Revue de presse - Association des Cinémas du Centre

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Revue de presse - Association des Cinémas du Centre
REVUE DE PRESSE
Chaînes conjugales de Joseph L. Mankiewicz
Sortie le 9 juillet 2014
"À consommer sans modération"
CRITIKAT
"Œuvre géniale"
AVOIR ALIRE
"Œuvre de finesse, au formalisme contenu, malicieuse"
CULTUROPOING
"Une image de la société, sans jamais sacrifier l'intime sur l'autel du discours"
CHRONICART
"L’un des chefs-d’œuvre de JosephL. Mankiewicz"
DIRECT MATIN
"Une brillante équipe de comédiens"
L'OFFICIEL DES SPECTACLES
"Scénario final, tout à fait admirable"
CLAP MAG
"Un bonheur de chaque instant"
TOUTE LA CULTURE.COM
"Dialogues sont brillants et l'interprétation parfaite"
NOTRE CINEMA . COM
CRITIKAT - "Desperate Housewives" par Clément Graminiès
Récompensé par plusieurs oscars, Chaînes conjugales est un film précurseur, d’une modernité étonnante. Sorte de Desperate
Housewives de la fin des années 1940, le film n’a pas pris une ride, autant virtuose dans sa mise en scène que pétillant dans
ses dialogues. À consommer sans modération.
Ce qui impressionne dès les premières minutes de Chaînes conjugales, c’est cette capacité qu’avait Joseph L. Mankiewicz de poser le
décor, de donner un cadre social à ses intrigues. Ici, le travelling d’ouverture nous permet de savoir que nous sommes dans une petite
ville bourgeoise des États-Unis, parfaitement représentative de l’American way of life de l’après-guerre. La voix-off d’une femme se fait
entendre. Elle répond au nom d’Addie Ross, énigme à elle toute seule puisque, à la manière d’une Eve dans le célèbre film du même
nom, elle n’existe que dans le regard des autres. Sa voix suave et assurée, un brin sarcastique, tranche avec la plénitude des décors
bourgeois. C’est que son personnage, même tenu en hors champ, va mettre en péril bon nombre d’acquis sociaux pour tous ceux, ou
plutôt toutes celles, qui l’ont croisée. Dans la vie de Sadie, trois amies : Deborah Bishop, Lora Mae Hollingsway et Rita Phipps qui ont
toutes pour point commun d’avoir fait un beau mariage et d’arborer fièrement ce nom qui les a élevées socialement. Comme toute
femme de la société, elles consacrent leur temps libre à des œuvres de charité. C’est la raison de leurs retrouvailles par ce jour
ensoleillé. Prêtes à embarquer pour un pique-nique avec l’orphelinat, elles s’interrogent toutes les trois sur les raisons pour lesquelles
Addie Ross ne s’est finalement pas jointe à elles. Un coursier apporte alors un courrier de l’intéressée où celle-ci explique qu’elle est
finalement partie avec le mari de l’une d’entre elles, sans bien évidemment dire lequel. Dans l’impossibilité de téléphoner à leurs maris
respectifs, chacune va alors se repasser le film de sa vie – et surtout de son mariage – en tentant de discerner tous les ratés qui
auraient pu motiver le départ de leur conjoint.
American lie
Le film est donc construit selon trois flash-backs dont le point d’ancrage dans le présent reste le pique-nique auquel elles assistent
toutes les trois à contre-cœur. En cela, Chaînes conjugales annonce la structure d’Eve (1951) puis de La Comtesse aux pieds nus
(1954), également construits sur une multitude de retours en arrière prenant tous pour point de départ un événement (une remise de
prix dans le premier, un enterrement dans le second) où toutes les frustrations sont alors exacerbées. La multiplicité des points de vue
est également un aspect qui rassemblent ces trois films puisque dans Chaînes conjugales, chacune des trois femmes va revenir sur
une interprétation très subjective de son histoire passée, et tenter de comprendre quelles pourraient être les raisons de l’échec de son
mariage. Loin d’adopter une tonalité mélancolique uniforme et vaguement lénifiante (comme on a pu le lui reprocher), Mankiewicz
profite de ces trois portraits pour disséquer – non sans une certaine ironie – le rêve américain dans toute sa splendeur. La variété des
tableaux est donc de mise et ce, pour le plus grand plaisir du spectateur.
