Formation continue et développement des compétences des

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Formation continue et développement des compétences des
Formation continue et développement des compétences des
enseignants*
Michel GRANGEAT
Laboratoire des Sciences de l’Éducation - Université P. Mendès-France - I.U.F.M. - Grenoble
[email protected]
Résumé : L’article vise à préciser les articulations entre développement des compétences et formation
continue afin de concevoir des formations plus efficaces pour les enseignants. Le cadre théorique de la
didactique professionnelle permet d’avancer sur cette question. Cependant, l’analyse d’entretiens montre
que les enseignants attribuent l’amélioration de leurs compétences à leur propre réflexion et aux échanges
informels entre collègues ou partenaires. Un modèle est alors proposé afin de penser les conditions du
développement professionnel pour des agents expérimentés.
Abstract: This paper aims to clarify the links between competences development and Continuing
Professional Development in order to design more effective professional development programmes for
experienced teachers. This link can be further analysed by using the professional pedagogies (‘didactique
professionnelle’) theoretical framework. However, teacher’s interviews highlights that they attribute the
enhancing of their competences to informal interactions with colleagues or others close professionals. So,
we are suggesting another way of thinking the conditions of experienced teachers’ professional
development.
Cet article1 vise à préciser les articulations entre le développement des compétences
professionnelles et la formation des personnels en poste ; le cas étudié étant
l’enseignement. Il s’agit de concevoir des formations plus efficaces en coordonnant au
mieux ces deux processus. L’analyse d’entretiens avec des agents montrera, cependant,
que, dans leur esprit, l’amélioration de leurs compétences est due, principalement, à leur
propre réflexion sur leur travail et aux apports de leurs collègues ou de leurs partenaires,
lors d’échanges informels. La question sera alors de concevoir des situations de
formation qui organisent ces interactions et créent les conditions du développement
professionnel.
Les compétences professionnelles et leur développement
Dans le champ de l'ergonomie et de la didactique professionnelle, auquel cet article se
réfère, deux définitions essentielles du concept de compétence font consensus (Hoc et
Darses, 2004 ; Leplat et de Montmollin, 2001).
Trois dimensions essentielles
La première est formulée par de Montmollin (1986/2001) pour qui les compétences
sont des ensembles stabilisés de savoirs et de savoir-faire, de types de raisonnement et
de procédures standards, que l'agent peut mettre en œuvre sans apprentissages
1
Ce texte est tiré de la conférence prononcée, à Berne, le 17 novembre 2005, lors du colloque organisé
par la Conférence Suisse des Hautes Écoles Pédagogiques sur le thème : Professionnalisation des
enseignants : quels sont les apports de la formation continue ?
* Grangeat, M. (2006). Formation continue et développement des compétences des enseignants.
Éducation Permanente, 166, 171-188.
Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
nouveaux. Ainsi, elles sédimentent et structurent les acquis de l'histoire professionnelle.
De plus, elles permettent l'implicite dans les instructions, la variété dans la tâche et
l'anticipation des phénomènes.
Cette acception peut paraître assez composite. De fait, elle comporte, à la fois, des
éléments observables – les savoir-faire ou les procédures standards – et d'autres qui ne
le sont pas – les savoirs ou les types de raisonnements. De plus, elle réfère à des savoirs
stabilisés, sédimentés, mais qui peuvent, toutefois, être mobilisés dans des situations
nouvelles, instables, dans lesquelles il s'agit d'anticiper les phénomènes et de faire face
aux variations du contexte de travail. Enfin, elle implique, d’un côté, les instructions, les
prescriptions issues des décideurs, et, de l’autre, l'improvisation, l’invention propre à
l’agent dans la conduite de son activité.
Cependant, derrière cet aspect a priori hétérogène, émergent trois dimensions qui
précisent le concept de compétence : l'axe observable/explicitable, l'axe
routine/adaptation, l'axe prescription/création. Ces axes structurent les principales
manières de comprendre la compétence, entre un pôle comportementaliste, centré sur la
tâche que le sujet sait exécuter, et un pôle cognitif, centré sur le système de
connaissances qui sous-tend son activité.
Cet article tente une articulation des pratiques de formation à ces trois axes.
Une définition opérationnelle
La seconde est celle de Leplat (1991/2001) qui décrit les compétences en précisant
quatre caractéristiques essentielles. Les compétences sont :
- finalisées : elles caractérisent la mise en jeu de connaissances en vue de la
réalisation d'un but dans une situation donnée.
- apprises : elles s'acquièrent par un apprentissage qui peut être de nature diverse,
formelle ou non.
- organisées : elles se constituent en unités, plus ou moins coordonnées,
hiérarchisées et étendues, orientées vers la réalisation d'un objectif.
- inobservables : elles représentent une notion abstraite, hypothétique, mais peuvent
être caractérisées à partir de leurs manifestations (démonstration, verbalisation,
explicitation).
Cette définition met en évidence que la compétence est à distinguer de la performance.
De fait, il apparaît qu'un même individu peut posséder plusieurs types de savoir-faire
pour la réalisation d'une même tâche ; de plus, les savoir-faire n'étant pas tous aussi
faciles à mettre en œuvre, l'individu peut commencer à mobiliser ceux qui lui sont peu
coûteux et faire appel aux autres seulement en cas d'échec. Ainsi, par exemple, sous une
contrainte forte – comme celle du temps ou de l’évaluation – l'observation de l'agent
peut laisser croire à une activité peu réfléchie, de routine, alors que dans une autre
situation, sans cette contrainte, le même sujet peut être capable d'innover une solution
originale.
Les situations occupent ainsi un rôle central dans la caractérisation, l'évaluation, et
vraisemblablement le développement, des compétences professionnelles.
