SAINT-PIERRE-DE-CURTILLE dans l`Histoire des communes
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SAINT-PIERRE-DE-CURTILLE dans l`Histoire des communes
SAINT PIERRE DE CURTILLE Appellations anciennes : Curtillies 1172, Vallis de Criona XIIIe s., Sanctum Petrum Va/lis Crienne 1481, Curtiliae 1581, Saint Pierre de Curtilles 1730. Appellation révolutionnaire : Val de Crêne. Habitants : les ... Population : 50 jeux en 1605, 367 habitants en 1743, 392 en 1776, 365 en 1801, 472 en 1861, 378 en 1901, 275 en 1936, 216 en 1968, 194 en 1965 et 214 en 1982. Altitude : 435 mètres. Superficie : 975 hectares. A 39 kilomètres de Chambéry. Au Moyen Age seigneurie pour partie de l'Abbaye d'Hautecombe. A la révolution : District de Chambéry canton d'Yenne puis de Ruffieux, province de Savoie Propre, mandement d ' Yenne (1816-1818) puis Province de Savoie mandement de Ruffieux (18181860). Judicature mage de Chambéry. Tabellion d'Yenne depuis 1697. Diocèse de Genève, décanat de Ceyzerieu du moyen âge à la révolution. Diocèse de Chambéry et Genève de 1802 à 181 7 et diocèse de Chambéry depuis 1817. Hameaux et lieux dits. Les Boissières, Conjux+, La Côte, Crêne +, Curtille, Les Gredauds +, Hautecombe, Les Martins+, Le Mollard, Morin, Piollet, Pontbeau+, Quinfieux, Les Rade/es+, Saint Gilles, Seme/as, Chez Tête+, Les Voûtes+, Les Bertrands+, Charaïa+, Celan+, Cu benit+. Anciennement appelé Val de Crêne, dérivant de Krêne, source, Saint Pierre de Curtille commune forestière, s'allonge au sud de Conjux et de Chanaz entre la montagne de la Charve (de cerf, cervus) et la rive ouest du lac du Bourget ; le chef lieu est sur la hauteur , sur la route nationale 514 allant de Conjux par les Crêtes à Lucey, sur la rive du 376 Rhône, et le Bourget du lac par le col du Chat. La présence de la Royale Abbaye d'Hautecombe, haut lieu spirituel et touristique de renommée internationale, isolée dans un site superbe au bord du lac, lui donne un attrait particulier. L'histoire de l'abbaye se confond avec celle de la commune. Trois églises, des châteaux et une abbaye Vers 1121, quelques moines de l'abbaye d' Aulps en Chablais, elle même dépendante de Molesme, s'établirent primitivement sur la montagne de Cessens en Albanais, dans une haute combe, mêlant au cénobitisme bénédictin des pratiques érémitiques, jusqu'à ce que Saint Bernard vienne les visiter et les incite à suivre une vie pleinement communautaire. Hautecombe s'affilia à Clairvaux le 14 juin 1135. En 1139, Vivien, son sixième abbé bénédictin et premier abbé cistercien, se retira à Clairvaux, tandis que Amédée d'Hauterive était choisi comme nouvel abbé d'Hautecombe. Son élection suivit de peu le transfert des moines de la montagne de Cessens aux bords du lac à Charaïa, transfert sur lequel les documents anciens et les chroniques médiévales observent un silence quasi total. En arrivant à Charaïa, les moines de Cessens trouvèrent un petit village doté d'une Eglise. Ce lieu de culte appartenait aux bénédictins du prieuré du Bourget du Lac. S'y réunissaient les quelques habitants des hameaux de Charaïa et d'Exendilles "établis entre forêt et lac", vivant de la pêche mais aussi de la fabrication des essendoles, ces planchettes de bois servant à recouvrir les toitures en Savoie. Les vestiges de cette première église, bâtie, selon une charte du X!Ieme siècle, entre 1078 et 1119, sont englobés dans l'actuelle chapelle Saint André, chapelle qui s'élève au nord de l'église abbatiale, sur un rocher plongeant dans le lac. Son architecture romane se perçoit au milieu des ornementations modernes. La première Abbaye fut bâtie entre 1137 et 1150. Elle avait à l'origine à peu près la même forme et la même grandeur qu'aujourd 'hui. Construite en forme de croix, elle changea trois fois de configuration, mais 1'architecte Melano, en 