SAINT-PIERRE-DE-CURTILLE dans l`Histoire des communes

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SAINT-PIERRE-DE-CURTILLE dans l`Histoire des communes
SAINT PIERRE DE CURTILLE
Appellations anciennes : Curtillies
1172, Vallis de Criona XIIIe s., Sanctum Petrum Va/lis Crienne 1481, Curtiliae 1581, Saint Pierre de Curtilles 1730.
Appellation révolutionnaire : Val de
Crêne.
Habitants : les ...
Population : 50 jeux en 1605, 367
habitants en 1743, 392 en 1776, 365 en
1801, 472 en 1861, 378 en 1901, 275 en
1936, 216 en 1968, 194 en 1965 et 214 en
1982.
Altitude : 435 mètres.
Superficie : 975 hectares.
A 39 kilomètres de Chambéry.
Au Moyen Age seigneurie pour partie
de l'Abbaye d'Hautecombe.
A la révolution : District de Chambéry canton d'Yenne puis de Ruffieux,
province de Savoie Propre, mandement
d ' Yenne (1816-1818) puis Province de
Savoie mandement de Ruffieux (18181860).
Judicature mage de Chambéry.
Tabellion d'Yenne depuis 1697.
Diocèse de Genève, décanat de Ceyzerieu du moyen âge à la révolution.
Diocèse de Chambéry et Genève de
1802 à 181 7 et diocèse de Chambéry
depuis 1817.
Hameaux et lieux dits.
Les Boissières, Conjux+, La Côte,
Crêne +, Curtille, Les Gredauds +,
Hautecombe, Les Martins+, Le Mollard, Morin, Piollet, Pontbeau+, Quinfieux, Les Rade/es+, Saint Gilles,
Seme/as, Chez Tête+, Les Voûtes+,
Les Bertrands+, Charaïa+, Celan+,
Cu benit+.
Anciennement appelé Val de Crêne,
dérivant de Krêne, source, Saint Pierre
de Curtille commune forestière,
s'allonge au sud de Conjux et de Chanaz entre la montagne de la Charve (de
cerf, cervus) et la rive ouest du lac du
Bourget ; le chef lieu est sur la hauteur ,
sur la route nationale 514 allant de Conjux par les Crêtes à Lucey, sur la rive du
376
Rhône, et le Bourget du lac par le col du
Chat.
La présence de la Royale Abbaye
d'Hautecombe, haut lieu spirituel et
touristique de renommée internationale,
isolée dans un site superbe au bord du
lac, lui donne un attrait particulier.
L'histoire de l'abbaye se confond
avec celle de la commune.
Trois églises, des châteaux et une
abbaye
Vers 1121, quelques moines de
l'abbaye d' Aulps en Chablais, elle
même dépendante de Molesme, s'établirent primitivement sur la montagne de
Cessens en Albanais, dans une haute
combe, mêlant au cénobitisme bénédictin des pratiques érémitiques, jusqu'à ce
que Saint Bernard vienne les visiter et
les incite à suivre une vie pleinement
communautaire. Hautecombe s'affilia à
Clairvaux le 14 juin 1135. En 1139,
Vivien, son sixième abbé bénédictin et
premier abbé cistercien, se retira à Clairvaux, tandis que Amédée d'Hauterive
était choisi comme nouvel abbé d'Hautecombe. Son élection suivit de peu le
transfert des moines de la montagne de
Cessens aux bords du lac à Charaïa,
transfert sur lequel les documents
anciens et les chroniques médiévales
observent un silence quasi total.
En arrivant à Charaïa, les moines de
Cessens trouvèrent un petit village doté
d'une Eglise. Ce lieu de culte appartenait aux bénédictins du prieuré du Bourget du Lac. S'y réunissaient les quelques
habitants des hameaux de Charaïa et
d'Exendilles "établis entre forêt et lac",
vivant de la pêche mais aussi de la fabrication des essendoles, ces planchettes de
bois servant à recouvrir les toitures en
Savoie. Les vestiges de cette première
église, bâtie, selon une charte du
X!Ieme siècle, entre 1078 et 1119, sont
englobés dans l'actuelle chapelle Saint
André, chapelle qui s'élève au nord de
l'église abbatiale, sur un rocher plongeant dans le lac. Son architecture
romane se perçoit au milieu des ornementations modernes.