Le couple compétence/situation
Suivant cette idée, Pastré (1999a) définit les compétences selon quatre types de
situations.
2
Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
Celles où le but et la démarche de l'action sont clairement déterminés. La compétence,
ici, c'est savoir faire, c'est-à-dire appliquer le bon mode opératoire. Dans le monde des
entreprises, la figure emblématique de cette modalité est l'artisan. Comme il existe une
part d'artisanat dans le métier d'enseignant (Tardif et Lessard, 1999), il est probable que
certains épisodes d’enseignement relèvent de ce type de compétence.
Celles où le but est clairement identifié mais où il n'est pas possible de décrire un
cheminement unique. C'est le cas des activités qui visent à ramener à son état d'équilibre
normal un système déréglé, qu’il soit technique, biologique, humain ou social. La
compétence, c'est alors savoir comprendre afin de porter un diagnostic sur une situation
et de la repositionner à son état ordinaire. Ici encore, ces activités d’appréciation et de
remédiation font partie des pratiques professionnelles des enseignants.
Celles où ni le but ni la démarche ne peuvent être complètement définis. Un exemple
type est celui d’un aiguilleur aérien qui doit garantir la bonne circulation de tous les
avions. La compétence s'exprime alors par un savoir combiner afin d'arriver à une
solution d'équilibre qui ne néglige aucune dimension importante de la situation. Ici
également, dans la gestion de la diversité des élèves, les enseignants se trouvent en
situation de devoir combiner différentes variables (e.g. : acquis préalables, rythmes
d'apprentissage, projets d'orientation) ; toute la difficulté étant de n'oublier aucun aspect
essentiel (e.g. : se focaliser sur les élèves faibles aux dépens des élèves rapides).
Celles, enfin, où non seulement le but et la démarche ne peuvent pas être définis mais
dans lesquels le système réagit par lui-même à l'action, voire à l'inaction, de l'agent.
Trois exemples prototypiques de ces situations sont le pilotage des avions de ligne, la
conduite des centrales nucléaires et le monde agricole (élevage, arboriculture,
viticulture). Il s’agit de systèmes dynamiques qui nécessitent une large compréhension
de la situation et une connaissance des phénomènes internes avec lequel interagit, de
manière plus ou moins directe, le professionnel. Dans ces situations, être compétent
c'est savoir : porter un diagnostic sur la situation ; décider d'une action ou,
éventuellement, décider de ne pas agir ; anticiper les conséquences de cette action ou de
cette inaction. La formation vise alors à favoriser la conduite proactive afin d'éviter la
survenue de déséquilibres qui deviendraient ingérables.
Si l'enseignement ressort de ce type de situations, alors la formation des personnels en
poste devrait tenir compte de ces savoirs issus du monde des entreprises.
Enseigner : agir dans une situation complexe et dynamique
Selon Rogalski (2003), l’enseignement relève d’un environnement dynamique. D’une
part, le système – ici, il s'agit des apprenants – évolue en fonction de processus internes
qui, eux-mêmes, sont influencés par l'action, ou l'inaction, des professionnels. D’autre
part, l'atteinte des objectifs de l'activité – ici, la réussite des apprentissages – ne peut
jamais être observée directement : elle doit être déduite à partir d'informations prises
dans la situation, à partir d'indicateurs qui doivent prendre sens pour les acteurs. Suite à
l'analyse de l'activité de plusieurs enseignants de mathématiques, Rogalski insiste sur
deux points essentiels.
Premièrement, l’enseignement met en œuvre trois types d’opérations cognitives
caractérisant la conduite proactive, réfléchie, de l’activité :
- contrôle : estimation de l’écart entre les états attendus et constatés ; diagnostic sur
la nature, les propriétés et les causes du décalage (ou de l’adéquation) des
pratiques.
3
Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
- anticipation : pronostic sur l’évolution libre du système, sans interventions,
comparée à une action éventuelle et prise de décision ; production mentale de
plusieurs actions possibles et choix en fonction d’un objectif défini.
- ajustement : suivi de l’efficacité de l’action au regard de l’objectif ; adaptation au
réel si nécessaire ; évaluation de l’état obtenu.
Deuxièmement, l’enseignement est inscrit dans différentes temporalités : le devenir de
l’élève sur un cycle ou deux ; l’année scolaire ; l’unité thématique ; le moment face à la
classe. Ce dernier est le seul qui concerne l’exécution proprement dite de l’activité
professionnelle ; c’est le temps des régulations en temps réel (i.e. mettre les élèves au
travail, modifier l’activité si besoin, clore la séance). Cependant, l’auteur note que ces
régulations en direct dépendent largement des activités de réflexion et de planification
menées en amont (i.e. préparation de la séance, organisation de la séquence,
programmation de l’année, articulation avec celles des années qui la précèdent ou la
suivent, cohérence avec d’autres disciplines).
La formation, dans ces situations dynamiques, passe par l’analyse de l’activité ;
modalité qui tend, même, selon Pastré (1999c), à devenir le nouveau paradigme de
l’analyse du travail. Les occasions dont disposent les enseignants – notamment dans les
secteurs difficiles de l’éducation prioritaire – pour mener une telle analyse, déterminent
donc, vraisemblablement, une part de leur développement professionnel.
Caractériser le développement professionnel
Le développement professionnel apparaît comme sous-tendu par deux dynamiques : la
conduite réfléchie de l’activité et l’extension du contexte de travail pris en compte. Des
entretiens2 – menés auprès d’enseignants débutants ou expérimentés* – permettent de
caractériser cette évolution.