En premier lieu, Deborah Bishop (Jeanne Crain) se remémore les premiers jours de son mariage où, fraîchement sortie de l’armée, elle
souffrait de ne pas avoir les manières et la garde-robe pour plaire aux fréquentations de son mari. Ce portrait, peut-être le moins
passionnant de tous parce que le mari parvient difficilement à exister dans l’intrigue générale, a au moins le mérite d’introduire le
second, celui de Rita Phipps (Ann Sothern), chroniqueuse radio mariée à un professeur érudit (Kirk Douglas). Prête à tout pour obtenir
les faveurs de sa hiérarchie, quitte à brader certains de ses principes au grand désespoir de son mari pour qui l’intégrité reste un
maître-mot, elle se confronte peu à peu à la déliquescence de son couple. La complicité a progressivement laissé place à un vide
relationnel basé sur les déceptions et les malentendus. Plus amer, le portrait du troisième couple, porté par la délicieuse Linda Darnell,
est aussi celui au cours duquel Mankiewicz fait le plus preuve de brio concernant les dialogues – qui n’ont rien à envier aux chefs
d’œuvre de Lubitsch – et la mise en place de certaines situations, d’une drôlerie incroyable (les seconds rôles y sont exceptionnels).
Seul leitmotiv de ces trois histoires, l’ombre menaçante d’Addie Ross auprès des trois maris, sorte de modèle féminin inégalable, peutêtre d’ailleurs fantasmé puisque toujours tenu en hors-champ.
S’il n’est pas le plus célèbre des films de Mankiewicz, Chaînes conjugales n’est en aucun cas un film mineur. Entretenant le suspense
jusqu’au bout, le film frôle la perfection dans la maîtrise de son sujet. La qualité du scénario, des dialogues, la totale maîtrise des enjeux
temporels posés par le procédé du flash-back en font un modèle du genre. L’acuité avec laquelle le réalisateur dépeint le quotidien de
trois femmes qui répondent en tous points au modèle de l’American way of life (confort matériel, indépendance financière, exigence de
soi) n’a rien à envier à des séries comme Desperate Housewives qui, près de soixante ans plus tard, font figure d’événements.
Seulement, Mankiewicz, quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, faisait preuve d’une discrète modernité qui n’a
encore pas fini de nous fasciner.
ÀVOIR-ÀLIRE.COM - Adrien Lozachmeur
Un Mankiewicz toujours aussi en avance sur son temps... Génie devant l’Eternel.
L’argument : 3 femmes mariées se retrouvent pour un pique-nique. La 4ème (une femme libre) manque à l’appel. Dans une lettre elle
annonce aux autres que le soir elle sera partie avec le mari de l’une d’entre elles. Dans une série de flash-backs, chacune de ces 3
femmes mariées va alors repenser à son mariage pour en dégager les failles qui pourraient le menacer.
Notre avis : Ce film a reçu en 1950 l’oscar du meilleur scénario et du meilleur réalisateur. Il a été une des sources d’inspiration de la
série Desperate housewives qui en a repris certaines idées (les caractères des personnages féminins, la voix off). Le film est
passionnant à bien des égards. Au-delà du suspense vraiment prenant (on a envie de savoir avec qui la traîtresse est partie !), il
propose une vision du couple très juste à travers 3 échantillons différents. Ce qui pourrait menacer la 1ere femme, c’est qu’elle ressent
toujours un sentiment d’infériorité par rapport à son mari et à ses relations. La distance qui sépare la seconde femme de son mari
(interprété par Kirk Douglas) est liée à leurs valeurs. Alors que lui est un idéaliste qui préférerait vivre sans le sou plutôt que de se
compromettre, elle vend ses talents à la publicité. Elle voudrait bien convertir son mari à une approche plus pragmatique des choses.
Enfin la 3ème femme est une beauté froide (en apparence) qui a séduit son patron pour gravir l’échelle sociale. On entre ainsi de plainpied dans une réflexion sur ce qui fait le couple et le mariage. La construction de ce lien ne fait pas abstraction de certaines
considérations sociales et pécuniaires. Sous cet angle le film est une critique de l’American way of life de l’après guerre et par-delà
l’époque et le lieu, une critique du mariage en général.
