l`aide à la nutrition - Action Contre La Faim
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l`aide à la nutrition - Action Contre La Faim
ACF-INTERNATIONAL Note d’information L’AIDE À LA NUTRITION Cover copyright: © S. Hauenstein Swan, ACF UK - Tchad Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition Recommandations Les pays activement impliqués dans la lutte contre la sous-nutrition, à la fois bailleurs et pays SUN, devraient s’investir davantage dans la recherche de solutions innovantes en matière de financements. Le travail actuel du mouvement SUN visant une mobilisation accrue des ressources représenterait une occasion idéale de faire de la mise en œuvre de mécanismes de financements innovants centrés sur la nutrition un objectif stratégique du SUN. La présidence britannique du G8 de 2013 ainsi que l’ensemble des acteurs qui se sont engagés à faire de la nutrition une priorité devraient développer des solutions financières innovantes qui permettraient de fournir le niveau de financements nécessaire à la lutte contre la sous-nutrition, avec une attention particulière portée aux interventions traitant de la malnutrition aiguë. Les termes de référence de la nouvelle « Facilité innovante pour l’Agriculture, la Sécurité alimentaire et la Nutrition » devraient prendre en considération les problématiques relatives à la nutrition et créer les conditions favorables à la conception et à l’opérationnalisation de mécanismes de financements innovants dédiés à la mise en œuvre d’interventions spécifiques en nutrition. Les gouvernements qui préparent la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTF) en 2013 devraient accroître leur contribution au développement et faire de la nutrition un secteur prioritaire. Contact ACF : Etienne du Vachat Chargé de plaidoyer Sécurité alimentaire [email protected] +33 1 80 05 34 77 Action contre la Faim – ACF Paris, France I. Promouvoir des mécanismes de financementS innovants pour la nutrition 1. Pourquoi les mécanismes de financements innovants sont-ils nécessaires pour la nutrition ? • La sous-nutrition continue de tuer La sous-nutrition est un défi majeur de santé publique dans les pays en développement. En 2011, 165 millions d’enfants de moins de cinq ans dans le monde souffraient de malnutrition chronique (dont plus de 90% en Afrique et en Asie) et 52 millions de malnutrition aigüe (ou émaciation, la forme la plus grave de sous-nutrition) avec un risque de mortalité accru1. La sous-nutrition2 favorise la survenue de nombreuses maladies (diarrhée, pneumonie…) et en accroit la gravité3. La malnutrition aigüe sévère est directement responsable de la mort d’un million d’enfants chaque année et la sous-nutrition dans son ensemble est la cause sous-jacente de plus de 35% des décès des enfants de moins de cinq ans4. • Les solutions efficaces sont connues, ainsi que leur coût Les interventions efficaces pour combattre la sous-nutrition sont connues. La revue médicale de référence The Lancet a identifié en 2008 treize interventions nutritionnelles directes dont la mise en œuvre permettrait des résultats importants5. Ces interventions nutritionnelles spécifiques consistent notamment à promouvoir des pratiques favorables à l’amélioration de la nutrition (allaitement et alimentation complémentaire progressive et appropriée, lavage des mains), à réduire les carences en micronutriments essentiels chez les populations les plus à risque (supplémentation en vitamine A, zinc thérapeutique, fer et acide folique, fortification en fer des aliments de base, etc.) ou encore à prévenir et traiter les enfants de 6 à 23 mois modérément malnutris grâce aux aliments complémentaires et traiter la malnutrition aigüe sévère grâce aux aliments thérapeutiques (enfants de 6 à 59 mois). D’après la Banque mondiale, la mise en œuvre de ces interventions directes dans les trente-six pays les plus gravement touchés par la sous-nutrition requiert un investissement annuel supplémentaire de 11,8 milliards de dollars US6. Ces interventions ont été à la base du lancement du Mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) en septembre 2010. Le SUN regroupe une trentaine de pays déterminés à accroître leurs efforts pour lutter contre la sousnutrition qui affecte leurs populations. Ces pays sont appuyés par une centaine de partenaires (bailleurs de fonds, organisations du système des Nations-Unies, ONG internationales, société civile, secteur privé). Les objectifs des membres du SUN sont la mise à l’échelle des interventions nutritionnelles spécifiques ayant une efficacité démontrée, la mise en œuvre de stratégies sectorielles contribuant à la nutrition (c’est-à-dire répondant aux besoins nutritionnels des individus, des ménages et des communautés) et l’amélioration de l’efficacité des programmes existants, au service des priorités nationales. • Investir dans la lutte contre la sous-nutrition est efficace et rentable Outre son coût humain, la sous-nutrition a un coût économique considérable, tant au niveau individuel que collectif. La sous-nutrition nuit au développement physique et cognitif, ce qui a des conséquences négatives sur l’éducation, l’emploi et le niveau de revenu de la personne7. Au niveau national, on estime que certains pays peuvent perdre jusqu’à 3% de leur produit intérieur brut par an du fait des conséquences de la sous-nutrition sur la productivité.8 1 - UNICEF-WHO-World Bank (2012) “Joint Child Malnutrition Estimates” 2 - Elle inclue le sous-poids (poids/âge), la retard de croissance (sous-nutrition chronique – taille/âge), la malnutrition aigüe (émaciation – faible poids/taille) et des carences en vitamines et minéraux. 