L`initiation maçonnique

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L`initiation maçonnique
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L’initiation maçonnique
Les ressorts cachés
Ce qui surprend le plus le profane quand on lui parle de la Franc-Maçonnerie, ou le
jeune Apprenti lorsqu’il est tout juste initié, c’est la présence d’outils symboliques qui doivent
être utilisés pour travailler en Loge. Des outils surprenants pour le néophyte. Il se demande
bien comment s’en servir et surtout pour faire quoi ?
Des outils surprenants en effet. Quels sont–ils ? Un rituel, des symboles, des mythes.
Le rituel peut être comparé dans la vie profane à un protocole qui organise des
cérémonies ou dans la vie religieuse à une liturgie. On peut donc comprendre que comme les
protocoles ou les liturgies, il organise et il facilite le travail en Loge en l’encadrant et en le
rythmant.
Mais ce rituel, lui-même, fait appel à des outils symboliques qui sont pour la plupart
représentés par les outils principaux qu’utilisent les maçons de métier comme la règle,
l’équerre, le compas, le fil à plomb et bien d’autres. En quoi des objets bien réels qui
habituellement servent à pratiquer des actions concrètes, peuvent-ils favoriser la réflexion
maçonnique ?
En quoi enfin un mythe, qui par essence même est une légende qui vient souvent du
fond des temps immémoriaux, peut-il servir une telle activité philosophique ?
Voilà de quoi nous interpeller. D’autant plus que ces outils doivent être utilisés pour
édifier le Temple intérieur de l’initié. Voilà bien encore une nouvelle surprise…
Nous allons donc étudier les différentes influences de ces outils à travers leurs
fonctionnalités et ce faisant nous commencerons à comprendre quel est l’impact de l’initiation
maçonnique sur la personnalité de ceux qui la pratiquent. En Franc-Maçonnerie, personne
n’est capable d’analyser complètement les conséquences de l’usage de ces outils sur sa propre
évolution. C’est à la découverte des ressorts cachés de l’initiation maçonnique que je vous
invite maintenant à faire avec moi.
Le symbole a certes une utilisation ordinaire, profane, opérative, qui en fait devrait
mettre sur la voie celui qui est en recherche. Prenons l’exemple de l’équerre. Chez le maçon
de métier elle sert à dresser une pierre et à s’assurer que ses faces sont bien perpendiculaires
afin qu’elle contribue avec efficacité à la solidité du mur que l’ouvrier construit. Par analogie
l’équerre va donc être utilisée pour dresser la pierre brute que représente le jeune initié, pour
essayer d’en faire une pierre bien équarrie et de la polir le mieux possible.
On sent donc bien à travers ce discours imagé qu’on va chercher derrière l’outil
opératif la méthode ou le moyen qui permettront de faire progresser l’initié. Donc il faut
chercher l’idée que cache ce symbole. En somme le symbole n’est qu’une fenêtre que l’initié
peut ouvrir et qui laisse son esprit s’évader vers les champs de la réflexion, du savoir puis de
la connaissance. Et la méthode utilisée est évidemment l’analogie.
Le symbole est donc un catalyseur de spéculation intellectuelle, il n’est en aucun cas
une fin en soi. Le Franc-Maçon qui se contenterait de manipuler ces symboles, sans essayer
d’en trouver la substantifique moelle qui lui est permis de rechercher à travers eux, cet initié
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ne brasserait que du vent. De la sapience sans conscience comme dirait François Rabelais qui,
rappelons-nous, professait que « sapience sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Le mythe a d’autres vertus. Là encore il s’agira de travailler par analogie mais aussi
par substitution. Dans le mythe intervient un héros dont les aventures sont inspirées la plupart
du temps par une réflexion morale. Les actes du héros sont extraordinaires soit dans le bien
soit dans le mal. L’initié qui se pénètre du mythe se substitue inconsciemment au héros et
profite de cette situation pour analyser ce qui, dans sa vie, correspond à cette aventure. Il en
déduit ce qu’elle peut lui apporter comme bien ou comme mal, comme bonheur ou comme
malheur.
Prenons l’exemple du mythe bien connu de Sisyphe. Que lui est-il arrivé ? Ayant
déplu aux dieux, qu’il avait osé défier, Sisyphe fut condamné à hisser un rocher en haut d’une
colline. Alors qu’il était pratiquement arrivé au sommet, le rocher lui échappait et retombait
tout en bas. Et Sisyphe recommençait à hisser son rocher. Éternellement. Héros de l’absurde,
sa destinée nous interpelle. Ne recommençons-nous pas, nous-mêmes, dans notre propre vie, à
hisser des rochers qui retombent à leur point de départ ? Ne refaisons-nous pas à longueur
d’année des actions absurdes qui n’aboutissent pas et que nous réitérons de façon stupide ?