Les thèmes abordés sont toujours d’actualité. S’il en restait à cette critique, le film n’aurait rien de remarquable parce que la charge est
assez facile. La force de l’histoire, c’est qu’elle dépasse cette vision négative du couple et du mariage pour en extraire une forme de
grandeur. La menace est représentée par une femme libre qu’on ne voit jamais. On n’entend que sa voix. On comprend facilement
l’attrait que peut représenter pour les hommes ce personnage. Alors qu’ils se sentent entravés par leurs chaînes conjugales, ils sont
tentés par cette femme faisant fi de toute convention. On l’imagine séduisante, en tout cas elle attire les maris et chacune des femmes
mariées la craint. Mais on se rend compte au fil du film que la liberté incarnée par ce personnage a sans doute quelque chose
d’inhumain. Cette liberté est inaccessible, intimidante. Après tout, si on est vraiment libre, on n’a besoin de personne. De quoi se
demander si l’amour ne naîtrait pas d’une insuffisance, d’une certaine fragilité (d’un manque à être diraient certains philosophes). A
l’opposé, la liberté absolue serait liée à une forme d’autosuffisance, une sécheresse des sentiments. Le film devient vraiment émouvant
lorsqu’il déchire le voile et laisse entrevoir derrière les chaînes conjugales tous les sentiments inexprimés, l’amour qui lie chaque mari et
chaque femme au sein de leurs couples respectifs. La femme libre n’agit que pour un certain goût du pouvoir. Le prix de la liberté est la
solitude. En menaçant de détruire le mariage des 3 femmes, elle révèle ce qui en fait tout le prix. Destruction/Révélation : on retrouve ici
un diptyque classique de la fiction, schéma dont l’avatar le plus métaphysique serait Théorème de Pasolini et le plus récent Dans la
maison d’Ozon. La femme libre du film de Mankiewicz est comme ces anges terribles de Rilke qui provoquent ce double mouvement. Il
y a de la métaphysique chez Mankiewicz. C’est cette dimension en creux qui rend son œuvre géniale.
CULTUROPOING.COM - William Lurson
Il est toujours difficile de découvrir des œuvres qui appartiennent au patrimoine cinématographique. Mankiewicz fait partie de ses
"super-auteurs", assez intimidants, qui ont été sanctifiés par la critique et l'histoire du cinéma. Beaucoup de ses films sont posés, de
fait, comme des chefs d'œuvres incontestables, qu'il faut recevoir comme tels. Pourtant, et c'est le cas avec "Chaînes Conjugales", la
maîtrise de Mankiewicz ne saute pas immédiatement aux yeux (ou au cœur) - il n'a pas la vigueur baroque de Welles, pas le
sensationnalisme ni la perversité de Hitchcock – ; sa maestria est d'abord dans l'écriture (il fut scénariste avant de passer à la
réalisation, cela reste) et plus dans le dire que dans le faire, du moins dans un faire qui n'apparaîtra pas, d'emblée, comme
démonstratif. Malgré l'audace de sa construction - trois flashs-back imbriqués dans un récit linéaire, lui-même surplombé par une
narratrice en voix-off, sorte de metteuse en scène ironique -, "Chaînes Conjugales" donne l'illusion d'un film "classique", à la fois par
son ton assez égal, sa stylisation subtile, son apparence naturaliste, et son réalisme psychologique.
Le film s'inscrit dans le cadre habituel de la bourgeoisie aisée, ici provinciale (les milieux populaires étaient plutôt l'apanage du film
noir), sans l'ampleur lyrique du mélodrame hollywoodien. C'est plutôt une suite de conflits psychologiques, ténus et presque
insignifiants, au sein de trois couples, qui narre la difficulté pour trois femmes à s'épanouir dans le mariage. Seule exception, le couple
central déplace sensiblement la problématique et inverse le rapport de dépendance (ou de crise) présent dans les deux autres. George
Phipps (Kirk Douglas) y est un professeur de littérature aux revenus modestes, qui doit son confort de vie, cette fois-ci, à son épouse.
Là, se joue la question de la compromission artistique, mais aussi des valeurs et des idéaux, contre l'accession aux biens. Rita, sa
femme (Anne Sothern), écrit des dramatiques pour la radio, qui ne sont que des prétextes "artistiques", pour placer des spots
publicitaires très lucratifs. Ailleurs, c'est la difficulté à endosser un habit social et une fortune, qui sont ceux du mari. La femme, coupée
de son milieu d'origine, s'aliène dans le mariage, même si cet asservissement est sans violence : c'est une "confortable" promotion.
