A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière
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A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière
Université Lumière Lyon II Institut d’Etudes Politiques Métiers et pratiques du droit dans les entreprises et institutions A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Mémoire de fin d’études, Stéphanie BOUVIER Maître André VIANÈS, Avocat au barreau de Lyon Année universitaire 2006-2007 Table des matières Dédicace . . Remerciements . . Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne . . 0.1. Du droit des étrangers . . 0.2.L’autonomisation d’une prérogative régalienne . . 0.2.1.La reconduite, modalité d’exécution de l’expulsion . . 0.2.2.La constitution de la reconduite à la frontière comme procédure à part entière .. Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière . . 1.1.Une décision préfectorale . . 1.1.1. Le rôle central du préfet . . 1.1.2. L’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière . . 1.1.3. Les autres décisions du préfet . . 1.2.L’exécution de la reconduite à la frontière . . 1.2.1. Le processus . . 1.2.2. Les difficultés de la mise en œuvre de l’éloignement . . Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge . . 2.1.Le contrôle du juge judiciaire . . 2.1.1. L’intervention du juge judiciaire, garant de la liberté individuelle . . 2.1.2. Le rôle du juge judiciaire en cas de première prolongation . . 2.1.3. Le rôle du juge judiciaire en cas de demande préfectorale de prorogation . . 2.2.Le juge administratif, au cœur de la conciliation entre droits de l’Homme et ordre public .. 2.2.1 Une procédure juridictionnelle adaptée . . 2.2.2. L’étendue du contrôle du juge administratif . . 2.2.3. Le contrôle de la violation de dispositions conventionnelles . . 2.2.4. La violation d’autres instruments internationaux . . Bibliographie . . Ouvrages . . Rapports . . Colloques . . articles de doctrine . . Actualité jurisprudentielle . . Textes législatifs . . Annexes . . Annexe n°1 : Code De l'Entrée Et Du Séjour Des Etrangers et Du Droit D'asile . . Chapitre Ier : Cas dans lesquels un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière . . Chapitre II : Procédure administrative et contentieuse . . Annexe n°2 : exemple d’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (accompagné de la décision fixant le pays de renvoi). . . 5 6 7 7 9 9 13 22 22 22 24 32 35 35 37 42 42 42 44 49 50 51 55 61 63 65 65 66 67 67 68 68 70 70 70 72 72 Annexe n°3 : Question du député Jérôme RIVIERE sur les reconduites à la frontière .. Annexe n°4 : statistiques de reconduites à la frontière en France métropolitaine . . Annexe n°5 : activité de la police aux frontières en Outre-mer 1998-2004 . . Annexe n° 6 : Statistique de délivrance des laissez-passer consulaires . . Annexe n°7 : émargement du registre de notification des droits en centre de rétention administrative . . Annexe n° 8 : demande de prolongation de rétention administrative . . Annexe n°9 : Ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention . . Annexe n° 10 : arrêt du Tribunal Administratif de Lyon . . 73 73 74 75 76 76 77 77 Dédicace Dédicace A Emmanuel Bes de Berc qui déplorait le manque d’intérêt des étudiants Pour le droit des étrangers un siècle et demi auparavant… A ma famille et mes amis pour leur soutien tout au long de cette année 5 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Remerciements Ce mémoire n’aurait pas vu le jour sans l’accueil chaleureux dont j’ai pu faire l’objet dans l’ensemble de mes démarches. Je tiens à remercier M. Wyon, vice-président du Tribunal de Grande Instance Lyon pour la confiance qu’il m’a témoignée en me recevant et en me permettant d’assister au travail des magistrats et au fonctionnement interne du Palais de Justice. Je remercie également M. Piffaut, juge des Libertés et de la Détention pour m’avoir reçue et offert le « Trassoudaine ». Ma reconnaissance s’adresse tout particulièrement à M. Rohmer, commissaire du gouvernement à la première chambre du Tribunal Administratif de Lyon, qui, après m’avoir accueillie lors de mon stage au Tribunal m’a offert une aide précieuse et avisée dans mon travail. Enfin, je tiens à remercier très sincèrement M. Gontier, Directeur Zonal de la Police Aux Frontières Sud-Est pour les entretiens qu’il m’a permis de réaliser. Je remercie également Me Vianès, avocat et maître de conférence à l’IEP de Lyon pour son suivi et sa collaboration tout au long de ce séminaire. Merci également à Mme Roche documentaliste à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, pour m’avoir ouvert les archives de la bibliothèque et permis d’y effectuer mes recherches. L’intérêt témoigné pour mes recherches par tous ceux que j’ai été amenée a contacter m’a bien souvent mis sur la piste de recherches que seule, j’aurais été bien plus longue à découvrir. Que Me Frery, Damien de Blic, Dominique Brault trouvent ici ma reconnaissance. 6 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne Aussi étonnant que cela puisse paraître, le droit des étrangers n’est pas enseigné dans les universités françaises, en particulier dans les études juridiques et politiques. Pourtant, le statut des étrangers en France, comme dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord, constitue actuellement un enjeu de première importance. En effet, il nourrit les débats politiques et spécialement les débats électoraux comme ce fut le cas durant cette année présidentielle où les candidats ont pu s’affronter autour de la question d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale. Le statut des étrangers figure en bonne place dans les programmes des formations politiques, de la gauche la plus marquée à la droite la plus extrême. En outre, le droit des étrangers est devenu un domaine de la pratique juridique auquel les professionnels du droit, avocats et magistrats de tous ordres notamment, mais aussi policiers, préfets, sont de plus en plus souvent confrontés. C’était donc un thème idéal pour un mémoire de fin d’études mêlant droit et sciences politiques. Qui plus est, il répondait parfaitement à la thématique du séminaire « métiers et pratiques du droit dans les institutions ». En effet, le droit des étrangers, et plus particulièrement le thème de la reconduite à la frontière, représente véritablement un « microcosme juridique » car il mêle les métiers du droit et les pratiques concrètes du droit, ce qui était appréciable dans le cadre d’un mémoire professionnel. Ce sujet s’inscrit également dans une thématique plus large, mêlant la science politique, l’économie et l’histoire, autres dominantes de la formation dispensée dans les Instituts d’Etudes Politiques. En effet, étudier le droit des étrangers, et plus encore l’éloignement des étrangers, c’est toucher aux grandes lignes politiques, économiques de l’histoire de France. C’est pourquoi il convient ici d’étudier tout d’abord l’émergence du droit des étrangers, afin de pouvoir cerner plus précisément comment la reconduite à la frontière s’est autonomisée afin de devenir une procédure à part entière. 0.1. Du droit des étrangers Le droit des étrangers présente une caractéristique majeure : la difficulté des définitions. Les termes employés peuvent revêtir des acceptions différentes selon qu’il s’agit du vocabulaire courant ou de la terminologie juridique. De plus, l’extrême sensibilité de l’opinion publique fait que les mots sont imprégnés d’une connotation affective, positive ou négative, qui jette la confusion sur des notions devant pourtant être employées avec rigueur. 7 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français L’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 en son article premier, est la première norme à définir juridiquement la notion d’étranger : « sont considérés comme étrangers au sens de la présente ordonnance tous individus qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’ils aient une nationalité étrangère, soit qu’ils n’aient pas de nationalité ». Par la suite, l’opinion publique a pu distinguer d’autres notions telles que celles d’immigré, de personne d’origine étrangère et de migrant. Au sens strict, l’immigré est l’individu qui n’est pas né en France mais qui est venu s’y fixer. L’immigré est donc toujours né à l’étranger, mais il n’est pas forcément étranger lui même : il a pu acquérir la nationalité française. Souvent confondues avec les immigrés, les personnes d’origine étrangère sont « les personnes nées en France d’un parent ou d’un grand-parent ayant immigré en France », et qui peuvent donc avoir un parent étranger et un parent français. Ces personnes d’origine étrangère sont environ dix millions en France et ont pour la plupart la nationalité française. Le terme « migrant » désigne quant à lui le travailleur saisonnier ou temporaire qui vient en France lors d’une période déterminée et/ou pour un chantier déterminé (cas des travaux lors de la construction du stade pour les jeux olympiques d’Albertville). Le mot étranger vient du latin « extraneus », de extra : dehors, qui a aussi donné le mot étrange. L’étranger est celui qui n’est pas d’ici, qui n’appartient pas au groupe, qui n’est pas membre de la cité (civitas), qui n’est donc pas citoyen (civis). « Il est différent, étonnant, incompréhensible. Les étrangers ne nous ressemblent pas, ils n’ont pas la même couleur de peau, d’yeux, de cheveux, ils ne parlent pas la même langue, ils n’adorent pas les mêmes Dieux, ils ne partagent pas la même culture, les mêmes traditions, le même mode de vie 1 ». La Grèce antique est la première civilisation dont nous ayons trace qui ait distingué les « barbares » et métèques des grecs. L’extranéité explique que l’étranger soit perçu comme un ennemi, et qu’il ne soit admis à intégrer le groupe que sous certaines conditions. Logiquement donc, le droit des étrangers est avant tout un droit d’exclusion et de restriction qui reconnaît à l’étranger moins de droit qu’au national, et codifie sa différence. Cette relation entre exclusion et insertion imprègne toute l’histoire du droit des étrangers depuis l’Antiquité. ème Le droit moderne des étrangers est apparu au XIX siècle, sous l’influence du développement des communications et du développement industriel. Le progrès technique aidant, les échanges entre les hommes, les produits et les idées s’intensifièrent. La Révolution Industrielle s’accompagna d’une immigration en provenance de l’Europe méridionale et orientale. Le régime juridique des étrangers est alors essentiellement destiné à s’assurer que leur présence sur le territoire ne trouble pas l’ordre public. Le régime administratif des étrangers est donc soumis à l’arbitraire administratif et les étrangers qui résident en France se trouvent placé dans une situation extrêmement précaire. Les difficultés économiques et les scandales politiques du début du XXème siècle provoquèrent des épisodes de nationalisme qui se traduisirent également dans la législation. Par exemple, la loi du 9 août 1893 institua un registre d’immatriculation des étrangers et interdit aux employeurs d’embaucher des étrangers n’ayant pas satisfait aux obligations légales. 1 8 Danièle Lochak ; Etrangers : de quel droit ? PUF, 1985, p.22 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne La crise de 1929 eut également des répercussions immédiates sur la situation des étrangers. Une loi du 10 août 1932 limita ainsi l’entrée sur le territoire français d’étrangers. Cette période connaît également une forte poussée de la xénophobie dans l’opinion publique, due à la montée du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne et du franquisme en Espagne. Les autorités publiques françaises ont comme impératif la « sécurité nationale », ce qui explique que l’un des premiers actes du gouvernement de Vichy soit la promulgation des « lois anti-juives ». Ces dernières reviennent sur le principe même de la reconnaissance de droits aux étrangers et plus particulièrement aux juifs et aux tziganes. Les autres étrangers sont eux aussi affectés puisque l’Etat français organise entre autres mesures, un régime de travaux forcés pour les « étrangers en surnombre » et retire 2 les naturalisations prononcées depuis 1927 . Abrogées par l’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine, les lois de Vichy sont remplacées par l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et portant création de l’Office National d’Immigration. Le but principal de l’ordonnance est de compenser les pertes de la guerre par un afflux de main d’œuvre étrangère, et de reconstruire le pays. La période des Trente Glorieuses qui succède verra effectivement un afflux du nombre d’étrangers. Mais le choc pétrolier de 1973 et le ralentissement de la croissance économique provoquent une brutale augmentation du chômage qui rend l’opinion publique extrêmement sensible à la présence d’étrangers en France. La maîtrise de l’immigration devient alors un problème politique de premier plan, et les mesures d’éloignement des étrangers, dont la reconduite à la frontière commencent à s’édifier à partir de cette période. 0.2. L’autonomisation d’une prérogative régalienne La reconduite à la frontière à longtemps existé comme méthode d’exécution d’une autre procédure d’éloignement : l’expulsion (0.2.1.). Les tribulations législatives d’après guerre ont permis sa constitution en une procédure à part entière (0.2.2). 0.2.1. La reconduite, modalité d’exécution de l’expulsion A l’origine, la reconduite à la frontière et l’expulsion étaient confondues sous le même vocable d’expulsion. Les termes de reconduite à la frontière ne désignaient qu’une modalité concrète, l’éloignement effectif, de la procédure d’expulsion. Cette dernière n’avait pas alors le sens qu’on lui donne à présent. La notion d’ordre public n’était pas prééminente comme c’est actuellement le cas. En ce sens, l’expulsion d’hier recouvre la reconduite à la frontière d’aujourd’hui. L’éloignement est un pan important du droit des étrangers. C’est une pratique très ancienne mais qui n’a été réglementée que récemment. Les motifs de l’expulsion, ou de toute autre mesure similaire telle que la déportation, le refoulement, la reconduite ou le renvoi, sont globalement identiques d’une législation à une autre. Ils visent les personnes en situation irrégulière au regard des textes régissant l’entrée et le séjour sur le territoire, 2 P. Guillaume, Du bon usage des immigrés en temps de crise et de guerre, 1932-1940, in XXème siècle, 1985, n°7, p.117. 9 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français les personnes sans ressources risquant de tomber à la charge du pays d’accueil, ainsi que les personnes dont la présence menace l’ordre ou la sécurité publique. En France, la première loi qui ait véritablement mis en place un éloignement de l’étranger date du 3 décembre 1849, mais elle n’est que l’aboutissement d’un long cheminement dont les prémisses remontent à l’empire romain. A l’origine en effet, le droit romain comportait tout un volet relatif à l’étranger, l’aubain, étymologiquement « alibi natus », soit l’homme né sur une autre terre. La pratique du refoulement des étrangers était admise en droit romain. C’est ainsi que sur la proposition de Junius Pennus, de Cotta, de Torquatus, de Gabinius et de biens d’autres, des lois intervinrent, ordonnant aux étrangers de sortir du territoire romain. Cicéron blâma cette mesure en trouvant suffisante la privation du droit de cité « usu vero urbis 3 prohibere peregrinos sane inhumanum est » . L’expulsion fut fréquemment appliquée par les Empereurs. Les seules personnes qui y échappaient étaient les médecins et les professeurs. Mais les lois romaines n’ont pas survécu à la chute de l’Empire, et jusqu’à la Révolution française, l’expulsion des étrangers ne fut réglementée par aucune loi spéciale et resta soumise à l’arbitraire du pouvoir royal. Celui ci déterminait alors les étrangers indésirables en fonction du jeu politique. L’ « anglophobie » eut souvent pour conséquence des refoulements massifs d’étrangers 4 anglophones. Ainsi, on trouve plusieurs traces de reconduites à la frontière d’office . En 1242, en représailles contre Henri III qui avait fait mettre à mort des marchands français trouvés sur la mer, Louis IX dans une ordonnance, enjoignit à ses gardes d’arrêter tous les marchands anglais présents en France et de les renvoyer en Angleterre. Un siècle plus tard, le 13 février 1347, Philippe de Valois fit arrêter tous les Lombards commerçants en France et les renvoya en Italie. La reconduite à la frontière de l’époque visait principalement des marchands susceptibles de faire concurrence aux marchands français. Bien qu’aucune loi spécifique n’autorisait ce genre de pratiques, les auteurs anciens avaient imaginé une théorie afin de les légitimer, théorie qui cadrait au reste avec les idées de l’époque. Selon eux, l’Etat était propriétaire du sol national et il octroyait en quelque sorte aux citoyens la jouissance de tous les droits. Dès lors, l’Etat pouvait non seulement expulser les étrangers par mesures individuelles, mais encore par mesures collectives, il pouvait aussi leur interdire l’entrée du territoire car le pouvoir de la nation était illimité et absolu. « Le droit exclusif de chaque nation sur sont territoire, dit de Martens, l’autorise à en fermer aux étrangers l’entrée tant par terre que par mer, en conséquent aussi à n’accorder l’entrée, le passage, le séjour qu’a ceux qui en auraient obtenu la permission spéciale. Le gouvernement de chaque Etat a toujours le droit de contraindre les étrangers qui se trouvent sur son territoire à en sortir en les 5 faisant conduire jusqu’aux frontières » . Emer De Vattel ajoutera : « le Souverain peut défendre l’entrée de son territoire, soit en général à tout étranger, soit dans certains cas, ou à certaines personnes ou pour quelques 3 4 Ciceron, De Offic. Liv III, chap. XI, « interdire une ville aux étrangers est parfaitement inhumain. » Charles DEMANGEAT, Histoire de la Condition Civile des Etrangers en France dans l’Ancien Régime et dans le Nouveau Droit, 1842 5 Friedrich DE MARTENS, Droit des gens, liv. III, chap.3 10 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne affaires en particulier… c’est une conséquence du droit de domaine. Cette défense n’a rien 6 que de juste. » . La première « reconduite à la frontière massive » dont nous ayons trace, date du 16 7 décembre 1791 . Des brabançons arrivent dans les villes de Douai et Lille, considérées comme des places de guerre de première importance. Se met alors en place une police spécifique des étrangers, qui connaîtra une inflation rapide : face au manque d’hommes, la police est assurée par des troupes de ligne militaires. L’étape suivante sera de légiférer pour organiser la surveillance des étrangers et leur reconduite. Le directoire du département du Nord prends un arrêté le 17 décembre 1791 : « les étrangers qui se présenteront à l’entrée des villes et des communes seront conduits à la municipalité, qui examinera leur passeport, et règlera s’ils doivent ou non demeurer sur le territoire. » Ce dernier est remplacé par une loi d’expulsion des étrangers le 18 décembre 1791 afin de « faire sortir de la ville, dans les vingt-quatre heures, les étrangers inconnus qui s’y étaient introduits, et de les faire conduire sur la frontière ». En cette période troublée, la question des étrangers se politise rapidement. La surveillance et l’expulsion des étrangers n’est plus seulement un enjeu en terme de sûreté mais devient une pierre de touche pour créer les frontières politiques au sein même de la Convention. Le 18 mai 1792, Lazare CARNOT, le grand-père de Sadi CARNOT, polémique sur le « rassemblement de vagabonds et gens sans aveu tant étrangers que régnicoles ». Et dès le lendemain, on expulse les étrangers parisiens qui n’ont pas de papiers. 8 Un an plus tard, le 18 mars 1793, Bertrand BARERE (député du comité de salut public) propose un décret d’expulsion des étrangers qui sera adopté à l’unanimité : « les étrangers 9 sans aveu seront chassés des terres de la République » . L’article VII stipule que « tout étranger qui aura refusé ou négligé de faire sa déclaration (…) sera tenu de sortir de la commune sous les vingt-quatre heures et sous les huit jours du territoire de la République » 10 . Six mois plus tard, une loi sur la mendicité du 24 Vendémiaire an II (15 octobre 1793) ordonnait de reconduire à la frontière, aux frais de la nation, tout mendiant reconnu étranger. Puis, un décret du troisième jour des Sans-culottides an II, (19 septembre 1794), ordonne aux étrangers domiciliés à Paris et dans les grandes villes « avant le premier Messidor de sortir de la ville ». Le 23 Messidor an III (11 juillet 1795), ordre est donné aux étrangers nés dans les pays avec lesquels la France est en guerre de sortir du territoire : « ils sortiront des communes où ils se trouvent dans les trois jours à partir de la présente loi. Il leur sera en outre accordé un jour à raison de sept lieues du point de départ jusqu’à la frontière ». Plus aucune loi spéciale concernant l’expulsion des étrangers ne sera adoptée jusqu’en 1810, époque à laquelle les rédacteurs du Code Pénal complètent, dans l’article 272 le décret de Vendémiaire an II : « Les individus déclarés vagabonds par jugement, pourront, 6 Emer DE VATTEL, Droit des gens, liv. II, chap. 3, 1758 7 8 9 10 Sophie WAHNICH, l’impossible citoyen, l’étranger dans le discours de la Révolution Française, Albin Michel 1997 Le Moniteur, t. 12 , p. 424. Le Moniteur, t. 15, p.747 Le Moniteur, t. 15, p. 764 11 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français s'ils sont étrangers, être conduits, par les ordres du gouvernement, hors du territoire de l'Empire ». Une loi de 1834 durcit ce régime en disposant dans son article 8 que « tout étranger qui se serait soustrait à l’exécution des mesures prononcées dans l’article 272 du Code Pénal, ou qui, après être sorti de France par suite de ces mesures y serait rentré sans permission du gouvernement sera traduit devant les tribunaux et condamné à un emprisonnement de un à six mois. Après l’expiration de la peine, il sera reconduit à la frontière ». C’est seulement au lendemain de la Révolution de 1848 que l’on prit de nouvelles mesures de précaution contre les étrangers. Messieurs DE VATIMESNIL et LEFEVREDURUFLÉ présentèrent le 8 novembre 1849 une loi relative à la naturalisation et à l’expulsion des étrangers. La commission proposa l’article 5 devenu l’article 7 de la loi en vertu duquel : « le ministre de l’Intérieur pouvait, par mesure de police enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France de sortir immédiatement du territoire français 11 et de le faire conduire à la frontière » . L’étranger qui se serait soustrait à ces mesures se verrait condamné à une peine de prison pouvant aller jusqu’à six mois, et serait à l’expiration de sa peine reconduit à la frontière en application des dispositions de la loi de 1834 non abrogée. Un régime particulier existait pour les départements frontières où le nombre d’étrangers était supérieur aux autres départements français. Dans ces cas, ce sont les préfets qui disposent de ce pouvoir à l’égard des étrangers mais à charge pour eux d’en référer immédiatement au Ministère de l’Intérieur. Celui ci conservera pendant près d’un siècle tout pouvoir en matière d’expulsion des étrangers du territoire national 12 . Certains auteurs comme HANS, ont pu considérer l’expulsion ainsi instituée comme une sorte de bannissement. Or ce n’est pas le cas, l’expulsion n’est pas une peine et même si les bannis sont astreints à sortir du territoire, il ne faut pas confondre ces deux institutions. Le bannissement ne touche un individu que lorsqu’il est légalement convaincu du crime qu’on lui reproche. Un seul article du Code Pénal traite du bannissement, dans le cas où un ministre aurait attenté à la liberté individuelle ou ordonné ou fait quelque acte arbitraire, « il sera puni du bannissement 13 » Toutes ces lois sont à l’origine de l’association « étranger-ennemi ». Pendant la Révolution, l’ordre juridique est relié immédiatement à l’ordre politique et à l’ordre économique : le statut des étrangers enregistre fidèlement les variations de la conjoncture 14 . On trouve une illustration de ce lien par les nombreux décrets des années 1930 destinés à favoriser le refoulement des travailleurs étrangers. Les lois antérieurement en vigueur ne sont pas toujours abrogées et le régime juridique applicable aux étrangers se complexifie 11 Emmanuel BES DE BERC, Droit Français de l’Expulsion des Etrangers, thèse pour le Doctorat, Arthur ROUSSEAU Editeur, 1888 12 F. Julien-Laferrière et D. Lochak, Les expulsions entre la politique et le droit, Archives de politique criminelle, n°12, 1990, p. 65-88 13 article 115 du Code Pénal de 1810 : « Si c'est un ministre qui a ordonné ou fait les actes ou l'un des actes mentionnés en l'article précédent, et si, après les invitations mentionnées dans les articles 63 et 67 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, il a refusé ou négligé de faire réparer ces actes dans les délais fixés par ledit sénatus-consulte, il sera puni du bannissement. » 14 12 D. LOCHAK, Etrangers : de quel droit ?, Presses Universitaires de France, 1985 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne à la limite de la lisibilité. Le changement de régime à la fin de la Seconde Guerre Mondiale permettra de clarifier ce droit. 