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portrait BERTRAND BELIN Article réalisé par n i l e b d n a r t r e b Arnold Faivre DR L’éperdu crooner nt boyant, l’éléga m a fl u d it fa é D qui ne chanson u re ff o n li e B te omposition bru c e tr n e e n o ro c use ». et prose « gaze H ypersoleil sur Oberkampf. Le rouge des carreaux de sa chemise américaine se confondrait presque avec le sky de la banquette du barbillard. Dimanche s’achève et Bertrand Belin nous accueille dans son Paris d’adoption. Le quadra touche-à-tout est plutôt volubile, à l’aube de la sortie de son troisième album, ascète, elliptique et inspiré. Rencontre avec l’univers subtil et tamisé d’un chanteur engagé… sur des chemins de traverse. La réconciliation « S’émanciper du rutilant sans passer par la plume »… voici pour postulat de départ. 26| OCTOBRE/NOVEMBRE 2010 D’une genèse osée qui ne verra aucun texte trôner dans le studio d’enregistrement, aucun mot se coucher sur le papier. La contrainte intrigue. Le résultat lui donne raison. C’est donc avec toutes ses histoires et ses ébauches de « textes accumulés » que Belin enregistre ce troisième opus. Il nous reste onze substrats « taillés pour l’oralité » après avoir franchi le tamis exigeant de l’auteur. Le Breton autodidacte donne un « coup d’épaule à La perdue ». Il s’affranchit du « poids de la phrase graphique, des musiques savantes et des calories des arrangements précédents ». B. Belin délaisse le flamboyant et les contre-chants pour chercher, grâce à la prose, « la pertinence entre la voix et le message » pour « préparer du champ et de l’espace ». Comme si ce disque préfigurait d’autres projets plus tunnés, comme si cet Hypernuit marquait une parenthèse intime et expérimentale dans sa trajectoire. Avec vingt ans de musique dans les poches dont six à porter son projet solo sur disque et sur scène, Belin prend ici un tournant. Des années passées aux côtés de Néry et de Sons of the Desert, des cafés-concerts campés à coup de rockabilly avec ses frangins, il n’en reste pas moins cette couleur américaine. Il demeure cette once de country post-moderne et ces guitares chaloupées et galopantes. À l’origine, il y a ce soucis de « réconcilier les deux premiers albums », de marier la célébration du début avec le côté sombre de La perdue. Il y a la démarche d’un artiste intéressé par le contrepoids de sa vie parisienne et du présent saisi par la « permanence des éléments ». Comme si sa première jeunesse passée face à la mer rencontrait une seconde jeunesse passée jusque là sur les planches, avec entre les doigts une Telecaster, un piano, un banjo, un violon ou une batterie. Belin souhaitait des structures « plus osseuses » et surtout éviter un « travail de laborantin ». Les origines À l’origine de Hypernuit, il y a tantôt des chansons enregistrées en solo, tantôt nourries de la batterie délicate de Tatiana Mladenovitch et de la basse rassurante de Thibault Frisoni. Il y a les abords de Lorient, un gîte et trois semaines passées en studio à bricoler. Il y a ce trio avec lequel se marie, impressionniste, la voix de Ann Guillaume, plasticienne castée sur un enregistrement de El-Gé. Il y a un album chanté « avec le plaisir que l’on peut avoir en chantant en famille à Noël ». Le monde de Bertrand Belin ne se cerne pas aussi facilement que l’œil d’un homme épuisé. Il est fait de contours « effilochés », de détours subtils, d’ellipses consenties pour laisser libre cours à l’imaginaire de chacun d’entre nous. L’Hypernuit résonne alors avec l’obscurité de certaines histoires et de personnages au passé trouble. À chaque chanson, des interrogations, des doutes, des pensées. À chaque morceau, un tremplin pour saisir un mot, une phrase ou une strophe à s’approprier. Au bout du chemin : une curiosité piquée à vif et portrait BERTRAND BELIN l’envie irrésistible d’en savoir plus et de demander à son auteur quelques clés pour jouir au mieux du disque. Tentons alors une escapade gourmande au fil des chansons. Dressons des ponts quand une rivière le demande. Clôturons le champ pour que la bête ne s’échappe. Animal De monstre ou de bête il est parfois question dans cet opus, appelant à la légende villageoise, au souvenir d’un conte transmis oralement, d’un fait divers égaré dans un