L'ironie et la cruauté de ces "satires" conjugales n'apparaissent qu'indirectement, par une série de petits éclats. Rien de didactique ou
d'expressionniste, tout survient dans le cadre très feutré d'une sociabilité ordinaire : soirée mondaine, réception privée, petits conflits ou
appréhensions dans les antichambres domestiques. Avec beaucoup de pertinence, Mankiewicz choisit ce temps de l'avant, laps des
préparatifs précédant les mondanités - se farder ou dresser la table - pour cristalliser les crises et les hypocrisies conjugales.
Un film de Mankiewicz s'appréhende d'abord par l'intelligence de son propos, plus que par le spectaculaire de sa forme (la chose est
sensiblement différente avec "Eve", qui est comme une démultiplication, théâtrale et baroque, du récit gigogne de "Chaînes…").
L'intelligence formelle, qui en fait un chef d'œuvre, "subtil", ne se saisit que dans l'après, sinon elle ne serait qu'un truc, un procédé
superficiel pour impressionner le spectateur qui prendrait le pas sur le récit. La thématique l'emporte de loin sur la démonstration, et la
mise en scène se coule dans le sujet pour en souligner le ton. Les trois chicanes narratives des récits en flashs-back, amenées par un
artifice – un son ou une image qui déclenche les remémorations -, s'inscrivent sans hiatus dans le cours de l'histoire. Ce sont des bonds
dans une antériorité proche qui n'interrompent pas réellement la linéarité dramatique ; la temporalité, présente et revécue, reste
continue. Il n'y a pas non plus le sentiment de labeur ou de répétition, lié à la reprise en "sketch" du procédé.
L'invention d'Addie Ross, le personnage mystère qui plane sur le récit sans jamais apparaître, est le prétexte qui motive ces retours en
arrière. Femme idéale pour les maris, et menace pour les épouses, elle annonce sarcastiquement à ses trois "chères amies" qu'elle part
avec l'un de leurs époux tout en se gardant de préciser lequel. Les trois femmes reçoivent sa missive alors qu'elles partent encadrer
une sortie avec les orphelins de la ville. Il leur faudra attendre la fin de la journée, pour connaître à leur retour, laquelle des trois a été
abandonnée.
Ce faux suspense est un prétexte à susciter l'examen conjugal et à ressouder les couples qui peuvent encore l'être ; mais en soi, sa
résolution importe peu. Addie est une sorte de Deus ex Machina, une dramaturge piquante qui s'amuse à provoquer la destinée des
personnages. En ne voulant pas trop marquer ces artifices, pourtant très modernes, Mankiewicz montre qu'ils ne sont pas une fin en
soi, et en neutralise l'effet. "Chaînes conjugales" n'est pas un manifeste cinématographique qui découd la narration traditionnelle, mais
une série de variations inscrites dans une unité de récit et de thématique. Son attrait ne tient pas véritablement dans ses procédés ou
dans sa chute en trompe-l'œil mais bien dans son entre, sa conduite narrative, ses jeux d'échos et de différences entre les situations
des épouses. Ceux qui attendront le grand spectacle "promis" par l'aura du chef d'œuvre, risquent d'en être, dans un premier temps,
pour leurs frais ; car c'est une œuvre de finesse, au formalisme contenu, malicieuse, et presque "déceptive".
En dernier lieu, restent cette ironie et cette férocité, que l'on prête exagérément, encore, à Mankiewicz (ironie que l'on peut lire aussi
dans l'artifice convenu, mais peu dupe, des happy-end finaux). Or, la particularité du réalisateur semble être, justement, de ne jamais
l'énoncer de front, mais plutôt avec une forme de distance, voire de hauteur, qui n'est pas de la condescendance stricto sensu (il
compatit avec ses héroïnes) ni de la cruauté. Ce recul d'observation associé à un commentaire discret, au creux du récit, peut le
rapprocher d'une certaine manière de Max Ophuls. Mankiewicz est là tout en restant en retrait. Il ne s'impose pas comme l'énonciateur
du récit, ou son contempteur lucide, mais passe toujours par une médiation, de voix et de regards, qui dissout son point de vue. Cette
sorte de contrôle flegmatique peut "rappeler" les films (postérieurs) de Kubrick qui produisent un sentiment similaire : très maîtrisés et
sans une instance d'énonciation trop affirmée. C'est cela qui me fait dire que Mankiewicz est d'une certaine manière un héritier du
classicisme hollywoodien tout en étant une figure moderniste, adepte des récits inusuels et retors, formalisés en flashs-back, mais
tellement assis, qu'ils en finissent par paraître transparents. Et c'est peut-être là, finalement, en sus de l'écriture, que réside son génie
tant loué : un art suprême de l'illusion et de la réserve ironique.