1824, supposait qu'elle avait été édifiée dès l'origine dans le style gothique. On sait en effet que l'architecture ogivale apparut en France en 1160 avec le narthex de l'église de Vezelay. Vers 1140, le comte de Savoie Amédée III confirma, assisté de seigneurs locaux, la prise de possession des religieux, dont l'abbé était toujours Amédée d'Hauterive, futur évêque de Lausanne (1 143) et tuteur du comte Humbert III de Savoie pendant sa minorité. Au décès d'Humbert III dit le Bienheureux, en 1189, l'abbaye devint la nécropole principale de la maison de Savoie. Jusqu'à Antoine de Savoie, en 1647, elle recevra les dépouilles mortelles de 41 princes et princesses. Cependant, lorsque la cour de Savoie se transporta officiellement à Turin au XVIeme siècle, les souverains se firent dorénavant inhumer à la Superga. L'abbaye d'Hautecombe, où l'on n'accédait que par le lac , obtint en 1203 le pouvoir de ''transporter, acheter et vendre dans toutes ses possessions" ce qui était nécessaire à son usage, et fut extrêmement prospère au XIIIeme siècle. Ses abbés reçurent des missions importantes de la part du Saint Siège, elle eut même des relations avec l'Orient : une fondation en Achaïe fut mise à l'étude, et c'est à cette époque qu'elle reçut d'Anselme, évêque de Patras, la tête de Sainte Erine, fille supposée de l'Empereur Licinius, que les bateliers du lac prirent pour patronne, et dont la relique est toujours présente à Hautecombe. Le monastère donna deux Papes à 1'Eglise : Celestin V, qui mourut seize jours après son élection, en 1241 sans a~oir été couronné, et Nicolas III (12771280). Il continua à prospérer, ses possessions s'étendaient jusqu'au Rhône en passant par la Chautagne, Lucey, Yenne, et remontaient par Ontex jusqu'à la chapelle du Mont du Chat. Le comte Amédée IV lui fit don des fours et moulins de Chambéry, et elle posséda quelques temps à Lyon, au début du XIVeme siècle, un pont de bois - pont de la Guillotière - qu'elle remit à neuf, ainsi que l'hospice devenu le "Grand hôpital" et la maladrerie ou léproserie de Sainte Marie Madeleine. Mais Hautecombe passa sous la juridiction d'abbés commendataires lorsque le duc de Savoie, Amédée VIII, devint l'antipape Félix V. Il nomma vers 1440 son aumônier et Chambellan Pierre Bolomier, en récompense de ses bons offices, et unit à l'abbaye l'ancien prieuré bénédictin de Saint Innocent, de l'autre côté du lac. Dès 1421, les bâtiments de l'abbaye, si richement décorés sous le règne d'Aymon le Pacifique (vers 1340) commencèrent à se détériorer. La série des abbés commendataires prit fin avec Jean Baptiste Marelli, de Turin, qui mourut disgrâcié et miséreux à Chambéry en 1738. L'abbaye était dans une triste condition et le Sénat de Savoie, puis la Chambre des Comptes en prirent l'administration en charge pour le temporel. Par contre l'occupation espagnole (1742-1748) lui réussit assez et l'on entreprit sa restauration, jusqu'à ce qu'une bulle papale de 1752 rétablisse la commende en faveur du chapitre de la Sainte Chapelle de Chambéry. La révolution ne trouva plus que huit religieux à Hautecombe, les trois bâtiments de l'ancienne abbaye furent vendus en 1796 avec les terres aux citoyens Léger Henry, Louis et Joseph Landoz pour 50 942 livres. Ce sont eux qui y installèrent, de 1799 à 1804 une faïencerie dont nous parlerons plus loin. 377 Après la restauration sarde de 1816, le roi de Sardaigne Charles Félix racheta Ha utecombe en 1821 à un négociant lyo nnais, M. Landraz, chargeant 1'a rchitec te Mélano de remettre l'abbaye à neuf, et faisant venir des cisterciens de la Consolata de Turin pour reprendre la longue tradition religieuse interrompue. Il leur donna l'abbaye qui reçut la personnalité civile. Après sa mort, sa veuve, la reine Marie Christine termina son oeuvre. On lui doit la restauration de la