La première Abbaye fut bâtie entre
1137 et 1150. Elle avait à l'origine à peu
près la même forme et la même grandeur qu'aujourd 'hui. Construite en
forme de croix, elle changea trois fois de
configuration, mais 1'architecte
Melano, en 1824, supposait qu'elle avait
été édifiée dès l'origine dans le style
gothique. On sait en effet que l'architecture ogivale apparut en France en 1160
avec le narthex de l'église de Vezelay.
Vers 1140, le comte de Savoie Amédée III confirma, assisté de seigneurs
locaux, la prise de possession des religieux, dont l'abbé était toujours Amédée d'Hauterive, futur évêque de Lausanne (1 143) et tuteur du comte Humbert III de Savoie pendant sa minorité.
Au décès d'Humbert III dit le Bienheureux, en 1189, l'abbaye devint la
nécropole principale de la maison de
Savoie. Jusqu'à Antoine de Savoie, en
1647, elle recevra les dépouilles mortelles de 41 princes et princesses. Cependant, lorsque la cour de Savoie se transporta officiellement à Turin au XVIeme
siècle, les souverains se firent dorénavant inhumer à la Superga.
L'abbaye d'Hautecombe, où l'on
n'accédait que par le lac , obtint en 1203
le pouvoir de ''transporter, acheter et
vendre dans toutes ses possessions" ce
qui était nécessaire à son usage, et fut
extrêmement prospère au XIIIeme siècle. Ses abbés reçurent des missions
importantes de la part du Saint Siège,
elle eut même des relations avec
l'Orient : une fondation en Achaïe fut
mise à l'étude, et c'est à cette époque
qu'elle reçut d'Anselme, évêque de
Patras, la tête de Sainte Erine, fille supposée de l'Empereur Licinius, que les
bateliers du lac prirent pour patronne,
et dont la relique est toujours présente à
Hautecombe.
Le monastère donna deux Papes à
1'Eglise : Celestin V, qui mourut seize
jours après son élection, en 1241 sans
a~oir été couronné, et Nicolas III (12771280). Il continua à prospérer, ses possessions s'étendaient jusqu'au Rhône en
passant par la Chautagne, Lucey,
Yenne, et remontaient par Ontex
jusqu'à la chapelle du Mont du Chat.
Le comte Amédée IV lui fit don des
fours et moulins de Chambéry, et elle
posséda quelques temps à Lyon, au
début du XIVeme siècle, un pont de
bois - pont de la Guillotière - qu'elle
remit à neuf, ainsi que l'hospice devenu
le "Grand hôpital" et la maladrerie ou
léproserie de Sainte Marie Madeleine.
Mais Hautecombe passa sous la juridiction d'abbés commendataires lorsque le duc de Savoie, Amédée VIII,
devint l'antipape Félix V. Il nomma vers
1440 son aumônier et Chambellan
Pierre Bolomier, en récompense de ses
bons offices, et unit à l'abbaye l'ancien
prieuré bénédictin de Saint Innocent, de
l'autre côté du lac. Dès 1421, les bâtiments de l'abbaye, si richement décorés
sous le règne d'Aymon le Pacifique
(vers 1340) commencèrent à se détériorer. La série des abbés commendataires
prit fin avec Jean Baptiste Marelli, de
Turin, qui mourut disgrâcié et miséreux
à Chambéry en 1738. L'abbaye était
dans une triste condition et le Sénat de
Savoie, puis la Chambre des Comptes
en prirent l'administration en charge
pour le temporel. Par contre l'occupation espagnole (1742-1748) lui réussit
assez et l'on entreprit sa restauration,
jusqu'à ce qu'une bulle papale de 1752
rétablisse la commende en faveur du
chapitre de la Sainte Chapelle de Chambéry. La révolution ne trouva plus que
huit religieux à Hautecombe, les trois
bâtiments de l'ancienne abbaye furent
vendus en 1796 avec les terres aux
citoyens Léger Henry, Louis et Joseph
Landoz pour 50 942 livres. Ce sont eux
qui y installèrent, de 1799 à 1804 une
faïencerie dont nous parlerons plus loin.
