Deux livres sur les Chiites

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Deux livres sur les Chiites
CENTER FOR THE STUDY OF THE MODERN ARAB WORLD
CENTRE POUR L’ETUDE DU MONDE ARABE MODERNE
REUNION DU CEMAM
mai 1991
Deux livres sur les Chiites (J. Donohue)
Said Amir ARJOMAND, The Shadow of God and the Hidden Imam. Religion, Political Order and
Societal Change in Shi'ite Iran from the Beginning to 1890. Univ of Chicago Press, 1984.
Abdulaziz Abdulhussein SACHEDINA, The Just Ruler (al-sultan al-'adil) in Shi'ite Islam: The
comprehensive Authority of the Jurist in Imamite Jurisprudence. New York/Oxford: Oxford UP,
1988.
Arjomand est professeur de sociologie à State University of New York, Stony Brook. Il a depuis
publié un volume Authority and political Culture in Shiism (1988).
Sachedina est professeur d'études religieuses à la University of Virginia. Il avait déjà publié (1981)
une étude intitulée, Islamic Messianism: The Idea of the Mahdi in Twelver Shiism.
Ces deux livres suivent, en détails, le développement du concept de l'autorité dans la communauté
chiite des duodécimans. Ils couvrent le même sujet, mais l'approche est si différente qu'ils
deviennent complémentaires et non répétitifs. Arjomand est un sociologue de l'école Wébérienne; il
prend une perspective sociologique claire et prend un recul face au sujet. L'étude de Sachedina est
plutôt de l'intérieur. Il prend Schacht pour exemple et s'accroche à l'analyse des traditions.
1. Arjomand
1. a) 1° période; LA PERIODE SECTAIRE.
Le 5° et le 6° Imams (Muhammad al-Baqir, mort en 733 et Ja'far al-Sadiq mort en 765) ont donné à
la secte Imamite Chiite sa figure définitive pour cette période. Ils ont transformé le chiisme en un
mouvement religieux introverti et quiétiste. L'Imam n'est plus anti-calife et devient guide spirituel
des sectaires chiites. Ja'far a développé la notion de l'autorité dérivée de la conduite divine des
hommes, vers un principe d'autorité absolue et infaillible. Dieu a donné aux Imams d'être guides
spirituels de tout le monde et le monde doit toujours avoir un tel guide.
Ainsi, l'Imam est non seulement légataire par désignation explicite, mais il possède en outre une
connaissance inspirée par Dieu, aussi l'Imamat se fonde-t-il non sur une demande politique, mais
sur une connaissance particulière. Avec la doctrine de l'occultation (ghaybah), l'éloignement de
l'imamat du gouvernement politique actuel est donc accentué.
La croyance typique chiite dans le retour des morts avant le jour de la résurrection (raj'a) a été
poussée durant le 8° et 9° siècle au point qu'à la mort de tout leader chiite, il y avait un groupe qui
croyait en son retour imminent en tant que Qa'im pour corriger les abus, surtout l'usurpartion du
droit souverain de la maison de 'Ali, et diriger la grande révolution. Les morts des 6°, 7° et 11°
Imams ont entraîné des crises: le 11°, le pire entre tous, a fait apparaître 14 à 15 sectes, dont 3 ou 4
croyaient que le 11° Imam avait laissé un fils. Un de ces groupes devait survivre en tant que secte
imamite.
La Communauté tenait sa cohésion des wakils du 11° Imam. C'est le quatrième et dernier wakil,
Samarri, qui écarta la possibilité des prétendants Mahdis en produisant, 6 jours avant sa mort, un
ordre écrit de l'Imam caché stipulant que l'occultation devait durer jusqu'à la fin des temps.
Ainsi, l'élément millénaire est sublimé jusqu'à devenir eschatologique. L'Imamat devient un sujet
de discussion philosophique et théologique, un substitut utopique pour une théorie politique
positive.