D’une conduite empirique à une régulation proactive
Le développement professionnel – l’équilibration majorante des compétences, en
quelque sorte – irait, selon Pastré (1999a) et Mayen (1999b), d'une conduite empirique
de l'activité, centrée sur le noyau dur du métier, jusqu'à une conduite proactive, ouverte
aux variations présentes dans la situation.
Dans un premier temps, l'agent se contenterait de repérer des invariants opératoires,
des éléments saillants de la situation qui procurent l’information suffisante pour piloter
l’action en cours. Cette phase semble inévitable aux débutants (cf. encadré 1) et à
certains, même expérimentés, qui se trouvent dans une situation trop nouvelle pour eux
(cf. encadré 2). Avec l’expérience ou parce que la situation est complexe, les indicateurs
pris dans la situation, les signes que recherche l’agent, prennent une signification plus
large que la simple indication sur l’ici et le maintenant : des répertoires de savoir-faire
s’élaborent. Ainsi, pour l’enseignant plus expert (cf. encadré 3), des changements dans
l’ambiance de classe ou les résultats des élèves ne conduisent plus nécessairement à une
remise en cause immédiate de sa propre manière d’enseigner. Des relations entre ces
variables fonctionnelles lui permettent alors de jouer, à la fois, sur plusieurs registres
d’action (remise en forme du cours vs ajustement de l’attitude des élèves), sur plusieurs
temporalités (l’unité thématique vs la suite des années scolaires) et sur un espace ouvert
2
Les entretiens ont été menés dans des établissements relevant de trois publics scolaires différents :
secteur d’enseignement ordinaire (SEO), réseau d’éducation prioritaire (REP) et zone urbaine sensible
(ZUS), (i.e : quartier très défavorisé dans l’éducation prioritaire).
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
de partenariats potentiels (individualisation en classe vs collaboration avec des
intervenants spécialisés). La conduite semble alors, à la fois, réfléchie et proactive.
Du noyau dur du métier à un contexte étendu
De manière complémentaire, le développement professionnel consisterait à augmenter
l’étendue de la situation que l’agent prend en compte pour piloter son action. Cette
variation a été particulièrement étudiée par Leplat (1997, 2000) qui observe que, dans
les systèmes complexes et continus – dont relève l’enseignement – les agents peuvent
redéfinir leur activité, notamment en manipulant les frontières du sous-système dont ils
ont la charge. Ainsi, l’agent peut se limiter à la région centrale de la tâche prescrite, au
cœur de son métier. Il peut aussi étendre son domaine de travail à la prise en compte de
la région périphérique afin d’en faciliter la réalisation. Il peut, enfin, tirer parti
d’informations et d’interactions situées dans un contexte plus lointain afin de parfaire le
diagnostic, la planification et la régulation de son activité. Menées dans le domaine des
entreprises, ces études montrent qu’un lien étroit existe entre la qualité de la tâche et la
prise en compte de son environnement : l’action est mieux comprise lorsqu’elle est
inscrite dans le système entier.
Dans les entretiens précédents, la débutante (cf. encadré 1) ne prend en compte que la
classe dans sa globalité, deux séances successives et deux types d’activités scolaires
(écrire des textes vs remplir des fiches). À l’inverse, les expérimentés
(cf. encadrés 2 ; 3) considèrent la classe et des apprenants singuliers, un ensemble de
séances sur une année ou sur plusieurs, voire même les collègues d’autres années ou des
partenaires en dehors de l’établissement (e.g. : la bibliothèque du quartier).
La conceptualisation, clé du développement professionnel
Cette dynamique du développement professionnel selon deux axes – distanciation de
l’action et extension du contexte – s’avère dépendre du processus de conceptualisation.
En se référant aux études de Vergnaud (1996, 2000), les chercheurs précédents
(Pastré, 1999b, 2002 ; Mayen, 2002) s’accordent à dire que dans toute activité,
l’efficacité de l’action nécessite son organisation intellectuelle, sa représentation
mentale. Ce passage de l’action à sa conceptualisation est assuré par le schème, défini
comme une unité identifiable de l’activité du sujet, qui correspond à un but particulier et
se déroule selon une temporalité repérable. Cette organisation est stable pour une classe
de situations donnée : l’action change en fonction des paramètres de la situation mais
son organisation générale reste similaire.
La conceptualisation est à l’œuvre dès les premiers moments de l’action, quand bien
même les schèmes apparaissent fragmentaires et isolés les uns des autres. Quand la
compétence se développe, ces schèmes peuvent être reliés, organisés, hiérarchisés,
formant des répertoires qui enrichissent les possibilités d’action, dans des classes de
situations de plus en plus étendues. Appelés modèles opératifs par Pastré (2004), ces
répertoires de schèmes constituent des réseaux de significations qui organisent l’action.
La nature des schèmes et leur organisation en modèles opératifs caractérisent ainsi
différents niveaux de compétence pour une activité et un sujet donnés.
Les entretiens menés avec les enseignants conduisent à constater que dans le discours
du novice (cf. encadré 1), il n’est guère possible de repérer une organisation souple,
adaptable à la diversité des apprenants. À l’inverse, le discours des expérimentés
(cf. encadrés 2 ; 3) est organisé en plans d’action, hiérarchisés selon les moments, les
élèves ou les collègues. En analysant les discours des enseignants, il est alors possible
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
de reconstruire leurs manières de concevoir leur activité (Grangeat, 2004 ; Grangeat et
Besson, 2006) et, vraisemblablement, d’enrichir leur répertoire de savoir-faire lors de
dispositifs de formation appropriés.
Au niveau de la formation professionnelle des enseignants, l’accompagnement de ce
processus de conceptualisation, cette extension et cette organisation du répertoire de
schèmes, apparaît comme un objectif déterminant.
Créer des occasions de formation
Reste à identifier les occasions qui permettent un tel développement.