0.2.2. La constitution de la reconduite à la frontière comme procédure à part entière Le droit de l’éloignement des étrangers restera figé jusqu’à l’ordonnance du 2 novembre 1945. Edictée au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Général DE GAULLE lui assigna comme but d’organiser « avec méthode et intelligence » la politique de l’immigration de la France. Fondement essentiel du droit des étrangers en France, l’ordonnance est la première disposition législative à avoir consacré un chapitre aux Reconduites à la Frontière. Les articles 22 et 22 bis de l’ordonnance classent en plusieurs catégories les étrangers susceptibles d’être reconduits à la frontière. Elle sera depuis modifiée à de nombreuses reprises. Les fluctuations de la législation applicable aux étrangers sont sans cesse allées dans le sens d’une complexification et d’une autonomisation croissante du régime de la reconduite à la frontière. Deux tendances majeures sont toutefois à dégager : l’augmentation de la logique de police de maintien de l’ordre public, et une importance croissante des garanties accordées aux étrangers. *.La loi « BONNET » n° 80-9 du 10 janvier 1980 Elle introduit pour la première fois dans le texte de l’ordonnance de 1945 la notion de Reconduite à la Frontière. L’article 6 de la loi modifiant l’article 22 de l’ordonnance, dispose que « l’étranger expulsé peut être reconduit à la frontière ». La reconduite est alors considérée comme un simple moyen d’exécution forcée des mesures d’expulsion qui ressortissent à la compétence du ministère de l’Intérieur. En vertu de cette loi, une mesure d’expulsion peut être prononcée à l’encontre d’un étranger dont la présence sur le territoire constitue une menace pour l’ordre public, mais aussi contre un étranger en situation irrégulière. L’éloignement des étrangers, quels qu’en soit les motifs, relève pour le moment d’un régime juridique unique, celui de l’expulsion. Parallèlement, les infractions aux règles d’entrée et de séjour des étrangers en France sont pénalement sanctionnées, et ce, depuis l’ordonnance du 2 novembre 1945. Son article 19 punissait de peines d’emprisonnement l’étranger qui enfreignait ces règles et la loi du 10 janvier 1980 n’est pas revenue sur ces dispositions pénales. De par cette loi coexistaient donc deux voies d’éloignement. Une voie administrative par laquelle une autorité administrative pouvait décider de l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière, et une voie judiciaire par laquelle le juge pénal pouvait infliger une sanction à l’étranger qui avait enfreint les règles sur l’entrée et le séjour. Cette sanction emportait reconduite à la frontière à l’issue de la peine. Aux termes de cette loi, la reconduite à la frontière était une notion qui recouvrait un régime juridique complexe d’éloignement des étrangers à finalité unique (mettre fin à une situation irrégulière) mais à caractère dual (coexistence de deux types de reconduites). La loi « BONNET » est également la première loi à introduire la rétention administrative dans l’ordonnance de 1945. Elle stipule que celle ci doit avoir lieu dans « des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ». Le Conseil Constitutionnel en avait admis 13 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français la conformité à la Constitution dans sa décision du 9 janvier 1980 contrôle par le juge judiciaire dans les plus brefs délais. 15 , sous réserve d’un *.La loi « QUESTIAUX » n° 81-973 du 29 octobre 1981 Elle modifie profondément le schéma initial consacré par la loi « BONNET », en attribuant au juge pénal une compétence exclusive en matière de reconduite à la frontière des étrangers clandestins. Les infractions aux règles sur l’entrée et le séjour sont érigées en délits. Et la loi ajoute aux peines correctionnelles la peine accessoire de reconduite à la frontière : l’éloignement n’est plus assuré par le Ministre de l’Intérieur mais par le juge pénal dont l’intervention est présumée être davantage protectrice pour l’étranger. En effet, son prononcé est une simple faculté pour le juge pénal qui doit tenir compte de la situation personnelle de l’intéressé et ne peut la prononcer contre certaines catégories d’étrangers protégés de l’expulsion. Sanction pénale, la reconduite à la frontière se distingue donc pour la première fois, par son objet et son régime procédural, de l’expulsion qui reste une mesure de police administrative prononcée par le Ministère de l’Intérieur et qui ne vise que les étrangers dont la présence sur le territoire constitue une menace grave pour l’ordre public. Cette loi donne également au juge pénal la possibilité de prononcer contre l’étranger « clandestin » récidiviste une peine d’interdiction du territoire français qui a pour effet d’entraîner la reconduite à la frontière. *.La loi « PASQUA I » du 9 septembre 1986 Cette loi consacre l’autonomie de la reconduite à la frontière par rapport à l’expulsion. Dans un souci d’efficacité et d’accélération de la procédure, le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles PASQUA abroge le monopole du juge pénal en cette matière. La reconduite à la frontière devient une mesure spécifique de police administrative prononcée par le préfet. Le texte de loi rappelle que conformément au droit commun du contentieux administratif, l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir devant le Tribunal Administratif, recours qui peut éventuellement être assorti d’une demande de sursis à exécution. Mais le contrôle juridictionnel apparaît comme purement symbolique en l’absence d’effet suspensif du recours, le tribunal ne statuant en pratique qu’une fois que l’étranger est effectivement reconduit. La loi PASQUA ne remet pas en cause la compétence du juge pénal pour réprimer l’immigration irrégulière. La répression pénale est même accrue : le juge répressif peut désormais prononcer à l’encontre de tout étranger en situation irrégulière une peine complémentaire d’interdiction du territoire laquelle emporte de plein droit une reconduite à la frontière du condamné. L’autonomie du régime de la reconduite à la frontière est maintenue mais on assiste en même temps à la consécration législative de son dédoublement : coexistent désormais une reconduite administrative et une reconduite judiciaire. *.La loi « JOXE » n° 89-548 du 2 août 1989 et la loi n° 90-34 du 10 janvier 1990 Ces deux lois ne modifient pas l’économie générale de la loi Pasqua, mais ont pour objet de renforcer les garanties juridictionnelles offertes aux étrangers en instance de reconduite administrative. 15 14 Décision n° 79-109 DC, Rec.p.29 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne La loi « JOXE » introduit contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière un mécanisme de recours doublement original. D’une part, alors même qu’il s’agissait de décisions administratives, la loi donnait compétence au juge judiciaire, et plus précisément au Président du Tribunal de Grande Instance pour connaître des recours formés contre ces mesures d’éloignement. D’autre part, l’étranger obtient vingt-quatre heures afin de former un recours devant le président du tribunal, lequel doit statuer dans un délai de quarante-huit heures, et surtout, ce recours a un effet suspensif, c’est à dire que les mesures d’éloignement sont suspendues jusqu’à ce que le juge ait statué. Ce recours était donc particulièrement protecteur. Mais le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 89-261 du 28 juillet 1989, a censuré ces dispositions de la loi « JOXE » au motif que le transfert au juge judiciaire du contentieux de la reconduite administrative méconnaissait le principe de séparation des pouvoirs et la compétence traditionnelle réservée au juge administratif. En effet, l’APRF étant l’exercice d’une prérogative de puissance publique, seul le juge administratif pouvait connaître des recours en annulation de ces décisions. En conséquence, la loi du 10 janvier 1990 reprenant les principales caractéristiques du mécanisme juridictionnel prévu initialement par la « loi JOXE », confie au juge administratif et plus précisément au président du Tribunal Administratif l’examen des recours introduits contre les APRF. Cette procédure juridictionnelle est toujours en vigueur aujourd’hui. La mise en place d’un recours spécifique à caractère suspensif est l’achèvement de l’autonomisation de la reconduite à la frontière par opposition à l’expulsion. Elle a permis le développement d’un contentieux particulier lié à l’application de l’article 22bis de l’ordonnance de 1945. La rétention administrative est elle, confiée à la compétence exclusive du juge judiciaire, en vertu de l’article 66 de la Constitution qui en fait le gardien des libertés individuelles. *.La loi n° 92-190 du 26 février 1992 Cette loi est considérée comme à part dans l’historique du régime de la reconduite à la frontière. En effet, elle a comme objet d’adapter cette procédure à la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985. Le but de ces accords était de créer un espace de libre circulation des individus à l’intérieur des frontières des Etats parties, et ce, par la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes et par harmonisation des règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers extra communautaires. La loi du 26 février 1992 crée deux nouveaux cas de reconduites pour les ressortissants extra communautaires qui ont méconnu les règles définies au niveau européen. Ceuxci, ainsi que les étrangers qui ont fait l’objet d’un signalement par l’un des autres pays signataires, peuvent faire l’objet soit d’une reconduite administrative, soit d’une reconduite judiciaire. Cette loi ajoute donc au régime commun des deux types de reconduites (judiciaire et administrative), un « régime Schengen ». *.Les lois « PASQUA II » n° 93-1027 du 24 août 1993 et n°93-1417 du 30 décembre 1993 Ces deux lois sont incontestablement les plus polémiques des sources du régime de la reconduite à la frontière. Leur importance ne vient pas tant des lois elles mêmes, mais surtout des décisions du Conseil Constitutionnel les accompagnant et qui créent un véritable statut constitutionnel de l’étranger. 15 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français 16 Le 2 juin 1993 , Charles PASQUA, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire annonce que « l’immigration zéro » est l’objectif qu’il s’est assigné, « compte tenu de la gravité de la situation économique ». Le texte de loi voté et présenté au Conseil Constitutionnel à comme principaux buts de « prévenir l’immigration sauvage, défendre l’ordre public, et rendre plus efficace les mesures d’éloignement ». Cette loi du 24 août appartient donc au courant que l’on peut qualifier de « sécuritaire », c’est-à-dire dans lequel l’ordre public constitue un impératif prioritaire. La loi du 24 août 1993 lie en effet étroitement les notions d’éloignement et d’ordre public. La reconduite à la frontière devient, en vertu des nouveaux 3° et 7° de l’article 22 de l’ordonnance de 1945, la mesure d’exécution des décisions de retrait de titre de séjour ou de refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour. Il en résulte que l’étranger à qui un titre de séjour à été refusé ou retiré ne peut efficacement exercer les voies de recours ouvertes contre cette décision. La loi prévoit également d’autres mesures pour rendre l’éloignement effectif, telles que l’interdiction administrative du territoire, qui « emporte de plein droit reconduite à la frontière de l’étranger concerné », ou l’exécution d’office du refus d’entrée. Auparavant, pour contraindre l’étranger qui refusait d’embarquer dans un moyen de transport, il fallait lui appliquer les dispositions de l’article 27, c’est-à-dire le déférer au parquet, le traduire devant le juge correctionnel qui prononçait une peine d’emprisonnement assortie d’une interdiction du territoire, laquelle emportait de plein droit reconduite à la frontière. Le gouvernement avait également envisagé dans son projet initial de prolonger la durée de la condition administrative d’un délai de soixante-douze heures. 17 Saisi de la loi, le Conseil Constitutionnel rendra la « décision des records » qui marque une étape importante dans l’évolution de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. La décision n° 93-325DC est la première décision à établir véritablement le statut constitutionnel des étrangers, en même temps qu’elle apporte une importante contribution à la théorie générale des libertés fondamentales. Cette loi est celle qui a donné lieu à l’invocation du plus grand nombre de moyens (environ 80) répartis en quinze catégories différentes. Le Conseil Constitutionnel a prononcé l’invalidation de nombreuses dispositions. Ainsi, l’automaticité de l’interdiction du territoire dans le cas du prononcé d’une mesure de reconduite à la frontière fut invalidée car violant l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’article 27 de la loi, proposant l’allongement de la durée de rétention administrative de trois jours fut également considérée comme contraire à l’article 66 de la Constitution de 1958 et invalidée pour cette raison. Au total, plus de vingt dispositions de la loi furent considérées comme inconstitutionnelles, ce qui est beaucoup pour une loi comportant 51 articles. De nombreuses réserves d’interprétations furent également émises, faisant au total de la décision 93-325DC une des décisions les plus sévères qui aient été prononcées par les Neufs Sages. Plus largement, cette décision structure véritablement le statut juridique des étrangers. Les 2° et 7° considérants énoncent les grands principes qui leur sont applicables, et la décision est construite de telle sorte que ressortent les principaux points de leur statut. Deux grandes orientations sont ainsi définies : d’une part, les étrangers ne sont pas nécessairement placés dans la même situation que les nationaux, et d’autre part, il convient 16 17 Le Monde, 2 juin 1993, propos recueillis par Philippe Bernard, Erich Inciyan et Edwy Plenel. Louis FAVOREUX, , Décision maîtrise de l’immigration du 13 août 1993, Revue Française de Droit Constitutionnel ,1993, n°15, p. 565 16 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne de distinguer pour le bénéfice de certains droits, les étrangers en situation régulière de ceux qui ne le sont pas. Cette décision fut également l’occasion de faire progresser la liberté individuelle et ses composantes et d’affirmer par la même occasion la compétence exclusive du juge judiciaire en la matière. La loi fut promulguée « corrigée » le 24 août, mais le gouvernement obtint le dernier mot par une loi du 30 décembre 1993, qui tout en respectant les aménagements, permit d’augmenter les cas de reconduites à la frontière tout en diminuant les catégories d’étrangers protégés. De plus, le préfet reçut la possibilité de prendre à titre de sanction supplémentaire une décision d’interdiction du territoire d’une durée maximale d’un an, en tenant compte de la situation personnelle de l’intéressé. * La loi « DEBRÉ » n°97-396 du 24 avril 1997 Considérée par la doctrine comme un « amas de mesures », la loi n° 97-396 durcit les dispositions des lois PASQUA afin de pallier les difficultés de mise en œuvre des mesures d’éloignement mises en évidence par plusieurs travaux parlementaires. La loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration prévoit le transfert du contentieux de l’appel des jugements rendus en matière de reconduite à la frontière du Conseil d’Etat aux cours administratives d’appel. La loi ajoute également à l’ordonnance un alinéa qui protège de l’éloignement l’étranger résidant habituellement en France et atteint d’une pathologie grave nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une extrême gravité, sous réserve qu’il ne puisse bénéficier du traitement approprié dans le pays de renvoi. *.La loi « CHEVÈNEMENT » n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile (ou loi RESEDA). L’annonce par Jacques CHIRAC de la dissolution de l’Assemblée Nationale signa 18 « l’arrêt de mort de la loi DEBRÉ », qui n’était pas encore promulguée. En effet, au cours de la campagne des législatives en mai et juin 1997, et suite au mouvement des « sanspapiers de Saint Bernard », les socialistes, les communistes, le Mouvement des Citoyens et les Verts annoncèrent « l’abrogation des lois PASQUA DebrÉ » en cas de victoire. Considérées comme « contraire à la Constitution et au principe d’égalité » et « attentatoires aux libertés individuelles », ils proposent une « refonte de l’ordonnance du 2 novembre 1945 », afin de donner à la politique de l’immigration une orientation plus conforme au principe traditionnel de la gauche qu’est le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine. Le 19 juin, dans son discours programme prononcé devant l’Assemblée Nationale, Lionel JOSPIN déclare que le « gouvernement va définir une politique d’immigration ferme et digne ». Il confie à ce titre une mission d’étude à l’universitaire Patrick WEIL qui rend son rapport au Premier Ministre le 31 juillet. La mission WEIL ne propose pas l’abrogation des lois PASQUA-DEBRÉ mais des retouches telles que l’allongement du délai de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière ou la suppression de l’interdiction administrative du territoire. Soumis à l’Assemblée Nationale selon la procédure d’urgence, le projet est adopté en première lecture le 17 décembre 1997. Il est ensuite examiné par le Sénat qui rejette en bloc les modifications apportées aux lois PASQUA-DEBRÉ. Suite à l’impossibilité pour la commission mixte paritaire de rédiger un texte de compromis 18 François JULIEN-LAFFERIERE, « La loi DEBRÉ sur l’immigration », in Regards sur l’actualité, n°15, 1997 17 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français (les positions des deux assemblées étant inconciliables), l’Assemblée Nationale adopte définitivement le projet. Saisi dès le lendemain par les membres des groupes RPR et UDF, le Conseil Constitutionnel ne censura qu’une disposition relative à l’immunité pénale des associations et fondations apportant aide et assistance aux étrangers en situation irrégulière. La loi promulguée le 11 mai était destinée à rendre l’ordonnance de 1945 « plus juste » mais aussi « plus efficace ». Pour cela, elle modifia plusieurs aspects du régime administratif des étrangers pour abroger les dispositions des lois PASQUA et DEBRÉ considérées comme « attentatoires aux droits de la personne humaine sans apporter aux pouvoirs 19 publics les moyens réels de mener leur politique ». La loi du 11 mai 1998 apporta plusieurs retouches aux procédures d’éloignement et de rétention administrative. Le régime de la reconduite à la frontière est modifié sur deux points : l’allongement du délai de recours contre l’arrêté de reconduite et la suppression de l’interdiction administrative du territoire. Le délai de recours contre l’APRF passe de vingt-quatre heures à quarante-huit heures en cas de notification par voie administrative (remise à l’intéressé lors de son placement en rétention) et à sept jours en cas de notification postale. Ce dernier point permet à l’étranger de disposer du temps nécessaire pour exercer son recours, ce qui était auparavant impossible dans les vingt-quatre heures. La loi du 11 mai 1998 supprime l’interdiction administrative du territoire dont le préfet pouvait depuis la loi du 24 août 1993, assortir un arrêté de reconduite à la frontière « en raison de la gravité du comportement ayant motivé l’arrêté » et en tenant compte de la situation personnelle de l’intéressé. L’abrogation de cette disposition va donc dans le sens d’une meilleure garantie des droits des étrangers. Concernant la rétention administrative, la durée maximale de rétention est portée de dix à douze jours non seulement « en cas d’urgence absolue et de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », mais également lorsque « l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité, ou de l’obstruction volontaire faite à son éloignement ». Auparavant la prolongation de la rétention ne pouvait qu’avoir pour but d’obtenir les documents de voyage nécessaires à l’éloignement. Désormais, la prolongation de rétention s’apparente surtout à une sanction de l’impossibilité dans laquelle l’intéressé a mis l’administration de l’éloigner. Il est à noter que la loi du 11 mai 1998 est la première qui parvient à porter à plus de dix jours la durée de la rétention, les tentatives précédentes s’étant heurtées au refus du Conseil Constitutionnel. *.La loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, dite « loi SARKOZY » La loi du 26 novembre 2003, dite couramment « loi SARKOZY » du nom du ministre de l’Intérieur qui en fut le promoteur, a mis en mouvement un processus de modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a atteint une ampleur jamais connue jusqu’alors. En effet, le projet de loi visait à modifier les 23 articles de l’ordonnance et à en créer 8 nouveaux, mais également à modifier le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale. Sur 19 18 Exposé des motifs de la loi. Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne le fond, le bouleversement n’était pas moindre, le projet de loi visant à combler les « failles dans le dispositif de contrôle des flux migratoires instaurées par la loi du 11 mai 1998 20 ». Néanmoins, cette révision s’inscrit dans la continuité des réformes précédentes. 21 « Marquée du sceau de la complexité », en ce qu’elle modifie pour la vingt-deuxième fois l’ordonnance du 2 novembre 1945, la loi du 26 novembre 2003 est emblématique de la volonté du législateur de tenter de concilier la maîtrise de l’ordre public avec la garantie des droits et libertés des étrangers. Ses principales innovations résident dans l’allongement du délai accordé au juge administratif pour statuer sur les recours formés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière et dans les modifications apportées aux catégories d’étrangers protégées par les articles 25 et 26 de l’ordonnance. Une nouvelle catégorie de reconduite à la frontière est ainsi créée, il s’agit de l’étranger qui, pendant la durée de validité de son visa, ou s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa pendant un délai de trois mois suivant son entrée sur le territoire, s’est mis en infraction avec la législation sur le travail. L’étranger qui méconnaît les dispositions de l’article L.141-1 du code du travail, c’est à dire celui qui exerce une activité salariée sans être titulaire de l’autorisation correspondante, est passible d’une décision de reconduite à la frontière. Il en va de même pour l’étranger qui est « passible de poursuites pénales sur le fondement des articles 222-39 et 222-39-1 du code pénal relatif au trafic de stupéfiants ». La première de ces dispositions fut vivement critiquée, car elle revient à sanctionner le travailleur irrégulier, et non son employeur. La seconde le fut également, car elle ne respecterait pas la présomption d’innocence. Néanmoins, aucune de ces dispositions ne fut censurée par le Conseil Constitutionnel. La loi SARKOZY introduit à l’article 26 bis de l’ordonnance de 1945 un alinéa prévoyant que le préfet peut décider la reconduite à la frontière d’office « lorsqu’un étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne, qui se trouve sur le territoire français, a fait l’objet d’une décision d’éloignement exécutoire prise par l’un des autres Etats membres de l’Union Européenne ». Cette disposition transpose avec près d’un an de retard la directive n°2001/40/CE relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers contre lesquels une mesure d’éloignement à été prise par un Etat autre que la France. Parallèlement, trois protections contre les reconduites à la frontières sont créées. Il s’agit tout d’abord de celle de l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. La seconde protection instituée est celle de l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans sans vivre en état de polygamie et qui dans le même temps, se prévaut de son mariage depuis au moins trois ans avec un ressortissant français. La troisième protection est celle de l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans sans vivre en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. 20 21 Exposé des motifs de la loi. Hélène MANCIAUX, La réforme de la reconduite à la frontière par la loi du 26 novembre 2003 : l’imbroglio juridique demeure, in AJDA, 18 octobre 2004, p. 1904. 19 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Ce sont donc désormais onze situations qui écartent l’édiction d’une décision de reconduite à la frontière, contre huit auparavant. Néanmoins la proximité des catégories visées entraîne une multiplication des cas de « double » ou « triple » protection. La seconde innovation de la loi n° 2003-1119 réside dans l’allongement du délai dans lequel le juge de la reconduite doit statuer. En effet, la loi du 26 novembre fait passer de 48 à 72 heures le délai dans lequel le juge de la reconduite doit statuer sur une demande d’annulation d’une mesure d’éloignement. En revanche, le délai de saisine du juge demeure inchangé et limité à 48 heures lorsque l’arrêté préfectoral est notifié par voie administrative et sept jours s’il l’est par voie postale. La justification en vient de l’allongement de la durée de rétention prévue par la réforme. En effet, l’urgence à statuer est moindre puisque la rétention est limitée à 32 jours et non plus 12 comme c’était le cas auparavant, ce qui permet donc une augmentation du délai de jugement. La rétention administrative se trouve également modifiée par cette réforme. La loi SARKOZY réécrit entièrement l’article 35 de l’ordonnance de 1945 tant sont nombreuses les modifications qu’elle lui apporte. La durée maximale de la rétention administrative est portée à 32 jours, c’est-à-dire 48 heures sur décision du préfet, puis 15 jours sur autorisation du juge des libertés et de la détention et de nouveau 15 jours au plus, « en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, ou lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui ci de son identité ou de l’obstruction volontaire faite à son éloignement ». Dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil Constitutionnel a validé cette durée, sous réserve toutefois que « l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient 22 ». Pour contrebalancer cette atteinte aux libertés publiques, le législateur à voulu améliorer la protection des destinataires de la rétention. Dans cette optique, l’administration doit respecter un délai raisonnable entre la décision de reconduite à la frontière et le placement en rétention : celle ci n’est possible que si l’APRF a été édicté moins d’un an auparavant. Les droits de la défense sont également redéfinis : à la formulation « l’étranger doit être informé de ses droits immédiatement » succède l’expression « dans les plus brefs délais ». La loi prévoit aussi la possibilité pour les étrangers placés en rétention administrative d’être assistés d’un interprète dans la langue de leur choix. De plus, le nouvel article 35 nonies de l’ordonnance de 1945 crée une « commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention » composée de magistrats, de représentants d’associations et de l’administration, chargée de « veiller au respect des droits des étrangers retenus et aux conditions de leur hébergement » et qui pourra « effectuer des missions sur place et faire des recommandations au gouvernement pour améliorer les conditions de rétention ». La loi n° 2003-1119 a également permis de mettre en œuvre une entreprise de er codification du droit des étrangers, qui à aboutit à l’entrée en vigueur au 1 janvier 2005 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA). 