Zakaria Taha* La construction nationale syrienne - Roma TrE

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Zakaria Taha* La construction nationale syrienne - Roma TrE
Zakaria Taha *
La construction nationale syrienne face aux dynamiques identitaires
et communautaires
Si le mouvement de contestation syrien déclenché en mars 2011 exprimait des revendications d’ordre politique et socioéconomique communes
à tous les Syriens (liberté, dignité, fin de la dictature et de la corruption,
multipartisme, réformes économiques…), il a donné une visibilité aux
communautés ethniques et confessionnelles (kurde, turcomane, assyrienne, chrétiennes…) longtemps dissimulées dans une Syrie qui, sous le
régime du Baath depuis 1963, était considérée comme un État fort et à
l’abri des divisions communautaires.
Ainsi, dans un contexte de guerre civile et dans un Proche-Orient
fragilisé par le sectarisme et traversé par les crises identitaires se forment
très rapidement des mouvements d’opposition sur des critères ethniques,
confessionnels et tribaux (Bloc national kurde, Parti de l’Union démocratique – PYD 1, Organisation démocratique assyrienne, Bloc turcoman,
Conseil des tribus syriennes, auxquels il faut ajouter des groupes islamistes
salafistes et djihadistes sunnites). Porteurs de nouvelles expressions et de
nouvelles logiques de mobilisation, ces mouvements témoignent d’un
renforcement de la définition des identités régionales sur la base d’appartenances communautaires et manifestent une volonté de redéfinir l’identité collective syrienne et de renégocier ses modalités de construction.
Ces dynamiques constituent un défi pour l’État syrien et représentent
une menace pour son intégrité territoriale et son unité nationale. Si elles
marquent la crise structurelle de l’État et de sa légitimité, elles soulèvent
*
Zakaria Taha est chercheur associé au GSRL (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités)
EPHE-CNRS et enseignant à l’Université d’Artois. Politologue, il a travaillé notamment
sur la question de l’ambigüité du parti Baath en Syrie face à la laïcité.
1
Fondé en 2003 par Mohammad Saleh Muslim, il est proche idéologiquement du PKK
turc (Parti des Travailleurs du Kurdistan).
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Z. Taha
la question de la construction nationale syrienne.
Comment expliquer la crise actuelle de l’État syrien? Comment le
processus de construction nationale syrienne s’est-il forgé? Comment le
Baath au pouvoir depuis 1963 concevait-t-il son projet national? Quelle
est l’approche des régimes politiques vis-à-vis des communautés et des
minorités non arabes?
Cette contribution vise à analyser la question de la crise de l’État en
Syrie à travers le processus de construction nationale. Dans un premier
temps, nous mettrons l’accent sur la construction de l’État syrien, puis,
dans un second temps, sur la politique du Baath vis-à-vis de la question
nationale et du nationalisme kurde, avec un intérêt particulier pour les
alaouites et pour la question kurde, une question à nouveau soulevée par
un contexte régional favorable. Il s’agit de lire la crise étatique actuelle
à travers et à la lumière des enjeux régionaux et internationaux (confessionnalisation des conflits, crise économique, tensions sunnisme/chiisme,
Arabes/Kurdes, majorités/minorités…).
Sykes-Picot ou la question des frontières «artificielles»
La sortie d’une partie des territoires syriens du contrôle de l’État (al-Raqqa,
Palmyre et Deir al-Zor sous Daech2, al-Hassaka, Ayn al-Arab et Afrin sous les
Kurdes du PYD 3) met l’accent sur la fragilité des États du Proche-Orient arabe
et pose la question de la légitimité des frontières mises en place par les accords
Sykes-Picot du 16 mai 1916 4 au point que certains observateurs voient la
stabilité de la région conditionnée par une nouvelle cartographie.
Le découpage territorial des provinces arabes de l’Empire ottoman par
les puissances coloniales, la France et l’Angleterre, n’a pas pris en considération les réalités humaines, ethniques et religieuses ni les aspirations
2
Sur l’État islamique, voir P.-J. Luizard, Le piège Daech. L’État islamique ou le retour de
l’Histoire, La Découverte, Paris 2015.
3
Le PYD (Partiya Yekîtiya Demokrât, Parti de l’Union démocratique) est fondé en 2003
par Mohammad Saleh Muslim. Il est proche idéologiquement du PKK turc. Le PYD
est membre du Comité de coordination nationale pour le changement démocratique,
l’opposition syrienne de l’intérieur. Le contrôle des territoires kurdes par le PYD s’est fait
avec la complicité du régime syrien avec qui il entretient un rapport ambigu. Les forces
du régime ont évacué certains de leurs postes militaires et de sécurité pour les laisser aux
milices du PYD, adversaires du Conseil national kurde, proche de Barzani.
4
Après les accords Sykes-Picot du 16 mars 1916, la Société des Nations confie à la France
le 25 avril 1920 à San Remo un mandat «A» sur la Syrie et le Liban, le même type de
mandat ayant été confié à la Grande-Bretagne sur la Palestine et l’Irak.
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La construction nationale syrienne
des populations concernées. Jusqu’au début du XXe siècle, la wilâya (province) de Damas s’étendait jusqu’à la Jordanie, celle d’Alep comprenait
des territoires turcs, et le Sandjak de Deir al-Zor faisait partie de la wilâya
de Mossoul en Irak. Ainsi des groupes humains auparavant liés par des
rapports économiques ou familiaux se sont trouvés séparés et dispersés
sur plusieurs pays (de grandes tribus arabes sunnites de la région de la
Djézireh comme les Al-Baqara et les Shammar, mais aussi les Kurdes, les
Assyriens…).
Toutefois, indépendamment de ces contradictions et en dépit de divers
projets unitaires (Croissant fertile des hachémites, Grande Syrie du Parti
Syrien National Social, nation arabe du Baath), les États arabes nés suite aux
accords entre les puissances mandataires ont évolué vers plus de souveraineté
et d’indépendance. La charte de la Ligue arabe, créée le 22 mars 1945 par
les pays arabes nouvellement indépendants5, garantit l’indépendance de
ses États membres. La légitimité de l’État régional (al-dawla al-qutriyya)
n’est pas récusée et ses frontières deviennent progressivement un marqueur
d’identité et un cadre pour la carrière politique de ses dirigeants6.
Les politiques des régimes vont alors dans le sens d’un renforcement des
identités régionales. L’autonomie des États est d’autant plus affirmée qu’ils
entrent dans une logique de concurrence économique. Jusqu’en mars 1950,
la Syrie et le Liban étaient liés par un accord d’unité douanière hérité de la
période mandataire. L’État syrien, dont la classe dirigeante est alors issue
de la bourgeoisie industrielle, se trouve dans l’obligation de faire transiter
ses marchandises via le port de Beyrouth et se voit privé de revenus douaniers. Le Premier ministre de l’époque, Khaled al-Azm, décide de rompre
l’union douanière et de moderniser le port de Lattaquié (1950-1956) afin
de concurrencer Beyrouth 7. C’est la légitimité des régimes postcoloniaux
et l’origine sociale dont est issue la classe dirigeante qui est mise en cause
(renversement des monarchies égyptienne et irakienne en 1952 et 1958 et
lutte contre la bourgeoise nationale en Syrie).