377
Après la restauration sarde de 1816, le
roi de Sardaigne Charles Félix racheta
Ha utecombe en 1821 à un négociant
lyo nnais, M. Landraz, chargeant
1'a rchitec te Mélano de remettre
l'abbaye à neuf, et faisant venir des cisterciens de la Consolata de Turin pour
reprendre la longue tradition religieuse
interrompue. Il leur donna l'abbaye qui
reçut la personnalité civile. Après sa
mort, sa veuve, la reine Marie Christine
termina son oeuvre. On lui doit la restauration de la Chapelle saint André, la
Tour du Phare qui domine le lac, l'ornementation de l'église et sa façade en
style gothique troubadour, si éloigné du
dépouillement des églises cisterciennes,
tout était terminé en 1843. La Tour du
Phare, construite en briques limées , est
surmontée d'un observatoire dont
dimensions et ornements imitent la
chambre de poupe de l'ancien vaisseau
royal Marie Christine. Le fanal qu'on y
allumait par les nuits d'orage servait à
guider les bateliers sur le lac.
Abbaye d'Hautecombe
378
Les religieux de la Consolata vécurent
en co mmunauté à H au teco mbe
jusqu'en 1864. Quatre ans plus tôt la
Savoie avait été annexée à la France, des
négociations aboutirent à un arrangement international, le 4 août 1862, qui
confirmait la charte de fondation du roi
Charles Félix. Les droits du roi d'Italie
furent maintenus, il conserva à titre
prh'é la possesion des biens issus de la
reine Marie Christine, tandis que la
communauté entrait en possession de
l'Abbaye.
En 1864, les religieux cisterciens de la
nouvelle congrégation française de
Sénanque furent appelés à Hautecombe , mais leur nombre était devenu si
restreint que l'on fit appel en 1922 aux
moines bénédictins de Sainte Magdeleine de Marseille, revenant d'Italie. où
ils s'étaient réfugiés en 1901. Ce sont
eux qui nous accueillent encore. En
1980, ils ont célébré avec les moines du
monde entier le quinzième centenaire de
la naissance de leur fondateur Saint
Benoit, proclamé par le pape patron de
l 'Europe.
Outre la première église et l'abbaye,
Saint Pierre de Curtille formait une
ancienne paroisse, située dans un lieu
appelé autrefois "Val de Crène", où se
trouvent la seconde Eglise paroissiale,
abandonnée, et le château de Pombeau
ou Pomboz, qui fut propriété de
l'abbaye depuis 1160, restauré après un
incendie de 1866. Vendu par la Nation,
Pombeau passa des héritiers Roux au
général de Boigne, puis à une famille du
cru, les Luguet.
Quant à la ferme de Saint Gilles,
composée au moment de la révolution
d'une maison d'habitation avec grange
et écurie, elle était alors exploitée par
Antoine Rubelin, et fut transformée en
château au début du XXeme siècle.
L'église paroissiale de Val de Crène
(2eme église), sous le vocable de Saint
Pierre, a conservé un choeur gothique et
une chapelle latérale Saint Jean Baptiste
et Sainte Hélène, avec un enfeu, de la
présentation de la famille Yvus en 1605.
Ancienne église du Val de Crêne
Elle sert actuellement d'étable.
Les panneaux de bois sculpté (bancs
de choeur) datant du XVe s. qui en proviennent ont été replacés dans l'église
actuelle, située plus bas dans le bourg,
ainsi que cinq panneaux de la chaire à
prêcher, dont deux aux armes de Sébastien d'Orbier, prieur d 'Hautecombe en
1473, tous classés AOA en 1922. Ils
mériteraient une restauration car ils sont
en piteux état. Trois prêtres furent
enterrés à Val de Crène : le Révérend
Jacquier en 1675, le Rd Gathier en 1760
et le Rd Berthet en 1804. Val de Crène
servit d'église paroissiale jusqu'en 1837,
mais déjà en 1833 l'archevêque de
Chambéry avait menacé de l' interdire
en raison de sa petitesse et de sa vétusté.
Le curé Georges, en 1824, se croyant
relégué en punition à Saint Pierre y
avait commis des dépradations, il
détruisit un mur servant de table de
communion, le plancher de la tribune et
l'autel du Rosaire dont le massif servait
de mur, créant une brèche dans l'édifice
qui se trouva quasiment ouvert. La chapelle de Conjux, gothique elle aussi, lui
était annexée. Unê visite de la reine
Marie Christine lui fut fatale, car, émue
par son indigence, elle fit don à la commune de 7000 livres sardes destinées à la
construction du troisième et actuel édifice, situé au chef lieu, lieu dit "Paradis".
/AVO\E..
/AINT PIE.RRE.r.><.CUQTILLE. .
e..c.HL-1-L..IL. .o ocs RH.
