Joies et déboires d`un auto-constructeur Retour à la case départ

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Joies et déboires d`un auto-constructeur Retour à la case départ
Joies et déboires d'un auto-constructeur
Retour à la case départ auto-construction car la paille exerce décidément un pouvoir de
séduction sans cesse croissant sur tous ceux qui ont une brique dans le ventre. Une brique ?
Ou plutôt quelques fétus de paille, comme c'est le cas d'Edmond Chaîneux qui a élu domicile
dans le petit village de Saint-Médard, dans le Luxembourg belge. Son chantier, en route
depuis 2007, a connu quelques retards. Et c'est précisément la raison pour laquelle il nous
interpelle…
---En bricoleur consciencieux, Edmond a soigneusement emballé dans du plastique ses
empilements de ballots. Car la plupart de ses murs sont déjà montés sans être enduits. De
grandes bâches bleuâtres flottent au vent et le chantier est à l'arrêt. Nombreux sont les voisins
qui l'interpellent et s'inquiètent de l'état d'avancement de sa maison ; du coup, les villageois
alentours, qui ont trop bien les pieds sur terre, se mettent à douter des vertus de la construction
en ballots de paille… Celle-ci, pourtant, n'a pas grand-chose à voir dans le fait que,
malheureusement, les travaux n'ont toujours pas repris chez Edmond. Mais, pour mieux
comprendre, laissons donc parler notre hôte.
Bio et auto-constructeur dans l'âme
"J'ai toujours eu une attirance pour tout ce qui est biologique, dit-il, je suis guide-composteur
de formation et j'ai toujours fait un jardin bio. Dans mon ancienne maison, j'avais installé une
citerne de trente mille litre pour alimenter la maison en eau de pluie ; cette eau était filtrée, on
la buvait même… Divorcé depuis 2003, j'ai toujours eu l'intention de reconstruire une maison
en bois, une espèce de chalet qui aurait suffi pour ma compagne et moi. J'ai eu la chance de
participer au chantier de Nature & Progrès, en 2006, et j'ai été séduit par la paille, ainsi que
par les enduits à la chaux et à l'argile. Je me suis dit que c'était cela qu'il me fallait, que c'était
la solution qui était clairement la moins chère. Construire un mur de blocs ou de briques,
placer une isolation, mettre un plafonnage à l'intérieur et un mur de parement à l'extérieur
revient au moins trois ou quatre fois plus cher qu'un mur de paille ! Moi, je rêvais de vivre le
plus possible en autarcie, d'être le plus proche possible de la nature, avec des produits sains et
une maison saine…"
Edmond achète donc un terrain à Saint-Médard, sur la commune d'Herbeumont, et commence
ses fondations en juillet 2007. En parfait accord avec son architecte, il opte pour un système
poteaux-poutres avec un remplissage de murs en ballots de paille, à l'image de ce qu'il a pu
expérimenter à Jambes, chez Nature & Progrès, un an auparavant.
"J'ai donc fait appel à une entreprise pour le montage du poteaux-poutres, raconte Edmond.
Nous étions trois à travailler, les deux hommes de l'entreprise et moi-même. J'avais rédigé
moi-même le bon de commande en me référant aux plans de l'architecte et nous avons monté
ce que j'avais acheté. J'ai ensuite monté tout seul les murs en ballots de paille avec, de temps
en temps, un coup de main de mon fils. Ce fut pareil pour les planchers et les madriers qui les
soutiennent. Pour la toiture, au début de l'été 2010, j'ai eu un coup de main de deux amis de
Nature & Progrès, Philippe et Jean-Pierre. J'avais envisagé de programmer des ateliers
d'enduit à la chaux en septembre dernier, mais ils ont été annulés étant donné qu'ensuite, j'ai
été bloqué…"
Un toit qui flanche !
Fin juillet, la toiture soigneusement isolée à l'aide de ballots de paille inspire quelques
inquiétudes : un mois après la fin de son installation, elle accuse déjà une flèche de six
centimètres ! Plus grave : toutes les traverses soutenant les planchers flambent
dangereusement. La stabilité de l'ensemble du bâtiment pose problème…
"J'avais pris rendez-vous avec le menuisier pour réaliser les châssis dès le mois de décembre
précédent, se souvient Edmond. Il m'avait demandé de patienter jusqu'en mars et j'avais
accepté car il m'avait été recommandé par l'architecte lui-même. Puis, en avril, il m'apprend
qu'il ne peut pas s'occuper de mon chantier. Je demande donc d'autres devis mais, pour avoir
le cœur net, je vais quand même rediscuter avec lui. Il me raconte que c'est avec mon
architecte qu'il ne souhaite plus collaborer parce qu'il a déjà eu de nombreux déboires avec
lui. Après discussion, il accepte malgré tout de m'aider à condition que nous ayons des
réunions de chantier régulières. J'accepte, mais c'est précisément en juillet qu'il vient faire ses
mesurages ! Devant l'état du bâtiment, il m'enjoint de ne plus toucher à rien, me prétendant
que si un carreau casse, six mois ou deux ans après, il pourrait en être tenu pour responsable."
Seule solution : demander d'urgence la visite d'un expert architecte. Celui-ci passe fin août et
a dit d'emblée combien la structure lui paraît vraiment trop légère.