5
D. Qarquṭ, Fî târîkh al-umma al-‛arabiyya al-ḥadîṯh [De l’histoire moderne de la
nation arabe], Maktabat Madbûlî, Le Caire 2006, p. 160. Sur la Ligue arabe voir, B.
Boutros-Ghali, La crise de la Ligue Arabe, in «Annuaire français de droit international»,
vol. 14, 1968, pp. 87-137, <http://www.persee.fr/docAsPDF/afdi_0066-3085_1968_
num_14_1_1482.pdf> (dernier accès le 22.02.2016).
6
L. Dakhli, Arabisme, nationalisme arabe et identifications transnationales arabes au XXe
siècle, in «Vingtième siècle», n. 103, mars 2009, p. 18.
7
P. Seale, Al-Ṣîraʻ ʻalâ Sûrîya; dirâsa li-l-sīyâsa al-ʻarabiyya baʻda al-harb 1945-1958
[The Struggle for Syria: A Study of Post-War Arab Politics 1945-1958], Oxford University
Press, London/New York 1965, traduit en arabe par Samîr ʻAbdû et Maḥmûd Fallâḥa,
Dâr Ṭlâṣ, Damas 1996 7, p. 131.
131
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Certes, l’expérience unitaire de l’Égypte et de la Syrie (le République
Arabe Unie créée le 1er février 1958 dont la présidence est confiée à Nasser)
incarne les aspirations unitaires des régimes nationalistes, mais son échec
divulgue les divergences et les rivalités entre ces régimes convoitant un
leadership arabe (rivalités entre Baath irakien et Baath syrien, entre Nasser
et le Baath), d’autant plus que la sécession, le 28 septembre 1961, vient
des Baathistes syriens, grands défenseurs de la nation arabe. Le thème de
la lutte pour la réalisation de l’unité arabe dont les frontières s’étendent
de «l’Atlantique au Golfe», autrefois mobilisateur, continue à figurer dans
le discours officiel des régimes nationalistes (Baath en Syrie notamment)
tandis qu’il ne suscite plus qu’indifférence.
La légitimité des frontières étatiques du Proche-Orient sera mise en
cause notamment par les Kurdes dont la population se trouvait partagée
entre la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran. Le Traité de Sèvres du 10 août
1920, qui prévoyait la création d’une région autonome kurde dans le sudest de l’actuelle Turquie, est remplacé par le Traité de Lausanne en juillet
1923. Celui-ci permet au nouvel État turc d’annexer la majeure partie du
Kurdistan et enterre le projet d’un État national kurde dans la région.
Certes, l’accès d’une partie du peuple kurde à l’autonomisation
(Kurdes d’Irak) n’est pas sans effet sur les populations kurdes des États
voisins, mais ce processus n’entraîne pas pour autant une remise en question des frontières externes des États. La région autonome du Kurdistan
irakien ne prétend pas se fondre dans un projet unitaire transnational à la
façon d’un «Grand Kurdistan» préconisé notamment par le PKK (projet
abandonné par ce dernier au profit d’une autonomie et d’une reconnaissance des droits linguistiques et culturels). Les revendications territoriales
des Kurdes de la région ne mettent pas en cause les frontières étatiques
externes définies par Sykes-Picot 8.
Construction nationale et contraintes communautaires
L’expansion des idées nationalistes venues d’Europe dans l’Empire
ottoman à la fin du XIXe siècle annonce la rupture du lien entre Arabes
et Turcs unis jusqu’alors par l’islam. Si la Nahda (Renaissance littéraire
arabe) a permis aux Syriens d’avoir une certaine conscience de l’identité
nationale qu’ils formaient, la conception d’une identité au sens politique
8
É. Picard, Les Kurdes et l’autodétermination. Une problématique légitime à l’épreuve de
dynamiques sociales, in «Revue française de science politique», vol. 49, n. 3, 1999, p. 426.
132
La construction nationale syrienne
était pratiquement absente jusqu’au début du XXe siècle. Les idées nationalistes de cette période restent ambiguës, oscillant entre revendications
de décentralisation de la gouvernance des provinces arabes et réformes politiques et administratives sans séparation politique d’avec l’Empire. Dans ses
écrits sur la langue et la culture arabes, Butrus al-Bustani (1819-1883), un
des pionniers de la Nahda, appelle à un attachement à la patrie arabe sous
le nom de Bilâd al-Shâm (Grande Syrie), sans toutefois prôner une séparation territoriale et politique d’avec l’Empire ottoman. Le premier Congrès
arabe, tenu à Paris entre les 18 et 24 juin 1913, réaffirme les revendications
relatives à l’usage officiel de la langue arabe et à la décentralisation administrative, en même temps qu’il appelle à l’union de tous les Arabes, au-delà des
distinctions confessionnelles dans le cadre de l’Empire ottoman.
Contrairement au voisin jordanien, qui jouit d’une homogénéité ethnique arabe, la Syrie se caractérise par une grande diversité de minorités
religieuses et ethniques (kurde, arménienne, turcomane, tcherkesse, chrétiennes, alaouite, druze, ismaélienne, yazidie) 9. Ce qui caractérise la diversité communautaire de la société syrienne est son rapport à l’espace. Si les
chrétiens et les musulmans sunnites sont présents partout dans le pays,
des minorités telles que les druzes, les alaouites et les Kurdes disposent de
territoires distincts plus ou moins homogènes.
Sous l’Empire ottoman, qui érige le sunnisme en religion officielle,
les chrétiens et les juifs étaient reconnus comme dhimmî (protégés des
musulmans), et intégrés au système des millet; les minorités religieuses
musulmanes telles que les alaouites étaient rejetées et souvent considérées
par les deux principaux rameaux de l’islam (sunnite et chiite) comme
hérétiques. Ce système a fait obstacle à l’intégration de la communauté
alaouite dans une société dominée par une majorité sunnite. Sous le mandat, la France a renforcé les sentiments identitaires communautaires en
exploitant les animosités déjà existantes entre les minorités, notamment
musulmanes, fortement marginalisées sous l’Empire ottoman sunnite. Les
autorités mandataires octroient aux minorités dès 1920 une autonomie
politique et juridique (Territoire autonome des Alaouites 10, État druze,
État sunnite d’Alep, État sunnite de Damas 11 et Sandjak d’Alexandrette) 12.
9
Sur la répartition des minorités, voir Z. Taha, La Syrie, De Boeck, Louvain-la-Neuve 2013.
Créé en septembre 1920, le «Territoire autonome des Alaouites» devient le 12 juillet
1922 un État dans la Fédération des États de Syrie qui comprend l’État d’Alep et l’État
de Damas, fédération éclatée en décembre 1924 au profit d’un «État indépendant des
Alaouites», puis d’un «Gouvernement de Lattaquié», composé par les Français.
11
L’État d’Alep et l’État de Damas seront regroupés en 1925 dans l’État de Syrie.