canard briéron. Dans Hypernuit, la bête n’est autre que l’idiot du village, le bouc-émissaire des jeunes hommes plus hardis que lui. Celui qui trouble l’ordre public en séduisant la jolie fille du bled, s’attire les foudres des autres prétendants qui veulent sa mort. La bestialité des hommes est ici pointée de la plume et incarnée par « une figure classique du récit », celle d’un simplet qui est condamné à rôder autour de la maison de sa belle, désirant la vengeance et la rédemption. Ce personnage, Belin le convoque à nouveau dans Vertige horizontal en clignant de l’œil vers une autre rumeur rurale « Quelque part par là » qui fustige un autre bouc-émissaire, « risée des habitants » et tiraillé entre « L’étang, la fille et le bain » et « enterré sous des mètres de honte ». Belin se mue alors en « Animal au vertige horizontal » et nous révèle vouloir ici faire écho au désert de la Pampa où résonne un état mental que l’on devine flou et mirage. L’étang n’est autre que celui d’un souvenir d’enfance où le chanteur se souvient d’un gamin noyé dans un étang, bouché par la suite pour éviter un pareil drame. Enfin - devraisje dire tout d’abord puisque ce morceau inaugure le bal - Y en a-t-il ? puise dans « une vieille figure dramaturgique que celle du vagabond dont la solitude n’est que paradoxalement aggravée par le silence de son chien ». « L’éventuelle vacuité du vagabond sert de trait d’union entre le sol, le chien et le soleil », chanté sur un accord majeur minutieusement choisi pour faire respirer la chanson. DISCOGRAPHIE Éponyme (Sterne) CD - 12 titres 02/2005 Allers-retours Le passé fait partie intégrante de l’inspiration du Quiberonnais. Évoqué dans ses deux albums précédents mais dans sa forme plus proche, il est ici plus lointain, plus lié à l’enfant et à sa vie d’avant Paris et l’aventure saisie à pleine paume au sortir de l’adolescence. Tout a changé est l’histoire d’un retour au pays après une longue absence. Le come-back d’un homme qui revient dans la famille qui n’a pas bougé, pas © Sandrine Olivier changé de place les meubles du salon et qui pourtant lui dit que tout a changé. Celui qui parle ici est celui qui est resté dans une famille modeste loin du feu d’artifice urbain. Il reçoit le fils qui revient enrichi de ses nouveaux territoires et oublie que ses ancêtres ont eux aussi été traversés par des changements. La cave qui est vidée à son retour est « celle des souvenirs que l’on veut parfois noyer pour faire table rase du passé » ajoutet-il. Du rejeton arrogant au frère appelé au front, Bertrand Belin passe avec aisance. Ne sois plus mon frère déchire par l’atemporalité et la cruauté de ce départ d’un être cher pour la guerre, volontairement anonyme pour encore une fois donner l’occasion à l’auditeur de choisir la sienne. Celui qui reste sait qu’il ne peut retenir l’autre et doit composer avec ce dilemme. « Cette préoccupation naïve et tenace pour l’horreur de la guerre et son caractère inextricable m’a été prédite par une voyante » nous confie-t-il. Du « passé envivanté » il est encore et enfin question dans Nord de tout : « Je veux revoir la maison / je veux deviner la maison / je veux revoir la maison (…) Il arriva que je fus fou / que je fus enfant ». La perdue (Sony BMG) CD - 12 titres 03/2007 Hypernuit (Cinq 7) CD - 11 titres 09/2010 FrancoFans Le Bimestriel n°25 |27 portrait BERTRAND BELIN Carnet de campagnes À l’image d’un Florent Marchet amateur de ruralité dans Rio baril, Belin s’acoquine volontiers avec la campagne et la terre, toutefois moins dans la chronique journalistique que dans la poésie minimale. Il invoque les poèmes de l’américain Robert Frost ou d’un roman japonais narrant le retour d’un homme alcoolique dans sa famille. Côté cinéma, il cite Cronenberg pour Avant les forêts. Plus que jamais, Belin s’intéresse à « la permanence des éléments », par les pierres ou le soleil. Il revient souvent à des racines et la sagesse rurale en opposition avec le tumulte de la capitale. Love story Derrière la forêt plantée par l’élégant quadra se trouvent tout de même quelques love stories. © Sandrine Olivier Calqué sur le pas décidé d’un homme amoureux, Neige au soleil imprime par sa rythmique la course éperdue du narrateur, déterminé à rattraper sa femme et persuadé, un