Sur la longue route de soi

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Sur la longue route de soi
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Sur la longue route de soi
A 63 ans, Bernard Ollivier est sur le point
de boucler sa route de la soie. Douze mille
kilomètres à pied ! Un étonnant face-à-face
avec lui-même. Entre authenticité et
modestie, portrait d’un marcheur en quête
d’absolu.
© © Edts Ph ébus
Dane Cuypers
l y a un endroit en Espagne, sur le chemin de Saint-Jacques-deCompostelle, la Meseta, totalement plat, pas un arbre, du blé à perte de vue.
Vous marchez trente kilomètres. Et lorsque vous partez, vous voyez l’endroit
où vous arriverez. C’est là que j ’ai eu ma première grande émotion de
marcheur : une sorte d’exultation, une sensation de plénitude, comme si je
me libérais des chaînes de la peur. » Ainsi parle Bernard Ollivier parti un
beau matin.
Alors qu’il se retrouve brutalement veuf et vient de perdre son poste au
quotidien “Le Matin”, le journaliste ressent le besoin urgent de tourner la
page et de partir. Partir pour se trouver, pour faire un pied de nez à la
vieillesse. Partir parce qu’il est temps, parce qu’après il sera trop tard.
Pourquoi pas le chemin de Saint-Jacques, un galop d ’essai de deux mille
trois cents kilomètres pour cet ancien marathonien.
Deux mois sur le chemin : le premier pour faire le bilan, le second pour savoir
ce qu’il va faire du temps qui lui reste. Deux mois pour apprendre le
dépouillement, pour être « plus léger, plus vacant, plus défait ». Pour être
seul face à lui-même, sans tricher. Pour savoir ce qui compte vraiment.
Une jouissance “comme un orgasme étiré”
Mais ce que Bernard Ollivier découvre aussi sur les sentiers c ’est une
jouissance telle – « comme un orgasme étiré ! » – qu’il décide de
remettre ça. Pour cet amoureux de l ’histoire assoiffé de rencontres, la
prochaine route sera celle des civilisations, celle de Marco Polo, la
mythique route de la soie jalonnée de caravansérails, qui passe par
Samarkand, ses coupoles turquoise, ses fruits, ses épices et ses
parfums des mille et une nuits.
« Vers le 15 juillet, si j ’ai toujours autant de chance, je ne serai plus
celui qui marche sur la route de la soie, mais celui qui l’a faite ! »
Bernard Ollivier n’en revient pas lui-même. Quelque douze mille
kilomètres à pied, sous un soleil assassin, d’Istanbul, en Turquie, à
Xi’an, en Chine, en passant par l ’Iran, le Turkménistan, l ’Ouzbékistan,
le Tadjikistan, à travers déserts et montagnes, sur des pistes ou des
routes défoncées, accueilli à bras ouverts ou suspect é par les policiers
et les militaires. Quatre étapes de trois ou quatre mois chacune, à
raison d’une par an. Des moments magiques, des épisodes terrifiants.
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Laisser filer le temps
Quand nous le rencontrons dans un bistrot du Quartier latin, il est là, à
quelques jours du départ, celui qui bouclera ce voyage magnifique et
insens é ! Un peu tendu. « Je le suis toujours avant de partir ! Je n’aime pas
trop les bouleversements ni quitter les gens… J’ai du mal à m’arracher. En
fait, je suis un peu popote ! » Il rit, ne se prend ni pour un héros ni pour un
aventurier. Chaleureux, généreux, il vous raconte ses éblouissements, ses
galères et ses colères, ses angoisses, ses émotions et ses découvertes,
sans forfanterie ni pédanterie. Foncièrement authentique et modeste.