3 - DFID (2012) An update of ‘The Neglected Crisis of Undernutrition: Evidence for Action’ 4 - European commission (2011) “Addressing Undernutrition in External Assistance” 5 - The Lancet (2008), “The Lancet’s Series on Maternal and Child Under-nutrition” 6 - Banque mondiale (2012), Horton et al. “What will it cost?” 7 - Hoddinott, J., J. Maluccio, J. Behrman, R. Martorell, P. Melgar, A. Quisumbing, M. Ramirez‐Zea, A. Stein, and K. Yount (2011), “The consequences of early childhood growth failure over the life course”, Mimeo, International Food Policy Research Institute, Washington, DC. 8 - Ibid 2 Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition A l’inverse, investir pour la nutrition rapporte : même dans les pays très pauvres et en se fondant sur des hypothèses prudentes, chaque dollar dépensé pour la réduction de la malnutrition chronique permet un gain d’au moins 30 dollars9. Ainsi, les interventions visant à combattre directement la sous-nutrition des jeunes enfants ont été reconnues comme les actions de développement les plus efficaces et efficientes par le ‘Consensus de Copenhague’ en 2008 et en 201210, qui a souligné l’intérêt de ces mesures dans les domaines de la santé et de l’éducation. • Les fonds actuellement mobilisés pour la sous-nutrition sont insuffisants Malgré l’efficacité et la rentabilité démontrées des interventions nutritionnelles, les fonds actuellement mobilisés pour les mettre en œuvre sont insignifiants. Action contre la faim (ACF) et l’Institute of Development Studies (IDS) ont réalisé en 2012 une première étude analysant non seulement le volume mais aussi la transparence, la qualité et l’efficacité des financements en nutrition (« L’aide à la nutrition – Les financements permettant de renforcer la lutte contre la malnutrition peuvent-ils être évalués avec précision ? »)11. Cette recherche a mis en évidence la faiblesse de ces flux ainsi que de très sérieuses lacunes dans les rapports de plusieurs bailleurs, rendant très ardu le suivi des flux d’aide à la nutrition. Elle a également permis de montrer que la part de l’aide publique au développement (APD) totale consacrée à la nutrition entre 2005 et 2009 s’est élevée à 0.6% (soit 438 millions de dollars en moyenne par an entre 2005 et 2009, dont seulement 73 millions pour le financement d’interventions directes et 365 millions pour des interventions indirectes). En outre, 11% des sommes promises n’ont pas été versées12. et les contraintes budgétaires croissantes dans la plupart des Etats-bailleurs n’incitent pas à l’optimisme quant à l’évolution future des flux d’APD. Enfin, la stratégie 2012-2015 du SUN publiée récemment rappelle la nécessité de mobiliser des fonds additionnels pour faire en sorte que le mouvement atteigne ses objectifs et puisse répondre aux besoins des pays13. En effet, les fonds actuellement disponibles pour la lutte contre la sous-nutrition (aide publique au développement et ressources nationales) sont trop faibles. Les Etats les plus touchés par la sous-nutrition ne pourront assumer seuls la charge des investissements requis car leurs ressources nationales sont le plus souvent trop modestes pour faire face au défi. En effet, d’après le second volet de l’étude réalisée par ACF et IDS, les pays les plus pauvres sont ceux qui présentent les taux les plus élevés de sous-nutrition et qui devraient donc supporter les coûts les plus importants pour la mise à l’échelle des interventions en nutrition14. • Des mécanismes de financements innovants pour la nutrition permettront de lever de nouvelles ressources et d’améliorer l’efficacité de l’aide Face à ces enjeux, il est urgent de mobiliser de nouvelles sources de financements pour la lutte contre la sous-nutrition. Les financements innovants sont par nature stables et prévisibles, complémentaires de l’APD traditionnelle et doivent assurer la participation des secteurs et activités ayant le plus bénéficié de la mondialisation à la construction d’une solidarité internationale15. Ils donnent lieu à des partenariats nouveaux (entre le Nord et le Sud, entre les États, les ONG et les organisations internationales, entre les secteurs public et privé), avec le soutien de la société civile. Ces mécanismes et ces partenariats permettent de renforcer les exigences d’efficacité de l’aide et de gestion axée sur les résultats, comme l’illustre par exemple le mécanisme des obligations à impact nutritionnel présenté ci-dessous, pour lequel le volume des fonds investis dans un programme est directement fonction de l’efficacité de celui-ci. Enfin, les mécanismes de financement innovants permettent une transparence et une visibilité optimales, qui assurent leur pérennité. 9 - IFPRI (2012), Hoddinott J., Rosegrant M. et Torero M. “Investments to reduce hunger and undernutrition”, Paper prepared for 2012 Global Copenhagen Consensus. Selon les calculs des auteurs et en utilisant les hypothèses les plus prudentes, un investissement d’un dollar dans la réduction de la malnutrition chronique permet un retour de 29.5 dollars en Ethiopie et jusqu’à 87.5 dollars en Inde (compte-tenu des différences initiales entre niveaux de revenus et prévisions de croissance). 10 - La supplémentation en vitamine A et en zinc pour les enfants a été classée en tête du classement des interventions les plus efficientes en 2008. En 2012, ce sont les interventions nutritionnelles combinées (notamment fourniture de micronutriments, aliments complémentaires, traitement contre les vers et contre les maladies diarrhéiques et programmes de changement de comportement) 11 - http://www.actioncontrelafaim.org/sites/default/files/articles/fichier/publication_advocacy_aidfornutrition.pdf 12 - Ibid 13 - SUN (2012), “Scaling Up Nutrition (SUN) Movement Strategy [2012-2015]” 14 - Action contre la faim et IDS (2012), « L’aide pour la nutrition – Utiliser les financements innovants pour mettre fin à la sous-nutrition » http://www.actioncontrelafaim.org/sites/default/files/publications/fichiers/acf_phase2_online_version.pdf (en anglais) 15 - Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, « 6e Réunion plénière - Conclusions finales de la présidence française », mai 2009, sur http://www.leadinggroup.org/IMG/pdf_VERSION_DEF_FR.pdf Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition 3 2. Faire de la nutrition un élément essentiel des discussions sur les financements innovants • La multiplication récente des initiatives autour des financements innovants Depuis la Conférence de Monterrey en 2002 où la notion de « financements innovants » a été introduite dans le débat international, le sujet est rapidement devenu incontournable. En 2006, la contribution sur les billets d’avion au bénéfice d’UNITAID est mise en place par le Brésil, le Chili, la France, la Norvège et le Royaume-Uni, constituant un précédent exemplaire. Deux nouveaux mécanismes de financement sont lancés quelques mois plus tard : la Facilité internationale de financement pour la vaccination (IFFIm) qui permet d’emprunter quatre milliards de dollars sur les marchés financiers afin de financer des programmes de vaccination par le biais du fonds GAVI dans les 70 pays les plus pauvres de la planète entre 2006 et 2015, et les « garanties d’achats futurs » (ou Advanced Market Commitments - AMC) pour le vaccin antipneumococcique, qui constituent un engagement préalable, juridiquement contraignant, d’acheter des vaccins selon des conditions