Nestlé, le lait et le café Pierre-André Cordey Dans cet
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Nestlé, le lait et le café Pierre-André Cordey Dans cet
Nestlé, le lait et le café Pierre-André Cordey Dans cet atelier, nous avons avant tout entendu parler du secteur laitier et du rôle que joue Nestlé du côté des producteurs de lait. Nous avons entendu comment, à travers la récolte, le traitement du lait et la revente, donc tout au long de la chaîne de production, l’entreprise engrange d’importants profits. Ce qui peut paraître le plus surprenant cependant, c’est que Nestlé a réussi à transformer un bien, traditionnellement agricole et à consommation locale, en un bien industriel qui s’achète et se vend sur les marchés internationaux. Au Sud surtout, ce lait en poudre a, comme dans le cas de la Jamaïque, envahit les marchés du lait, et remplace un secteur local naissant. Qu’en est-il du café ? Le but de cet atelier était de comparer ces deux types de produits. Malheureusement, il nous faudrait un second séminaire pour pouvoir approfondir la problématique du café. Celle-ci est effectivement différente : La café est, contrairement au lait, typiquement un bien d’exportation – la production ne peut se faire que dans les pays du Sud, alors que c’est au nord que sa consommation est la plus forte. Notons que : Ce n’est pas n’importe quel produit d’exportation, mais bien le produit le plus vendu sur les marchés internationaux après le pétrole. De plus, deux-tiers des exportations sont produits par cinq pays : Brésil, Vietnam, Colombie, Indonésie et Guatemala, plus de deuxtiers des importations sont faites par les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, le Japon et l’Italie. Nous savons que la production du café traverse une profonde crise qui se prolonge depuis vingt ans. Celle-ci affecte 25 millions de producteurs. En 1990 déjà, SWISSAID publiait un article sur le café qui disait « Les prix du café sont en chute libre ». Une comparaison entre les prix de 1980 et de 1990 était faite. 12 ans plus tard, en 2002 après ce qu’on a appelé la « crise du café » en 2001, les prix touchent un fond incroyablement bas : En 1990, une livre se vendait encore à 1$ 20 cents, en 2002, elle se vendait en dessous de 50 cents. La situation n’a pas évolué favorablement depuis. Je ne vais pas ici entrer dans les détails du pourquoi. Citons juste la disparition en 1989 des mécanismes régulation de l’organisation internationale du café pour les prix, les stocks et les quantités produites. Ces mécanismes étaient semblables à ceux des pays des producteurs de pétrole de l’OPEC. Notons aussi la surproduction du café (119 mio. de sacs de production pour 110 mio. de sacs de consommation) entre autre provoquée par l’entrée en force du Vietnam parmi les producteurs de café dans les années nonante. Les petits producteurs ont énormément souffert de la chute des prix et de la fluctuation des marchés, surtout en Amérique latine. Au Nicaragua, des familles mendient au bord des routes, dans les Andes, des paysans se tournent vers la culture de coca, qui sera ensuite transformé en cocaïne. L’ampleur de la problématique se lit aussi dans les chiffres : AU début des années nonante les pays producteurs exportaient pour environ 10 à 12 milliards de $ alors qu’en 2003 les exportations ne rapportaient plus que 5,5 Mia. Au contraire, les ventes du produit fini rapportait environ 30 Mia de $ en 1990, alors qu’en 2003 les consommateurs dépensaient 70 Mia de $ pour le café. Les chiffres montrent bien que le café est un marché rentable. Mais pour qui ? Pas les petits producteurs : Le coût du café à l’achat est dérisoire, et 94 % du café quitte les pays producteurs sans avoir été torréfié. Pas le consommateur, qui paie une petite fortune pour un espresso. Ce sont les grandes transnationales du café, soit Nestlé, Kraft, Sara Lee, Procter & Gamble et Tchibo, qui ont vu leurs bénéfices enfler. Ces cinq maîtrisent 70% du marché de la torréfaction et du café soluble, l’entreprise Nestlé à elle seule 25%. Mais plus que de uniquement profiter des distorsions et la