brin arrogant, qu’elle ne regrettera pas le voyage qu’il lui propose. « La musique rencontre le texte, un peu à la manière de Pierre Barouh et La bicyclette (…), cette chanson est la tentative de mettre à nu l’altérité » précise-t-il. Avant les forêts prolonge quant à elle cet état amoureux « sur la peau gelée du lac / je meurs d’aller ». Pour donner la cadence, sa guitare électrique à la chaloupe et au son désormais reconnaissable entre mille. Une couleur qui fait sa signature. Dans l’Hypernuit, cette dernière chanson tombe tel un glaçon dans une boisson gazeuse servie à température ambiante. Avant les forêts marque une pause, une clairière, un souffle, dans l’opus, avant de replonger dans les bois des guitares et des voix du dandy. Chez lui, le sensuel s’évoque, se susurre et s’incarne (Ta peau) : « J’ai voulu ta peau, goûter ta peau / aimer ta peau ». Le sensuel se marie avec La chaleur. « L’ancienne chaleur qui accablait les chevaux et le pont des cargos » lui rappelle Rio. La nostalgie du voyage rime alors avec les Porto et Barcelone du premier album. Elle conclut le voyage et les onze chansons sur une note d’espoir et un horizon dégagé. Après la forêt ? Derrière le disque viendront les planches, la tournée hexagonale et le public en chair et en os. Car Bertrand Belin est, à sa façon, une « bête » de scène. Son goût pour la danse et le jeu a fait ses preuves dans le Sombrero du chorégraphe Philippe Decouflé et dans la comédie musicale décalée Imbécile composée par Olivier Libaux et mise en scène par Olivier Martinaud. Un dernier projet dans lequel Belin remplaçait Philippe Katerine sur scène, entouré de ses amis JP Nataf - pour qui il a fait des guitares sur Myosotis et Seul alone - Armelle Pioline et Barbara Carlotti - habituées des duos vocaux sur les albums précédents de Bertrand. Dans la valise de Belin, on déniche aussi une amourache certaine pour le cinéma et la musique de film. Un monde qui l’attire et inspire depuis quelques années des collaborations avec la réalisatrice Blandine Lenoir sur les bandes originales de ses courts-métrages. Prolixe, Bertrand Belin réalise lui-même les onze clips qui viennent nourrir son site. Preuve que nous avons affaire à un artiste complet et dont la sensibilité peut transcender la musique. Preuve que son projet solo reste une priorité aux côtés des featurings qui l’appellent, lui, sa voix singulière, sa guitare inimitable et son sens des arrangements. SITES: www.bertrandbelin.com www.myspace.com/bertrandbelin 28| OCTOBRE/NOVEMBRE 2010 portrait BERTRAND BELIN © Sandrine Olivier QUELQUES PARTICIPATIONS... NÉRY LES ENFANTS DES AUTRES SONS OF THE DESERT MULTI-ARTISTES NOSFELL La vie c’est de la viande qui pense Graines & bulbes Good night noises everywhere Le grand dîner Kälin bla lemsnit dünfel labyanit (M Label) CD - 14 titres 10/2001 Obs. : Bertrand Belin joue les guitares, le banjo et le violon dans le groupe qu’il a créé. 2 CD - 29 titres 1999 Obs. : Bertrand Belin joue de la guitare sur la plupart des titres de l’album. (PIAS) (Universal) CD - 12 titres 03/2002 Obs. : Bertrand Belin joue de la guitare sur l’album. TRIBUTE À DICK ANNEGARN (tôt Ou tard) (V2) CD - 16 titres 03/2006 Obs. : Bénabar et Bertrand Belin chantent la chanson de Dick Annegarn, Que toi. CD - 13 titres 10/2006 Obs. : Nosfell et Bertrand Belin chantent ensemble Le long sac de pierres. Bénabar. de Greg Gilg. MULTI-ARTISTES CHET Fantaisie littéraire Le bois du génie JP NATAF Clair BASTIEN LALLEMANT ARLT (Le bec en l’Air) (2temps3mouvements) (tôt Ou tard) Le verger La langue Livre broché - 112 pages 09/2008 Obs. : Contient un CD dans lequel Bertrand Belin chante un texte d’Eric Reinhardt. CD - 12 titres - 10/2008 Obs. : Bertrand a écrit les chansons Sally, La magie, La vipère. Il a aussi été interprété par Caroline Loeb, Olivia Ruiz, Néry et Delphine Volange. CD - 12 titres - 10/2009 Obs. : Bertrand Belin fait les guitares sur Myosotis et Seul alone. Il a participé en tant que musicien à des disques d’Olivia Ruiz, Dionysos et (Quai de Scène) (Auto-produit) CD - 12 titres 05/2010 Obs. : Bertrand Belin a réalisé l’album. Il a également réalisé ceux de Sing Sing et CD - 11 titres 11/2010 Obs. : Bertrand Belin fait de la guitare sur un titre. FrancoFans Le Bimestriel n°25 |29