A.. C.HA.WVe--1o.,..T.~,g~o .
Plan de M. Chauvel 1930.
Portail de /'ancienne église
du Val de Crêne
Commencée en 1838 sur les plans du
chevalier Melano, par l'entreprise
Bonino de Chambéry, elle fut consacrée
en 1844 par Mgr Alexis Billiet archevêque de Chambéry. C'est une église sur
plan circulaire à double niveau, le premier abritant le déambulatoire et deux
chapelles dédiées au Rosaire et à Saint
Joseph, le deuxième niveau surélevé surmonté d'une coupole revêtue d 'un
379
décor de caissons en trompe l'oeil avec
une rosace. Le porche d'entrée de style
classique vient se greffer sur la partie
circulaire et est encadré par deux escaliers à vis.
à Hautecombe. Construite par Jean de
Breclesent, ou de Brecquessent, ancien
imagier de Mahaut d'Artois, elle reçut
les statues en pierres coloriées des douze
apôtres. tandis que les peintures étaient
exécutées par Jean de Grandson et
Georges d' Aquila, peintre florentin qui
décora aussi en 1314 le château de
Chambéry, le Bourget du Lac et la chapelle ducale de Pinerolo. Il passe pour
être l'un des premiers à avoir fait usage
d'huile (de noix) en peinture.
Quelques statues originales ont subsité malgré les dégradations suivies
d'une restauration radicale en 18251826 : deux sont à Hautecombe, Saint
André et un apôtre, tandis que Saint
Pierre et Saint Paul, acquis par un particulier à la révolution furent données par
ses soins à l'église de Saint Girod , canton d 'Albens en 1876.
Du tombeau d 'Aymon , détruit à la
révolution, l'abbaye conserve des fragments, dont trois pleurants en marbre
L 'église actuelle
L 'abbaye d 'Hautecombe et
les sépultures royales
Le premier prince savoyard enterré à
Hautecombe fut Humbert III en 1189.
Sa piété le fit inscrire au martyrologe de
l'Ordre de Citeaux. A la demande du roi
Charles Albert, le Pape Grégoire XVI
confirma son culte en 1838. On l'honore
à Hautecombe le 4 mars.
Un second bienheureux y fut inhumé
en 1270 : Boniface de Savoie archevêque de Cantorbery.
Mais c'est à Aymon le Pacifique que
l'on doit, entre 1331 et 1342, l'édification de la chapelle des Princes destinée à
réunir les corps de ses ancêtres reposant
380
Abbaye d'HAUTEC0t-.1BE- Chape llo des Princes
Sépulture à Hautecombe de Aymon le Pacifique et Yolande de Montferrat décédé /e 24
juin 1343 (M. Brocard d'après Histoire généalogique de la Royale Maison de Savoye Samuel Guichenon).
plus ou moins mutilés, tandis que le
Musée Savoisien de Chambéry possède
un détail en marbre de l' ancien retable
de la chapelle des P rinces : le massacre
des Innocents, correspond à l' Herode
assis resté ici avec une présentation au
temple.
Au début du XVIe s. Hautecombe
ren fermait une quarantaine de dépouilles mortelles, mais, en 1562, la série des
inhumations prit fin , les évènements
politiques ayant nécessité le transfert de
la capitale savoyarde à Turin. Cependant, vers 151 8, l'a bbé commendataire
Claude d ' Estavayer, évêque de Belley,
fit élever la chapelle dite de Belley , dont
le retable fut décoré par des peintres piémontais d ' un grand triptyque de Saint
Claude dont il subsiste quelq ues panneaux : une lactation de Saint Bernard,
attribuée à Gian Martino Spanzotti,
obscur peintre verrier de Casale demeurant à Vercelli où il fut le premier maitre
du Sodoma (à moins qu 'on ne l'attribue
à Serrangioli), et trois predelles , présentées dans les transept nord de l'église
abbatiale, sorties de l'atelier de Defen-
L es "Pleurants"
381
dente Ferrari. Parmi les peintures
anciennes conservées à l'abbaye, citons
un Calvaire anonyme du XVe s., peutêtre dû au vénitien Grégoire Bono, qui
servait de porte à l'autel majeur avant la
révolution.