Les interactions informelles avec les collègues de travail
L’analyse des entretiens avec des enseignants (N=60) montre que, dans leur esprit, la
formation informelle, par interactions dans la situation de travail, supplante les stages et
les formations institutionnalisées (cf. encadré 4). En effet, ils disent apprendre :
- par l’ancienneté, au long du déroulement des années et des adaptations que cela
implique.
- par la réflexion sur leur propre pratique, au fil des tâtonnements individuels.
- par des recherches documentaires, la lecture (revues spécialisées, comptes rendus
d’expérimentation, modèles théoriques), l’Internet (cité par tous les jeunes
enseignants).
- par interaction avec des collègues, pour surmonter des difficultés et avoir de
nouvelles idées pratiques : c’est le seul point cité par tous les sujets de
l’échantillon.
- par interactions avec les élèves et leurs parents, à propos des résultats et des
comportements scolaires.
- par interaction avec des partenaires, afin d’acquérir de nouvelles compétences ;
cette modalité est particulièrement citée dans les secteurs sensibles où ces
partenariats semblent incontournables.
- par des stages de formation, afin de maîtriser des notions ou des démarches très
spécifiques ; cela reste cependant un point à l’efficacité controversée dans les
entretiens.
La manière dont ces professionnels verbalisent les facteurs de leur développement
professionnel rejoint les constats des recherches sur la formation3 : les nouvelles
modalités de formation articulent, voire intègrent, les contenus de formation et les
situations de travail. La question devient alors celle de l’identification des modalités
d’élaboration de connaissances professionnelles au cours de ces interactions entre
agents. Les processus en jeu dans l’analyse de l’activité constituent alors une
perspective d’autant plus fructueuse que celle-ci s’est précédemment imposée comme
incontournable.
L'analyse de l'activité
Dans le cadre de la didactique professionnelle, les recherches ont montré l'importance
des moments d’analyse de l’activité pour permettre à l'agent de repérer les modalités
d'action qu’il mobilise (i.e. : invariants opératoires, concepts pragmatiques, schèmes
d'action, répertoires de savoir-faire) et les relier entre eux. Les effets observables lors de
3
cf. éditorial du n° 160 de la revue Éducation Permanente.
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
ces séances laissent penser que l'analyse de l'activité est une situation propice aux
apprentissages professionnels.
Les séances de debriefing
Suite à plusieurs études empiriques, Pastré (1999c) aboutit à la conclusion que le
moyen le plus efficace dans le développement des compétences – en situation
dynamique – serait non pas la reproduction de l'exercice mais plutôt l'analyse de
l'action. Face à des situations critiques, les participants à l'activité de debriefing
accèdent au sens de ce qui s'est passé dans un cheminement qui peut être résumé en
trois étapes :
- passage du vécu au récit ; ce qui conduit à identifier les épisodes critiques. Le fait
de mettre des mots sur le vécu, de sélectionner les éléments essentiels de l'activité,
constitue une première distanciation par rapport à l'agir.
- organisation du récit autour d'une unité de signification ; ce qui conduit à
enchaîner les épisodes, à relever des relations de causalité, de finalité,
d'intervention d’aléas. Cette construction s'appuie, dans les études de Pastré, sur les
souvenirs de l'agent, sur des séances enregistrées en vidéo ou sur des traces de
l'activité, par exemple sur des évaluations de la situation. Pour comprendre
l'enchaînement des actions, les participants au debriefing ont à faire appel à leurs
connaissances.
- construction d'un savoir transposable ; cette extension de la compréhension de
l'action, afin de la rendre utilisable et pertinente pour d'autres situations singulières,
relève généralement de l'intervention du formateur.
Les études de Pastré portent sur des séances de simulation qu'il n'est guère possible,
aujourd'hui, de mettre en œuvre dans le cadre de la formation des enseignants. Il n'en
demeure pas moins, que des moments d'analyse de l'activité, visant le repérage et
l'amélioration de l'organisation des actions d'enseignement, qu'elles soient individuelles
ou collectives, auraient vraisemblablement de semblables effets positifs sur le
développement professionnel.
L'auto confrontation croisée
Dans le monde de l'éducation et de la formation, ces séances d'analyse de l'activité se
fondent sur des traces du travail vécu par l’un des participants, souvent en formation
initiale. Ici encore les effets observables lors de ces séances laissent penser, comme
l’analyse Altet (2004), à une amélioration effective des compétences professionnelles.
Ainsi, Saujat (2001) montre comment une enseignante débutante s'oriente à partir
d'indicateurs pris sur l'action même ; ce qui la conduit à consacrer un très long moment
à faire que chaque élève comprenne sa consigne, avant d’autoriser la classe à
commencer. Lors d'une autoconfrontation croisée – supportée par un enregistrement
vidéo – l’interaction avec une enseignante expérimentée l’amène à comprendre que la
variable essentielle est la rapidité de mise en activité de chaque apprenant ; elle
réorganise alors ses débuts de séance.
D’autres études vont dans un sens identique.
L’analyse praxéologique des pratiques
C’est le cas du dispositif de visite de classe formative étudié par Lerouge (2004) : un
petit groupe d’enseignants en formation initiale observe et analyse une séance menée
par l’un d’entre eux. Cette analyse comporte trois phases : préparation de l’observation
commune ; conduite de la séance pour le stagiaire dans sa classe et observation par ses
pairs et les formateurs à partir des critères prévus auparavant ; analyse de l’action et
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
modélisation de l’activité. Cette modélisation, transcrite par écrit, vise à élucider les
constituants des schèmes d’action et leur organisation. Elle sera complétée par de
nouveaux savoirs, apportés par le formateur.
