N. CORBA, Beleid met betrekking tot prostitutiebedrijven in Amsterdam, in A. MEHEUS, B. DE RUYVER, K. VAN IMPE et M. MORIVAL (eds.), o.c., 125-136. 169 En 2002, on a fait une première évaluation des effets de la légalisation de la prostitution aux Pays-Bas. D’après les résultats de l’étude, le recul escompté des activités criminelles au sein d’une prostitution régulée est plutôt limité jusqu’à présent. De plus amples études sont toutefois nécessaires pour pouvoir adopter des positions plus définitives en la matière. Voir A. DAALDER, Het bordeelverbod opgeheven, Prostitutie 20002001, WODC rapport 200, 2002. 170 Voir supra, note 38. 171 Voir G. VERMEULEN, “Matroesjka’s: tien jaar later. Repressie en controle als speerpunten van het vernieuwde mensenhandelbeleid?”, Pan. 2005.2, 10. 172 Convention of 21 March 1950 for the Supression of the Traffic in Persons and of the Exploitation of the Prostitution of Others (UN Trafficking Convention) adopted by the General Assembly of the United Nations on 2 December 1949, United Nations Treaty Series, 1951, Vol. 96, No. 1342, 271. 173 G. VERMEULEN, “International trafficking in women and children”, International Review of Penal Law, 2001, Numéro 72, 872. 53 Bien que la Convention des Nations Unies vise en premier lieu à protéger le/la prostitué(e), la pratique prouve qu’elle obtient exactement le contraire. Décriminaliser la prostitution tout en maintenant le caractère illégal de l’organisation de leur travail conduit à l’isolement et à la marginalisation des prostitué(e)s et place les formes exploitantes et contraignantes de l’exploitation hors de portée de la loi.174 Ce qui explique qu’on plaide depuis plusieurs années pour une adaptation ou éventuelle annulation de la convention UN. Cela ouvrirait la voie à une décriminalisation internationale de l’occupation et de l’organisation non-exploitante et non-contraignante de la prostitution d’adultes ou de non-mineurs.175 b. Auto-régulation au sein du secteur de la prostitution A court terme, on peut attendre davantage de l’autorégulation du secteur pour accroître le contrôle de l’occupation illégale. Une telle régulation (par ex. via des labels de qualité176 pour des établissements de prostitution, la prostitution en vitrine, les prix de location, etc.) est non seulement demandée par le secteur lui-même, mais la pratique prouve en outre que les protocoles de collaboration fonctionnent et ont de l’effet.177 Actuellement, l’idée d’autorégulation via des labels de qualité ne circule pas seulement dans le secteur de la prostitution mais s’applique à divers secteurs sensibles à l’exploitation et à la traite des êtres humains. Dans la politique anti-traite au niveau européen, on soutient de plus en plus l’introduction de mesures susceptibles d’avoir un impact sur toute la chaîne des rabatteurs, transporteurs, exploitants et clients. Dans cette perspective, il est crucial d’approcher aussi les organisations privées telles que bureaux de chômage, agences matrimoniales, agences de voyage, d’escorte et au pair. Plus spécifiquement dans le secteur de la prostitution, l’introduction d’un label de qualité pourrait impliquer qu’une institution où des services sexuels consensuels sont fournis par des adultes donne la garantie que le libre arbitre du/de la prostitué(e) n’a pas été influencé par des paiements ou des compensations de quelque nature que ce soit, que les salaires minimaux sont respectés, que les employés ont le droit de refuser des clients, etc. Une conséquence logique de cette autorégulation est que ceux qui ne s’en tiennent pas aux accords conclus sont plus aisément détectables, ce qui dans le milieu de la prostitution conduit inévitablement à une meilleure identification des situations d’exploitation et de traite des êtres humains. Le fait qu’une telle autorégulation s’accompagne d’une part d’une politique de tolérance de la part des parquets (à l’égard de ceux qui respectent les accords) et d’autre part d’une approche plus sévère des véritables exploiteurs, conduirait probablement à un milieu de la prostitution “plus propre”, ce qui à son tour bénéficierait sans aucun doute à la lutte contre la traite aux fins d’exploitation sexuelle. 174 K. VAN IMPE, P. DE SOMERE, M. DELCOUR, B. DE RUYVER et W. VAN EECKHOUTTE, Trade in women. A Pilot and Case Study with the Philippines, Ghent, Research Group Drug Policy, Criminal Policy and International Crime, Ghent University, 1998, 149; J. VISSER, Tussen zonde en werk: prostitutiebeleid in Nederland, in X., Vrouwenhandel. Tussen migrant en Handelswaar, Amsterdam, Anne Vondeling Stichting, 1988, 32-33. 175 J. MEESE, K. VAN IMPE, S. VANHESTE, B. DE RUYVER et W. VAN EECKHOUTTE, Trafficking in Human Beings. A Pilot Study with Poland and Hungary, Ghent, Research Group Drug Policy, Criminal Policy and International Crime, Ghent University, 1998, 82. 176 Il importe de signaler à ce sujet l’étude commandée par la Commission européenne «Development of European quality standards and feasibility study of introducing European quality labels for employment organisations, marriage bureaux, travel, escort, au-pair, or adoption agencies and service or telecommunication providers» qui a débuté en juin 2006 et est menée par l’Institute for International Research on Criminal Policy, en collaboration avec l’Université de Tilburg, le Service fédéral belge de politique criminelle et l’Académie hongroise des Sciences. Le projet pourrait conduire au développement de normes et de labels de qualité (au niveau européen) dans le but d’empêcher la traite des êtres humains à des fins d’exploitation économique ou sexuelle par la création d’un système d’autorégulation au sein de ces secteurs, au lieu d’un recours systématique au système pénal traditionnel. 177 Voir par ex. le Protocole relatif aux prix de location pour la prostitution en vitrine à Anvers. Ce protocole résultait d’une concertation informelle entre toutes les parties concernées (prostitué(e)s, propriétaires et exploitants) et poursuivait un double objectif: d’une part, l’adoption par et pour toutes les parties concernées d’un prix plafond acceptable et de critères correspondants pour les prix de location d’un espace de travail, vitrine et usage d’espaces communs faisant partie d’un immeuble de prostitution, et d’autre part la fixation d’une norme de profit anormal pour la location, la vente et la mise à disposition de chambres et d’autres espaces en vue de la prostitution. 54 T raite des ê tres h u mains et p rostit u tion 2. Conclusion Tant l’option de la légalisation que l’option alternative (soft) de l’autorégulation servent le même idéal: il s’agit d’une part de développer un marché de la prostitution honnête en donnant suffisamment d’espace aux formes non-exploitantes et non-contraignantes de la prostitution (ce qui améliore la position de la prostitué(e) et réduit sa vulnérabilité) et d’autre part de limiter l’appareil pénal à sa tâche principale, à savoir la répression de la partie malhonnête du secteur de la prostitution. Des mesures de ce type respectent non seulement la séparation entre la politique en matière de prostitution et le débat en matière de traite des êtres humains (en ne considérant pas toutes les formes d’exploitation de la prostitution par définition comme des formes de traite des êtres humains) mais renforcent en outre la lutte anti-traite en s’attaquant à une des causes fondamentales du phénomène (la situation précaire et la vulnérabilité de la prostitué(e)) et en répertoriant plus clairement les vrais cas d’exploitation. L’observateur réaliste de la situation actuelle reconnaîtra que l’option de la légalisation dans l’actuel climat socio-politique est plutôt une option théorique. Du point de vue de la lutte antitraite, une séparation entre marché de la prostitution ‘honnête’ et ‘malhonnête’ devrait de loin constituer le principal objectif. Pour le réaliser à court terme, la piste de l’autorégulation du secteur de la prostitution, en principe illégal, est peut-être la meilleure solution. 55 IX. Une politique migratoire réfléchie, élément d’une approche intégrée de la traite des êtres humains A. Introduction L’immigration illégale, le trafic et la traite des êtres humains sont des concepts fondamentalement différents. Ces phénomènes sont pourtant continuellement reliés l’un à l’autre dans la pratique comme au niveau politique. L’attention croissante pour le phénomène de l’exploitation économique montre que la problématique de la traite des êtres humains va plus loin que l’exploitation sexuelle (traditionnelle) et qu’il existe un rapport incontestable avec la migration massive de main d’œuvre dans notre société actuelle. Depuis quelques années, les documents politiques belges en matière de traite des êtres humains mentionnent explicitement la nécessité de s’attaquer aux causes structurelles du phénomène. Une évaluation de la politique belge en matière de traite des êtres humains est donc indissociable du débat sur les migrations. Ce débat est étroitement lié à la question de la libre circulation des travailleurs au sein de l’UE élargie178 et constitue un des thèmes politiques les plus actuels au sein de presque tous les ‘anciens’ Etats membres de l’UE. Cette quatrième partie présente une analyse de la problématique sous-jacente: dans quelle mesure existe-t-il un lien entre migration et traite des êtres humains? Nous poursuivons ensuite avec une évaluation de la politique migratoire actuelle et de ses conséquences pour la (lutte contre la) traite des êtres humains. Enfin, nous pesons le pour et le contre des différents choix politiques en la matière et essayons de vérifier si des mesures au niveau des migrations permettent de s’attaquer de manière plus ciblée et plus structurelle à la traite des êtres humains. B. Le lien entre migration et traite des êtres humains Une grande partie des victimes de la traite des êtres humains sont en fait des travailleurs migrants qui se rendent dans un pays étranger, de manière légale ou illégale, en une tentative d’échapper à la pauvreté ou à la discrimination, d’améliorer leur niveau de vie ou de simplement pouvoir survivre.179 La demande réelle de main d’œuvre bon marché et flexible dans les pays de destination constitue un attrait supplémentaire. Pour de nombreux migrants, leur voyage est donc un choix (économique) mûrement réfléchi et conscient. Ce n’est généralement qu’à l’arrivée dans les pays de destination (ou de transit) que les vrais problèmes commencent. Comme on l’expliquera ci-après, ces problèmes 178 La question centrale dans ce débat consiste à se demander si le moratoire que la plupart des anciens Etats membres de l’UE (dont la Belgique) ont introduit en rapport avec la libre circulation des travailleurs en provenance des nouveaux Etats membres doit être prolongé ou non. Concrètement, la Belgique doit décider avant le 1 mai 2006 si elle ouvre complètement son marché du travail ou si elle décide de prolonger ou de détricoter les restrictions existantes pour le 30 avril 2009. 179 Voir entre autres GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Irregular migration, state security and human security, September 2005, 33 p. (consultable via via www.gcim.org); Anti-Slavery International, The migration-trafficking nexus, The Printed Word (UK), 2003, 27 p. 57 sont souvent étroitement liés au statut illégal de l’immigrant concerné dans le pays de destination ou de transit. Ces dernières années, on n’a pas pu répondre de manière décisive à la demande sans cesse croissante d’ouvriers migrants. L’absence de possibilités de migration légale a contraint de nombreux immigrants à faire appel aux services de fraudeurs. Les risques liés aux services de fraude illégale sont, il est vrai, beaucoup plus élevés que pour d’autres services (légaux). Le contrat de services conclu de manière consciente et délibérée, qui consiste à faciliter et apporter de l’aide en cas d’immigration illégale, laisse généralement le champ libre à des scénarios de traite des êtres humains, où il n’est plus question de volonté réelle et de choix bien informés et réfléchis.180 Le risque d’exploitation que courent les travailleurs migrants illégaux dépend donc étroitement du statut illégal de l’intéressé et de la vulnérabilité économique, sociale et politique accrue qui en résulte.181 D’après une étude menée auprès de travailleuses illégales originaires d’Europe de l’Est, le facteur fondamental qui détermine qu’on se retrouve ou non dans un réseau de traite des êtres humains est la possibilité de migration légale, liée à un réseau social développé.182 Le lien réel entre l’absence de possibilités légales de migration pour les travailleurs migrants et la vulnérabilité accrue à la traite des êtres humains est une première constatation fondamentale. La globalisation et la dérégularisation croissante du travail augmentent en outre la vulnérabilité de travailleurs migrants (peu qualifiés pour la plupart). L’assouplissement des conventions sociales dans des secteurs auparavant formels, tels que la construction, l’agriculture et le transport, prend de l’ampleur dans de nombreux pays. La main d’œuvre dans ces secteurs est bon marché, remplaçable et donc particulièrement sensible à l’exploitation.183 C. La politique migratoire actuelle et l’impact sur la problématique de la traite des êtres humains 1. La nécessité d’une politique migratoire commune plus souple La politique migratoire belge et la problématique de la traite des êtres humains qui y est liée ne peuvent être envisagées en dehors du contexte européen plus large. Les implications sociales et économiques du vieillissement de la population et le recul annoncé de la population européenne locale marquent de plus en plus de leur empreinte le débat en matière de migration. Des études démographiques montrent que, même en introduisant des mesures pour attirer et garder davantage de gens sur le marché du travail (cf. le pacte des générations), nos économies vont devenir de plus en plus dépendantes des travailleurs migrants.184 180 G. VERMEULEN, “Matroesjka’s: tien jaar later. Repressie en controle als speerpunten van het vernieuwde mensenhandelbeleid?”, Pan. 2005.2, 4. 