12
G.D. Khoury, Une tutelle coloniale, le mandat français en Syrie et au Liban; écrits politiques
10
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Si cette politique permet à la France de trouver des appuis locaux pour
consolider sa présence et faire face à toute velléité de ralliement au panarabisme nationaliste, elle représente pour les notables des communautés
minoritaires une certaine reconnaissance de leurs identités face au projet
étatique issu d’un nationalisme majoritaire.
Ce sont néanmoins les alaouites qui tirent profit de la présence française en Syrie. Les Français suppriment l’utilisation du terme Nusayrî,
nomination péjorative renvoyant à une secte, et intègrent massivement
les alaouites dans les Troupes spéciales du Levant mises en place sous le
mandat. Ainsi, réticents à se rallier au projet étatique des sunnites avec qui
ils entretenaient des relations de dépendance politique et économique, les
alaouites ne rejoignent l’État de Syrie qu’en septembre 1936. Ce rattachement à la Syrie ne s’est pas fait sans susciter un vif mécontentement de la
part de certains chefs de la communauté alaouite qui adressent, en juin
1936, une lettre à Léon Blum dans laquelle sont mentionnés les alaouites
en tant que «peuple» qui demande le maintien de son indépendance 13.
Si la lutte nationale contre l’occupation (les révoltes de Saleh al-Ali dans
la montagne des alaouites et d’Ibrahim Hanano dans le Nord en 1920,
celle de Sultan Pacha al-Atrach dans la montagne des druzes en 1925-1927)
renforce l’unité nationale, l’armée et les partis politiques modernes (le Baath
en 1943, le Parti communiste en 1924, le Parti Syrien National Social en
1932) joueront un rôle central dans la construction de l’État-nation et dans
l’adhésion des minorités au projet national après l’indépendance. Les druzes,
les alaouites et les Kurdes, qui ont servi au sein des troupes militaires sous le
mandat, sauront d’autant plus intégrer l’armée syrienne de l’indépendance
que la carrière militaire représente pour les minorités issues des régions
périphériques un moyen de pénétrer le monde urbain et politique14.
Contrairement aux partis traditionnels (Parti du Peuple et Parti national) 15 qui représentent la bourgeoisie nationale et se trouvent au pouvoir
après l’indépendance, le Baath offre aux minorités et aux pauvres issus
de Robert de Caix, Belin, Paris 2006, pp. 231-238.
13
D. Le Gac, La Syrie du Général Assad, Complexe, Paris 1991, pp. 69-70.
14
B. Vernier, Armée et politique au Moyen-Orient, Payot, Paris 1966, p. 119.
15
Deux principaux partis politiques traditionnels rassemblaient cette bourgeoisie nationale:
le Parti national (al-ḥizb al-Waṭanî) et le Parti du Peuple (ḥizb al-Shaʻb). Ces deux
partis sont nés au moment des élections de 1947 et après l’éclatement du Bloc national
(al-Kutla al-Waṭaniyyya). Celui-ci, créé à la fin des années 1920, constituait un réseau
de grandes familles et formait le parti des grands notables, sunnites et urbains pour la
plupart. Le Parti national représentait la bourgeoisie damascène alors que le Parti du
Peuple représentait, lui, des notables d’Alep et défendait les intérêts de la bourgeoisie de
la région du Nord.
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La construction nationale syrienne
des zones rurales la possibilité de s’exprimer sur la base d’une conscience
politique plus large. Son caractère laïcisant, qui voit l’islam comme un
héritage culturel précieux commun à tous les Arabes, musulmans comme
chrétiens, constitue sans doute un facteur déterminant dans le ralliement
d’une clientèle issue des communautés minoritaires. Mais le ralliement
des minorités au Baath s’explique aussi par son discours socialisant qui
exprime les aspirations de la classe populaire et des couches sociales en
marge, ce qui favorise leur intégration aux processus politiques nationaux
sous le couvert du nationalisme panarabe 16.
La ville joue un rôle important dans l’intégration territoriale des
minorités 17. Une intégration politique et économique à travers l’urbanisation et l’intégration dans les réseaux du pouvoir 18, mais aussi par une
intégration religieuse à l’islam, à la «communauté des croyants»19. Si les
citadins et la classe bourgeoise ont largement occupé les postes politiques et
administratifs les plus importants du pays entre 1942 et 1963 20, la prise du
pouvoir par le Baath en 1963 constitue une étape importante dans l’évolution politique comme le remarque Nikolaos Van Dam: «L’année 1963 fut
de toute évidence un tournant dans l’histoire moderne de la Syrie, en ce
qui concerne la représentation des groupes religieux, régionaux, socio-économiques et politiques»21. Si la forte représentation des minorités a été
interprétée dans une large mesure comme une volonté de «revanche» sur la
majorité sunnite et citadine 22, l’ascension du Baath se fait plutôt dans une
perspective de construction nationale23.
Les alaouites, autrefois quasi absents des villes, sont devenus les plus
nombreux dans les villes de la région côtière. Dans les années 1990, ils
passent devant les chrétiens et derrière les sunnites en ce qui concerne les
16
L. et A. Chabry, Politique et minorités au Proche-Orient. Les raisons d’une explosion,
Maisonneuve et Larose, Paris 1984, p. 166.
17
M.M. Praha, Regional and Confessional Aspects of the Development of Syria (1963-1982),
in «Archives orientales», n. 59, 1991, p. 43.
18
F. Balanche, La région alaouite et le pouvoir syrien, Karthala, Paris 2006, p. 173.
19
O. Roy, Groupe de solidarité au Moyen-Orient et en Asie centrale, États, territoires et
réseaux, in «Les Cahiers du CERI», n. 16, 1996, p. 45.
20
«Les Damascènes et les Alépins détenaient 66% des portefeuilles ministériels». N. Van
Dam, The Struggle for Power in Syria: Sectarianism, Regionalism and Tribalism in Politics
1961-1980, Croom Helm, London 1979, p. 76.
21
Ibid., p. 45.
22
É. Picard, La Syrie de 1946 à 1979, in A. Raymond (dir.), La Syrie d’aujourd’hui,
CNRS Éditions, Paris 1980, p. 158.
23
A. Drysdale, The Syrian Political Elite, 1966-1976: A Spatial and Social Analysis, in
«Middle Eastern Studies», vol. 17, n. 1, janv. 1981, p. 19.
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villes de Homs et Hama24 où ils viennent s’installer comme militaires et fonctionnaires. C’est ainsi que les alaouites, jadis parmi les plus en retrait du projet national arabe, opèrent un processus d’intégration politique et religieux.
Sulaiman al-Ahmad (1866-1942)25, un des pionniers de la réforme religieuse
alaouite, et Muhammad Amin Ghalib al-Tawil (m. 1922)26, s’emploient à se
rapprocher des chiites du Liban, mais aussi des sunnites de Damas et à faire
connaître l’histoire et la doctrine alaouites. En 1936, le mufti de Jérusalem
al-Husseini déclare que les alaouites sont musulmans. Contrairement aux
druzes, qui jouissent encore aujourd’hui d’une indépendance de leurs tribunaux en matière de statut personnel, les alaouites, régis par le droit chiite sous
le mandat, se soumettent au statut personnel sunnite dès la promulgation de
la loi du statut personnel en 1953. En 1970, plusieurs chefs religieux issus de
la communauté alaouite de Syrie et du Liban rédigent une déclaration dans
laquelle ils précisent leur croyance, leur crédo et leur rapport à l’islam.