Lorsque sous le roi Charles Félix le
chevalier Melano releva l'abbatiale en
transposant à presque tout l'édifice le
décor flamboyant de la chapelle de Belley, la décoration fut confiée aux artistes les pius célèbres de l'Italie du nord,
comme le sculpteur Benoit Cacciatori,
les peintres turinois Louis et Jean
Vacca, François Gonin, gendre de
Louis, ainsi qu'un verrier viennois,
Hothgassner.
Les ossements royaux retrouvèrent
des sépultures dignes d'eux, même la
tête de la princesse Béatrix de Savoie,
comtesse de Provence, dont le mausolée
dans la commanderie des Echelles, où
elle avait été ensevelie fin 1266, avait été
détruit en 1600, et les ossements dispersés.
Les chapelles actuelles de Saint
Michel et Saint Alphonse de Liguori ont
fait suite à celle dédiée à Saint Benoit et
Saint Bernard, édifiée par les soins de
Bonne de Bourbon, épouse d'Amédée
VI, entre 1360 et 1372, qui fut complètement ruinée à la révolution .
Les convois funèbres du roi Charles
Félix et de son épouse Marie Christine
avaient été les deux derniers à traverser
le lac en 1831 et 1849, mais tout récemment, une 43eme sépulture vient d 'avoir
lieu : l'ex roi Humberto d'Italie, fils du
roi Victoir Emmanuel III, repose parmi
les siens depuis le 24 mars 1983, dans
l'abbaye où il aimait tant séjourner chaque année, fidèle à la communauté
monastique d'Hautecombe et à la
Savoie.
Le roi Humberto succéda à son père
en 1945, mais un referendum perdu de
justesse le contraignit à l'exil. La Maison de Savoie, plus vieille dynastie
régnante d'Europe perda it son trône,
après avoir réalisé l' unité de l'Italie de
1860 à 1870, et cédé la Savoie à la
France. En uniforme gris de maréchal
d'Italie, le roi repose dans le caveau de
la chapelle des Princes.
Du sel à la faïence
Statue d'Humbert de Savoie, Comte de
Romont, seigneur de Montagny, fils
naturel d'Amédée VII Je comte Rouge vers 1440- Statue d'Hautecombe
(M. Brocard d'après Histoire
généalogique de la Royale Maison de
Savoye- Samuel Guichenon)
382
Dom Romain Clair, dans son article
sur les origines d'Hautecombe, émet
l'hypothèse que le transfert de la communauté monastique de Cessens aux
bords du lac aurait pour origine le fait
qu'elle se serait vu "confier le soin du
poste de guet et de l'escale que constituait sur la grande voie fluviale de la
Savoie le promontoire de Charaïa".
Cette voie, dénommée la "route du
sel", qui remontait du Rhône au port
du Bourget par le canal de Savières, fut
pratiquée dès la période gallo romaine
jusqu 'au siècle dernier, et la mise en service récente de l'écluse de Chanaz vient
de remettre cette voie à l'ordre du jour.
Toutes les barques à sel, que suivaient
les alôses, abordaient à l'abbaye "pour
en tirer du rafraîchissement". Depuis
1'installation définitive de la gabelle en
France en décembre 1360, le tirage du
sel du Rhône fonctionnait sous un double régime : monopole de la vente du sel
au grenier, mais liberté de transport
entre les Salines de Camargue et le grenier. La campagne du tirage du sel commençait chaque année en février, le voiturage avait lieu par voie d'eau, avec des
transbordements par voie de terre. Il
employait des mariniers, nauchiers en
fuste, fustiers, pontonniers, et de nombreux maîtres charretiers.
La valeur du sel se multipliait par 15
entre le tirage et l'arrivée. Quant au sel
du duc de Savoie, il était revendu au
peuple le double de son prix de revient,
et parvenait à atteindre 40 fois sa valeur
au marais salant.
La liberté inhérente au transport permettait une fraude intense. Au milieu
du XV Ie s. la rumeur publique
s'inquiéta des bénéfices énormes d'un
gros sous traitant de Lyon, Albisse Delbene, issu d'une famille d'exilés florentins attirés par les Valois en France,
futur surintendant général des finances
françaises en Italie en 1537. Il était peutêtre apparenté au célèbre abbé d'Hautecombe Alphonse Delbene, ·né à Lyon en
1538. Ce juriste, élève de Cujas, entra
en fonctions à 22 ans et se distingua
comme poëte et historien . Son "Fragmentum descriptionis Sabaudiae" est
riche de détails minutieux sur le lac ,
l'abbaye et les localités environnantes .