fragilité des marchés, ces grands torréfacteurs contribuent, chaque jour, à rendre la vie des petits producteurs un peu plus précaire et à déstabiliser des économies fortement dépendantes de leurs exportations de café. Ce sont en effet eux qui avec leur politique d’achat notamment, influencent les quantités et la qualité de la production. Les fluctuations du marché et les grandes quantités les arrange – ils peuvent faire jouer la concurrence entre les pays et acheter bon marché. Quant à la qualité, il poussent à produire du café de type Robusta, plus amer, qui coûte moins cher. Grâce à la technologie, les torréfacteurs ont réussi à rendre le café à base de grains Robusta buvables en l’aromatisant. Ils ont besoin de moins de graines pour produire un kilo de café et arrivent même à désoxyder le café périmé pour le revendre. Question prix, le consommateur n’y voit que du feu. Pendant ce temps, les marges de profit des transnationales s’accroissent, alors que le monde est submergé de café bon marché de qualité médiocre. Mais les transnationales jouent sur plusieurs tableaux – elles s’intéressent également au marché des Arabicas exclusifs, comme le Blue Mountain de Jamaïque. La production de ce café coûte plus cher effectivement. Ce qui ne veut pas dire que les petits producteurs arrivent à couvrir leurs coûts. Deux marchés parallèles se sont formés : le café de mauvaise qualité sans certification, et celui des cafés exclusifs certifiés auquel les transnationales s’intéressent également. C’est notamment aux produits du commerce équitable et bio qu’ils se tournent, un marché de niche prometteur dans certains pays du Nord. Cette entrée des transnationales dans ces marchés engendre une concurrence déloyale avec les petits producteurs bio sur un petit marché. Les transnationales peuvent se permettre d’avoir leurs propres haciendas avec leur café gourmet ou bio, et de gérer tout la chaîne de production, de la graine de café à la tasse. Tout le monde est d’accord : le marché du café est tout à fait inégal. Seul une infime part des revenus engendrés par les espresso ou les latte macchiato reviennent aux cultivateurs, qui sont également ceux qui sont le plus touchés par la fluctuation des prix. Que faire, comment aider ceux qui sont à la base de ce marché fructueux ? Il y a un mois, l’organisation internationale du café, a décrétée, lors de la conférence mondiale du café au Brésil, qu’une régulation des prix et des quantités n’était pas une solution, mais qu’il fallait discuter des facteurs qui influencent ces derniers. Les deux axes à poursuivre sont l’accroissement de la demande et l’accès au savoir-faire. Ces solutions visent cependant à changer le marché du côté du consommateur avant tout. Les profonds problèmes structurels du marché ne sont pas abordés. Du côté de la production ce n’est non plus un plus grande productivité qui pourra améliorer à terme les conditions de vie des petits producteurs. D’un autre côté, un partenariat public – privé à été mis sur pied en 2003 sur l’initiative de l’ONG internationale OXFAM du nom de Common Code for the Coffee Community, ou 4-C, dont l’objectif est de fixer un code pour la production du café « normal ». Ce partenariat entre grandes entreprises telles Nestlé et Kraft, des institutions de développements comme la GTZ allemande et le SECO ainsi que la société civile, bat de l’aile selon la même OXFAM, qui dénonce le pression croissante de l’industrie. Alors que le débat stagne depuis bien longtemps au niveau international, des avancées concrètes ont été faites dans le commerce équitable depuis plus d’une douzaine d’années. L’article de SWISSAID de 1990, que j’ai mentionné plus haut, évoquait le futur engagement de l’œuvre d’entre aide pour un « café propre » sur le marché Suisse. Quelques années plus tard apparaît le café avec le label Max Havelaar. La fondation Max Havelaar a été crée en 1992 par les six grandes œuvres d’entre aide Suisse, dont Swissaid. Aujourd’hui, le café Max Havelaar représente 6% du marché suisse. Fin 2003, le prix pour l’Arabica était au plus bas, avec un prix de 58 cents par