Bachar al-Assad n’est autre que l’arrière-petit-fils de Souleymane Ali
al-Assad, un des partisans de l’État alaouite indépendant et signataire de la
pétition adressée au gouvernement français en 1936 pour protester contre
le rattachement de l’État des alaouites à l’État de Syrie.
Le Baath, du discours national aux manipulations communautaires
Si le Baath s’inspire du modèle occidental de l’État-nation fondé sur
des critères ethniques et véhiculé par les idées nationalistes européennes et
turques du XIXe siècle, il émerge dans les années 1940 dans un contexte
d’occupation (la politique mandataire de la France s’attachait à défendre
24
F. Balanche, La prise en compte du facteur communautaire dans l’analyse spatiale. L’État,
l’espace et les communautés en Syrie, in «Géographie et cultures, Lieu et internationalité»,
L’Harmattan, n. 52, hiver 2004, p. 8.
25
L’effort de Sulaiman al-Ahmad se traduit par la publication d’articles dans des revues
chiites afin de mieux faire connaître les membres de sa communauté. Il se charge de diffuser dans sa région la revue al-ʻIrfān, une revue publiée par des chiites duodécimains à
Saïda, dans le but de promouvoir une réforme de la pratique religieuse de sa communauté. Par l’intermédiaire de ses amis duodécimains, il apporte des ouvrages de référence en
droit islamique pour fonder les décisions des tribunaux alaouites; les alaouites adoptent
le droit des chiites duodécimains dit jaʻfarīte.
26
Il rédige un premier ouvrage sur les alaouites, publié d’abord en turc en 1919, puis
traduit par lui-même en arabe et publié en 1925 sous le titre de Târîkh al-ʻalawiyyîn
[Histoire des alaouites]. Il remplace le mot nuṣayrî par ʻalawî (alaouite), dans l’objectif de
rattacher les nuṣayrî à Alî, le cousin du Prophète et le premier Imâm selon les chiites. Les
nuṣayrî se placent ainsi à l’ombre du chiisme et deviennent donc musulmans.
136
La construction nationale syrienne
les particularismes communautaires par la création d’États sur des bases
confessionnelles). Le Baath s’affirme alors au nom d’un «nationalisme
arabe» en dehors des considérations régionales, tribales et confessionnelles.
Bien que «laïque», le Baath 27 considérait l’islam comme «la meilleure
expression de la nation arabe» et «l’élément le plus précieux de l’arabité» 28,
incitant tous les Arabes, y compris les chrétiens, à en prendre conscience 29.
Si cette conception du nationalisme fondée sur le lien historique entre
islam et arabisme peut être interprétée comme une démarche de légitimation d’un mouvement politique dont leaders et théoriciens sont issus d’un
milieu minoritaire, elle vise le ralliement de toutes les composantes d’une
société longtemps régie par les rapports communautaires. Les théoriciens
du parti Baath, Zaki al-Arsuzi, Michel Aflaq et Salah al-Bitar, considéraient le système communautaire, confessionnel, ethnique et tribal comme
un facteur d’affaiblissement de la nation arabe et un frein à la réalisation
d’une unité nationale 30.
Toutefois, cette conception de l’identité nationale n’entraîne pas pour
autant une reconnaissance officielle de groupes ethniques autres qu’arabe et
ne mentionne à aucun moment de dispositions concernant les spécificités
linguistiques ou culturelles des minorités ethniques non arabes (kurde, turcomane, tcherkesse et arménienne)31. Pour les régimes baathistes successifs en
Syrie depuis 1963, l’abandon de ces spécificités est la condition préalable à
l’intégration à l’idéal national tel que défini par le Baath32. La conception
jacobine de l’État-nation, qui s’affirme avec l’adoption du socialisme et
de l’arabisme, va dans le sens d’un renforcement de l’orientation identitaire arabe de la Syrie, officiellement affichée en 1961 à travers le nom de
27
M. Aflaq, Fî al-qawmiyya al-ʻarabiyya [Du nationalisme arabe], discours prononcé en
1941, in Fî sabîl al-Baʻh [Dans la voie du Baath], Dâr al-Ṭalî‛a li-l-Ṭibâ‛a wa al-Nashr,
Beyrouth 1978², p. 119.
28
M. Aflaq, Ḏhikrâ al-rasûl al-ʻarabî [À la mémoire du Prophète arabe], discours prononcé
le 5 avril 1943 à l’Université de Damas, p. 131.
29
Ibid.
30
L’article 15 de la Constitution du parti Baath stipule que «le lien national est l’unique lien
de l’État arabe. Il garantit l’harmonie entre les citoyens, les fond dans le creuset d’une nation
unique, et lutte contre tous les fanatismes confessionnels, tribaux, raciaux et particularistes».
31
La communauté arménienne de Syrie, une minorité à la fois ethnique et confessionnelle,
peut s’organiser en clubs et associations culturelles et disposer de ses écoles pour apprendre
l’arménien. Voir N. Migliorino, Kulna Sûriyyîn? The Armenian community and the State in
contemporary Syria, in La Syrie au quotidien. Cultures et pratiques du changement, in «Revue
des Mondes Musulmans et de la Méditerranée», nn. 115-116, 2006, p. 111.
32
Selon l’article 11 de la Constitution du parti Baath, «doit quitter le territoire arabe quiconque fait de la propagande en faveur d’un groupement raciste anti-arabe ou y adhère,
et quiconque le défend dans un but colonialiste».
137
Z. Taha
«République Arabe Syrienne», qui supplante celui de République de Syrie.
Aussi, la politique d’arabisation 33 et d’homogénéisation entamée sous
la République Arabe Unie et renforcée sous le Baath, notamment entre
1966 et 1975, touche-t-elle très largement les Kurdes. Ceux-ci subissent des
mesures d’assimilation coercitive (recensement exceptionnel de la province
d’al-Hassaka et retrait de la nationalité syrienne en 1962 34, interdiction
de donner des noms non arabes aux enseignes commerciales, arabisation
des toponymes des villages kurdes, plan de «ceinture arabe» devenu projet
des «fermes modèles de l’État» 35, restriction des droits linguistiques et
culturels…) 36. Ces mesures ne sont pas sans rapport avec la montée du
nationalisme kurde en Irak et les révoltes de Mustafa Barzani (1961-1963,
puis 1974-1975). En octobre 1963, le régime baathiste syrien n’hésite pas
33
Jibâl al-ʻalawiyyîn (Les montagnes des alaouites) dans la région des alaouites deviennent
al-Jibâl al-Sâḥiliyya (Les montagnes côtières) et Jabal al-Durûz (La montagne des druzes)
devient Jabal al-ʻArab (La montagne des Arabes). Balanche, La prise en compte du facteur
communautaire dans l’analyse spatiale. L’État, l’espace et les communautés en Syrie, cit., p. 7.
