PDF. Discours d`Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la

Transcription

PDF. Discours d`Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la
Discours
Discours d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la
Communication, prononcé à l'occasion de la remise des insignes de
Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur à Madame Brigitte Métra,
de Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres à Monsieur Michel
Crespin, d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres à Monsieur
Thierry Frémont et de Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres à
Madame Marianna Chelkova
Paris, le 17 avril 2013
Chère Brigitte Métra,
On dit souvent que « tout dans [vos] bâtiments palpite, respire, vibre,
bouge et parle de vie ». Centrée sur la métamorphose des lieux, votre
vision architecturale est éminemment poétique. Elle se met aussi au
service du public et du vivre-ensemble pour mieux articuler l’héritage du
lieu et l’amélioration du cadre de vie.
Contact presse
Département de l’information et de
la communication
01 40 80 11
[email protected]
SEUL LE PRONONCE FAIT FOI
www.culturecommunication.gouv.fr
www.facebook.com/ministere.culture.communication
https://twitter.com/MinistereCC
Formée à la rigueur scientifique et sensible aux arts, vous choisissez
l’architecture qui est pour vous une synthèse ouverte sur tous les champs
du savoir. C’est d’abord sur les bancs de l’Ecole nationale supérieure
d’architecture de Nancy que vous développez votre passion pour
l’architecture. Vos premières armes, vous les faites aux côtés de Jean
Nouvel. Vous collaborez à des projets historiques, comme l’Institut du
Monde Arabe ou l’Opéra de Lyon. On ne peut rêver meilleur maître. De
ces années de formation et d’expérimentation vous héritez l’exigence, la
rigueur et l’audace qui vous caractérisent. Après plus de 15 ans de
collaboration avec Jean Nouvel, vous créez votre propre structure
professionnelle, Métra et Associés. Et c’est avec beaucoup de plaisir que
je distingue ce soir une femme d’audace et de très grand talent dans un
milieu traditionnellement très masculin.
Vous voyagez beaucoup. De vos voyages vous gardez un véritable plaisir
de la ville. Le désir, aussi, de créer des bâtiments qui soient en osmose
avec le patrimoine construit ou naturel, pour mieux le mettre en valeur.
Autant d’ « aventures de l’impossible » comme vous aimez à les appeler.
Le premier concours remporté sous votre nom vous ramène sur les lieux
de votre naissance. A Dole, face à la vieille ville au bord du Doubs, vous
inscrivez, dans un contexte patrimonial contraignant, une délicate création
architecturale et paysagère. La preuve qu’en dépit des contraintes, la
prouesse technique est souvent poétique.
L’opération Pyrénées-Lagny que vous réalisez actuellement dans le
20ème est un important symbole du renouveau architectural parisien.
Incarnation de la ville idéale, votre projet allie culture et nature, densité et
mixité des usages offerts par la vie urbaine et sociale pour un cadre de vie
de qualité, proche de la nature, dans un tissu urbain chargé d’histoire,
complexe et varié. En continuité avec les bâtiments qui l’entourent, le cœur
de l’îlot, que vous aimez comparer à un rocher fissuré, devient paysage.
1/6
La musique est un peu la métaphore de votre carrière. Vous que Jean
Nouvel aimait appeler sa soliste, êtes devenue, selon vos propres termes
« compositeur interprète ». C’est cependant à nouveau sous la direction de
Jean Nouvel que vous alliez vos deux passions, l’architecture et la musique,
autour de la salle de concert de la philharmonique de Paris. Forts de votre
expérience commune – vous avez travaillé ensemble pour l’Auditorium de
Lucerne et la salle de concert de Copenhague –, vous décidez d’innover en
concevant cette salle comme un véritable instrument de musique. Sur les
conseils des plus grands acousticiens, Harold Marshall mais aussi Yasuhisa
Toyota, vous videz l’espace de toute surface inutile pour que chaque
surface serve à réfléchir le son ou porter du public. Pour que la salle de
concert devienne espace musical intégral.