livre anglaise, alors que le prix du commerce équitable était inchangé depuis 1998 à 1$ 24 cents. Le rôle de Max Havelaar ne s’arrête pas là, évidemment. Les contrôles à l’aide de critères sociaux, environnementaux et économiques visent à garantir un développement durable. Mais SWISSAID s’engage depuis bien quelques années aussi directement sur place, pour aider les cultivateurs de café à améliorer leur existence et à accroître leur indépendance face aux commerçants et aux fluctuations du marché. C’est surtout en Colombie, pays tristement à l’honneur ce week-end, que notre œuvre d’entre aide soutient des projets liés à la culture de café. La Colombie est en effet l’un des pays les plus touchés par la crise du café. Avec la baisse des prix, la culture du café à connu une forte concentration, doublée d’une intensification de la production. Des nouvelles sortes de café, avec plus de rendement et des techniques industrielles ont été développés pour réduire les coûts de production. Ces nouvelles sortes destinées à une culture intensive ne conviennent pas aux nécessités des petits cultivateurs. Déjà dans les années quatre-vingts, l’utilisation d’alternatives à la culture intensive était encouragé par SWISSAID. Les modèles de production avaient des buts multiples, comme le ralentissement de l’érosion des sols, la diversification par une culture mixte de café et de culture maraîchère et de l’élevage de petits animaux domestiques. Pour ce faire, la base était les modèles traditionnels et une utilisation accrue d’engrais naturels. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, SWISSAID continue à soutenir la promotion d’un café biologique sur des modèles des production durable comme substitution à la culture de produits tels que la feuille de coca – destinée à la drogue. Prenons par exemple, le partenariat avec l’association Nuevo Futuro. Elle représente 160 familles de petits producteurs, dont 143 ont pu certifier leur production. Une partie de la production, soit plus de 50'000 kg de café, sont exportés vers l’Allemagne surtout, où l’association est lié à un client international El Puente, qui paye une prime bio et une prime social sur la chaque livre de café acheté. Dès le départ, ce projet avait pour but, à travers des primes de 15 à 25 Cents par livre, la reconversion de cultivateurs vers une production biologique et de leur permettre de produire selon les normes de certification données. Ainsi, le fond auquel Swissaid contribue a permis un soutien pour les trois éléments clé liés à la culture du café : la production, la commercialisation du café bio et le processus de certification. Le second but, au-delà de la production du café, est de diversifier les cultures, de rendre les domaines plus autonomes et indépendants grâce à des systèmes de production intégrés. Les mêmes buts sont transmis à travers ASPROINCA, un projet débuté cette année. ASPROINCA est un centre de formation pour paysans et paysannes qui souhaitent se former pour cultiver du café bio. Dans ce centre, les systèmes de production pour un développement durable ainsi que les structures de commercialisation y sont enseignés. Ces exemples, dont le succès n’est pas toujours éclatant – mais souvent mesurable à l’amélioration de la qualité de vie des producteurs - montrent à quel point il est important de s’engager au début de la chaîne de production. On pourrait donc dire qu’en ce qui concerne le café, l’approche de SWISSAID est double. Tout d’abord, il y a l’approche du commerce équitable, qui permet de mieux répartir les coûts et les bénéfices du marché du café le long de la chaîne de production. Ensuite, il y a le soutien sur place, directement lié à la production et à l’environnement des producteurs. Mais pour terminer, il est nécessaire de mentionner un troisième axe, qui est celui de la politique de développement. En effet, si le rôle de Swissaid est d’aider les populations démunies du Sud, elle a aussi le devoir de dénoncer les injustices et les dysfonctionnements des marchés internationaux maintenus et même renforcés par des transnationales telles que Nestlé.