181 V oir également: GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migration in an interconnected world: New directions for action, October 2005, 34 (consultable via www.gcim.org). 182 J. DAVIES, The role of Migration Policy in creating and sustaining trafficking harm, Migration Research Centre, University of Sussex, 2002, 3; IOM, Trafficking and Prostitution: The Growing Exploitation of Migrant Women from Central and Eastern Europe, Migration Information Programme, Budapest, 1995, 12-14. 183 Certains secteurs déménagent vers des endroits où les conditions de travail offrent aux travailleurs le moins de protection. D’autres secteurs deviennent informels suite au recours à des contractants ou sous-contractants: Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 65 et 146. 184 Afin de stabiliser la population active dans les 15 ‘anciens’ Etats membres de l’UE, il faut entre 2003 et 2050 un apport net d’environ 68 millions de travailleurs étrangers (IOM, World Migration 2003, Geneva, 2003, 245). Voir également IOM, World Migration 2005, Geneva, 2005, 139-152. 58 T raite des ê tres h u mains et M i g ration La Commission européenne l’a compris depuis un certain temps. En 2003 déjà, on plaidait au niveau européen pour la nécessité de la migration de main d’œuvre en UE, non seulement pour répondre à la réalité économique (cf. la Stratégie de Lisbonne185) et démographique, mais aussi pour s’attaquer à l’immigration illégale croissante et à l’implication alarmante du crime organisé dans le trafic et la traite des êtres humains.186 Le récent Livre vert sur la gestion des migrations économiques est tout aussi éloquent à cet égard: en l’absence de critères communs pour l’autorisation de migrants économiques, un nombre croissant de ressortissants des pays tiers continueront à pénétrer dans l’UE de manière illégale, sans la moindre garantie d’obtenir un travail régulier – et dès lors de s’intégrer dans notre société. Une mise en garde claire: le trafic et peut-être la traite des êtres humains augmenteront si des initiatives appropriées ne sont pas prises.187 2. Une politique de contrôle au niveau national Malgré ces signaux, les gouvernements de nombreux Etats membres de l’UE ont poursuivi une politique migratoire restrictive en limitant les possibilités légales de migration et en renforçant les contrôles et les procédures. Dans les médias et au sein des cercles politiques, l’immigration (illégale) est souvent décrite comme une menace pour la souveraineté nationale: le contrôle que les Etats se doivent d’exercer sur leurs frontières est en effet sapé.188 L’intérêt qu’ont les pouvoirs publics à ce que les citoyens perçoivent la migration comme un phénomène “sous contrôle” ne peut être sous-estimé.189 De plus, une politique migratoire restrictive (“politique de contrôle”) cadre bien avec les efforts globaux consentis actuellement pour lutter contre le terrorisme. Il existe un consensus croissant pour dire qu’une politique de contrôle ne peut empêcher l’immigration illégale.190 La preuve évidente en est le nombre croissant d’entrées illégales dans différents pays de destination où une politique semblable a été menée. D’autre part, certains facteurs favorisant la migration, tels que la globalisation, les conflits armés et les inégalités économiques de plus en plus larges entre les différentes parties du monde, échappent aux interventions directes des pouvoirs publics. En d’autres mots, une politique de contrôle na pas d’impact sur les raisons fondamentales de l’immigration illégale. Les régimes de migration restrictifs semblent en outre inconciliables avec la libre circulation croissante des biens, des capitaux et des investissements étrangers.191 185 Le 20 mars 2000, le Conseil européen à Lisbonne a annoncé la stratégie visant à faire de l’UE l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde. 186 COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2003) 336 final, Immigration, integration and employment, Brussels, 3 June 2003. Voir aussi COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES COM(2004) 508 final, First annual report on migration and integration, Brussels, 16 July 2004 et COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2004) 4002 final, Area of Freedom, Security and Justice: Assessment of the Tampere Programme and future orientations, Brussels, 2 June 2004, 9-10; COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2005) 669 final, Policy Plan on Legal Migration, Brussels, 21 December 2005. 187 COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2004) 811 final, Green Paper on the management of economic migration: an EU approach, Brussels, 17 January 2005, 4. 188 GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migrants in the global labor market, September 2005, 10-11. 189 GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Irregular migration, state security and human security, September 2005, 11 (consultable via www.gcim.org). 190 GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migrants in the global labor market, September 2005, 14-15. 191 IOM, World migration 2005, 14. 59 Une politique migratoire restrictive est non seulement de plus en plus reconnue comme étant inefficace dans la lutte contre les migrations illégales, mais conduit en outre à une augmentation du trafic et de la traite des migrants. Le crime organisé se concentre sur tous les marchés présentant l’opportunité de faire du profit. Or, une politique migratoire restrictive est le terreau idéal pour un marché de l’immigration illégale. Une diminution des possibilités de migration légale, combinée à de puissants facteurs “push and pull” ont poussé des migrants à recourir à des moyens toujours plus désespérés pour migrer et les rendent du même coup plus vulnérables que jamais aux trafiquants d’êtres humains.192 3. Traite des êtres humains et lutte anti-immigration Il est incontestable que l’immigration illégale actuelle est encouragée en grande partie par la demande croissante de travailleurs migrants au sein de l’UE. Une politique migratoire qui répondrait à cette demande de manière rationnelle pourrait sensiblement réduire la nécessité pour les migrants de s’adresser à des trafiquants ou commerçants d’êtres humains. Malgré cela, la traite des êtres humains est souvent présentée comme une raison légitime de rendre cette politique anti-immigration plus sévère et répressive. Que la lutte anti-traite cache souvent une lutte anti-immigration est d’ailleurs explicitement reconnu et regretté par certains acteurs. La lutte contre la traite des êtres humains vise essentiellement à protéger des personnes de l’exploitation forcée ou contrainte. La préservation de la dignité humaine implique pour les autorités le droit et le devoir de combattre la traite des êtres humains par tous les moyens possibles. Une telle politique n’a en soi rien à voir avec la lutte contre l’immigration illégale qui est essentiellement dictée par le maintien d’intérêts nationaux.193 Qu’au sein de l’actuelle politique migratoire restrictive, la protection de la dignité humaine soit présentée comme une raison de fermer les frontières, n’est par conséquent guère convaincant.194 4. Nécessité d’une politique migratoire réfléchie et réaliste En d’autres mots, la lutte contre la traite des êtres humains fait partie intégrante de programmes anti-migratoires nationaux qui sont indubitablement dictés par la protection du bien-être de leur pays. Une telle politique, “mon intérêt d’abord”, est mystifiante à deux égards. D’abord, les immigrants arrivés clandestinement – alors que c’est soi-disant pour leur protection qu’on maintient une politique migratoire restrictive et répressive – en sont les principales victimes: en effet, ils n’en deviennent que plus exposés à une véritable exploitation, en conséquence d’une migration légale sans cesse plus difficile et du statut d’illégalité qui y est lié. Deuxièmement, au vu de la dépendance croissante de nos économies nationales à un apport de migrants économiques, une politique migratoire stricte constitue précisément une réelle menace pour notre bien-être – alors que pour le conserver, nos frontières sont maintenues bien fermées par la politique actuelle. 192 R eport of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 148. 193 GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migrants in the global labor market, Septembre 2005, 10. Voir également G. VERMEULEN, l.c., 3. 194 D’après J. DAVIES, l.c., 6. 60 T raite des ê tres h u mains et M i g ration Des raisons graves et suffisantes donc pour clouer au pilori la confusion entretenue de facto dans la politique actuelle entre la lutte contre l’immigration illégale et la lutte contre la traite des êtres humains. Il importe dès lors de plaider pour qu’on sépare les deux débats sur le plan politique. Il n’empêche qu’il faut réfléchir avec pondération à des mesures migratoires qui ne se contentent pas de répondre aux nécessités économiques et démographiques actuelles au sein de l’espace européen mais qui contribuent en même temps à la lutte anti-traite. D. Vers une politique migratoire plus souple dans la lutte contre la traite des êtres humains? 1. Un régime migratoire restrictif n’est pas une solution Un assouplissement de la politique migratoire ne constitue pas en soi la solution ultime à la traite des êtres humains. Il y a néanmoins de bonnes raisons pour qu’on entame au moins le débat sur la question et pour que la politique migratoire soit soumise à une évaluation critique. L’actuelle politique migratoire n’a en tout cas pas encore réussi à diminuer de manière sensible l’immigration illégale et la traite des êtres humains.195 La demande élevée de main d’œuvre étrangère n’a pas encore abouti dans la plupart des Etats membres de l’UE à un assouplissement du régime des migrations économiques. Le fait que de nombreux immigrants économiques considèrent leur immigration (éventuellement illégale) uniquement comme un épisode temporaire dans la quête de liberté et de sécurité personnelles est quasi entièrement ignoré. Autrement dit, une politique migratoire plus stricte a un effet contre-productif dans la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains, parce qu’elle ne tient pas compte de ‘l’agenda migratoire’ de nombreux immigrants économiques. Bien pire encore, en adoptant une telle politique, les autorités de beaucoup de pays de destination ont même encouragé l’exploitation de travailleurs migrants (illégaux). 2. Les avantages d’une politique migratoire plus souple dans la lutte contre la traite des êtres humains Une politique migratoire plus souple servirait l’intérêt des pays de destination. Des études récentes démontrent qu’un flux d’immigrants économiques sera nécessaire pour maintenir notre bien-être au même niveau. La demande existante de travailleurs migrants sera comblée par l’immigration illégale, à moins que les décideurs politiques ne maîtrisent ce processus de manière régulière.196 Autrement dit, l’immigration économique a non seulement le potentiel de maintenir notre prospérité à niveau mais pourrait aussi contribuer à la maîtrise des flux migratoires (illégaux) existants.197 Enfin, les migrants eux-mêmes auraient tout intérêt à bénéficier de plus de possibilités de migration. Le statut légal qu’ils se verraient offrir ainsi que la force contraignante de leurs droits diminueraient les ris- 195 GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migrants in the global labor market, September 2005, 3. 196 Anti-Slavery International, o.c., 13. 197 Voir entre autres la récente Résolution du Parlement européen du 26 octobre 2005 (COM(2004) 811). Voir également GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migrants in the global labor market, September 2005, 2 et GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Migration in an interconnected world: New directions for action, October 2005, 79-80 (consultable via www. gcim.org); “Legale migratie kan illegale terugdringen” Interview de Brunson Mckinley (IOM), De Standaard 30 janvier 2006, consultable viavia (www.standaard.be). 61 ques d’exploitation par des trafiquants. L’immigration économique peut donc apporter une contribution indirecte à la lutte contre l’exploitation d’immigrants illégaux dans l’économie au noir et la traite des êtres humains.198 Si l’argument d’une lutte anti-traite plus efficace ne suffit pas, l’argument économique finira sans nul doute par s’imposer et entraîner un assouplissement effectif de la politique migratoire. Conséquences logiques? Le crime organisé aura moins de prise sur le marché de l’immigration illégale et les immigrants bénéficieront d’une meilleure protection. Le plaidoyer en faveur d’une migration légale de main d’œuvre peut donc s’appuyer sur des considérations tant économiques (maintien de la prospérité) qu’humanitaires (lutte anti-traite). 