Son "Amédéïde" tendait à prouver les
attaches italiennes de la maison de
Savoie, certains de ses ouvrages furent
imprimés à Hautecombe même où fonctionnait une imprimerie dirigée par
Marc Antoine de Blanc Lys.
Si elle tira profit au passage du sel,
l'abbaye possédait en 1753 de très nombreuses propriétés :
Pomboz, comprenant Hautecombe et
ses environs, qui rapporta cette année là
Hautecombe - vue du Lac du Bourget
383
1630 livres de Piémont, les granges
d'Aix et de Givry (3600 livres), Méry
(1 700 livres), Saint Innocent (1030
livres) dont Jacques Blanchard était fermier en I737, La Montagne de Cherel
(300 1) à Jean Armenjon, fermier en
1737, Molliesulla en Chautagne, la rente
d'Yenne, la maison Sainte Barbe, les
moulins de Bourdeau, Lavours (1006 1),
Partout (550 1), la rente de La Serraz en
Dauphiné (896 l) , la rente des Vignettes
pres de Lyon, ainsi que la rente de la
Magdeleine, et enfin la rente de Mâcon.
Quand survint en Savoie la révolution
française et que l'abbaye fut vendue
comme bien national, ses acquéreurs y
installèrent en 1799 une faïencerie , sous
la raison sociale " Dimier, Henry et Landoz" . Cette fabrique, lancée dans l'imitation de la faïence anglaise fonctionna
jusqu'en 1804, le four fut installé sous la
coupole de l'église et la famille de
l'exploitant habita les chambres du
monastère. Les "artifices" pour broyer
les matières étaient mus par les eaux de
la fontaine intermittente . On faisait
quatre cuissons par mois, avec 12
ouvriers à l'année et 18 à l'extérieur . Les
peintres venaient d'Italie . Quelques
rares échantillons de sa fabrication ont
été déposés au Musée Savoisien de
Chambéry par Claudius Blanchard et le
docteur Guilland, arrière neveu de M.
Landoz. Hautecombe fabriquait des
poëles, de grands vases décoratifs pour
les terrasses, des encriers, des pots à
fleurs, toute la poterie de table et les
"ustensiles" de chambre. La forme utilisée s'apparentait au style Louis XV,
mis à part quelques bocaux étrusques et
quelques fantaisies comme une théièreampoule. Le matériau était un émail
brillant, généralement stannifère, la
_teinte du vernis variant du blanc pur au
blanc rosé ou bleuâtre. La peinture,
sobre, employait peu de teintes douces,
jamais plus de six, avec un décor de
points, filets, semis de fleurs, rarement
des fruits, jamais d'animaux ni de paysages ou de personnages.
L'abandon rapide de cette industrie
contribua à accélérer la destruction des
bâtiments abbatiaux : les toitures
s'écroulèrent, la voûte de l'église
s'effrondra, sur les tombeaux gothiques. Tout était prêt pour inspirer les
promeneurs épris de sauvagerie . ..
L 'a bbaye vue du lac
384
..........................................................................................
~-~
Le temps des ruines et des poètes
Depuis 1804, l'abbaye, réduite à un
amas de ruines romantiques, inspira les
poètes : "Me promenant un jour vers
cet antique monastère, assis sur ses ruines augustes, je méditais sur les leçons
qu'elles offrent aux peuples et aux rois .
Le lac était paisible ... "
C'est le comte de Fortis qui s'exprime
ainsi en 1829, et la restauration de
l'abbaye lui inspire une élégie sur les
tombeaux :
"Sur les bords du lac solitaire
Dans cet asyle où règne un éternel repos
Dormez, dormez en paix, ombres que
l'on révère
Tandis qu'autour de vous une sanglante
guerre
Déc haine les vents et les flots .. .
.. Couchés dans vos tombes gothiques
. . Viens donc prince adoré
Aux "mânes dispersés par nos erreurs
fatales
Rends leurs premiers abris .. "
La restauration de l'abbaye suggéra à
Jean Pierre Veyrat (1810-1844) une
"Station poëtique à l'abbaye d'Hautecombe", dédiée à la reine douairière
Marie Christine :
"Et je m'assis rêveur sur une pente sombre
D'où le cloître à mes yeux se dessinait
dans l'ombre
Et je me demandai : que sont venus
chercher
Dans cette solitude et sur ce bord austère
Ceux qui peuplent les murs de ce toit
solitaire
Posé comme un nid d'aigle au penchant
du rocher ?