Vous êtes, chère Brigitte Métra, une femme d’audace. Une visionnaire,
exigeante et rigoureuse, qui a voulu mettre son talent au service du vivreensemble et de l’innovation architecturale. Extrêmement sensible au site et
à l’habitant, vous avez su mettre en valeur le patrimoine construit ou naturel
par des projets qui favorisent la mixité des usages. Parce que votre vision
poétique et organique du geste architectural contribue au renouveau de
l’architecture française, c’est avec une grande joie que je vous adresse ce
soir les hommages de la République.
Chère Brigitte Métra, au nom du président de la République, et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion
d’honneur.
Cher Michel Crespin,
Si l’on disait de Sartre qu’il était le Pape du Surréalisme, on peut bien dire
que vous êtes celui des Arts de la rue. Pape ? C’est peu vous qualifier, car
vous êtes peut-être même le Borgia des arts de la rue ! Tant vous en avez
écrit la genèse et les rebondissements. Tout à la fois la figure pionnière, le
chef de file inspiré, l’édificateur, le maître à penser et j’ajouterai, si vous me
permettez l’expression, l’emmerdeur (ou l’enquiquineur), le transgresseur, le
poil à gratter. Vous êtes un acteur incontournable de leur reconnaissance
populaire et institutionnelle. Le metteur en scène passionné qui a fait de
l’espace public un support de création. A travers vous, cher Michel Crespin,
ce sont aussi les arts de la rue, leur histoire, leur rayonnement et leur
vitalité, et aussi leur questionnement, que je veux célébrer ce soir.
Dans les années 1970, alors que la rue devient un espace de prise de
parole, votre compagnie Théâtricide entreprend de mettre le théâtre sur la
place publique pour le sortir de ses murs. Pour donner aussi un souffle
nouveau au spectacle vivant et inscrire la culture au cœur de l’espace
public.
« La ville est une scène à 360° » dites-vous souvent, convaincu qu’il faut
adapter la création artistique aux transformations urbaines. Si votre mise en
scène de l’espace urbain est esthétique et culturelle, elle est éminemment
sociale et politique. L’appropriation symbolique de la rue par l’art est un acte
politique. Parce qu’il s’adresse à un public-population que vous définissez
comme « celui qui se trouve dans la rue, naturellement (…) sans distinction
de connaissances, de rôle, de fonction, d’âge, de classe sociale », cet art
2/6
est aussi un acte social. Il crée du lien, rassemble, mobilise, fait rêver,
redonnant ainsi toute sa dimension collective à l’espace public tel que le
pensait Habermas.
Avec la Falaise des Fous, vous posez l’acte fondateur des arts de la rue en
1980. C’est le premier pas vers la reconnaissance populaire et
institutionnelle. Avec passion et conviction, vous créez ensuite des outils et
des structures qui donnent aux artistes urbains un sentiment
d’appartenance commune.
Avec le soutien de Fabien Jannelle, vous créez Lieux Publics en 1983 à
Marne-la-Vallée, en plein cœur d’une ville nouvelle. Vous vous intéressez
ensuite à la ville moyenne et rurale avec le Festival international du théâtre
de rue d'Aurillac, qui devient un incontournable lieu de rencontre et de
création.
En 1990, l’Etat reconnaît officiellement cet art urbain que le Festival
d’Aurillac avait déjà largement popularisé. Lieux publics est nommé Centre
National de Création des Arts de la Rue et s’installe à Marseille. Vous créez
ensuite avec Pierre Berthelot, le directeur de la Cie Générik Vapeur, La
Cité des arts de la rue dans une friche industrielle. Marseille devient alors la
capitale des arts de la rue.
Vous ne perdez jamais de vue la mise en scène et vos créations sont à
l’image de votre passion. Itinérantes et festives, elles invitent à la rencontre
et au partage. A la réflexion aussi.
Lieux Publics est comme un Phenix toujours renaissant. Aussi, à partir de
2001, vous décidez de vous consacrer à la formation et à la transmission de
cet art désormais reconnu. Vous mettez en place la Formation Avancée et
Itinérante des Arts de la Rue (FAIAR). Une formation dont l’itinérance est
conforme à l’esprit et à la réalité géographique des arts de la rue. Unique en
Europe, elle a pour ambition d’ « armer la parole de l’artiste». Elle favorise
l’excellence de nos artistes de rue dont le talent est reconnu bien au-delà de
nos frontières comme une compétence, de notre patrimoine et de nos
métiers, et comme un regard singulier sur le monde.