34
Effectué le 5 octobre 1962 conformément au décret législatif n. 93 du 13 août 1962
et publié en 1965, le recensement exceptionnel prive de la nationalité syrienne près de
120.000 Kurdes faute de document d’état civil prouvant leur présence en Syrie avant
1945. Suite au mouvement de contestation de mars 2011 et dans l’objectif de neutraliser
les Kurdes, le régime de Bachar al-Assad promulgue le décret législatif n° 49 du 7 avril
2011 permettant la restitution de la nationalité syrienne aux Kurdes inscrits comme
«étrangers» (ajânib) dans les registres de l’état civil de la province d’al-Hassaka.
35
Ce projet consiste à construire des villages modèles à la frontière turque le long de la route
entre ʻAyn Dîwâr et Râs al-ʻAyn dans la province d’al-Hassaka sur des terres réquisitionnées des grands propriétaires kurdes lors des réformes agraires. Les terres réquisitionnées
sont distribuées au début des années 1970 avec la réalisation du barrage sur l’Euphrate à
des familles arabes dites al-ghumûr (les submergés), originaires de la province d’al-Raqqa
et d’Alep et dont les villages ont été submergés par les eaux du lac Al-Assad. Les réformes
agraires aboutissent à l’expropriation, entre 1965 et 1975, de 30.000 Kurdes sans «qu’il
n’y ait pour autant de déportations organisées comme en Irak». L’inondation des terres des
paysans arabes lors du remplissage du lac Al-Assad entraîne le déplacement de 60.000 paysans arabes. 25.000 paysans, soit le tiers des submergés, acceptèrent de s’installer entre 1972
et 1977 dans les 41 villages modèles. Cf. J.-F. Perouse, Les Kurdes de Syrie et d’Irak; dénégation, déplacements et éclatements, in «Espace Population Société, Les populations de l’Orient
arabe», n. 1, 1997, p. 79. C. Scalbert Yücel, Le peuplement du Kurdistan bouleversé et complexifié; de l’assimilation à la colonisation, in «L’information géographique, Modifications
coercitives du peuplement», vol. 71, n. 1, mars 2007, p. 78. M. Ababsa, Idéologie spatiale
et discours régionl en Syrie, in A. de Biase et C. Rossi (dir.), Chez nous; identités et territoires
dans les mondes contemporains, Éditions de la Villette, Paris 2006, p. 241.
36
Muhammad Ṭalab Hilâl, officier de la sécurité politique de la province d’al-Hassaka
en 1961, propose à travers une étude sur cette même province de régler le problème de
l’irrédentisme des nationalistes kurdes en opérant un équilibrage démographique entre
Arabes et Kurdes et en optant pour une politique d’assimilation par l’arabisation.
138
La construction nationale syrienne
à envoyer des troupes pour prêter main forte au régime irakien contre la
rébellion kurde.
Le régime des Assad, au pouvoir depuis 1970, constitue une rupture
avec ses prédécesseurs sur le plan idéologique et politique. Il accorde
une importance particulière aux éléments régionaux et locaux dans une
«rhétorique territoriale syrienne»37 et cela à travers la valorisation des
personnalités historiques et nationales issues de différentes composantes
de la société syrienne sans pour autant mentionner leurs ethnicités 38;
Saladin, vainqueur des Croisés, Yussef al-Azma, ministre de la Défense du
gouvernement arabe sous le roi Faysal, mort le 24 juillet 1920 à la bataille
de Maysaloun contre l’armée française, sont honorés comme des héros
nationaux et non en tant que Kurde ou Turcoman. Saleh al-Ali, alaouite,
Ibrahim Hanano, Kurde, Sultan Pacha al-Atrach, druze, sont présentés
comme des héros nationaux de la grande révolution syrienne (1925-1927)
contre l’occupation française.
Mais ce discours d’intégration nationale dissimule un système communautaire qui se traduit par une manipulation des clivages tribaux, ethniques
et confessionnels de la société syrienne dans un objectif de légitimation et
de pérennisation du pouvoir. Le régime syrien s’entoure d’une clientèle
religieuse et laïque, issue des communautés minoritaires et majoritaires, à
même de donner l’image d’un régime rassembleur et unificateur. La mise
en place de cette clientèle loyale consiste d’abord à préserver une «représentation» stable et continue de toutes les communautés au sein du gouvernement, de l’armée et du parti Baath. Puis, dans un second temps, à procéder à
une démarche de cooptation et d’incorporation de leurs dignitaires religieux
(enseignement religieux privé, construction de lieux de culte, davantage
d’indépendance en matière de statut personnel pour les minorités39).
Si la référence à l’arabisme et au Baath continue à figurer dans le
discours officiel, le régime des Assad, issu de la minorité alaouite dans
37
Ababsa, Idéologie spatiale et discours régional en Syrie, cit., pp. 235-249.
Ibid.
39
Depuis 2004, les chrétiens peuvent appliquer leurs propres lois relatives à la succession
et à la tutelle, domaine jusqu’alors régis par le statut personnel des musulmans sunnites.
La loi n. 31 de mai 2006 permet à toutes les Églises catholiques orientales et latines de
légiférer en matière de mariage, famille, fiançailles, légitimité des enfants, adoption,
autorité parentale, garde des enfants en cas de séparation, testaments. Mgr. Grégoire III
(patriarche grec-catholique à Damas), La situation des chrétiens dans les pays majoritairement musulmans notamment en Syrie, in Europe-Orient: Dialogue avec l’Islam (Actes du
colloque), Paris le 12 juillet 2007, sous le haut patronage de Christian Poncelet, Président
du Sénat, <http://www.senat.fr/colloques/europe_orient/europe_orient3.html> (dernier
accès le 11.02.2016).
38
139
Z. Taha
un pays qui n’a connu que des présidents sunnites, procède à une autolégitimation qui se traduit par une réintroduction des références à connotations islamiques dans le discours officiel et par un rapprochement avec
les dignitaires de l’islam sunnite (Ahmad Kaftaru 40, Muhammad Saʻid
Ramadan al-Buti 41, Ahmad Hassun 42…) 43. Ces démarches sont solennellement consacrées à l’occasion des fêtes baathistes ou nationales (les
médias nationaux montrent le chef de l’État – le père comme le fils –
dans ses actes de dévotion, en train de prier, participant publiquement à
des cérémonies religieuses dans différentes mosquées sunnites). Dans un
entretien en 1971 avec le journal libanais Al-Nahar sur la religion et la foi,
Hafez al-Assad répond qu’il «croit en Dieu et au patrimoine spirituel de
la nation arabe et qu’il comprend l’islam comme une religion d’amour, de
justice et, par conséquent, une religion de socialisme» 44. Sous la pression
des Occidentaux, à la suite du meurtre du Premier ministre libanais en
2005 et dans un contexte de crise, Bachar al-Assad lance alors le slogan
«La Syrie est protégée par Dieu!». L’islam devient pour le régime syrien un
facteur d’unité aussi crédible que l’arabisme et le nationalisme.
La manipulation du maillage communautaire est devenue récurrente
avec le déclenchement du mouvement de contestation en mars 2011. Aussi,
pour montrer que les chrétiens seraient alliés au régime, le général Dawoud
Rajha est-il promu ministre de la Défense le 8 août 2011, une première pour
un chrétien depuis l’arrivée au pouvoir du Baath en Syrie – il mourra dans
un attentat le 18 juillet 2012; quant à Jihad Maqdissi, un autre chrétien,
il exercera, quelques mois seulement après le soulèvement, les fonctions de
porte-parole du ministère des Affaires étrangères avant de quitter la Syrie en
novembre 2012. Dans ce contexte, Bachar al-Assad se positionne comme
40
Mufti de la République depuis 1964 jusqu’à sa mort en 2004, très proche du régime.