3. Une approche progressive, élément de la solution En attendant, il faut dès à présent mettre fin à l’instrumentalisation de la traite des êtres humains, évoquée ci-dessus, aux fins de la politique migratoire. Plusieurs initiatives structurelles pourraient en outre être mises en œuvre dans le cadre de l’approche préventive de la traite des êtres humains pour faciliter l’accès aux canaux de migration légaux. Des campagnes d’information sur la migration légale de main d’œuvre seraient à cet égard plus judicieuses que les campagnes aux accents purement dissuasifs.199 La migration légale de main d’œuvre en soi n’offre évidemment pas de solution intégrale à la problématique de la traite des êtres humains. Des migrants légaux peuvent aussi devenir victimes de traite. On a dès lors tout autant besoin d’une politique migratoire transparente et régulée qui accorde suffisamment d’attention au statut et aux droits des travailleurs migrants et de leurs familles.200 L’exploitation de la main d’œuvre doit elle aussi faire l’objet d’une réglementation dans les secteurs où les travailleurs sont le plus exposés à l’exploitation.201 La migration n’est au fond rien d’autre qu’une réaction naturelle d’individus à différentes opportunités à l’intérieur ou à l’extérieur de frontières internationales. Reste à espérer que les décideurs politiques considèrent l’immigration comme une chance, non seulement au niveau économique ou démographique, mais aussi dans le cadre d’une lutte anti-traite plus intégrée. La majorité des acteurs interrogés sont convaincus de la nécessité d’ouvrir le débat relatif aux migrations et de réfléchir à une politique plus souple et plus claire en la matière, dans le cadre tant du trafic que de la traite des êtres humains. 198 Résolution du Parlement européen du 26 octobre 2005 (COM(2004) 811). Voir également Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 65. 199 GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (GCIM), Irregular migration, state security and human security, September 2005, 27. 200 En ce qui concerne le statut des travailleurs migrants, on pourrait déjà œuvrer à la ratification de la Convention des Nations Unies sur la Protection des Droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990). Cette convention constitue la norme internationale la plus complète en matière de travailleurs migrants. Dans le prolongement des principes des Conventions ILO n° 97 (1949) et 143 (1975) et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, cette Convention s’efforce “to extend human rights law to all migrant workers and their families throughout the entire migration process” et “to prevent and eliminate the clandestine movements and trafficking in migrant workers and the employment of migrants in an irregular situation”. 201 V oir Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 149-151. 62 T raite des ê tres h u mains et M i g ration E. Conclusion La politique tant nationale qu’internationale en matière de lutte anti-traite consacre jusqu’à présent fort peu d’attention à la problématique des migrations. Dans le volet préventif de la politique belge intégrée en matière de traite des êtres humains, seules quelques initiatives s’attaquent aux causes structurelles de la problématique. Ces mesures se sont jusqu’à présent limitées en grande partie au lancement de campagnes de sensibilisation dans les pays d’origine, de transit et de destination. Il n’est pas encore question d’un véritable impact du débat actuel en matière de migration sur la politique anti-traite belge. Et ce malgré des indications claires et indiscutables que les deux phénomènes sont étroitement liés. Au niveau européen, on observe une forte tendance à mener une politique migratoire plus réaliste. La demande d’assouplissement de la politique migratoire – telle qu’elle a été menée ces dix dernières années – se fait de plus en plus insistante, pour diverses raisons. Une lutte plus efficace de la traite des êtres humains en est une. Une évaluation de la politique dans la plupart des Etats membres montre qu’en réalité, on est loin du résultat escompté. Une politique migratoire plus répressive et plus restrictive est présentée au public comme étant nécessaire pour poursuivre plus facilement les trafiquants d’êtres humains et mieux protéger les victimes de la traite des êtres humains. Les effets néfastes d’une telle politique n’attirent pour ainsi dire pas l’attention des médias, mais se font d’autant plus ressentir sur le terrain. Les problématiques de l’immigration illégale et de la traite des êtres humains ne peuvent être mis sur pied d’égalité. On ne peut donc mélanger les politiques relatives à ces deux phénomènes. Néanmoins, des mesures migratoires ont le pouvoir de réduire substantiellement la traite des êtres humains, d’une part en élargissant les possibilités de migration de main d’œuvre légale et d’autre part en améliorant de manière structurelle les droits sociaux et humains des immigrants dans les pays d’accueil. Au niveau européen, de telles mesures sont stimulées depuis un certain temps déjà. 202 Un argument plausible donc pour réduire la vulnérabilité des immigrants à l’exploitation par des personnes/organisations criminelles et pour apporter une contribution positive dans la lutte anti-traite actuelle. 202 V oir les documents susmentionnés tels que le Livre vert de la Commission européenne de 2004 et la Résolution du Parlement européen du 26 octobre 2005. Voir également la ‘Déclaration de Bruxelles’ qui a été élaborée en septembre 2002 dans le cadre de la Conférence européenne sur la Prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre celle-ci. On y stipulait déjà explicitement que “l’élaboration d’une politique migratoire plus large peut sensiblement contribuer à réduire et à prévenir la traite des êtres humains”. 63 64 VI. Une nouvelle approche des victimes de la traite des êtres humains? A. Les droits de l’homme: un critère fondamental La traite des êtres humains est une problématique complexe dont l’approche peut être appréhendée sous des angles différents. Au niveau international se profile ces dernières années une nette tendance à considérer le critère de la protection des droits de l’homme comme prioritaire dans la politique en la matière.203 Une telle approche suppose qu’au fond la traite des êtres humains constitue une cause et une conséquence de violations des droits de l’homme. Le Groupe d’experts Traite des êtres humains considère l’intégration de la perspective des droits de l’homme comme fondamentale pour le développement d’une approche efficace de la traite des êtres humains.204 Ce consensus au niveau international ne se reflète pas encore dans la politique de la plupart des Etats, où les victimes font l’objet d’une attention relativement limitée – comparativement en tout cas à l’importance accordée à l’aspect répressif. Lorsqu’il est question dans les documents politiques nationaux de prise en charge des victimes, celle-ci est presque automatiquement couplée à la collaboration avec les autorités judiciaires. La disparité entre l’importance accordée au niveau international à la perspective des droits de l’homme et le rôle marginal qu’une telle approche humanitaire occupe dans la politique nationale en matière de traite des êtres humains constitue le point de départ d’un débat sur une éventuelle nouvelle approche des victimes de la traite des êtres humains. Le récent avant-projet de loi de transposition de la directive européenne du 29 avril 2004 relative au titre de séjour des victimes de traite des êtres humains donne à ce débat une dimension supplémentaire dans la mesure où cet avant-projet ne semble pas tenir compte en priorité de cette dimension humanitaire. L’analyse de l’avant-projet constitue un des points principaux de cette cinquième partie: une bonne approche des victimes est en effet considérée comme le pivot d’une politique intégrée en matière de traite des êtres humains et la loi de transposition est fondamentale pour la protection et le traitement futurs des victimes de la traite des êtres humains en Belgique. 203 Tant au niveau des Nations Unies (voir entre autres UNITED NATIONS, General Assembly Resolution A/RES/55/25, Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons, especially Women and Children, Supplementing the United Nations Convention Against Transnational Organized Crime, 2005; UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS, Recommended Principles and Guidelines on Human Rights and Human Trafficking, New York and Genève, 2002), du Conseil de l’Europe (voir COUNCIL OF EUROPE, Convention on Action against Trafficking in Human Beings, Council of Europe Treaty Series, No. 197, 2005), qu’au niveau de l’UE (la récente communication de la Commission européenne et le plan d’action de l’UE pour la lutte contre la traite des êtres humains, entre autres, reconnaissent expressément l’importance d’une approche axée sur les droits de l’homme et les victimes (COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES, COM(2005) 514 final, Brussels, 18 October 2005, Fighting trafficking in human beings - an integrated approach and proposals for an action plan; COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION, OJ C 311, Brussels, 9 December 2005, EU action plan on best practices, standards and procedures for combating and preventing trafficking in human beings)). 204 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 137. 65 B. Les points essentiels du débat 1. Le devoir de collaboration de la victime Le nœud de la discussion réside dans la question de savoir si l’octroi du statut spécial de victime205 (et la protection, l’accueil et le séjour légal temporaire ou permanent qui en découlent) doit ou non dépendre de la collaboration de la victime avec les autorités judiciaires. a. Le modèle belge: quid pro quo En Belgique, la coopération avec la justice est une condition obligatoire pour obtenir le statut de protection; la délivrance et la prolongation des différents titres de séjour dépendent de l’évolution de la procédure judiciaire. Ce système dit quid pro quo fait toujours office de modèle équilibré et acceptable au sein de l’UE. On justifie un tel modèle en disant qu’il faut trouver un compromis entre d’une part le volet humanitaire (protection et accueil des victimes) et d’autre part le volet répressif (recherche, poursuite et répression des auteurs) sous la forme d’une collaboration avec la justice, par le biais de déclarations ou le dépôt d’une plainte contre les auteurs. La récente directive européenne en la matière prévoit elle aussi l’octroi de titres de séjour provisoires en échange d’une collaboration de la victime.206 La directive européenne veillera en outre à ce que tous les Etats membres de l’UE disposent dans un futur proche d’un règlement similaire en guise de norme minimale (la directive doit être transposée dans la législation nationale de chaque Etat membre pour le 6 août 2006 au plus tard). Comparativement aux recommandations passées, cela représente indubitablement une importante avancée au niveau européen. D’autres voix se font pourtant entendre. b. Le modèle “social” italien Le modèle italien prévoit par exemple la possibilité d’octroyer un permis de séjour pour raisons humanitaires aux victimes qui prennent part à un “Programme d’Assistance sociale et d’Intégration” (appelés ‘projets article 18’). La délivrance de ce permis de séjour spécial n’implique pas nécessairement une coopération directe de la victime avec les autorités judiciaires. Dans cette ‘option sociale’, la victime n’est donc pas obligée de formuler des accusations à l’encontre de ses exploitants, mais est tout de même censée fournir un minimum d’informations aux services de police.207 c. Le Groupe d’experts Traite des êtres humains: dissociation complète L’écho le plus novateur provient sans aucun doute du Groupe d’experts Traite des êtres humains de la Commission européenne dans son rapport final de décembre 2004. L’idée centrale est qu’une victime de la traite des êtres humains est en fait une victime de violations des droits humains fondamentaux. Ce fait à lui seul implique déjà un statut de protection spécifique et doit dès lors être totalement dissocié de toute forme de collaboration obligatoire avec les autorités judiciaires, et ce pour éviter toute forme d’instrumentalisation de la victime. 205 Pour une description de ce statut, voir ci-dessus, 47-48. 206 Voir article 8 de la directive européenne (COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION, OJ L 261, Brussels, 6 August 2004, Directive of 29 April 2004 on the residence permit issued to third-country nationals victims of trafficking in human beings or to third country nationals who have been subjects of an action to facilitate illegal immigration and who cooperate with the competent authorities). 207 Voir CECR, Rapport Traite des êtres humains. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, 48-49. 