22 Décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003, Maîtrise de l’immigration et séjour des étrangers en France, JO 27 novembre 2003, p. 20154 20 Chapitre introductif : la lente autonomisation d'une prérogative régalienne *.La loi du n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, dite loi « Sarkozy II » La loi du 24 juillet 2006 est révélatrice d’un tournant dans la politique de l’immigration française. Ambitieuse parce qu’elle prétends poser les « fondements d’une nouvelle 23 politique de l’immigration », elle lie pour la première fois immigration et intégration, tout en affirmant une fois de plus la volonté du gouvernement de lutter contre l’immigration irrégulière. Plusieurs de ses dispositifs visent dès lors à rendre plus difficile le séjour des étrangers en situation irrégulière et l’un de ses principaux objectifs est de faciliter la procédure d’éloignement du territoire, en instaurant une nouvelle procédure simplifiée, er l’Obligation de Quitter le Territoire Français, « l’OQTF », entrée en vigueur le 1 janvier 2007. La loi procède ainsi au couplage des décisions de refus de séjour et d’une partie des décisions d’éloignement en adoptant une procédure déjà connue du droit belge. Jusqu’ici, le refus du droit au séjour s’accompagnait d’une invitation (non-exécutoire) à quitter le territoire, laquelle était assortie d’un délai d’un mois pour que l’étranger quitte effectivement le territoire. Si à l’issue de cette période l’étranger se trouvait encore sur le territoire, il faisait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière qui permettait alors l’exécution effective de la mesure d’éloignement. La loi n° 2006-911 « simplifie » les choses en décidant que le refus d’un titre de séjour peut être assorti d’une obligation de quitter le territoire qui fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé. Cette décision est exécutoire d’office par l’administration. Les décisions de refus de séjour assorties d’une OQTF se substituent donc aux APRF et aux invitations à quitter le territoire français. En théorie, l’instauration de l’OQTF devait répondre à l’accroissement important du contentieux administratif en matière de reconduites à la frontière (46% du contentieux des étrangers), en fusionnant ces trois décision (interdiction du territoire, arrêté de reconduite et décision fixant le pays de renvoi) qui faisaient auparavant l’objet de trois jugements différents. Dans la pratique, l’OQTF ne concerne que deux catégories de situation irrégulière et les arrêtés de reconduite à la frontière subsistent donc. Au terme de cette première approche historique, une tendance globale de l’augmentation de l’emprise de l’Etat sur la procédure de reconduite à la frontière est à constater. La politique imprègne véritablement cette branche du droit et le clivage droite/ gauche se reflète donc tant dans la construction législative de la reconduite à la frontière que dans la structure même de cette procédure. Celle ci tente d’équilibrer deux impératifs contradictoires, qui constitueront les deux grandes parties de ce mémoire : la volonté des autorités publiques d’assurer l’effectivité des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers en situation irrégulière ; et la garantie des droits fondamentaux de l’étranger. 23 Exposé des motifs de la loi. 21 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière Matière de police, le droit des étrangers et plus particulièrement l’éloignement des étrangers est imprégné de la préoccupation de maintenir l’ordre public et de prévenir les troubles dont il pourrait être l’objet. Il constitue à ce titre une compétence régalienne par excellence, ce qui explique que l’éloignement des étrangers ait toujours été confié au pouvoir exécutif. Avant l’instauration du préfet, l’éloignement des étrangers pouvait être confié indifféremment au gouvernement lui même 24 , ou au Ministre de l’Intérieur 25 . La décision de reconduite à la frontière est tout d’abord une décision préfectorale (1.1) dont l’exécution est confiée aux fonctionnaires de la Police aux Frontières (1.2). 1.1. Une décision préfectorale La loi du Consulat du 28 pluviôse en VIII instaura le préfet comme dépositaire de l’autorité de l’Etat, et le 22 janvier 1852, le Ministre de l’Intérieur lui confia l’éloignement des étrangers. Cette compétence ne lui a jamais été enlevé depuis, et fut au contraire réaffirmée à plusieurs reprises (notamment par la loi « PASQUA I »). Les préfets sont au cœur du dispositif administratif de la reconduite à la frontière. Ce sont eux qui décident de reconduire un étranger dans l’une des hypothèses de reconduite définies par la loi. Les préfets ont également la possibilité de prendre des mesures « accessoires » de la reconduite, comme la prolongation de la rétention administrative, ou la fixation du pays de renvoi. 1.1.1. Le rôle central du préfet Institué par la loi consulaire du 28 pluviôse an VIII, le préfet est à la tête de l’administration d’Etat dans sa circonscription. Seul haut fonctionnaire dont les compétences ont une base 26 constitutionnelle , il « a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». La loi du 9 septembre 1986 lui donna la compétence pour les reconduite à la frontière : « le représentant de l’Etat dans le département et à Paris le préfet de police peuvent décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière ». Cette faculté est expliquée par la compétence de principe du préfet de département en matière de délivrance des titres 24 25 Ainsi que le prévoyait la loi du 28 Vendémiaire an VII, ou le Code Civil de 1810 en son article 215 précité Loi du 3 décembre 1849, art 7 « le Ministre pourra par mesure de police, enjoindre à tout étranger voyageant ou circulant en France, de sortir immédiatement du territoire français et de le faire conduire à la frontière 26 22 Article 72 de la Constitution de 1958. Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière de séjour. Ce dernier est donc le mieux à même d’apprécier le caractère régulier ou non de la situation administrative d’un étranger sur le territoire français. 1.1.1.1. Le pouvoir discrétionnaire de reconduire Loin d’être synonyme d’arbitraire, cet adjectif signifie que le préfet a le pouvoir de choisir entre deux décisions ou deux comportements également conforme à la légalité. Exerçant son pouvoir discrétionnaire de reconduite, le préfet ne peut jamais faire que ce que le droit lui permet de faire ; mais il dispose d’une certaine marge de manœuvre. Saisi du cas d’un étranger, le préfet n’a pas l’obligation de le reconduire à la frontière, ni la loi, ni la jurisprudence ne l’y oblige : il peut également reconsidérer le cas de l’étranger et lui délivrer un titre de séjour. Le préfet n’a pas « une compétence liée », il exerce un pouvoir discrétionnaire légal. La situation irrégulière d’un étranger n’entraîne pas automatiquement le prononcé d’une mesure de reconduite. Celle-ci relève d’une appréciation fondée sur chaque cas d’espèce. Le préfet ne peut légalement décider de reconduire, ou d’obliger à quitter le territoire, qu’une fois avoir examiné le cas de l’étranger, dans le cas contraire, la mesure serait entachée d’illégalité et annulée. 1.1.1.2. La possibilité de déléguer L’importance des attributions préfectorales est telle que le préfet n’est pas en mesure de les exercer personnellement. Il a donc la possibilité de consentir à des délégations de compétence au profit de ses adjoints ou subordonnés. Des deux types de délégations de compétences, délégations de pouvoir et délégation de signature, c’est cette dernière qui est la plus fréquemment utilisée en matière de reconduite à la frontière 27 . Le préfet habilite nommément une personne (dans la majorité des cas son directeur de cabinet, son secrétaire général ou le sous-préfet d’arrondissement) à signer à sa place. Pour être régulière, une délégation de signature nécessite la réunion de cinq conditions : elle doit 28 être prévue par un texte , elle doit être explicite de façon à ne laisser aucun doute sur son existence ni sur l’identité du délégataire, elle doit être précise en ce qui concerne l’étendue des compétences déléguées, l’acte autorisant la délégation doit être publié, et la durée de la délégation doit être limitée dans le temps (la durée est limitée par l’exercice des fonctions de la personne qui délègue sa signature et par celle qui bénéficie de cette délégation). 1.1.1.3. La compétence territoriale du préfet La compétence territoriale du préfet en matière de reconduite a été définie de façon souple par la jurisprudence : il s’agit du critère du lieu de constat de l’irrégularité de la situation de l’étranger. Le préfet du département dans lequel a été constatée l’irrégularité de la situation d’un étranger au regard du CESEDA est compétent pour décider l’éloignement de l’intéressé 29 . Dans le cas de Paris, c’est le préfet de police qui est compétent pour prendre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière. 27 Entretien avec Mme THORY, directrice des Libertés Publiques et de la Citoyenneté, préfecture du Val d’Oise. 28 Concernant les préfets de département, c’est le décret du 10 mai 2004 qui leur permet de déléguer une partie de leurs attributions. 29 CE, 2 décembre 1992, Rutazigwa 23 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français 1.1.1.4. La compétence générale du préfet en matière de reconduite Pivot de la procédure de reconduite à la frontière, la compétence du préfet ne se limite pas à l’édiction de la mesure de reconduite à la frontière. Le préfet peut accompagner cette décision d’une mesure d’interdiction du territoire français, et d’une mise en rétention administrative afin d’exécuter la mesure d’éloignement. Le préfet fixe également le pays de destination de laquelle l’étranger sera reconduit. Enfin, conformément à l’article 72 de la Constitution, le préfet représente l’Etat devant les juridictions, administratives et judiciaires. 1.1.2. L’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière 1.1.2.1. Souplesse des règles de procédures… Contrairement à certains cas strictement encadrés par les textes, aucune procédure contradictoire n’est prévue pour l’édiction des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière. Le préfet doit certes procéder à un examen particulier de chaque affaire, mais il peut décider de reconduire un étranger sans être tenu de l’inviter préalablement à présenter ses moyens de défense. Ni la loi, ni la jurisprudence ne prévoient la possibilité pour l’étranger d’être entendu par des magistrats avant le prononcé de l’APRF, parce que la saisine du juge est suspensive. C’est lors du recours juridictionnel que se fait le débat contradictoire. L’arrêté de reconduite à la frontière doit être motivé en vertu de l’article L511-2 du CESEDA. La motivation consiste dès lors à énumérer dans le corps de l’arrêté, les considérations de droit et de fait qui fondent la décision. Si les règles de procédure conduisant à l’édiction d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont souples, le préfet doit toutefois respecter les motifs légaux des mesures de reconduite à la frontière. 1.1.2.2. …Fermeté des hypothèses La mesure de reconduite à la frontière n’est légalement possible que si l’intéressé entre dans l’un des cas de reconduite limitativement énumérés par la loi. Le champ d’application de cette mesure d’éloignement résulte de la liste des hypothèses de reconduite (11.2.2.1) à laquelle est soustraite la liste des étrangers protégés contre une telle mesure en raison de leur situation particulière (1.1.2.2.2). 1.1.2.2.1. Les motifs de la reconduite à la frontière La loi n° 2003-1119 à créé 3 nouveaux cas pour lesquels la reconduite à la frontière peut être prononcée. L’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut être pris dans 8 cas, énumérés à l’article L511-1 à L511-8 du CESEDA. L’APRF sanctionne l’irrégularité de la situation de l’étranger. Celle ci peut découler soit d’une entrée irrégulière sur le territoire français, soit d’un maintien irrégulier après l’expiration des titres de séjour. La violation des règles d’entrée sur le territoire est la première raison pour laquelle un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut être édicté. Aux termes de l’article L511-1, 1°, la reconduite à la frontière peut tout d’abord être prononcée à l’encontre de l’étranger qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le 24 Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière territoire français. La jurisprudence du Conseil d’Etat est venue préciser cette condition : le préfet de région ne peut prononcer un arrêté de reconduite à la frontière contre un étranger entré irrégulièrement sur le territoire, mais dont la situation aurait été régularisée a posteriori. Cette particularité ne concerne que les étrangers dont le statut de réfugié est reconnu par l’OFPRA. La violation des règles d’entrée sur le territoire représente environ 30% des cas dans lesquels une mesure de reconduite à la frontière est prononcée. Mais ce chiffre recouvre deux réalités très différentes selon qu’il s’agisse de la France métropolitaine ou de la France de l’outre-mer. En effet, en métropole les étrangers en situation irrégulière sont généralement entrés régulièrement sur le territoire, mais s’y sont maintenus irrégulièrement. En Outre-Mer, les entrées irrégulières sont massives, facilitées qu’elles sont par la proximité des pays sources et la perméabilité des frontières. Cette situation se vérifie particulièrement dans le cas de la Guyane dont la majeure partie des 1183 km de frontières est le fleuve Maroni (520 km), facilement traversable et difficilement contrôlable. La faiblesse du nombre des non-admis 30 (89 en 2004) rapportée au nombre de mesures de reconduites à la frontières prononcées (5319 31 ) illustre la perméabilité des frontières 32 . Les autres collectivités d’outre-mer, telles que Mayotte ou la Guadeloupe sont également touchées par les entrées irrégulières, qui reflètent l’accroissement des différences de niveau de vie ainsi que la situation politiques des pays environnants 33 . Les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière pris sur le fondement d’une entrée irrégulière représentent la majeure partie des mesures de reconduite édictées en Outre-Mer. L’autre motif permettant la délivrance d’un arrêté est le maintien irrégulier sur le territoire français, et concerne plus particulièrement la France métropolitaine. Ce motif est celui qui génère le plus grand nombre d’arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière en France métropolitaine. Les chiffres sont difficiles à obtenir car l’immigration irrégulière échappe par nature au recensement. De surcroît, les indicateurs sont peu fiables. Selon le rapport de la commission d’enquête sur l’immigration clandestine, on estime le nombre d’étrangers irréguliers entre 200 000 et 400 000 personnes. 63 681 personnes en situation irrégulière ont été interpellées au cours de l’année 2005, et plus de 47 000 d’entre elles se sont vues notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Aux termes du CESEDA, ce dernier peut être prononcé dans plusieurs hypothèses différentes. « Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré » article L511-1, 2° CESEDA. 30 31 C’est à dire les étrangers qui n’ont pas eu l’autorisation de rentrer sur le territoire. Source : http://www.contreimmigrationjetable.org/IMG/pdf/analyse_2006-07-24_outre-mer.pdf , page consultée le 20 mai 2007. Le site dont sont extraits ces chiffres est sujet à caution, mais au regard des statistiques officielles, les chiffres semblent juste, raison pour laquelle l’auteur à choisir de les citer. 32 33 Source : Rapport de la Commission d’enquête sur l’immigration clandestine, présidée par M. Georges OTHILY, 2005, p.36 L’aggravation de la situation politique d’Haïti à multiplié par 3 les demandes d’asile en 2005, source : Rapport de la Commission d’enquête sur l’immigration clandestine, présidée par M. Georges OTHILY,préc., p.21 25 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Ce cas de figure représente la majorité des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière. La jurisprudence du Conseil d’Etat à précisé le contenu de cette disposition. Le maintien en France malgré l’absence de demande de titre de séjour permet au préfet 34 d’édicter d’une mesure de reconduite à la frontière . Les étrangers qui séjournent en France plus de trois mois après leur entrée sur le territoire Schengen, ou qui sont non porteurs des documents permettant le franchissement des barrières externes peuvent également faire l’objet d’un APRF. « Si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois suivant l'expiration de ce titre », article L511-1, 4° CESEDA L’étranger qui demande à la préfecture le renouvellement de son titre de séjour temporaire se voit remettre un récépissé de sa demande. Celui-ci lui permet d’être considéré comme étant en situation régulière pour le temps que nécessite l’examen de sa demande. 35 Dès lors, la personne concernée ne peut se voir notifier un APRF . Au contraire, si l’étranger n’a pas demandé à faire renouveler son titre de séjour et qu’il est resté sur le territoire français, il n’est pas protégé contre l’édiction d’un APRF. Ces dispositions 36 s’appliquent à une demande de renouvellement présentée tardivement . Il en va de même s’agissant d'un étranger ayant demandé le renouvellement de son titre mais n’ayant pas 37 répondu à une demande en vue de compléter son dossier . L'intéressé doit être considéré comme ayant renoncé à sa demande de renouvellement dès lors qu’il ne s'est pas présenté au rendez-vous qui lui avait été fixé et qu’il n'a entrepris aucune démarche depuis 38 . « Si l'étranger a fait l'objet d'une condamnation définitive pour contrefaçon, falsification, établissement sous un autre nom que le sien ou défaut de titre de séjour » article L511-1, 5° CESEDA Cette disposition permet le prononcé de mesures de reconduites à la frontière à l’encontre d’étrangers condamnés pour contrefaçon, falsification, établissement sous un 39 autre nom que le leur ou défaut de titre de séjour . Par voie de conséquence, la reconduite à la frontière peut ici concerner un étranger en situation régulière. Une fois leur condamnation purgée, les étrangers se voient notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Ils sont dès lors placés directement en rétention administrative par le préfet, en attendant leur éloignement effectif. Toutefois, cette disposition est rarement appliquée dès lors que le juge pénal lui-même assortit en général la condamnation au principal de la sanction accessoire d’interdiction du territoire français, laquelle emporte de plein droit le prononcé d’une mesure de reconduite à la frontière. « Si l'étranger a fait l'objet d'un retrait de son titre de séjour ou d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont été 34 35 36 37 38 39 26 CE, 26 juill. 1991, Préfet Hautes Alpes c/ Arab, req. n° 124593. – 27 mai 1998, Préfet Alpes-Maritimes c/ Mejri, req. n° 181832 TA Versailles, 1er avr. 1997, Manuel Mananga c/ Préfet Val d'Oise, n° 971402R CE, 27 mai 1998, Préfet de police c/ Bouras, req. n° 175093 CE, 30 déc. 1998, Préfet Gironde c/ Tokpassi, req. n° 195243 CE, 6 janv. 1995, Préfet Pas-de-Calais, req. n° 146370 CE, 6 janv. 1995, Ntamack, req. n° 148700 Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en raison d'une menace à l'ordre public ». article L511-1, 7° CESEDA. C'est une innovation de la loi « Pasqua » de 1993 que d’avoir étendu le champ d’application de la reconduite à la frontière à des hypothèses d’étrangers en situation régulière mais ayant fait l'objet d’une décision de retrait, de refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour motivés par une menace à l'ordre public. Cette hypothèse semble redondante par rapport aux termes de l’article L511-1 du CESEDA régissant l’expulsion. Opérant un rapprochement entre la reconduite à la frontière et l’expulsion, cette hypothèse traduit la volonté du législateur de traiter de manière spécifique l’étranger qui trouble l’ordre public. Reste qu’en pratique, cette procédure permet de réaliser une 40 « expulsion déguisée », sans que l’intéressé ne bénéficie des garanties de procédure et de fond applicables à l’expulsion. Cette « dérive » du champ d’application de la mesure de reconduite à la frontière a ensuite été poursuivie par l’insertion par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure dans l’ex-article 22-I-2 d’un nouveau cas de reconduite à la frontière concernant l’étranger « dont le comportement a constitué une menace pour l’ordre public pendant la durée de son visa, ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, pendant la période de trois mois à compter de son entrée sur le territoire français ». L’introduction de cette nouvelle possibilité accroît de fait la confusion entre la reconduite à la frontière et l’exclusion. « Si pendant la période de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, pendant la période définie au 2º ci-dessus, le comportement de l'étranger a constitué une menace pour l'ordre public ou si, pendant cette même durée, l'étranger a méconnu les dispositions de l'article L. 341-4 du code du travail », article L.511-1, 8° CESEDA Introduit par la réforme du 26 novembre 2003 afin de sanctionner le travail clandestin, cet article constituait l’une des principales innovations de la loi n°2003-119. Aux termes de cette loi, les étrangers ayant méconnu les dispositions de l’article L.341-4 du code du travail, c’est-à-dire ayant exercé une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu d’autorisation de travail peuvent se voir notifié un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. L’exposé des motifs de la loi traduit la préoccupation du législateur de prendre en 41 considération « l’aspect économique et humain » de l’immigration irrégulière. Une enquête menée par l’Inspection Générale de l’Administration de novembre 1999 à août 2000 a montré que les étrangers en situation irrégulière employés clandestinement percevaient des rémunérations très inférieures au SMIC. Certaines branches d’activité (aux premiers rangs desquels les bâtiments-travaux publics, le secteur hôtelier ou agricole) sont plus exposées au travail illégal. Il s’agit de secteurs connaissant de fortes difficultés de recrutement, que la main d’œuvre clandestine peut permettre de pallier. En sanctionnant le non respect du code du travail, l’objectif du législateur était de garantir l’application de normes sociales minimales et par là, de maintenir l’ordre public social. Par cette loi, l’inspection du travail se voit dotée de pouvoirs spéciaux jusqu’alors réservés aux forces de l’ordre, puisque l’URSSAF et les inspecteurs du travail pourront contrôler l’identité et le titre de séjour des étrangers 40 41 42 42 . Ils doivent également constater Xavier Vandendriessche, Droit des Etrangers, Connaissance du droit, Dalloz, 2005 Exposé des motifs de la loi du 26 novembre 2003. Art. 34 nonies du projet de loi modifiant l'article L. 611-8 du Code du travail 27 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français l’infraction commise par l’étranger démuni d’autorisation de travail, et en référer aux préfets. Ces derniers peuvent alors prononcer un arrêté de reconduite à la frontière. Ce nouvel article accroît la confusion entre la reconduite à la frontière et l’expulsion dans la mesure où la référence au code du travail s’écarte de la définition traditionnelle de la reconduite à la frontière. Le champ d’application de la reconduite à la frontière est élargi au point pour certains auteurs de perdre de sa lisibilité. La reconduite à la frontière deviendrait une « mesure fourre- tout 43 ». Reconduites à la frontière et accords de Schengen L’article L511-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a prévu que puissent être reconduit à la frontière les étrangers non ressortissants d’un Etat membres de l’Union Européennes. Deux conditions sont toutefois nécessaires pour une telle reconduite : l’étranger intéressé ne doit pas avoir remplies les conditions d’entrée prévues (c’est-à-dire qu’il n’ait pas demandé de visa), ou il ne peut justifier être entré sur le territoire métropolitain (puisque la Convention de Schengen ne s’applique pas pour l’outremer) conformément aux règles prévues. La prise en compte des accords de Schengen a permis une reconnaissance mutuelle des mesures d’éloignement entre les Etats membres. Lorsqu’un étranger en situation irrégulière fait l’objet d’une mesure d’éloignement dans un pays partie à la convention, le pays dans lequel réside l’étranger peut exécuter cette mesure d’éloignement. 1.1.2.2.2. La protection contre les mesures de reconduite à la frontière La loi n°2003-1119 a modifié la liste des étrangers protégés contre les mesures de reconduites à la frontières, en créant 3 nouvelles protections portant de fait à 11 le nombre de cas dans lesquels une telle mesure ne peut être prononcée. Ces protections sont également valables pour les Obligations de Quitter le Territoire Français. Les hypothèses suivantes sont fondamentales pour les reconduites à la frontière, car les étrangers faisant l’objet d’une telle mesure se réclament d’une de ces catégories devant le juge administratif. « L'étranger mineur de dix-huit ans », article L511-4 CESEDA Cette protection provient directement de la tradition juridique française, et se trouve confirmée par d’autres dispositions conventionnelles telles que la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990. Les mineurs sont la seule catégorie d’étrangers qui échappe totalement aux mesures d’éloignement, car ils n’ont pas à avoir un titre de séjour. La Cour Administrative d’Appel a de plus jugé qu’un mineur n’avait pas le droit à un titre de séjour 44 . Aux termes de cet alinéa, un préfet ne peut donc prononcer la reconduite à la frontière d’un mineur étranger. Mais cette protection n’est pas une protection par « ricochet », c’està-dire que la présence de mineurs n’empêche pas l’édiction d’une mesure de reconduite à la frontière pour leurs parents, dès lors qu’il n’existe aucune circonstance mettant les intéressés dans l’impossibilités d’emmener leurs enfants avec eux 45 . La protection des mineurs cesse à la majorité de la personne. 43 44 45 28 Hélène Manciaux, La réforme de la Reconduite à la frontière : l’imbroglio juridique demeure, AJDA 18 octobre 2004, p. 1904 CAA Nancy, Ministre de l’Intérieur c/ Mme AZOUGGAH, 16 février 2006 CE, 27 janv. 1992, Préfet Seine-et-Marne c/ YUKSEL, req. n° 124680 Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière « L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans », article L511-4, 2° du CESEDA. Cette protection se justifie par la volonté du législateur d’offrir une protection particulière aux étrangers dont le lien avec la France est particulièrement fort. Ce dernier se prouve par tout moyen, et est fréquemment invoqué devant les juridictions administratives. En effet, cette protection est particulièrement destinée aux personnes arrivées en France dans les années 70 par la voie du regroupement familial, sans avoir été pour autant régularisées. Cette disposition protège donc les enfants des travailleurs immigrés qui se sont établis en France pendant les Trente Glorieuses, et qui ne connaissent pas leur pays d’origine, dont ils conservent pourtant la nationalité. Cet alinéa protège donc d’une mesure de reconduite à la frontière les personnes ayant toujours vécu en France. « L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant" » article L511-4, 4° du CESEDA 46 Là encore, la résidence habituelle se prouve par tous moyens. Comme pour l’alinéa précédent, la fixation à 10 ans de la durée de vie en France a pour vocation de vérifier l’attachement de la personne étrangère au pays d’accueil et de protéger les liens qu’elle y a noués. « L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans », article L511-4, 5° CESEDA Créée par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, cette disposition protège également la vie que l’étranger a pu construire en France, en prenant en considération la régularité de sa situation précédente. Celle ci serait un gage de bonne intégration et de bonne foi pour l’administration qui ne peut donc reconduire à la frontière les étrangers concernés. La jurisprudence du Conseil d’Etat a précisé le contenu du calcul de la durée. Toute interruption doit être ponctuelle et non répétée, afin de ne pas interrompre la durée de résidence habituelle en France 47 . « L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans », article L 511-4, 6° CESEDA Seconde des trois nouvelles protections mises en place par la loi n°2003-1119, cette disposition introduit pour la première fois, une considération d’ordre public dans les hypothèses protégées. L’étranger doit formellement prouver qu’il se conforme à la législation sur le mariage en n’étant pas polygame, et il doit démontrer l’existence de sa contribution à l’éducation de son enfant. La prise en charge s’apprécie sur une période assez longue et le Conseil d’Etat a considéré qu’il ne « saurait être fait grief à un étranger privé temporairement d'emploi du fait qu'il n'a pu subvenir pendant cette période aux besoins matériels de son enfant ». En 46 Le 3° « L'étranger qui justifie par tous moyens qu'il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant" » a été abrogé par la loi n° 2003-1119. 