CHRONICART - Par Murielle Joudet
Juste avant son chef-d'oeuvre All about Eve, Mankiewicz réalise en 1949 ce A letter to three wives , qu'aurait dû adapter Lubitsch s'il n'était mort
entretemps. Le casting changea d'innombrables fois (Tyrone Power, Ida Lupino ou encore Joan Crawford étaient pressentis) et les héroïnes
devaient initialement être au nombre de cinq, comme le voulait le roman dont le film est tiré.
Comme Eve, Chaînes conjugales dresse autant le portrait de quelques femmes que de leur milieu, et le film longe plusieurs registres : d'un côté un
film à suspense mâtiné de woman's picture, de l'autre une satire de la classe moyenne américaine. Vu d'aujourd'hui, l'époque à laquelle il fut tourné
se signale d'autant plus que le film semble forgé dans la matière des feuilletons radiophoniques d'alors et des page-turners pour femmes : on y
renifle presque une odeur mêlée de papier glacé, de cuisine et de vernis à ongles. Et justement sa narration tiendrait plus, au fond, de la série que
du film, fouillant délicatement le foyer pour y trouver une image de la société, sans jamais sacrifier l'intime sur l'autel du discours. C'est aux
postes de radio, très présents, qu'il revient de signifier cet aller-retour subtil : une voix pénètre les foyers sans demander la permission et fait le lien
entre tous – trois ans plus tard, un autre film à sketches allait mêler radio et conjugalité : Cinq mariages à l'essai, d'Edmund Goulding, avec Marylin
Monroe. Chaînes conjugales ne manque pas, d'ailleurs, de faire rêver à une série réalisée par Mankiewicz, en même temps qu'il se révèle comme la
véritable origine de Mad Men ou Desperate housewives. Outre la voix de la radio, il y a celle d'Adie Ross, qui, avant de quitter la ville avec le mari
de l'une d'entre elles, a envoyé une lettre à ses trois amies.
Le temps d'un voyage en bateau, les trois femmes auront tout le loisir de passer en revue leur vie conjugale, ignorant où peuvent bien se trouver
leurs maris. Il y a dans Chaînes conjugales, tout comme dans All about Eve, deux enjeux fondus en un : la conjugalité et le classicisme. Menacer
l'un, c'est menacer l'autre. Défaire le couple, c'est mettre en branle le classicisme mais aussi s'assurer que cette crise conjugale sera cicatrisée par
lui. La grande force de Mankiewicz a toujours tenu dans sa capacité à dilater ses intrigues sans rien perdre de leur unité : les flashblacks peuvent
mener très loin, on en retrouvera pas moins, après un long détour, nos couples réunis. L'image qui symbolise le mieux cette union tout à la fois
amicale et amoureuse, c'est d'abord une image récurrente et insistante chez Mankiewicz, l'image même du classicisme : c'est la table ronde où ces
amis sont réunis. Image qui revient également dans l'unique film entièrement écrit par ses soins, La Comtesse aux pieds nus. Des êtres réunis
autour d'une table ronde et dont la cohésion, l'amour et l'amitié semblent menacés par un personnage absent mais dont tout le monde parle : la
grande actrice Maria Vargas, la vamp arriviste Eve Harrington dans Eve, ou encore Addie Ross dans Chaînes conjugales. Dans les trois cas, il
s'agit de remonter aux origines d'une rencontre fatidique, d'un coup de tonnerre qui laisse nos personnages tout à la fois bouleversés et apaisés,
mais encore hantés par le passage fracassant d'une femme. Cette femme, ici réduite à l'état de voix-off et de silhouette qui mène à la baguette tous
les personnages, n'est pas autre chose qu'une sorte d'entité abstraite venue éprouver les couples.