prédéfinies et incitent les fournisseurs à développer et fabriquer des produits appropriés. En 2006 est créé le Groupe Pilote sur les financements innovants pour le développement, qui constitue une plate-forme privilégiée de discussion, d’échange d’informations et de promotion des financements innovants. En 2008, la Déclaration de Doha sur le financement du développement appelle la communauté internationale à renforcer les initiatives existantes et à explorer de nouvelles pistes en matière de financements innovants16. Lors du sommet du G20 à Cannes en novembre 2011, Bill Gates remet aux dirigeants un rapport qui présente plusieurs mécanismes et leur potentiel en termes de développement17. Ce rapport est optimiste : « Les pays capables de contribuer aux ressources pour le développement n’ont jamais été aussi nombreux. Le nombre de personnes en mesure de favoriser l’innovation est bien plus élevé qu’hier. C’est pour toutes ces raisons que je suis convaincu que nous pouvons bâtir une nouvelle ère dans le développement »18. Dans la déclaration finale, le G20 reconnaît que de nouvelles sources de financement doivent être trouvées pour répondre aux besoins du développement.19 De nombreuses études ont été consacrées aux financements innovants, afin de recenser les initiatives existantes et les mécanismes envisageables, étudier leur faisabilité et estimer leur potentiel de collecte20. Les secteurs de la santé et de l’environnement sont les deux domaines qui ont le plus bénéficié des financements innovants. La crise alimentaire de 2008 a mis en lumière l’urgence d’investir pour la sécurité alimentaire et l’agriculture21. En revanche, la nutrition est un secteur oublié : malgré l’ampleur des besoins, très peu d’efforts ont porté sur la nutrition et il n’existe à ce jour aucun mécanisme de financements innovants pour ce secteur. • Le groupe de travail sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition Créé lors de la neuvième session plénière du Groupe pilote pour les financements innovants en juin 2011 à Bamako, le groupe de travail sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition avait vocation à combler l’absence de la nutrition dans le débat sur les financements innovants et à « proposer des financements innovants destinés à augmenter les ressources pour la sécurité alimentaire, la nutrition et le développement durable de l’agriculture, en d’autres termes, de réduire substantiellement le nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition, en accord avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement »22. Avec l’aide d’un comité international d’experts de haut niveau, ce groupe de travail devait étudier les mécanismes innovants envisageables pour le financement de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Cependant, les travaux et le rapport final du groupe se sont essentiellement focalisés sur le secteur agricole et peu de réflexions ont porté sur le financement de la lutte contre la sous-nutrition. La recommandation principale du groupe de travail est de créer un fonds catalytique pour stimuler l’investissement privé dans l’agriculture, en ciblant les petits producteurs et les cultures vivrières afin de sécuriser l’alimentation des ménages et des populations. La nutrition est, une nouvelle fois, oubliée du processus. 16 - http://www.un.org/esa/ffd/doha/documents/Doha_Declaration_FFD.pdf 17 - Bill Gates (2011), “Innovation With Impact : Financing 21st Century Development”, rapport au G20 18 - http://www.thegatesnotes.com/Topics/Development/G20-Report-Innovation-with-Impact/ 19 - http://www.g20-g8.com/g8-g20/g20/francais/pour-la-presse/communiques-de-presse/declaration-finale-du-sommet-de-cannes.1561.html 20 - Nations-Unies (2010), The I-8 Group Leading Innovative Financing for Equity [L.I.F.E.], “Innovative Financing for Development”; Nations-Unies (2012), “World Economic and Social Survey 2012 - In Search of New Development Finance”; Banque mondiale (2012), “Innovative Finance For Development Solutions Initiatives Of The World Bank Group”; etc. 21 - Le rapport de Bill Gates au G20 (2011) propose par exemple que les mécanismes de financement servent à financer les efforts de recherche et développement en agriculture à hauteur de 5 milliards de dollars US. 22 - Termes de référence du Groupe de travail sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition. 4 Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition • Plusieurs approches innovantes associant le secteur privé Plusieurs initiatives récentes dans le secteur de la nutrition ont associé le secteur privé pour développer des produits agricoles et alimentaires à forte valeur nutritionnelle et enrichis en micronutriments. On peut citer par exemple l’initiative HarvestPlus pour la biofortification des semences23 et l’Alliance Globale pour l’Amélioration de la Nutrition (GAIN - Global Alliance for Improved Nutrition) pour la fortification alimentaire24. Ces initiatives reposent sur des partenariats public-privé destinés à développer des semences biofortifiées, des aliments fortifiés et de supplémentation. Néanmoins, ces initiatives ne garantissent pas l’accès économique des populations les plus vulnérables à une alimentation plus nutritive et ne permettent donc pas de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels. • Le G8 britannique sera-t-il un rendez-vous décisif pour les financements innovants pour la nutrition ? Le Sommet de la faim (“Hunger Summit”) qui s’est tenu à Londres en marge des Jeux Olympiques d’août 2012 a été l’occasion pour le Royaume-Uni et plusieurs autres pays de mettre en avant la lutte contre la sousnutrition et leur volonté d’obtenir rapidement des avancées significatives dans ce secteur. L’engagement britannique d’assister 20 millions d’enfants et de femmes enceintes présentant un risque de sous-nutrition entre 2011 et 2015 a été rapidement suivi par l’engagement de la Commission européenne de prendre en charge directement 7 millions d’enfants affectés par la sous-nutrition d’ici à 201525, démontrant ainsi la volonté politique d’avancer sur ce sujet. Le prochain sommet du G8 au Royaume-Uni en 2013 doit permettre de mobiliser tous les pays impliqués dans la lutte contre la sous-nutrition afin d’obtenir de réelles avancées et la mise en place concrète de nouveaux mécanismes de financements innovants en faveur de la nutrition. C’est notamment l’objectif du travail récemment engagé au sein du groupe des bailleurs du mouvement SUN, en collaboration avec la Fondation Bill & Melinda Gates. II. Sélectionner