Le compagnonnage réflexif
C’est le cas du dispositif de formation par compagnonnage réflexif étudié par Beckers
(2004). Il s’agit également d’observations en classes ; ici, elles sont préparées, menées
et analysées conjointement par des enseignants débutants et expérimentés ; ces derniers
préparant leur qualification de formateurs. Des effets positifs sur le développement des
compétences concernent plus de la moitié des sujets en formation initiale (8/14) et tous
ceux qui se destinent à devenir formateur. Pour ces agents en projet de modification de
carrière, les confrontations entre professionnels – afin de comprendre les pratiques
observées, d’anticiper les problèmes qu’ils pourraient rencontrer et de consigner les
conclusions de ces réflexions – constituent un facteur de développement.
Implications pour la formation : organiser des interactions professionnelles
Manifestement, dans ces médiations, dans les échanges qu’elles suscitent, se nichent
des éléments déterminants pour l’amélioration des pratiques. Le développement
professionnel gagne donc vraisemblablement en efficacité lorsque sont inscrites dans la
formation des interactions entre agents.
L’un des objectifs de cet article pourrait donc être atteint : dégager des modalités
essentielles à inscrire dans les formations. Toutefois, bien naturellement, ces dispositifs
ont leurs limites et les auteurs précédents reconnaissent trois conditions qui semblent
déterminer leur efficacité :
- l’acceptabilité du processus de recueil des données soumises à l’interaction : les
objets, les instruments et les moments des observations des pratiques.
- la pertinence de la démarche d’analyse aux yeux des acteurs : consistance,
objectivité et transférabilité des savoirs construits dans l’interaction.
- l’implication des acteurs : volonté d’apprendre, confiance dans les observateurs.
Ces limites se situent à l’articulation entre l’organisation de la situation de formation
et la considération de l’individualité des formés. Cette question est centrale en
formation continue.
Articuler l’organisation de la situation et la personnalité de l’agent
Cette articulation entre situation de formation et personnalité des formés caractérise
les dispositifs que Barbier et Galatanu (2004) ou Wittorski (2004) qualifient de
« nouvelles formes de formation » parce qu’elles visent à ouvrir des espaces
spécifiquement conçus pour améliorer, à la fois, l’atteinte des objectifs collectifs (e.g. :
ceux du projet de l’institution) et le développement individuel (e.g. : la
professionnalisation des agents). Dans le cadre de la formation des personnels en poste,
parfois depuis longtemps, cette articulation, cruciale, fait que les modèles précédents
devront vraisemblablement être infléchis. En effet, doivent alors être tenues deux
positions difficilement conciliables : celle où prédomine l’organisation du travail et
celle où la personnalité de l’agent surdétermine la formation. Comment résoudre ce
dilemme et le peut-on ? Plusieurs chercheurs ont avancé sur cette question.
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
L'importance de l'organisation du travail
Premièrement, il semble que la formation aurait tout avantage à porter plus d’attention
à ces organisations du travail – que Mayen (1999a) qualifie de situations potentielles de
développement – qui inscrivent dans leur organisation même des occasions de
développement professionnel. À partir des études de terrain qu’il a analysées, il est
possible de définir quatre conditions pour identifier ou organiser de telles situations
formatrices :
- confronter les individus, dans un groupe, à des activités posant des problèmes et
comportant des ressources pour les résoudre (documentation, individualisation).
- organiser une médiation avec autrui, des échanges centrés sur la réalisation et la
conduite de l’action (collègues, tuteur, formateur).
- augmenter la distance à l’action, prendre du recul (retour sur activité, rédaction
d’un rapport, usage d’un référent d’évaluation formatrice).
- étendre le contexte de l’action, prendre en compte tout l’environnement
(modélisation de la situation, conduite de projets transdisciplinaires, interactions
avec des partenaires).
Ces situations inscrivent, dans l’activité même, les ressources porteuses de l’évolution
des compétences professionnelles. Elles sont intéressantes parce que, en se rapprochant
d’une formation d'ordre informel, elles pourraient rendre plus efficaces les manière
d’apprendre telles que celles qui sont déclarées par les agents dans les entretiens cidessus.
Ces situations quasi informelles n'excluent pas la formation d'ordre formel,
institutionnalisé ; notamment en ce qui concerne la construction de connaissances sur
les processus internes aux système (e.g. : cognition, motivation, évaluation, didactique,
etc.). Mais il ne serait pas efficace, pour des formateurs et pour des concepteurs de
formation, d'ignorer la puissance de cette part informelle du développement
professionnel.
L'importance de la personnalité de l'agent
Deuxièmement, il semble que la formation aurait tout avantage à porter plus
d’attention à la trajectoire des sujets, notamment lorsqu’ils ont une forte expérience.
C’est ce que montrent les études, souvent anglophones, qui focalisent sur les
apprentissages sur le lieu de travail.
Dans cette perspective, ces situations peuvent être comprises comme des formations
dans le cadre d'une communauté de pratique (Lave et Wenger, 1991). Ces situations
sont vues comme un milieu dans lequel :
- se développe un ensemble de relations entre les personnes, l'activité et
l'environnement, de manière durable et en interaction avec d'autres communautés
de pratique, qui leur sont proches ou qui les englobent.
- des apprenants, à titre individuel, apprennent à faire en étant engagés, de manière
atténuée – par une « participation périphérique légitime » – dans la réalisation d'une
tâche en collaboration avec des agents plus expérimentés.
- chaque agent, face à une tâche particulière ou dans un moment singulier de son
expérience, peut se retrouver en situation de novice et bénéficier de cette
implication atténuée dans l'activité collective.