Son institution d’enseignement religieux, l’Académie du cheikh Ahmad Kaftaru, gagne
le soutien des autorités politiques.
41
Kurde et professeur à la Faculté de Sharî’a. Autorité religieuse reconnue, il est proche
du régime et très médiatisé.
42
Mufti de la République depuis 2004.
43
En Syrie, cette orientation se traduit par la cooptation d’hommes de religion, la multiplication des mosquées (près de 10.000 mosquées en Syrie en 2007) et la création d’établissements d’enseignement religieux (Instituts Hafez al-Assad pour la mémorisation du saint
Coran en Syrie (Maʻâhid al-Asad li-taḥfîẓ al-Qur’ân al-karîm) dont le nombre s’élève à 840
en 2007, écoles du cheikh Ahmad Hassun à Alep ou du cheikh al-Farfur…). Statistiques
duMministère des Waqfs du 31 décembre 2007, <http://www.syrianawkkaf.org/?pid=456>
(dernier accès le 15.04.2010).
44 M. Qannut, al-Dîn wa al-’imân fî maqûlât al-qâ’id Ḥâfiẓ al-Asad [La religion et la foi
dans le discours du dirigeant Hafez al-Assad], in Min afkâr wa qiyâm al-qâ’id Ḥâfiẓ al-Asad
[De la pensée et des valeurs du dirigeant Hafez al-Assad], p. 332.
140
La construction nationale syrienne
l’unique alternative capable, malgré la crise, d’assurer la protection des chrétiens syriens mais aussi de tout l’Orient. C’est ainsi que Damas accueille le 8
juin 2015 le synode œcuménique annuel des patriarches orientaux se réclamant d’Antioche, une rencontre qui se tient habituellement au Liban45. De
même, l’inauguration, le 6 juin 2015, d’une mosquée au nom de la Vierge
Marie «Al-Sayyida Maryam» dans la ville majoritairement alaouite de Tartous,
dont la plaque commémorative porte la mention «inaugurée durant le mandat du président Bachar al-Assad» 46, n’est pas sans faire le lien entre l’islam
prétendument tolérant d’un régime «alaouite» et les chrétiens d’Orient.
Cette politique permet au régime de disposer d’hommes de religion
qui sont mobilisés en cas de crise de légitimité du pouvoir. Muhammad
Saïd Ramadan al-Buti, mort dans un attentat lors d’un enseignement à la
mosquée, n’hésite pas à traiter les manifestants de «voyous», utilisant les
mosquées à des fins personnelles. L’archevêque grec-catholique d’Alep,
Jean-Clément Jeanbart, pour qui le conflit oppose «un État à des djihadistes cherchant à détruire la culture syrienne, massacrer les minorités
religieuses et la population laïque» 47, ne voit pas d’alternative au régime
de Bachar al-Assad 48, redoutant «les conséquences d’un renversement du
régime, qui pousserait beaucoup de nos fidèles à émigrer, comme en Irak
depuis la chute de Saddam Hussein» 49. Elias Zahlaoui, prêtre catholique
syrien, critique «l’ingérence» de la France, qui récuse la légitimité du président syrien Bachar al-Assad, à travers une lettre qu’il adresse le 23 juin
2011 à Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères 50.
Le discours laïque d’intégration nationale et le rejet officiel du communautarisme politique par les régimes baathistes (censure de toute production
abordant les confessions51), s’il peut s’inscrire dans la vision laïcisante du
45
<http://www.lorientlejour.com/article/928642/rai-a-damas-la-conscience-du-mondeest-morte-.html> (dernier accès le 10.06.2015).
46
Agence de Presse Syrienne, SANA, <http://sana.sy/?p=226069> (dernier accès le 05.12.
2015).
47
<https://francais.rt.com/international/8627-archeveque-syrien-demande-royaumeuni-ne-pas-aider-djihadistes> (dernier accès le 18.10.2015).
48
<https://www.letemps.ch/monde/2015/10/14/syrie-chretiens-ne-alternative-bachar-el-assad>
(dernier accès le 15.10.2015).
49 «Le Figaro», 11.01.2012, entretien de Georges Malbrunot avec Mgr. Jeanbart, Mgr. Jeanbart:
«Il faut donner sa chance à Assad», <http://www.lefigaro.fr/international/2012/01/11/0100320120111ARTFIG00437-mgr-jeanbart-il-faut-donner-sa-chance-a-assad.php> (dernier
accès le 11.10.2015).
50
<http://www.infosyrie.fr/re-information/un-pretre-syrien-reecrit-a-juppe/> (dernier accès
le 15.10.2011).
51
Les livres ou les articles qui abordent le problème de la société d’un point de vue
communautaire dans la société syrienne sont systématiquement soumis à la censure ou
141
Z. Taha
Baath, sert surtout à dissimuler l’origine minoritaire du régime et son assise
communautaire. La contradiction inhérente entre le discours unitaire et
rassembleur et la pratique communautaire du régime ne peut que fragiliser
le pouvoir et le contraindre à rechercher une légitimité là où c’est possible.
Une politique qui consacre la continuité du fonctionnement communautaire d’une société, laquelle en souffre déjà, au détriment d’une intégration
sociale qui dépasse le cadre confessionnel et ethnique 52. L’équilibre reste
fragile, comme en témoignent des différends qui virent rapidement aux
affrontements communautaires (heurts entre druzes et bédouins en 2001
à Suwayda, entre alaouites et ismaéliens en 2005 à Masyaf, entre Kurdes
et Arabes en 2004, puis en 2008 à Qamichli).
Le nationalisme kurde en Syrie, du système Assad à la scène internationale
Si le contexte du printemps arabe et de la lutte contre l’État islamique
donne une visibilité régionale, voire internationale, au mouvement kurde
syrien, ce dernier a longtemps été incorporé au système Assad. Certes, les
revendications nationalistes des Kurdes de Syrie remontent au début du
XXe siècle et se sont notamment exprimées à travers la Ligue Khoyboun 53
et le mouvement autonomiste de la Djézireh (1936-1939) 54, qui jettent
les bases d’une conscience identitaire kurde en Syrie, mais l’organisation
des Kurdes syriens en partis politiques est relativement récente par rapport
purement et simplement interdits, leurs auteurs punis, accusés d’«affaiblir les sentiments
nationaux», de «provoquer la rébellion civile» et déclarés coupables «d’atteinte grave à la
dignité de l’État». L’article 29 de la loi de 2001 sur l’impression et la publication interdit
les articles et les nouvelles qui «menacent la sécurité nationale et l’unité de la société».
52
Balanche, La région alaouite et le pouvoir syrien, cit., p. 285.
53
Une organisation pan-kurde fondée en 1927 au Liban. Malgré son caractère élitiste et
ses liens avec les tribus kurdes originaires de Turquie et réfugiées en Syrie, le Khoyboun
investit progressivement les milieux kurdes de la Djézireh syrienne. Il disparaît en 1944.