C'est sa capacité à remettre en doute et à tendre un miroir à ces femmes qui intéresse Mankiewicz, tout comme Eve Harrington était pour Margo
Channing le miroir dans lequel elle pouvait enfin se sentir vieillir, l'ennemie intime qui lui permettait de se penser elle-même. La très belle idée de
Mankiewicz est de filmer dans Chaînes conjugales des vieux couples qui ne sont pas tant menacés par les possibles infidélités de l'homme que par
la paranoïa de la femme qui se découvre une rivale. Le danger est tout entier dans son irritabilité grandissante qui menace son bonheur,
parfaitement intériorisé, à peine confirmé par les faits.
Dans ces deux films, la menace prend un instant les contours d'une autre femme, et c'est ce que retiendra Cassavetes dans Opening Night, remake
à peine voilé d'All About Eve. La peur féminine y est encore moins partagée, encore plus solitaire et intérieure, travaillant au corps une Gena
Rowlands harassée par la lutte. Cette autre femme était déjà là, dans l'inquiétude feutrée des héroïnes de Mankiewicz.
DIRECT MATIN
AU MAC-MAHON IMBROGLIO AMOUREUX
Pour sa réédition nationale en version numérique restaurée, le Mac-Mahon programme cette semaine l’un des chefs-d’œuvre de
JosephL. Mankiewicz, Chaînes conjugales. Cette peinture de mœurs de l’Amérique moyenne de la fin des années 1940 raconte, à la
façon d’un thriller, l’escapade de trois amies qui, le jour du départ, reçoivent la lettre d’une quatrième amie les prévenant qu’elle part
avec le mari de l’une d’elles, sans avouer lequel. Le film reçut en 1949 les oscars du meilleur réalisateur et scénario.• Chaînes
conjugales, de JosephL. Mankiewicz
CLAP MAG - Eric Parmentier
Ciel, mon mari !
De quelle mystérieuse « matière noire » sont faits ces films impérissables qui, à chaque nouvelle vision, nous ouvrent
d’insoupçonnables perspectives et nous recouvrent toujours plus de leur ombre tenace, mouvante et aspirante, donnant à
penser que la marque du chef-d’œuvre tiendrait peut-être à ce savant et parfait équilibre entre sa part de visible et sa part
d’invisible.
C’est le cas de Chaînes Conjugales (Letter to Three Wives), réalisé par Mankiewicz en 1948, qui cache d’une certaine façon son jeu
derrière un voile qui ne nous apparaît pas forcément d’emblée. La première sensation qui nous gagne est celle d’un « film parfait », en
tout cas dans sa facture. Nos oreilles, nos yeux autant que notre intelligence en frétillent. La jubilation à l’état pur, mêlée à cette
impression – jubilatoire elle aussi – que l’on pourrait en circonscrire les motifs, le sens et les ressorts dans un certain espace limité de
compréhension. Une construction d’architecture idéale dont on aurait visité chaque pièce visible, laissant éventuellement la possibilité
de s’attarder dans telle ou telle pièce une fois suivante. Un cercle parfait, en somme, qui se refermerait sur lui-même, guidé par la
logique pure du bon mot, du bon acteur, du bon tempo, du « chaque chose à sa bonne place ».
La genèse du film ne nous contredira pas, faisant office d’un travail considérable sur le matériau de départ (une nouvelle de John
Klempner parue en 1945 dans Cosmopolitan) qui aboutira après bien des étapes au scénario final, tout à fait admirable (adapté
d’abord par Vera Caspary, revu par le puissant producteur de la Fox, Darryl F. Zanuck, et dont la paternité échoit finalement, au
générique, à Mankiewicz lui-même).
Le style Mankiewicz éclate déjà dans tout son savoir-faire : habileté des processus narratifs, une peinture sociale et une étude de
caractères sentie et cinglante, une mise en scène d’une fluidité magistrale ou bien encore des dialogues absolument réjouissants.
Dans une petite ville de la côte Est, trois femmes apprennent que le mari de l’une d’entre elles est parti avec une de leurs
connaissances, qui leur envoie justement une lettre pour les prévenir. Etant conviées le temps d’une journée à un pique-nique caritatif
avec des orphelins sur un bateau, sans téléphone, elles auront tout le loisir de se laisser gagner par l’angoisse d’avoir, peut-être, perdu
leur mari – et par-delà, leur place et leur statut –, en se remémorant certains épisodes critiques de leur vie conjugale, conformiste et
bourgeoise.
