Le travail méprisé des éducateurs de la protection judiciaire de la

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Le travail méprisé des éducateurs de la protection judiciaire de la
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En juin 2011, à l'Unité éducative de milieu ouvert
(UEMO) Viton, Mediapart avait rencontré deux
éducateurs de la PJJ qui suivent les jeunes délinquants
de l'est de Marseille. Leur travail : démêler l'écheveau
de vies compliquées, parfois entre délinquance et
maltraitance, et s'assurer du suivi des mesures ou
de la peine prononcées par le juge des enfants. Un
psychologue et une assistante sociale sont également
présents à Viton. Une tâche de longue haleine, bien
moins médiatique et spectaculaire que les centres
éducatifs fermés et autres EPM qui ont actuellement
les faveurs du gouvernement.
Chacun des sept éducateurs de l'UEMO Viton suit
une vingtaine de jeunes, avant et après un éventuelle
condamnation par le juge des enfants, avec des pics à
trente. «Mais à trente, on ne les voit qu'une fois par
mois, ce n'est plus du suivi», dit Gérard Bourgon, 58
ans.
Le travail méprisé des éducateurs de la
protection judiciaire de la jeunesse
Par Louise Fessard
Article publié le lundi 24 octobre 2011
Les sénateurs discutent le 25 octobre 2011 d'une
proposition de loi, adoptée par l'Assemble nationale
le 12 octobre, créant un service citoyen encadré par
d'anciens militaires pour les mineurs délinquants de
16 ans et plus. A la suite du changement de majorité
au Sénat, cette proposition de loi du député UMP Eric
Ciotti, déjà rejetée par la commission des lois du Sénat,
pourrait également être écartée en séance plénière
mardi. «Si à l'issue de la séance, le Sénat adopte,
comme je l'espère, la question préalable présentée
par la commission des lois, la proposition de loi sera
réputée rejetée», explique Jean-Pierre Sueur, président
PS de cette commission.
Cet ancien pédopsychiatre a roulé sa bosse comme
éducateur spécialisé dans la banlieue parisienne, puis
dans un foyer marseillais avant de rejoindre le «milieu
ouvert». L'éducateur de la PJJ fonctionne avec un
juge des enfants, toujours le même pour chaque
jeune : «Les jeunes sont parfois interloqués de voir
que l'information remonte jusqu'au magistrat», relève
Gérard Bourgon.
Le projet, approuvé par Nicolas Sarkozy, s'inscrit
dans une orientation idéologique constante depuis
2007 : concentrer les moyens de la protection
judiciaire de la jeunesse (PJJ) sur une réponse
pénale dans des centres fermés (centres éducatifs
fermés, établissements pénitentiaires pour mineurs et
maintenant établissements publics d'insertion de la
défense ou Epide), à rebours d'un accompagnement
éducatif au long cours en milieu ouvert.
Certains jeunes sont très demandeurs, d'autres ne se
lèveront que si leur éducateur vient leur secouer les
puces chez eux. «Nous préférons voir le jeune ici,
mais ça ne nous empêche pas d'aller le réveiller le
matin quand il a rendez-vous à la mission locale,
explique Serge Hallépée, le directeur de l'UEMO.
C'est l'occasion de voir dans quelles conditions il vit.
Parfois le gamin n'a pas de chambre ou il dort dans le
même lit que sa sœur.»
«Le plus long est d'établir le lien, qu'il y ait une sorte
de confiance réciproque, après le jeune sait qu'on va
faire de la route ensemble», explique Gérard Bourgon.
En moyenne deux ans. «Parfois, c'est une erreur de
parcours et le jeune repart rapidement sur une bonne
trajectoire, parfois on le suit de 13 à 19 ans», détaille
Stéphanie Martinon, 33 ans, également éducatrice.