différentes options de financementS innovantS pour la sous-nutrition 1. Exercice d’évaluation de cinq mécanismes de financements innovants pour la nutrition Les bailleurs et gouvernements qui se sont engagés dans le cadre du mouvement SUN26 doivent augmenter fortement leurs financements pour des interventions directes en nutrition. Aussi, ACF et IDS (Institute of Development Studies) ont publié en 2012 une seconde étude visant à chiffrer les investissements nécessaires sur les dix prochaines années pour mettre à l’échelle les interventions nutritionnelles directes et atteindre les objectifs du mouvement SUN. Cette étude (« Aid for nutrition – Using innovative financing to end undernutrition »27) élabore plusieurs scénarios pour évaluer dans quelle mesure ces investissements peuvent être pris en charge par les pays concernés par la sous-nutrition et par les bailleurs. Cependant, l’importance des investissements nécessaires et le contexte actuel de crise économique mondiale rendent indispensable le recours à de nouvelles sources de financement. Face à l’ampleur des besoins pour combattre la sous-nutrition, il est primordial de promouvoir la mise en place de mécanismes de financements innovants spécifiquement dédiés à la lutte contre ce fléau. Identifier de tels mécanismes suppose de faire preuve d’innovation et de créativité mais aussi d’une réelle volonté politique. ACF et IDS ont exploré différents mécanismes qui permettraient de collecter les ressources additionnelles nécessaires pour la nutrition. Certains, s’ils sont très prometteurs, doivent être davantage développés. En effet, il est primordial pour définir si des mécanismes méritent d’être mis en œuvre, d’évaluer leur potentiel 23 - http://www.harvestplus.org/ 24 - http://www.gainhealth.org/ 25 - Soit 10% de l’objectif global de l’Assemblée mondiale de la santé (OMS). 26 - Soient trente Etats : Bangladesh, Benin, Burkina Faso, Burundi, Ethiopie, Gambie, Ghana, Guatemala, Haiti, Indonésie, Kenya, Kirghizstan, Laos, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Népal, Niger, Nigeria, Pérou, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Tanzanie, Ouganda, Zambie, Zimbabwe. 27 - http://www.actionagainsthunger.org.uk/fileadmin/contribution/pdf/ACF_Aid%20for%20Nutrition_Using%20Innovative%20Financing%20to%20End%20 Undernutrition.pdf Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition 5 et leur valeur ajoutée. ACF a donc retenu les cinq critères suivant dans le but d’analyser les différents mécanismes qui méritent d’être pris en considération pour combler l’écart existant entre les ressources actuellement disponibles pour la lutte contre la sous-nutrition et celles nécessaires. Additionnalité : Ce critère renvoie à la capacité du mécanisme à collecter des ressources supplémentaires par rapport à l’APD traditionnelle. Prévisibilité : Les ressources engagées pour lutter contre la sous-nutrition doivent être prévisibles et stables afin d’assurer la pérennité et la continuité des interventions. Faisabilité : Ce critère renvoie à la faisabilité politique, à la fois au plan national et international, de la mise en œuvre du mécanisme, qui s’apprécie par rapport aux éventuels obstacles juridiques, économiques ou autres. Efficacité économique : L’efficacité du mécanisme s’apprécie quant aux effets liés au système de collecte. Le mécanisme ne doit pas entraîner de distorsions économiques majeures. Efficacité pour la nutrition : Ce critère consiste à relier les ressources aux résultats, à travers trois dimensions. Il permet premièrement de cibler les mécanismes qui, de leur conception jusqu’à leur mise en œuvre, intègrent des objectifs nutritionnels, et de maximiser leur impact. Deuxièmement, il permet d’assurer un lien direct et visible entre les nouvelles sources de financement et les programmes auxquels ces financements sont alloués. Enfin, ce critère permet également de favoriser les mécanismes pour lesquels l’utilisation des ressources en faveur de la nutrition n’entre pas en concurrence avec d’autres secteurs. Nous avons, pour conduire cette analyse, identifié deux grandes catégories de mécanismes : les mécanismes innovants basés sur l’APD et les mécanismes basés sur les marchés et contributions volontaires. Notre objectif ici n’est pas de choisir ou d’identifier un mécanisme en particulier, mais plutôt d’apprécier les cinq mécanismes suivants à l’aune des critères décrits ci-dessus, afin d’encourager de plus amples recherches et finalement des prises de décisions allant dans le sens d’une augmentation des investissements en nutrition. • Les obligations à impact nutritionnel • « Matching funds » • La taxe sur les transactions financières • La taxe sur les produits gras, salés et sucrés • La loterie • Obligations à impact nutritionnel Principe : Les obligations à impact nutritionnel sont une déclinaison des “Development Impact Bonds” (DIBs), un mécanisme basé sur les résultats par lequel des investisseurs privés participent (partiellement ou totalement) au financement de certains services à fort impact social. Le principe est le suivant : un gouvernement souhaite atteindre un résultat spécifique quantifiable (réduction du taux de sous-nutrition ou de carence en micronutriments dans une population donnée, par exemple), à travers la mise en œuvre d’interventions dont l’efficacité est reconnue. Pour ce faire, le gouvernement émet des obligations, qui seront achetées par des investisseurs privés. Les sommes collectées seront investies dans la réalisation du programme en question par un organisme prestataire de service. Les investisseurs réalisent l’investissement préalable et sont rémunérés sur la base des résultats obtenus par le programme. La rémunération est assumée par le gouvernement bénéficiaire du programme et/ou des Etats bailleurs, organisations internationales ou fondations qui s’associeraient à l’initiative. L’intérêt principal du mécanisme est de coupler rémunération et résultat, ce qui constitue une forte incitation à maximiser l’impact des programmes et améliore l’efficacité des dépenses. Application : Cet instrument s’inspire des “Social Impact Bonds” (SIBs), développés par Social Finance28 et le ministère de la justice britannique pour financer divers programmes sociaux à destination d’anciens détenus. Lancés en septembre 2010, les “Social Impact Bonds” ont permis de collecter 5 millions de livres sterling auprès de 17 investisseurs sociaux pour des programmes dont 3000 personnes ont bénéficié. Social Finance et le Center for Global Development