Le style Mankiewicz (qui n’en était qu’à sa sixième réalisation) se dessine plus intensément et éclate déjà dans tout son savoir-faire :
habileté des processus narratifs (les trois flash-backs, le récit mené par la voix-off de la fameuse « quatrième » femme, Addie Ross,
narratrice omnisciente qu’on ne verra jamais, on y reviendra), une peinture sociale et une étude de caractères sentie et cinglante (la
classe moyenne américaine dans sa course au confort et à l’argent, les ambitions et les rivalités amoureuses, la condition et le statut
des femmes), une mise en scène d’une fluidité magistrale ou bien encore des dialogues absolument réjouissants.
De la belle ouvrage, incontestablement avec à la clé, l’oscar du meilleur scénario et celui du meilleur réalisateur. La messe est dite. Et
pourtant… Quelque chose nous échappe, nous dépasse, nous hante. Comme si cette maison parfaite cachait en ses profondeurs une
cave plus vaste encore que ses plans ne le laissaient soupçonner. Comme si le cercle parfait dont nous parlions, devenu disque, se
trouait en son centre en y engloutissant peu à peu chaque parcelle de sa surface, puissant vortex à la force inattendue. Chacun
apportera sans doute à cette énigme ses propres réponses. La nôtre tient en partie à cette notion de hantise, et pour filer la métaphore
architecturale, de la demeure hantée. Le film tout entier, dans sa construction, semble hanté par un fantôme : celui d’Addie Ross. Ce
trou noir, ce centre de gravité, n’est-ce pas le personnage d’Addie, dont l’ombre portée s’abat sur les trois personnages féminins, autant
que sur le film lui-même et pis, sur notre propre conscience ?
De Hantise à Rebecca, les fantômes invisibles ont souvent été rois en la demeure, déclencheurs psychologiques infaillibles mais ici,
point d’attente de libération, c’est l’ombre elle-même qui prend les rênes du film et mène sa barque, de son outre-champ. « Si vous ne
parliez pas de moi ? De quoi parleriez-vous ? » glisse ironiquement la narratrice au spectateur, face au spectacle par trop pathétique
donné par Déborah et Rita dès le début du film.
En démiurge, elle sait briser le verre et présider au grand ordonnancement du film. En volute de fumée, elle est partout et nulle part.
Présente, absente, elle envoûte. En puissant Idéal du Moi – de Déborah, Rita, Lora Mae et peut-être de moi-spectateur – elle se
matérialise tour à tour en une beauté élégante et plantureuse filmée de dos, indépassable, en un disque de Brahms, idéalité de la
musique, et en un cadre posé sur un piano, maîtresse femme installée, figée, iconique et éternelle. On pense à ces quelques phrases
de Nathalie Sarraute dans Tu ne t’aimes pas : « Quand il n’était encore qu’un petit enfant, il avait réussi ce tour de force de faire un
auto-portrait. Ou plutôt une statue de lui-même qu’il a toujours portée en lui…Comme ceux qui gardent dans leur corps une balle, un
éclat d’obus…Oui quelque chose d’aussi dur, solide…mais ce n’est pas comme un morceau de métal qui serait resté fiché quelque part
en lui. Cette statue de lui-même l’occupe tout entier, il n’y a de place en lui que pour elle… » Cette statue -idéale et active- est celle à
qui, sur chaque plan respectif, les personnages, le metteur en scène, et nous-mêmes avons donné vie, au point d’être désormais
intimement manœuvrés par elle. Elle qui semble perdre la face dans le dénouement du film, pour mieux reconquérir son monde et sa
liberté souveraine. Goodbye everybody ! Pour ce film, le génie de Mankiewicz est peut-être d’avoir laissé son fauteuil à un fantôme qui
n’est décidément pas près de vouloir le quitter.
Date de reprise en salles : 9 juillet 2014. Sortie initiale américaine : 20 janvier 1949. Réalisé par Joseph L. Mankiewicz. Avec Linda
Darnell, Jeanne Crain, Kirk Douglas, Ann Sothern. Comédie dramatique. Distribué par Splendor Films.