47 CE, 5 janvier 2005, Préfet de police c/ Turak. 29 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français revanche, l'étranger qui n’exerce aucune profession ne peut être regardé comme subvenant effectivement aux besoins de son enfant. 48 Cette clause est à mettre en relation avec d’autres dispositions de la loi, visant à limiter le regroupement familial. Celui-ci n’est désormais possible que lorsque les parents apportent la preuve de leur capacité à élever des enfants. Dans le cas contraire, ils ne peuvent se prévaloir de leur rôle de soutien de famille et ne sont donc pas protégés contre les mesures de reconduite à la frontière. « L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française », article L 511-4, 7° CESEDA La durée de mariage susceptible de protéger d’une mesure d’éloignement a été durcie par la loi n°2003-1119, passant d’un à trois ans. Le Conseil Constitutionnel a maintes fois affirmé qu’il « appartient au législateur d’apprécier les conditions dans lesquelles les droits de la famille peuvent être conciliés avec les impératifs d’intérêt public » 49 . Cette durée s’applique strictement et ne tient pas compte d’une période antérieure de concubinage , ou d’un veuvage 51 50 . Le maintien de la communauté de vie constitue une condition indispensable pour 52 bénéficier de la protection . Le préfet est fondé à considérer que celle ci n’existe plus lorsque l’un des deux époux quitte le domicile conjugal deux mois avant la décision de reconduite à la frontière procédure de divorce 54 53 , ou lorsque les conjoints résident séparément pendant une . En revanche, l’incarcération de l’intéressé ne suffit pas à faire regarder la communauté de vie entre les époux comme ayant disparu 55 . « L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2º, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage », article L 511-4, 8° CESEDA Dernière « nouveauté » instaurée par la loi du 26 novembre 2003, cette disposition a été créée afin de mieux protéger certaines situations familiales fréquentes et de garantir au mieux le respect de la vie familiale. L’étranger en situation irrégulière marié à une personne elle même en situation irrégulière, mais qui vit en France depuis l’âge de 13 ans, se voit ainsi protégé contre les mesures d’éloignement. 48 49 50 51 52 CE, 28 juill. 1993, Camara Conseil Constitutionnel, 3 septembre 1986 n°86-216 DC ; 13 août 1993 n°93-325 DC. CE, 30 juill. 1997, Souam-Thomas, req. n° 180961 CE, 29 juill. 1994, Arndt : Rec. CE, tables p. 939 CE, 11 juin 1997, Préfet Hauts de Seine c/ Jenan, req. n° 181659. – 22 sept. 1997, Gurbuz, req. n° 173039. – 27 mai 1998, Préfet Alpes maritimes c/ Mejri, req. n° 181832. – 13 janv. 1999, Barrou, req. n° 199193 53 54 55 30 CE, 28 févr. 1997, El Mounsi, req. n° 174814 CE, 30 avr. 1997 Préfet Moselle c/ Bengrira, req. n° 174788 CE, 3 mars 1997, Sadeg, req. n° 163153 Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière « L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % », article L 511-4, 9° CESEDA Cette hypothèse vise directement à protéger les travailleurs immigrés venus s’établir en France, et répond à une « nécessité de justice sociale ». La participation de ces travailleurs à la reconstruction d’après guerre exigeait en retour des garanties de protection. Lors de l’alternance législative sous le mandat de Jacques Chirac, la majorité socialiste modifia par la loi du 11 mai 1998 la liste des hypothèses protégeant d’une mesure de reconduite à la frontière en introduisant cette possibilité. Dès lors qu’ils ont été reconnus invalides par le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles, les étrangers ne peuvent se voir notifier une mesure d’éloignement. Il en va de même lorsque qu’ils perçoivent des pensions d’invalidité versées suite à un accident du travail et l’allocation supplémentaire servie par le Fonds national de solidarité 56 . « L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi », article L511-4, 10° CESEDA Introduite par la loi Debré du 24 avril 1997, cette hypothèse est aujourd’hui l’une des plus fréquemment invoquée devant les Tribunaux Administratifs. Cette disposition souffre en effet de sa trop grande imprécision : il était prévu dans le projet de loi de l’articuler avec 57 les dispositions de l’article D. 322-1 du Code de la sécurité sociale , qui fonde la notion d’affection de longue durée. Mais la proposition ne fut pas retenue lors de l’adoption du projet de loi. Aux termes de la loi, cette protection ne protège que l’étranger qui établit que le traitement qu’il doit suivre ne peut lui être prodigué dans son pays d’origine 58 , et que le 59 défaut de traitement entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité . Le Conseil d’Etat a considéré que cette protection n’était pas subordonnée à la condition que l’étranger ait commencé le traitement 60 . Si l’étranger soutient qu’il ne peut bénéficier du traitement approprié dans son pays 61 d’origine, la charge de la preuve contraire appartient au préfet . Dans tous les cas, le préfet est tenu de recueillir l’avis médical sur la nécessité pour un étranger de poursuivre son séjour pour motif de santé. L’article 7-5 du décret du 30 juin 1946 précise que l’état de santé de l’intéressé est constaté par un « avis du médecin inspecteur de santé publique de la DDASS émis au vu d'un rapport établi par un médecin agréé ou praticien hospitalier et des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d'origine ». 56 57 58 59 60 61 CE, 29 avr. 1998, Préfet Loire c/ Saïd Benmira, req. n° 189912 article qui recense 30 affections considérées comme des maladies graves au sens de la Sécurité Sociale. CE, 8 juill. 1998, Préfet Alpes-Maritimes c/ Ben Chora, req. n° 187441 CE, 17 févr. 1999, Préfet Essonne c/ Samba Pene, req. n° 200096 CE, 17 févr. 1999, Préfet de police c/ Hoyos Ospina, req. n° 192881 CE, 3 novembre 1999, N’Satou, req n°200065. 31 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français « Le ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de sa famille, qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 122-1. », article L511-4, 11° Cette disposition concrétise le principe de libre circulation des hommes affirmé par la construction européenne et mis en œuvre par la Convention de Schengen. Les frontières ont ainsi été progressivement démantelées, et les étrangers des pays membres de 62 l’Union Européenne bénéficient par leur citoyenneté européenne d’un droit de séjour sur le territoire français, en vertu duquel ils ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Protection liée à l’impossibilité de reconduire certaines personnes auxquelles doit être délivré de plein droit un titre de séjour. Indépendamment de la liste fixée par l’article L511-4 du CESEDA des catégories d’étrangers ne pouvant faire l’objet d’une mesure d’éloignement, les articles L 313-11 et L313-12 du CESEDA ajoutent une garantie supplémentaire. Ces deux articles prescrivent que s’il remplit ces conditions, l’étranger doit se voir délivrer un titre de séjour lequel fait obstacle au prononcé d’une mesure de reconduite à la frontière. Bien que recouvrant un large éventail d’hypothèses, la protection instituée par le législateur comporte certaines limites. La proximité des situations visées rend inévitable le chevauchement de certaines d’entre elles, et certains étrangers en situation irrégulière bénéficient d’une double ou triple protection. La principale limite de la protection législative concerne « l’après ». L’étranger protégé ne se voit pas automatiquement remettre de titre de séjour et reste de fait exposé à des poursuites pénales pour infraction à la législation sur les étrangers. Il se crée alors des situation « ubuesques » dans lesquelles les étrangers ne sont ni « régularisables », ni « éloignables ». 1.1.3. Les autres décisions du préfet Le préfet peut prendre d’autres décisions pour éloigner les étrangers en situation irrégulières. La loi du 24 juillet 2006 a créée une nouvelle procédure d’éloignement (1.1.3.1). Dans le cadre de sa mission, le préfet est également amené à prendre d’autres décisions annexes telles que la mise en rétention administrative (1.1.3.2), la décision fixant le pays de renvoi (1.1.3.3). 1.1.3.1. L’Obligation de Quitter le Territoire Français L’article 52 de la loi du 26 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, a créé l’Obligation de Quitter le Territoire Français, qui accompagne les refus de titre de séjour, les refus de renouvellement et retraits de titres de séjour (article L511-1,1° du CESEDA). Ces hypothèses, ex-articles L511-1, 3° et L511-1, 6° du CESEDA, étaient autrefois susceptibles d’entraîner le prononcé d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Depuis l’entrée en vigueur, le 29 décembre 2006 de cette réforme, le préfet peut assortir ses décisions de refus de séjour d’une Obligation de Quitter le Territoire Français, laquelle est exécutoire d’office dès l’expiration du délai d’un mois après la notification. 62 32 Instituée par le Traité de Maastricht du 26 février 1992. Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière L’OQTF a été crée afin de simplifier le travail des préfets (et des magistrats administratifs) concernant l’éloignement des étrangers, ainsi que pour répondre à l’urgence. Le contentieux de l’éloignement des étrangers est régi par l’urgence, les délais d’action sont très courts, ce qui peut mener le préfet aux limites de la légalité. La création de l’OQTF correspond a la volonté de rationaliser les procédures d’éloignement et est le prolongement de l’APRF. L’OQTF associe à la décision préfectorale statuant sur le refus de séjour une obligation de quitter le territoire, exécutoire après un délai d’un mois. Cette réforme est directement inspirée du projet de directive européenne sur les normes et procédures communes en matière d’éloignement du territoire. La principale innovation de l’OQTF telle qu’instituée par la loi du 24 juillet 2006, consiste en la fusion entre la décision d’éloignement elle même, et la décision fixant le pays de destination. Les règles applicables à la reconduite à la frontière s’appliquent également à l’OQTF, notamment en ce qui concerne les personnes protégés contre les mesures de reconduite à la frontière (CESEDA, art L-511-4°), avec quelques modifications toutefois. L’étranger qui a résidé habituellement en France depuis plus de quinze ans ne bénéficie plus de cette protection, le conjoint de français doit avoir 3 ans de vie commune, et les ressortissants communautaires ou de la Confédération Suisse sont ajoutés à cette liste 63 . Afin d’assurer l’effectivité de l’éloignement, le préfet peut, tout comme pour l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, assortir l’OQTF d’une demande de rétention administrative. 1.1.3.2. La mise en rétention administrative Un arrêté préfectoral ne peut être exécuté avant l’expiration du délai de recours (quarante64 huit heures ) devant le tribunal administratif. A ce délai suspensif d’exécution s’ajoute le délai nécessaire pour que le magistrat administratif statue. De plus, l’exécution immédiate d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière est le plus souvent, matériellement impossible. L’administration doit en effet réserver une place sur un avion, ou un ferry à destination du pays de renvoi, l’étranger doit être en possession d’un document de voyage (passeport et laissez-passer consulaire). Il existe donc avant toute exécution d’une mesure d’éloignement des délais incompressibles pendant lesquels une surveillance des étrangers reconduits s’avère nécessaire. L’administration doit en effet être a même de s’assurer de 63 Article L511-1 CESEDA : Loi nº 2006-911 du 24 juillet 2006 art. 50, art. 51, art. 52 Journal Officiel du 25 juillet 2006) I. - L'autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l'existence d'une menace à l'ordre public, peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l'étranger sera renvoyé s'il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa (1). La même autorité peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse à quitter le territoire français lorsqu'elle constate qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par l'article L. 121-1. L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai d'un mois à compter de sa notification. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d'office par l'administration. Les dispositions du titre V du présent livre peuvent être appliquées à l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent. L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut solliciter le dispositif d'aide au retour financé par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, sauf s'il a été placé en rétention. 64 Article L512-3 CESEDA 33 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français la présence d’étrangers dont elle peut penser qu’ils ne défèreraient pas spontanément à la mesure de reconduite. C’est la raison pour laquelle la loi « Bonnet » du 10 janvier 1980 introduisit dans l’ordonnance de 1945 la possibilité pour l’administration de retenir les étrangers éloignés dans des « locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pendant le temps strictement nécessaire à l’organisation du départ ». Cette loi codifie une pratique instituée en 1810 sur la base de l’article 120 du Code Pénal, qui autorisait implicitement la détention des étrangers. En effet, la détention arbitraire n’était pas sanctionnée dès lors qu’il s’agissait de personnes étrangères. Depuis cette loi, le préfet est seul compétent pour décider du placement initial en centre ou en local de rétention, pour une durée de quarante-huit heures. Cette décision est motivée par le fait que l’étranger « ne peut quitter immédiatement le territoire français », en raison de conditions matérielles objectives. A l’issue de cette première période, si la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée malgré les diligences de l’administration, le préfet peut demander au Président du Tribunal de Grande Instance une première prolongation de la rétention. Usuellement fixée à six jours, cette prolongation est de quinze jours depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2003-1119. Le président du Tribunal de Grande Instance ou le juge des Libertés et de la Détention statue par ordonnance, après audition du représentant de l’administration et de l’étranger. Si, aux termes de cette première prolongation, la mesure d’éloignement n’a toujours pas été exécutée, le préfet a la possibilité de demander une prorogation pour un délai de cinq jours ou de quinze jours supplémentaires. Le préfet dispose donc d’un maximum de 32 jours pour organiser l’éloignement effectif de l’étranger. 1.1.3.3. La décision fixant le pays de renvoi C’est un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat qui a consacré la distinction entre la mesure de reconduite à la frontière et la décision complémentaire fixant le pays à destination duquel 65 l’étranger sera reconduit . Cette distinction à été consacrée par la loi du 24 août 1993 à l’article L.513-3 du CESEDA. Le fondement de cette distinction jurisprudentielle repose sur l’idée que le but premier de reconduite à la frontière est de sanctionner une situation irrégulière. Or l’éloignement dans le pays d’origine peut parfois s’avérer impossible parce que l’étranger y encoure des risques particuliers, soit de par sa situation personnelle, soit de par la situation politique du pays. Le préfet peut alors entreprendre des démarches afin de trouver un pays d’accueil pour l’étranger. La décision fixant le pays de renvoi n’obéit à aucune condition formelle, le choix de la destination relevant le plus souvent d’un certain nombre d’indices. Lorsque la nationalité de l’étranger est connue, c’est à dire lorsque l’étranger a apporté la preuve par un passeport, des diplômes, des témoignages d’autres nationaux… Le préfet contacte alors les autorités consulaires du pays, en vue de l’obtention d’un laissez-passer consulaire. Dans le cas contraire, lorsque l’étranger ne révèle pas son identité ou qu’il n’est pas possible de le reconduire dans son pays d’origine, le préfet doit choisir un autre pays. Peut alors être choisi un pays géographiquement ou culturellement proche, ou le préfet peut demander à entendre l’étranger qui lui indique une destination. Une nouvelle demande de laissez-passer consulaire est alors engagée. 65 34 CE. Ass. 6 novembre 1987 Buayi, AJDA 1987, p. 765 Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière La décision de renvoi, juridiquement distincte de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, peut être annulée séparément par le juge administratif, mais elle doit être soulevée en même temps que l’arrêté. 1.2. L’exécution de la reconduite à la frontière 1.2.1. Le processus 1.2.1.1. L’exception : l’exécution spontanée Lorsque l’étranger en situation irrégulière se voit notifié un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, il dispose d’un délai d’un mois pour quitter le territoire. Diverses aides ont été prévues pour faciliter le retour, parmi lesquelles l’aide au retour des étrangers en situation irrégulière. Cette aide versé par l’Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des migrations peut atteindre 6500€ pour un couple marié avec 3 enfants mineurs. Afin d’assurer l’effectivité du retour, les aides sont versées dans le pays d’accueil. L’exécution spontanée ne représente cependant qu’une infime proportion de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière : 2000 retours ont ainsi eu lieu en 2006, 66 et 1000 en 2005 . Dans la grande majorité des cas, les services préfectoraux sont amenés à demander l’aide de la Police Aux Frontières afin de faire exécuter les mesures d’éloignement. 1.1.2.2. La police aux frontières A l’origine, en 1811, la police aux frontières était un simple service administratif dans les gares. Lorsqu’il devient ministre de l’intérieur en mars 1906, Georges ClÉmenceauconstate avec surprise « la faiblesse de la sûreté générale et l’insuffisance dramatique de la police ». Son discours d’intronisation est le point de départ à la constitution de la police aux frontières comme un corps policier à part entière. En 1973, elle devient un service central autonome sous le nom de Police de l’Air et des Frontières. Un décret du 29 janvier 1999 finalise la Police Aux Frontières en tant que direction spécialisée de la police nationale, et lui attribue différentes missions. Aux termes de ce décret, la Direction Centrale de la Police aux Frontières, (DCPAF) est chargée de « veiller au respect des textes relatifs à la circulation trans-frontière ainsi que d'animer et de coordonner l'action des services de police nationale en matière de lutte contre les infractions liées à l'entrée et au séjour des étrangers en France ». L’essentiel de son action consiste à lutter contre « l’immigration irrégulière », et de là, à exécuter les décisions d’éloignement décidées au niveau préfectoral. Afin de remplir cette mission, la DCPAF a été réorganisée en 2003. Elle se compose actuellement d’un Etat major et de trois sous directions. 66 Source : http://www.france24.com/france24Public/fr/nouvelles/france/20070524-france-hortefeux-immigration- codeveloppement.html , page consultée le 25 mai 2007. 35 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français L’état major assure la circulation de l’information relative à toutes les activités de la police aux frontières. Il lui est rattaché l’Unité nationale d’escortes, de soutien et d’intervention, qui est chargée des escortes internationales, de l’appui aux services déconcentrés et du fichier national trans-frontière. L’état major est assisté de trois sousdirections, chargées d’orienter et d’évaluer l’action de la PAF et d’animer la coordination nationale interministérielle mise en place en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Deux d’entre elles interviennent plus particulièrement dans l’exécution des mesures d’éloignement. Il s’agit d’une part de la sous direction de la lutte contre l’immigration irrégulière, et d’autre part, de la sous direction relative aux affaires internationales, transfrontières et à la sûreté. Cette dernière participe à la conception et à l’application des textes relatifs à la réglementation nationale et européenne dans le domaine de compétences de la direction centrale de la police aux frontières. Elle travaille en liaison avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du Ministère de l’Intérieur. Elle coordonne et anime l’action conduite en matière de contrôle trans-frontière en liaison avec les autres administrations concernées par cette mission. C’est également elle qui assure la mission d’assistance juridique des services déconcentrés de la direction centrale de la police aux frontières. Enfin, elle coopère avec d’autres polices en participant à la conduite d’actions de coopérations policières au niveau européen. Il existe en effet 10 centres de coopération policière et douanière (CCPD) mis en place avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg et la Suisse. La sous direction de la lutte contre l’immigration irrégulière est celle qui joue le plus grand rôle dans l’éloignement des étrangers. En effet, il lui revient la coordination nationale de la lutte contre toutes les formes d’immigration illégale, et c’est elle qui met effectivement en œuvre l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Elle est également chargée d’améliorer les méthodes de détection des faux documents de voyage. Elle est assistée dans sa mission par l’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titres, l’OCRIEST, qui supervise l’activité des unités d’investigations des services déconcentrés. Il est également rattaché à la sous direction de la lutte contre l’immigration irrégulière la brigade des chemins de fer qui contrôle la lutte contre l’immigration irrégulière empruntant le vecteur ferroviaire. Au plan déconcentré, la DCPAF est représentée par 7 directions zonales (DZPAF), 6 directions (DPAF), 44 directions départementales et 67 services de la police aux frontières (SPAF) lui permettant de contrôler 67 aéroports, 27 ports et 65 postes ferroviaires et 67 terrestres . Ce sont les fonctionnaires des SPAF qui sont chargés de faire exécuter matériellement les mesures de reconduite prononcées par le préfet. L’éloignement des étrangers en situation irrégulière était l’un des thèmes privilégiés de la campagne électorale. La victoire de Nicolas SARKOZY à permis de réaliser la création d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Codéveloppement, sur le modèle de ce qui existe en Grande-Bretagne, au Québec ou au Luxembourg. Bien que les décrets n’aient pas encore été publiés à l’heure où l’auteur termine ce mémoire, il est permis de penser que l’exécution des mesures d’éloignement sera l’une des missions de ce ministère. Cette mission correspondrait à la volonté affirmée durant la campagne de réunir dans un même portefeuille l’ensemble des services s’occupant des étrangers en France, depuis l’entrée sur le territoire jusqu’au départ. Il est possible que la 67 36 http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_l_interieur/la_police_nationale/organisation/dcpaf , page consultée le 20 mai 2007. Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière Police Aux Frontières soit alors co-gérée par le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Co-développement. 1.1.2.3. L’exécution de l’éloignement Lorsqu’une mesure d’éloignement à été prononcée à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière, la charge de l’exécution en revient aux fonctionnaires de la police aux frontières. Ceux ci prennent alors en charge l’étranger retenu au centre de rétention. Deux situations se présentent alors à eux : si l’étranger dispose de documents de voyages authentiques, c’est-à-dire d’un passeport en cours de validité et d’un laissez-passer consulaire, l’exécution de la mesure d’éloignement pourra être réalisée. Les fonctionnaires contactent alors l’agence Havas qui se charge de réserver le moyen de transport, et transmet la date de départ au Centre de Rétention où est retenu l’étranger. Ce dernier est alors placé sous escorte policière et l’éloignement a lieu. Dans le cas contraire, lorsque l’étranger n’est pas documenté, c’est à l’administration française que revient la charge de la preuve de l’identité de l’intéressé. L’étranger est présenté devant le consulat de son pays d’origine, qui doit lui délivrer un laissez passer consulaire, titre de voyage tenant lieu de passeport. Les étrangers doivent être en mesure de justifier de leur identité, en apportant la preuve de leur nationalité par des documents officiels ou des témoignages de personnes de leur nationalité. Si le Consulat reconnaît l’étranger comme un de ses nationaux, l’éloignement a lieu. Mais si le Consul ne reconnaît pas l’étranger, il doit signer un Procès Verbal de non-reconnaissance, et l’éloignement est provisoirement interrompu. Une procédure judiciaire est alors engagée sur le motif de l’obstruction de l’étranger à son identification, pouvant amener à une incarcération à l’issue de laquelle la procédure d’éloignement recommence. Ces hypothèses sont cependant relatives, car le placement en rétention concerne surtout les étrangers dont l’éloignement est possible car ils ont été formellement identifiés et reconnus par leur consulat. C’est d’ailleurs ce qui explique que le taux d’éloignement effectif des étrangers placés en centre de rétention administrative soit actuellement de 72%. L’éloignement peut avoir lieu par différents moyens de transports, tels que l’avion, le bateau ou encore le convoyage en voitures de police. Pour des raisons pratiques, l’éloignement aérien est le plus fréquemment utilisé. Il peut avoir lieu indifféremment sur des avions de ligne régulières, ou sur des « charters » spécialement affrétés par le gouvernement français, ou en coopération avec d’autres pays européens. Lorsqu’il s’agit d’avions de ligne, les reconduits sont amenés au pied de l'avion par un véhicule administratif une heure et demie avant le décollage. Les étrangers sont escortés par des policiers du Service de la Police Aux Frontières de l’aéroport de départ. Il existe un nombre maximum de places réservées à l’éloignement, déterminées en fonction du nombre de reconduits, de la taille de l’escorte policière, et de la capacité de l’avion de ligne. 