Pour plus de détails sur la Ligue Khoyboun, voir J. Tejel Gorgas, La Ligue nationale
kurde Khoyboun. Mythes et réalités de la première organisation nationaliste kurde, in «Études
kurdes», n. 3, hors-série, juin 2007, p. 158.
54
Le mouvement autonomiste de la Djézireh, bien que rassemblant la majorité des tribus
kurdes, englobe des alliés chrétiens et revendique un statut autonome comparable à celui
des druzes et des alaouites. Pour plus de détails, voir J. Tejel Gorgas, Les territoires de
marge de la Syrie mandataire: le mouvement autonomiste de la Haute Djézireh, paradoxes
et ambiguïtés d’une intégration «nationale» inachevée (1936-1939), in Le monde rural dans
l’occident musulman médiéval, in «REMMM», M. Ouerfelli et É. Voguet (dir.), n. 126,
novembre 2009, pp. 205-222.
142
La construction nationale syrienne
à leurs voisins irakiens 55. Le Parti démocratique du Kurdistan de Syrie
(PDKS), premier parti politique qui porte les revendications nationalistes
des Kurdes en Syrie, n’est créé que le 14 juin 1957 56. Étroitement lié aux
partis kurdes de Turquie et d’Irak, le mouvement kurde syrien est traversé
depuis 1965 par de multiples divisions et subdivisions qui reflètent, d’une
part, les crises internes du mouvement kurde irakien (PDK de Barzani et
UPK – Union patriotique du Kurdistan – de Talabani) 57, d’autre part, la
divergence idéologique entre ces derniers et le Parti des Travailleurs du
Kurdistan d’Öcalan, le PKK.
Cependant, malgré son soutien aux partis politiques kurdes irakiens
et turcs au nom d’une cause commune et d’un projet identitaire kurde,
le mouvement kurde syrien, jusqu’au milieu des années 1990, est resté
silencieux concernant la politique restrictive du régime baathiste d’al-Assad vis-à-vis des droits des Kurdes en Syrie. Certes, ces partis n’étaient pas
autorisés, mais pouvaient se manifester «dans le cadre d’une expression
publique contrôlée et codifiée par le régime et d’une expression privée
relativement libre» 58. La non-reconnaissance officielle des partis politiques
kurdes permet au régime de contrôler leur activité et d’arrêter leurs leaders
en fonction des aléas d’un jeu régional. L’amélioration des rapports avec
la Turquie en 2000 a ainsi permis d’arrêter des activistes kurdes liés au
PKK en Syrie en les accusant d’activisme illégal et de violation de la loi
selon l’article 288 du droit pénal, qui interdit tout activisme au sein d’une
organisation politique non autorisée par l’État.
Le régime d’al-Assad exploite la dimension transnationale de la question kurde en établissant des alliances avec les partis politiques kurdes
d’Irak et de Turquie. Ainsi, le régime syrien a protégé de 1980 à 1998
Abdullah Öcalan 59. Le PKK, interdit en Turquie, possédait des camps
d’entraînement dans la plaine de la Bekaa au Liban. Des Kurdes syriens
et militants du PKK pouvaient s’engager dans la guérilla contre l’armée
55
Le PDK iranien est fondé en 1945, le PDK irakien en 1946.
Fondé par plusieurs personnalités (ʻUsmân Ṣabrî, Ḥamîd Sulaymân Ḥâjj Darwîsh,
Ḥamza Nwîyrân, Muhammad ʻIssâ Millâ Mahmoud, Rashîd Ḥammû, Muhammad
ʻAlī Ḫûja, Khalîl Muhammad et Shawkat Ḥanân, Nûr al-Dîn Zâzâ). Certains membres
fondateurs, comme Rashîd Ḥammû, étaient d’anciens militants du parti communiste
syrien dirigé par Khaled Bakdach, un Kurde de Damas. C. More, Les Kurdes aujourd’hui.
Mouvement national et partis politiques, L’Harmattan, Paris 1984, p. 202.
57
C. Kutschera, Le Défi kurde ou le rêve fou de l’indépendance, Bayard, Paris 1997, pp. 31-43.
58
J. Tejel Gorgas, Syria’s Kurds. History, Politics and Society, Routledge, New York 2009,
p. 99.
59 H. Bozarslan, Le nationalisme kurde, de la violence politique au suicide sacrificiel, in
«Critique internationale», n. 21, oct. 2003, p. 105.
56
143
Z. Taha
turque60. L’alliance avec le PKK a amené son leader Abdullah Öcalan à
déclarer que «la majorité des Kurdes de Syrie sont issus de l’immigration de
Turquie»61. Simultanément, la Syrie a soutenu les Kurdes irakiens contre le
régime de Saddam Hussein en abritant les antennes locales des partis kurdes
irakiens. L’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani a été fondée à
Damas en 1975. Grâce au soutien aux partis kurdes d’Irak et de Turquie, le
régime syrien a réussi à repousser les aspirations nationalistes des Kurdes de
Syrie hors des frontières syriennes et à calmer toute contestation interne au
régime liée aux revendications de la communauté kurde de Syrie. L’expulsion
d’Öcalan de Syrie, le 9 octobre 1998, ainsi que l’amélioration des relations
avec la Turquie (2000-2011), ont correspondu à la rupture entre les Kurdes
et le régime syrien (manifestations kurdes en 2002 et 2003 62, soulèvements
en 2004 et 2008)63. Si les questions liées à la liberté d’expression, aux droits
de l’Homme et à la démocratie en Syrie sont toujours évoquées, les revendications particulières des Kurdes font désormais partie intégrante de leur
discours politique (reconnaissance des droits culturels et linguistiques, restitution de la nationalité syrienne aux Kurdes ‘apatrides’ issus du recensement
60
18.000 Kurdes syriens s’engagent dans les rangs du PKK. Voir J. Brandon, The PKK and
Syria’s Kurds, in «Terrorism Monitor», vol. 5, n. 3, 21 février 2007, <http://www.jamestown.
org/single/?no_cache=1&tx_ttnews%5Btt_news%5D=1014> (dernier accès le 14.02.2016).
61
A. al-Buni, Akrâd Sûrîya; al-hawiyya wa al-ḥâl [Les Kurdes de Syrie, l’identité et la solution],
in «Aljazeera», le 03 octobre 2004, <http://www.aljazeera.net/NR/exeres/77CEFF7B-BAAA4B34-A9E2-E892327CB3C5.htm> (dernier accès le 12.02.2016).
62
Une centaine de Kurdes se rassemblent devant le Parlement syrien le 10 décembre 2002,
coïncidant avec la Journée internationale des droits humains. Le même jour de l’année
suivante, le nombre de manifestants s’élève à 1000 personnes; ils entonnent des slogans tels
«Citoyenneté pour les Kurdes», «À bas l’interdiction de la langue et de la culture kurdes»
ou «Pour le respect des droits humains en Syrie». H. Montgomery, The Kurds of Syria. An
existence denied, Europäisches Zentrum für Kurdische Studien, Berlin 2005, p. 158.