TOUTELACULTURE.COM - Yaël Hirsch
Petit bijou sociologique, monté en flash-back Chaînes conjugales (« A letter to three wives » en VO) a propulsé Joseph L. Mankiewicz
parmi les rois d’Hollywood (deux oscars en 1949). A voir et revoir en copie restaurée, à partir du 9 juillet.
Note de la rédaction : ★★★★★
Trois amies très wasp d’une petite ville chic américaine de la fin des années 1950 embarquent pour la journée sur un bateau où elles
s’occupent d’enfants.Au moment où le bateau quitte la côte, elle reçoivent une lettre d’une de leurs amies qui leur dit être partie avec un
de leur trois maris. Laquelle trouvera son foyer vide en retrant? Un série de flash-back mettant l’accent sur les forces et les faiblesses
de chacune, ainsi que sur l’aura mystérieuse de cette femme parfaite permet de s’immiscer dans une petite communauté élégante et
huppée où tout n’est pas aussi lisse qu’il y paraît.
Flash-back parfaitement taillés, voleuse de mari qui demeure hors champ, comédiens magnifiques, tension de l’intrigue venant épicer
les piques d’observation psychologique et sociologique, ces Chaînes conjugales sont un bonheur de chaque instant. On le voit et le
revoit avec infiniment de plaisir.
Chaines conjugales, de Joseph L. Mankiewicz, avec Jeanne Crain, Linda Darnell, Ann Sothern, Kirk Douglas, Paul Douglas, Jeffrey
Lynn, Thelma Ritter, Barbara Lawrence, USA, 1949, 103 min. Splendor films. Sortie en copie restaurée le 9 juillet 2014, au Reflet
Médicis et au Mac Mahon, à Paris.
COMME AU CINEMA . COM
Réussite remarquable, Chaînes conjugales marque la consécration définitive de Mankiewicz à Hollywood, puisqu'il remporta l'Oscar du
meilleur réalisateur et celui du meilleur scénario. Une œuvre magnifique entre comédie et mélodrame, aux dialogues finement
ciselés. Un moment important, aussi, dans la carrière de Kirk Douglas.
NOTRECINEMA.COM
Dans le cadre du Champs Élysées Film Festival, j'ai eu la chance de pouvoir assister mercredi 11/6 à la projection au Publicis cinema
du film Chaînes Conjugales réalisé par Joseph L. Mankiewicz en 1949, suite à la maladie d'Ernst Lubitsch à qui le script était promis
initialement.
En introduction de la projection, Antoine Sire (Paris Fait Son Cinéma) nous a replacé le film dans son contexte et présenté son casting :
Kirk Douglas, Linda Darnell, Jeanne Craine, Thelma Ritter et la voix off de Céleste Holm, pour les plus connus. Merci à lui, en particulier
pour l'anecdote concernant la prescience de Linda Darnell, obsédée toute sa vie par sa peur du feu... et qui périra dans un incendie !
La reprise sur grand écran de ce chef d'oeuvre récompensé par 2 oscars pour Mankiewicz (meilleur réalisateur et meilleur scénario
adapté) est une excellente nouvelle pour les amateurs de Desperate Housewives qui y retrouveront, dans les années 40 aux États
Unis, des épouses s'interrogeant sur leur couple qu'elles pensent menacé par une irritante femme séductrice et parfaite.
Après une scène d'introduction où sont posés les enjeux (Addie Ross est partie avec le mari de l'une des 3 épouses et elle ne pourront
savoir lequel avant la fin de la journée), le film est construit autour de trois flash-backs au cours desquels elles vont chacune tenter de
se remémorer les erreurs qu'elles auraient pu commettre pour être quittée par leur mari.
Les dialogues sont brillants et l'interprétation parfaite, comme à l'accoutumée chez Mankiewicz, plus connu pour ses autres films :
L'aventure de Mme Muir (1947), Eve (1951), L'affaire Ciceron (1952), La comtesse aux pieds nus (1954) ou Cléopâtre (1963).
L'american way of life en prend pour son grade (en particulier avec l'émission de radio et la publicité) dans cette satire de la petite
bourgeoisie de province américaine - Mankiewicz le qualifiait lui même de « film sur les mœurs et la morale d’une époque » - et l'étude
des relations entre ces 6 personnages (les 3 couples se fréquentent et interagissent dans les 3 flash backs) est particulièrement
intéressante.