Durant les 10-12° siècles, les Imamites formèrent une communauté cohésive urbaine avec des
minorités importantes dans plusieurs villes. Sharif al-Murtada, le grand théologien de la période
Buyid, donna l'analyse raisonnée de leur participation politique dans la communauté musulmane
plus large, dans un traité dans lequel il justifie le service même sous un gouvereur injuste.
1. b) 2° période; celle du CESAROPAPISME.
L'important développement suivant vient avec l'émergence des Safavides qui fondèrent l'empire
duodéciman chiite en 1501.
L'histoire est bien connue. La confrérie Sufi Safavid, fondée par sheikh Safi al-Din Ardabili,
sunnite (mort 1334) resta un ordre urbain respectable a-politique jusqu'en 1447, lorsqu'une scission
aboutit à la création d'une branche militante de Ghazi en Anatolie, les Qizilbash, qui finalement
reconquit l'ordre Safavid originel à Ardabil. Ismaïl, qui hérita du pouvoir en 1493, se proclama
précurseur du Seigneur du Temps, et plus tard, le Mahdi lui-même. En 1501, il déclara le Shiisme
religion officielle de l'état Safavid situé à Tabriz et invita shaikh 'Ali al-Karaki al-Amili (d. 1534) à
venir et propager le Shiisme.
Ismaïl I s'étant déclaré Mahdi, la nouvelle royauté était naturellement, du type césaropapiste. Mais
les Ulémas chiites furent capables, avec le temps, d'établir les bases de leur propre autonomie. Dans
la terminologie wébérienne d'Arjomand, ils devinrent une hiérocratie. Ceci arriva presque
imperceptiblement. Les gouvernants gardaient leur descendance fictive de Ali et leur vague rôle de
précurseurs de l'Imam caché; cependant, bon nombre des mesures qu'ils avaient prises (suppression
de l'extrêmisme millénaire qui régnait parmi les Qizilbash et suppression du Soufisme populaire
organisé pour assurer la stabilité et la continuité de l'Etat) finissaient par renforcer, indirectement,
l'autorité des Ulémas qui étaient effectivement au service de l'Etat.
Mais les Ulémas étaient divisés en deux groupes (Arjomand présente cela comme une découverte).
Une lutte opposait les religieux professionnels venus de Jabal Amil, Syrie et Bahrein, soutenus par
leurs élèves, aux notables cléricaux qui constituaient une noblesse foncière ayant des racines
locales solides; plusieurs étaient descendants du Prophète. Ces notables ou "l'Etat", comme
Arjomand les nomme, avaient une solide formation juridique et culturelle et étaient incorporés dans
l'Etat Safavid en tant qu'administrateurs aux fonctions judiciaires et quasi-judiciaires.
L'Etat clérical méprisait les religieux professionnels, avec leur expérience religieuse limitée. Pour
affronter l'ijtihad de ces intrus, "l'Etat" raviva l'interprétation traditionnaliste chiite (Akhbari) qui
insiste sur les traditions des Imams et rejette l'interprétation religieuse et le fiqh des mujtahid. Les
centres d'intérêt intellectuels de "l'Etat" étaient placés dans la philosophie gnostique.
Karaki, désigné par Shah Tahmasp vice-gérant de l'Imam caché et sceau des Mujtahids, tenta,
soutenu par le monarque, d'évincer l'état et de prendre l'administration des institutions religieuses et
légales complexes. Le rôle du Mujtahid fut loué et le taqlid (imitation) du Mujtahid déclaré un
devoir. Cependant, pour éviter le piège Akhbari, Karaki interdira l'imitation d'un mujtahid décédé.
La bataille entre les deux groupes se poursuivit jusqu'à la fin du 17° siècle, lorsque les religieux
professionnels gagnèrent enfin.
