Les Devoirs du Franc maçon envers les autres.

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Les Devoirs du Franc maçon envers les autres.
Les Devoirs du Franc maçon envers les autres.
Planche revue par le modérateur en vue d’une
lecture compréhensible par des profanes. Le texte
de
l’auteur
est
beaucoup
plus
explicite,
notamment en ce qui concerne des citations de
textes rituéliques. Mais les Frères comprendront
parfaitement de quoi il s’agit…
Avant d’aborder le sujet que le Vénérable Maître m’a demandé de traiter,
quelques remarques préliminaires sont nécessaires afin que vous puissiez
mieux interpréter ce que va vous exposer cet « autre » que je suis pour
vous.
La première est de noter la gageure que représente le traitement de ce
thème en Loge d’Apprentis puisque le premier degré privilégie le travail sur
soi-même, alors que l’ouverture au monde et la transmission concernent
des degrés postérieurs.
La deuxième remarque consiste à suggérer que l’importance attribuée au
souci des autres par rapport au travail initiatique proprement dit est liée à
la sécularisation de la Franc-Maçonnerie qui accompagna inévitablement le
passage de l’opératif au spéculatif. L’acceptation durant le XVIIème siècle par
les loges opératives de personnalités scientifiques, d’érudits, de philosophes
et d’aventuriers, doutant de tout ce qui ne peut être démontré, remplaçant
la sagesse traditionnelle par la libre pensée et
exaltant l’individualisme et les droits de
l’homme en découlant, aboutit le 24 juin 1717,
à l’occasion de la Saint Jean d’été, à la
constitution de la Grande Loge de Londres et à
la franc-maçonnerie spéculative moderne qui
amputa l’héritage du métier d’une grande partie
de son contenu spirituel et, de ce fait, ne
proposa plus qu’une initiation virtuelle et incita
certaines obédiences à participer à toutes les déviations politico-socioculturelles dont nous goûtons maintenant les fruits amers. Je pense entre
autres à l’anticléricalisme, au scientisme, à l’internationalisme, au
relativisme, au féminisme.
C’est pour cette raison que j’aborde ce sujet avec beaucoup de réserve car
je pense que l’altruisme bruyamment revendiqué, non seulement est une
hypocrisie commode pour parvenir à des fins moins avouables mais, mal
exercé, conduit à des actions spirituellement vaines et socialement
néfastes.
C’est une erreur que de considérer l’humanité à l’aune de la Loge. Ce qui
est possible et bon au sein d’un groupe restreint et coopté ne comprenant ni
femme, ni enfant, ni miséreux et qui ne se perpétue que par la volonté de
ses membres ne l’est pas dans la promiscuité inévitable et la confrontation
brutale régissant la vie de la cité.
La troisième remarque concerne l’emploi du mot « devoir » par notre
Vénérable Maître lorsqu’il m’a présenté ce travail comme deuxième partie
d’une trilogie comprenant les devoirs envers soi-même, envers les autres et
envers le Grand Architecte de l’Univers. Si l’on veut rester cohérent et ne
pas mélanger tous les domaines de la pensée et de l’action ; si l’on travaille
à l’ordre et donc pour passer du Chao à l’ordre, il ne faut pas laisser les
mots déformer les idées, mais choisir les mots conformément aux idées que
l’on veut formuler.
Les relations à nous-même, aux autres et au Grand Architecte de l’Univers
étant de nature différente, la notion de devoir ne saurait convenir
indistinctement pour les trois thèmes que je vous propose de différencier en
parlant de contrainte au niveau personnel (de la racine latine strig évoquant
les idées de serrer et de rigueur), d’obligation morale envers les autres (du
latin liga signifiant lier) et de devoir spirituel.
Considérons donc maintenant ce que sont « les obligations du Franc-Maçon
vis à vis des autres » en envisageant successivement les obligations envers
les Frères, puis envers les profanes.