1.2.2. Les difficultés de la mise en œuvre de l’éloignement 1.2.2.1. Les difficultés matérielles Les difficultés relatives à l’exécution de l’éloignement sont triples. Elle résident tout d’abord dans la difficulté d’obtention des laissez passer consulaires, elles proviennent ensuite des 37 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français modalités d’organisation avec les compagnies aériennes, et elles sont enfin aggravées par la violence inhérente à l’éloignement, mais particulièrement présente dans le cas des reconduites par voie aérienne. Une première difficulté empêchant la mise en œuvre de l’éloignement est la difficulté d’obtention des laissez-passer consulaires. Cette difficulté est fréquemment couplée à la « perte » du passeport. Or l’étranger qui ne peut présenter de passeport ne peut être éloigné sans laissez-passer consulaire. Ce titre de transport qui tient lieu de passeport est indispensable à l’éloignement. C’est au préfet qu’il appartient de faire les démarches auprès du Consulat de l’intéressé. En effet, dès que l’étranger est placé en rétention, la préfecture envoie par fax le dossier de l’intéressé au consulat du pays dont il est supposé être le ressortissant (elle se fonde en général sur la nationalité déclarée à l’entrée en France ou sur la langue parlée lors de l’audition). Deux cas de figure se présentent alors : soit le consulat accepte de « coopérer » et l’étranger y est conduit sous escorte policière pour un entretien visant à déterminer s’il est bien ressortissant de ce pays ; soit le consulat refuse d’apporter son concours aux autorités préfectorales et ne délivre aucun laissez-passer, ni au bout de sept, ni au bout de douze, ni au bout de trente-deux jours. C’est en particulier le cas des consulats d’Irak et de Palestine, mais aussi d’Iran et d’Egypte. D’autres consulats (Cameroun, Chine, Tunisie et Maroc) délivrent ces documents au compte goutte, selon que le ressortissant a commis, ou non une infraction. En effet, les consulats sont partagés entre deux injonctions contradictoires. Le droit international leur impose en principe de réadmettre leurs ressortissants, mais ils doivent également défendre leurs intérêts face à un Etat tiers. Cette contradiction explique les différences de délivrances de laissez-passer consulaires d’un pays à l’autre. Certains pays se montrent particulièrement coopératifs comme l’illustre le tableau (voir en annexe ?). Le rapport 2003 sur les centres et locaux de rétention de la CIMADE souligne que les pays les plus coopératifs sont la Roumanie et la Turquie, tous deux candidats à l’entrée dans l’Union Européenne. Certains consulats sont tellement désireux de coopérer qu’ils admettent comme ressortissants des étrangers qui n’ont pas leur nationalité (cas du consulat de Roumanie avec les étrangers de Moldavie). Dans le cas des consulats qui ne répondent pas aux injonctions préfectorales, la raison provient souvent de la difficulté à établir avec certitude que l’étranger sous le coup d’une mesure d’éloignement est bien l’un de leurs ressortissants. Les représentations consulaires des pays de l’ex-Union soviétique (Georgie, Ukraine, Russie…) délivrent par exemple assez peu de laissez-passer, non pas par volonté d’obstruction mais parce qu’elles ne parviennent pas toujours à savoir avec certitude s’il s’agit de l’un de leurs ressortissants Face à ces difficultés, les pouvoirs publics français agissent sur tous les fronts pour mettre fin à ces résistances et augmenter les taux de reconduite à la frontière. A l’échelle internationale tout d’abord, l’imposition de clauses de réadmission dans les accords de coopération est désormais monnaie courante : au niveau français comme au niveau communautaire, les questions d’aide au développement et d’échanges commerciaux sont de plus en plus systématiquement liées à la gestion des flux migratoires 68 . Les visites diplomatiques jouent également un rôle dans l’obtention des laissez-passer consulaires. Depuis la visite effectuée par Nicolas SARKOZY au Mali en 2002, les consulats maliens se montrent beaucoup plus « coopératifs » : alors qu’elles ne délivraient jusque là aucun laissez-passer, les autorités consulaires acceptent désormais de se rendre au centre de rétention afin d’identifier leurs ressortissants. Il en va de même pour le consulat 68 38 Caroline Intrand, « La politique du "donnant-donnant" », Plein droit, n° 57, juin 2003 Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière de Tunisie qui accepte depuis la visite protocolaire de 2004 de se rendre à la maison d’arrêt pour identifier les détenus. Au plan national, les différents ministres de l’Intérieur qui se sont succédés place Beauvau ont tous œuvré à une augmentation du taux de délivrance des laissez passer consulaires. Une directive du Ministère de l’Intérieur du 16 avril 2002 relative à la délivrance des laissez-passer consulaires avertit les préfectures que « des entretiens bilatéraux ont eu lieu afin de contribuer à l’établissement d’un climat de compréhension mutuelle » plus propice à l’aboutissement des démarches préfectorales 69 . L’absence de laissez passer consulaire constitue donc une difficulté majeure pour l’administration, car l’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement ne peut être reconduit sans ce document, et devra être relâché à l’issue de sa rétention. La situation devient alors paradoxale : l’étranger, toujours sous le coup de l’arrêté de reconduite à la frontière puisque celui est valable un an, reste en France en situation irrégulière car il n’a pu être éloigné ! Une autre difficulté majeure vient également de l’organisation concrète de la rétention. La politique des quotas menée par certaines compagnies aériennes ainsi que la faible disponibilité des vols pour certaines destinations peuvent rendre difficiles l’exécution de l’éloignement par vols réguliers. De plus, certaines lignes sont plus « sensibles » que d’autres. Tel est le cas des lignes à destination de l’Afrique de l’Ouest (particulièrement Bamako, Douala et Conakry) et de la Chine Populaire. Plusieurs commandants de bord ont ainsi révélé que des incidents entre les passagers et les policiers escortant le reconduit avaient déjà eu lieu, ainsi que l’illustre le placement en garde à vue de l’élu Rhonalpin qui s’était opposé à l’éloignement d’une famille a destination de Pristina. En devenant un débat de société, l’éloignement cristallise les passions et l’hostilité des passagers à l’égard des procédures de reconduite à la frontière par voie aérienne est croissante. Certains affrontements ont pu dégénérer en « émeutes », les passagers prenant fait et cause pour l’étranger reconduit. La sécurité à bord de l’appareil en est compromise, ainsi que la sécurité du personnel navigant qui est assimilé à la police dans les pays de destination 70 . La violence est en effet la principale difficulté de l’exécution des mesures d’éloignement, et particulièrement dans le cas des reconduites par avions de ligne. La tâche des fonctionnaires de police constitue une mission difficile compte tenu de la résistance et des comportements violents de certains étrangers, et passagers. La Commission Nationale de Déontologie et de Sécurité fait ainsi état de plusieurs cas de violences à l’égard de policiers. Plusieurs fonctionnaires ont été blessés par des morsures ou des griffures, entraînant des 71 incapacités temporaires de travail de quinze jours . La violence n’épargne pas non plus les étrangers. Ce même rapport fait ainsi état de comportement abusifs en réponse à une opposition de la part de l’intéressé. Suite à la mort en 2004 de deux étrangers pendant un vol de reconduite, le Comité Européen de Prévention de la Torture à édicté des règles pour encadrer dans le respect des droits de l’Homme la procédure d’éloignement. Plusieurs 69 70 Circulaire de la DLPAJ relative à la délivrance des laissez-passer consulaires. Commission d’enquête du Sénat portant sur les régularisations d’étrangers en situation irrégulière, http://senat.fr/rap/ l97-47022/l97-470228.html , page consultée le 25 mai 2007. 71 Rapport 2005 de la Commission Nationale de Déontologie et de Sécurité, p.454 39 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français recommandations ont ainsi été mises en œuvre, telles que l’utilisation de bandes velcro pour entraver les membres 72 . Toutes ces raisons expliquent le développement d’autres modalités de transport pour assurer l’effectivité de l’éloignement. Dans le cas des reconduites à destination des pays du Maghreb, l’utilisation de la voie maritime est désormais privilégiée, car elle permet de prévenir le refus d’embarquement. Des « cellules » sont aménagées dans les ferries assurant la liaison entre la France et les pays concernés. Les étrangers reconduits y sont amenés sans être en contact avec les passagers, afin d’empêcher d’éventuelles émeutes. La pratique des avions « charters » s’est également développée. En fonction des ressortissants d’un même pays retenus dans les centres de rétention, le gouvernement affrète un avion, qui peut être privé mais aussi militaire, vers une destination précise. Les ressortissants du pays seront alors regroupés dans cet avion et éloignés. De plus en plus également, se développent les reconduites « groupées » au niveau européen. La pratique des reconduites groupées européennes permettent de répondre à l’accroissement du contentieux ainsi qu’une baisse des coûts conséquente. Elles ont été récemment organisées par une directive du 29 avril 2004, transposée en France le 8 août 2004. Chaque Etat membre choisit le transporteur aérien avec lequel il définit les coûts afférents à l’éloignement. Les Etats qui veulent y participer contactent l’Etat organisateur en lui indiquant le nombre d’étrangers en attente d’éloignement, ainsi que l’effectif de l’escorte policière les accompagnant. L’Etat organisateur répartit les demandes, et les Etats participants lui transmettent alors les documents de voyages nécessaires, tels que les passeports, les visas d’entrée et les dossiers. Plusieurs vols ont ainsi été réalisés depuis l’entrée en vigueur de cette directive 73 . 1.2.2.2. Les chiffres de l’éloignement Bien qu’il puisse sembler cynique de parler du coût monétaire des mesures d’éloignement compte tenu du coût moral et humain, l’aspect financier représente tout de même un poids non négligeable. L’éloignement des étrangers présente un coût relativement 74 difficile à estimer. Une enquête des Echos révélait que 179,1 millions d’euros sont dévolus à la lutte contre l’immigration irrégulière pour l’année 2007. Ce chiffre comprend le coût de l’éloignement, ainsi que le fonctionnement des centres de rétentions. Le budget alloué à la Police Nationale pour l’année 2007 est en nette augmentation par rapport à 2006 (106,8millions d’euros) et reflète la volonté d’augmenter les retours forcés. Ceux-ci mobilisent près de 10 000 fonctionnaires par an, et 15 000 si l’on compte les fonctionnaires « empruntés » à d’autres services 75 ( pour gérer les escortes, par exemple). Les Centres de Rétention Administratives représentent également un gros poste budgétaire. Les dépenses d’investissement qui leurs sont relatives représentent 270 millions 72 73 74 75 40 Rapport relatif à la visite effectuée en France par le Comité de Prévention de la Torture en juin 2002 Pour exemple, le 2 août 2006 un vol groupé organisé par les autorités françaises a décollé à destination de la Bulgarie. Carine FOUTEAU, « coût des reconduites à la frontière », Les Echos, 29 septembre 2006. Damien DE BLIC, « Sans-papiers, l’autre chiffre de la politique d’expulsion », revue Mouvements, avril 2007. Premiere partie : la logique du glaive, la décision de reconduite à la frontière d’euros pour le budget 2007, dont 47,9 millions d’euros seront affectés à la construction de 3 nouveaux centres 76 . Le taux d’exécution des mesures d’éloignement est très variables selon que l’étranger est placé ou non, en centre de rétention. Dans le premier cas, 72% des mesures d’éloignement sont exécutées, dans le second cas, le taux effectif d’éloignement tombe à 20%. Au total, près de 20 000 (19 848) retours forcés ont été exécutés en 2005 en 2006 et l’objectif pour 2007 est fixé à 27 000 reconduites. 77 , 24 000 *** *** *** La recherche de l’effectivité des mesures d’éloignement constitue véritablement la colonne vertébrale de la reconduite à la frontière. La décision originelle du préfet, ensuite exécutée par la Police Aux Frontières vise à répondre à cette exigence. Mais tout comme Janus, le Dieu romain aux deux visages, la reconduite à la frontière présente une autre facette : l’impératif d’effectivité est ainsi équilibré par les garanties offertes par le Juge aux étrangers. 76 77 Damien DE BLIC, précité. Réponse à Jérome RIVIERE, débats parlementaires, source : http://www.ump.assemblee-nationale.fr/article.php3? id_article=5527 , page consultée le 25 mai 2007. 41 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge La répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires dans le contentieux des étrangers est complexe, car deux principes du droit « s’opposent ». D’une part la juridiction administrative dispose d’une clause générale de compétence dérogatoire de droit commun. Cette attribution conférée par le juge constitutionnel lui 78 impose de connaître les activités de puissance publique de l’administration . La rétention administrative est une activité de gestion de l’immigration sur le territoire français laquelle est une activité de puissance publique inhérente à la souveraineté. La compétence du juge administrative semble trouver là un fondement. D’autre part, l’article 66 de la Constitution dispose que « nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Or dans la mesure où le placement en centre ou en local de rétention limite la liberté individuelle, le juge judiciaire est tenu d’intervenir. A défaut d’unification du contentieux (tentée par le législateur en 89 mais censurée par le Conseil Constitutionnel), la répartition des compétences opérée par la loi demeure une conciliation entre deux impératifs constitutionnels. La décision n° 93-325 a toutefois assuré la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de prolongation de la rétention administrative. 2.1. Le contrôle du juge judiciaire 2.1.1. L’intervention du juge judiciaire, garant de la liberté individuelle Conformément à une tradition constante, le juge judiciaire est compétent en matière de 79 « sauvegarde de la liberté individuelle ». La compétence du juge judiciaire en la matière a un fondement constitutionnel, mais se trouve limitée par le droit constitutionnel. La Constitution du 4 octobre 1958 indique en son article 66 que « le juge judiciaire est le garant de la liberté individuelle ». Le juge judiciaire détient dès lors nécessairement une 78 « relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif », Conseil Constitutionnel 86-224DC 23 janvier 87 Conseil de la Concurrence. 79 42 Tribunal des Conflits, 18 décembre 1947, Hilaire et Dame Cortesi, JCP, 1948, n° 4087 Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge compétence dans le contentieux de l’immigration. Mais cette compétence doit être qualifiée de subsidiaire, car le juge de droit commun en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers est le juge administratif. Le juge judiciaire a une compétence limitée à certains cas où la liberté individuelle de l’étranger est particulièrement exposée, ce qui s’observe essentiellement en matière de rétention administrative. La rétention administrative est la possibilité pour l’administration de maintenir pour une durée limitée les étrangers visés par une mesure d’éloignement du territoire dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire. La rétention administrative, empêchant l’individu d’aller et de venir constitue donc bien une privation de liberté, et le juge judiciaire est à ce titre compétent pour connaître de son contentieux. Néanmoins, en vertu du principe de séparation des pouvoirs la portée du contrôle du juge judiciaire est limitée. Le juge judiciaire est radicalement incompétent pour connaître de la régularité de la décision initiale de placement en rétention administrative. En tant que gardien des libertés individuelles, le juge judiciaire a pour la rétention administrative une double compétence. Il vérifie que les droits garantis à l’étranger ont été respectés lors de sa rétention, et il contrôle également la légalité de la décision de prolongation de rétention. L’intervention du juge judiciaire doit satisfaire à deux exigences complémentaires : d’une part elle doit d’une part intervenir avec suffisamment de célérité pour ne pas vider de son sens l’article 66 de la Constitution et d’autre part, cette intervention ne doit pas être formelle. L’exigence de rapidité de l’intervention du juge judiciaire a été rappelée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 9 janvier 1980. Il a énoncé à cette occasion que l’intervention doit avoir lieu « dans le plus court délai possible », afin que la liberté individuelle soit sauvegardée. Cette exigence de promptitude a ainsi conduit la Cour de Cassation à censurer l’ordonnance d’un premier présidant statuant plus de 48 heures après sa saisine 80 . Le Juge des Liberté et de la Détention du ressort où se situe le centre de rétention est donc saisi à l’issue du délai de 48 heures pour statuer sur la prolongation de la rétention. Il peut être saisi une deuxième fois pour envisager la prorogation de la rétention à l’issue de la première prolongation de 15 jours 81 . L’audience se déroule publiquement, en présence de l’intéressé et de son conseil s’il en a demandé l’assistance, et en présence (facultative) du représentant de l’administration. Elle peut avoir lieu au Tribunal de Grande Instance compétent, ou dans une salle d’audience à proximité immédiate du centre de rétention. Face à la polémique provoquée par cette possibilité, le Conseil Constitutionnel a précisé que pour être conforme aux règles du procès équitable, la salle doit avoir été spécialement aménagée afin de permettre la publicité des débats, tout comme leur « clarté, sécurité et sincérité ». Il est également possible que « pour limiter des transferts contraires à la dignité des étrangers concernés » l’audience ait lieu par vidéoconférence. 80 81 ème Cass. 2 civ. 27 mars 1996, n° 95-50023, Bull. Civ. II, p.75 Prévu par la loi n°2003-1119, cet allongement visait à répondre à un souci d’harmonisation avec les autres Etats de l’Union Européenne, (la durée antérieure de 12 jours étant, selon l’exposé des motifs du projet de loi, « de loin la plus contraignante de tous les Etats Européens » ), et permettre « d’améliorer le taux d’exécution des mesures d’éloignement ». 43 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Le juge doit rappeler la procédure, entendre l’étranger retenu et lui rappeler les droits dont il bénéficie au Centre de Rétention. L’étranger retenu bénéficie en effet de l’assistance d’un avocat et d’un interprète s’il en a besoin, du droit à être examiné par un médecin et du droit de communiquer avec son consulat ou une personne de son choix. Le juge entend enfin les éventuelles observations du représentant de l’administration et les conclusions de l’avocat. A l’issue de l’audience, les ordonnances sont rendues sans délai et notifiées à l’étranger, à son avocat, ainsi qu’au représentant du préfet. Quelle que soit sa décision, le juge doit informer l’étranger des possibilités de recours contre les décisions le concernant. L’appel est possible pendant 24 heures. L’appel du Ministère public doit être effectué dans un délai de 4 heures s’il souhaite voir déclarer l’appel suspensif en cas de remise en liberté de l’étranger. Le juge judiciaire est seul compétent pour décider de la prolongation et de la prorogation de la rétention administrative. Son contrôle varie légèrement suivant les cas. 2.1.2. Le rôle du juge judiciaire en cas de première prolongation 2.1.2.1. Le contrôle de la procédure En vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, le juge judiciaire n’est pas compétent pour examiner la validité des actes administratifs, à l’exception de la requête du préfet le saisissant (2.1.2.1.1). Il est en revanche pleinement compétent pour connaître de la régularité de la procédure antérieure (2.1.2.1.2). C’est à l’étranger ou à son conseil qu’il incombe de soulever une éventuelle irrégularité. 2.1.2.1.1. Le contrôle de la saisine Le juge contrôle la régularité de la saisine. La requête doit avoir été déposée au greffe du Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel se trouve le Centre de Rétention Administrative, avant l’expiration du délai de 48 heures suivant la décision administrative de maintien en rétention. La requête en prolongation doit être motivée, datée et signée par le préfet ou son délégataire, la délégation devant être jointe au dossier pour permettre au juge d’en vérifier la légalité. Le juge vérifie également la présence d’une copie du registre du centre, indiquant l’heure à laquelle a débuté la rétention administrative. 2.1.2.1.2. Le contrôle de la procédure antérieure à la rétention administrative Le juge se prononce en tant que gardien des libertés individuelles, mais sa décision ne préjuge pas de la validité de l’arrêté de reconduite à la frontière. Il lui appartient en revanche 82 de vérifier la régularité des actes antérieurs à la décision de rétention administrative . La deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a affirmé le lien unissant la légalité de la mesure de rétention administrative à la régularité d’un contrôle d’identité préventif garde à vue 82 83 44 84 , ou d’une détention 85 83 . S. Trassoudaine, le droit des étrangers et la protection de l’individu, rapport de la Cour de Cassation, 2000, p.160 et s. ème Préfet de la Haute Garonne c/ M. Bechta, Cass. Civ. 2 28 juin 1995 , d’une Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge Les irrégularités ici sanctionnées sont celles qui portent sur les conditions de l’interpellation, sur les modalités de la garde à vue ou encore sur la détention. Les conditions d’interpellation ont été strictement définies par les articles 78-1 et suivants du Code de Procédure Pénale. Plusieurs types de contrôles d’identité sont susceptibles d’avoir permis l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière. Le contrôle d’identité judiciaire, qu’il soit personnalisé (art 78-2, al. 1 du CPP) ou requis-systématique (art 78-2, al. 2 du CPP) ainsi que le contrôle d’identité administratif, doit respecter des règles strictes de procédures, dont l’inobservation est susceptible d’entraîner l’annulation de l’arrestation et la remise en liberté de l’étranger. Il en va de même pour le contrôle d’identité frontalier, régi par les articles 78-2, al 4. et 5 du Code de Procédure Pénale. Ce contrôle vise toute personne se trouvant dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la Convention de Schengen, et une ligne tracée à 20 km en deçà de la frontière, ainsi que les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international. Seul un Officier de Police Judiciaire ou sous ses ordres et sa responsabilité les APJ et APJ adjoints mentionnés à l’article 20 et 21 du CPP sont habilités à procéder à de tels contrôles. Ces fonctionnaires sont également les seuls compétents pour procéder à la vérification de situation d’un étranger, en vertu de l’article L.611-1 du CESEDA. Leur contrôle vise les personnes étrangères qui, aux termes de l’article doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisée à séjourner en France. Le Conseil Constitutionnel a précisé dans sa réserve d’interprétation de la décision du 13 août 1993 que la mise en œuvre de ce contrôle doit se fonder exclusivement sur des critères objectifs et exclure toute discrimination de quelque nature qu’elle soit entre les personnes. La chambre criminelle a quant à elle, posé le principe selon lequel il faut relever « l’existence d’éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même 86 de l’intéressé (…) de nature à faire apparaître celui-ci comme un étranger ». Mais tout en employant le pluriel, elle n’exige en réalité que l’existence d’un seul élément extérieur. Ont été jugés comme pouvant constituer des éléments objectifs extérieurs à la 87 personne le fait de se trouver au volant d’un véhicule immatriculé à l’étranger , ou le fait d’être connu des services de police comme ayant fait l’objet de procédures pour infraction à la législation sur les étrangers 88 89 . En revanche, le fait de s’exprimer en langue étrangère , ou de lire un journal rédigé en langue étrangère objectif extérieur exigé. 90 , ne suffit pas à caractériser l’élément Le juge des libertés et de la détention examine dans un second temps la régularité de la garde à vue pouvant intervenir à l’issue de l’interpellation d’un étranger en situation 84 85 Mme Mesu c/ Préfet du Calvados, Cass. Civ. 2 ème 28 juin 1995 ème M. F. Massemba c/ Préfet de Police de Paris, Cass. Civ. 2 28 juin 1995 86 87 88 89 90 Cass. Crim. 25 avril 1985, arrêts Bogdan et Vuckovic, JCP G 1985, II, 20 465. Cass. Crim. 25 avril 1985, arrêt Bogdan, précité. Cass. Crim. 17 mai 1995, Fouzari, Bull. Crim. n°177. Cass. Crim. 10 novembre 1992, Bassilika, Bull. Crim. n°370. CA Paris, 19 juillet 1991, Juris-Data n°023722. 