66 A PP R O CH E D E S V I C T I M E S En résumé, ce modèle prévoit (1) une période de réflexion de trois mois, (2) la délivrance d’un permis de séjour temporaire et renouvelable d’au moins six mois, indépendamment d’une éventuelle collaboration avec les autorités judiciaires et indépendamment du fait que les exploitants soient poursuivis, combinée à un encadrement maximal des victimes, (3) la délivrance d’un titre de séjour de longue durée ou permanent dans le cadre d’une régularisation pour des raisons humanitaires, par le biais de la procédure d’asile ou sur la base de la réussite d’un parcours d’intégration et (4) la possibilité d’un retour accompagné dans le pays d’origine.208 2. Identification et détection des victimes Un deuxième élément crucial dans le débat relatif aux victimes est la détection et l’identification des victimes. Le modèle belge met fortement l’accent sur la collaboration dynamique entre tous les acteurs concernés pour la détection, l’identification et l’orientation des victimes vers les services d’aide spécialisés. Le Groupe d’experts Traite des êtres humains plaide lui aussi dans son rapport final pour une formation poussée et continue de tous les services de première ligne qui peuvent être en contact avec des victimes de la traite des êtres humains.209 L’interview des acteurs montre clairement que l’identification et l’orientation des victimes de la traite des êtres humains en Belgique sont perfectibles. D’éventuelles victimes ne sont pas traitées de la même manière par les différents services de première ligne, sans raison claire à cette différence de traitement. Les mêmes éléments ressortent des travaux du groupe de travail ad-hoc “Octroi du statut et délivrance des documents de séjour à des victimes de la traite des êtres humains”.210 Il n’y a pas d’orientation automatique et immédiate par les services de police (par ex. parce que la personne ne se considère pas comme une victime), même lorsqu’on suspecte qu’il s’agit d’une victime. Concernant l’information de la victime sur l’existence et le fonctionnement du statut de victime, certains services de police ne disposent d’aucunes instructions. La manière dont l’audition se déroule et les déclarations concrètes de la victime déterminent s’ils le proposent ou non à la victime. C. Evaluation de l’approche actuelle des victimes 1. Dissocier devoir de coopération et droit de séjour: pour et contre Le système quid pro quo représente en Belgique l’essence même du statut de protection pour les victimes de traite des êtres humains. L’ensemble du système repose sur l’idée qu’on renforce la lutte anti-traite en octroyant un titre de séjour aux victimes de traite qui collaborent avec les autorités judiciaires et contribuent de ce fait à la poursuite des auteurs présumés des violations. La possibilité d’obtenir un titre de séjour n’est pas considérée comme un droit fondamental mais comme un incitant destiné à motiver les victimes à faire des déclarations ou à porter plainte, une sorte de troc donc. 208 R eport of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 105-108 et 171-176 209 Ibid., 104, recommandations 90 et 92. L’importance d’une détection et d’une orientation rapides des victimes de la traite des êtres humains est également clairement soulignée dans le récent plan d’action de l’UE: l’annexe propose toute une série de mesures destinées à faciliter une détection rapide. 210 La création, la composition et le mandat de ce groupe Ad-hoc spécifique trouvent leur origine dans la décision du 27 janvier 2005 de la Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains. 67 Le système quid pro quo s’efforce d’équilibrer l’intérêt des autorités à enregistrer des interventions judiciaires réussies contre les trafiquants (l’exploitation sexuelle surtout bénéficiant de beaucoup d’attention de la part des médias) et la protection des victimes elles-mêmes. Ce qui semble en soi un compromis logique et un choix équilibré. a. Objections à une éventuelle dissociation La majorité des acteurs interviewés plaident pour le maintien du système actuel, qu’il s’accompagne ou non d’un assouplissement des conditions (notamment en ce qui concerne les mineurs non-accompagnés ou une éventuelle prolongation de la période de réflexion jusqu’à 60 jours par ex.). Seule une petite minorité est convaincue de la plus-value d’une dissociation totale entre statut de protection et coopération obligatoire. Un objection souvent évoquée est la crainte de voir sensiblement augmenter le nombre de plaintes par de fausses victimes ainsi que le nombre de fausses déclarations. D’après les acteurs, le système actuel fonctionne ‘proprement’ grâce à une bonne collaboration entre les trois ‘filtres’ (services de police, parquets et les centres d’accueil spécialisés). On craint qu’une séparation n’entraîne un usage abusif du statut de victime, ce qui dévaloriserait le système.211 b. Des objections à nuancer D’abord, la crainte d’un afflux de fausses victimes en cas de coopération non-obligatoire avec la justice est davantage une présomption qu’une donnée empirique. Une collaboration forcée avec la police et les autorités judiciaires (en échange de documents de séjour) pourrait également donner lieu à des déclarations inexactes et fausses, ce qui risquerait d’entraîner un recours abusif au statut de victime.212 Qui plus est, rien ne dit que la bonne collaboration entre les services de police, les parquets et les centres d’accueil ne pourrait pas fonctionner aussi comme un filtre efficace dans un système sans coopération obligatoire de la victime. La qualité accrue de la détection et de l’identification peut en outre rendre ce filtre encore plus efficace. c. Conclusion: un point de départ fondamentalement différent Sans se prononcer sur la supériorité de l’un ou l’autre système - en termes d’intervention judiciaire réussie et de protection efficace des victimes – le fait est que les deux systèmes partent d’une vision fondamentalement différente. Alors que le système actuel tente d’obtenir la coopération des victimes par des promesses de séjour temporaire ou permanent, l’autre système tente de dissocier ces deux éléments et de promouvoir une relation de confiance graduelle avec la victime. Selon cette piste, les victimes de la traite des êtres humains doivent avoir la certitude préalable qu’ils peuvent en tout cas compter sur le soutien et la protection des autorités. En offrant à la victime une protection de base et en gagnant progressivement sa confiance, les chances que cette dernière fasse des déclarations (correctes) et fournissent des preuves à l’encontre de ses exploitants ne peuvent que croître. La protection des victimes peut de cette manière devenir la pierre d’angle d’une politique efficace de poursuite des trafiquants d’êtres humains.213 Choisir un des différents systèmes revient en fait à poser un choix moral. Dans cette optique, on ne peut nier que la piste de la dissociation est plus conciliable avec la perspective des droits de l’homme, considérée comme prioritaire au niveau international.214 211 Le même commentaire ressort des activités du Groupe de travail Ad-hoc “Octroi du statut et délivrance de documents de séjour à des victimes de la traite des êtres humains”. 212 Report of the Experts Group on Trafficking in Human Beings, 100-101, 171-172. 213 Ibid., 141 et 172. 214 Voir note 202 68 A PP R O CH E D E S V I C T I M E S 2. La loi du 15 septembre 2006 transposant la directive européenne relative au permis de séjour pour les victimes de traite des êtres humains Une dissociation du statut de protection et de la coopération obligatoire semble mieux correspondre à l’approche ‘droits de l’homme’ de la lutte anti-traite. Les centres d’accueil et le CECR soutiennent pourtant le maintien du système actuel. Bien qu’ils reconnaissent que la directive européenne implique un certain risque d’instrumentalisation215 et insistent sur le fait que l’aspect accompagnement doit être au moins aussi important, voire plus important que l’aspect policier et judiciaire, ils ne suivent pas la recommandation du Groupe d’experts Traite des êtres humains sur ce point.216 En guise de compensation au risque d’instrumentalisation, ces acteurs espèrent que la transposition de la directive européenne dans le droit belge fera un usage maximal de la possibilité qui est offerte aux Etats membres d’élaborer une réglementation plus favorable pour les personnes visées par cette directive.217 L’analyse ci-après montre dans quelle mesure la nouvelle loi a répondu ou non à ces attentes. a. L’instrumentalisation de la victime n’a pas disparu D’après le nouvel article 61/3, § 2 de la Loi sur les étrangers, la prolongation unique de la déclaration d’arrivée (DA) n’est possible que “si c’est nécessaire pour l’enquête ou si le Ministre ou son délégué juge, compte tenu des éléments du dossier, que c’est opportun”. De plus, la victime ne peut bénéficier d’un séjour de six mois (inscription provisoire au registre de la population) que si le Procureur du Roi ou l’auditeur du travail (entre autres) confirment “que l’enquête ou la procédure judiciaire est toujours en cours et que l’étranger manifeste une volonté claire de coopération” (nouvel article 61/4 § 1 de la Loi sur les étrangers). De telles formulations présentent un risque d’instrumentalisation. Dans la pratique, la coopération d’une victime avec les autorités judiciaires se réduit en effet à formuler plusieurs déclarations, à identifier des bâtiments ou des personnes ou à d’éventuelles confrontations avec des auteurs – des devoirs d’enquête qui sont en général exécutés à un stade précoce de la procédure judiciaire. Une telle réglementation offre peu de sécurité et ne rend pas la procédure vraiment intéressante pour les victimes. La loi ne tient dès lors pas entièrement compte de l’approche humanitaire primaire des victimes de la traite des êtres humains, telle qu’elle est de plus en plus encouragée au niveau international. b. La procédure STOP n’a pas de base légale Un deuxième point fait défaut dans la loi, alors que les acteurs sur le terrain le réclament depuis tout un temps: la procédure STOP officieuse n’est pas reprise dans la réglementation légale. c. Preuve obligatoire d’identité Tout aussi problématique est le fait que la victime doit essayer de prouver son identité (en présentant son passeport ou un titre de voyage en tenant lieu ou sa carte d’identité nationale) avant de pouvoir 215 L’article 8 de la directive stipule que pour la délivrance et la prolongation de documents de séjour à des victimes de la traite des êtres humains, les Etats membres peuvent examiner dans quelle mesure la présence des intéressés sur le territoire est nécessaire ou utile pour l’enquête judiciaire. 216 CECR, Rapport Traites des êtres humains. La politique belge en matière de traite des êtres humains: ombres et lumières, novembre 2005, 58. 217 Voir article 4 de la directive européenne. 69 prétendre à des documents de séjour temporaire (nouvel article 61/3, § 4). De nombreuses victimes ne sont cependant pas en possession de tels documents et les ambassades ne sont pas toujours disposées à délivrer une preuve de nationalité. d. Les ressortissants des pays de l’UE bénéficient aussi de la nouvelle législation Un point positif est que le nouveau statut de protection peut s’appliquer tant à des ressortissants des Etats membres de l’UE qu’à des ressortissants de pays tiers.218 Un autre problème se pose pour les victimes en provenance des nouveaux Etats membres de l’UE. D’après la loi, le nouveau statut de protection s’applique uniquement aux victimes issues de pays extérieurs à l’UE. Or, les victimes originaires des nouveaux Etats membres (Polonais, Tchèques et bientôt aussi Roumains et Bulgares) viennent en tête des statistiques des centres d’accueil. Ces derniers temps surtout, les victimes issues des nouveaux Etats membres et Etats candidats sont plus nombreuses. e. Les victimes du trafic des êtres humains sont prises en compte Un point positif est le fait que la réglementation prévue peut aussi être invoquée par des victimes du trafic des êtres humains dans certaines circonstances aggravantes (à savoir celles visées à l’article 77quater 1°, en ce qui concerne uniquement les mineurs non accompagnés, à 5°). La directive européenne permet explicitement d’octroyer des titres de séjour aussi aux victimes du trafic d’êtres humains en échange d’une coopération avec la justice. La loi ratifie ainsi la pratique actuelle selon laquelle les victimes de formes graves de trafic d’êtres humains peuvent également faire appel au statut de protection traite des êtres humains. Bien qu’il s’agisse effectivement de deux phénomènes fondamentalement différents requérant une approche différente, le fait est que la traite et le trafic des êtres humains se déroulent souvent dans des circonstances similaires et présentent un risque pour la santé et la vie des victimes.219 f. Conclusion Une analyse du texte de la loi du 15 septembre 2006 qui transpose la directive UE en matière de séjour (entre autres) dans le droit national aboutit à la constatation que les possibilités pour des victimes de la traite des êtres humains d’obtenir un séjour légal en Belgique n’ont pas vraiment progressé. L’(intérêt de l’)enquête judiciaire reste un critère prioritaire pour permettre à une victime de séjourner ou non sur le territoire belge et d’éventuellement lui offrir une chance d’intégration. Le texte initial de l’avant-projet témoignait d’une instrumentalisation excessive. Après avoir essuyé de sérieuses critiques de divers côtés220, le texte a été adapté sur certains points, ce dont on ne peut que se réjouir. Néanmoins, le texte définitif, comparativement à la pratique existante, n’offre pas vraiment de plus-value pour les victimes de la traite ou des formes graves de trafic des êtres humains. En transposant la directive européenne, qui résulte en partie des efforts de la Belgique en la matière, la Belgique ne confirme donc pas sa position de pionnière au sein de l’UE. 218 P rojet de loi modifiant la Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, Doc. parl. Chambre 2005-2006, n° 2478/28. 219 C et argument a d’ailleurs été avancé par l’Exposé des motifs de la nouvelle loi sur la traite des êtres humains du 10 août 2005 pour justifier l’alignement des peines et des circonstances aggravantes pour le trafic et la traite des êtres humains (supra, 25 et note 52). 220 V oir entre autres le commentaire de Paolo De Francesco du CECR:“Dit wetsontwerp druist in tegen de filosofie van het huidige beschermingsmodel. België was een voorbeeld in Europa, nu draaien we de klok vijften jaar terug”, extrait de “Slachtoffer mensenhandel slechter beschermd”, De Standaard, 24-25 décembre 2005. 