Chapelle saint André, la Tour du Phare qui domine le lac, l'ornementation de l'église et sa façade en style gothique troubadour, si éloigné du dépouillement des églises cisterciennes, tout était terminé en 1843. La Tour du Phare, construite en briques limées , est surmontée d'un observatoire dont dimensions et ornements imitent la chambre de poupe de l'ancien vaisseau royal Marie Christine. Le fanal qu'on y allumait par les nuits d'orage servait à guider les bateliers sur le lac. Abbaye d'Hautecombe 378 Les religieux de la Consolata vécurent en co mmunauté à H au teco mbe jusqu'en 1864. Quatre ans plus tôt la Savoie avait été annexée à la France, des négociations aboutirent à un arrangement international, le 4 août 1862, qui confirmait la charte de fondation du roi Charles Félix. Les droits du roi d'Italie furent maintenus, il conserva à titre prh'é la possesion des biens issus de la reine Marie Christine, tandis que la communauté entrait en possession de l'Abbaye. En 1864, les religieux cisterciens de la nouvelle congrégation française de Sénanque furent appelés à Hautecombe , mais leur nombre était devenu si restreint que l'on fit appel en 1922 aux moines bénédictins de Sainte Magdeleine de Marseille, revenant d'Italie. où ils s'étaient réfugiés en 1901. Ce sont eux qui nous accueillent encore. En 1980, ils ont célébré avec les moines du monde entier le quinzième centenaire de la naissance de leur fondateur Saint Benoit, proclamé par le pape patron de l 'Europe. Outre la première église et l'abbaye, Saint Pierre de Curtille formait une ancienne paroisse, située dans un lieu appelé autrefois "Val de Crène", où se trouvent la seconde Eglise paroissiale, abandonnée, et le château de Pombeau ou Pomboz, qui fut propriété de l'abbaye depuis 1160, restauré après un incendie de 1866. Vendu par la Nation, Pombeau passa des héritiers Roux au général de Boigne, puis à une famille du cru, les Luguet. Quant à la ferme de Saint Gilles, composée au moment de la révolution d'une maison d'habitation avec grange et écurie, elle était alors exploitée par Antoine Rubelin, et fut transformée en château au début du XXeme siècle. L'église paroissiale de Val de Crène (2eme église), sous le vocable de Saint Pierre, a conservé un choeur gothique et une chapelle latérale Saint Jean Baptiste et Sainte Hélène, avec un enfeu, de la présentation de la famille Yvus en 1605. Ancienne église du Val de Crêne Elle sert actuellement d'étable. Les panneaux de bois sculpté (bancs de choeur) datant du XVe s. qui en proviennent ont été replacés dans l'église actuelle, située plus bas dans le bourg, ainsi que cinq panneaux de la chaire à prêcher, dont deux aux armes de Sébastien d'Orbier, prieur d 'Hautecombe en 1473, tous classés AOA en 1922. Ils mériteraient une restauration car ils sont en piteux état. Trois prêtres furent enterrés à Val de Crène : le Révérend Jacquier en 1675, le Rd Gathier en 1760 et le Rd Berthet en 1804. Val de Crène servit d'église paroissiale jusqu'en 1837, mais déjà en 1833 l'archevêque de Chambéry avait menacé de l' interdire en raison de sa petitesse et de sa vétusté. Le curé Georges, en 1824, se croyant relégué en punition à Saint Pierre y avait commis des dépradations, il détruisit un mur servant de table de communion, le plancher de la tribune et l'autel du Rosaire dont le massif servait de mur, créant une brèche dans l'édifice qui se trouva quasiment ouvert. La chapelle de Conjux, gothique elle aussi, lui était annexée. Unê visite de la reine Marie Christine lui fut fatale, car, émue par son indigence, elle fit don à la commune de 7000 livres sardes destinées à la construction du troisième et actuel édifice, situé au chef lieu, lieu dit "Paradis". /AVO\E.. /AINT PIE.RRE.r.><.CUQTILLE. . e..c.HL-1-L..IL. .o ocs RH. A.. C.HA.WVe--1o.,..T.