Parce que votre engagement au service des arts de la rue est un acte
culturel, politique et social, parce qu’il redonne toute sa dimension culturelle
à notre espace public et contribue au renouvellement du spectacle vivant,
c’est avec une grande joie que je vous adresse ce soir les hommages de la
République.
A tous ces titres, cher Michel Crespin, au nom de la République Française,
nous vous faisons Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres.
Cher Thierry Frémont,
Vous êtes l’homme de toutes les métamorphoses. Un comédien ondoyant,
multiple, divers, qui ne cesse de se transformer. Lorsque vous évoquez
votre métier d’acteur, ce goût de vous effacer complètement derrière vos
personnages, on pense à l’acteur tel que Roland Barthes le décrit. Habité
par son personnage, il « meurt à lui-même pour mieux nourrir son double ».
3/6
De votre formation au cours Florent avec Francis Huster et Mario Gonzales,
vous conservez l’influence du théâtre des masques, ces portraits de l’âme
qui reflètent l’expérience intérieure. Et une conscience aiguë de la difficulté
du travail de préparation nécessaire pour « faire naître le personnage de
l’intérieur » comme vous aimez à le dire.
Vous faites une entrée remarquée au cinéma. Heureux hasard, vous
incarnez, dans votre premier film, un jeune homme fou de cinéma. Ce
premier rôle dans Travelling avant de Jean-Charles Tacchella vous vaut, en
1988, le César du meilleur espoir masculin. La même année, le Prix Jean
Gabin vient récompenser votre prestation de Ludo, l’adolescent martyrisé
des Noces Barbares de Marion Hansel.
Votre carrière semble dictée par les rencontres et les élans du cœur. En
1991, vous tournez dans Merci la vie sous la direction de Bertrand Blier,
dont vous admirez tant l’art du dialogue. Puis c’est avec Bernard Giraudeau
que vous collaborez pour Les Caprices du fleuve. Ce sont ensuite les
personnages singuliers de Bernie Bonvoisin qui vous séduisent. Vous
contribuez à de nombreux films qui, comme les Brigades du Tigre de
Jérôme Cornuau, sont d’immenses succès populaires. Vous avez tourné
avec les plus grands réalisateurs, comme Brian de Palma pour Femme
Fatale, ou avec la jeune garde du cinéma français, en collaborant à deux
reprises avec Rémi Bezançon.
A la télévision, comme au théâtre, votre parcours est traversé par cette
même versatilité. Le goût des rôles complexes, toujours sur le fil.
Sur les planches, vous pouvez jouer du Marivaux comme du Claudel ou du
Tchekhov. Votre prestation dans Signé Dumas sous la direction de JeanLuc Tardieu, est saluée par le Molière du Meilleur second rôle en 2004. Elle
séduit aussi Roman Polanski qui vous sollicite pour Doute, où votre jeu sert
admirablement l’ambigüité du personnage. Dans Le Miroir d’Arthur Miller,
mis en scène par Michel Fagadau, vous incarnez un Philip bouleversant de
justesse.
Pour la télévision aussi, vos prestations sont saluées par de nombreux prix.
Avec Dans la tête d’un tueur, vous devenez le premier Français à recevoir,
en 2005, le Prix du meilleur acteur des Emmy Awards pour votre
interprétation remarquée de Francis Heaulme. Comme pour cette
remarquable prestation, vous ne craignez jamais d’endosser le costume de
personnages plus vrais que nature. Vous êtes Dreyffus dans l’Affaire
Dreyffus d’Yves Boisset en 1995, Voltaire dans la Divine Emilie d’Arnaud
Selignac en 2007, puis Picasso dans La Femme qui pleure au chapeau
rouge de Jean-Daniel Verhaeghe en 2010.
On vous verra aussi très prochainement dans des fictions politiques, ce soir,
dans La Dernière Campagne de Bernard Stora, puis au cinéma dans Quai
d’Orsay de Bertrand Tavernier.