«Je n'ai rien contre les Epide, expliquait ainsi JeanJacques Urvoas, le monsieur sécurité du PS lors
d'un débat public à Marseille le 17 septembre. Mais
le problème est ce qui se passe après. Si on ne
s'occupe pas des jeunes quand ils retournent dans
leurs quartiers, ils risquent de retomber dans les
mêmes fréquentations, les mêmes conneries, et ça, la
droite, qui a supprimé 600 postes d'éducateurs de rue
en quatre ans, ne veut pas le comprendre.» «Quand
on voit l'insuffisance notoire du budget de la PJJ,
on comprend qu'on a affaire à une loi d'affichage,
totalement improvisée», estime également Jean-Pierre
Sueur.
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Lorsqu'on évoque la réponse immédiate aux
infractions prônée autant à droite qu'à gauche, ils
sourient. L'unité a accumulé une cinquantaine de
mesures éducatives en retard, soit cinquante jeunes qui
devraient être suivis mais ne le sont pas pour l'instant,
faute du poste d'éducateur supplémentaire nécessaire.
Ce mercredi-là, Gérard Bourgon a dû annuler tous
ces rendez-vous de l'après-midi, afin de se rendre au
tribunal pour enfants de Marseille, où un garçon qu'il
suit est jugé pour quatre affaires. Le jeune homme
déscolarisé depuis juin 2010, et en liberté surveillée,
est, entre autres, accusé d'outrage à des forces de
police. Le cas ne se présente pas bien. «Il avait
signé une convention pour faire un stage chez un
maçon mais il n'est pas venu, ce qui risque de lui
être préjudiciable auprès du juge», soupire Gérard
Bourgon.
Lors des audiences, les éducateurs de la PJJ plaident
sur le plan éducatif «pour faire ressortir ce qui est
positif, les efforts réalisés et s'il a vraiment déconné,
on le dit aussi», explique-t-il.
L'éducateur de milieu ouvert est du genre sparadrap.
Même lorsque son «client» est en détention, il ne
le lâche pas et prépare sa sortie en lien avec les
éducateurs de la prison, quand il y en a.
Du sur mesure
Les éducateurs de Marseille rendent ainsi
régulièrement visite à des jeunes emprisonnés au
quartier pour mineurs de Grasse, à la prison pour
mineurs de Meyzieu près de Lyon, ou jusqu'à celle de
Lavaur près de Toulouse. Avec parfois des déblocages
en prison: «Hier nous avons reçu les parents d'une
jeune fille détenue aux Baumettes, car nous allons
faire un signalement pour des agressions sexuelles
dont elle aurait été victime dans son enfance et dont
elle a parlé depuis qu'elle est en prison», explique
Stéphanie Martinon.
Avec des cas de conscience, comme quand un jeune
confie qu'il a gardé l'argent d'un casse. «A l'audience,
j'ai été obligée de lui dire "Sois honnête et raconte
tout", se rappelle Stéphanie Martinon. C'est normal,
nous ne sommes pas des éducateurs de rue, nous
dépendons du ministère de la justice.»
«Nous ne sommes pas des magiciens»
Au tribunal pour enfants de Marseille, c'est du
grand pêle-mêle. Prévenus, auteurs, adultes et mineurs
patientent ensemble dans les couloirs, les escaliers,
sans suffisamment de sièges pour tous. «Ça créée
une promiscuité choquante, dit Gérard Bourgon. Mais
parfois aussi, on a des victimes très en colère qui
veulent des milliers d'euros de dédommagement et
comprennent à l'audience qu'on ne peut demander ça
face à de telles trajectoires de vie.»
Premier acte, des investigations qui peuvent durer
six mois pour faire l'état des lieux, rencontrer à
plusieurs reprises le jeune et ses parents, réfléchir
aux moyens de faire bouger les dysfonctionnements
repérés. «On fait vraiment du sur mesure à la PJJ,
il faut travailler avec tout ce qui fait l'environnement
du gamin, sa famille, les associations, les enseignants,
etc., explique Serge Hallépée. Nous avons parfois des
difficultés à rencontrer les parents, on se rend compte
que les boîtes à lettres sont cassées, qu'on ne s'est
pas adressés à la bonne personne (par exemple dans
les familles comoriennes, c'est l'oncle maternel qui est
chargé de l'éducation, pas le père), que les parents ne
savent pas lire ou se font une représentation telle de
l'institution judiciaire qu'ils n'osent pas...»