~,g~o . Plan de M. Chauvel 1930. Portail de /'ancienne église du Val de Crêne Commencée en 1838 sur les plans du chevalier Melano, par l'entreprise Bonino de Chambéry, elle fut consacrée en 1844 par Mgr Alexis Billiet archevêque de Chambéry. C'est une église sur plan circulaire à double niveau, le premier abritant le déambulatoire et deux chapelles dédiées au Rosaire et à Saint Joseph, le deuxième niveau surélevé surmonté d'une coupole revêtue d 'un 379 décor de caissons en trompe l'oeil avec une rosace. Le porche d'entrée de style classique vient se greffer sur la partie circulaire et est encadré par deux escaliers à vis. à Hautecombe. Construite par Jean de Breclesent, ou de Brecquessent, ancien imagier de Mahaut d'Artois, elle reçut les statues en pierres coloriées des douze apôtres. tandis que les peintures étaient exécutées par Jean de Grandson et Georges d' Aquila, peintre florentin qui décora aussi en 1314 le château de Chambéry, le Bourget du Lac et la chapelle ducale de Pinerolo. Il passe pour être l'un des premiers à avoir fait usage d'huile (de noix) en peinture. Quelques statues originales ont subsité malgré les dégradations suivies d'une restauration radicale en 18251826 : deux sont à Hautecombe, Saint André et un apôtre, tandis que Saint Pierre et Saint Paul, acquis par un particulier à la révolution furent données par ses soins à l'église de Saint Girod , canton d 'Albens en 1876. Du tombeau d 'Aymon , détruit à la révolution, l'abbaye conserve des fragments, dont trois pleurants en marbre L 'église actuelle L 'abbaye d 'Hautecombe et les sépultures royales Le premier prince savoyard enterré à Hautecombe fut Humbert III en 1189. Sa piété le fit inscrire au martyrologe de l'Ordre de Citeaux. A la demande du roi Charles Albert, le Pape Grégoire XVI confirma son culte en 1838. On l'honore à Hautecombe le 4 mars. Un second bienheureux y fut inhumé en 1270 : Boniface de Savoie archevêque de Cantorbery. Mais c'est à Aymon le Pacifique que l'on doit, entre 1331 et 1342, l'édification de la chapelle des Princes destinée à réunir les corps de ses ancêtres reposant 380 Abbaye d'HAUTEC0t-.1BE- Chape llo des Princes Sépulture à Hautecombe de Aymon le Pacifique et Yolande de Montferrat décédé /e 24 juin 1343 (M. Brocard d'après Histoire généalogique de la Royale Maison de Savoye Samuel Guichenon). plus ou moins mutilés, tandis que le Musée Savoisien de Chambéry possède un détail en marbre de l' ancien retable de la chapelle des P rinces : le massacre des Innocents, correspond à l' Herode assis resté ici avec une présentation au temple. Au début du XVIe s. Hautecombe ren fermait une quarantaine de dépouilles mortelles, mais, en 1562, la série des inhumations prit fin , les évènements politiques ayant nécessité le transfert de la capitale savoyarde à Turin. Cependant, vers 151 8, l'a bbé commendataire Claude d ' Estavayer, évêque de Belley, fit élever la chapelle dite de Belley , dont le retable fut décoré par des peintres piémontais d ' un grand triptyque de Saint Claude dont il subsiste quelq ues panneaux : une lactation de Saint Bernard, attribuée à Gian Martino Spanzotti, obscur peintre verrier de Casale demeurant à Vercelli où il fut le premier maitre du Sodoma (à moins qu 'on ne l'attribue à Serrangioli), et trois predelles , présentées dans les transept nord de l'église abbatiale, sorties de l'atelier de Defen- L es "Pleurants" 381 dente Ferrari. Parmi les peintures anciennes conservées à l'abbaye, citons un Calvaire anonyme du XVe s., peutêtre dû au vénitien Grégoire Bono, qui servait de porte à l'autel majeur avant la révolution. Lorsque sous le roi Charles Félix le chevalier Melano releva l'abbatiale en transposant à presque tout l'édifice le décor flamboyant de la chapelle de Belley, la décoration fut confiée aux artistes les pius célèbres de