70 A PP R O CH E D E S V I C T I M E S 3. La Loi du 10 août 2005 et la protection de la victime a. Conséquences de la modification de la définition de la traite des êtres humains La nouvelle loi Traite des êtres humains du 10 août 2005 exerce elle aussi une influence sur l’approche des victimes. Nous avons déjà souligné l’importance d’une détection et d’une identification rapide et efficace pour une protection effective des véritables victimes. L’identification de victimes potentielles par les services de première ligne sur le terrain est étroitement liée à la définition légale de la traite des êtres humains. La nouvelle définition de la traite des êtres humains, plus vaste, peut poser des problèmes à cet égard. En regroupant plusieurs nouvelles formes d’exploitation sous le dénominateur traite des êtres humains d’une part et en laissant tomber le critère de contrainte pour la plupart des formes d’exploitation d’autre part, le risque existe que des personnes tentent à tort de faire usage du statut de victime et que celui-ci soit dès lors vidé de sa substance. En abandonnant l’élément de contrainte dans la définition de la traite des êtres humains, le danger existe en outre que la distinction entre traite et trafic des êtres humains s’estompe et qu’on poursuive essentiellement des formes de trafic d’êtres humains (celles-ci sont non seulement plus faciles à démontrer mais les peines et les circonstances aggravantes sont de toute façon les mêmes que pour la traite des êtres humains).221 Il va sans dire que cette évolution est néfaste pour les véritables victimes de la traite des êtres humains qui, dans la pratique, risquent de passer davantage inaperçues et pourront dès lors moins prétendre au statut de victime. Cette préoccupation est partagée par la majorité des acteurs interrogés: il faudra établir plus clairement qui sera considéré comme victime de la traite des êtres humains et qui aura droit au statut spécial ainsi qu’à l’accueil et à l’accompagnement qui le complètent. Il importe surtout d’éclaircir dans quelle mesure les victimes des nouvelles formes d’exploitation peuvent faire appel au statut spécial et aux centres d’accueil spécialisés. La question se pose également de savoir si les centres d’accueil auront la possibilité – vu leur capacité d’accueil limitée – d’accueillir et d’accompagner toutes ces nouvelles catégories de victimes.222 b. Le fardeau de la preuve en matière de traite des êtres humains et la protection de la victime Aux dires des acteurs interrogés, la disparition du critère de contrainte est accueillie favorablement surtout par les services de police et les parquets. De moins en moins de victimes se sentent en effet victimes et souhaitent coopérer avec les autorités judiciaires dans le cadre d’une procédure pénale contre leurs exploitants, alors que les déclarations des victimes revêtent encore une importance essentielle pour obtenir une condamnation dans le cadre d’un dossier de traite des êtres humains, surtout en ce qui concerne la preuve de contrainte ou de privation de liberté. Force est de constater que la nouvelle loi sur la traite des êtres humains répond en grande partie aux problèmes de preuve du Ministère public dans les dossiers de traite des êtres humains. Du fait de l’absence du critère de contrainte, on fera en effet toujours moins appel à la bonne volonté des victimes à collaborer. Reste à savoir si cette option n’aura pas un effet néfaste pour les victimes elles-mêmes. 221 V oir supra, 25 (note 52) 222 C ’est le cas en particulier pour des victimes de nationalité belge. D’après la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, des Belges peuvent aussi être victimes de traite. Rien ne précise cependant si les centres d’accueil doivent accueillir et accompagner ces personnes aussi (qui ont déjà un lieu de séjour fixe dans le pays). 71 Le consensualisme croissant parmi les victimes est un fait. En outre, les victimes qui ne sont pas d’emblée disposées à coopérer avec la police sont presque immédiatement rapatriées (si elles n’ont pas déjà disparu) en raison d’une application rigide de la procédure. Les déclarations des victimes restent néanmoins indispensables pour se faire une idée correcte de la vérité dans un dossier de traite des êtres humains et pour appréhender et poursuivre certains auteurs. Une simple adaptation de la définition de la traite des êtres humains en fonction des problèmes de preuve du Ministère public, qui permet de condamner plus facilement des personnes pour traite d’êtres humains sans l’aide des victimes, semble dès lors problématique et méconnaît les facteurs susceptibles d’expliquer pourquoi les victimes sont moins enclines à coopérer. Une approche alternative des victimes (dans le sens de la proposition du Groupe d’experts Traite des êtres humains, à savoir par le biais de l’élaboration d’une relation de confiance entre les services et la victime) semble dès lors indiquée pour obtenir une réelle coopération de la victime et arriver donc plus facilement à une preuve du chef d’accusation traite des êtres humains. L’édulcoration continue de la charge de la preuve en matière de traite des êtres humains augmente non seulement le risque de condamnations injustes mais peut finalement compromettre la protection des véritables victimes. Si la coopération des victimes n’est plus nécessaire pour engranger des succès judiciaires, il y aura aussi moins de raison d’offrir aux victimes, via le système quid pro quo, accueil, accompagnement et possibilités d’intégration. D. Conclusion L’approche des victimes de la traite des êtres humains est un thème complexe et particulièrement sensible. L’importance d’un accueil et d’une protection efficace des victimes est mis en balance avec la poursuite performante des trafiquants d’êtres humains. Jusqu’à présent, le modèle belge en matière de protection des victimes reposait sur un compromis entre ces deux intérêts. La discussion relative à une éventuelle dissociation du statut de victime de la coopération obligatoire avec les autorités judiciaires est cependant toujours d’actualité. La différence d’approche entre les deux systèmes réside essentiellement dans le fait de garantir ou non une protection adéquate, indépendamment de la coopération avec la justice et de donner la priorité ou non à une relation de confiance entre la victime et les instances publiques. La dissociation proposée de plusieurs côtés répond en tout cas à la tendance récente au sein de divers forums internationaux de premier plan à faire primer l’aspect humanitaire dans l’approche de la traite des êtres humains. Dans le droit fil de cette approche ‘droits de l’homme’, il importe en tout cas de débattre des conditions d’octroi des titres de séjour. Notons un point tout de même non négligeable à ce propos: la norme internationale par excellence en la matière, le Protocole Traite des êtres humains des Nations Unies, ne fait pas mention d’une coopération obligatoire des victimes avec les autorités judiciaires en échange de titres de séjour. La détection et l’identification précoces des victimes est essentielle pour une politique efficace en matière de traite des êtres humains. Les initiatives nécessaires sont prises au niveau européen pour améliorer l’identification des victimes de traite au sein de l’UE. L’interview des acteurs sur le terrain montre clairement que des améliorations sont nécessaires en Belgique dans ce domaine. Des directives claires pour tous les services de première ligne, de manière à adopter une approche uniforme de toutes les victimes (potentielles), et une orientation automatique des victimes vers les centres d’accueil spécialisés, sont quelques-uns des principaux objectifs en la matière. Enfin, il n’est pas certain que la nouvelle définition 72 A PP R O CH E D E S V I C T I M E S de la traite des êtres humains facilite une identification rapide des véritables victimes, d’une part en regroupant davantage de formes d’exploitation sous le dénominateur traite des êtres humains et d’autre part en laissant tomber l’aspect contrainte. La récente loi transposant la directive européenne relative aux règles de séjour pour les ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou qui ont reçu de l’aide dans le cadre d’une immigration illégale donne désormais une base légale au modèle belge en matière d’approche des victimes. Des instruments internationaux récents en matière de lutte contre la traite des êtres humains soulignent toujours davantage l’importance d’une approche axée sur les droits de l’homme. Or, d’après le texte de la nouvelle loi, c’est maintenant l’approche utilitaire contraire qui est formellement inscrite dans le système juridique belge. 73 VII. Conclusions et recommandations A. La description légale de la traite des êtres humains Par la Loi du 10 août 2005, la législation belge en matière de traite des êtres humains a été adaptée aux normes existantes au niveau international, en réponse à la demande sur le terrain d’une amélioration de l’appareil légal pour la lutte anti-traite. 1. Une définition pénale explicite La loi apporte une clarification importante au niveau de la définition de la traite des êtres humains, qui pour la première fois se voit dotée d’une description pénale autonome (articles 433quinquies à 433nonies du Code pénal). g Pour rendre le cadre légal en matière de traite des êtres humains encore plus logique et plus clair, la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains ne devrait plus considérer les articles 379 et 380 du Code pénal comme des formes de traite des êtres humains. 2. Un champ d’application élargi La loi élargit considérablement le champ d’application de la traite des êtres humains. Est désormais punissable, non seulement la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail et du prélèvement et de la transplantation d’organes et de tissus, que la victime soit belge ou étrangère. g Le contenu de la notion d’exploitation sexuelle pourrait encore être étendu à l’exploitation dans la pornographie adulte (conformément aux définitions internationales et européennes), à côté du contenu existant d’exploitation de la débauche ou de la prostitution (articles 379 et 380, § 1 et 4 du Code pénal) et de la pornographie enfantine (article 383bis, § 1 du Code pénal). g L’extension de la définition légale de la traite des êtres humains à l’exploitation de la mendicité ou de personnes afin de commettre un crime ou un délit est en fait superflue et n’ajoute aucune plus-value dans la lutte anti-traite. Ces deux cas devraient donc être retirés de la définition légale de la traite des êtres humains. g Une définition précise au sein de la loi de la notion de “dignité humaine” (voir article 433quinqies, § 1, 3°) contribuerait à une notion plus claire de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation économique et pourrait éviter des problèmes de preuve et d’interprétation en la matière. g Malgré la description plus large de la traite des êtres humains, il importe de veiller à ce que la lutte anti-traite reste axée sur les vrais cas d’exploitation et ne soit pas utilisée pour s’attaquer plus fermement à des formes indésirables (non-exploitantes) de criminalité. 75 g Dans la nouvelle circulaire sur la politique de recherches et de poursuites en matière de traite d’êtres humains, il faudrait stipuler que les autorités judiciaires, nonobstant les modifications apportées à la loi, doivent tout de même donner la priorité aux cas d’exploitation forcée ou contrainte. 3. Une distinction plus claire avec le trafic des êtres humains C’est la première fois que la législation belge fait une distinction claire entre les phénomènes de traite et de trafic d’êtres humains: la traite des êtres humains est en effet incriminée uniquement dans le Code pénal tandis que l’incrimination du trafic des êtres humains se limite à la Loi sur les étrangers. g Pour ne pas réduire à néant la distinction faite par la loi entre traite et trafic des êtres humains, l’élément contrainte ou privation de liberté devrait à nouveau être ajouté à la définition légale de la traite des êtres humains, conformément aux définitions internationales et européennes en la matière. g Afin d’intégrer la différence réelle entre traite et trafic des êtres humains dans la pratique aussi, la loi devrait prévoir des peines différentes pour les deux délits de base. g Afin d’éviter le maintien de facto entre la traite et le trafic des êtres humains, les compétences des principaux organes politiques (la Cellule interdépartementale de coordination, le Centre d’Information et d’Analyse et le Centre pour l’égalité des chances et pour la lutte contre le racisme) devraient être limitées à la lutte anti-traite et aux formes de trafic des êtres humains s’accompagnant de contrainte ou d’abus (et ne devrait donc pas s’étendre à la variante entièrement consensuelle de trafic des êtres humains visée à l’art. 77bis de la Loi sur les étrangers). 76 CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS B. L’approche intégrale de la traite des êtres humains Ces dix dernières années, la Belgique a œuvré à une approche intégrale et intégrée de la traite des êtres humains. La prévention de la traite des êtres humains constitue à cet égard une des priorités de la politique. Cette approche préventive s’intéresse d’une part aux causes structurelles du phénomène (par ex. via le soutien financier à des campagnes de sensibilisation et de prévention en matière de traite des êtres humains). D’autre part, le volet relatif au droit social et administratif de la lutte anti-traite a été considérablement renforcé ces dernières années. g Dans le cadre d’une approche préventive de la traite des êtres humains, des campagnes d’information sur la migration légale de main d’œuvre dans les pays d’origine devraient remplacer les campagnes aux fins purement dissuasives. g Dans le cadre d’une approche préventive de la traite des êtres humains, il importe d’élargir les possibilités de migration de main d’œuvre légale et d’améliorer les droits sociaux et humains (statut) des immigrants, ce qui pourrait contribuer à diminuer sensiblement leur vulnérabilité à l’exploitation et à la traite des êtres humains. Au sein du volet social, des mesures ont été prises en vue de lutter contre la fraude sociale et le travail au noir, par le biais notamment d’une meilleure collaboration entre les différents services d’inspection et une meilleure protection des travailleurs étrangers (stagiaires, jeunes au pair, artistes de cabaret,…). Au sein du volet administratif, d’importantes mesures ont été prises en matière de mariage (tant en ce qui concerne les mariages de complaisance que le secteur des agences matrimoniales) et contre le recours abusif aux canaux de migration légaux. L’approche pénale de la traite des êtres humains s’est considérablement enrichie, tant grâce à l’extension des instruments légaux permettant de réprimer la traite des êtres humains et le crime organisé que grâce au renforcement de la fonction répressive des mesures de droit social et administratif. g Au sein de la politique intégrée en matière de traite des êtres humains, le volet pénal ne devrait être utilisé que comme remède ultime. Les mesures adoptées sur le plan du droit social et administratif ne doivent remplir dans un premier temps qu’une fonction purement préventive. 