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ROUGE ETHER
LA VIERGE AU
FLAMBEAU
4e édition
Editions Sophianisis
www.sophianisis.net /
[email protected]
Distribution
Editions Sophianisis, sophianisis.net
Amazon.fr
Tous droits réservés
Editions Sophianisis
© 2014
Dépôt légal
Bibliothèque cantonale et universitaire, BCU
Lausanne
Bibliothèque nationale suisse BN, Berne
2ème trimerstre 2008
Title ID: 4397518
ISBN-13: 978-1492126850
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Claire-Véronique
SCHMIDT
ROUGE
ETHER
LA VIERGE AU
FLAMBEAU
TOME 1
Roman
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Remerciements :
À Aimée, à Chantal, à Mahé et à Nadia
pour leur enthousiasme, leurs
encouragements
et leur précieuse contribution critique.
Je dédie ce livre à Nicolas Tesla et à
John Worrel Keely,
pionniers de la technologie éthérique.
Aux initiés du courant médian d’hier et
d’aujourd’hui.
Aux génotypes Pi qui s’ignorent
encore…
A la mémoire de Marie-Thérèse Féval
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«L ’être est issu de la liberté,
et non pas la liberté de l’être »
Nicolas Berdiaev
«Si nous sommes destinés
à entrer ici-bas dans l’Éternité et à y
vivre,
rien n’empêchera que cela soit.
Cela est même d’avance accompli,
pour cette simple raison
que l’Éternité ne vient pas après le
Temps,
mais le précède, le contient et le
transcende… »
Alexandre Kalda
«Ce n’est pas la lutte du Bien
contre le Mal qui doit nous occuper.
Les valeurs du Bien et du Mal
demeurent des catégories toutes
relatives
sujettes aux modes, aux cultures, aux
époques.
L’attachement aux valeurs du Bien et du
Mal
enchaîne l’Homme bien plus sûrement
que le Mal lui-même ne saurait le faire,
le rendant esclave d’une morale
là où il devrait être un créateur libre
– car il existe une dictature du Bien et
des Justes.
Par-delà cette illusion persistante,
bien au-dessus des querelles partisanes,
une valeur transcendante
et libératrice nous convie : la Bonté.»
Clovis de la Cité des Anges
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PROLOGUE
Des nuages noirs et cabrés au souffle
puissant s’engouffraient dans le ciel fendu,
se chevauchaient, s’entrelaçaient et se
répudiaient avec violence. Dans le
mugissement du vent, ils survolaient le sol
dans l’attente de s’abattre en pluies
torrentielles. Ils roulaient si vite qu’on
pouvait les voir se déchirer en lambeaux sur
les falaises d’en face, et, furieux, glisser en
formes échevelées, secoués de spasmes
sauvages. Leurs croupes mouchetées
d’éclats orange et vermeils emportaient dans
leur sillage le rougeoiement du crépuscule.
Bientôt, ils secoueraient les eaux de la mer,
élèveraient des vagues déchiquetées, tels les
serres d’un rapace, qu’ils entraîneraient à
l’assaut du rivage. La tempête laisserait
alors derrière elle des troncs brisés, des
branches arrachées et une multitude de
détritus. Une fois l’accalmie revenue, la
nature panserait alors ses plaies, buvant avec
avidité l’eau du ciel bienvenue malgré la
violence subie. Quatre mois de saison sèche
allaient trouver une brève rémission – et
durant quelques jours on ne respirerait plus
la poussière du Plateau.
Elle se dit que c’était une bonne chose,
mais qu’elle avait mal choisi l’heure de son
départ…
Cette autoroute, lisse et noire, elle ne
l’empruntait pas pour la première fois. Et
pourtant, elle éprouvait aujourd’hui un
étrange pressentiment. Jamais elle ne s’était
sentie aussi loin de ses terres natives de
l’Alliance. Bien qu’elle sache que celles-ci
ne se limitaient pas aux territoires du Nord
mais s’étendaient secrètement sur le Plateau
jusqu’aux villes ennemies de la Lex – où les
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cités clandestines et les mondes souterrains
s’y comptaient par centaines – elle songeait
qu’elle s’était engagée dans une bien
improbable mission. Et que celle-ci l’y
trouverait plus solitaire encore qu’à
l’accoutumée.