Dans de telles situations – où les interactions rappellent celles décrites dans les
entretiens ci-dessus –, à partir de nombreuses études de cas, Hodkinson et Hodkinson
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
(2003, 2004) ainsi que Fuller et al. (2005) constatent qu'il est nécessaire de prendre en
compte, pour comprendre le développement professionnel, la personnalité de celui qui
apprend, ses mobiles et son histoire personnelle. De fait, en comparant des enseignants
aux profils analogues, dans des organisations semblables, ils montrent que tous
n’élaborent pas nécessairement de nouveaux savoirs professionnels. Néanmoins, dans
un but d’efficacité, les concepteurs de formation ne peuvent se contenter de reporter sur
l’agent la responsabilité de cette élaboration.
Reconnaissant l’importance de la personnalité de l’agent, de son expérience et de son
positionnement vis-à-vis du monde dans lequel il agit, Rogalski et Marquié (2004 : 164)
notent que « certaines formes d'organisation du travail façonnent au cours des ans une
image de soi et de ses propres capacités qui retentit sur ce que l'individu est prêt à faire
et sur les défis cognitifs qu'il est prêt à relever (notamment dans les apprentissages
professionnels). » Ils mettent alors l'accent sur la conception de ressources, inscrites
dans l'organisation du travail, et qui permettent un meilleur exercice des compétences.
Pour ces deux chercheurs, cette organisation de la situation de travail doit se développer
selon deux axes : le premier consiste à maintenir une variété de situations et de défis
dans l'activité professionnelle quotidienne ; le second consiste à inscrire des activités
réflexives dans le cadre du travail lui-même, afin de permettre aux agents d'organiser
leur activité dans le temps, de la réguler et de la coordonner à celle de leurs collègues.
Considérer l’activité constructive et productive
Il reste qu’il n'est pas toujours simple, pour les concepteurs de formation comme pour
les décideurs du système éducatif, de combiner ces deux aspects de la formation
professionnelle : construction des personnalités, des individualités, et organisation de
situations efficaces, productives. Cette difficulté tient, peut être, au manque de modèle
explicatif permettant de penser et de conduire cette articulation entre
professionnalisation et individuation.
Quelques chercheurs se sont attelés à concilier les deux pôles, opérationnels et
cognitifs, qui constituent la compétence. Dans leurs modèles, qu'il s'agisse de Stevenson
(2000) ou de Samurçay et Rabardel (2004), se trouve combinée l'activité dans son volet
productif, opératif, avec son volet constructif, génératif. Pour eux, toute activité de
travail comporte deux faces : l’une, productive, consiste à transformer le réel ; l’autre,
constructive, contribue à transformer l’agent. Le décours temporel de cette activité,
cognitive, dépasse celui de la tâche réalisée : avant et après le travail, seul ou avec
d’autres personnes, l’agent anticipe ou jauge, plus ou moins consciemment, la manière
de réaliser sa tâche. Cette activité intellectuelle à propos du travail – rivée, à la fois, à la
pratique du métier et à l’existence quotidienne – occupe ainsi une place centrale dans le
développement professionnel. Il semble donc que la formation continue aurait avantage
à réduire, à dépasser, à entrouvrir, la frontière installée entre l’efficacité des gestes
professionnels et la construction des individus (cf. figure 1).
Ces modèles visent, en effet, à explorer les dynamiques de développement et de
circulation des compétences entre les sphères publiques et privées. Ils s’avèrent ainsi
particulièrement importants pour les personnels en poste depuis longtemps, qui ont
élaboré des acquis qu’ils ont validés par leur expérience propre. Ils visent également à
formuler des hypothèses sur les variables didactiques actives en formation continue.
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
Individu
Individual
connaissances
knowledge
existence
rapport au métier
vocation
Activités
productive & constructive
being
Productive & Generative
Activity
vie quotidienne
travail
living
Institution
Institution
working
Société
Society
Figure 1 : Le modèle professionnalisation/individuation en formation continue (adapté de Stevenson,
2000)
Toute la difficulté est alors de prendre en compte ces variables. Une manière de faire
serait, d’abord, de favoriser des formations qui s’étalent dans le temps : au lieu de
susciter une fracture entre le sujet et son environnement, ce suivi de formation pourrait
créer une certaine harmonisation entre les préoccupations quotidiennes, les envies de
dépassement de soi et les objectifs de formation. Une autre manière consisterait à
permettre au formé, souvent désemparé par des difficultés insoupçonnées, de
reconnaître ses propres stratégies d’apprentissage dans des situations de la vie
quotidienne. Il faudrait vraisemblablement, aussi, que les formateurs n’apparaissent pas
comme étant uniquement des spécialistes de leur domaine mais qu’ils fassent part de
l’articulation de leurs savoirs spécifiques avec le reste de leur existence. Mais bien des
champs restent à explorer dans ce domaine.
Une conclusion, en forme de piste de réflexion, peut, cependant, être apportée avec
cette formule de Stevenson (2000) : les connaissances pour le travail (« knowledge for
work ») sont plus efficaces lorsqu’elles sont connectées aux connaissances qui
travaillent (« knowledge that works ») les objectifs globaux des individus. Le défi de la
formation continue, notamment pour les agents en poste depuis, parfois, de longues
années est alors de construire cette connexion entre la situation de travail, le
développement professionnel et la globalité de l’existence de chaque individu.
*
Cette recherche est menée par l’Observatoire des Compétences Professionnelles des Enseignants dans
les activités de Coopération et de Partenariat Éducatifs (O2cpe) du laboratoire des Sciences de
l’Éducation (UPMF-IUFM) de Grenoble. Elle est cofinancée, dans le cadre de la politique de la ville, par
l’État et la communauté de communes de l’agglomération de Grenoble.
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
GER03 : PLC, collège, jeune, débutante, nouvelle dans l’établissement, SEO.