Du flot battant les murs de l'antique
tourelle
Que les cris effrayants des nocturnes
oiseaux
Que le bruit des autans pleurant sur les
rivages
Répété par l'écho des cavernes sauvages
Ou la voix de la brise à travers les
roseaux .. . "
C'est à Hautecombe , dans
"Raphaël" publié en 1850, que Lamartine situe la transposition romancée de
ses amours avec Julie Charles en 1816.
Cela nous vaut des descriptions inoubliables des ruines dont il vit alors "les
arcanes pleines de nuit et de mystère".
" L'abbaye .. s'élève sur un contrefort
de granit au nord ; elle jette l'ombre de
ses vastes cloîtres sur les eaux du lac ..
j'admirai seulement combien la nature
est prompte à s'emparer des places vides
et des demeures abandonnées par
l'homme, combien son architecture
vivante d'arbustes qui s'enracinent dans
le ciment, de ronces, de lierres flottants,
de giroflées suspendues, de plantes
grimpantes jetant leur épais manteau
sur les brêches des murs, est supérieure
à la froide symétrie des pierres et à la
décoration morte des monuments du
ciseau des hommes ... La nature est le
grand poète, le grand décorateur. .. "
C'est à Raphaël et un passage des
Méditations que l'anfractuosité de
rocher située à 20 mètres de l'abbaye
doit son nom de grotte de Raphaël.
Mais on ne peut pas oublier que si
Lamartine a beaucoup fait pour immortatiler le Lac du Bourget, c'est aussi lui
qui s'adressa au peuple du 19 octobre
1830 pour se dresser, déjà, contre la
peine de mort, avec ce souhait fervent :
"C'est ici que la France a de ses lois sauvages
Fermé le livre ensanglanté ;
C'est ici qu'un grand peuple, au jour de
la justice
Dans la balance humaine, au lieu d'un
vil supplice
Jeta sa magnanimité .. "
Quant à Alexandre Dumas, passant
par Aix les Bains, il alla tout bonnement
faire "une collation splendide" à Hautecombe, et visiter l'abbaye fraichement
restaurée et ses 300 tombeaux. Qu'en
dit-il ?
"C'est une charmante petite église,
qui, quoique moderne, est construite
sur le plan et dans la forme gothique ...
385
Abbaye d 'Hautecombe -Légende du plan
Vestibule
1 dans la chapelle St-Bernard cénotaphe de
Claude d'Estavayer
2 tombeau du roi Charles Félix (1765-1831)
Grande nef, cénotaphes de
3 Louis II - t 1350
4 dom Antoine de Savoie - t 1688
5 Amédée VII (1360-1391) Le comte Rouge
6 Philippe l"- t 1482
7 Jean de Savoie - t 1294
8 Philippe 1" t 1285
9 Philippe II dit Sans Terre - t 1497
10 Thomas !er- t 1233
11 Edouard dit le Libéral - t 1329
12 Louis de Savoie - t 1502
386
Bas côté droit
13 Amédée V - t 1323
14 statue de Charles Félix par B Cacciatori
15 Guillaume de Savoie- t 1329
16 Agnès de Savoie - t 1322
17 Béatrix de Savoie corn tesse de Provence t 1266
18 Yola nde de Savoie- t 1499
19 Autel et tableau de Sainte Madeleine,
école Sien noise - XV• s.
Croisillon droit
20 Bienheureux Humbert II
21 comte Pierre dit le Petit C harlemagne t 1268
Chapelle Alphonse de Liguori
22 La Pietaz de B Cacciatori
Chapelle saint Michel
sur l'autel peinture catalane du XVI' s.
Sanctuaire
23 tombe de Louis l " {1250-1302) en partie
du XIV' s.