Le bitume défilait avec monotonie sous
les roues de la moto. Elle savait qu’elle
devrait atteindre sa destination avant que la
pluie ne s’abatte et rende la chaussée
glissante ; mais déjà l’orage était sur ses
talons, emportant avec lui la fureur du ciel.
Comme pour lui signifier le dérisoire de ce
qui apparaissait comme une fuite, le vent
faisait claquer sans répit les lanières en cuir
de sa veste. Mais elle, indifférente à la
vitesse, maintenait les cuisses serrées sur la
machine, comme une cavalière épouse les
flancs de son cheval, laissant le compteur
grimper à deux-cents kilomètres à l’heure.
L’autoroute était encore sèche, les pneus
bien chauffés adhéraient parfaitement à la
chaussée. Elle augmenta sa vitesse à deux
cent vingt kilomètres à l’heure. Les voitures
et les camions, frôlés en coup de vent,
serpentaient en une colonne anonyme et
docile. Docile, elle-même ne l’était pas. Elle
ne le serait jamais. Comme tous ceux de
l’Alliance. Prendre des risques, vivre au jour
le jour, ignorer tout du lendemain : c’était ce
que ceux de la Lex ne pourraient jamais
comprendre ni désirer. De toute façon, elle
ne pouvait pas ralentir : ce qu’elle emportait
avec elle était bien trop précieux. Pourquoi
n’était-elle pas partie la veille, comme le lui
avait recommandé le vieux ? Elle n’écoutait
jamais. Elle voulait décider par elle-même.
Toujours. Quoi qu’il arrive.
En atteignant les deux cent trente
kilomètres à l’heure elle jeta un œil dans le
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rétroviseur. La route, derrière elle, était
dégagée. Seul le ciel noir se précipitait sur
elle. Personne n’était lancé à sa poursuite…
« Vous devez absolument livrer le
« colis » avant demain 22 heures » avait dit
le vieux en la scrutant avec insistance
comme pour savoir s’il pouvait lui faire
confiance. Elle s’était contentée de tendre la
main sans un mot pour y recevoir la petite
boîte métallique. Il avait eu un mouvement
de recul, une dernière hésitation, puis la lui
avait remise. Pour s’assurer que la livraison
aurait bien lieu à l’endroit et à l’heure
convenus, il avait réitéré les conditions de la
transaction : « Mille écus à réception du
colis si vous êtes à l’heure. Trois cents si
vous arrivez en retard ». Elle avait eu un
sourire narquois : « Je serai à l’heure. Mais
il me faudrait une petite avance… ».
— Une petite avance ? Vous n’êtes pas
sérieuse ?
— J’ai besoin d’égayer un peu ma soirée
avant ma virée…
— Vous ne partez pas dès à
présent ? avait-il demandé, soudain blême.
— Pourquoi ?
— Mais… il y a six cents kilomètres…
— J’ai dit que le colis serait livré dans
les temps.
Il avait secoué la tête. Il n’imaginait que
trop bien ce que pouvait signifier pour la
jeune femme « égayer sa soirée ». Quant à
elle, elle le dévisageait avec détermination,
le poing sur la hanche, dans l’attente des
billets désirés.
Il s’était tourné vers son bureau,
claudiquant sur son pied bot, avait ouvert un
tiroir où il avait plongé la main, pour lui
tendre ensuite une liasse de billets jaunes et
fatigués :
— Trente écus, c’est tout ce que je peux
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offrir.
Elle avait fait la grimace : trente écus,
c’était à peine le prix d’une chambre. Il avait
plongé ses grands yeux de cocker triste dans
ceux de la jeune femme, comme pour
l’implorer :
— Je vous en prie, cette livraison doit
absolument être faite dans les temps !
— Bien sûr. J’ai besoin des 970 écus
restants…
Il l’avait regardée, interloqué, puis avait
secoué son crâne chauve. Comment pouvaitelle se montrer aussi désinvolte face à la
gravité de la situation ? Alors qu’elle
tournait les talons, il l’avait observée quitter
la pièce en balançant ses hanches moulées
dans le cuir noir, son abondante chevelure
rouge ondoyant librement dans son dos. Puis
il avait saisi la bouteille d’armagnac déjà
entamée et s’était servi une rasade dans une
cornue au verre usé. Une appréhension
désagréable le tenaillait.
***
L’orage progressait à vive allure.