Plusieurs éléments firent leur victoire. Les Ulémas étaient considérés comme ayant un charisme
particulier, en vertu des faveurs accordées par l'Imam caché. L'introduction par Karaki de
l'obligation de la prière du vendredi ajouta un autre pilier à leur autorité; mais les plus importants
de tous, le ijtihad et le taqlid, devinrent une partie de l'exercice religieux chiite par le biais des écrits
de Mulla Ahmad Ardabili (mort en 1585) et Baha' al-Din al-Amili (mort en 1621). Vers la fin du
17° siècle, Muhammad Baqir al-Majlisi (mort en 1699) parvint à iso-ler et vaincre "l'Etat", en
attaquant leur gnosticisme, pendant qu'il s'adonnait à cultiver la piété populaire chiite - visites des
sanctuaires des Imams, réinstauration des visites des sépulcres des saints Sufi (une adaptation du
Soufisme populaire) et l'eschatologie devint la base de la religion orthodoxe - le foyer étant la fin
des temps.
Alors que Karaki tenta de prendre l'administration des institutions religieuses et légale, au début du
16° siècle, avec le soutien du monarque, Majlisi le fit sans aucune aide de l'Etat, mais par sa
domination directe des masses. Ceci lui donna une base de pouvoir indépendamment de l'Etat.
En 1722, les Afghans sunnites renversèrent les Safa-vids. Nadir Shah (1736-1747) proscrivit le
Chiisme et par suite coupa court à l'ère Safavide en excluant systématiquement la religion des
organisations politiques. Le Chiisme serait réinstauré par ses successeurs, mais le césaropapisme
était définitivement révolu.
1. c) Troisième période: La HIEROCRATIE est complètement établie.
Lorsque les Qajars accédèrent au pouvoir (1796), ils ne proclamèrent aucun charisme héréditaire;
ils cherchèrent donc la légitimation dans l'approbation par la hiérocratie chiite. Ceci achève le
processus de rationalisation de l'ordre normatif régulant la domination politique et hiératique en la
rendant plus conforme à la logique du Shiisme duodéciman. Les bénédictions de l'Imam caché sont
accordées au Roi en tant que gouverneur temporel.
Pour A. la légitimation finale de l'autorité politique conformément à la doctrine chiite a été
accomplie par Aqa Sayyid Ja'far ibn Abi Ihaq Kashfi (mort en 1850). Dans Tuhfat al-Muluk (1817),
il explique que durant l'absence de l'Imam, les fonctions jumelles de la direction politique et
religieuse reviennent à deux groupes ayant le droit d'occuper le poste de vice-gérants: les
gouvernants et les Ulémas.
Il y eut encore des conflits entre la hiérocratie et l'Etat mais il y avait alors un ordre normatif unifié
qui réglait la domination politique-hiératique, et ceci donnait un cadre pour la solution des conflits.
La plupart du temps, le Shah se sortait bien de la confrontation, mais il y eut quelques incidents où
le contrôle de la hiérocratie sur les masses dépassa la puissance physique du Shah, lorsque ce
dernier échouait dans la protection des intérêts de la communauté islamique contre l'empiétement
étranger. Si le Shah se trouvait en défaut, la hiérocratie était là pour prendre le pouvoir. [Incident de
l'assassinat de l'envoyé russe et 37 compagnons en 1829. Emeutes de Tobacco 1890-91].
L'auteur signale qu'une fois établie la séparation entre la domination politique et hiérocratique,
donnant la supériorité indiscutable de Dieu sur les puissances terrestres, le monisme théocratique
n'est plus qu'une étape logique en plus qui pourrait, théoriquement, être prise à n'importe quel
moment.
2. Sachedina.
Son choix du titre est bien justifié. "The just Ruler in Shiite Islam". Les Chiites, signale-t-il,
prennent pour point de départ que Muhammad est mort avant de réaliser l'ordre politique juste et
équitable promis par Dieu. Des gens, point qualifiés pour continuer la marche vers l'idéal,
usurpèrent le pouvoir, d'où la première crise dans la communauté, et les préoccupations chiites pour
le "gouvernant juste" (al-Sultan al-'adil) qui assumerait le rôle politique afin de réaliser cet ordre
juste.