ont également étudié comment les SIBs peuvent être utilisés pour financer des services de planification familiale dans les pays en développement, partant du constat que les financements dans ce domaine ont diminué depuis vingt ans et que l’écart entre les besoins et les ressources disponibles ne cesse de croître29. L’insuffisance et l’imprévisibilité des financements, le manque d’attention accordée à la qualité des services et aux communautés marginalisées, le manque 28 - http://www.socialfinance.org.uk/ 29 - Social Finance et center for Global development (18 mai 2012), “Family planning development impact bond - Initial scoping report to DFID” http://www.dfid.gov.uk/Documents/publications1/Family-Planning-Dev-Impact-Bonds-Scoping.pdf 6 Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition de coordination et de flexibilité dans la mise en œuvre sont autant de problèmes que les SIBs peuvent permettre de résoudre. Le Canada est également intéressé et se propose d’utiliser des SIBs pour financer l’innovation et la mise à l’échelle de solutions permettant de faire face aux problèmes majeurs des pays en développement, notamment dans le domaine de la santé (initiative “Grand Challenges Canada”30). Plusieurs autres institutions de financement du développement, notamment la Banque interaméricaine de développement et la Banque asiatique de développement, s’intéressent également au mécanisme. Appliquées au domaine de la nutrition, les obligations pourraient servir par exemple à financer la mise en œuvre d’un programme de supplémentation en vitamine A (des recherches ont montré que, lorsqu’une population présente un risque de carence en vitamine A, une supplémentation réduit la mortalité des enfants de six mois à cinq ans en moyenne de 23% et le risque de cécité de 70%31) dont l’objectif sera de réduire le taux de carence d’une population donnée. La conception et la mise en œuvre du programme sont confiées à un prestataire de service, incité à développer une démarche innovante et efficace. Les programmes pourraient également consister à mettre en place des cantines scolaires, à assurer une supplémentation en zinc thérapeutique, en fer et acide folique pour les femmes enceintes, à assurer le déparasitage des enfants, à promouvoir des pratiques d’hygiène et de santé telles que le lavage des mains, ou bien encore à assurer une fortification en fer des aliments de base et l’enrichissement en iode du sel. Estimation du potentiel de collecte : Le potentiel de collecte est fort et sera fonction de la volonté des bailleurs à s’engager. Le mécanisme est attractif pour les investisseurs privés puisque le rendement des obligations est comparable à celui du marché et qu’il est garanti par les bailleurs.32 Critères : Additionnalité Non. Mécanisme de concentration de l’aide (“up-front loading”) qui permet de mobiliser plus rapidement les fonds et génère des effets de levier. Prévisibilité Optimale car le mécanisme repose sur l’engagement à long-terme des bailleurs Faisabilité Mécanisme pouvant être facilement développé au niveau national mais qui nécessite un engagement de long-terme des bailleurs. Efficacité économique Elevée : les bailleurs (Etats, organisations internationales, fondations) ne paient que pour les interventions qui réussissent, le risque étant transféré aux investisseurs. C’est également un mécanisme qui améliore la coordination entre gouvernements, bailleurs, prestataires de service et investisseurs privés. Efficacité pour la nutrition Ce mécanisme améliore l’efficacité des sommes investies et favorise des approches fondées sur les résultats : fort impact si les résultats attendus sont bien définis. Il n’y a pas de concurrence avec d’autres usages car les DIBs sont émis pour financer un programme aux objectifs déterminés. • Matching funds Principe : Les “matching funds” (ou « fonds de contrepartie ») permettent d’obtenir le doublement des sommes engagées pour un objectif donné par d’autres acteurs, qui désirent soutenir cet engagement. Ils peuvent être créés par des Etats bailleurs, des fondations, etc Application : “Les “matching funds” pour la nutrition pourraient être constitués par des bailleurs et d’autres acteurs impliqués dans la lutte contre la sous-nutrition afin de soutenir la mise en œuvre des plans d’action développés par les pays SUN. Chaque dollar dépensé par un pays serait doublé par les bailleurs. Cela inciterait les pays à augmenter leurs investissements et serait conforme avec la stratégie du SUN qui consiste à ce que les partenaires s’alignent sur les plans et activités dirigés par les pays et s’engagent à accroître les investissements consacrés à la nutrition33. Le respect par les Etats concernés des principes de transparence financière et de bonne gouvernance des fonds publics serait un préalable nécessaire, car il conditionne l’utilisation efficace des ressources et donc le succès du mécanisme. 30 - http://www.grandchallenges.ca/ 31 - Beaton GH et al (1993), “Effectiveness of vitamin A supplementation in the control of young child morbidity and mortality in developing countries”, United Nations Administrative Committee on Coordination, Sub-committee on Nutrition State-of-the-Art Series: Nutrition Policy Discussion Paper No. 13. Geneva, United Nations, 1993. United Call to Action (2009), “Investing in the future – A united call to action on vitamin and mineral deficiencies”, USAid-Unicef-Worl Bank-Flour fortification initative-GAIN-Micronutrient initiative 32 - En Grande-Bretagne, le mécanisme des Social Impact Bonds a permis de collecter 5 millions de livres sterling. La Banque mondiale a également développé un mécanisme similaire en émettant des obligations vertes pour les investisseurs souhaitant intégrer des préoccupations environnementales et sociales dans leurs investissement. Depuis 2008, ces obligations ont permis de collecter environ 3 milliards de dollars (PNUD, 2012, “Innovative Financing for Development: A New Model for Development Finance?” Discussion paper). 