« Ce que je fais, c ’est à la portée de tout le monde. Des moyennes de trente
à quarante kilomètres par jour, avec des pointes à cinquante, sans doute
n’importe qui, doté d’une bonne santé et d’une solide motivation, peut le
faire. » Sans doute. Ce qui n’est sûrement pas à notre portée, c’est
d’affronter chaque matin l’inconnu, de supporter la solitude, de se
confronter à ses peurs . « Celle, en particulier de tout ce qui rampe, pique
ou empoisonne », écrit-il. Avant d’entrer dans le redoutable désert du
Karakoum, au Turkménistan, ses nuits sont peuplées de serpents …
Alors parfois, il craque. « Je suis trop petit, trop fragile, trop faible pour
affronter cette route titanesque. » « Mais arrête donc ! » a-t-on envie de lui
dire quand des "kangals" – de monstrueux molosses – l’attaquent, quand on
le vole, quand il se perd, quand il a soif, quand il est épuisé, quand la
dysenterie lui tord les boyaux. Mais non, il repart. Et la jubilation est de
nouveau au rendez-vous. L’abandon n’est pas son fort. Il y a même un petit
côté stakhanoviste dans la façon dont il enfile les kilomètres, non ? « C’est
vrai. Plus vous dépensez d’énergie, plus vous en avez, c’est aussi comme ça
dans la vie. »
Il ne sait ni abandonner, ni renoncer, trop curieux, trop gourmand. Il dit
pourtant oui au petit paradis que lui offre le hasard, à la fronti ère du
Turkm énistan et de l’Ouzbékistan. Cinq jours doux comme le miel, à manger
du raisin ambré et satiné en laissant filer le temps. « Moi, l ’homme de devoir
toujours pressé, raisonnable, austère parfois, je me laisse aller, profite d’un
rien, j ’en redemande, je me découvre épicurien. »
Frôler le divin
On écoute, sous le charme de sa voix tranquille, de son regard attentif,
on savoure avec lui les couchers de soleil somptueux, le goût d’une
"chorba" brûlante, le ruissellement de l’eau retrouv ée, on partage ses
émois ou ses r évoltes pour les femmes des pays qu’il traverse, et le
bonheur de la marche. Encore et encore. Soudain « on frôle le
divin ». On l’écoute. Epat é : « Vous n’êtes pas fier, vous ne vous
sentez pas plus fort ? » Il rit. Avoue : « Je me suis impressionné moimême quand j’ai refait en avion le trajet effectué à pied l ’an dernier en
Chine. On était à 950 km/heure. Il s’est passé trois heures et nous
étions toujours au-dessus de l’endroit où j’avais marché ! Me sentir
fort, non ! Au contraire, je sais maintenant à quel point nous
sommes fragiles. Simplement, repousser ses limites donne confiance
en soi. D ’une certaine façon, j’ai apprivoisé la mort lorsque j ’ai
vraiment cru que j’allais être ex écuté. »
C’était en Turquie. Réveillé brutalement en pleine nuit, Bernard Ollivier
se retrouve nu face à une foule de villageois et de militaires qui le
prennent pour un terroriste kurde. Il est finalement relâché après de
longues discussions. « Ce n’est pas mourir qui m’a fait peur, mais de
mourir nu ! se souvient-il. Quand on a v écu pleinement, on se dit :
“Voilà la mort…” Et ce n’est pas forcément dramatique. »
LA QUIETUDE...
au bout du chemin
Son incroyable voyage, Bernard Ollivier nous le livre dans ses deux volumes
de “La Longue Marche” (Phébus, 2001, troisième tome à paraître au
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printemps 2003), dont nous publions l’extrait ci -dessous (tome I). Il est par
ailleurs l ’auteur des “Nouvelles d’en bas” (Ph ébus, 2001.), un recueil de
nouvelles tendres et violentes dans lesquelles il se met dans la peau d’une
quinzaine de SDF.
« Dans la chambre 407 de l’hôpital Vatan, je philosophe […]. En partant, j ’ai
voulu pénétrer le monde. Mais le monde se laisse -t-il pénétrer ? Au bout du
chemin trouverai-je la sagesse, ou bien attendrai-je en vain qu’elle vienne
avant que la mort me saisisse ? Homme actif par inclination ou par nécessité,
il me faut chercher, sur ce chemin de la lenteur que je me suis tracé, le
silence, le recueillement, la quiétude de l’âme. Ils ne viendront pas d’un coup,
bien s ûr. Ils ne sont pas cachés à l’ombre des murailles de Xi’an, attendant
mon arrivée pour se révéler. C’est sur le chemin, sur les sentiers et les
routes, dans les villes, au fil des rencontres et des millions de pas que je
veux encore tricoter, qu’ils viendront m ’aider à poser paisiblement la dernière
pierre du mur de ma vie. »
REINSERTION :
Bernard Ollivier a créé Seuil, une association qu ’il a financée par la
vente de ses livres. Son objectif : la réinsertion par la marche de
jeunes délinquants.
« Sur le long terme, la marche est une étonnante thérapie en trois
temps, que j’ai moi-même expérimentée : je “vide mon sac”, j’explore,
je me projette dans l’avenir. »
Seuil, 35, rue Jussieu, 75005, Paris. www.assoseuil.org
Dane Cuypers
juillet 2002
© psychologies.com 2002
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