Car la PJJ sert de recours quand les autres institutions
craquent. «Très souvent quand les gamins arrivent
chez nous, ils sont lâchés de partout, éducation
nationale, missions locales, aide sociale à l'enfance, et
on nous attend au tournant», dit Stéphanie Martinon.
«On essaie de travailler avec l'éducation nationale,
mais elle est en difficulté et n'a pas les moyens de
prendre en charge les jeunes avec des troubles du
comportement, regrette le directeur de l'Uemo. Les
classes-relais à Marseille se comptent sur les doigts
de la main de Django Reinhardt. On a aussi du mal à
C'est à la lumière de ces investigations que le juge
prononce des mesures éducatives, et éventuellement
une peine.
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trouver des institutions pour les gamins psychotiques,
tout le monde se refile la patate chaude et on les
retrouve chez nous.»
structures hypercontenantes avec un emploi du temps
très minuté et des activités intenses, le problème est
le sas de sortie: que se passe-t-il quand le gamin
retrouve son environnement, sa famille?», demande
Gérard Bourgon.
«La PJJ en milieu ouvert fait un travail très long, très
patient de partenariat avec d'autres organisations,
de construction d'un lien de confiance avec le jeune,
qui est aujourd'hui considéré comme une perte de
temps, décrypte Maria Inès, co-secrétaire nationale du
syndicat SNPES-PJJ. On veut aller plus vite pour ces
jeunes, les mettre à l'écart dans des centres fermés
pour qu'on ne les entende plus dans ces quartiers, et
c'est tout. Mais quand ils sortent de centre éducatif
fermé, la plupart continuent à être suivis par la PJJ,
car les problèmes ne se résolvent pas magiquement en
six mois de séjour dans un centre.»
«L'efficacité de la PJJ n'est pas visible sur le court
terme, mais c'est le sens même de notre travail de se
dérouler sur le long terme», dit Stéphanie Martinon.
A ceci près que les éducateurs ne sont «pas des
sauveurs», remarque Gérard Bourgon. «Quand dans
une cité, comme celle de La Cayolle (au sud de
Marseille), les familles sont dans la transgression
sur plusieurs générations, nous n'allons pas faire des
miracles et changer le système», dit-il. «En fait, nous
sommes souvent victimes de représentations idéalisées
des autres institutions, qui nous prennent pour des
magiciens et essaient de nous refiler le bébé», souligne
le directeur.
Un phénomène encore accentué par la judiciarisation
actuelle, c'est-à-dire cette tendance à déléguer à la
justice ce qui aurait pu être traité par l'école ou le
commissariat du coin. «La dernière fois, nous avons
reçu trois copains de troisième, qui avaient balancé
des fruits depuis la fenêtre d'un appartement dans une
cour de récré, raconte Gérard Bourgon. Une fillette
avait reçu un citron dans l'œil et a eu un cocard.
Les jeunes avaient fait un peu de garde à vue, eu
une trouille bleue, ça suffisait. Etait-ce la peine de
mobiliser la grosse cavalerie de la justice pour ça ?»
Il y a des belles histoires, comme ce jeune Comorien
suivi sur une affaire criminelle à 16 ans, qu'ils ont
récemment revu. Il était devenu animateur. Mais
la plupart du temps, les jeunes devenus adultes ne
donnent pas de nouvelles. «Et ça arrive aussi qu'on
apprenne par des collègues de la pénitentiaire qu'untel
est aux Baumettes», raconte Stéphanie Martinon.
• Retrouvez notre dossier La justice des mineurs
en mode majeur
«On veut mettre ces jeunes à l'écart»
Les éducateurs sont aussi assez sceptiques sur la
transformation actuelle des foyers classiques en
centres fermés, qui s'accompagne d'une baisse des
moyens de la PJJ en milieu ouvert. «Ce sont des
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