33 - http://scalingupnutrition.org/wp-content/uploads/2012/10/SUN-Information-Note-September-2012_FR.pdf Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition 7 Potentiel de collecte : Celui-ci dépend de la volonté des contributeurs au “matching fund” et des capacités des pays SUN. Comme le souligne la stratégie 2012-2015 du Mouvement SUN : « La disposition des Etats SUN à réaliser des investissements significatifs et la démonstration de l’efficacité de ces investissements auront un effet très positif sur la mobilisation de financements externes.34 Critères : Additionnalité Dépend de qui contribue au matching fund (Etats et/ou partenaires privés) Prévisibilité Le niveau de collecte initial dépend de l’engagement des pays SUN mais les contributeurs au matching fund s’engagent sur des barèmes et règles de fonctionnement prédéfinies, ce qui assure une certaine prévisibilité Faisabilité Les pays SUN ont déjà élaboré un plan d’action pour la nutrition et se sont engagés à agir, ce qui permet de fixer le cadre et les objectifs du matching fund. Le mécanisme est flexible : le nombre de participants (pays SUN et bailleurs) et les barèmes peuvent être librement définis Efficacité économique Mécanisme incitatif, qui renforce la stratégie et les efforts des pays SUN (appropriation). Il permet de créer de nouveaux partenariats Efficacité pour la nutrition Très élevée car les sommes collectées sont investies dans la réalisation des stratégies nationales de lutte contre la sous-nutrition, élaborées à partir du diagnostic de la situation et des besoins au niveau du pays • Taxe sur les transactions financières Principe : La taxe sur les transactions financières (TTF) est une taxe infime prélevée sur l’achat, la vente ou le transfert des quatre grandes catégories d’actifs financiers, à savoir les actions et les obligations, les transactions de change et les produits dérivés. La justification économique d’une telle taxe est reconnue. Selon l’OCDE, l’augmentation mesurée des coûts de transaction générée par une taxe freinerait les activités de spéculation de manière à aligner les flux de capitaux avec les fondamentaux économiques réels, tout en libérant de nouvelles sources de financement des biens publics mondiaux35. L’idée d’une TTF pour le développement a été très largement admise par les instances internationales (G8, G20, Nations-Unies…) mais n’a encore produit aucun effet à ce jour. Application : De nombreux schémas de TTF existent de par le monde (parmi les membres du G20, onze pays sont concernés36). Au niveau européen, outre la France qui l’a adoptée en août 2012, dix Etats se sont déclarés intéressés par l’instauration d’une TTF (Autriche, Belgique, Estonie, France, Allemagne, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie, Slovénie et l’Espagne, qui ensemble représentent environ 90 % du produit intérieur brut de la zone euro).37 Pour l’instant, seule la France a décidé de dédier une partie du produit de la taxe au développement. Le Parlement européen, dans la résolution approuvée le 23 mai 2012, est favorable à une TTF européenne et préconise que les recettes soient allouées tant au budget général qu’à des politiques de développement et de lutte contre le changement climatique38. Il est crucial que les TTF s’appliquent aux marchés de produits dérivés, eu égard à l’importance du volume des échanges et aux conséquences de ces transactions. En effet, depuis les années 1990 la financiarisation des marchés agricoles a largement contribué à amplifier la volatilité des prix et à accroître l’incertitude, que les contrats dérivés sur les matières premières sont pourtant censés réduire, au détriment des producteurs et consommateurs, et notamment des consommateurs les plus pauvres. Les marchés de produits agricoles sont devenus en quelques années des marchés d’investissement financier particulièrement exposés au trading à haute fréquence, comme l’ont démontré deux économistes de la CNUCED39. L’allocation du produit de la TTF à des programmes nutritionnels permettrait de mobiliser des ressources considérables afin d’augmenter significativement l’échelle de mise en œuvre des interventions nutritionnelles dans les pays SUN et de réaliser des investissements dont l’efficacité et l’efficience ont été établies. Cela permettrait également 34 - http://scalingupnutrition.org/wp-content/uploads/2012/10/SUN-MOVEMENT-STRATEGY-FRENCH.pdf 35 - OCDE (2010), « Les paramètres d’une taxe sur les transactions financières et le déficit de financement des biens publics mondiaux par les pays de l’OCDE, 2010 – 2020 » 36 - Dont le Royaume-Uni, la Corée du Sud, la France, Hong Kong, l’Inde, Taïwan, la Suisse et le Brésil. 37 - Parlement européen, 12 décembre 2012 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20121207IPR04408/html/TTF-le-Parlement-europ%C3%A9en-donne-son-feu-vert-%C3%A0-11%C3%89tats-membres 38 - Sénat (France), 13 décembre 2012 : http://www.senat.fr/rap/a12-150-4/a12-150-444.html 39 - Munich Personal RePEc Archive (MPRA), David Bicchetti et Nicolas Maystre, Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), 20 mars 2012, “The synchronized and long-lasting structural change on commodity markets: evidence from high frequency data” 8 Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition de faire contribuer à la solidarité internationale les secteurs ayant le plus profité de la mondialisation. Il est essentiel que les Etats européens et les Etats membres du G20 (qui ont reconnu en 2011 la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement pour répondre aux besoins du développement, dont une taxe sur les transactions financière40) se mobilisent autour du projet d’adoption d’une TTF, applicable à toute négociation d’instruments financiers sur le marché secondaire des capitaux, dont les produits dérivés des matières premières, permettant de lutter contre la sous-nutrition. En incluant toutes les catégories de marchés financiers, de transactions et de produits et tous les acteurs du marché, cette taxe est économiquement et juridiquement neutre et son potentiel est considérable. Potentiel de collecte : Très variable en fonction de l’assiette et du taux retenus pour le calcul. A titre indicatif, une TTF à large assiette (incluant les marchés de produits dérivés) et à faible taux pourrait permettre de collecter près de 200 milliards d’euros par an au niveau européen et 650 milliards de dollars au niveau mondial (PNUD, 2012)41. 