77 C. La coordination de la lutte contre la traite des êtres humains 1. Au niveau national Des efforts considérables ont été consentis ces dernières années pour améliorer la coordination entre les différents acteurs concernés par la lutte contre la traite des êtres humains. On a créé une structure de coordination permanente, la Cellule interdépartementale de coordination, un modèle d’approche intégrée du phénomène, puisque la cellule regroupe des acteurs venant des instances les plus diverses. L’Arrêté Royal du 16 mai 2004 a confirmé et renforcé le rôle de coordination de la cellule. g Il importe de se demander si la fonction et la composition actuelles de la Cellule interdépartementale de coordination permettent de mettre en œuvre une politique de coordination efficace de tous les acteurs sur le terrain. g Les principaux objectifs à poursuivre sont la promotion d’un bon échange d’information, compte tenu des différentes finalités des divers acteurs, et d’autre part la dynamisation de la structure de coordination par une bonne gestion (stratégique) des informations. L’Arrêté Royal du 16 mai 2004 a clairement défini le rôle de coordination du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Le CECR est désormais explicitement compétent pour la stimulation, la coordination et le suivi de la politique en matière de trafic et de traite des êtres humains, la coordination et la collaboration entre les différents services privés et agréés d’accompagnement (centres d’accueil) pour les victimes de la traite des êtres humains. g La fonction de coordination assurée par le CECR vis-à-vis des centres d’accueil spécialisés pour les victimes de la traite des êtres humains devrait être clarifiée en accord avec ces mêmes centres, par ex. sous la forme d’un protocole de collaboration. Des efforts évidents ont été consentis ces dernières années pour arriver à une politique de recherches et de poursuites uniforme dans les affaires de traite d’êtres humains. La récente directive du 20 avril 2004 concernant la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains (COL 10/2004) remplit à cet égard un rôle essentiel en prévoyant un cadre uniforme et des critères permettant aux magistrats et aux services de police sur le terrain de mener une politique uniforme. 2. Au niveau international De nouveaux mécanismes de collaboration internationale et d’échange d’informations entre services policiers et autorités judiciaires ont vu le jour ces dernières années, tandis que les mécanismes existants ont été développés. Le manque de formation des divers magistrats et autres acteurs sur le terrain constitue cependant un obstacle fondamental à une approche rapide et efficace du phénomène d’envergure internationale que représente la traite des êtres humains. g Il importe d’améliorer de toute urgence les connaissances relatives à l’existence, l’utilité et le fonctionnement des mécanismes existants de collaboration internationale et d’échange d’information parmi tous les acteurs compétents en la matière. 78 CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS D. Le recueil des données et la formation d’images en matière de traite des êtres humains Actuellement, des données relatives à la traite des êtres humains sont déjà collectées, analysées et échangées de différentes manières. Le peu de fiabilité et la fragmentarisation des informations disponibles font obstacle à une connaissance précise et solide de la problématique de la traite des êtres humains. Le formulaire traite des êtres humains unique a contribué ces dernières années à la collecte fructueuse de données par les services policiers et administratifs dans le cadre de contrôles anti-traite et alimente la banque de données traite des êtres humains de la police fédérale. La cellule centrale traite des êtres humains de la police fédérale effectue, sur la base des informations disponibles, des analyses opérationnelles et stratégiques intéressantes sur la nature, l’ampleur, la gravité et l’évolution du phénomène de traite des êtres humains, ainsi que sur les secteurs à risque. La banque de données victimes de la traite du CECR, créée en 2004, regroupe les données en provenance de victimes enregistrées auprès des trois centres d’accueil spécialisés (Payoke, Pag-Asa, Surya). Grâce à cet outil, la Belgique est le premièr pays en Europe à disposer de données précises, standardisées et centralisées concernant divers aspects de la problématique de la traite des êtres humains. L’Arrêté Royal du 16 mai 2004 prévoit la création du Centre d’information et d’analyse trafic et traite des êtres humains (CIATTEH), ce qui permettra à la Belgique de disposer à l’avenir d’un lieu central où les informations relatives au trafic et à la traite des êtres humains, en provenance de différentes sources et de divers acteurs, seront collectées et analysées de manière systématique. g Afin d’optimaliser le fonctionnement du Centre d’information et d’analyse, instrument de soutien et d’évaluation de la politique au moyen d’analyses stratégiques en matière de traite des êtres humains, l’Arrêté Royal du 16 mai 2004 – en vertu duquel ce centre a été créé – devrait être adapté de telle sorte que le réseau d’information puisse être alimenté par des données non-anonymes. De telles données devraient être totalement protégées des services à finalité judiciaire ou policière. g D’un point de vue stratégique, il importe d’étudier la possibilité d’utiliser la banque de données Victimes de la traite du CECR comme éventuel point de départ d’un modèle d’inventorisation des données intégré et standardisé en matière de traite des êtres humains pour le Centre d’analyse et d’information. 79 E. Prévention de la traite des êtres humains au sein du secteur de la prostitution Le développement d’un marché de la prostitution honnête peut apporter une contribution positive dans la lutte anti-traite en diminuant d’une part la vulnérabilité à l’exploitation via une amélioration de la position (statut) de la prostituée et en améliorant la visibilité des vrais cas d’exploitation et de traite d’êtres humains. La légalisation de la (l’exploitation de la) prostitution non-problématique pourrait servir les deux objectifs mais est peu réaliste dans l’actuel climat politique. L’option de l’autorégulation via des labels de qualité offre une alternative intéressante si elle s’accompagne d’une politique de tolérance à l’égard du secteur ‘régulé’ de la prostitution. g Il importe en premier lieu d’envisager l’adaptation ou l’éventuelle annulation de la Convention des Nations Unies de 1950 sur la traite des êtres humains afin d’ouvrir la voie à une décriminalisation de l’occupation et de l’organisation non-exploitante et non-contraignante de la prostitution adulte. 80 CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS F. L’approche des victimes de la traite des êtres humains 1. La réglementation de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains Le modèle belge en matière de réglementation du séjour des victimes de la traite des êtres humains (quid pro quo), qui repose sur un compromis équilibré entre approche répressive de la traite des êtres humains et protection de la victime, sert toujours de modèle au sein de l’UE. Dans le contexte de la tendance récente au sein de forums internationaux de premier plan à faire primer l’approche des droits humains dans la problématique de la traite des êtres humains, des voix s’élèvent de toutes parts pour qu’on ouvre le débat et qu’on réfléchisse à des alternatives. g Dans le droit fil des récentes évolutions au niveau international, il convient de réfléchir à une modification du système actuel d’octroi des titres de séjour, en dissociant le statut spécial de victime de la coopération obligatoire avec les instances judiciaires, ou au moins en assouplissant les conditions permettant à la victime de bénéficier d’un accueil, d’un accompagnement et d’un séjour (temporaire ou permanent). Pour les victimes mineures (non-accompagnées), cela semble même le seul scénario moral acceptable. La loi du 15 septembre 2006 transposant la directive européenne relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine n’offre pas de plus-value pour les victimes de traite ou de trafic des êtres humains et est empreinte d’une approche assez utilitariste de la problématique. Bien que plusieurs points du texte de l’avant-projet aient été adaptés, la réglementation belge en matière de protection des victimes officialisée par la loi de transposition continue à présenter un risque d’instrumentalisation de la victime en fonction de (l’intérêt de) la procédure pénale. g Dans le prolongement des évolutions récentes au niveau international, il importe de réfléchir à une modification du système actuel pour l’octroi de titres de séjour, en dissociant le statut spécial de victime de l’obligation de coopération avec les autorités judiciaires, ou au moins en assouplissant les conditions permettant à une victime de la traite de bénéficier de l’accueil, de l’accompagnement et du séjour (temporaire ou permanent). Cela semble même le seul scénario moralement acceptable pour des victimes mineures (non-accompagnées). 2. Détection et identification des victimes La détection et l’identification précoce des victimes est essentielle pour une politique efficace en matière de traite des êtres humains. Les initiatives nécessaires sont prises au niveau de l’UE pour améliorer sensiblement l’identification des victimes de la traite des êtres humains. L’interview des acteurs sur le terrain montre clairement que sur ce plan aussi des améliorations sont possibles en Belgique. g Des directives claires doivent être établies pour tous les services de première ligne concernant une approche uniforme de toutes les victimes (potentielles); il faut œuvrer à une orientation automatique des victimes vers les centres d’accueil spécialisés. 81 VIII. Annexes A. Liste des acteurs interrogés 1. Parquets auprès des Tribunaux de Première Instance 1. Parquet Gent: Mevr. Van Praet 2. Parquet Brugge: Dhr.Van Damme 3. Parquet Bruxelles: M. De Wolf 4. Parquet Antwerpen: Mevr. Herreman 5. Parquet Liège: Mme Willewerth 6. Parquet Charleroi: M. Fiasse 7. Parquet fédéral: M. Bisschop 2. Auditorats du travail auprès des Tribunaux de Première Instance 8. Auditorat du travail Gent: Dhr.Meirsschaut 9. Auditorat du travail Antwerpen: Mevr. De Couwer 10. Auditorat du travail Bruxelles: Mme Stroobandt 11. Auditorat du travail Liège: Mme Meunier 12. Auditorat du travail Charleroi: M. Blondiaux 3. Police fédérale 13. Cellule centrale Traite des êtres humains: M. Bontinck 14. GDA Gent: Dhr. Geirnaert 15. GDA Brugge: Dhr. Van Massenhove 16. GDA Antwerpen: Dhr. Swartele 17. DGA Liège: M. Benats 18. DGA Bruxelles: M. Bourgeois 19. DGA Charleroi: M. Mercenier 20. Police maritime Zeebrugge: Dhr. Calemyn 21. Police maritime Oostende: Dhr. Bollaerts 22. Police aéronautique Zaventem: Dhr. Kokelenberg 23. Police des chemins de fer Bruxelles: Mme Soubry et M. Espeel 4. Police locale 24. Police locale Gent: Dhr. Van Hyfte 25. Police locale Brugge: Dhr. Roels 26. Police locale Antwerpen: Dhr. Martens 27. Police locale Bruxelles: M. Van Der Niepen 28. Police locale Liège: M. Desert 29. Police locale Charleroi: M. Deville 83 A nne x es 5. Services d’inspection 30. Inspection des lois sociales: M. Beck 31. Inspection sociale: Mme Doudelet 32. MERI West-Vlaanderen: Dhr. De Haes 33. MERI Oost-Vlaanderen: Dhr. Le Roy 34. MERI Bruxelles: Mme Verreet 35. MERI Liège: M. Lardinois 6. Centres d’accueil 36. Minor N-Dako: Mme Cloet 37. Payoke: Mme Cluydts 38. ’T Huis: Mme Boels 39. Esperanto: M. Xhrouet 40. Surya: Mme Meulders 41. Pag-Asa: Mme Vauthier 7. Ministères 42. Ministère du Budget: M. Demesmaeker 43. Directorat-général Législation/Droits et libertés fondamentales: M. Flore 44. Ministère des Affaires étrangères: M. del Marmol 8. Sénateurs 45. Sénatrice Erika Thijs 46. Sénateur Jean-Marie Dedecker 47. Sénatrice Nathalie T’Serclaes 48. Sénatrice Anne-Marie Lizin 9. Autres 49. ECPAT: Mme Declercq 50. Child Focus: Mme De Smet 51. Service de Politique pénale: M. Gazan et Mme Coninx 52. ISP: M. Roggeman 53. Basisnetwerk Hulpverlening Mensenhandel: Dhr. Vangenechten 54. OIM: Mr Reyntjens 55. Office des étrangers: M. Roosemont et M. Hongenaert 56. Service Tutelle SPF Justice: M. Pede 57. CECR : M. De Francesco 58. Ketelpatrouille: Dhr Cool 84 A nne x es B. Questionnaire 1. En général 1. Votre rôle dans le cadre de la lutte anti-traite. 2. L’attention (particulière) que votre organisation/service consacre à la problématique de la traite des êtres humains et les actions ou initiatives concrètes entreprises par votre organisation/service pour prévenir et combattre la traite des êtres humains. 3. Dans quelle mesure la (lutte contre la) traite des êtres humains a été inscrite dans les plans stratégiques de votre service, les objectifs fixés et dans quelle mesure ils sont (peuvent être) réalisés. 4. Les aspects positifs de l’approche belge. 