Ainsi l’aventure du héros nous interpelle tant et si bien que nous nous sommes substitués à
lui. Nous analysons ainsi notre propre vie au prisme de sa destinée absurde. Le mythe ainsi a
provoqué une réflexion introspective.
Nous voyons donc un peu plus à quoi peuvent servir le rituel qui organise et encadre,
le symbole qui suscite la recherche et le mythe qui interpelle.
Ces outils présentent naturellement une utilité pour le Franc-Maçon. Il est alors temps
de nous demander quel va être l’objectif de leur utilisation. On se doute bien que des outils
sont faits pour travailler. Mais quel est donc le travail que peut effectuer l’initié ?
Son premier travail c’est d’être toujours présent en tenue, c’est-à-dire en réunion
dans le Temple. Il est alors guidé par le rituel et son premier devoir consiste à observer le
silence et à pratiquer l’écoute. Je pourrais ajouter l’écoute active car il ne suffit pas d’être
assis régulièrement deux fois par mois sur une chaise, et d’être silencieux durant la tenue,
pour travailler ! En fait il faut insister sur ce point qui est fondamental. La tentation est
toujours présente de pratiquer ce que j’appelle « la voie passive » : écouter les phrases du
rituel prononcées lors de l’ouverture et de la fermeture des travaux, écouter les planches lues
par leurs auteurs, écouter les Frères ou les Sœurs s’exprimer lorsque la parole circule pour
commenter ces planches et… rester immobile et silencieux !
Cette voie passive est parfaitement insuffisante. Le parcours initiatique est une chance
qui s’offre à chacun mais dont il faut savoir profiter par un travail permanent approfondi et
pugnace. Dans ce cas alors l’initié suit une voie que j’appelle active. En quoi consiste-t-elle ?
Il lui faut réfléchir, méditer en tenue, et surtout en dehors des tenues, se cultiver à
l’occasion de tous les sujets qu’il a entendus aborder, en lisant le plus possible et en méditant
sur ses lectures. Mais il lui faut surtout concrétiser ce travail en prenant la parole en tenue ce
qui n’est pas facile et en faisant des planches ce qui l’est encore moins. Personne ne lui
demandera de dire ou d’écrire des choses exceptionnelles, mais il se doit d’agir. S’il ne
produit pas, certes personne ne le lui reprochera. Mais il ne progressera que très modestement.
Ainsi la base de l’activité maçonnique est le travail ! Ce travail apporte d’abord un
certain savoir ; puis celui-ci doit être pratiqué par la méditation ou par l’action dans le Temple
ou en dehors du Temple. L’initié aboutit donc ainsi à la connaissance, c’est-à-dire le savoir
enrichi, approprié et vécu par sa pratique.
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En somme pour conclure sur cette partie, la Franc-Maçonnerie est une méthode qui
suggère un questionnement personnel et suscite un travail d’acquisition correspondant. En ce
sens elle est une maïeutique.
Nous avons donc rencontré les outils et ensuite la méthode de travail pour les utiliser.
Il ne nous reste plus qu’à étudier ce qu’il en advient pour l’initié et c’est là véritablement que
nous allons comprendre pourquoi j’ai intitulé un de mes ouvrages : « les ressorts cachés ».
Le travail essentiel du Franc-Maçon est de construire, selon l’expression bien connue,
son Temple intérieur. Encore une fois la symbolique de cette expression s’appuie sur le travail
des maçons de métiers qui construisaient des édifices et de préférence des édifices sacrés
comme les cathédrales du Moyen-âge. Mais le Temple à construire cette fois est intérieur
c’est-à-dire qu’il va structurer la personnalité, et puisqu’il s’agit d’un temple et non d’un
édifice profane quelconque, il va donc avoir un caractère sacré.
Attention ! J’ai prononcé le mot de sacré et non celui de divin ! Tout ce qui est
divin est sacré certes, mais le sacré ne s’arrête pas au divin. Ainsi pour éclairer mon propos je
prends un exemple : pour la majorité d’entre nous la notion de patrie est un concept sacré et
pourtant il y a bien longtemps qu’en France l’état de droit divin a disparu. La révolution de
1789 a sonné le glas de l’état de droit divin et ce sont d’ailleurs des Francs-Maçons qui l’ont
initiée.