45 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français irrégulière. Le placement en rétention prend effet immédiatement à l’issue de cette mesure. Le juge doit alors se prononcer sur les irrégularités attentatoires à la liberté individuelle. Le contrôle porte sur plusieurs points différents. Le contrôle du juge des liberté et de la détention porte en premier lieu sur la décision de placement en garde à vue, ainsi que sur l’information du Procureur de la République. Si, aux termes des article 63 et 77 du Code de Procédure Pénale, le placement en garde à vue relève du seul pouvoir des Officiers de Police Judiciaire, ces derniers doivent en rendre compte au Procureur de la République. La chambre criminelle a rappelé que tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation d’information non justifié par des circonstances insurmontables fait nécessairement grief aux intérêts de la personne. Le juge examine ensuite la notification des droits. En effet, des droits sont attachés au placement en garde à vue dont le juge des libertés et de la détention vérifie qu’ils ont été exposés à l’intéressé, conformément à la loi. La copie du registre du Centre de Rétention permet alors au juge de vérifier que tel a été le cas : une case devant être émargée par 91 l’intéressé signale la délivrance de l’information . Concernant la rapidité de notification de ces droits, la loi n° 2003-1119 a substitué au terme « immédiat » l’expression « dans les meilleurs délais ». Néanmoins, si la personne est en état d’ébriété, la notification des droits peut être différée jusqu’à complet dégrisement pour permettre à la personne placée en garde-à-vue de comprendre la portée de ce qui lui est notifié. Cet état peut éventuellement être constaté par un médecin requis. Le juge examine dans un troisième temps que l’étranger interpellé ait pu s’entretenir avec un interprète. La chambre criminelle de la Cour de Cassation a précisé que la loi exige que la personne ait connaissance dans une langue qu’elle comprend de ses droits mais non que l’OPJ ait recours à un interprète assermenté. Les droits peuvent être notifiés au moyen d’une traduction écrite dans la langue concernée. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi du 9 mars 2004 dans le nouvel article 63-1 « les informations (…) doivent être communiquées à la personne gardée à vue dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits ». Par ailleurs, dans l’hypothèse où les enquêteurs ne disposent d’aucun formulaire écrit dans la langue considérée, la loi n’impose pas la présence physique de l’interprète dans les locaux de police mais seulement son intervention. Il en résulte donc que la traduction de cette notification peut être assurée téléphoniquement par un interprète. L’alinéa 4 de l’article 63-1 complète ce dispositif en prévoyant que si la personne gardée à vue « est atteinte de surdité, ou qu’elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signe ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité ». L’absence de l’interprète, alors qu’il apparaît que l’étranger ne comprend pas la langue française, entache la procédure de nullité 92 . Le juge judiciaire vérifie également que les droits garantis à toute personne privée de sa liberté aient été effectivement exercés. 91 92 46 Voir Annexe n°7 ème Cass. 2 Civ. 29 mars 2001, n°00-50.022. Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge Les droits ainsi garantis sont le droit à l’information, le droit de faire prévenir un tiers, le droit d’être examiné par un médecin et le droit de s’entretenir avec un avocat. *.Le droit à l’information Selon le premier alinéa de l’article 63-1 « toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête ». Cette information doit intervenir avant la notification des autres droits accordés par la loi. En pratique, une simple notification orale des droits peut être effectuée dès le placement en garde à vue ou dans un temps très court, une demi heure, la transcription par procès verbal pouvant n’intervenir qu’ultérieurement, dans un délai de 3 heures, il est toutefois indispensable que ce Procès-Verbal, signé par l’intéressé précise expressément que celuici a été avisé de ses droits dès le placement en garde à vue. Le dernier alinéa de l’article 63-1 du code de procédure pénale prévoit toutefois qu’un retard dans la communication des droits est possible en cas de circonstances insurmontables. La jurisprudence de la Cour de Cassation est venue préciser de telles circonstances. Ainsi en est-il lors de l’indisponibilité d’un interprète. Il faut cependant démontrer que les diligences effectuées n’ont pas permis de faire venir un interprète. De même, il doit caractériser les circonstances insurmontables qui justifie pour l’OPJ la non notification immédiate de l’intégralité des droits. L’OPJ doit donc acter toutes les initiatives prises et les difficultés rencontrées. *.Le droit de faire prévenir un tiers (art. 63-2 du CPP) L’article 63-2 accorde le droit à toute personne placée en garde à vue de faire prévenir et non de prévenir elle même, par téléphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille ou son employeur. La communication doit avoir pour unique objet d’informer sur la situation dans laquelle se trouve la personne gardée a vue et de mettre ainsi notamment la famille en mesure d’exercer le droit de solliciter un examen médical. *.Le droit d’être examiné par un médecin (art 63-3 du CPP) L’article 63-3 fait de l’examen médical un droit pour la personne gardée à vue dont elle est informée et qu’elle peut exercer dès le début de la procédure. Un délai de 3 heures est prévu pour la mise en œuvre de droit, l’OPJ et le Procureur de la République désignant le médecin habilité à pratiquer cet examen. Ce droit ne peut en principe être exercé qu’une seule fois. En cas de nouvelle demande, l’OPJ peut opposer un refus s’il ne lui apparaît pas qu’un second examen soit justifié. *.Le droit de s’entretenir avec un avocat (art 63-4 du CPP) L’article 63-4 encadre l’intervention de l’avocat durant l’exécution de sa garde à vue en traitant principalement de sa désignation, du moment de son intervention et de son rôle. Les deux premiers alinéas de l’article 63-4 du CPP prévoient notamment que si la personne gardée à vue et désireuse de s’entretenir avec un avocat « n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier. Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai ». L’intéressé qui sollicite un entretien avec un avocat a donc la faculté de le choisir lui même. L’OPJ a alors l’obligation de contacter cet avocat ou plus exactement l’obligation de tout mettre en œuvre pour y parvenir. En effet les enquêteurs ne sauraient être rendus coupables de l’impossibilité de joindre l’avocat. Ils sont tenus à une obligation de moyens et non de résultats. Il faut toutefois que l’OPJ justifie avoir accompli les démarches de nature 47 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français à permettre, dans le délai légal, l’exercice du droit à l’entretien avec son avocat (circulaire du 4 décembre 2000). Si l’avocat choisi ne peut être joint ou ne peut se libérer ou si la personne gardée à vue ne désire pas un avocat en particulier, une désignation d’office peut alors avoir lieu. Afin de permettre l’exercice de ce droit, l’OPJ qui décide un placement en garde à vue doit se mettre en relation avec le dispositif mis en place par le Barreau, afin que soit sollicitée l’assistance d’un avocat de permanence ou d’un avocat nommément désigné. La loi n’impose pas à l’avocat de se présenter aux services d’enquête avant l’expiration d’un délai maximum. Les contraintes inhérentes à son déplacement peuvent en effet conduire à ce qu’il ne se présente que plusieurs heures après avoir été prévenu, mais aucun cumul de la durée des entretiens n’est possible. La place de l’avocat dans la garde à vue est naturellement primordiale, en ce qu’il incarne les droits de la défense, mais force est de constater que son rôle en tant qu’acteur de la procédure est ici très limité. Il consiste essentiellement à vérifier la bonne exécution de la mesure de garde à vue et à conseiller utilement son client. L’entretien avec l’étranger gardé à vue ne peut excéder 30 minutes, et est confidentiel. Un espace doit être prévu à 93 cet effet, qui doit être accessible en toutes circonstances, sauf cas de force majeure . A l’issue de la garde à vue, l’avocat peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure. *.Les autres droits A son arrivée au centre de rétention, l’étranger est par ailleurs informé des droits qu’il est susceptible d’exercer en matière de demande d’asile. Il doit lui être notamment indiqué qu’une demande d’asile ne sera plus recevable si elle est formulée plus de cinq jours après cette notification. Le juge judiciaire examine également la régularité de la prolongation de garde-à-vue. Seul le Procureur de la République a la compétence pour procéder à une prolongation de la garde-à-vue. Les modalités de prolongation varient considérablement selon le cadre de l’enquête. Le contrôle du juge porte également sur le délai entre la fin de la garde-à-vue et la notification de la décision de maintien en rétention. Ce délai s’apprécie au cas par cas et doit être le plus court possible. Le juge des liberté examine enfin la régularité de la procédure de rétention intervenant à la suite d’une détention. Le contrôle du juge porte sur le délai entre la levée d’écrou (l’heure de la levée d’écrou doit pouvoir être contrôlée par le juge) et la notification de la décision de maintien en rétention dans un lieu ne relevant pas de l’administration pénitentiaire (l’intéressé peut être conduit dans un autre local pour cette notification, par exemple un commissariat et être ainsi privé de sa liberté). Le contrôle du juge se fait au cas par cas, le délai ne devant pas être excessif. 2.1.2.1.3. Le contrôle de la procédure de maintien en rétention Le juge des libertés et de la détention exerce un triple contrôle, portant tout d’abord sur l’avis à Parquet. Il vérifie ainsi que le Procureur de la République a été immédiatement informé du maintien en rétention. Il vérifie ensuite la notification effective des droits (de l’assistance 93 Le Conseil Constitutionnel à considéré que la force majeure ne s’applique ici qu’à l’accès à l’espace réservé et non pas au droit à l’avocat. ( DC n° 2003-484, précitée, cons. 52) 48 Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge d’un médecin, d’un interprète et d’un conseil et de la possible communication avec son consulat ou avec une personne de son choix) qui doit avoir lieu au moment de la notification du maintien en rétention. Le juge des libertés et de la détention contrôle enfin que les droits de l’intéressé ont bien été respectés, par exemple qu’ils aient été notifiés dans une langue connue par l’étranger ou que celui-ci ait pu s’entretenir avec son avocat avec l’assistance d’un interprète. 2.1.2.2. La décision du juge des libertés et de la détention Le juge des libertés et de la détention a obligation de statuer. Lorsque la procédure est régulière, il ne peut que prolonger la rétention de l’étranger pour 15 jours, ou exceptionnellement, assigner l’étranger à résidence. L’assignation à résidence n’est possible que lorsque l’étranger bénéficie de garanties de représentations effectives, lesquelles sont laissées à l’appréciation souveraine du juge, ou après la remise effective du passeport en cours de validité de l’intéressé à un service de police ou de gendarmerie. Le juge ne peut pas remettre l’étranger en liberté. Ce dernier dispose de 24 heures pour faire appel devant le premier président de la Cour d’Appel ou son délégué, qui dispose alors de 48 heures pour statuer. Les recours ne sont pas suspensifs. Lorsque la procédure est irrégulière, il doit remettre l’étranger en liberté, auquel cas le représentant de l’administration a 24 heures pour faire appel, et le Parquet 4 heures s’il souhaite voir déclarer l’appel suspensif. Cette procédure, également connue sous le nom de « référé-rétention » fut introduite par la loi n° 2003-1119. L’intéressé est dans ce cas « maintenu à la disposition de la justice », selon les termes de la réserve d’interprétation 94 du Conseil Constitutionnel , alors même qu’il a été libéré. Cette situation quelque peu paradoxale est justifiée par les Neufs Sages par le fait que le siège est le seul décideur du bien fondé de la demande (c’est le premier président de la Cour d’Appel qui décide du caractère suspensif du recours). La position du Conseil Constitutionnel est indispensable au respect de l’article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle, ce qui implique que ce dernier ne peut être « un juge potiche contenterait d’entériner les décisions prises par l’administration. 95 » qui se 2.1.3. Le rôle du juge judiciaire en cas de demande préfectorale de prorogation L’une des principales innovations de la loi n° 2003-1119 fut de permettre une prorogation du maintien en rétention pour une durée de 15 jours ou de 5 jours, afin de permettre l’éloignement effectif de l’étranger. Le maintien en rétention peut être prolongé pour une nouvelle durée de 15 jours qu’en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ou lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire faite à son éloignement. 94 95 Décision 2003-484 prec. D. Liger, le juge judiciaire et la rétention administrative des étrangers, la lettre du SAF, octobre 1995, in L’étranger à la ème colloque de droit des étrangers, samedi 3 février 1996, Lille. recherche de son juge, 4 49 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Dans ce cas, l’ordonnance de prolongation court à compter de l’expiration du délai de quinze jours de la première ordonnance, et pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours. Le maintien en rétention peut également être prorogé pour une durée de 5 jours dans deux hypothèses. C’est tout d’abord le cas lorsque malgré les diligences de l’administration, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ou de l’absence de moyens de transport. L’autorité administrative doit alors établir que l’une ou l’autre de ces circonstances doit intervenir sous peu. C’est ensuite le cas lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement, malgré les diligences de l’administration, pour pouvoir procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai prescrit. L’ordonnance de prolongation court à compter de l’expiration du délai de quinze jours de la première ordonnance et la prolongation ne peut excéder une durée de cinq jours. Pour ces deux prorogations, le contrôle du juge porte sur la requête qui doit être datée, motivée, signée, accompagnée de la délégation de pouvoir si nécessaire et de toutes les pièces justifiant les démarches de l’administration. Dans tous les cas, « l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande 96 de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient ». Cette possibilité découle de la motivation même de la prolongation ou de la prorogation de la décision de rétention, qui veut que l’étranger ne puisse être « maintenu en rétention que pour le temps nécessaire à son départ, l’administration devant exercer toute diligence à cet effet ». Si la mission constitutionnelle de gardien de la liberté individuelle du juge judiciaire permet d’affirmer sa compétence dans certains domaines, le rôle constitutionnel de juge de la puissance publique du juge administratif explique en effet sa compétence de principe en matière d’immigration. 2.2. Le juge administratif, au cœur de la conciliation entre droits de l’Homme et ordre public Manifestation par excellence de la puissance publique, la faculté de l’Etat d’éloigner les étrangers est en effet l’un des attributs classiques de la souveraineté. En vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, c’est le juge administratif qui est le juge de droit commun de la puissance publique. La loi de 1986, qualifiant la reconduite à la frontière de mesure de police administrative, fait du juge administratif le juge privilégié du contentieux de la reconduite. Et cette compétence fut constitutionnellement reconnue par une décision du Conseil Constitutionnel qui fit du juge administratif le juge de droit commun de la puissance publique 97 . Le Code de l’Entrée, du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile confère de larges pouvoirs à l’autorité administrative qui incarne la puissance publique. Le juge administratif 96 97 50 Conseil Constitutionnel, décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 66 Décision de 1987, préc. Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge se trouve alors confronté à une double exigence dont la conciliation est délicate. Il se trouve en effet au cœur de la dialectique du respect de l’ordre public et du respect des droits fondamentaux. C’est en fonction de la conciliation de ces exigences que se détermine l’étendue du contrôle du juge administratif. 2.2.1 Une procédure juridictionnelle adaptée 2.2.1.1. Les spécificité de la procédure La compétence du juge administratif s’explique par la nature administrative des décisions prises par l’autorité publique qui réglemente l’entrée et le séjour des étrangers en France. Le conseil constitutionnel a de plus, veillé à ce que le législateur respecte le principe de séparation des juridictions. C’est la raison pour laquelle le juge judiciaire n’a qu’une compétence subsidiaire là ou le juge administratif à une compétence naturelle. Dans le cadre de sa mission de juge de la puissance publique, le juge administratif est amené à veiller à la protection des libertés individuelles. Cette compétence s’exprime largement en droit des étrangers. En effet, le juge administratif est compétent pour juger de la légalité des mesures prises par l’autorité administrative que ce soit concernant l’entrée et le séjour de l’étranger, ou son éloignement. La nature de ce contentieux exigeant une prise de décision rapide, la loi du 10 janvier 1990 instaura une formation de jugement extraordinaire, celle du juge unique. En effet, en matière de contentieux de reconduites à la frontière, l’urgence justifie l’exception au principe de collégialité. Le magistrat administratif délégué statue donc seul, sans conclusions du commissaire du gouvernement. Le principe du juge unique se retrouve à la fois en première instance et en appel. Il répond à la volonté du législateur de concilier la rapidité du jugement et l’effectivité des recours 98 . La loi du 10 janvier 1990 a également posé les bases du contentieux des reconduites à la frontière. Le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel siège le préfet qui a pris l’arrêté de reconduite à la frontière. Mais afin d’éviter le déplacement sur de grandes distances d’étrangers placés en centre de rétention, une dérogation a été prévue par un 99 décret de 2004 : le tribunal administratif compétent est alors celui dans le ressort duquel se trouve le centre de rétention où est placé l’étranger. En vertu de l’article L512-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le président du tribunal administratif est exclusivement compétent pour statuer sur les recours formés contre les arrêtés préfectoraux de reconduites à la frontière. Dans la pratique, tout comme le préfet, il délègue ses pouvoirs aux magistrats. L’étranger à l’égard duquel une mesure d’éloignement est prononcée dispose de quarante-huit heures pour saisir le juge administratif. Depuis la loi Joxe de 1989, le recours devant le juge administratif est suspensif en France métropolitaine. Une dérogation à ce régime avait été prévue pour dix ans dans les départements d’Outre mer, qui fut prolongée de cinq ans en 1998 pour la Guyane. En 2003, la loi sur la sécurité intérieure pérennisa cette situation, en 98 99 Rudolph D’Haëm, Reconduites à la frontières, PUF, 1997, p.67 Décret n° 2004-814 du 14 août 2004. 51 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français raison de la situation exceptionnelle du département. Cet effet suspensif du recours, qui est le corollaire de l’absence de procédure contradictoire devant le préfet, constitue une garantie remarquable pour l’étranger reconduit. En effet, les recours introduits devant le juge administratif ne sont pas suspensifs en principe. En raison de sa mission d’intérêt général, l’administration bénéficie du « privilège du préalable », qui lui permet de faire exécuter d’office une décision. L’arrêté préfectoral constitue donc une dérogation au droit commun, l’article L512-3 disposant que « L'arrêté de reconduite à la frontière pris en application des articles L. 511-1 à L. 511-3 ne peut être exécuté avant l'expiration d'un délai de quarantehuit heures suivant sa notification par voie administrative ou, si le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cet fin est saisi, avant qu'il n'ait statué ». L’étranger qui a saisi le tribunal administratif d’une requête a ainsi le droit de demeurer sur le territoire français afin de présenter sa défense, jusqu’à ce que le magistrat ait statué. Une limite est toutefois apportée à cette garantie : le délai de saisine s’apprécie strictement. Le délai de computation a été jurisprudentiellement défini, et court dès lors que l’arrêté préfectoral a été remis. Les circonstances inhérentes à une situation particulière ne font pas 100 obstacle à la computation . Afin de vérifier la recevabilité des recours, des horodateurs ont été placés à l’extérieur des tribunaux administratif. Lorsque l’étranger est placé en centre de rétention, c’est l’heure figurant sur le fax de la requête qui est examinée. Dès lors que la saisine a été régulièrement opérée, le juge administratif dispose de soixante-douze heures pour statuer, selon la réforme de la loi n°2003-1119. La décision est rendue par juge unique, délégué du président du tribunal administratif. Cette particularité a pour conséquence de modifier le travail du juge administratif ainsi que les rapports entre le magistrat et le requérant. Il n’est pas rare que ce dernier présente oralement sa défense lors de l’audience, en exception au principe de droit commun de la magistrature administrative qui veut que la procédure soit écrite. Le principe du juge unique s’applique également pour une décision « annexe » de la reconduite à la frontière, celle fixant le pays de renvoi. Initialement le recours contre cette décision était également suspensif, mais la loi du 24 août 1993 à modifié ces règles. Le recours contre le pays de destination n’est suspensif que si le juge administratif est saisi 101 simultanément du recours dirigé contre le choix de destination et contre l’arrêté . Cette particularité est désormais inscrite dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers à l’article L513-3. En cas de difficulté particulières, le principe du juge unique est écarté au profit de la formation collégiale. Le délai pour faire appel devant le président de la section du contentieux est d’un mois, mais l’appel est non suspensif. L’audience en appel est publique et le juge d’appel statue seul après avoir entendu les conclusions du commissaire du gouvernement. 2.2.1.2. Une procédure destinée à équilibrer les exigences d’efficacité et de protection des droits de l’homme En matière de reconduite administrative, la procédure administrative est une procédure spécifique dérogatoire du droit commun, et ce afin de concilier l’effectivité des mesures et le respect des droits fondamentaux. 100 101 52 CE, 3 novembre 1995, Bendo, n° 158293, cas d’un accouchement imminent. Dans le cas contraire, le recours contre le pays de renvoi est jugé en audience collégiale. Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge 2.2.1.2.1. La garantie des droits de l’étranger L’étranger reconduit dispose d’un certain nombre de garanties procédurales, afin de lui permettre d’exercer au mieux son droit à la défense, et de pouvoir contester, si ce n’est annuler, la mesure d’éloignement qui a été prise à son encontre. Outre l’effet suspensif du recours, l’étranger en instance d’éloignement bénéficie de plusieurs autres garanties de protection. Tout d’abord concernant la présentation de la requête, le formalisme a été simplifié. La requête doit certes être rédigée en français sous peine d’irrecevabilité, mais l’intéressé peut demander l’assistance d’un interprète pour la régulariser. L’arrêt du Conseil d’Etat Ersahin du 27 janvier 1992 précise que le juge ne peut rejeter comme irrecevable une requête non-rédigée en français dans la mesure où le requérant n’a pu solliciter le concours d’un interprète. Dans le cas d’une requête non motivée, la régularisation peut même avoir lieu à l’audience, par la présentation orale des moyens. En vertu de l’arrêt de principe Aoulad Haj du 28 octobre 1991, le juge unique est tenu de répondre aux moyens soulevés oralement le jour de l’audience. Les requêtes demandant l’annulation d’une mesure de reconduite sont en principe dispensées du ministère d’avocat. Mais selon l’article L 512-2 du CESEDA, l’étranger peut être assisté d’un conseil, choisi par lui ou commis d’office. Un système de permanence à été institué par les barreaux, sur le modèle du système existant pour les comparutions immédiates. Le magistrat administratif doit accéder à la demande de désignation d’un avocat d’office, « compte tenu de la garantie que représente l’assistance d’un avocat en première instance 102 ». Dans le cas contraire, son jugement est susceptible d’être annulé en appel. LA CIMADE peut alors agir pour garantir les droits des étrangers. Cette association est la seule agréée pour intervenir dans les centres de rétention. Un service spécial est dédié à cette action : la DER (Défense des Etrangers Reconduits), qui s’occupe d’introduire auprès des tribunaux administratifs les requêtes contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière. Au tribunal administratif de Lyon, près des deux tiers des recours contre les arrêtés préfectoraux ont été introduits par la DER. La DER agit dans l’urgence, mais n’assure pas le suivi des affaires. Le GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés) intervient également auprès des étrangers en situation irrégulière, en apportant des conseils juridiques. Des modèles de lettres de recours contre les arrêtés d’éloignement sont disponibles sur leur site ou dans leurs permanence. Si l’étranger ne parle pas suffisamment français pour être à même d’assurer sa défense, l’article L.522-2 prévoit l’assistance d’un interprète. L’intéressé doit en faire la demande dès le dépôt de la requête. Mais dans ce cas, le juge détient un pouvoir d’appréciation du bien fondé de la demande. Il a ainsi été jugé que c’était à bon droit que le président du Tribunal Administratif de Paris avait estimé qu’un ressortissant Guinéen présent en France depuis quatre ans ne nécessitait pas une telle aide 103 . L’interprète peut être « indépendant », ou appartenir à la CIMADE dont les membres peuvent se déplacer lors des audiences. 