42 43 Critères : Additionnalité Oui, si les recettes de la taxe sont extra-budgétaires. Prévisibilité Bonne (possibilité de définir une fourchette de variation). Faisabilité Elle existe déjà dans plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, Taïwan et la France. Approuvée par le grand public et un grand nombre d’organisations internationales. Peut être adoptée dans les Etats volontaires, libres de fixer indépendamment le modèle de taxation. Efficacité économique Pour le FMI, les TTF ne restreignent pas automatiquement l’activité financière à un niveau inacceptable (FMI, 2011)42 : le succès de leur mise en œuvre dépend de la qualité de leur conception (Stamp Out Poverty, 2012).43 Il faut également tenir compte des effets économiques positifs de la TTF si le produit est réinvesti dans l’amélioration de la nutrition (cf. la rentabilité économique des investissements en nutrition). Efficacité pour la nutrition Peut être très élevé compte tenu du potentiel de collecte de la TTF. Cependant, il y a une forte concurrence sur l’emploi des ressources. • Taxe sur les produits gras, salés, sucrés Principe : Une taxe sur les aliments et les boissons à teneur élevée en graisse (matières grasses ou aliments riches en acides gras saturés), sel et sucres (produits « HFSS »), permettrait de collecter des ressources pour lutter contre la sous-nutrition. La taxe exerce un effet de signal auprès des populations des pays du Nord quant aux conséquences négatives d’une alimentation trop riche sur leur santé. Application : Différentes taxes sur les produits HFSS existent dans plusieurs pays de l’OCDE (Hongrie, Finlande, France, plusieurs Etats américains), d’autres sont à l’étude en Belgique, Irlande, Roumanie, Grande-Bretagne ou encore Italie44. Elles concernent différents produits (biscuits salés et sucrés, gâteaux préemballés, sodas) et sont à la charge des fabricants, importateurs et commerçants qui fournissent ces produits. Les produits taxés doivent être judicieusement ciblés (produits HFSS qui ont des alternatives plus saines) afin d’éviter de pénaliser des produits alimentaires de base et les catégories les plus pauvres de la population. L’abandon en novembre 2012 de la taxe instaurée sur les produits gras au Danemark à peine plus d’un an après son introduction nous enseigne que le spectre des produits visés ne doit pas être trop extensif (dans ce cas, tous les produits contenant plus de 2,3% d’acides gras étaient concernés). Le modèle le plus simple consiste à ce que chaque Etat volontaire opte pour un schéma de taxation (produits visés et taux) et assure la collecte au niveau national en affectant le produit de celle-ci à des programmes de lutte contre la malnutrition (qui regroupe la sous-nutrition dans les pays en développement et la suralimentation dans les pays du Nord). Les pays dans lesquels une taxe sur les produits HFSS existe déjà pourraient décider de l’élargissement de cette taxe (élargissement de l’assiette et/ou augmentation du 40 - Déclaration finale du G20, Paragraphe 82, 4 novembre 2011 http://www.g20-g8.com/g8-g20/g20/francais/pour-la-presse/communiques-de-presse/declaration-finale-du-sommet-de-cannes.1561.html 41 - Programme des Nations-Unies pour le Développement/PNUD (2012), “Innovative Financing for Development:A New Model for Development Finance?”, Discussion paper 42 - IMF (2011), “Taxing Financial Transactions: Issues and Evidence”. IMF Working Paper. http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2011/wp1154.pdf 43 - Stamp Out Poverty (2012), « La Taxe sur les Transactions Financières: Dissiper les idées fausses » http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2011/wp1154.pdf 44 - OCDE, 2012, “Obesity update 2012” Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition 9 taux) et de la réaffectation de tout ou partie de son produit à des programmes nutritionnels dans les pays en développement. Potentiel de collecte : Le potentiel de ce type de taxe n’est pas négligeable : en Hongrie, la taxe sur certains produits manufacturés contenant beaucoup de sucre, de sel ou de caféine (biscuits salés et sucrés, sodas, gâteaux préemballés) introduite en 2011 doit rapporter 70 millions d’euros par an ; en France, la taxe sur les boissons sucrées (2 centimes d’euros par canette de 33 centilitres) entrée en vigueur en janvier 2012 devrait générer 280 millions d’euros de revenus annuels. Critères : Additionnalité Oui Prévisibilité Bonne (possibilité de définir une fourchette de variation) Faisabilité Différentes taxes sur les produits gras, sucrés, salés existent déjà dans plusieurs pays Système harmonisé (au sein du G20 par exemple) ou coexistence de plusieurs taxes nationales, dont le produit est affecté à la lutte contre la sous-nutrition. Soutenue par l’OMS, l’OCDE, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation aux NationsUnies. Efficacité économique Fonction des produits ciblés Efficacité pour la nutrition Impact positif sur les deux formes de malnutrition : sous-nutrition et suralimentation (surpoids, obésité) • Loterie Principe : Une loterie solidaire créée dans un ou plusieurs pays volontaires, dont les bénéfices seraient affectés à la réalisation de programmes de lutte contre la sous-nutrition. Les joueurs deviendraient donc des acteurs de la solidarité internationale. Application : D’après le rapport Landau (2004), la mise en place d’une loterie mondiale peut s’envisager selon deux modalités différentes : soit en passant, dans chaque pays, par les opérateurs installés (c’està-dire en organisant la loterie mondiale comme une coordination de loteries nationales), soit en créant un opérateur mondial unique auquel chaque pays octroierait une licence d’exploitation. La première option est plus simple à mettre en œuvre et permet davantage d’adapter les niveaux de mises et de gains aux pouvoirs d’achat nationaux. Cette loterie pourrait tout d’abord être développée au niveau européen, sur le même modèle que la loterie transnationale lancée en 2004, proposée dans onze pays européens, avec mutualisation des mises. Les gains pourraient contribuer à augmenter les budgets européens consacrés au financement d’interventions directes en nutrition dans des contextes humanitaires et non-humanitaires, de manière plus durable et prédictible. D’autres pays volontaires pourraient également l’instaurer pour financer des projets en nutrition. Estimation du potentiel de collecte : La capacité de mobilisation d’un tel mécanisme serait considérable. D’après les estimations de la Commission européenne45, une loterie au niveau européen seulement pourrait rapporter 10 milliards d’euros par an, et au niveau mondial, 400 milliards d’euros par an selon le PAM46. Critères : Additionnalité Oui Prévisibilité Bonne une fois que la loterie est bien implantée Faisabilité Flexibilité maximale car la loterie peut être instaurée au niveau nationale, à travers des opérateurs existants. Le seul obstacle prévisible est l’opposition des opérateurs des loteries préexistantes, mais plusieurs exemples de loteries solidaires témoignent de la faisabilité du mécanisme. Efficacité économique Pas d’effet négatif sur l’économie des pays instaurant la loterie. Peut-être