l'Italie du nord, comme le sculpteur Benoit Cacciatori, les peintres turinois Louis et Jean Vacca, François Gonin, gendre de Louis, ainsi qu'un verrier viennois, Hothgassner. Les ossements royaux retrouvèrent des sépultures dignes d'eux, même la tête de la princesse Béatrix de Savoie, comtesse de Provence, dont le mausolée dans la commanderie des Echelles, où elle avait été ensevelie fin 1266, avait été détruit en 1600, et les ossements dispersés. Les chapelles actuelles de Saint Michel et Saint Alphonse de Liguori ont fait suite à celle dédiée à Saint Benoit et Saint Bernard, édifiée par les soins de Bonne de Bourbon, épouse d'Amédée VI, entre 1360 et 1372, qui fut complètement ruinée à la révolution . Les convois funèbres du roi Charles Félix et de son épouse Marie Christine avaient été les deux derniers à traverser le lac en 1831 et 1849, mais tout récemment, une 43eme sépulture vient d 'avoir lieu : l'ex roi Humberto d'Italie, fils du roi Victoir Emmanuel III, repose parmi les siens depuis le 24 mars 1983, dans l'abbaye où il aimait tant séjourner chaque année, fidèle à la communauté monastique d'Hautecombe et à la Savoie. Le roi Humberto succéda à son père en 1945, mais un referendum perdu de justesse le contraignit à l'exil. La Maison de Savoie, plus vieille dynastie régnante d'Europe perda it son trône, après avoir réalisé l' unité de l'Italie de 1860 à 1870, et cédé la Savoie à la France. En uniforme gris de maréchal d'Italie, le roi repose dans le caveau de la chapelle des Princes. Du sel à la faïence Statue d'Humbert de Savoie, Comte de Romont, seigneur de Montagny, fils naturel d'Amédée VII Je comte Rouge vers 1440- Statue d'Hautecombe (M. Brocard d'après Histoire généalogique de la Royale Maison de Savoye- Samuel Guichenon) 382 Dom Romain Clair, dans son article sur les origines d'Hautecombe, émet l'hypothèse que le transfert de la communauté monastique de Cessens aux bords du lac aurait pour origine le fait qu'elle se serait vu "confier le soin du poste de guet et de l'escale que constituait sur la grande voie fluviale de la Savoie le promontoire de Charaïa". Cette voie, dénommée la "route du sel", qui remontait du Rhône au port du Bourget par le canal de Savières, fut pratiquée dès la période gallo romaine jusqu 'au siècle dernier, et la mise en service récente de l'écluse de Chanaz vient de remettre cette voie à l'ordre du jour. Toutes les barques à sel, que suivaient les alôses, abordaient à l'abbaye "pour en tirer du rafraîchissement". Depuis 1'installation définitive de la gabelle en France en décembre 1360, le tirage du sel du Rhône fonctionnait sous un double régime : monopole de la vente du sel au grenier, mais liberté de transport entre les Salines de Camargue et le grenier. La campagne du tirage du sel commençait chaque année en février, le voiturage avait lieu par voie d'eau, avec des transbordements par voie de terre. Il employait des mariniers, nauchiers en fuste, fustiers, pontonniers, et de nombreux maîtres charretiers. La valeur du sel se multipliait par 15 entre le tirage et l'arrivée. Quant au sel du duc de Savoie, il était revendu au peuple le double de son prix de revient, et parvenait à atteindre 40 fois sa valeur au marais salant. La liberté inhérente au transport permettait une fraude intense. Au milieu du XV Ie s. la rumeur publique s'inquiéta des bénéfices énormes d'un gros sous traitant de Lyon, Albisse Delbene, issu d'une famille d'exilés florentins attirés par les Valois en France, futur surintendant général des finances françaises en Italie en 1537. Il était peutêtre apparenté au célèbre abbé d'Hautecombe Alphonse Delbene, ·né à Lyon en 1538. Ce juriste, élève de Cujas, entra en fonctions à 22 ans et se distingua comme poëte et historien . Son "Fragmentum descriptionis Sabaudiae" est riche de détails