Jusqu'à l'occultation du 12° Imam, la deuxième crise, on croyait que Dieu avait assuré le
gouvernement du monde par le biais de la succession des Imams désignés, munis de connaissances
particulières et appartenant à Ahl al-bayt, la famille du Prophète.
Le souci de l'auteur est d'étudier le développement qui transformerait les savants imamites en
Imams fonctionnels de la communauté chiite en l'absence du Mahdi.
Il voit, tout comme Arjomand, un changement avec les 5° et 6° Imams, al-Baqir et al-Sadiq, mais il
voit le changement différemment, disant qu'ils passaient de la recherche d'un pouvoir politique à
celui d'une Wilayah (l'autorité qui garde le droit de demander l'obéissance). Cette Wilayah était
perçue comme fonctionnant dans l'élaboration des obligations religieuses et légales par les Imams,
avec la perspective de créer un système normatif islamique légal qui entrerait en vigueur quand la
Wilayah et la Sultanah se rassembleraient en la personne du vrai Imam. Ainsi, avec al-Baqir et alSadiq, l'intérêt porte sur le fiqh et la théologisation de l'Imamat.
La courte occultation (874-941) fut la période des représentants généraux, puisque quatre
représentants directement désignés par l'Imam caché gouvernèrent la communauté. En revanche,
avec l'occultation complète, il n'y eut pas de représentants directement désignés. C'est à ce momentlà que les savants, les Rijals, assumèrent le gouvernement de la communauté.
Le développement judiciaire du shiisme duodécimans, qu'il situe au 10° siècle, met en valeur la
nature de ce gouvernement des juristes. Le Jihad, l'administration de la justice, l'application des
châiments hududs, et la convocation à la prière du Vendredi, devinrent les principaux points
d'intérêt.
Le Jihad contre les incroyants n'était pas admis, sauf sous le régime de l'Imam al-Adil. Cependant,
on pouvait et devait se battre si c'était une question de se défendre. Il était entendu aussi que seul
l'Imam ou ses fuqaha désignés pouvaient exécuter les châtiments des hudud.
Mais l'administration de la justice, en tant que prérogative de l'Imam, serait prise en considération
avec l'arrivée au pouvoir des Chiites Buyid en Irak et Iran (945 AD). Les principaux travaux sur la
jurisprudence Imamite furent alors écrits, et des décisions judiciaires publiées, afin de légitimer
l'acceptation du poste de Qadi sous le gouvernement de facto, tant que le principe de justice était
honoré.
Enjoindre le bien et interdire le mal, devinrent la justification théologique légale du juriste pour
qu'il assume la Wilayat al-qada'.
Les qualifications des fuqaha', ceux qui rendent des jugements, sont les plus importantes, parce que
posséder ces qualifications équivaut à avoir reçu la permission de l'Imam caché. N'importe qui,
ayant ces qualifications, est obligé de se faire connaître dans le but d'assumer la responsabilité.
Peut-être que la plus importante en même temps que la plus controversée, de ces fonctions de
l'Imam, était le droit de convoquer la communauté à la prière du Vendredi (al-jum'ah). Cette
obligation à la prière est claire, mais qui peut convoquer à la prière du vendredi? Pour les Chiites,
personne ne peut le faire, excepté l'Imam juste ou quelqu'un désigné par lui comme représentant
spécial. L'opinion qui prévalait était que durant l'occultation, il n'est pas obligatoire de rassembler
le peuple pour l'accompissement du jum'ah, mais les juristes compétents pouvaient le faire si l'on
considérait que le peuple n'y risquait aucun mal. Puisque la présidence de la prière du vendredi et la
khutbah étaient considérés depuis l'aube de l'Islam comme des manifestations de l'autorité religiopolitique du souverain régnant, il n'y avait pas mieux que la Jum'ah pour le faqih pour établir de
facto son gouvernement de la communauté Imamite. En effet, les juristes qui maintenaient qu'il n'y
avait aucune obligation durant l'occultation, accusaient les autres de promouvoir l'obligation par
désir de gouverner la communauté.