Bientôt, il serait sur elle. Le temps lui était
désormais compté... Elle jeta un œil à sa
montre : 19 heures 29. Elle ne pouvait plus
s’arrêter : elle roulerait sous la pluie. Un
frisson la surprit. Il y a quelques heures, la
chaleur montait dans ses reins, en même
temps que le désir. Un désir lent, comme elle
les aimait, avec un amant patient. Ils
s’étaient croisés au bar. Ils avaient
sympathisé devant un verre de jus de fruits
légèrement alcoolisé. Elle avait rejeté son
abondante chevelure rouge sur le côté, placé
ses genoux entre les siens. Sous la veste de
cuir ouverte dans la lumière tamisée du bar,
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il avait deviné une poitrine généreuse
retenue dans un corsage de dentelles noir.
— Tu es ici pour le jeu ? avait-il
demandé.
— Ma vie est un jeu, je n’en attends pas
d’autre, avait-elle répondu sérieusement.
Sur la piste, des couples plus ou moins
dénudés
s’enlaçaient,
se
croisaient,
s’échangeaient et se câlinaient.
Il avait hoché la tête :
— Une soltera. Ca me plaît…
— Et toi ?
— Comme toi… soltero.
Il avait avancé la main, écarté quelques
mèches de ses cheveux.
— Tu es très belle…
Il était athlétique, soigné, avec des
cheveux coupés courts, une mâchoire bien
dessinée. Elle avait eu un frisson lorsqu’il
avait passé ses doigts à l’intérieur de sa
paume, dans un effleurement tout juste
perceptible. Celui-là avait un instinct animal
puissant mais contrôlé. Elle avait fermé les
yeux un instant pour reprendre le contrôle de
ses sens, avant de demander :
— Tu as ton testeur ?
Il avait eu un petit sourire amusé, avait
glissé une main dans la poche de son jean
pour en sortir un rectangle plastifié qu’il
avait agité devant elle. A la différence des
légaux croisés occasionnellement dans ce
genre de lieu, ni l’un ni l’autre n’étaient
porteurs d’une carte-santé garantissant leur
innocuité. Mais ils possédaient leur testeur
vénérien. Ils avaient donc déposé chacun
une goutte de salive sur le carton réactif et
attendu une minute. Puis, à la flamme du
briquet, ils avaient lu leurs résultats : négatif
pour chacun.
Dans l’alcôve tendue de velours rouge,
ils s’étaient apprivoisés, prenant le temps de
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se découvrir et de se donner du plaisir, usant
de leurs mains, de leur langue, de leurs
dents. Elle s’était coulée sur lui, ventre
contre le sien, les hanches frémissantes, la
gorge offerte, les reins cambrés pour mieux
le chevaucher, goûtant son plaisir jusqu’à la
rémission de son désir.
***
La pluie s’était mise à tomber, d’abord
fine, puis avec de grosses gouttes qui
venaient fouetter son corps. Malgré le cuir,
elle sentait la violence de l’orage. La moto
commençait à glisser sur la route. Mais elle
se refusait à ralentir. Les véhicules se
faisaient plus rares. C’était une bonne et une
mauvaise chose. Une bonne parce que cela
représentait un danger de moins d’accident,
et une mauvaise parce qu’elle pouvait être
plus facilement repérée. Mais par un temps
pareil,
les
hélicoglisseurs
étaient
exceptionnels. Restaient les patrouilles de
police...
Elle cambra les reins pour soulager son
dos endolori. Elle cambra les reins, comme
la nuit passée, lorsqu’il l’avait prise, lui
allongé, elle le chevauchant, le corps offert à
ses caresses. Sans cesse, elle revenait à ce
souvenir, dans la douceur de l’alcôve rouge
et chaude. Comme pour moins ressentir le
froid. Comme pour repousser l’humidité
mordante.
Soudain, le son d’une sirène lui parvint
par-delà le vrombissement du moteur. Elle
jeta un coup d’œil dans le rétroviseur, et
aperçut une voiture blanche qui l’avait prise
en chasse. Il n’était pas question qu’elle
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obtempère ! Le compteur lui indiquait 240
kilomètres à l’heure. La voiture de police la
talonnait. Un véhicule ultra rapide. Mais pas
assez pour sa bécane. Sans hésiter, elle
tourna la poignée des gaz jusqu’à la butée…
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