minutieux sur le lac , l'abbaye et les localités environnantes . Son "Amédéïde" tendait à prouver les attaches italiennes de la maison de Savoie, certains de ses ouvrages furent imprimés à Hautecombe même où fonctionnait une imprimerie dirigée par Marc Antoine de Blanc Lys. Si elle tira profit au passage du sel, l'abbaye possédait en 1753 de très nombreuses propriétés : Pomboz, comprenant Hautecombe et ses environs, qui rapporta cette année là Hautecombe - vue du Lac du Bourget 383 1630 livres de Piémont, les granges d'Aix et de Givry (3600 livres), Méry (1 700 livres), Saint Innocent (1030 livres) dont Jacques Blanchard était fermier en I737, La Montagne de Cherel (300 1) à Jean Armenjon, fermier en 1737, Molliesulla en Chautagne, la rente d'Yenne, la maison Sainte Barbe, les moulins de Bourdeau, Lavours (1006 1), Partout (550 1), la rente de La Serraz en Dauphiné (896 l) , la rente des Vignettes pres de Lyon, ainsi que la rente de la Magdeleine, et enfin la rente de Mâcon. Quand survint en Savoie la révolution française et que l'abbaye fut vendue comme bien national, ses acquéreurs y installèrent en 1799 une faïencerie , sous la raison sociale " Dimier, Henry et Landoz" . Cette fabrique, lancée dans l'imitation de la faïence anglaise fonctionna jusqu'en 1804, le four fut installé sous la coupole de l'église et la famille de l'exploitant habita les chambres du monastère. Les "artifices" pour broyer les matières étaient mus par les eaux de la fontaine intermittente . On faisait quatre cuissons par mois, avec 12 ouvriers à l'année et 18 à l'extérieur . Les peintres venaient d'Italie . Quelques rares échantillons de sa fabrication ont été déposés au Musée Savoisien de Chambéry par Claudius Blanchard et le docteur Guilland, arrière neveu de M. Landoz. Hautecombe fabriquait des poëles, de grands vases décoratifs pour les terrasses, des encriers, des pots à fleurs, toute la poterie de table et les "ustensiles" de chambre. La forme utilisée s'apparentait au style Louis XV, mis à part quelques bocaux étrusques et quelques fantaisies comme une théièreampoule. Le matériau était un émail brillant, généralement stannifère, la _teinte du vernis variant du blanc pur au blanc rosé ou bleuâtre. La peinture, sobre, employait peu de teintes douces, jamais plus de six, avec un décor de points, filets, semis de fleurs, rarement des fruits, jamais d'animaux ni de paysages ou de personnages. L'abandon rapide de cette industrie contribua à accélérer la destruction des bâtiments abbatiaux : les toitures s'écroulèrent, la voûte de l'église s'effrondra, sur les tombeaux gothiques. Tout était prêt pour inspirer les promeneurs épris de sauvagerie . .. L 'a bbaye vue du lac 384 .......................................................................................... ~-~ Le temps des ruines et des poètes Depuis 1804, l'abbaye, réduite à un amas de ruines romantiques, inspira les poètes : "Me promenant un jour vers cet antique monastère, assis sur ses ruines augustes, je méditais sur les leçons qu'elles offrent aux peuples et aux rois . Le lac était paisible ... " C'est le comte de Fortis qui s'exprime ainsi en 1829, et la restauration de l'abbaye lui inspire une élégie sur les tombeaux : "Sur les bords du lac solitaire Dans cet asyle où règne un éternel repos Dormez, dormez en paix, ombres que l'on révère Tandis qu'autour de vous une sanglante guerre Déc haine les vents et les flots .. . .. Couchés dans vos tombes gothiques . . Viens donc prince adoré Aux "mânes dispersés par nos erreurs fatales Rends leurs premiers abris .. " La restauration de l'abbaye suggéra à Jean Pierre Veyrat (1810-1844) une "Station poëtique à l'abbaye d'Hautecombe", dédiée à la reine douairière Marie Christine : "Et je m'assis rêveur sur une pente sombre D'où le cloître à mes yeux se dessinait