un manque à gagner pour les systèmes de loterie préexistants (en cas de report), mais il se peut également qu’une loterie dédiée à une grande cause attire de nouveaux joueurs. Efficacité pour la nutrition Dépend de la façon dont les ressources sont investies mais le mécanisme favorise un mode de gestion des ressources axé sur les résultats (quantitatifs et/ou qualitatifs) puisque les résultats obtenus et leur visibilité contribueront au succès de la loterie auprès des joueurs 45 - Commission staff working document, avril 2010, “Innovative financing at a global level” 46 - Rapport du Groupe de travail sur les financements innovants pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition (novembre 2012) 10 Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition Loterie : des exemples Des loteries solidaires existent déjà pour des causes nationales (au Royaume-Uni et aux Etats-Unis47) ou pour des causes humanitaires internationales, comme en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas. En Belgique, la Loterie Nationale apporte son soutien à la cause humanitaire en octroyant des dotations annuelles à la Direction générale de la Coopération au développement – l’administration fédérale qui gère une très grande partie de l’aide publique belge au développement – et au Fonds belge pour la sécurité alimentaire qui a pour objectif de garantir la sécurité alimentaire dans les pays d’Afrique subsaharienne souffrant d’une pénurie alimentaire chronique48. Les “Postcode Lotteries”, aux Pays-Bas et en Suisse, ont permis de collecter plus de 3 milliards d’euros depuis leur création en 1989. En partenariat avec le Programme alimentaire mondial (PAM), ces loteries soutiennent des programmes de cantines scolaires ou d’amélioration de l’accès à l’enseignement primaire, en particulier pour les filles, dans les zones d’insécurité alimentaire nomades du Niger. Elles soutiennent également d’autres activités du PAM, comme les banques de céréales au Niger et des projets « Food for work » au Mali49. Elles ont en outre permis de collecter 4 millions d’euros en 2012 au bénéfice de l’Agence des Nations-Unis pour les réfugiés (UNHCR), pour améliorer l’éducation dans le camps de réfugiés de Dadaab au Kenya50. 2. ConclusionS Synthèse de l’analyse multicritère de différents mécanismes de financement innovant pour la nutrition Obligations à impact nutritionnel Matching Fund Taxe sur les transactions financières (dont produits dérivés agricoles) Taxe sur les produits gras, salés, sucrés Loterie solidaire contre la sousnutrition - + ++ ++ ++ ++ + ++ ++ + + + + + ++ Efficacité économique ++ ++ ++ ++ + Efficacité pour la nutrition ++ ++ + + + Additionnalité Prévisibilité Faisabilité 47 - Aux Etats-Unis, de nombreuses loteries permettent de financer l’éducation ou les services sociaux ; voir par exemple South Caroline Education Lottery, qui a permis de transférer plus de 297 millions de dollars pour des programmes éducatifs en 2011-2012 (http://www.sceducationlottery.com/lottery/lottery. aspx). Au Royaume-Uni, le Fonds Big Lottery (BIG) permet de collecter environ 600 millions de livres sterling par an pour des projets qui favorisent la santé, l’éducation, l’environnement. De 80 à 90% des fonds sont délivrés aux organisations bénévoles et associatives (http://www.biglotteryfund.org.uk/index/ funding-uk/wefunded-uk.htm) 48 - http://www.objectifsdumillenaire.be/la-loterie/ 49 - http://www.wfp.org/about/partners/companies/meet-our-partners/nationale-postcode-loterij-npl-dutch-postcode-lottery 50 - http://www.unhcr.org/4f4616c40.html Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition 11 III. RecommAndations La nutrition est un secteur oublié des initiatives sur les financements innovants. Aucun des processus récents n’a permis d’aboutir au lancement d’initiatives concrètes de financements innovants pour le secteur nutritionnel. Les débats sont restés trop souvent à un niveau technique qui ne permet pas de développer des mécanismes concrets. Recommandation # 1 : Les pays activement impliqués dans la lutte contre la sous-nutrition, à la fois bailleurs et pays SUN, devraient s’investir davantage dans la recherche de solutions innovantes en matière de financements. Le travail actuel du mouvement SUN visant une mobilisation accrue des ressources représenterait une occasion idéale de faire de la mise en œuvre de mécanismes de financements innovants centrés sur la nutrition un objectif stratégique du SUN. 2013 sera une année cruciale pour la nutrition, avec de nombreuses initiatives et évènements internationaux sur le sujet. Le G8 au Royaume-Uni sera notamment l’occasion pour les dirigeants des 8 pays les plus puissants du monde de démontrer leur engagement dans la lutte contre la sous-nutrition. Recommandation # 2 : La présidence britannique du G8 de 2013 ainsi que l’ensemble des acteurs qui se sont engagés à faire de la nutrition une priorité devraient développer des solutions financières innovantes qui permettraient de fournir le niveau de financements nécessaire à la lutte contre la sous-nutrition, avec une attention particulière portée aux interventions traitant de la malnutrition aiguë. La première recommandation du rapport d’expert sur les financements innovants pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition appelle à la création d’une « Facilité innovante pour l’Agriculture, la Sécurité alimentaire et la Nutrition ». D’après le rapport, un fonds catalytique pourrait stimuler l’investissement privé dans l’agriculture, en ciblant les petits producteurs et les cultures vivrières afin de sécuriser l’alimentation des ménages et des populations. Recommandation # 3 : Les termes de référence de la nouvelle « Facilité innovante pour l’Agriculture, la Sécurité alimentaire et la Nutrition » devraient prendre en considération les problématiques relatives à la nutrition et créer les conditions favorables à la conception et à l’opérationnalisation de mécanismes de financements innovants dédiés à la mise en œuvre d’interventions spécifiques en nutrition. Les projets de Taxes sur les Transactions Financières nationales ou régionales ne prévoient pas suffisamment de fonds pour le développement et rien pour la nutrition Recommandation # 4 : Les gouvernements qui préparent la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTF) en 2013 devraient accroître leur contribution au développement et faire de la nutrition un secteur prioritaire. Contact 12 Note d’information/Mobiliser des financements innovants pour lutter contre la sous-nutrition