102 103 CE, 14 novembre 2001, n°298985, Boutabouna CE, 28 octobre 1991, Toure, T. Leb., p. 945 53 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français L’article R. 776-10 dispose que les parties doivent être averties par tous moyens de la date, de l’heure et du lieu de l’audience. La convocation se fait en français, et peut s’effectuer par téléphone. La convocation au jugement est l’une des garanties du procès équitable, tel que l’entend la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il résulte de l’article L512-2 que l’étranger doit être convoqué à l’audience, même si il est assisté d’un avocat. La non convocation de l’étranger à l’audience est alors susceptible d’entraîner une annulation en appel, car la procédure est irrégulière. Il en va de même si la convocation à été reçue trop 104 tardivement par rapport à l’audience . En revanche, le jugement peut être rendu hors la présence de l’intéressé ou celle du représentant de la préfecture, il est en effet fréquent que celui-ci ne se déplace pas. 105 L’audience est publique et dispensée de conclusions du commissaire du gouvernement . L’obligation faite au juge de statuer dans un bref délai (soixante douze heures) limite la possibilité d’échange des mémoires telle qu’elle est prévue dans la procédure contentieuse générale. Le principe du contradictoire doit toutefois être respecté et les éléments qui serviront de fondement au jugement doivent être connus des deux parties. Le respect du principe du contradictoire s’exerce également pendant l’audience. Celle ci doit être suspendue toutes les fois qu’il le sera nécessaire afin de permettre aux parties de prendre connaissances des pièces nouvelles. Dans le cas contraire, le jugement est susceptible d’être annulé en appel pour non respect du principe du contradictoire. Il en va de même si l’un des fondements du jugement réside dans l’un des mémoires qui n’a pas été communiqué à l’une des parties et qu’aucune suspension d’audience ne permet à cette partie d’en prendre connaissance 106 . Le principe du contradictoire s’exerce également dans la possibilité de réplique. Ainsi, si des pièces en langues étrangères sont produites à l’audience et non accompagnées de traduction, le jugement se fonder dessus. L’instruction écrite est close lors de l’audience. Mais il peut parfois arriver que l’une des parties fasse parvenir un mémoire après la clôture de l’instruction. Le juge administratif doit alors le soumettre au débat contradictoire en suspendant l’audience. Une autre garantie accordée à l’étranger réside également la possibilité de présenter des observation orales lors de l’audience, mais aucune conclusion nouvelle ne peut être soulevée après l’appel de l’audience. Cette faculté est dérogatoire à la procédure de droit commun de caractère écrit. L’article L512-2 laisse en effet une grande place aux observations orales. 2.2.1.2.2. La rapidité de jugement Si l’étranger bénéficie donc de certaines garanties procédurales destinées à protéger ses droits fondamentaux, son action devant le juge administratif ne doit pas pour autant 107 « paralyser indéfiniment » la décision administrative. C’est la raison pour laquelle des délais très courts de jugements et de recours ont été prévus par le législateur. 104 105 106 107 54 CE, 10 juillet 2002, n°233509, Mabial Article L512-2 du CESEDA. CE, 16 mai 2001, n° 222265, Ngouel Rudolph d’Haëm, les Reconduites à la frontière, PUF, 1997, p.76 Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge En matière de reconduite à la frontière, le délai de recours contentieux est très bref : quarante huit heures et ce, depuis la loi Chevènement. Auparavant, ce délai était de vingtquatre heures. Le délai de recours se décompte strictement, heures par heures, il ne s’agit pas d’un jour franc. Le délai imparti au juge de la reconduite est également très court : soixante douze heures depuis l’entrée en vigueur de la loi SARKOZY du 26 novembre 2003. Le délai court à partir de l’enregistrement au greffe de la requête, mais sa prescription n’entraîne pas nullité : en cas de sérieuses difficultés, le juge saisi peut éventuellement renvoyer l’affaire en formation collégiale. A l’issue de l’audience, le jugement est prononcé et notifié aux parties. Le respect des prescriptions de l’article R 776-17 selon lesquelles « le dispositif assorti de la formule exécutoire est communiqué sur place aux parties présentes à l’audience qui en accusent immédiatement réception » constitue une formalité substantielle. Sous peine de nullité, le jugement doit comporter un certain nombre de mentions énumérées à l’article R-741-12 du Code de Justice Administrative : noms et conclusions des parties, convocation et auditions des parties, ainsi que les visas des pièces. Le jugement doit également répondre à tous les moyens et arguments développés par le requérant. Le dispositif du jugement à force exécutoire dès sa lecture à l’audience. C’est la raison pour laquelle, lorsque l’étranger est retenu, le dispositif du jugement doit être immédiatement communiqué pour que la procédure d’éloignement puisse être poursuivie si le recours de l’étranger a été rejeté. L’appel est en effet dépourvu d’effet suspensif. Dans le cas contraire, si l’arrêté de reconduite à été annulé, une autorisation provisoire de séjour doit être accordée à l’étranger, conformément aux dispositions de l’article L.512-4, jusqu’à ce qu’il soit statué de nouveau sur le cas de l’étranger. Afin de répondre à l’accroissement du contentieux en appel, la loi du 24 avril 1997 a transféré aux Cours Administratives d’Appel la compétence pour connaître des recours. Le délai pour faire appel est d’un mois, et cours dès l’envoi de la notification de la décision de première instance à la préfecture et à l’étranger 108 . L’exécution de la mesure de reconduite à la frontière ne prive pas l’appel de son objet, 109 et ce même si l’étranger s’est vu remettre un titre de séjour postérieurement . Par contre, l’appel peut être rendu sans objet si la mesure d’éloignement n’a pas été exécutée. 2.2.2. L’étendue du contrôle du juge administratif Le juge administratif exerce un double contrôle de la légalité des actes, interne et externe. Il est également amené à vérifier que le préfet n’a pas porté atteintes aux garanties accordées aux étrangers et leurs interdisant l’éloignement. Le recours que peut former un étranger contre l’arrêté préfectoral ordonnant sa reconduite est un recours pour excès de pouvoir, c’est à dire un recours permettant l’annulation de l’acte pour cause d’illégalité. Pour annuler un tel arrêté, le juge administratif procède à un contrôle de la légalité interne et externe. 108 109 CE, 27 mars 2000, n° 204960, Préfet de l’Isère c/ Bouchalta CE, 25 novembre 1996, n°170336, Othmani. 55 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français 2.2.2.1. Le contrôle de légalité externe Le contrôle de la légalité porte tout d’abord sur la compétence de l’auteur de l’acte. Le préfet du département dans lequel à été constatée la situation irrégulière de l’étranger est compétent pour prendre l’acte de reconduite à la frontière. Une particularité se présente dans le cas de Paris, où cette compétence appartient au préfet de police. L’examen porte également sur la validité de la délégation de signature, une délégation de signature postérieure à la mesure d’éloignement entache celle ci d’irrégularité, car elle 110 a été prise par une autorité incompétente . L’illégalité de la délégation entraîne la nullité de la mesure d’éloignement puisque celle-ci ne relève pas d’une compétence liée du préfet. Dans tous les cas, en vertu du second alinéa de la loi du 12 avril 2000 « toute décision prise doit comporter outre la signature de son auteur, la mention en caractère lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ». Lorsque l’incompétence de l’auteur de l’acte est soulevée par l’étranger ou son conseil, le préfet est tenu d’apporter la preuve contraire de la compétence de l’auteur de l’acte. Il n’est pas possible pour l’étranger de soulever devant le tribunal administratif le moyen du vice de procédure. En effet, aucune exigence procédurale n’est nécessaire pour l’édiction d’un arrêté de reconduite à la frontière : la commission du titre de séjour, pas plus que l’étranger n’ont à être entendu par le préfet. Le contrôle du juge administratif porte également sur la motivation de la décision. Aux termes de l’article L. 511-1 du CESEDA, la motivation est nécessaire, que ce soit en droit ou en fait. En cas d’absence ou d’insuffisance de motivation, l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière encourt l’annulation. Tel est le cas par exemple, lorsqu’un arrêté ne comporte aucune énonciation des considérations de droit ou de fait sur lesquelles il se fonde 111 . Certains moyens de légalité externe sont inopérants devant le juge administratif. Ces moyens concernent les conditions d’interpellation, de rétention (qui ne peuvent être soulevés que devant le juge judiciaire) et de notification de la mesure de reconduite à la frontière. 2.2.2.2.Le contrôle de la légalité interne : un contrôle gradué De par ses attributions, le préfet exerce un pouvoir discrétionnaire en matière de reconduite à la frontière. Il peut et doit apprécier au cas par cas l’opportunité d’une mesure de reconduite. C’est ce pouvoir d’appréciation que le Conseil d’Etat à souhaité délimiter et contrôler par voie prétorienne. Le juge administratif vérifie donc qu’aucune disposition de l’article L511-1 n’ait été violé (2.2.2.1). Parallèlement à ce contrôle, l’émergence de la jurisprudence conventionnelle a permis au magistrat administratifs d’opérer un glissement de son regard sur les conséquences des mesures d’éloignement sur la situation de l’étranger (2.2.2.2). 2.2.2.2.1. Le contrôle des dispositions de l’article L511-1 du CESEDA La jurisprudence administrative a permis de préciser l’étendue de la protection accordée par le législateur aux étrangers en situation irrégulière. Le juge contrôle la validité des motifs 110 111 56 CE, 8 février 1995, n°149735, Sow. CE, 29 décembre 2000, n°216038, Aydinoz Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge ayant entraîné le prononcé de la reconduite à la frontière (1), et vérifie également que l’étranger à l’égard duquel la mesure de reconduite à été prononcée ne rentre pas dans l’une des catégories protégées par l’article L511-4 (2) *.Violation de l’article L511-1, 1° Il n’est pas possible pour une autorité administrative de se fonder sur l’entrée irrégulière d’un étranger si celui-ci démontre qu’il était titulaire d’un visa, ou d’un titre de séjour. En conséquence, le juge administratif annulera l’acte. *.Violation de l’article L511-1, 1° Le juge administratif a été amené à constater une violation de cette disposition dans le cas de certaines pratiques dilatoires des préfectures. En effet, certaines procédures « duraient » anormalement, ce qui avait pour conséquence d’entraîner de fait l’irrégularité de la situation de l’étranger. Et c’était sur cette violation qu’intervenait une mesure de reconduite à la frontière. Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 31 juillet 1991, Pilven, le juge administratif est amené à contrôler les conditions de la violation. *.Violation de l’article L511-4 Le maintien sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration d’un titre de séjour sans demande effective de son renouvellement fonde l’édiction d’une mesure de reconduite à la frontière. Mais si l’étranger apporte la preuve qu’il avait déposé dans les limites du délai, un dossier de renouvellement de titre de séjour, cette disposition ne peut s’appliquer et le juge administratif annulera l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. *.Violation de l’article L511-1, 5° Lorsque l’étranger est condamné pour défaut de titre de séjour, falsification ou contre façon, la reconduite à la frontière peut être légalement prononcée. La portée du contrôle du juge administratif sera alors restreinte à l’exactitude des faits Violation de l’article L511-1, 7° Cette disposition qui prévoit que l’étranger puisse être reconduit en cas de menace à l’ordre public est peu appliquée. En effet, elle ne concerne que les cas de délivrance par erreur de titre de séjour. L’annulation de la décision de refus de séjour prive de base légale l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière 112 . *.Violation de l’article L511-1, 8° Cet article introduit en 2003 permet la reconduite à la frontière d’un étranger dont le comportement à constitué une menace à l’ordre public, ou qui a méconnu les dispositions de l’article L341-4 du Code du travail. Le contrôle du juge se porte sur l’adéquation entre la situation et les motifs invoqués. En cas de différence, il peut être amené à annuler l’arrêté. Il est possible pour le juge administratif de procéder à une substitution de base légale. En effet, lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise en vertu d’une autre disposition que celle attaquée, le magistrat peut substituer ce fondement à celui présenté. La substitution de base légale relève d’office du juge, mais il doit avoir mis les parties à même de présenter des observations sur ce point. En dehors de la véracité des motifs invoqués dans l’arrêté porté à sa connaissance, le juge est également amené à vérifier que l’étranger sous le coup d’une mesure d’éloignement ne bénéficie pas de certaines garanties législatives. 112 CE, 25 novembre 2002, n°239491, Préfet du Val d’Oise c/ Duman 57 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français 2.2.2.2.2 Le contrôle des catégories d’étrangers non reconductibles. Depuis 1981 ont été définies par le législateur des catégories d’étrangers qui ne peuvent faire l’objet de mesures d’éloignement. La raison d’une telle protection provient généralement de la durée de leur séjour en France ou des attaches familiales qu’ils ont pu y nouer. L’étendue de ces catégories à évolué au gré des interventions du législateur, soit dans un sens restrictif (cas des lois de 1986 et 1993) soit dans un sens protecteur (cas des loi de 1989 ou 2003). Actuellement, le juge administratif vérifie donc le respect de onze catégories. *.Violation de l’article L511-4, 2°,3° et 4° Cet article est relatif aux étrangers mineurs. C’est à ces derniers qu’il appartient d’apporter la preuve de son âge. Les services préfectoraux ont également la possibilité de faire des enquêtes et de déterminer par radiographies l’âge supposé du requérant. La protection apportée à l’étranger du fait de sa minorité n’empêche toutefois pas l’éloignement de ses parents, sauf circonstances les mettant dans l’impossibilité d’emmener leurs enfant avec eux 113 . *.Violation de l’article L511-4, 2°, 3° et 4° La résidence habituelle en France se prouve par tous moyens. C’est ainsi que des relevés de notes peuvent être versés au dossier. La difficulté de cette protection réside dans la preuve de l’habitude de la résidence. Le calcul de la durée de séjour s’effectue de manière stricte et toute interruption doit être ponctuelle et non répétée. Le 4° de l’article L511-4 précise que le séjour doit être régulier. En conséquence, le juge administratif ne peut considérer comme non-reconductible un étranger ayant séjourné en 114 France pendant la durée prévue, mais sous couvert de documents falsifiés . De même, les années de détention ne peuvent être prises en considération dans le calcul de la durée de résidence en France 115 . *.Violation de l’article L511-4, 5° Cette protection accordée aux étrangers résidant en France depuis plus de vingt ans était l’une des innovations de la loi du 26 novembre 2003. Elle ne peut s’appliquer qu’aux étrangers auxquels a été retiré un titre de séjour. *.Violation de l’article L511-4, 6° Cette disposition protégeant les parents d’enfants français est l’une des protection les plus fréquemment invoquées devant le juge administratif. Pour en bénéficier, l’étranger sous le coup de la mesure de reconduite à la frontière doit apporter la preuve de plusieurs éléments. Le juge ne pourra reconnaître cette protection à l’étranger que si celui-ci justifie d’une communauté de vie avec l’autre parent. C’est au requérants d’apporter la preuve de cette communauté de vie, soit par l’acte délivré par le juge aux affaires familiales, soit par tout autre moyen. Si le requérant ne produit pas ces pièces, il ne peut prétendre exercer l’autorité parentale sur l’enfant et ne peut échapper à une mesure de reconduite à la frontière. 113 114 115 58 CE, 26 juillet 1991, n°123711, Préfet de Seine et Marne c/ Ciftci. CE, 25 mai 2007, n° 271765, Ihute Adiele. CE, 26 février 2003, n°248841, Zerelli. Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge L’étranger doit également apporter la preuve de la nationalité française de l’enfant pour bénéficier de la protection. Lorsque l’enfant est français et est reconnu par anticipation, le parent étranger ne peut être reconduit à la frontière 116 . La nationalité française acquise de l’enfant fait obstacle à une mesure d’éloignement, et ce, même en cas de divorce 117 . En revanche, la possibilité d’acquisition de la nationalité française à la majorité de l’enfant n’influe pas sur la légalité de l’acte de reconduite, car sa légalité s’apprécie au moment de son édiction 118 . La protection du 6° de l’article L511-4 est également valable lorsque l’enfant a la double nationalité. Le requérant doit également apporter la preuve de sa contribution effective aux besoins de l’enfant. Cette dernière est appréciée par le juge au moment de la date de la reconduite à la frontière, mais il pourra pour ce faire prendre en compte des éléments antérieurs, tels que le versement d’une pension alimentaire ou des frais de scolarité. Mais la protection instituée par le 6° de l’article L511-4 n’est valable que pendant la minorité de l’enfant. *.Violation de l’article L511-4, 7° Cette disposition protège les étrangers mariés depuis aux moins deux ans avec un conjoint français. Une double condition vient toutefois restreindre l’étendue de cette protection : d’une part la communauté de vie ne doit pas avoir cessé, et d’autre part, le conjoint doit conserver la nationalité française. La première condition relative au maintien de la communauté de vie avait été instaurée par la loi de 1993, pour faire écho à la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle le préfet pouvait refuser un titre de séjour à un étranger s’il avait été établi que le mariage avait été contracté dans cette seule optique sur cette restriction. 119 . Les lois suivantes ne sont pas revenues Afin d’assurer sa protection, le mariage doit être valide et la communauté de vie entre époux existante. Le Conseil d’Etat a ainsi été conduit à rejeter la requête d’une veuve qui 120 se prévalait de la nationalité française de son époux après le décès de ce dernier . Mais l’incarcération de l’un des conjoints n’est pas de nature à faire cesser la communauté de vie entre les époux. La protection de cet article ne peut jouer lorsqu’il est prouvé que le conjoint français à définitivement quitté le domicile conjugal. *.Violation de l’article L511-4, 8° Cette protection concerne l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, sans vivre en polygamie, peut justifier d’un mariage depuis trois ans avec un conjoint étranger résidant en France depuis l’âge de 13 ans. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, le juge sera alors amené à annuler la reconduite à la frontière de l’intéressé. 116 117 118 119 120 CE, 30 avril 1997, n°179924, Préfet de la Gironde c/ Diakoubouka. CE, 21 février 2001, n°210371, El Fatmioui. CE, 9 février 2001, n°220055, Ganhewamanage. CE, Avis, 9 septembre 1992, Abihihali. CE, 29 juillet 1994, n°142775, Arndt 59 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français *.Violation de l’article L511-4, 9° Aux termes de cette disposition ne peuvent être reconduits à la frontière les étrangers titulaires de rentes d’accident du travail ou de maladies professionnelles. Le taux d’incapacité permanente du travail doit être supérieure à 20%, afin que la protection s’applique 121 . *.Violation de l’article L511-4, 10° Introduite par la loi du 24 avril 1997, la protection ici visée, concernait les étrangers « atteints d’une pathologie grave nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Cette protection est l’une des plus fréquemment invoquées devant les tribunaux administratifs, mais la jurisprudence administrative à conduit à définir assez strictement son étendue. Le juge de la reconduite exerce un contrôle normal sur la gravité des conséquences d’un défaut de traitement et sur l’existence dans le pays de renvoi de structures médicales aptes ou non à prodiguer les soins nécessités. C’est ce qui explique que selon les décisions fixant le pays de renvoi, le juge sera amené à annuler ou non des arrêtés de reconduite à la frontière pour des étranger souffrant des mêmes pathologies 122 . Dans les cas particulier de transsexualisme, le Conseil d’Etat a été amené à ordonner une expertise médicale et psychique avant de se prononcer psychiatriques sont également pris en compte par le juge administratif. 123 . Les problèmes *.Violation des article L.313-11, L.314-8 à L314-12 du CESEDA. Ces articles énumèrent les conditions sous lesquelles les étrangers en situation irrégulière doivent obtenir de plein droit un titre de séjour, et à l’encontre desquels une mesure d’éloignement n’est pas possible. 2.2.2.2.3. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la reconduite sur la vie personnelle de l’étranger Avant de décider le prononcé d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, le préfet est tenu d’apprécier si la mesure envisagée n’est pas de nature à comporter pour la situation personnelle de ce dernier des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Le juge de la reconduite exerce un contrôle restreint de l’appréciation portée par le préfet, contrairement au respect de la vie familiale qui fait l’objet d’un contrôle de proportionnalité. Afin d’exercer son contrôle, le juge prendra en considération tous les éléments susceptibles de caractériser la situation personnelle de l’étranger pour mesurer l’impact d’une mesure de reconduite. Seule la preuve de l’existence de conséquences d’une extrême gravité permettra l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière. Plusieurs éléments susceptibles de caractériser la situation personnelle de l’étranger ont été défini par la jurisprudence. L’intensité des liens personnels avec la France, en raison 121 122 123 60 CE, 27 mai 1994, n°143079, Mong’Anabola CE, 22 avril 2005, n°269728, Ramjane. CE, 30 juin 2003, n°256261, Préfet de police c/ Boubkari Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge 124 de la durée de résidence et des liens familiaux particuliers correspond ainsi à ce critère . Une pathologie particulière dont le suivi médical ne pouvait avoir lieu qu’en France justifie également l’annulation d’une mesure d’éloignement 125 . Il en va de même lorsque l’état de santé du requérant, ou l’imminence de son accouchement impossible. 126 rend tout éloignement La scolarité du requérant peut également parfois justifier l’annulation d’une mesure de reconduite à la frontière lorsqu’il établit que son éloignement serait particulièrement dommageable 127 . A l’inverse, ne sera pas retenue l’erreur manifeste d’appréciation lorsque l’étranger poursuit des études mais n’en démontre pas le sérieux. Plusieurs jugements ont ainsi refusé d’annuler un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière lorsque le requérant a multiplié les premières années universitaires 128 . 2.2.3. Le contrôle de la violation de dispositions conventionnelles 2.2.3.1. Le contrôle de l’atteinte à la vie familiale. La vie familiale est le principal obstacle à la reconduite à la frontière, et il est de fait, l’un des moyens les plus fréquemment soulevés. En effet, depuis l’arrêt du Conseil d’Etat Babas du 12 avril 1991, le juge exerce un contrôle de proportionnalité vis a vis de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En vertu de cette jurisprudence, une mesure de reconduite à la frontière qui respecte les dispositions législatives et réglementaires en vigueur peut cependant être annulée pour violation de l’article 8 de la CESDH. La jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme envisage le droit de mener une vie familiale normale de façon globale et considère que les limites que les Etats peuvent lui apporter doivent être entendues restrictivement 129 . Afin d’opérer son contrôle de proportionnalité, le juge utilise la technique du faisceau d’indice, en s’appuyant sur les différents éléments versés au dossier. La situation maritale de l’étranger est un des indices que le juge administratif prend en considération. Le célibat, ou le projet de mariage sont des éléments rendant difficiles l’application de cet article. Il en va de même pour les cas de mariage postérieurs à la 124 125 126 127 CE, 2juin 2004, n°261975, Ren, cas d’un ressortissant chinois élevé en France par sa tante. CE, 30 avril 2004, n°252135, Préfet de police c/ Haich, cas d’un ressortissant marocain en attente d’une greffe de rein. Ce, 7 février 2003, n°243905, Préfet de police c/ Wang, cas d’une grossesse multiple. CE, 12 mars 2003, n°239159, Préfet de l’Essonne c/ Moazeni, cas d’un étudiant dont la reconduite devait avoir lieu peu de temps avant la soutenance de sa thèse. 128 129 CE, 3 octobre 2003, n°244510, Préfet de police c/ Douad. CEDH, 24 mars 1988, n°10465/83, Olson c/ Suède. 61 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français décision d’éloignement ou lorsque les relations conjugales sont inexistantes. La polygamie rend également inapplicable la protection de cet article 130 . Un autre motif fréquent de confirmation de la mesure d’éloignement est le fait que l’étranger n’apporte pas la preuve que la vie maritale ne puisse se poursuivre dans un autre pays que la France. Si tel est le cas, l’atteinte à la vie familiale ne sera pas considérée comme excessive. Afin de déterminer son contrôle, le juge administratif prend en compte le statut du conjoint ainsi que la possibilité réelle de recréer la cellule familiale hors de France. Le fait que les enfants soient nés et scolarisés en France ne rend pas impossible la procédure de reconduite à la frontière. Lorsque l’étranger peut bénéficier de la procédure de regroupement familial, il est plus difficile d’annuler la mesure d’éloignement sur le fondement de l’article 8 de la CEDH, car cela reviendrait à vider totalement de son intérêt cette procédure. L’existence d’attaches affectives dans le pays d’origine est un autre élément qui fera considérer l’atteinte à la vie familiale comme non excessive. Le juge regarde alors la nature du lien de parenté existant entre le requérant et sa famille au pays. Plus le lien est proche, et moins l’article 8 de la CESDH trouvera à s’appliquer. La portée de l’erreur manifeste d’appréciation sera également voilée si la durée du séjour en France est faible, irrégulière ou interrompue. En revanche, la jurisprudence à défini plusieurs hypothèses caractérisant l’atteinte excessive à la vie privée et familiale. Lorsque le requérant à fondé une famille en France, le juge cherche à déterminer la réalité de la vie familiale. Le juge accepte de reconnaître comme vie familiale les relations homosexuelles sous réserve de leur ancienneté et de leur stabilité 131 . L’atteinte à la vie privée peut également être excessive si le requérant apporte la preuve 132 qu’il n’a pas d’attaches familiales dans son pays d’origine . Il en va de même si le requérant apporte la preuve que sa présence revêt un intérêt particulier pour sa famille, en raison de son soutien financier. Le fait que certains membres de la famille de l’étranger soient français est également pris en compte par le juge administratif pour mesurer l’étendue des liens familiaux avec la France 133 . La jurisprudence du Conseil d’Etat a également conduit à annuler les mesures de reconduites à la frontière lorsque l’un des deux conjoints à le statut de réfugié, car il est évident que la vie familiale ne pourrait se poursuivre à l’étranger. 