dans l'ombre Et je me demandai : que sont venus chercher Dans cette solitude et sur ce bord austère Ceux qui peuplent les murs de ce toit solitaire Posé comme un nid d'aigle au penchant du rocher ? Du flot battant les murs de l'antique tourelle Que les cris effrayants des nocturnes oiseaux Que le bruit des autans pleurant sur les rivages Répété par l'écho des cavernes sauvages Ou la voix de la brise à travers les roseaux .. . " C'est à Hautecombe , dans "Raphaël" publié en 1850, que Lamartine situe la transposition romancée de ses amours avec Julie Charles en 1816. Cela nous vaut des descriptions inoubliables des ruines dont il vit alors "les arcanes pleines de nuit et de mystère". " L'abbaye .. s'élève sur un contrefort de granit au nord ; elle jette l'ombre de ses vastes cloîtres sur les eaux du lac .. j'admirai seulement combien la nature est prompte à s'emparer des places vides et des demeures abandonnées par l'homme, combien son architecture vivante d'arbustes qui s'enracinent dans le ciment, de ronces, de lierres flottants, de giroflées suspendues, de plantes grimpantes jetant leur épais manteau sur les brêches des murs, est supérieure à la froide symétrie des pierres et à la décoration morte des monuments du ciseau des hommes ... La nature est le grand poète, le grand décorateur. .. " C'est à Raphaël et un passage des Méditations que l'anfractuosité de rocher située à 20 mètres de l'abbaye doit son nom de grotte de Raphaël. Mais on ne peut pas oublier que si Lamartine a beaucoup fait pour immortatiler le Lac du Bourget, c'est aussi lui qui s'adressa au peuple du 19 octobre 1830 pour se dresser, déjà, contre la peine de mort, avec ce souhait fervent : "C'est ici que la France a de ses lois sauvages Fermé le livre ensanglanté ; C'est ici qu'un grand peuple, au jour de la justice Dans la balance humaine, au lieu d'un vil supplice Jeta sa magnanimité .. " Quant à Alexandre Dumas, passant par Aix les Bains, il alla tout bonnement faire "une collation splendide" à Hautecombe, et visiter l'abbaye fraichement restaurée et ses 300 tombeaux. Qu'en dit-il ? "C'est une charmante petite église, qui, quoique moderne, est construite sur le plan et dans la forme gothique ... 385 Abbaye d 'Hautecombe -Légende du plan Vestibule 1 dans la chapelle St-Bernard cénotaphe de Claude d'Estavayer 2 tombeau du roi Charles Félix (1765-1831) Grande nef, cénotaphes de 3 Louis II - t 1350 4 dom Antoine de Savoie - t 1688 5 Amédée VII (1360-1391) Le comte Rouge 6 Philippe l"- t 1482 7 Jean de Savoie - t 1294 8 Philippe 1" t 1285 9 Philippe II dit Sans Terre - t 1497 10 Thomas !er- t 1233 11 Edouard dit le Libéral - t 1329 12 Louis de Savoie - t 1502 386 Bas côté droit 13 Amédée V - t 1323 14 statue de Charles Félix par B Cacciatori 15 Guillaume de Savoie- t 1329 16 Agnès de Savoie - t 1322 17 Béatrix de Savoie corn tesse de Provence t 1266 18 Yola nde de Savoie- t 1499 19 Autel et tableau de Sainte Madeleine, école Sien noise - XV• s. Croisillon droit 20 Bienheureux Humbert II 21 comte Pierre dit le Petit C harlemagne t 1268 Chapelle Alphonse de Liguori 22 La Pietaz de B Cacciatori Chapelle saint Michel sur l'autel peinture catalane du XVI' s. Sanctuaire 23 tombe de Louis l " {1250-1302) en partie du XIV' s. 24 Vierge à l'enfa nt de Delvaux 1954 25 Bienheureux Boniface de Savoie, archevêque de Cantorbéry - t 1270 26 Bienheureux Humbe rt III dit le Saint (1129-1189) 27 comte Aymon et Yolande de Mon tferrat (1291-1343)- t 1342 Croisillon gauche Chapelle des Princes 28 Amédée IV (1197-1253) 29 Mémorial des Princes ensevelis à Hautecombe sans cénotaphe en entrant, on heurte un tombeau, c'est celui du fondateur de la chapelle, du roi Charles Félix ... de chaque côté du chemin qui conduit au choeur sont rangés de superbes tombeaux de marbre, sur lesquels sont couchés