63
À l’origine des événements, un affrontement entre supporters lors d’un match de
football le 12 mars 2004 entre l’équipe arabe de la ville de Deir al-Zor et celle, kurde,
de Qamichli, qui tourne à l’émeute. La violente répression par les forces de l’ordre provoque des manifestations qui s’étendent jusqu’à Damas et Alep et oblige les autorités
syriennes à reconnaître officiellement, pour la première fois, l’existence d’un problème
kurde en Syrie et la nécessité de régler notamment le problème des Kurdes déchus de
leur nationalité à la suite du recensement exceptionnel de 1962. Lors d’une interview
avec le quotidien londonien Al-Hayat, le 21 mai 2004, Bachar al-Assad rompt avec le
discours officiel qui considère les Kurdes comme issus de l’exode de Turquie entre 1924
et 1938, précisant qu’il n’y a pas de différence entre un Arabe et un Kurde, et «qu’il
existe un nombre de Kurdes qui sont Syriens et qui ont droit à la nationalité syrienne».
Ce faisant, pour tenir les Kurdes à l’écart du soulèvement, Bachar al-Assad promulgue,
le 7 avril 2011, le décret législatif n. 49/2011 stipulant l’octroi de la nationalité syrienne
aux «étrangers d’al-Hassaka» déchus de leur nationalité après le recensement de 1962.
144
La construction nationale syrienne
exceptionnel d’al-Hassaka en 1962, retrait du décret n° 49 lié à l’interdiction
des achats et ventes de biens immobiliers dans les régions frontalières).
La chute de Saddam Hussein et l’autonomisation du Kurdistan irakien,
mais aussi la pression américaine sur le régime syrien et son isolement après
le meurtre du Premier ministre libanais Rafiq al-Hariri en 2005, favorisent
la généralisation d’un nouveau discours nationaliste qui vise à légitimer le
droit des Kurdes syriens sur leurs territoires dans une perspective historique.
La région de la Djézireh, principal foyer du nationalisme kurde en Syrie, est
considérée comme «la terre historique sur laquelle les Kurdes ont toujours
vécu». Pour légitimer ces revendications, ils s’appuient sur les travaux des
orientalistes et des kurdologues occidentaux 64, mais aussi kurdes 65, de la fin
du XIXe et du début du XXe siècles, et font alors remonter leurs origines
à de nombreux envahisseurs et migrants établis dans la région (Hourrites,
Lullubis, Kurtis, Gutis, Mèdes, Mardes, Carduchis, Mitanni, Kassites) et
arguent que leur territoire, le Kurdistan, a été envahi et gouverné par les
Assyriens, les Akkadiens, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Arabes,
les Mongols et les Turcs, sans compter la brève colonisation française et
britannique66. Les zones de peuplement kurde en Syrie sont alors considérées comme le prolongement naturel des territoires kurdes de Turquie et
d’Irak, désormais appelées Rojava (Kurdistan occidental) pour le PYD ou
«Kurdistan de Syrie» pour les Kurdes proches de Barzani.
À l’instar du mouvement kurde irakien67, les Kurdes revendiquent ainsi
une nouvelle reconfiguration de l’État syrien. Lors de son deuxième congrès
tenu à Qamichli les 11 et 12 janvier 2013, le Congrès national kurde
revendique la reconnaissance constitutionnelle de la langue et des droits
nationaux du «peuple kurde», l’adoption d’un système fédéral dans lequel les
zones de peuplement kurde seraient considérées comme unité territoriale où
les Kurdes jouiraient d’une autonomie. L’opposition syrienne, pour sa part,
considère les revendications kurdes d’un système fédéral comme un prétexte
pour l’autonomisation des Kurdes et la partition de la Syrie et préfère parler
des Kurdes comme étant une «composante» du peuple syrien et non comme
un «peuple».
64
Par exemple, Pierre Rondot (1904-2000), Roger Lescot (1914-1975).
Djeladet Bedir Khan (1893-1951) a travaillé sur la latinisation de l’alphabet kurde.
66
A. Taj al-Din, Al-Akrâd: târîkh shaʻb wa qaḍiyat waṭan [Les Kurdes: histoire d’un peuple
et cause d’une patrie], Al-Dâr al-Ṯhaqâfiyya, Le Caire 2001, p. 15.
67
Sur l’opposition kurde en Irak, voir P.-J. Luizard, Il y avait un pays qui s’appelait l’Irak…,
in «Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée», nn. 81-82, 1996, pp. 257-302.
65
145
Z. Taha
Conclusion, le poids des puissances régionales?
C’est plus précisément la politique d’exclusion des régimes nationalistes arabes s’attachant à gommer les divisions qui a favorisé en grande
partie les réactions des groupes (kurdes) et fragilisé les structures de l’État.
L’État syrien, notamment sous les Assad, s’est fortement appuyé sur les
liens tribaux communautaires pour garantir la loyauté et la protection des
réseaux de clientèles. Le régime des Assad trouvait une part de sa puissance dans un clientélisme généralisé, souvent accompagné de corruption
et de privilèges au sein des institutions étatiques. Cet autoritarisme créait
un simulacre de ralliement des «masses» à l’État et au parti au pouvoir,
illustré notamment par les manifestations de soutien des organisations
«populaires», qui constituait pour le régime un facteur important de sa
légitimité politique. Cette gestion du pouvoir devait entraîner l’étouffement des initiatives indépendantes de la société civile dans les domaines
économique, social, culturel et politique et consacrer, par ailleurs, le développement d’une mentalité clanique, confessionnelle et tribale, aux dépens
du sentiment d’appartenance nationale68.
La Syrie redeviendra-t-elle un État unitaire? Les nouveaux dirigeants
pourront-ils réintégrer toutes ces communautés et tous ces territoires perdus? La réponse à cette question doit être interprétée à la lumière des données régionales et internationales. Si les Kurdes syriens peuvent prétendre
à une autonomie, c’est parce qu’ils profitent d’un contexte régional favorable (Kurdistan irakien, Kurdes de Turquie), mais aussi de la conjoncture
internationale de lutte contre le terrorisme et contre Daech menée par les
Américains et les Russes à la fois. Les Kurdes et, plus particulièrement, les
peshmergas irakiens et le PYD (Parti de l’Union démocratique) en Syrie,
sont paradoxalement devenus un élément stabilisateur dans la région dans
la mesure où ils expriment enfin les aspirations de leur communauté. Si,
à la fin du XIXe siècle, les puissances mandataires, France et Angleterre,
ont partagé l’Empire ottoman et tracé les frontières selon leurs intérêts, aujourd’hui les puissances internationales (USA, Europe et Russie)
doivent aussi reconnaître ces aspirations et composer avec les puissances
régionales de la région comme la Turquie, l’Iran ou l’Arabie saoudite.
Le 3 mars 2016
68
K.H. al-Naqïb, Al-dawla al-tasaluṭiyya fî al-Mashriq al-ʻarabî al-muʻâṣir, Dirâsa
binâ’iyya muqârana [L’État autoritaire dans l’Orient arabe contemporain, une étude structurale
comparée], Markaz Dirâsât al-Waḥda al-ʻArabiyya, Beyrouth 1991, p. 23.
146