Vous êtes, cher Thierry Frémont, un « spécialiste héroïque des transferts
d’âme » pour le dire comme Roland Barthes. Un virtuose de la
métamorphose et de la composition. Un comédien rigoureux et exigeant,
qui incarne la force et la vitalité d’une création cinématographique,
audiovisuelle et théâtrale qui, comme l’acteur aux mille visages que vous
4/6
êtes, est riche de sa très grande diversité. C’est donc avec une très grande
joie que je vous adresse aujourd’hui les hommages de la République.
Cher Thierry Frémont, au nom de la République française, nous vous
faisons Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
Chère Marianna Chelkova,
Femme de musique et de convictions, vous vous réjouissez d’avoir toujours
pu, au cours de votre remarquable carrière, exercer des métiers que vous
avez choisis et qui vous ont passionnée. Forte de votre expérience, vous
êtes convaincue qu’il faut se battre « pour que les femmes aient les mêmes
possibilités de choix que les hommes », au nom de leur talent et de leurs
compétences.
C’est donc avec beaucoup de plaisir que je m’adresse ce soir à une femme
dont nous distinguons les compétences et le talent, mais aussi la passion et
l’engagement de tous les instants au service de la culture.
Née en Russie d’une mère pianiste et d’un père mélomane, vous vivez très
jeune la musique comme une passion authentique et dévorante. Un espace
de liberté où vous expérimentez vos premières émotions au gré des scènes
lyriques.
Historienne, musicologue et littéraire de formation, vous avez été
enseignante, traductrice et journaliste, avant de vous consacrer à la
musique classique et à la production artistique. De votre carrière
d'enseignante, vous conservez la passion de la transmission. « Redonner,
donner, transmettre » : parce que vous avez eu la chance d’apprendre. Une
ambition qui dictera durablement votre engagement.
Votre connaissance aiguisée de la musique vous vaut d’être extrêmement
sollicitée. Vous donnez des conférences, vous travaillez aussi pour des
revues spécialisées ou des radios. Comme Radio Classique dont vous
assurez la programmation musicale pendant deux ans. Mais c’est avant tout
au service du Festival international de musique classique de Colmar que
vous mettez votre expertise.
En 1989, c’est avec Vladimir Spivakov, votre ami de longue date, directeur
artistique du festival, que vous vous lancez dans cette formidable aventure.
Vous êtes chargée de la recherche et de la documentation avant de
collaborer à la programmation artistique. A travers ce festival de renommée
internationale, qui allie exigence artistique et vocation pédagogique, vous
contribuez au rayonnement culturel de votre région.
Avec toujours cette même ambition, vous êtes vice-présidente puis
présidente de l’Orchestre National du Rhin. Très attachée au
renouvellement des publics, vous soutenez une politique volontariste en
direction des plus jeunes. Car il s’agit là pour vous d’un des enjeux majeurs
de la musique classique. Vous dites vouloir « rappeler que l’opéra n’est pas
réservé à une élite, tout en conciliant cette recherche d’élargissement avec
l’exigence artistique». Il s’agit pour vous de « s’ouvrir, sans faire de
concessions», pour proposer au plus grand nombre une programmation de
qualité.
5/6
Vous êtes, chère Marianna Chelkova, une citoyenne européenne engagée
au service de la culture.
En plus de votre parcours professionnel et des actions associatives que
vous consacrez à la musique, vous êtes depuis 2008 adjointe au maire de
Colmar en charge du développement culturel.
Ces nombreux engagements, vous les menez au nom de l’accès du plus
grand nombre à l’art et à la culture. Au-delà de l’école de la République qui
« touche tous les milieux », selon vos propres termes, vous souhaitez voir
se généraliser l’accès à la culture. « L’accès à l’art et à la culture est
essentiel » dites-vous avec force. Car, mieux que quiconque, vous savez à
quel point cela est vrai. Vous, la jeune moscovite fascinée par l’opéra, qui
parce qu’elle a eu « la chance d’apprendre », a désormais à cœur de
« redonner, donner, transmettre».
Parce qu’à travers vos engagements au service de la culture et de sa
transmission, vous portez haut les valeurs de notre République, c’est avec
un plaisir immense que je vous adresse ce soir ses hommages.
Chère Marianna Chelkova, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
6/6