"Heureusement, son rapport est venu assez vite, continue Edmond, déconseillant toutefois de
placer les châssis et suggérant de faire appel à un ingénieur en stabilité. J'en ai moi-même
trouvé un par Internet. Il est venu rapidement, a soigneusement examiné tous les plans et
refait tous les calculs. Ses constats : au niveau du sol, le béton n'est pas bon car les hourdis ne
sont pas renforcés par une chape de compression ; les traverses qui soutiennent les planchers
du living et de la chambre ne sont pas assez fortes et il faut cinq madriers au lieu de deux pour
soutenir la charge qui se trouve au-dessus. De plus, toutes les portées doivent être renforcées
au niveau de la toiture !"
Ce rapport rassure Edmond qui sait ainsi que les travaux nécessaires sont réalisables.
"C'est une affaire de temps et d'argent, dit-il, mais au moins c'est faisable ! J'étais déjà content
qu'on ne me dise pas qu'il faut tout démonter…"
Prochaine étape, à présent : la pose des châssis afin de fermer le bâtiment le plus vite possible,
puis les enduits intérieurs et extérieurs, les planchers et les carrelages… Ensuite, l'eau et
l'électricité, les tuyauteries qui doivent monter sur la toiture pour relier les panneaux
solaires… Et la perspective d'une Porte ouverte, pour Nature & Progrès, en septembre 2011.
Le projet aura pris un an de retard.
La responsabilité de l'architecte
Edmond désormais recommande chaudement à tous les auto-constructeurs qu'il rencontre de
faire voir leurs plans par un ingénieur en stabilité qui leur calcule correctement l'ensemble des
portées.
"Beaucoup trop d'architectes, hélas, ne calculent pas assez, regrette-t-il, et refusent ainsi de
prendre la responsabilité des portées qu'ils dessinent. Car calculer, c'est prendre une
responsabilité et, dans mon cas, quand j'ai demandé comment je devais rédiger le bon de
commande de mes boiseries, on s'est borné à me dire de prendre le plan et de mesurer, à
l'échelle, ce qui était indiqué sur les coupes ! Car aucune cote indiquée sur le plan. Moi, je
suis bricoleur, je ne suis pas du métier du bâtiment. Je peux exécuter des travaux précis mais
je suis incapable d'intégrer tout cela dans une perspective d'ensemble et c'est bien pour cela
que je fais appel à un architecte…"
Précisons, bien sûr, que la technique de la paille en elle-même n'a posé aucun problème dans
ce cas. La paille ici n'est pas porteuse, elle se borne à boucher les espaces entre les poteaux et
garantit l'isolation. Quant au charpentier, il a simplement réalisé ce qui lui était demandé sans
savoir ce que la charpente serait ensuite appelée à supporter. Mais l'architecte ?
"Dans n'importe quel clé-sur-porte, s'insurge Edmond, le moindre tuyau d'arrivée ou
d'évacuation, la moindre bouche d'aération, le moindre fil électrique sont dessinés sur le plan;
ils sont prévus et mis en place par l'architecte. Il ne me paraît pas logique que cela soit
différent en auto-construction, même si on applique un pourcentage de rémunération différent.
Le travail minimal à fournir dans le cas d'une construction neuve ne suppose-t-il pas la
fourniture d'un plan complet et la garantie d'un projet réalisable, quel que soit le maître
d'œuvre ? Or la stabilité du bâtiment me paraît être une chose fondamentale. Un beau dessin
ne suffit pas, il faut aussi être capable de calculer correctement des portées.
L'auto-construction justifie-t-elle un travail au rabais de la part de l'architecte ? Je pense, au
contraire, que la responsabilité de l'architecte est encore plus grande en auto-construction car
il sait très bien qu'il n'y aura pas, ensuite, un entrepreneur professionnel qui pourra, le cas
échéant, rectifier le tir. Dans ma logique d'auto-constructeur, si je choisis un architecte, c'est
pour qu'il me donne toutes les directives à suivre afin que je sois en mesure de réaliser
correctement ma maison. Et là, malheureusement, je me suis aperçu que je ne pouvais pas
vraiment avoir confiance puisqu'un re-calcul des plans se serait avéré indispensable pour
éviter les mauvaises surprises. C'est précisément ce que l'ingénieur est venu faire chez moi, un
peu tard malheureusement ; cela lui a pris un mois de travail mais, au moins, je disposais
ensuite de cotes et d'indications qui étaient précises. Le paradoxe est que cela ne m'a coûté
que mille euros, là où l'ensemble de la conception m'en avait coûté neuf mille. Les mille
n'auraient-ils pas dû être inclus dans les neuf mille ?"
Aujourd'hui, Edmond entrevoit la fin du blocage. Il a surmonté son découragement mais
s'apprête à débourser encore un peu d'argent en plus. Il faut payer le prêt qui court, mais aussi
une location puisqu'il n'est, évidemment, pas encore dans ses meubles..
"Mes beaux-parents nous ont hébergés jusqu'au 1er janvier de l'année dernière, raconte-t-il,
puis nous sommes allés chez des amis avant de nous résoudre à louer…"
Edmond, heureusement, n'est pas homme à se complaire dans le regret. A ses yeux, poteauxpoutres et ballots de paille restent le système le plus naturel et le plus gai qui soit pour
construire une maison…

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