Les obligations envers nos Frères sont contenues dans le serment prêté sur
les trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie lors de la cérémonie
d’initiation : elles consistent principalement à observer consciencieusement
les principes de l’Ordre Maçonnique, travailler à la prospérité de sa
Respectable Loge, d’en suivre régulièrement les Travaux, aimer ses FF et
les aider par ses conseils et ses actions, ce qui implique évidemment une
assiduité sans faille aux tenues et une participation active aux travaux.
Juste avant que la Lumière soit donnée au
néophyte, le Vénérable Maître lui demande de
pardonner à ses ennemis, au cas où il en
rencontrerait
parmi
les
Frères,
puis,
s’adressant à lui après que la Lumière lui ait
été accordée, il déclare que nos mains nous
unissent entre nous et à l’Autel de la Vérité.
Que leur serrement annonce que cette unité
perdurera, aussi longtemps que la Vérité, la
Justice, la Discrétion et l’Amour fraternel nous
resteront sacrés.
Par ailleurs, la déclaration de principes du Convent du REAA, réuni à
Lausanne en septembre 1875, rédigée par le Souverain Grand Commandeur
Adolphe Crémieux lui-même, stipule que, « n’imposant aucune limite à la
recherche de la Vérité, c’est pour garantir à tous cette liberté que la FrancMaçonnerie exige de tous la tolérance ».
Notons, au passage, que la tolérance est un comportement prescrit à
l’usage des Frères. Comment pourrait-elle être, en effet, exigée dans le
monde profane où le Franc-Maçon qui doit y survivre est bien dans la
nécessité de défendre ses intérêts et ceux des siens ? La tolérance dans ce
contexte difficile, ne serait elle pas une invention d’irresponsables de pays
riches où la nuisance de certains ne paraît pas encore compromettre le
confort des nantis ?
Tous ces engagements du Franc-Maçon vis à vis de ses Frères lui sont
opportunément rappelés par des invitations parsemées dans le Rituel.
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Il faut également citer une catégorie d’obligations particulières, liées aux
fonctions rituelles des officiers de la Loge. Certes il s’agit là moins
d’obligations envers les Frères que de devoirs à remplir à la gloire du Grand
Architecte de l’Univers, mais, entre ces deux registres, la limite est
sinueuse.
Quant aux obligations envers tous les hommes, je pense, mes Frères que
vous n’avez pas attendu d’être Franc-Maçon pour les deviner et les
assumer ; aussi n’est-il pas dans mon propos de vous infliger un cours de
morale, qui n’a guère sa place en Loge car, si la morale est indispensable
pour régler la vie en société, elle est d’importance subalterne en matière
initiatique où elle constitue plutôt une discipline personnelle destinée à
obtenir connaissance et maîtrise de soi.
La juste attitude envers l’autre me paraît pouvoir être simplement mais
précisément définie par le respect, mot issu de la racine indo-européenne
spek, qui évoque le fait de regarder et qui a donné le latin respectus
signifiant « regarder en arrière » puis « attention portée », c’est à dire
l’égard que l’on accorde à quelqu’un. Ce regard posé sur l’autre, cet égard
dont il bénéficie de notre part lui confère un statut de sujet qui ne doit pas
être instrumentalisé mais considéré comme un être autonome ayant sa
propre finalité.
Cependant, le Franc-Maçon, qui n’a pas de
prétention à la sainteté, est en droit
d’attendre
la
réciprocité
de
son
comportement et ne me semble pas tenu de
tendre l’autre joue s’il a été giflé.
Afin de rappeler les prescriptions adressées
aux Apprentis au cours de la cérémonie
d’initiation, reprenons le rituel.
Lors de la lecture par le Frère Orateur de la
déclaration du convent de Lausanne, déjà citée, le profane apprend que « la
Franc-Maçonnerie est ouverte aux hommes de toute nationalité, de toute
race, de toute croyance », qu’elle « accueille tout profane, quelles que
soient ses opinions en politique et en religion, dont elle n’a pas à se
préoccuper, pourvu qu’il soit libre et de bonnes mœurs » et enfin, qu’ayant
« pour but de lutter contre l’ignorance sous toutes ses formes, elle est une
école mutuelle dont le programme se résume ainsi : obéir aux lois de son
pays, vivre selon l’honneur, pratiquer la justice, aimer son semblable,
travailler sans relâche au bonheur de l’Humanité et poursuivre son
émancipation progressive et pacifique ».