les ducs et les duchesses de Savoie ... d'autres encore, qui ont marché par la voie sainte au lieu de suivre la voie sanglante . .. au dessus de chaque tombeau .. . un beau médaillon ovale ou carré représente , éxécuté par des artistes modernes, une scène de guerre ou de pénitence tirée de la vie de celui qui dort sous la pierre qu'il surmonte. Là vous pouvez voir le héros dépouillé de l'armure qui le couvre sur son tombeau, combattant en costume grec... avec la pose académique de Romulus ou de Léonidas. Ces messieurs étaient trop fiers pour copier et avaient trop d'imagination pour faire du vrai. La paix du ciel soit avec eux !" Vison interessante de l'art du XIXeme siècle et du gothique troubadour vu par un contemporain ... La vie de la commune de Saint Pierre de Curtille A côté de l'abbaye, Saint Pierre de Curtille menait néanmoins sa vie propre, avec ses usages particuliers : bénédiction du sel et du pain pour les animaux après la messe, le jour de la Saint 30 autel du Bienheureux Boniface de Savoie et tableaux de Défendente ferrari (1520) Bas côté gauche 31 Anne Clémence de Zoeringhem- t 1162 Chapelle de saint Félix (1825) Caveau d' Humbert comte de Romont- t 1444 32 Thomas II comte de Flandre- t 1259 33 Sybille de Baugé - t 1234 34 Marguerite de Savoie - t 1273 35 Groupe en marbre : la reine Marie Christine secourant les pauvres et protégeant les arts (Aibertoni) 36 Amédée VI le comte Vert t 1383 Cloîtres en partie du XIV<siècle Grange batelière fin du XIIe s. Antoine abbé ; bénédiction des têches dans chaque grange après les moissons ; quête des noix pour l'huile de la lampe du Saint Sacrement ; les trois processions des Rogations, car la paroisse, déjà vaste, comprenait alors Conjux. En 1866, les habitants cultivaient 85 hectares de froment d'hiver, 47 ha de méteil, 30 de seigle, 15 d'orge , 7 de maïs et 16 de sarrasin, sans oublier un peu d'avoine et des pommes de terre. En 1890 la commune produit 110 hectolitres de vin et son cheptel comte 130 bovins, 40 moutons et 38 porcs. Outre les agriculteurs, on trouve un menuisier, un garde, un clerc, un tailleur, un épie cier, un charron, un forgeron et un braconnier. Un rapport de 1954 dénombre 276 habitants (65 personnes pour l'abbaye) dont 1'activité est essentiellement agricole puisqu'il y a 38 exploitants. Le tourisme est représenté par l'hôtel restaurant Dunand où se tiennent souvent des banquets, le commerce par un fruitier, un épicier, sans oublier 3 artisans, un forgeron , un marchand de bois et un plâtrier peintre. L'école laïque a 31 élèves, 14 garçons et 17 petites filles. Depuis la mort du dernier maréchal ferrant en 1950, la commune n'a plus aucun artisan à l'ancienne, mais des entreprises du bâtiment. · De nos jours les moines de l'abbaye 387 vivent de l'exploitation agricole d'une vingtaine d' hectares et de deux laboratoires de parfumerie et de confiserie. Ils ont réalisé un Missel dit "de l'Assemblée" et forment 400?o de la population totale de la commune. C'est à dire leur importance non seulement sur le plan spirituel mais aussi pour la vie économique de Saint Pierre. La commune compte encore 14 exploitations agricoles, dont la superficie moyenne est de 13 hectares (elle en avait 37 en 1955). Cinq propriétés ont de 10 à 35 ha une plus de 35 ha. Ces chiffres élevés sont dûs, d'une part à la présence de l'abbaye, et par ailleurs à la configuration du terrain très mouvementé, peu facile à cultiver. Le cheptel s'élevait à Ill bovins en 1980, six hectares étaient cultivés en vigne. Mise à part son importance particulière, non seulement dans le canton mais en Savoie, Saint Pierre de Curtille est la 4e commune du canton pour la superficie, la 7e pour la démographie ( + 20 personnes en 1982), on y construit, et la 7e pour le potentiel fiscal total. La grange d'eau d'Hautecombe 388