5. Les aspects dans la lutte anti-traite qui, selon vous, pourraient être améliorés. 6. Les suggestions que vous formulez pour le futur. 2. Définition du phénomène 1. Les phénomènes qui, selon vous, devraient être définis comme “traite des êtres humains”. 2. L’évolution du phénomène traite des êtres humains et ses manifestations. 3. La différence entre la traite et le trafic des êtres humains. 4. La clarté et la mise en pratique des définitions et la distinction entre la traite et le trafic des êtres humains ainsi que la législation y relative, et les futures modifications de la loi anti-traite. 3. Prévention 1. L’importance et l’attention accordées à la prévention de la traite des êtres humains. 2. L’attention accordée aux causes fondamentales et structurelles de la traite (emploi, santé, éducation, enseignement…). 3. La contribution des ambassades et des consulats dans la lutte anti-traite, en particulier en ce qui concerne la prévention de la traite. 4. La manière dont les fonctionnaires des ambassades et des consulats sont sensibilisés à la problématique de la traite et le rôle que les fonctionnaires pourraient ou devraient jouer dans la lutte contre la traite des êtres humains. 5. Les mesures prises pour éviter que le personnel domestique diplomatique ne devienne victime de la traite des êtres humains, et pour aider d’éventuelles victimes parmi le personnel domestique diplomatique. 6. La situation particulière des mineurs étrangers non-accompagnés (MENA), la réglementation existante en la matière (formulaire d’identification, tutelle,…) et les problèmes éventuels dans ce domaine. 4. Recherches, poursuites et répression 1. Le nombre d’affaires auxquelles vous êtes confronté(e) par an. 2. La proportion d’affaires trafic / traite. 3. La proportion entre le nombre d’affaires traite en vue d’exploitation sexuelle / traite en vue d’exploitation économique ou d’autres formes d’exploitation. 4. Le profil des auteurs d’infractions traite ou trafic et le profil des victimes. 85 A nne x es 5. Les liens éventuels entre les différents dossiers et la détection de réseaux. 6. Les liens (internationaux) éventuels entre les différents dossiers. 7. L e devoir d’information réciproque des parquets d’arrondissement et du parquet fédéral, et le droit d’évocation du procureur fédéral. 8. L’enregistrement des délits par les parquets. 9. L’enregistrement des délits par les services policiers. 10. L’identification, l’enregistrement et le traitement des victimes par les services de police et d’inspection. 11. Les objectifs principaux de la politique de recherches et poursuites dans le cadre de la lutte anti-traite. 12. Les problèmes principaux qui se posent en matière de politique de recherches et poursuites. 13. L’application éventuelle et la plus-value de la recherche proactive et des méthodes et techniques de la recherche judiciaire par les services de police. 14. Les actions coordonnées et les contrôles interdisciplinaires et ses plus-values, et le protocole de collaboration relatif à ces contrôles. 15. La contribution de votre service, les ressources financières et les effectifs dont vous disposez. 16. La contribution de la police fédérale et des services délocalisés, et des services d’inspection. 17. Le travail judiciaire des parquets et des tribunaux (jugements et arrêts) et les problèmes qui se posent concernant l’administration de la preuve dans le cadre de la lutte anti-traite. 5. Assistance aux victimes 1. L a protection et la sécurité, l’accueil et l’assistance, et l’intégration des victimes de la traite en Belgique. 2. L ’organisation et le déroulement de: - l’accueil résidentiel des victimes; - l’assistance psychosociale aux victimes; - l’assistance juridique aux victimes qui veulent défendre leurs intérêts dans une procédure judiciaire (collaboration avec des avocats, interprètes, l’indemnisation aux victimes de traite des êtres humains). 3. L a situation particulière des mineurs étrangers non accompagnés et la réglementation existante à ce sujet. 4. L e retour (volontaire) des victimes dans leur pays d’origine (le déroulement du rapatriement volontaire, le coût financier, l’éventuelle prime de réintégration, l’éventuelle enquête préliminaire dans le pays d’origine et le suivi de la victime après son rapatriement volontaire). 5. La procédure STOP. 6. L ’importance et la nécessité d’appliquer la circulaire concernant la délivrance des documents aux victimes de la traite pour toutes les catégories de victimes (au cas où existe un risque réel pour la victime de retourner dans son pays d’origine), même pour ceux qui ne désirent pas collaborer avec les autorités judiciaires. 7. Le financement des trois centres d’accueil spécialisés. 8. La coordination des trois centres d’accueil spécialisés. 9. La nécessité de garanties de qualité dans les trois centres d’accueil spécialisés. 10. La nécessité d’augmenter la capacité des centres d’accueil ou de créer des centres supplémentaires. 11. Le déroulement de la demande de permis de séjour et de travail pour les victimes de traite des êtres humains et les problèmes éventuels. 12. L’importance, la nécessité et la possibilité d’ouvrir la procédure relative à la traite des êtres humains à toutes ou à certaines catégories de victimes. 86 A nne x es 13. L’appel au Fond pour l’Aide Financière aux Victimes d’Actes Intentionnels de Violence. 15. Le retour (volontaire) des victimes dans leur pays d’origine. 17. L’importance, la nécessité et la possibilité d’ouvrir la procédure relative à la traite des êtres humains à toutes ou à certaines catégories de victimes (en cas de réel danger), même pour celles qui ne désirent pas collaborer avec autorités judiciaires. 6. Echange d’informations 1. L’échange d’informations entre les différents acteurs de la lutte anti-traite, en particulier avec: • les centres spécialisés d’assistance aux victimes • l’Office des Etrangers • la police fédérale (les services délocalisés et la Cellule centrale anti-traite) • les services de police locale • les services d’inspection • les parquets/auditorats 7. Collecte et traitement d’informations 1. La nature des informations collectées et traitées par votre service en matière de traite des êtres humains. 2. Le déroulement de la collecte et du traitement des données, les problèmes éventuels et les solutions possibles. 3. L’image que les informations collectées et traitées vous donnent de la problématique de la traite des êtres humains et l’approche belge en la matière. 4. La manière dont les résultats de ce traitement (statistique) des données sont communiqués aux acteurs concernés ou aux autres instances et ce qui en est fait. 8. Collaboration 1. La concertation avec les différents acteurs de la lutte anti-traite. 2. La collaboration avec les différents services impliqués dans la lutte anti-traite, en particulier avec : • les centres spécialisés d’assistance aux victimes • l’Office des Etrangers • la police fédérale (les services décentralisés et la Cellule centrale anti-traite) • les services de police locale • les services d’inspection • les parquets/auditorats 3. La coordination des activités menées par les différents acteurs dans le cadre de la lutte antitraite. 9. Echange d’informations policières internationales et collaboration policière et judiciaire internationale 1. La collecte, tant nationale qu’internationale, le traitement et la diffusion d’informations policières dans le cadre de la lutte anti-traite. 2. La collaboration policière et judiciaire internationale dans le cadre de la lutte anti-traite. 3. La collaboration aux frontières intérieures et extérieures de l’UE. 87 A nne x es 4. Les contrôles aux frontières extérieures de Schengen. 5. L es accords de collaboration policière et judiciaire bilatéraux existants avec les pays d’origine ou de transit. 10. Collecte d’informations 1. La collecte, le traitement et l’échange de données par les différents acteurs impliqués dans la lutte anti-traite. 11. Formation 1. La formation que vous avez reçue au moment de votre entrée en fonction et l’importance accordée à la problématique et à la législation en matière de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. 2. Les possibilités de formation continuée en matière de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. 12. Image du phénomène 1. La perception que vous avez de l’offre, la demande, les réseaux criminels, leurs structures, les modus operandi, les facteurs qui facilitent la traite et contribuent à l’immigration clandestine, etc. 2. Les analyses périodiques policières et leur plus-value. 3. Les modes de diffusion de l’expertise acquise. 13. Nouvelles initiatives 1. Le nombre d’initiatives nouvelles, leur rôle, leur utilité et leur plus-value, en particulier en ce qui concerne : • le réseau d’expertise du Collège des Procureurs Généraux; • la cellule interdépartementale de coordination; • le CIATTEH 14. Autres sujets 1. L’approche (trop) répressive de la traite des êtres humains. 2. La possibilité ou la nécessité de traiter le problème de la traite en utilisant d’autres instruments (la réglementation du travail, financière, économique, ….). 3. Une politique d’immigration plus souple. 4. La régularisation de la prostitution et son impact sur la lutte anti-traite. 88 89 90 SAMENVATTING SAMENVATTING VAN DE AANBEVELINGEN I. INLEIDING EN METHODOLOGIE In opdracht van de Koning Boudewijnstichting werd door het Institute for International Research on Criminal Policy (IRCP) van de Universiteit Gent het Belgisch mensenhandelbeleid geëvalueerd. Deze evaluatie werd gerechtvaardigd op grond van de hernieuwde aandacht voor de mensenhandelproblematiek - gekoppeld aan het uiterst actuele migratiedebat -, de recente ontwikkelingen op internationaal en Europees vlak en de nieuwe mensenhandelwet van 10 augustus 2005. Het doel van deze evaluatie was een aanpassing en verbetering van het beleid en het behoud van de voorbeeldfunctie van het Belgisch model binnen de Europese en internationale context. De evaluatie werd in grote mate gebaseerd op interviews met de diverse actoren op het terrein (politie, magistratuur, de relevante diensten van de betrokken ministeries en sociale diensten zoals de onthaalcentra voor slachtoffers). Daarnaast omvat de studie ook een analyse van de voornaamste beleidsdocumenten, van wetenschappelijke onderzoeken en gespecialiseerde literatuur. II. BEGRIPSBEPALING EN -AFBAKENING VAN MENSENHANDEL De wet van 10 augustus 2005 Aanbevelingen 1. Om het wettelijke kader inzake mensenhandel nog logischer en overzichtelijker te maken, zou de wet van 13 april 1995 houdende bepalingen tot bestrijding van de mensenhandel en van de mensensmokkel de artikelen 379 en 380 Sw. niet meer als mensenhandel mogen beschouwen. 2. De invulling van het begrip seksuele exploitatie zou nog verruimd kunnen worden tot de exploitatie in de volwassenenpornografie (conform de internationale en Europese definities), naast de bestaande invulling als de exploitatie van de ontucht of prostitutie (artikelen 379 en 380, § § 1 en 4 Sw.) en kinderpornografie (artikel 383bis, § 1 Sw.). 3. De uitbreiding van de wettelijke definitie van mensenhandel tot de exploitatie van bedelarij of het aanzetten van personen om misdaden of wanbedrijven te plegen is eigenlijk overbodig en levert geen meerwaarde in de strijd tegen mensenhandel. Deze twee gevallen zouden uit de wettelijke definiëring van mensenhandel gelicht kunnen worden. 4. Een precieze definiëring binnen de wet van de notie “menselijke waardigheid” (cf. artikel 433quinquies, § 1, 3°) zou bijdragen tot een duidelijker begrip van mensenhandel met het oog op economische exploitatie en zou bewijs- en interpretatieproblemen terzake kunnen vermijden. 5. Ondanks de ruimere omschrijving van mensenhandel dient er over gewaakt dat de strijd tegen 91 SAMENVATTING mensenhandel toegespitst blijft op de echte gevallen van uitbuiting en niet gebruikt wordt om ongewenste (niet-uitbuitende) vormen van criminaliteit harder aan te pakken. III. DE BELGISCHE STRIJD TEGEN MENSENHANDEL Een integrale aanpak van mensenhandel Aanbevelingen 6. In het kader van een preventieve aanpak van mensenhandel zouden informatiseringcampagnes over legale arbeidsmigratie in de landen van oorsprong de campagnes met een louter afschrikkend of afradend oogmerk dienen te vervangen of minstens aan te vullen. 7. In het kader van een preventieve aanpak van mensenhandel, dient nagedacht over het uitbreiden van de mogelijkheden tot legale arbeidsmigratie en de verbetering van de sociale- en mensenrechten van immigranten, wat een substantieel verminderde kwetsbaarheid van immigranten voor uitbuiting en mensenhandel tot gevolg zou kunnen hebben. 8. Binnen het geïntegreerde mensenhandelbeleid zou de strafrechtelijke pijler slechts als ultimum remedium mogen gehanteerd worden. Sociaal- en administratiefrechtelijke maatregelen dienen in de eerste plaats een louter preventieve functie te vervullen. Coördinatie en samenwerking in de strijd tegen mensenhandel Aanbevelingen 9. Er dient nagedacht over de vraag of de huidige functie en samenstelling van de Interdepartementale Coördinatiecel toelaat om een effectief overkoepelend beleid ten aanzien van alle actoren op het terrein tot stand te brengen. 10. De coördinerende rol waartoe het CGKR gemandateerd is ten aanzien van de gespecialiseerde onthaalcentra voor slachtoffers van mensenhandel zou in overeenstemming met de centra duidelijk moeten vastgelegd worden, b.v. in de vorm van een samenwerkingsprotocol. 11. De omzendbrief houdende het opsporings- en vervolgingsbeleid inzake mensenhandel dient herzien in het licht van de nieuwe mensenhandelwetgeving en zou moeten bepalen dat door de gerechtelijke autoriteiten, niettegenstaande de wetswijzigingen, toch voorrang moet worden gegeven aan de gevallen van gedwongen of onvrije exploitatie. 