Moi, c’est par rapport à la classe : cette année, surtout, je les sens très réactifs au cours, c'est-à-dire que ce sont des
élèves qui réagissent tout de suite. Les autres années, j’étais en lycée, ils ont un rythme plus tranquille : j’écoute et puis
c’est tout. Cette année, je vois vite quand ils sont fatigués par une activité qui dure trop longtemps, c’est une classe qui
bouge pas mal : donc, j’utilise beaucoup le rétro pour fixer leur attention. Parce que, sinon, cela les ennuie vite de
tourner les pages du manuel : on prend tel document, on le fait, on en prend un autre ; cela ne marche pas avec eux.
Avec eux, cette année, c’est vraiment le rétroprojecteur pour qu’ils regardent au tableau. Là, pour le coup, cela les
calme, cela les cadre. Et je leur donne aussi beaucoup de choses à construire : des frises, des questions qui sont écrites,
pas des questions qui passent par l’oral. Des questions qui passent à l’oral, je me suis rendue compte, cela marche bien
avec les bons élèves, avec les autres, c’est beaucoup plus difficile. Donc je leur distribue une frise ou même, ne serait-ce
que des tableaux : ils ont juste à mettre les connaissances, sans que je les fasse trop écrire. Mais c’est rapport à leur
entrain que je le vois, en fait. J’ai vu le cours dernier, je les ai un petit peu fatigués en faisant trop de traces écrites ou
trop de documents textes, alors au cours d’après, je les laisse un petit peu tranquilles : ils remplissent plus leurs
tableaux, ils vont faire un organigramme, un schéma.
Encadré 1 : savoir-faire d’un débutant concernant mesurer l’efficacité de son enseignement
CIT06, PLC, collège, expérimenté, nouveau dans l’établissement, ZUS
Moi, j’essaie de trouver des signes qui montrent, bon, si cela marche ou pas, si cela a avancé ou pas. Par exemple, on
étudie les différents types de discours : il y a des exercices et une rédaction, au premier trimestre. Et au troisième
trimestre, on va y revenir, c’est sûr : il va y avoir au moins une rédaction dans laquelle on va leur demander d’utiliser tel
ou tel type de discours. Si, à ce moment-là, tout a été oublié, effectivement, bon, moi, cela me questionne : qu’est-ce qui
c’est passé, est-ce que c’est normal ou pas ? De même si je vois que certaines activités fonctionnent très bien, que les
élèves commencent à se passionner et prennent des initiatives.
Bon, je n’ai aucun exemple à donner cette année, parce que cette année je ne les ai pas passionnés. Ici, en ZUS, des
initiatives venant des élèves je n’en ai pas eues cette année, ni de demande. Sauf de dire : pourquoi telle classe elle est
déjà allée trois fois au cinéma alors que nous on n’est pas encore allé. Et l’enthousiasme, c’est extrêmement rare.
Justement je suis très content d’avoir eu un élève, qui a beaucoup de difficultés en lecture, qui est très en retard, qui
m’a dit : pendant les vacances je suis allé à la bibliothèque et je leur ai demandé « le Petit Prince », parce qu’on l’avait
lu en classe et que je voulais absolument le relire parce que c’est trop bien. Donc, cela me montre qu’effectivement cela
vaut le coup avec des élèves en difficulté de, quelquefois, les mettre devant des choses qui sont un peu trop dures pour
eux mais qui peuvent être motivantes, quand cela se passe bien. Mais ici, c’est très rare.
Dans ma vie de prof, je suis devenu très pessimiste tout d’un coup parce que je me sens en échec. On est obligé de se
remettre en cause et de se dire : finalement, est-ce qu’on a vraiment progressé ou est-ce que c’est les élèves qui sont
devenus meilleurs ? Contrairement à ce qu’on pense, c’est les bons élèves de certaines classes qui nous ont donné
l’impression qu’on progressait, mais nous, en fait, peut-être, qu’on a stagné, parce que, quand on se retrouve avec des
élèves moins bons, alors, on n’y arrive plus. Je ne sais pas et, là, je suis un peu désespéré.
Encadré 2 : savoir-faire d’un expérimenté nouveau en ZUS concernant mesurer l’efficacité de son enseignement
WAT09, PLC, collège, expérimentée, nouvelle dans l’établissement, REP
Il y a déjà les contrôles. Quand je fais un contrôle et que la classe entière a 8 de moyenne, alors avant de leur dire :
vous êtes nuls, nous n’avez pas appris votre leçon ; je me dis : est-ce que moi, je ne serais pas passée à côté de quelque
chose ; est-ce que le contrôle que j’ai fait répondait vraiment aux exigences ? C’est une remise en cause un peu
continuelle : je me remets en cause autant que les élèves. Mais, à des moments, il faut savoir taper du poing sur la table,
et leur dire : maintenant, vous vous mettez au travail, parce que vous ne faites pas le minimum que je vous demande !
Je fais aussi un temps d’évaluation en fin d’année, de manière anonyme. Je leur demande ce qu’ils pensent des
séances d’exercices, des cours, des activités ; ce qui les a le plus aidé ; ce qu’ils aimeraient, ce qu’ils n’ont pas eu. A la
limite, quels conseils ils me donnent pour que je fasse mieux avec les suivants.
Il y a aussi un lien avec la suite du parcours : avec les 3e, on remet les diplômes du brevet aux anciens élèves pendant
le premier trimestre de 2e. Et c’est un temps qui est très chouette, il y a un temps de dialogue qui, pour moi, est très
important. J’ai des retours d’élèves de 2e qui me disent : tel chapitre, il faudrait plus le travailler ; ou telle chose, on l’a
fait l’année dernière, mais cette année elle ne nous sert à rien. Quand j’étais dans mon établissement précédent, je
rencontrais des élèves de terminale, même de l’université.