2.2.3.2. La violation d’autres dispositions conventionnelles. Outre la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’étranger peut invoquer la violation d’autres dispositions. Néanmoins, le juge administratif ne leur a pas reconnu l’applicabilité pour les reconduites à la frontière. 130 131 132 133 62 CE, 29 décembre 2000, n° 210895, Sacko. CE, 30 avril 2004, n°251827, Préfet d’Ile et Vilaine c/Telci CE, 31 janvier 2005, n°265448, Sadiq. CE, 31 mars 2003 ? n°240694, Préfet de la Seine St Denis c. Messoussi. Deuxieme partie : la balance protectrice des droits de l’étrangers, les garanties offertes par le juge C’est tout d’abord le cas de l’article 3 relatif à la prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. Bien que ceux-ci soient fréquemment invoqués devant les tribunaux administratifs concernant le pays d’éloignement, la violation de l’article 3 ne peut s’appliquer à un arrêté de reconduite à la frontière, car il ne fixe pas le pays de destination 134 . L’article 5 relatif au droit à la liberté et à la sûreté est également inapplicable au contentieux de la reconduite à la frontière, en vertu de la jurisprudence Popescu du 21 novembre 1994, jurisprudence réaffirmée en 2000 par l’arrêt Francisco. Le Conseil d’Etat a également rejeté la violation de l’article 6 de la CESDH relatif au droit à un procès équitable, en considérant que les garanties de la défense sont effectives. Sa jurisprudence à ensuite été confirmée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, en estimant que le protocole n°7 avait clairement restreint la portée de l’article 6 dans le cas des expulsions d’étrangers. L’article 12 de la CESDH ne peut également pas être soulevé car la reconduite à la frontière a d’abord pour objet de sanctionner un séjour irrégulier sur le territoire, et non d’empêcher un mariage 135 . Enfin, l’article 13 relatif au droit à un recours effectif est inapplicable dans le cas des reconduites à la frontière. En effet, la mesure de reconduite et la décision fixant le pays de renvoi obéissent à des procédures différentes. La procédure fixant le pays de destination peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et d’une requête en droit commun. Cette faculté suffit à garantir le droit au recours effectif au sens du Conseil d’Etat 136 . 2.2.4. La violation d’autres instruments internationaux L’une des conventions les plus fréquemment invoquées par les requérants est la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990. L’article 3-1 dispose en effet que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer dans toutes les décisions les concernant. Des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ont ainsi pu être annulés lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant était en cause. Mais cette notion a été entendue de façon restrictive par la jurisprudence administrative, et ce moyen bien que souvent soulevé, est fréquemment rejeté. Le Conseil d’Etat à également considéré comme non recevables les dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, car elle n’a pas de valeur en droit interne 137 . Tous ces éléments de protection s’appliquent également pour l’OQTF. Cette nouvelle procédure à permis de désengorger les tribunaux administratifs et de simplifier le travail de leurs magistrats. La réforme de 2006 visait à s’adapter à l’émergence d’un contentieux de masse, car l’éloignement des étrangers corresponds environ au tiers des requêtes présentées devant les tribunaux administratifs. 134 135 136 137 CE, 15 décembre 2000, n°218248, Louahem M’Sabah CE, 17 janvier 1996, n°152786, Préfet du Val d’Oise c/ Lahyam. CE, 24 juin 2002, n°215400, Préfet de la Haute Garonne c/ Terzout Yettou CE, 26 janvier 2000, n°170579, Préfets des Hauts-de-Seine c/Abdelkader. 63 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Cette simplification administrative « débute » devant les tribunaux administratifs, car elle n’est en vigueur que depuis début 2007, mais a toutefois permis de simplifier le contentieux. En effet, l’Obligation de Quitter le Territoire étant exécutoire d’office un mois après sa notification, permet d’éviter la situation antérieure où les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière n’étaient pas exécutés, et où la notification d’un APRF pouvait révéler l’existence d’un même arrêté antérieur. L’OQTF rationalise donc l’éloignement des étrangers et permet de réduire l’urgence du contentieux car le juge administratif dispose de trois mois pour statuer. La procédure de jugement est classique, en audience collégiale. Cette réforme témoigne de la prise en compte par le législateur du contentieux de masse que représente l’éloignement des étrangers pour les magistrats administratifs, et de la volonté de rationaliser les mesures d’éloignement. Les nombreuses garanties procédurales offertes aux étrangers par le Juge contrebalancent la recherche d’effectivité poursuivie par l’administration. L’équilibre entre ces deux impératifs contradictoires est la raison d’être du droit des étrangers, et plus particulièrement des mesures d’éloignement et des reconduites à la frontière. Avec l’intégration européenne, il faut désormais transposer cet équilibre à l’échelle communautaire. La lutte contre l’immigration irrégulière est un objectif commun aux pays membres, ce qui a pour corollaire une harmonisation des pratiques dans ce domaine (dont l’OQTF, connue notamment en Belgique, est la dernière manifestation). La récente mise en place du Ministère de l’Immigration, de l’Intégration de l’Identité Nationale et du Codéveloppement en témoigne. Plusieurs pays membres de l’Union Européenne tels que le Luxembourg, ou l’Angleterre en sont dotés. Le traité de Nice à partiellement communautarisé les politiques d’asile au niveau européen, et il est fort probable que pour rationaliser les mesures d’éloignement se mette en place une procédure d’éloignement pour l’Europe. Dans cette optique a été créée en 2004 l’Agence de gestion des frontières extérieures –Frontex- afin de contrôler les frontières extérieures à l’Europe. Mais la réticence des Etats à abandonner l’une de leurs dernières prérogatives régaliennes explique que l’Agence manque pour le moment des moyens humains et financiers pour assurer sa mission. C’est la raison pour laquelle les Etats-membres développent en parallèle d’autres dispositifs afin de lutter contre l’immigration irrégulière. A ce titre, le thème du codéveloppement avec les « pays sources » d’immigration apparaît comme unanimement accepté. La France pratique déjà cette politique, spécialement en ce qui concerne les Etats voisins des départements et collectivités d’outre-mer. Le co-développement peut recouvrir des formes diverses, allant des transferts financiers aux clauses de retour des travailleurs étrangers. Plus que le remède apporté aux flux migratoires, l’idée du co-développement est positive en ce qu’elle est acceptée par la droite comme la gauche, ce qui a pour conséquence de dépassionner les débats autour du droit des étrangers. Celui-ci ne pourra qu’y gagner en stabilité. 64 Bibliographie Bibliographie Ouvrages Emmanuel BES DE BERC, Droit Français de l’expulsion des étrangers, thèse pour le doctorat, Editions Arthur Rousseau, 1888 Emmanuel BRIBOSIA,Andréa REA, Les nouvelles migrations : un enjeu européen, Editions Complexes, 2002 Jean-Yves CARLIER, Droit des Etrangers et Nationalité, Commission Université Palais, Liège Vincent COHEN-STEINER, Le guide du droit des étrangers, Annonces de la Seine Editions, 1995 Christian DAADOUCH, Le droit des étrangers, 2ème édition, Paris MB, collection Droit Mode d’Emploi, 2004 Charles DEMANGEAT, Histoire de la Condition Civile des Etrangers en France dans l’Ancien et dans le Nouveau Droit, Joubert, Editions de la Cour de Cassation, 1842 Rudolph D’HAËM, La Reconduite à la Frontière des Etrangers en Situation Irrégulière, Presses Universitaires de France, Que-sais-je, 1997 Rudolph d'Haëm, L'entrée et le séjour des étrangers en France, Presses universitaires de France, 1999 Jérôme DRAHY, Le droit contre l’Etat, droit et défense associative des étrangers, l’exemple de la CIMADE, l’Harmattan 2004 Didier FASSIN, Les lois de l’Inhospitalité, les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers, La Découverte, 1997 Hugues FULCHIRON, Réformes du droit des étrangers, Litec-carré droit, 1999 GISTI, Entrée et séjour des étrangers en France après la loi Sarkozy, Editions La Découverte, 2004 GISTI, Le guide de l’entrée et du séjour des étrangers en France, Editions La Découverte, 2003 GISTI, Les étrangers et le droit communautaire, entrée, séjour et éloignement, Editions La Découverte, 2006 Virginie GUIRAUDON, Les politiques de l’immigration en France, Allemagne et PaysBas, L’Harmattan, 2000 Imelda HIGGINS, Kay HAILBRONNER, Migrations and Asylum Law and Policy in European Union, Editions FIDE National Reports, 2004 65 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français François JULIEN-LAFFERIERE, Droit des Etrangers, PUF, 2000 Hélène LAMBERT, La situation des étrangers au regard de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, Publications du Conseil de l’Europe, 2002 Remi LEVEAU, Catherine WIHTOL DE WENDEN, Khadidja ROHSEN, Nouvelles citoyennetés : réfugiés et sans papiers, IFRI, 2001 Danièle LOCHAK, Les droits des Etrangers en France, Presses Universitaires de France, 1985 Pierre GOUBERT, Les français et l’Ancien Régime, tome 2, Paris, Armand Colin 1991 Ariane LANTZ, L’administration face aux étrangers, les mailles du filet, l’Harmattan, 1998 Pascal MONTFORT, Le contentieux de la rétention administrative des étrangers en instance d’éloignement, l’Harmattan, 2003 Gérard NOIRIEL, Le creuset français, histoire de l’immigration, XIXème- XXème siècle, Seuil, 1992 Gérard NOIRIEL, Réfugiés et sans-papiers, la République face au droit d’asile, Heidsick, Syros 1997, Magali SABATIER, La coopération policière, l’Harmattan, 2001 Maxime TANDONNET, Migrations la nouvelle vague, L’Harmattan, 2004 Vincent TCHEN, Le droit des Etrangers, Flammarion-Dominos, 1998 Vincent TCHEN, Droit des Etrangers, Paris, Ellipses, 2006, Agnès TOPPINO, Les droits des Etrangers en France, l’Editeur du guide familial, 2005 Pierre TRUCHE, L’anarchiste et son juge, Fayard, 1994 ème Xavier VANDENDRIESSCHE, Droit des Etrangers, 3 édition, Dalloz, Connaissance du Droit, 2005, André-Michel VENTRE, Alain BAUER, Les polices en France, Presses Universitaires de France, 2001 Sophie WAHNICH, L’impossible citoyen, l’étrangers dans le discours de la Révolution Française, Albin Michel Histoire, 1997 Rapports Georges OTHILY (président), François-Noël BUFFET (rapporteur), Rapport de la commission d’enquête sur l’immigration clandestine, rapport du Sénat, n°300 Thierry MARIANI, Rapport de la Commission des Lois sur la loi du 26 novembre 2003 relative à l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la Nationalité, rapport d’information de l’Assemblée Nationale, n° 2922, mars 2006 La Documentation Française, Mission d’Etudes des législation de la nationalité et de l’immigration, 1997 66 Bibliographie Législation et réglementation, Entrée et séjour des étrangers en France, les Editions des Journaux Officiels, 2000 Cour des Comptes, La rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, Rapport Public annuel 2006. Colloques La condition juridique de l’étranger, hier et aujourd’hui, actes du colloque organisé à Nimègues, 9-11 mai 1998, La réforme de la reconduite à la frontière après la loi Sarkozy II du 24 juillet 2006, colloque organisé le 17 novembre 2006 par l’Equipe de recherches en Droit comparé, sous la direction scientifique de M. Pascal BINCZAK, Professeur à l’université Paris 8 et de M. Renaud FOURNALÈS, Magistrat administratif, Professeur associé de droit public à l’université Paris 8, publication Litec-Jurisclasseurs Les étrangers et la Convention Européenne des Droits de l’Homme, Actes des journées de travail organisées à Lyon le vendredi 14 et le samedi 15 novembre 1997, LGDJ, 1999. articles de doctrine François BENOÎT-ROHMER, « Reconduite à la frontière, développements récents », Revue de Droit Public, n° 4, 1994 Christophe BONOTTE, « La contestation des décisions de maintien en rétention administrative et en zone d’attente devant le juge judiciaire et le juge administratif » AJDA, n°12, 5 avril 2004 Florence CHALTIEL, « Le juge administratif, juge de l’immigration », Revue de Droit Public, n°1, 2001 Jen DE GROONE, « La sanction administrative dans le droit des étrangers », AJDA, numéro spécial, octobre 2001 M. DENIS-LINTON, « Contentieux de la reconduite à la frontière et de l’expulsion des étrangers », Jurisclasseur Administratif, fascicule 1156, 1995 Laurent DOMINGO, « Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, maîtrise de l’immigration et séjour des étrangers en France », Revue Française de Droit Constitutionnel, n°57 Louis FAVOREUX, « Décision maîtrise de l’immigration du 13 août 1993 », Revue Française de Droit Constitutionnel, n°15 Jean-Louis GUERRIVE, « Double peine et police des étrangers », Recueil Le Dalloz, n °10, 2002 Nicole GUIMEZANES, « La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration », Semaine Juridique Administration et Collectivités Territoriales, n° 39, Septembre 2006 67 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Nicole GUIMEZANES, « La lutte contre l’immigration irrégulière », Regards sur l’actualité, n° 326, décembre 2006 François JULIEN-LAFFERIERE, « Le mythe de l’immigration zéro », in AJDA, n°5, 20 février 1994, François JULIEN-LAFFERIERE, « Une modification d’ampleur de l’ordonnance de 1945 », AJDA, n°5, 9 février 2004 Danièle LOCHAK, « La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration », Regards sur l’actualité, n°326, décembre 2006 Danièle LOCHAK, « La loi sur la maîtrise de l’immigration : analyse critique », Regards sur l’actualité, n°299, mars 2004 Olivier LECUCQ, L’examen par le Conseil Constitutionnel de la nouvelle législation sur l’immigration, in AJDA 22 mars 2004, p.599 Daniel LIGER, « Le juge judiciaire et la rétention administrative des étrangers », La Lettre du Syndicat des Avocats de France, octobre 1995 Hélène MANCIAUX, « La réforme de la reconduite à la frontière par la loi du 26 novembre 2003, l’imbroglio juridique demeure », AJDA, n°33, 18 octobre 2004 Lucia MARZANO « La protection offerte par la Convention Européenne des Droits de l’Homme aux demandeurs d’asile et aux réfugiés », Revue Universitaire des Droits de l’Homme, volume 14, 2002 Jerry SAINTE-ROSE, Patrick MUCCHIELLI, «le contrôle du juge judiciaire sur la rétention administrative » Gazette du Palais, p.950 Catherine TEITGEN-COLLY et François JULIEN-LAFFERIERE, « La loi n°98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile », AJDA, n° 40, 20 novembre 1998 Dominique TURPIN, « La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration », Recueil Le Dalloz, n°5, février 2004 Actualité jurisprudentielle Les droits des étrangers placés en rétention administrative, conclusions de Mattias GUYOMAR, commissaire du gouvernement, in AJDA, 10 février 2003, p.239 Le traitement médical du transsexualisme peut faire obstacle à une reconduite à la frontière, conclusions de Pascale TOMBEUR, commissaire du gouvernement, in er AJDA 1 décembre 2003, p.2207 Textes législatifs Ordonnance n°45- 2658 du 2 novembre 1945, publication au JORF du 4 novembre 1945, Lois 68 Bibliographie Loi n° 80-9 du 10 janvier 1980, relative a la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance 452658 du 02-11-1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national de l'immigration, JORF 11 janvier 1980 Loi n°81-973 du 29 octobre 1980, relative aux conditions d’entrée et de séjour en France, JORF 30 octobre 1980. Loi n°86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France, JORF 12 septembre 1986. Loi n°89-548 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France, JORF 8 août 1989. Loi n° 92-190 du 26 février 1992 portant modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers, JORF 29 février 1992. Loi n°93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’entrée, à l’accueil et au séjour des étrangers en France, JORF 29 août 1993, p. 12196. Loi n°93-1417 du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise er de l’immigration et modifiant le code civil, JORF du 1 janvier 1994, p.11. Loi n°97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration, JORF 25 avril 1997, p.6268. Loi n° 98-349, du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, JORF 12 mai 1998, p. 7087. Loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration au séjour des étrangers en France, et à la nationalité, JORF 27 novembre 2003, p.20136. Loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, JORF 25 juillet 2006, p.11047. 69 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Annexes Annexe n°1 : Code De l'Entrée Et Du Séjour Des Etrangers et Du Droit D'asile Chapitre Ier : Cas dans lesquels un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière Article L511-1 (Loi nº 2006-911 du 24 juillet 2006 art. 50, art. 51, art. 52 Journal Officiel du 25 juillet 2006) I. - L'autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l'existence d'une menace à l'ordre public, peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l'étranger sera renvoyé s'il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa (1). La même autorité peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse à quitter le territoire français lorsqu'elle constate qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par l'article L. 121-1. L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai d'un mois à compter de sa notification. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d'office par l'administration. Les dispositions du titre V du présent livre peuvent être appliquées à l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent. L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut solliciter le dispositif d'aide au retour financé par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, sauf s'il a été placé en rétention. II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1º Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2º Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois 70 Annexes mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; 3º(2) Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ; 4º Si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois suivant l'expiration de ce titre ; 5º Si l'étranger a fait l'objet d'une condamnation définitive pour contrefaçon, falsification, établissement sous un autre nom que le sien ou défaut de titre de séjour ; 6º(2) Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé ; 7º Si l'étranger a fait l'objet d'un retrait de son titre de séjour ou d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont été prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en raison d'une menace à l'ordre public. 8º Si pendant la période de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, pendant la période définie au 2º ci-dessus, le comportement de l'étranger a constitué une menace pour l'ordre public ou si, pendant cette même durée, l'étranger a méconnu les dispositions de l'article L. 341-4 du code du travail. NOTA (1) : Loi 2006-911 du 24 juillet 2006 art. 118 : Les dispositions du I de l'article L. 511-1 entrent en vigueur à la date de publication du décret en Conseil d'Etat modifiant le code de justice administrative et au plus tard le 1er juillet 2007. NOTA (2) : Loi 2006-911 du 24 juillet 2006 art. 118 : Les dispositions du 3º et du 6º de l'article L. 511-1 seront abrogées à la date de publication du décret en Conseil d'Etat modifiant le code de justice administrative et au plus tard le 1er juillet 2007. Article L511-2 Les dispositions du 1º du II de l'article L. 511-1 sont applicables à l'étranger qui n'est pas ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne : a) S'il ne remplit pas les conditions d'entrée prévues à l'article 5 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ; b) Ou si, en provenance directe du territoire d'un Etat partie à cette convention, il ne peut justifier être entré sur le territoire métropolitain en se conformant aux stipulations de ses articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, et 21, paragraphe 1 ou 2. Article L511-4 Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : 1º L'étranger mineur de dix-huit ans ; 2º L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; 3º (Abrogé) 71 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français 4º L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant" ; 5º L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 6º L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; 7º L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; 8º L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2º, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ; 9º L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % 10º L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; 11º Le ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de sa famille, qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 122-1. En outre, ne peut faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière pour l'un des motifs prévus aux 1º, 2º et 4º du II de l'article L. 511-1 l'étranger ressortissant d'un pays tiers qui est membre, tel que défini à l'article L. 121-3, de la famille d'un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse. Chapitre II : Procédure administrative et contentieuse Annexe n°2 : exemple d’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (accompagné de la décision fixant le pays de renvoi). (à consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) 72 Annexes Annexe n°3 : Question du député Jérôme RIVIERE sur les reconduites à la frontière Source : http://www.ump.assemblee-nationale.fr/article.php3?id_article=5527 Jérôme Rivière, Député des Alpes-Maritimes, a appelé l’attention du ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, au sujet d’éléments statistiques concernant les personnes reconduites à la frontière en 2005. Il souhaiterait tout d’abord avoir le nombre de personnes reconduites à la frontière en 2005. Il souhaiterait ensuite savoir quelle est, pour chacune d’entre elles, leur nationalité. RÉPONSE L’honorable parlementaire a souhaité que le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, lui indique le nombre de mesures de reconduite à la frontière (arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, arrêtés d’expulsion, interdictions judiciaires du territoire) exécutées en 2005 ainsi que les principales nationalités concernées. En 2005, 19 848 mesures d’éloignement ont été exécutées, ce qui représente une augmentation de 26,7 % par rapport aux éloignements d’étrangers en situation irrégulière effectués en 2004. Entre 2002 et 2005, le nombre d’éloignements effectifs a progressé de 88 %. Par ailleurs, les éloignements enregistrés au cours de l’année 2005 ont été effectués principalement à destination de la Roumanie (3 815), de l’Algérie (3 408), du Maroc (2 048), de la Turquie (1 897) et de la Bulgarie (793), ces cinq nationalités représentant 60,3 % des mesures exécutées. Priorité de l’action du Gouvernement depuis 2002, les évolutions constatées démontrent l’impact de la politique volontariste menée en la matière. Fruit des instruments législatifs issus de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et de la forte mobilisation de l’ensemble des services de police, de gendarmerie et des préfectures, cette évolution doit encore se confirmer. C’est la raison pour laquelle le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire a décidé de pérenniser la politique de pilotage par objectifs de l’activité d’éloignement et fixé à 25 000 le nombre de mesures d’éloignement à exécuter pour l’année en cours. Pour conforter et améliorer ces résultats, un plan de lutte contre l’immigration irrégulière, décliné en actions destinées à lever les principaux freins à l’exécution des mesures d’éloignement, a été élaboré. Prenant appui sur une organisation nationale rénovée via, notamment, l’action du comité interministériel de contrôle de l’immigration et la généralisation des pôles départementaux d’immigration, ce plan définit en outre des mesures opérationnelles, telle la mise en oeuvre d’un plan immobilier permettant d’accroître sensiblement les capacités d’accueil des centres de rétention administrative. Annexe n°4 : statistiques de reconduites à la frontière en France métropolitaine 73 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français statistiques de reconduites à la frontière en France métropolitaine Source : Le Monde du 7 avril 2007. Annexe n°5 : activité de la police aux frontières en Outre-mer 1998-2004 Source : Projet de Loi de Finances 2006. 74 Annexes Martinique Étrangers en situation irrégulière Reconduites - expulsions Guade- Étrangers en situation loupe irrégulière Reconduites - expulsions Guyane Étrangers en situation irrégulière Reconduites - expulsions La Étrangers en situation Réunion irrégulière Reconduites - expulsions 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Évolution 2003/2004 180 173 205 243 349 358 516 +44,13% 163 201 190 217 290 330 466 +41,22% 709 591 764 579 776 977 1.077+10,24% 673 620 766 678 686 1.0531.083+2,85% 3.8974.3015.1443.6594.5755.7166.570*+14,94% 3.8974.1934.711 2.9784.2444.8525.318*+9,60% 87 59 26 41 41 44 61 +38,63% 62 49 31 21 22 22 50 +127,27% Annexe n° 6 : Statistique de délivrance des laissezpasser consulaires Source : CIMADE, Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2003, p. 16. 75 A la croisée du glaive et de la balance, les reconduites à la frontière en droit français Annexe n°7 : émargement du registre de notification des droits en centre de rétention administrative (à consulter sur la place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) Annexe n° 8 : demande de prolongation de rétention administrative (à consulter sur la place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) 76 Annexes Annexe n°9 : Ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention (à consulter sur la place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) Annexe n° 10 : arrêt du Tribunal Administratif de Lyon (à consulter sur la place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) Liste des principales abréviation utilisées A.J.D.AActualité Juridique de Droit Administratif A.P.JAgent de Police Judiciaire A.P.R.FArrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière C.E.Conseil d’Etat C.E.D.HCour Européenne des Droits de l’Homme C.P.PCode de Procédure Pénale J.O.R.F Journal Officiel de la République Française L.G.D.J.Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence N°numéro O.P.J.Officier de Police Judiciaire O.Q.T.FObligation de Quitter le Territoire Français p. page(s) P.U.FPresses Universitaires de France Rec.Recueil 77