Le Temple intérieur est un concept sacré mais non un concept divin, du moins en
première analyse et pour une grande partie des Francs-Maçons. C’est la raison pour laquelle
chacun d’entre nous peut accéder à cette dimension sacrée, qu’il soit croyant donc théiste,
agnostique ou déiste, ou qu’il soit tout simplement athée. Il existe des Francs-Maçons de
toutes ces catégories et ils vivent heureusement ensemble à l’intérieur d’une même loge. En
effet dans les loges, du moins dans leur grande majorité, il est interdit de parler de politique
comme de religion. Donc le sacré maçonnique a une dimension strictement laïque.
En abordant la construction du Temple intérieur, nous allons rencontrer en fait le seul
vrai secret maçonnique. Les profanes peuvent penser que la Franc-Maçonnerie est truffée de
secrets. Mais il n’en est rien. Si elle est discrète c’est qu’elle a vécu et qu’elle vivra encore des
persécutions. Mais c’est tout. Le seul vrai secret maçonnique est celui qui réside à
l’intérieur de nous, c’est celui de l’incommunicabilité de l’être, qui fait que chaque initié,
poursuivant un long chemin de méditation, ne sait jamais s’il est proche de découvrir sa
lumière ou pas. S’il est au bout de son chemin ou très loin de sa conclusion. Et s’il ne sait pas
répondre à cette question pour lui-même, comment pourrait-il le dire aux autres, comment
pourrait-il leur communiquer ?
Ce chemin commence lors de son initiation. Le profane, qui a frappé à la porte du
Temple, et qui a demandé à être initié, sent confusément que sa vie, même si elle est peut être
réussie socialement, est imparfaite. Qu’il lui manque une dimension d’enrichissement
spirituel et moral. Prisonnier de sa vie de tous les jours, quelquefois étranger à sa propre
intimité, il a besoin de réfléchir sur le sens qu’il doit définitivement donner à sa vie. En
somme, comme le disait Montaigne, il doit philosopher parce que « philosopher c’est
apprendre à mourir ».
Cette dimension spirituelle la vie profane ne peut pas lui apporter. Au contraire.
Certains croyants, pour combler cette lacune, font des retraites dans des couvents, de temps à
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autre, et ils ont raison de les pratiquer. Le Franc-Maçon pour sa part, qu’il soit croyant ou
athée, confie au chemin initiatique le soin de lui apporter quelques éléments de réponse sur le
sens de sa vie, sur la nature, sur le cosmos, sur la création, sur tout ce qui nous entoure et tout
ce qui nous interpelle.
L’objectif est donc de construire ce fameux Temple intérieur. Les outils symboliques
apporteront la rectitude et la puissance de méditation nécessaires. Le travail, indispensable,
développera l’œuvre. Mais dans quel sens ?
Il s’agit pour le Franc-Maçon de reconstruire sa personnalité de façon à ce que son
intérieur physique, psychologique, moral, spirituel, soit cohérent avec ce qu’il laisse sourdre
de sa personnalité profonde et que les autres autour de lui perçoivent plus ou moins
consciemment, plus ou moins clairement. Il s’agit donc de créer une unité équilibrée et solide.
Peu à peu, au cours du chemin initiatique, l’initié va ainsi réaliser une construction d’un
individu harmonieux. Il va ainsi conjuguer son tout avec son unité. C’est donc une démarche
semblable à celle de l’individuation que Carl Gustav Young, l’élève de Sigmund Freud, a
imaginée en son temps. Mais Young s’adressait à des malades psychiques alors que le profane
qui rentre en Maçonnerie n’a en général pas de problèmes de cet ordre.
C’est cette démarche pleine, profonde, exigeante, cachée aux yeux même du
cherchant, qui constitue la richesse de l’initiation maçonnique. Contrairement aux sectes où il
est si facile d’entrer et quasiment impossible d’en sortir, s’il n’est pas aisé de rentrer en
Maçonnerie, il est très simple et aisé d’en sortir... Car le Franc-Maçon est un homme libre. Et
pourtant ceux qui y rentrent, y restent dans leur immense majorité. Ils y restent.de leur propre
volonté et jusqu’à l’heure de leur mort. C’est dire s’ils y trouvent leur compte et si les ressorts
cachés de la méthode maçonnique leur apportent cet enrichissement personnel qu’ils
espéraient plus ou moins consciemment, quand ils ont demandé à être initié et qu’ils ont
frappé à la porte du Temple.
J’ai dit.