Sur une longue durée, il y a aussi des indicateurs plus administratifs. Nos élèves qui partent en lycée, on les suit ; on
travaille pas mal là-dessus, sur le lien 3e-2e, sur le devenir des élèves.
Et puis, les élèves c’est eux, qui sont l’indicateur principal. Et pas leurs résultats uniquement, leur manière d’être : un
cours dans lequel ils entrent, il y a une attention, il y a un intérêt, il y a des questions. Alors, on ne va pas idéaliser, il y a
toujours des élèves qui décrochent, il y a toujours des élèves qui ne seront pas intéressés, mais il y a un climat de travail,
un climat d’intérêt qui n’est pas le même. Même s’ils ne comprennent pas forcément, il y a ce climat d’intérêt.
Encadré 3 : savoir-faire d’un expérimenté nouveau en REP concernant mesurer l’efficacité de son enseignement
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Grangeat, M. (2006). Éducation permanente, 166
Par l’ancienneté
Si c’est à améliorer, je vais essayer tout de suite de mettre de côté la séquence et, la fois suivante, l’année suivante, de
trouver d’autres façons de faire. On essaye de garder un certain niveau de classe plusieurs années de suite, justement en
vue d’améliorer nos pratiques.
Réflexion sur sa propre pratique
J’essaye des trucs après je fais le bilan : si je reconduis ce travail, comment je peux l’améliorer ? Parce que, bon, il y a
des fois, on essaye des choses et, soit cela ne marche pas soit cela ne prend pas la tournure que l’on voudrait. Donc
forcément, on prend toujours du recul par rapport aux activités : soit en prenant des notes, j’ai une petite carte bilan ;
soit alors après quand je regarde mes séquences, bien je vois que, là, j’aurais dû faire cette séquence avant, qu’il y a un
problème de cohérence. C’est vrai que, d’une année sur l’autre, je ne fais jamais exactement la même chose. Et je
prends des notes pour pouvoir refaire le travail.
Lecture et documentation
Pour élargir le répertoire, on pique ce qu’on trouve. En fait, on n’a pas beaucoup de temps pour lire des ouvrages de
fond, parce qu’on a un métier qui est très prenant, qui demande déjà beaucoup de temps de préparation, de correction
mais, bon, on lit. On lit des bricoles et puis les collègues, les discussions, les réunions, permettent de faire évoluer les
choses. Et puis il y a Internet, maintenant.
Interactions entre professionnels
Je pense que l’expérience des autres est très formatrice et intéressante. Donc pour modifier mes activités
d’enseignement, j’essaye surtout de partager mes difficultés et d’aller chercher les meilleures réponses auprès de
personnes qui ont peut-être une autre expérience, qui a marché. Simplement, je leur demande. Puis, j’essaye leurs
activités, leurs séquences, et je vois si, avec moi, cela marche. Si cela ne marche toujours pas, c’est que cela vient de
moi, alors je me remets en question moi-même. Mais, en classe, il y a plein de chose où on se dit : j’aimerais bien aller
voir dans une autre classe comment cela fonctionne pour avoir d’autres idées. C’est vrai qu’à un moment on tourne en
rond, même si on sent que cela marche. J’ai envie d’aller voir comment un autre fait, pour m’apporter d’autres idées.
Interactions avec les élèves et leurs parents
Quand ce n’est pas acquis, je ne vais pas en rester là, je vais retravailler. Si toute la classe n’a pas réussi, c’est moi qui
me suis trompée, soit je vais revoir ma pratique, me dire que c’est peut être de ma faute ; ou, si c’est le cas d’un ou
deux, je vais leur donner des exercices supplémentaires ou prendre le temps de leur réexpliquer.
La façon dont les parents réagissent vis-à-vis de moi, s’ils sont rassurés ou pas, il me semble que c’est un critère qui
est important. Parce que, quand on sent les parents conscients qu’ils arrivent à se reposer sur vous, c’est que, l’écho à la
maison est dans un état d’esprit d’apprentissage. Donc, cela aide ; cela ne fait pas tout mais cela participe.
Interactions avec des partenaires
Les matières où on n’est pas très à l’aise au départ, on a du mal à se lancer. Donc, le projet cinéma pour moi ce n’était
pas évident parce que c’est la première fois que je fais cela. Donc, c’est vrai que, dans ces cas-là, on essaye de se faire
aider de partenaires, quand on le peut, pour démarrer. Et puis après, moi, j’ai des idées pour continuer à travailler seule.
Moi, je trouve que l’on est tourné un peu sur nous-mêmes et on a du mal à aller voir à l’extérieur et je trouve que c’est
super intéressant d’avoir un regard un peu extérieur. Cela permet de prendre un peu de recul par rapport à sa propre
pratique et de voir qu’il y a d’autres choses qui existent ailleurs et qui ont été testées, qui marchent plus ou moins bien
mais… Rencontrer des gens qui se heurtent aux mêmes problèmes que nous, cela peut être intéressant et je trouve que
voilà, on est dans nos classes mais finalement on est un peu tout seul et on a tendance à vite s’enfermer là-dedans.
Participation à des stages
Pour élargir le répertoire, c’est avec la documentation qu’on peut avoir, c’est-à-dire les stages : l’utilisation de
l’informatique en mathématiques, par exemple. De faire une même notion d’une façon différente, voir des activités qui
sont proposées, de choisir des activités différentes d’une année sur l’autre ; pour qu’il y ait tant d’élèves amenés, on
espère, au même résultat, mais en faisant différemment.
Encadré 4 : Modalités d'élargissement du répertoire des pratiques professionnelles (éducation prioritaire)
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