24 Vierge à l'enfa nt de Delvaux 1954
25 Bienheureux Boniface de Savoie,
archevêque de Cantorbéry - t 1270
26 Bienheureux Humbe rt III dit le Saint
(1129-1189)
27 comte Aymon et Yolande de Mon tferrat (1291-1343)- t 1342
Croisillon gauche
Chapelle des Princes
28 Amédée IV (1197-1253)
29 Mémorial des Princes ensevelis à Hautecombe sans cénotaphe
en entrant, on heurte un tombeau, c'est
celui du fondateur de la chapelle, du roi
Charles Félix ... de chaque côté du chemin qui conduit au choeur sont rangés
de superbes tombeaux de marbre, sur
lesquels sont couchés les ducs et les
duchesses de Savoie ... d'autres encore,
qui ont marché par la voie sainte au lieu
de suivre la voie sanglante . .. au dessus
de chaque tombeau .. . un beau médaillon ovale ou carré représente , éxécuté
par des artistes modernes, une scène de
guerre ou de pénitence tirée de la vie de
celui qui dort sous la pierre qu'il surmonte. Là vous pouvez voir le héros
dépouillé de l'armure qui le couvre sur
son tombeau, combattant en costume
grec... avec la pose académique de
Romulus ou de Léonidas. Ces messieurs
étaient trop fiers pour copier et avaient
trop d'imagination pour faire du vrai.
La paix du ciel soit avec eux !"
Vison interessante de l'art du XIXeme
siècle et du gothique troubadour vu par
un contemporain ...
La vie de la commune de
Saint Pierre de Curtille
A côté de l'abbaye, Saint Pierre de
Curtille menait néanmoins sa vie propre, avec ses usages particuliers : bénédiction du sel et du pain pour les animaux après la messe, le jour de la Saint
30 autel du Bienheureux Boniface de Savoie
et tableaux de Défendente ferrari (1520)
Bas côté gauche
31 Anne Clémence de Zoeringhem- t 1162
Chapelle de saint Félix (1825)
Caveau d' Humbert comte de Romont- t 1444
32 Thomas II comte de Flandre- t 1259
33 Sybille de Baugé - t 1234
34 Marguerite de Savoie - t 1273
35 Groupe en marbre : la reine Marie Christine secourant les pauvres et protégeant les
arts (Aibertoni)
36 Amédée VI le comte Vert t 1383
Cloîtres
en partie du XIV<siècle
Grange batelière
fin du XIIe s.
Antoine abbé ; bénédiction des têches
dans chaque grange après les moissons ;
quête des noix pour l'huile de la lampe
du Saint Sacrement ; les trois processions des Rogations, car la paroisse,
déjà vaste, comprenait alors Conjux.
En 1866, les habitants cultivaient 85
hectares de froment d'hiver, 47 ha de
méteil, 30 de seigle, 15 d'orge , 7 de maïs
et 16 de sarrasin, sans oublier un peu
d'avoine et des pommes de terre. En
1890 la commune produit 110 hectolitres de vin et son cheptel comte 130
bovins, 40 moutons et 38 porcs. Outre
les agriculteurs, on trouve un menuisier,
un garde, un clerc, un tailleur, un épie
cier, un charron, un forgeron et un braconnier.
Un rapport de 1954 dénombre 276
habitants (65 personnes pour l'abbaye)
dont 1'activité est essentiellement agricole puisqu'il y a 38 exploitants. Le tourisme est représenté par l'hôtel restaurant Dunand où se tiennent souvent des
banquets, le commerce par un fruitier,
un épicier, sans oublier 3 artisans, un
forgeron , un marchand de bois et un
plâtrier peintre. L'école laïque a 31 élèves, 14 garçons et 17 petites filles.
Depuis la mort du dernier maréchal
ferrant en 1950, la commune n'a plus
aucun artisan à l'ancienne, mais des
entreprises du bâtiment.
· De nos jours les moines de l'abbaye
387
vivent de l'exploitation agricole d'une
vingtaine d' hectares et de deux laboratoires de parfumerie et de confiserie. Ils
ont réalisé un Missel dit "de l'Assemblée" et forment 400?o de la population
totale de la commune. C'est à dire leur
importance non seulement sur le plan
spirituel mais aussi pour la vie économique de Saint Pierre.
La commune compte encore 14
exploitations agricoles, dont la superficie moyenne est de 13 hectares (elle en
avait 37 en 1955). Cinq propriétés ont
de 10 à 35 ha une plus de 35 ha. Ces
chiffres élevés sont dûs, d'une part à la
présence de l'abbaye, et par ailleurs à la
configuration du terrain très mouvementé, peu facile à cultiver. Le cheptel
s'élevait à Ill bovins en 1980, six hectares étaient cultivés en vigne.
Mise à part son importance particulière, non seulement dans le canton mais
en Savoie, Saint Pierre de Curtille est la
4e commune du canton pour la superficie, la 7e pour la démographie ( + 20
personnes en 1982), on y construit, et la
7e pour le potentiel fiscal total.
La grange d'eau d'Hautecombe
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