Admettre que le juriste pouvait représenter l'Imam absent dans la convocation à la prière du
vendredi, ceci signifiait, accorder la légitimité nécessaire au juriste pour assumer l'autorité absolue
de l'Imam. Cette autorité était renforcée par les règles stipulants que le Zakat et le Khums devaient
être payés au juriste. Puis selon une tradition, le 12° Imam a mis les juristes parmi les ulu al-amr
(les gouvernants qui doivent être obéis Sura 4:59).
Le raisonnement est simple. Le bien-être de la société dépend du chef bien qualifié, l'Imam.
Théoriquement, durant l'occultation, tout individu qualifié pourrait assumer la responsabilité de la
Wilaya 'amma pour le bien-être moral de la société. Mais certains juristes, vu les déficiences des
détenteurs du pouvoir dans les états Imamites, lancèrent l'argument que seul le juriste était assez
qualifié pour assurer vraiment le ordre public.
Avant d'arriver à sa conclusion, l'auteur consacre 15 pages à la discussion détaillée de la Wilayah
dans les écrits de Cheikh Murtada al-Ansari (mort en 1864), dont l'argumentation est la base des
juristes actuels qui s'opposent à accorder la Wilayha 'ammah au faqih durant l'occultation du 12°
imam. Ansari n'est pas partisan d'une wilayah absolue qui donnerait au faqih la puissance de
disposer librement des biens et des vies. Seul l'Imam a un tel pouvoir. Les "traditions d'investiture"
ne confèrent à l'uléma aucun titre autre qui celui qui appartient au peuple en général.
Assez pour les objections. Avec l'établissement de la position de marja' al-taqlid durant la période
du Qajar et du post-Qajar, et la consolidation de l'autorité socio-religieuse du mujtahid en tant que
représentant de l'Imam et protecteur du peuple contre l'usurpation du Sultan, la Wilayah du juriste
fut de plus en plus affirmée. Il ne restait qu'un pas pour faire le Ijtihad requis pour attribuer la
Wilayah 'ammah au juriste au cas où les autorités en place ne travaillaient pas pour le bien de la
communauté imamite.
Il était certs possible de concevoir un cas où le juriste serait l'unique personne capable d'assumer
cette Wilayah 'ammah pour le bien de la communauté, mais c'était autre chose de l'établir
commece fut fait dernièrement en Iran.
1. Supposons que le juriste se montre aussi incapable que le sultan qu'il remplace? Plusieurs juristes
ont hésité précisément pour cette raison.
2. Accorder la Wilayah 'ammah au juriste en tant que nécessité constitutionnelle signifierait
transformer les juristes en une classe, un clergé, ce qui serait une violation de l'esprit originel de
l'Islam.
3. Attacher cela à la constitution d'un Etat, l'attache à une nationalité. Qu'en serait-il pour tous ces
chiites qui ne sont pas de la même nationalité?
4. Conclusion.
Arjomand, dans sa conclusion, considère que le monisme théocratique chiite établi en Iran sous le
règne de Khomeini ressemblait à celui des derniers papes médiévaux, encore que celui-ci n'ait
jamais été appliqué sauf dans les territoires qui étaient sous leur administration directe.
"Cette tentative, hardie et réussie, d'embrasser le monde en capturant le sommet du pouvoir
politique, signifie que la période du monisme théocratique est vouée à être une période riche de
compromis du chiisme avec le monde et sa profonde transformation, parce que le chiisme se trouve,
pour la première fois, profondément emmêlé à d'innombrables affaires mondaines."