12. Er dient verder geïnvesteerd te worden in vorming over het bestaan, het nut en de werking van bestaande mechanismen voor internationale samenwerking en informatie-uitwisseling bij alle ter zake bevoegde actoren. 92 SAMENVATTING Registratie, datacollectie en beeldvorming inzake mensenhandel Aanbevelingen 13. Om de werking van het IAMM (Informatie en Analysecentrum Mensenmokkel en Mensenhandel) als beleidsondersteunend en -evaluerend instrument door middel van strategische analyses inzake mensenhandel te optimaliseren, zou het Koninklijk Besluit van 16 mei 2004 - volgens hetwelk dit centrum werd opgericht - dienen aangepast te worden in die zin dat niet-anonieme gegevens ingevoerd worden in het informatienetwerk. Aan het IAMM aangeleverde niet-geanonimiseerde gegevens moeten wel worden afgeschermd voor andere aanleverende diensten of partners dan die welke de gegevens in kwestie heeft aangeleverd. 14. Vanuit beleidsmatig oogpunt dient aandacht besteed te worden aan de mogelijkheid om de databank slachtoffers mensenhandel van het CGKR (Centrum voor Gelijkheid van Kansen en voor Racismebestrijding) als een mogelijk uitgangspunt te hanteren voor de ontwikkeling van een geïntegreerd en gestandaardiseerd datainventarisatiesjabloon inzake mensenhandel ten behoeve van het Informatie- en Analysecentrum. IV. DE SPECIFIEKE AANPAK VAN MENSENHANDEL BINNEN HET PROSTITUTIEMILIEU Aanbevelingen 15. In de mate dat er een politiek draagvlak zou bestaan voor de legalisering van de uitbating van nietproblematische, consensuele volwassenenprostitutie, dient in elk geval overwogen te worden om het VN-mensenhandelverdrag van 1950 aan te passen of eventueel op te zeggen om zo de weg vrij te maken voor een decriminalisering van niet-uitbuitende en niet-dwingende tewerkstelling en organisatie van volwassenenprostitutie. 16. Op korte termijn kan wellicht meer verwacht worden van zelfregulering van de sector om de controle op de werkomstandigheden e.d. te vergroten. Een dergelijke regulering (b.v. via kwaliteitslabels voor prostitutie-inrichtingen, raamprostitutie, huurprijzen, etc.) wordt niet alleen gevraagd door de sector zelf, bovendien bewijst de praktijk dat samenwerkingsprotocollen werken en effect hebben. V. EEN HERNIEUWDE BENADERING VAN SLACHTOFFERS VAN MENSENHANDEL Aanbevelingen 17. Er dienen duidelijke richtlijnen te bestaan voor alle eerstelijnsdiensten betreffende een uniforme benadering van alle (potentiële) slachtoffers en er moet werk gemaakt worden van een automatische doorverwijzing van slachtoffers naar de gespecialiseerde onthaalcentra. 18. In de lijn van de recente ontwikkelingen op internationaal vlak, dient nagedacht over een wijziging van het huidige systeem voor het toekennen van verblijfstitels, via een loskoppeling van het bijzonder slachtofferstatuut van de verplichte medewerking met de gerechtelijke overheden (in het bijzonder ten aanzien van de niet-begeleide minderjarige slachtoffers), of op zijn minst via een versoepeling van de voorwaarden om als slachtoffer van mensenhandel opvang, begeleiding en (tijdelijk of permanent) verblijf te krijgen. 93 SUMMARY SUMMARY OF THE RECOMMENDATIONS I. INTRODUCTION AND METHODOLOGY The fight against trafficking in human beings has been a priority on the national and international policy agenda for over a decade. The renewed attention being paid to the problem of migration enhances the need for an integrated and multi-sectoral policy. Belgium is often presented as an example in the European Union as regards the fight against trafficking in human beings, particularly on judicial intervention procedures and the protection and reception of victims. At the request of the King Baudouin Foundation, the Institute for International Research on Criminal Policy (IRCP) of Ghent University has evaluated Belgian policy on trafficking in human beings in the light of recent developments at international level and more specifically, the law of 10 August 2005. The evaluation is based in large part on interviews with various actors on the ground (police, judges, relevant ministerial departments and social services such as reception centres for victims). The study also includes an analysis of the main policy documents, scientific studies and specialised literature. II. DEFINITION OF TRAFFICKING IN HUMAN BEINGS The law of 10 August 2005 Recommendations 1. To render the legal framework for trafficking in human beings clearer and more logical, the law of 13 April 1995 laying down law enforcement provisions on trafficking in human beings should no longer consider the offences referred to in Articles 379 and 380 of the criminal code as forms of trafficking in human beings. 2. The concept of sexual exploitation should be extended to include exploitation in adult pornography (in accordance with international and European definitions), along with the existing definition of exploitation for purposes of debauchery or prostitution (Articles 379 and 380, (1) and (4), Criminal Code) and child pornography (Article 383a, (1), Criminal Code). 3. Extension of the legal definition of trafficking in human beings to the exploitation of begging or the commission of crimes or offences by the persons concerned is superfluous and does not contribute added value to the fight against trafficking in human beings. Both these cases should be withdrawn from the legal definition of trafficking in human beings. 4. A precise definition under the law of the concept of “human dignity” (cf. Article 433.5, (1).3) would help clarify the concept of trafficking in human beings for the purposes of economic exploitation and could help to limit problems of evidence and interpretation. 5. In spite of a wider description of trafficking in human beings, it is important to ensure that the fight against this trafficking remains based on real cases of exploitation and is not used to punish undesirable forms of crime (but not involving exploitation) more severely. 94 SUMMARY III. BELGIUM’S DRIVE TO COMBAT TRAFFICKING IN HUMAN BEINGS An integrated approach to trafficking in human beings Recommandations 6. As part of a preventive approach to trafficking in human beings, information campaigns on the legal migration of workers in the country of origin should replace or at least complement purely dissuasive campaigns. 7. As part of a preventive approach to trafficking in human beings, it is advisable to consider extending the possibilities of legal migration of workers, and improving the human and social rights of immigrants, which would considerably reduce their vulnerability to exploitation and trafficking in human beings. 8. Within the integrated policy on trafficking in human beings, the criminal factor should be used as a last recourse. Measures under social and administrative law should play first and foremost a purely preventive role. Coordination and collaboration in combating trafficking in human beings Recommandations 9. It is important to reflect on whether the existing function and composition of the Inter-departmental Coordination Unit suffice for the elaboration of an overall policy effective for all actors on the ground. 10. The coordination role of specialised reception centres for victims of trafficking in human beings, which has been assigned to the CECR (Centre for Equal Opportunities and Opposition to Racism), should be clearly established in agreement with the centres, for example, in the form of a collaboration protocol. 11. The circular setting out search and proceedings policy in respect to trafficking in human beings must be revised in the light of new legislation and should state that the judicial authorities, notwithstanding changes to the law, must give priority to cases of exploitation under constraint or force. 12. It is important to continue to invest in training on the existence, usefulness, and working of current mechanisms for international collaboration, and the exchange of information among all relevant players. Registration, collection of data and imaging as regards trafficking in human beings Recommandations 13. To optimise the working of the CIATTEH (Centre for Information and Analysis of Trafficking in Human Beings) as a support instrument, and for policy evaluation through strategic analyses of trafficking in human beings, the Royal Decree of 16 May 2004 – which created the centre – should be adapted to allow the introduction of non-anonymous data in the information network. The non-anonymous data 95 SUMMARY transmitted to CIATTEH should nonetheless be protected from services or partners other than those providing the data in question. 14. From a political point of view, it is important to consider the possibility of giving the CIATTEH access to the CECR data bank on victims of trafficking in human beings as a possible starting point for the development of a model of integrated and standardised inventory-taking in respect of trafficking in human beings. IV. THE SPECIFIC APPROACH TO TRAFFICKING IN HUMAN BEINGS IN THE PROSTITUTION UNDERWORLD Recommandations 15. To the extent that there might be a political consensus in favour of legalisation of the exploitation of consensual and non-problematical adult prostitution, there is a need in any case to consider adapting or possibly terminating the 1950 United Nations Convention on Trafficking in Human Beings so as to pave the way to a decriminalisation of the occupation of adult prostitution and of its non-exploiting, non-forced organisation. 16. In the short term, more can probably be expected from self-regulation of the sector to enhance the control of working and other conditions. Such regulation (e.g. through quality labels for prostitution establishments, window prostitution, rental prices, etc.) is not only sought by the sector itself, but the practice also proves that collaboration protocols work and produce an impact. V. A NEW APPROACH TO VICTIMS OF TRAFFICKING IN HUMAN BEINGS Recommandations 17. Clearer directives are needed for all services on the front lines concerning a uniform approach to all (potential) victims. Similarly, there is a need to work for automatic orientation of victims to specialised reception centres. 18. In keeping with recent developments on the international scene, it is important to reflect on a change in the present system for the grant of residence permits, by separating the special victim status from the obligation to cooperate with the judicial authorities (in particular for unaccompanied minors), or at least by easing the conditions for reception, accompaniment and residence (temporary or permanent) granted to victims of trafficking in human beings. 96 Agir ensemble pour une société meilleure www.kbs-frb.be La Fondation Roi Baudouin soutient des projets et des citoyens qui s’engagent pour une société meilleure. Nous voulons contribuer de manière durable à davantage de justice, de démocratie et de respect de la diversité. La Fondation Roi Baudouin est indépendante et pluraliste. Nous opérons depuis Bruxelles et agissons au niveau belge, européen et international. En Belgique, la Fondation mène aussi bien des projets locaux que régionaux et fédéraux. Elle a vu le jour en 1976, à l’occasion des vingt-cinq ans de l’accession au trône du Roi Baudouin. Pour atteindre notre objectif, nous combinons plusieurs méthodes de travail. Nous soutenons des projets de tiers, nous développons nos propres projets, nous organisons des ateliers et des tables rondes avec des experts et des citoyens, nous mettons sur pied des groupes de réflexion sur des enjeux actuels et futurs, nous rassemblons autour d’une même table des personnes aux visions très différentes, nous diffusons nos résultats au moyen de publications (gratuites),... La Fondation Roi Baudouin collabore avec des autorités publiques, des associations, des ONG, des centres de recherche, des entreprises et d’autres fondations. Nous avons conclu un partenariat stratégique avec le European Policy Centre, une cellule de réflexion basée à Bruxelles. Nos activités sont regroupées autour des thèmes suivants: Migration & société multiculturelle – favoriser l’intégration et la cohabitation multiculturelle en Belgique et en Europe Pauvreté & justice sociale – détecter de nouvelles formes d’injustice sociale et de pauvreté; soutenir des projets qui renforcent la solidarité intergénérationnelle Société civile & engagement citoyen – stimuler l’engagement citoyen; promouvoir les valeurs démocratiques auprès des jeunes; appuyer des projets de quartier Santé – encourager un mode de vie sain; contribuer à un système de soins de santé accessible et socialement accepté Philanthropie – contribuer à un développement efficace de la philanthropie en Belgique et en Europe Balkans – protéger les droits de minorités et de victimes de la traite des êtres humains; mettre sur pied un système de visas pour étudiants Afrique centrale – soutenir des projets de prévention du sida et de prise en charge de malades du sida Le Conseil d’administration de la Fondation Roi Baudouin trace les lignes de force de la politique à mener. Celle-ci est mise en oeuvre par une soixantaine de collaborateurs – hommes et femmes, d’origine belge et étrangère, wallons, flamands et bruxellois. Les dépenses annuelles de la Fondation sont de quelque 40 millions d’euros. Outre notre propre capital et l’importante dotation de la Loterie Nationale, il existe aussi des fonds de personnes, d’associations et d’entreprises. La Fondation Roi Baudouin reçoit également des dons et des legs. Vous trouverez de plus amples informations sur nos projets et nos publications sur le site www.kbs-frb.be Une e-news vous tiendra informé(e). Vous pouvez adresser vos questions à [email protected] ou au 070-233 728. Fondation Roi Baudouin, rue Brederode 21, B-1000 Bruxelles +32-2-511 18 40, fax +32-2-511 52 21 Les dons de 30 euros minimum versés sur notre compte 000-0000004-04 sont déductibles fiscalement. 97