Ce catalogue qui ferait la délectation d’un auditoire radical-socialiste massé
sous un préau d’école, aussi banal que grandiloquent, est heureusement
complété ultérieurement.
En effet, après avoir subi certaines épreuves, celui-ci découvre le principe
fondateur du rapport aux autres, lorsqu’il s’entend dire que le feu qui
enveloppe doit se transmuer dans le cœur en un amour ardent pour ses
semblables, puisse la Charité inspirer désormais les paroles et les actions.
On lui rappelle également ce principe : ne faites pas à autrui, ce que vous
ne voudriez pas qui vous soit fait à vous-même.
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Sans vouloir polémiquer, bien que le sujet s’y prête, je note l’intrusion d’une
vertu théologale dans un texte maçonnique. Elle y est, à l’évidence,
d’autant plus légitime qu’elle en justifie le propos mais elle peut surprendre,
même agréablement, de la part d’une institution historiquement
compromise avec les tenants d’un laïcisme triomphant.
Quoi qu’il en soit, le mot est prononcé et il n’en est guère de meilleur pour
gérer la relation à l’autre puisqu’il signifie « amour » (latin caritas, dérivé de
carus : cher) et qu’il confère à cette relation une portée métaphysique,
permettant d’en tirer un enseignement initiatique, à condition, toutefois, de
débarrasser cette notion du sentimentalisme dont l’imprègne la mentalité
actuelle.
D’une part, l’amour se manifeste sous deux aspects nécessaires et
complémentaires qui sont la bonté ou miséricorde et la justice ou rigueur.
D’autre part, aimer le prochain comme nousmême implique de nous aimer nous-même
pour l’aimer et de ne pas l’aimer plus que nousmême et surtout de ne pas nous sentir obligé
de lui donner ce que, à notre avis, nous ne
mériterions pas si nous étions à sa place. Ainsi,
argumenter contre la peine de mort, parce que
l’on ne supporterait pas d’être à la place du
condamné, n’a pas de sens puisque, être à sa
place, serait être l’assassin que l’on n’est pas.
Plus encore, aimer l’autre, c’est reconnaître en lui notre Cause commune et
surmonter la scission illusoire entre lui et moi ; c’est aussi comprendre qu’il
serait idolâtre et absurde de s’attacher à l’effet, impermanent et illusoire,
alors que seule la Cause, immuable et réelle, est admirable.
Enfin, l’autre, que nous ne pouvons connaître totalement, est le symbole de
notre face cachée, de la zone d’ombre qui obscurcit notre intériorité et que
n’a pas encore éclairé notre conscience. Il représente notre côté non encore
accompli, celui que nous devons explorer, comprendre et accepter pour
nous en libérer.
C’est l’ennemi que le néophyte découvre derrière lui le soir de son initiation,
et à qui il a promis le pardon quelques minutes auparavant ; c’est la femme
que Dieu forma du côté d’Adam durant son sommeil, matrice profonde
d’énergies inconscientes, riche de fécondité future ; c’est l’homme que, près
du gué de Jaboc, afin de maîtriser les forces de l’ombre et se révéler à luimême, Jacob affronta toute une nuit, jusqu’à ce que l’éclat du jour chasse
les ténèbres et que la grande Lumière commence à paraître.
C’est cette Lumière que nous avons demandée et qui nous a été accordée
lors de notre initiation. Elle rayonne depuis le Delta qui illumine l’Orient et
représente le Principe, animateur et ordonnateur de toutes choses sous
l’attribut de Grand Architecte de l’Univers, ce Tout Autre, à la Gloire duquel
nous travaillons.
Frère Philippe.
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