Sachedina est beaucoup moins confiant. "al-Wilayah al-'ammah est désormais liée à l'identité
nationale d'un groupe particulier de Chiites qui vivent dans un état mo-derne particulier. Il est
douteux que al-wilayah al-'ammah du juriste imamite, minutieusement détaillée dans la constitution
moderne de l'Iran, permettait la reconnaissance du wali al-faqih comme le vrai gouvernant de tous
les chiites, en attendant le retour du Mahdi."
II. "In Between the Madrasa and the Marketplace: the Designation of Clerical Leadership in
Modern Shi'ism" un article d'Abbas Amanat dans Authority and Political Culture in Shi'ism 1988.
(M. McDermott)
Parmi les hommes de religion (mujtahids) qualifiés de la communauté chi'ite duodécimane, à
certaines époques, un seul pouvait se distinguer, et son leadership (ri'asah) était reconnu; il pouvait
même être reconnu comme étant la seule référence religieuse (marja'i-tamm). Amanat analyse la
façon dont cela se produit. Le système Usuli en vigueur de nos jours se fonde sur les mujtahids qui
interprètent la loi et qui sont élevés au rang de marja'i-taqlid (une source à suivre) par les fidèles
(muqallidin). Mais rien dans le système ne justifie qu'un marja' arrive au sommet. Les qualités d'un
marja' (science, justice et piété) sont vagues et peuvent s'appliquer à plusieurs. Selon Amanat, les
fidèles (muqallidins) sont le facteur principal dans le processus par lequel un marja' domine. Plus
précisément, c'est le bazar (banquiers, marchands, commerçants) qui, en payant les khums et la
zakat à un marja' de son choix, lui assure les moyens nécessaires pour avoir un plus grand nombre
d'élèves qui suivent son cours de religion et par conséquent, pour augmenter sa clientèle et
renforcer son influence.
Bihbahani (d 1793) contrôlait les écoles à Najaf et à Karbala; il était soutenu par les marchands de
Bagdad et par les Mameluks Zands qui gouvernaient l'Irak. Toutefois, avec l'arrivée des Qajars, le
pôle d'influence passa en Iran et dans les années 1830, il y avait un concile d'ulémas, selon Shafti,
qui avait la seule responsabilité d'interpréter la loi.
Après deux décennies, Murtada al-Ansari à Najaf, un ascète érudit et désintéressé, sera reconnu
officieusement comme leader religieux, de 1855 jusqu'à sa mort en 1864. Ce n'est que dix ans après
qu'on reparlera de leadership, cette fois avec Mirza-yi-Shirazi. Issu d'une famille de marchands, il
s'était attiré la sympathie du bazar et il s'occupait d'un grand nombre d'élèves. Il fut poussé par ses
partisans à prendre une position politique dans la fameuse affaire des régies de tabac en 1891-92.
Avec cette victoire, le bazar comprit l'avantage d'avoir un marja' suprême qui pourrait faire face à
l'Etat, au lieu d'exercer un pouvoir dispersé parmi les marja'i locaux. Cependant les mujtahids
iraniens n'étaient pas complètement d'accord entre eux. Après la mort de Shirazi, les intérêts de
"l'establishment" religieux et ceux du gouvernement consistaient à maintenir cette dispersion du
pouvoir. Aucun marja' n'est apparu lors de la Crise Constitutionnelle de 1906.
Amanat arrive à la conclusion que la hiérarchie informelle au sein de "l'establishment" des ulémas a
reconnu un statut également informel de leader (riyasah) avec des responsabilités de gestion.
Occasionnellement, avec le soutien de la communauté et parfois avec celui de l'Etat, cette riyasah
pouvait être effectivement transformée en un seul leadership. Le marja' suprême n'était pas choisi
par les autres mujtahids mais par les muqallidins. La révolution de Khomeini libérerait le faqih
suprême du gouvernement séculier et des muqallidin à la fois. Le bazar était avec Khumayni au
début, mais un an après sa renaissance, son attitude a changé.